ACTES XLI

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
ACTES I
ACTES II
ACTES III
ACTES IV
ACTES V
ACTES VI
ACTES VII
ACTES VIII
ACTES IX
ACTES X
ACTES XI
ACTES XII
ACTES XIII
ACTES XIV
ACTES XV
ACTES XVI
ACTES XVII
ACTES XVIII
ACTES XIX
ACTES XX
ACTES XXI
ACTES XXII
ACTES XXIII
ACTES XXIV
ACTES XXV
ACTES XXVI
ACTES XXVII
ACTES XXVIII
ACTES XXIX
ACTES XXX
ACTES XXXI
ACTES XXXII
ACTES XXXIII
ACTES XXXIV
ACTES XXXV
ACTES XXXVI
ACTES XXXVII
ACTES XXXVIII
ACTES XXXIX
ACTES XL
ACTES XLI
ACTES XLII
ACTES XLIII
ACTES XLIV
ACTES XLV
ACTES XLVI
ACTES XLVII
ACTES XLVIII
ACTES XLIX
ACTES L
ACTES LI
ACTES LII
ACTES LIII
ACTES LIV
ACTES LV

HOMÉLIE XLI. PAUL ENTRA DANS LA SYNAGOGUE, ET, PENDANT TROIS MOIS, IL Y PARLA AVEC LIBERTÉ, DISCOURANT SUR LE ROYAUME DE DIEU, ET PERSUADANT LES JUIFS. (CHAP. XIX, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 20.)

 

204

 

ANALYSE. 1-3. Saint Paul à Ephèse ; son zèle, ses miracles. — Punition des exorcistes juifs. — Examen de la manière d'agir du démon contre les fils de Scéva. — Puissance du démon contre les incrédules. — Les grands exemples servent peu de temps, à cause de la malice des hommes. — Puissance du nom de Jésus, Sauveur du monde. — Des possédés du démon, et des grâces que leur procure leur état.

4 et 5. Du péché et des maux qu'il cause à l'homme. — De la colère et de la rancune. — Maux qu'elles produisent, nécessité d'en triompher.

 

1. Voyez que Paul entre dans les synagogues partout où il va, c'est toujours par là qu'il débute. En effet, partout il voulait prendre chez les Juifs son point d'appui, comme je l'ai déjà dit. Du reste, déjà les nations remplies de ferveur le recevaient avec empressement , et les Juifs faisaient pénitence en voyant les gentils recevoir la foi. Il voulait trouver chez les Juifs quelques disciples, les séparer de leur nation et en faire un peuple à part. Il disputait assidûment avec eux, parce qu'il les persuadait. Parce qu'il est dit qu'il parlait avec liberté, ne croyez pas que cela veuille dire avec rudesse. « Comme plusieurs s'endurcissaient et ne voulaient pas croire, et parlaient en mal de la voie du Seigneur devant le peuple, il s'éloigna d'eux, et emmena ses disciples, et chaque jour il parlait dans l'école d'un certain Tyrannus. Cela eut lieu, pendant deux ales, si bien que tous les habitants de l'Asie, « Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ». On appelait avec raison la prédication une voie. Car c'était véritablement la route qui conduit au royaume des cieux. « Il disputait », dit l’auteur, «dans l'école d'un certain Tyrannus. Et cela eut lieu pendant a deux ans, si bien que tous, Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus». Voyez-vous combien fut utile l'assiduité de Paul? Les Juifs et les Grecs entendirent la parole. « Et Dieu faisait par les mains de Paul des prodiges plus qu'ordinaires; au point que l'on mettait sur les malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché son corps, et les maladies les abandonnaient, et les esprits mauvais sortaient de leurs corps (9, 12) ». Non-seulement ceux qui les portaient les touchaient, mais ceux qui les recevaient se les appliquaient. C'est pourquoi le Christ, observant ces circonstances, ne permit pas, à ce que je crois, qu'il allât en Asie. « Quelques-uns des exorcistes juifs qui parcouraient le pays, essayèrent d'invoquer sur ceux qui étaient possédés des esprits mauvais le nom du Seigneur Jésus, en disant : Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ». Voyez : ils ne voulaient .pas croire en Jésus-Christ, et ils voulaient chasser les démons en son nom. Oh! combien était grand le nom de Paul. « Il y avait sept fils de Scéva, prince des prêtres, qui faisaient cela ». Mais l'esprit mauvais leur répondit et leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul, mais vous, qui êtes-vous ? Et l'homme en qui était l'esprit mauvais sauta sur eux, et s'étant rendu maître d'eux, les maltraita si fort qu'ils s'enfuirent de cette maison nus et blessés. Ce fait fut connu de tous les Juifs et des grecs qui habitaient Ephèse ». Ils agissaient ainsi en secret, et ensuite leur faiblesse fut divulguée. « Et la crainte s'empara de tous ceux-là, et le nom du Seigneur Jésus fut glorifié. Et un (205) grand nombre de ceux qui avaient cru, venaient, et ils confessaient et révélaient leurs actions ». Puisqu'ils avaient assez de puissance pour pouvoir faire de telles choses par les démons, c'est avec raison que tout se passe ainsi. « Beaucoup d'entre ceux qui avaient pratiqué la magie prirent leurs livres, et les brûlèrent en présence de tous; on supputa le prix de ces livres, et on trouva une somme de cinquante mille deniers d'argent; ainsi la parole de Dieu s'accroissait et se fortifiait (13, 20) ».Voyant qu'ils leur seront désormais inutiles, ils brûlent leurs livres. Quelquefois les démons eux-mêmes en agissent ainsi. Le nom ne sert donc à rien, s'il n'est prononcé avec foi. Le Christ a donc dit avec raison : « Celui qui croit en moi fera des choses plus grandes » (Jean, XIV, 12) ; et il faisait allusion à ces miracles. Voyez par là comment ils ont tourné leurs armes contre eux-mêmes. « Et il parlait », dit l'auteur, « dans l'école d'un certain Tyran, pendant deux années ». Là, il y avait des hommes fidèles et très-fidèles. Ces Juifs croyaient si peu à la puissance de Jésus, qu'ils ajoutaient le nom de Paul, aimant mieux croire à la grandeur de Paul qu'à celle de son maître. On peut admirer ici que le démon ne voulut pas se prêter à la fourberie des exorcistes; qu'il les confondit et révéla leur comédie. Il me semble qu'il fut enflammé de colère, comme le serait quelqu'un qui, exposé aux derniers périls, se verrait poussé à bout par quelque misérable, et voudrait décharger sur lui toute sa colère. Pour ne pas sembler mépriser le nom de Jésus, il lé confessa d'abord, et reprit ensuite sa puissance. Il est évident que ce n'est pas l'impuissance du nom de Jésus, mais bien la fraude de ces hommes; autrement, comment expliquer que rien de semblable n'arriva à Paul? Et l'homme sautant sur eux », dit l'auteur. Peut-être déchira-t-il leurs vêtements, et leur serra-t-il la tête; c'est ce qu'indique le mot : « Sautant sur eux»; c'est-à-dire, les attaquant avec une violence capable de les maltraiter de la sorte. Que signifie: « S'éloignant d'eux, il emmena «ses disciples? » Qu'il coupa court à leurs mauvais propos. Paul agit ainsi et s'en va parce qu'il ne voulait pas enflammer leur envie, ni amener une dispute plus grave. Le mot, « il parlait avec liberté », signifie qu'il était préparé au danger, et qu'il enseignait clairement et sans voiler les dogmes. Par là, nous apprenons que nous ne devons pas nous mêler aux médisants, mais les fuir. Offensé en paroles par les Juifs, il ne leur rendit pas offense pour offense; au contraire, il redoublait de zèle pour la prédication, et se conciliait de nombreux adhérents; précisément, par cette raison que, bien qu'il entendît leurs mauvais propos, il ne s'en allait pas et ne se séparait pas d'eux. Remarquez que lorsque l'épreuve a cessé de la part des gens qui sont en dehors de l'Eglise, elle commence de la part des démons.

Voyez-vous l'aveuglement des Juifs ? Ils voyaient les vêtements de Paul accomplir des prodiges, ils n'y faisaient pas attention. Quel plus grand miracle pourrait-on voir? Mais au lieu de tourner à leur salut, il tourne à leur perte. Si quelque grec est incrédule, quil croie en voyant l'ombre de Paul faisant ces prodiges. Ainsi, parce que Paul s'éloigne d'eux, les médisants et ceux qui calomniaient la foi (il l'appelle la voie) sont vaincus. Il s'éloigne pour que les disciples ne se retirent pas, et pour -ne pas exciter les Juifs à la colère, et il montre qu'ils fuient le salut par tous les moyens. Du reste, il ne se disculpe pas devant eux et ne leur montre pas la foi partout embrassée par les gentils. Et il discourt, non pas dans n'importe quel lieu, mais dans une école, parce que l'endroit est plus commode pour se rassembler.

2. Oh ! combien est grande la vertu de ceux qui croient ! Combien est grand l'aveuglement de ceux qui demeurent dans l'incrédulité, même après la manifestation de la vertu divine ! Simon demandait par esprit de lucre la grâce du Saint-Esprit, et ceux-ci agissaient de même pour la même raison. Quel aveuglement ! Et pourquoi Paul ne leur fait-il pas de reproches? Parce que ses reproches eussent semblé dictés par l'envie. Telle est la raison de sa conduite en cette occasion. La même chose aussi au Christ; mais alors on n'empêchait rien (c'était le commencement de l'Evangile) : Judas volait et n'était pas réprimé. Ananie et Saphire furent frappés de mort. Beaucoup de Juifs, qui faisaient opposition à Jésus-Christ ne souffrirent aucun châtiment, et Elymas fut frappé de cécité. « Je ne suis pas venu », dit le Christ, « pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé ». (Jean, III, 37.) Voyez quelle scélératesse ! Des Juifs qui demeuraient encore dans le judaïsme (206) voulaient trafiquer de ce nom divin. Ainsi ils faisaient tout par vaine gloire et en vue du gain. Considérez que partout les hommes se convertissent moins par les événements heureux que par les événements terribles. A propos du châtiment de Saphire , l'épouvante tomba sur l'Eglise, et les autres n'osaient se joindre à eux. Ici, ils prenaient les mouchoirs et les linges de Paul, et ils étaient guéris, mais ce n'est qu'après le châtiment infligé aux exorcistes qu'ils viennent confesser leurs fautes. De ce que le démon saute sur les Juifs, il est prouvé que la puissance du démon est grande lorsqu'elle s'exerce contre les infidèles. Pourquoi l'esprit mauvais ne dit-il pas : Qu'est-ce que Jésus? Pourquoi prononce-t-il des paroles inutiles pour lui? Il craignait lui-même le châtiment; il savait que c'était ce nom qui lui donnait la faculté de se venger des insulteurs. Pourquoi ces misérables ne lui dirent-ils pas : Nous croyons ? lis redoutaient Paul. Cependant, combien n'eût-il pas été plus glorieux pour eux de le dire, si par là ils s'étaient approprié la puissance de Jésus ? D'ailleurs, ce qui était arrivé à Philippes les rendit sages. Considérez la modération de l'auteur; il écrit simplement l'histoire, et n'accuse pas. La sincérité des apôtres est admirable. Saint Luc rapporte de qui ces exorcistes étaient fils, leur nom, leur nombre , donnant ainsi à ceux qui vivaient alors un signe certain de la vérité de ce qu'il raconte. Pourquoi donc ces Juifs voyageaient-ils? Pour gagner de l'argent, mais non pour annoncer la parole. Comment l'auraient-ils fait? Ils avaient raison de voyager, ensuite ce qui leur était arrivé faisait d'eux des prédicateurs involontaires. C'est ce que l'auteur donne à entendre en disant : « Cela fut connu de tous les Juifs et des Grecs habitants d'Ephèse » . Ce fait étrange ne devait-il pas convertir les endurcis, dites-moi? Mais il ne les convertit pas. Et qu'on ne s'en étonne pas, rien ne persuade la méchanceté. Permettez-moi de vous montrer quelle fut la malice des exorcistes.- Pourquoi cela n'arriva pas sous le Christ, ce n'est pas le moment de traiter cette question ; disons seulement que ce fait ne se produit qu'au temps où il pouvait se produire utilement. Je soupçonne que ces exorcistes agissaient ainsi pour se moquer ; c'est pourquoi ils sont châtiés, pour que personne désormais n'ose prononcer ce nom témérairement. Cet événement amena beaucoup de fidèles à la confession , les remplit de crainte et fut une preuve éclatante que Dieu connaît tout. Ils se préservaient de l'affront d'être accusés par les démons en s'accusant eux-mêmes. Du moment que les démons, leurs auxiliaires pour le péché , se faisaient leurs accusateurs au lieu de les défendre, quel espoir leur restait, sinon la confession de leurs péchés ? Voyez quels grands maux arrivent peu après que de si grands prodiges ont été accomplis. Notre nature est ainsi faite : nous oublions promptement les bienfaits. Ne vous souvient-il pas que la même chose a eu lieu de notre temps? Dites-moi donc : Est-ce que l'année dernière Dieu n'a pas ébranlé la ville entière ? Eh bien ! est-ce que tous ne couraient pas au baptême? Est-ce que les libertins, les hommes infâmes et corrompus, abandonnant leurs demeures et les lieux qu'ils habitaient, ne se convertirent pas et ne devinrent pas pieux? Or, trois jours après ils retournèrent à leur malice première. D'où cela vient-il ? De l'excès de notre lâcheté. Faut-il s'étonner qu'il en soit ainsi après un châtiment qui passe sans laisser de traces, lorsque la même chose arrive après une catastrophe qui laissé de son passage des monuments durables? Le châtiment de Sodome, par exemple, n'a-t-il pas laissé d'impérissables vestiges? Quoi donc ! Les peuples voisins en sont-ils devenus me.il. leurs ? Nullement. Et le fils de Noé n'était-il pas vicieux aussi ? Ne l'était-il pas en face même de la désolation universelle qu'il voyait de ses yeux? Ne nous étonnons donc pas si les Juifs restèrent incrédules malgré de tels prodiges, eux qui ont su corrompre jusqu'à la foi elle-même, et la faire servir au mal: par exemple, lorsqu'ils disaient que le Fils de Dieu était possédé du démon. Est-ce que vous ne voyez pas qu'il en est encore ainsi, et que beaucoup d'hommes sont de là nature des serpents , gens incrédules et ingrats qui, comme les vipères, se hâtent de mordre la main du bienfaiteur qui les a réchauffés? Je dis ceci afin que vous ne vous étonniez pas que ces miracles n'aient pas converti tous ceux qui les virent.

3. Notre âge a vu les miracles du tombeau de saint Babylas, il a vu ceux qui ont éclaté à Jérusalem et qui ont achevé la destruction du temple, et tous ne sont pas convertis. Qu'est-il besoin de rappeler les temps anciens? Je vous ai dit ce qui est arrivé l'année dernière; (207)

nul n'y a fait attention, on eut bientôt repris la pente du passé, et l'on est retombé aussi bas qu'auparavant. Toujours debout, le ciel crie, pour ainsi dire, sans cesse qu'il a un maître, que cet univers est l'oeuvre d'un ouvrier, et quelques-uns persistent à dire le contraire. Ce qui est arrivé à Théodore l'année dernière, qui n'en a pas été frappé d'étonnement? Et cependant la religion n'y a rien gagné; mais ceux qui étaient devenus pieux pour un instant, sont retournés à ce qu'ils étaient auparavant. La même chose arriva aussi aux Hébreux : c'est pour cela que le prophète a dit : « Lorsqu'il les mettait à mort, ils le recherchaient, se convertissaient, et venaient au matin près du Seigneur ». (Ps. LXXVII, 34.) Qu'est-il besoin de rapporter tout ce qui leur est arrivé en général? Combien de maladies n'éprouvèrent-ils pas ? Combien de fois s'étant relevés ont-ils promis de changer de vie, et sont-ils cependant restés les mêmes ? Le changement subit nous démontre notre volonté et la liberté de notre nature. En effet, si le mal était naturel, nous ne pourrions changer; car nous ne pouvons changer ce qui se fait par nature et par nécessité. Cependant nous changeons, direz-vous. Ne voyons-nous pas parfois des gens qui voient naturellement, devenir aveugles par frayeur ? parce que la nature cède lorsqu'une autre nature vient à l'encontre. Ainsi, c'est suivant l'ordre de nature que l'effroi nous cause l'aveuglement ; et c'est aussi naturellement que, s'il survient un sujet de frayeur plus terrible que le premier, la première crainte disparaît. Mais quoi donc, direz-vous, si la tempérance est dans la nature, et que la crainte la chasse lorsqu'elle l'a dominée? Que direz-vous si je vous démontre que, même sous l'empire de la crainte, certaines personnes ne sont pas tempérantes , mais conservent jusque-là leur impudence, ne serez-vous pas obligés d'avouer que la nature n'y est pour rien? Citerai-je des faits d'autrefois ou des faits d'aujourd'hui? Pharaon, dites-moi, ne fut-il pas changé tout d'un coup, et n'en revint-il pas à sa première malice? Dans le cas qui nous occupe, les exorcistes prononcèrent purement et simplement le nom de Jésus; et ils dirent aux démoniaques, qui n'ignoraient pas ce qu'était Jésus : « Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul». La réponse que font les démoniaques prouve leur connaissance. Ces Juifs se bornent à dire Jésus, sans ajouter, comme ils devaient Le Sauveur du monde >z, celui qui est ressuscité. Mais ils ne voulaient pas confesser sa gloire. C'est pour cela que le démon, sautant sur eux, leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul »;comme s'il leur disait Vous ne croyez pas et vous abusez de ce nom en parlant comme vous faites. Le temple est désert, sa défense est facile à emporter; vous n'êtes pas des prédicateurs, vous êtes à moi, dit-il. La fureur du démon est grande. Les apôtres auraient pu aussi maltraiter les Juifs comme faisait le démon; étant plus forts que les démons, comment n'auraient-ils pu faire ce que faisaient ceux-ci? ils n'usaient pas néanmoins de ce pouvoir. Cela montre bien leur douceur: on les chasse, et ils font le bien; les démons que l'on sert font tout le contraire. « Je connais Jésus », dit-il, rougissez de honte, vous qui ne le connaissez pas. « Et je connais aussi Paul »: Et, en effet, il savait qu'il était le prédicateur de Dieu. Ensuite il saute sur eux, déchire leurs vêtements, et par là il semble leur dire : Ne croyez pas que j'agisse ainsi par mépris pour Jésus et pour Paul. La crainte du démon était grande aussi. Pourquoi ne déchira-t-il pas leurs vêtements sans ajouter ces paroles ? il eût ainsi assouvi sa colère et établi l'erreur. Il redoutait, comme je l'ai dit, la puissance inabordable ; et il n'eût pas eu tant de force s'il n'eût prononcé ces paroles. Voyez, partout les démons sont plus sages que les Juifs; ils n'osent pas contredire la parole ni accuser les apôtres ni le Christ. Une fois ils disent : « Nous savons qui tu es »; et Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps? » (Matth. VIII, 29.) Une autre fois : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut » (Act. XVI,17); ici ils disent : « Je connais Jésus et je connais aussi Paul »; car ils craignaient ces saints et tremblaient devant eux. Peut-être y a-t-il parmi vous quelqu'un qui, en entendant ces paroles, désire posséder une telle puissance de manière à empêcher les démons de le regarder en face, et qui envie l'avantage qu'ont eu ces saints de posséder aine telle force? qu'il écoute le Christ : «  Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis », (Luc, X, 20), dit-il, parce qu'il savait que les hommes seraient fiers de ce privilége par vaine gloire. Si vous ambitionnez ce qui plaît à Dieu, et ce qui est d'utilité commune, vous suivrez une voie plus  (208) glorieuse. Il n'est pas si difficile d'être délivré du démon, que de se délivrer du péché. Le démon n'empêche pas d'acquérir le royaume des cieux, il coopère à nous le faire obtenir malgré lui, à la vérité. Mais il y coopère cependant , car il rend plus continent celui qu'il possède. Le péché au contraire exclut du royaume des cieux.

4. Mais peut-être quelqu'un dira-t-il: je ne souhaite pas d'acquérir ainsi la continence ! Ni moi non plus je ne vous le souhaite pas, mais je vous souhaite de l'acquérir par une autre voie , en faisant tout par amour du Christ. Mais si, ce que je ne souhaite pas; ce malheur vous arrivait, il faudrait encore demander cette grâce. Si donc le démon n'exclut pas du ciel, et si le péché en exclut, c'est un plus grand bien d'être délivré du péché. Appliquons-nous donc à délivrer le prochain du péché, et avant le prochain à nous en délivrer nous-mêmes. Veillons à ne pas laisser le démon s'emparer de nous. Examinons-nous avec zèle. Le péché est pire que le démon; car le démon rend humble. Ne voyez-vous pas combien les démoniaques, lorsqu'ils sont délivrés, de leur maladie, sont tristes et chagrins ? comme leur visage est couvert de honte, et comme ils n'osent regarder? Voyez l'absurdité : ceux-ci rougissent de ce qu'ils souffrent, et nous, nous ne rougissons pas de ce que nous faisons; ils sont victimes de l'injustice, et ils ont honte, et nous, nous commettons l'injustice, et nous ne craignons rien. Et cependant leur malheur n'est pas digne de honte, mais bien de pitié, de bienveillance et d'indulgence; il est même digne d'admiration et de louanges sans nombre, lorsque, soutenant contre le démon un combat si rude, ils supportent tout en rendant à Dieu des actions d e grâces ; notre état à nous, au contraire, est ridicule, honteux, digne d'accusation, de supplice et de châtiment; il mérite les plus grands maux, l'enfer, il est impardonnable. Voyez-vous comme le péché est pire que le démon? Les démoniaques, à cause des maux qu'ils endurent, ont un double bénéfice : l'un, qui est d'être plus continents et plus sages; l'autre, qui est de s'en aller purs devant le Seigneur, puisqu'ils ont subi ici-bas le châtiment de leurs péchés. propres. Souvent nous avons parlé sur ce sujet, et nous avons montré que ceux qui sont châtiés ici-bas , s'ils supportent leurs maux avec patience, sont déchargés vraisemblablement d'une grande partie de leurs péchés. Le mal qui provient du péché est double aussi : d'une part nous offensons Dieu, de l'autre, nous devenons plus mauvais qu'auparavant ; faites attention à ce que je vous dis.

Le péché ne nous blesse pas seulement parce que nous péchons, mais encore parce que l'âme contracte une habitude, comme il arrive pour le corps. Un exemple exprimera plus clairement ma pensée. De même que le fiévreux ne souffre pas seulement de sa maladie actuelle, mais encore de la faiblesse qui en est la suite, lorsqu'il revient à la santé après une longue maladie ; ainsi en est-il du péché;. même après qu'il est guéri, nous ressentons encore l'affaiblissement qu'il nous a causé. Voyez celui qui a dit des injures à quelqu'un et n'en a pas été puni. Il ne doit pas seulement pleurer parce qu'il n'a pas subi la peine des injures qu'il a dites, il doit encore s'affliger pour une autre cause.. Pourquoi donc? Parce que son âme est devenue plus impudente. Chacun des, péchés que nous commettons dépose dans l'âme un certain poison qui y reste, même après la destruction du péché. N'entendez-vous pas ceux qui reviennent à la santé, après la maladie, dire : Je n'ose pas encore boire d'eau ? Et cependant ils sont rétablis; mais la maladie leur a laissé cette infirmité. Les démoniaques, au milieu de leurs tortures, rendent des actions de grâces à Dieu, et nous, qui sommes heureux, nous blasphémons Dieu, et nous le supportons avec peine. Il. s'en trouve plus parmi ceux qui jouissent de la santé et de la fortune, qui agissent ainsi, que parmi les pauvres et les infirmes. Le démon est là qui les menace comme un bourreau terrible, comme un maître d'école qui lève sa' lanière et ne la laisse jamais reposer. Que si quelques-uns ne deviennent pas sages en passant par une telle épreuve, ils n'en sont pas punis. Ce n'est pas là un médiocre avantage. Si les insensés, les fous, les enfants, ne sont pas responsables, les démoniaques ne le sont pas non plus; il n'y a personne d'assez cruel pour punir des péchés d'ignorance. Donc nous autres pécheurs sommes dans un état pire que celui des démoniaques. — Mais nous n'écumons pas, nos yeux ne se retournent pas, nos mains ne se tordent point. Plût à Dieu que nous souffrissions ces choses dans le corps, et non dans l'âme ! Voulez-vous que je vous (209) montre une âme écumante, impure, aux yeux égarés? Pensez aux hommes emportés par la colère et enivrés par la fureur ; ne lancent-ils pas des paroles plus impures que n'importe quelle écume? Ils vomissent la puanteur et l'ordure. De même que les démoniaques, ils ne connaissent plus personne. Leur esprit est dans les ténèbres, leurs yeux sont renversés, ils ne distinguent plus ni amis ni ennemis, ni ce qui est respectable ni ce qui ne l'est pas; ils voient tout à la fois sans rien distinguer. Ne les voyez-vous pas trembler comme les démoniaques? —  Mais ils ne tombent pas par terre? Mais leur âme se jette par terre et tombe en se débattant dans l'agonie. Si elle se tenait comme il convient, la verrait-on dans cet état? Est-ce qu'il ne semble pas que les actions et les paroles de ces hommes enivrés par la colère soient le fait d'une âme avilie, ayant perdu sa liberté d'action. Il est encore une autre sorte de fureur plus grave que celle-là. Laquelle donc? — Lorsqu'on ne laisse pas la colère s'étendre, et qu'on nourrit en soi le souvenir du mal comme un bourreau domestique. Cette passion de la rancune perd d'abord ceux qui s'y livrent, pour ne pas parler de ce qu'elle cause dans l'avenir. Que pensez-vous que doive être le tourment d'un homme blessé jusqu'au fond de l'âme, examinant chaque jour comment il se vengera de son ennemi? Cet homme se punit le premier et se châtie en s'excitant, se combattant et s'enflammant lui-même. Sans cesse le feu brûle en vous; vous allumez la fièvre, vous attisez ce feu pour ne pas le laisser s'éteindre; et vous pensez à faire du mal à votre ennemi , tandis que vous vous consumez vous-même en portant continuellement en vous cette flamme ardente , et en ne permettant pas à votre âme de se reposer; Tous êtes comme une bête farouche, et votre esprit est plein de trouble et de tempêtes.

5. Que peut-il y avoir de plus funeste que cette fureur qui plonge dans un chagrin, une irritation et une ardeur perpétuelles ? Telles sont les âmes de ceux que tourmente la rancune. Sitôt qu'ils voient ceux dont ils veulent se venger, ils sont bouleversés; sitôt qu'ils entendent la voix de leur ennemi, ils sont comme abattus, ils tremblent; dans leur lit, ils se représentent mille sortes de vengeances, ils pendent leur ennemi, le tourmentent en esprit de mille manières; mais s'ils le voient fleurir et prospérer, oh ! quel affreux supplice ! Pardonnez à votre ennemi, et arrachez-vous à ces tortures. Pourquoi vous condamner à un supplice qui n'a pas de fin pour né volis venger et né le punir qu'une seule fois ? Pourquoi vous plonger ainsi vous-même dans une langueur continue ? Pourquoi retenir ainsi dans la contrainte votre coeur qui aspire à la liberté? Que votre haine ne dure pas jusqu'au soir » (Ephes. IV, 26), dit Paul. Comme la consomption ou un ver rongeur, elle dévore la racine de notre âme. Pourquoi enfermez-vous une bête féroce dans vos entrailles ? Mieux vaudrait avoir dans le coeur un serpent, une vipère, que la colère et la rancune; ces reptiles eussent été promptement chassés; mais la haine demeure toujours, elle s'attache aux dents, insère le poison et produit une armée de fâcheuses pensées. Mais j'agis ainsi, dit-on, pour que mon ennemi ne se moque pas de moi et ne me méprise pas. — O homme malheureux, homme infortuné, vous ne voulez pas être la risée de votre compagnon d'esclavage, mais vous consentez à être l'objet de la haine de votre Seigneur ! Vous ne voulez pas être méprisé par votre compagnon d'infortune, mais vous méprisez le Seigneur ! Vous ne pouvez supporter que cet homme vous méprise ; doutez-vous que Dieu ne s'indigne aussi lorsque vous vous riez de lui, que vous le méprisez et que vous ne voulez pas lui obéir? Ce qui montre que cet homme ne vous tournera pas en risée, le voici : Si vous vous vengez, ce sera pour vous une source de risée et de mépris, car la vengeance est le fait de la petitesse d'esprit; si au contraire vous pardonnez, vous exciterez l'admiration ; car pardonner est le fait d'un grand coeur. Mais mon ennemi ne le saura pas, dit-on. Que Dieu le sache, il suffit, pour que vous obteniez une plus ample récompense. « Prêtez », est-il dit, « à ceux de qui vous n'espérez rien recevoir ». Ainsi faisons le bien à ceux qui ne s'en aperçoivent, pour qu'ils ne diminuent pas notre récompense en nous louant ou en nous récompensant de quelqu'autre manière. Moins nous aurons reçu des hommes, plus nous recevrons de Dieu.

Quoi de plus digne de risée, quoi de plus absurde qu'une âme toujours enflammée par la colère, et désireuse de se venger? C'est un projet de femme et d'enfant. Une femme s'irrite même contre les choses inanimées , et pour passer sa colère, elle frappera jusqu'au (210) pavé; tels sont les hommes qui veulent se venger de ceux qui les ont offensés. Ils sont donc 'dignes de risée; car c'est le fait d'une âme puérile d'être ainsi en proie à la colère; en triompher au contraire est une oeuvre virile. Ce n'est donc pus nous que notre modération expose à la risée, mais nos ennemis. Vaincre la passion n'est pas le fait d'hommes méprisables; il appartient aux hommes méprisables de craindre le sourire des étrangers, d'en subir l'influence, de succomber ainsi à sa passion, d'offenser Dieu et enfin de se venger. Voilà ce qui est vraiment digne de risée. Fuyons donc ces choses. Que celui qui nous a fait mille injures puisse dire qu'il n'a rien souffert de notre part, et que, s'il recommençait, il n'en souffrirait pas davantage. En tenant ce langage par lequel il croirait nous blesser, il ne pourrait publier plus haut notre vertu, ni faire mieux notre éloge. Plût à Dieu que tous ceux qui m'entourent pussent dire : c'est un homme sans coeur, homme à tout souffrir; tous lui font injure, et il le supporte; tous se jettent sur lui, et ï1 ne se venge pas ! Puissent-ils ajouter quand il le voudrait, il ne le pourrait pas; afin que Dieu me loue et non les hommes. Qu'on dise si l'on veut que c'est par défaut de coeur que nous ne nous vengeons pas. Cela ne nous fait aucun mal, puisque Dieu sait ce qu'il en est, mais cela met notre trésor sous une sauvegarde plus puissante. Si nous voulons considérer les hommes, nous perdrons tout : ne nous occupons pas de ce qu'on dit, mais de ce qui convient. Ceux-là disent : Je ne veux pas qu'on se moque de moi, ni que personne se vante de m'avoir offensé. O folie ! personne ne s'est ri de moi après m'avoir offensé, dit-on, c’est-à-dire: je me suis vengé. Mais c'est précisément parce que vous vous êtes vengé de l'offenseur que vous méritez d'être un sujet de risée. D'où sont sortis ces mots qui sont la honte, la ruine, la subversion de notre vie particulière et sociale? N'est-ce pas de l'habitude de parler autrement que Dieu ? Ce que vous jugez ridicule, c'est-à-dire, de ne pas se venger, c'est précisément ce qui rend égal à Dieu. Est-ce que nous ne sommes pas ridicules à nos propres yeux, ainsi qu'à ceux des gentils, de parler ainsi en sens contraire de Dieu? Je veux raconter un fait qui s'est passé dans les temps anciens, et qui a rapport non à la colère , ruais aux richesses. Quelqu'un avait un champ dans lequel était caché un trésor, sans que le maître le sût. Il vendit ce champ. Celui qui l'avait acheté, fouillant, cultivant, plantant, trouva le trésor qui était enfoui. Le vendeur l'apprit, et vint vers l'acheteur pour le contraindre à lui rendre le trésor, disant qu'il lui avait vendu le champ et non le trésor. L'autre à son tour le réfutait en disant qu'il avait acheté le champ et le trésor, qu'il n'y avait rien à dire là-dessus. De là dispute entre eux, l'un réclamant le trésor, l'autre refusant de le donner; ils rencontrèrent un homme et se disputèrent devant lui; ils lui demandèrent à qui devait être le trésor. Mais lui ne prononça rien; il leur dit qu'il allait vider leur différend, car il était le maître du trésor. Il prit donc le trésor qu'ils lui abandonnèrent volontiers; il souffrit ensuite mille maux, et apprit par là que les hommes avaient bien fait de se désister. Il faut en agir ainsi par rapport à la colère; ne cherchons point à nous venger, et que ceux qui ont fait des injures s'appliquent à les réparer justement. Mais sans doute il y en a qui croient cela ridicule. Lorsque cette folie a pris le dessus, les gens modérés sont tournés en ridicule, et, au milieu de la foule des insensés, celui qui ne l'est pas semble l'être. Je vous en supplie donc, supportons l'injure. Contenons nous afin de pouvoir, purifiés que nous serons de cette malheureuse passion, être jugés dignes du royaume des cieux, par la grâce et les miséricordes du Fils unique, à qui appartiennent avec le Père et l'Esprit-Saint, gloire , puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante