ACTES XLII

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HOMÉLIE XLII. APRÈS CES CHOSES, PAUL, PAR L'INSPIRATION DU SAINT-ESPRIT, RÉSOLUT D'ALLER A JÉRUSALEM ; EN PASSANT PAR L'ACHAÏE ET LA MACÉDOINE, IL DISAIT : « LORSQUE J'AURAI ÉTÉ LA IL FAUT QUE JE VOIE ROME». AYANT DONC ENVOYÉ EN MACÉDOINE DEUX D'ENTRE CEUX QUI LE SERVAIENT, TIMOTHÉE ET ÉRASTE: IL PASSA LUI-MÊME UN CERTAIN TEMPS EN ASIE. IL ARRIVA QUE PENDANT CE TEMPS IL Y EUT UN GRAND TROUBLE TOUCHANT LA VIE DU SEIGNEUR. (CHAP. XIX, VERS. 21-23, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)

 

ANALYSE. 1 et 2. Evénements-d'Ephèse; sédition de Démétrius. — L'appât du gain en est la cause. — Le juif Alexandre apaise la foule. — Son discours. — Commentaire sur le discours de Démétrius.

3 et 4. Bons effets de la tribulation. — Comparaison entre le deuil et la joie : La maison où se fait une noce et celle qui est dans le deuil ; le théâtre et la prison ; l'âme plongée dans les délices, et celle qui est dans l'affliction.

 

l. Lorsqu'il eut demeuré assez longtemps dans cette ville, Paul voulut s'en aller ailleurs. C'est pour cela qu'il envoie Timothée et Eraste en Macédoine, tandis qu'il reste encore quelque temps à Ephèse. Mais comment se fait-il qu'ayant d'abord eu la pensée d'aller en Syrie, il se détermine maintenant il passer en Macédoine? Cela montre qu'il ne fait rien par sa propre volonté. Il prophétise en. disant : « Il faut que je voie Rome ». Peut-être dit.-il cela pour consoler les disciples comme s'il leur disait: Je ne reste pas, mais je reviendrai ; la prophétie qu'il ajoute est aussi un moyen de les encourager. De là il me semble que c'est d'Ephèse qu'il écrit aux Corinthiens, leur disant : « Je ne veux pas que vous ignoriez la a tribulation qui nous est arrivée en Asie ». (II Cor. 1, 8.) Comme il a promis d'aller à Corinthe, il s'excuse de son retard par l'épreuve qu'il a eue à subir, entendant par là ses démêlés avec Démétrius. C'est ce Démétrius qui suscita ce grand trouble dont parle saint Luc. Nouveau danger, nouvelle commotion. Voyez-vous quel éclat jette la vertu de Paul? Un double prodige s'opère , et les Juifs persistent dans la contradiction. Mais tout concourt au progrès de l'Evangile. « Un homme nommé Démétrius, orfèvre, qui faisait des temples a de Diane en argent, donnait beaucoup à gagner à ceux de ce métier. Il les réunit ainsi que d'autres qui étaient intéressés à ces sortes d'ouvrages et leur dit: Hommes, vous savez que le gain nous vient de cet art; et vous voyez et vous apprenez que non-seulement à Ephèse, mais encore dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et entraîné une foule nombreuse, en disant: « Ceux-ci ne sont pas des dieux qui sont fabriqués par la main des hommes. Non-seulement par là notre art est en danger de se perdre , mais il est à craindre que le temple de la grande Diane ne soit plus compté pour rien , et que soit détruite la majesté de celle que vénère toute l'Asie et l'univers (24-27) ». — « Qui faisait des temples de Diane en argent », dit l'auteur. Comment peut-on faire des temples en argent? Ce n'était probablement que de petites boîtes. Diane était en grande vénération à Ephèse : l'incendie du temple causa tant d'affliction aux Ephésiens; qu'on défendit de prononcer jamais le nom de celui qui y avait mis le feu. Remarquez que partout l'idolâtrie ne subsiste que par l'argent. Les ouvriers sont poussés par l'argent, Démétrius est poussé par l'argent; le danger de leur religion n'est pas ce qui les fait agir, mais bien la crainte de voir disparaître leur gain. Voyez la malice de cet homme : il était opulent, et par (212) conséquent la perte serait pour lui peu sensible ; mais elle devait être grande pour les ouvriers qui sont pauvres et qui vivent du travail de chaque jour. Cependant ils ne disent rien, lui seul parle; et comme ils étaient du même métier que lui, il en fait des instruments de trouble. Ensuite il exagère le danger en disant : « Il est à craindre pour nous que notre partie ne se perde » : ce qui veut dire que, privés de ce métier, ils sont en danger de mourir de faim. Cependant ces paroles devaient suffire pour amener à la religion; mais, misérables et sans intelligence comme ils étaient, ils se révoltent plutôt, et ils n'ont garde de réfléchir et. de se dire à eux-mêmes: Si cet homme est assez puissant pour convertir le monde et mettre en danger les dieux, quelle doit être la puissance de son Dieu ! Combien donc ce Dieu nous donnera-t-il mieux les choses que nous craignons de perdre? Démétrius s'était déjà emparé de leur esprit, en leur disant : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Voyez pour quelle raison s'indignent les gentils, c'est parce qu'on leur dit : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Il insiste partout sur la question de leur métier. Ensuite, comme pour mettre le comble à leur douleur, il ajoute en dernier lieu : « Non-seulement notre métier est en danger», c'est-à-dire , tout cela n'est rien; mais ce qui est très-grave, c'est que le temple de la grande Déesse est en danger d'être détruit. Et pour ne pas sembler parler en vue du gain, il ajoute: « Que la terre entière vénère ». Voyez-vous comme il démontre là grande puissance de Paul; il dit à ces gens qu'ils seront tous réduits à la misère et perdus si cet homme chassé de son pays, ce fabricant de tentes, peut faire de si grandes choses? Voyez les témoignages rendus aux apôtres par leurs ennemis. Ailleurs ils disaient : « Vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine » (Act. V, 28); ici : « La majesté de la grande Diane sera détruite». Dans une autre circonstance ces mêmes ennemis disaient: « Ceux qui ont bouleversé la terre sont ici » (Act. XVII, 6) ; maintenant ils disent : « Il y a danger pour nous que cette partie ne tombe à rien ». Les Juifs disaient aussi du Christ : « Voyez comme tout le monde va après lui, les Romains viendront et prendront notre ville ». (Jean , XII, 19 et XI, 48.)

Lorsqu'ils eurent entendu ce discours, ils furent remplis de fureur». D'où venait cette fureur? De ce qu'on leur avait dit de Diane et de la perte qu'ils allaient faire. C'est l'habitude, dans la place publique, de se soulever et de prendre feu à propos de quoi que ce soit. Il faut donc toujours agir avec circonspection. Voyez à quel point ils sont méprisables de s'enflammer à propos de tout. « Lorsqu'ils d l'eurent entendu, ils furent remplis de fureur », dit l'auteur, « et ils s'écriaient : La Diane des Ephésiens est grande. Et la ville a entière fut remplie de confusion; ils se précipitèrent d'un commun accord vers le théâtre, entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, « Macédoniens, compagnons de Paul (28-29) ».

2. Ils font irruption sans raison, comme les Juifs chez Jason; partout les apôtres sont prêts. Ils n'avaient, en agissant de la sorte, souci ni de la gloire, ni de la renommée. « Paul voulait sortir et aller vers le peuple; mais les disciples ne le permirent pas. Quelques-uns des Asiarques qui étaient ses amis, envoyèrent près de lui pour le prier de ne pas se montrer au théâtre (30, 31) ». Ils le prient de cela, parce que c'était une foule sans raison, capable de tout oser dans son aveugle fureur. « Paul accède à cette prière » ; car il n'était ni ambitieux, ni avide de vaine gloire. « Les uns criaient d'une manière, les autres d'une autre; car la foule était un mélange de toutes sortes de gens ». Telle est la multitude, elle se précipite au hasard, comme l'incendie. « La plupart ne savaient pas pourquoi ils s'étaient rassemblés. On fit sortir de la foule Alexandre que les Juifs poussaient en avant ». Les Juifs prenaient les devants par l'action de la divine Providence, afin qu'ils n'eussent pas possibilité de contredire ensuite. Cet homme est donc poussé en avant, et il parle; écoutez ce qu'il dit : « Alexandre ayant fait faire silence de la main, voulait se justifier devant le peuple. Lorsqu'on sut qu'il était Juif, un seul cri partit de la foule entière qui s'écriait, pendant environ deux heures: La Diane des Ephésiens est grande ! » C'était une pensée d'enfant. Ils criaient sans interruption, comme s'ils eussent craint que leur culte ne fût aboli. Paul est resté là pendant deux ans: voyez combien il y a encore de gentils. « Lorsque le greffier eut apaisé la foule, il leur dit : Ephésiens, quel homme ignore que la ville d'Ephèse honore d'un (213) culte particulier la grande déesse Diane, ainsi que le Diopétès ? » Cela tout d'abord éteignit leur fureur. « Le Diopétès ». Il ajoute ces mots pour plus de précision. C'était un autre temple qu'on nommait le Diopétès. Ou bien on appelait de ce nom l'idole de Diane pour signifier que cette argile venait de Jupiter, et n'avait pas été fait de la main d'un homme; ou bien une autre statue s'appelait ainsi chez eux. « Puisque nul ne peut contredire ces choses, vous devez vous apaiser et ne rien faire avec précipitation. Vous avez emmené ces hommes qui ne sont pas sacrilèges et ne blasphèment pas- votre déesse a (32-37 ». Tout cela était pur mensonge, mais il parlait ainsi au peuple pour l'apaiser. « Si donc Démétrius et les ouvriers qui sont avec a lui ont lieu de se plaindre de quelqu'un, il a se tient des audiences sur la place, il y a des proconsuls, que la cause leur soit déférée. Si vous vous plaignez de quelqu'autre chose, « on réglera tout dans une assemblée légitime. « Nous sommes en danger de nous entendre accuser de la sédition pour ce qui s'est passé aujourd'hui , sans aucun motif que nous a puissions présenter comme étant la raison «de ce tumulte. Par ces paroles, il dissipa l’assemblée (38-40). » Il dit : «  l'assemblée légitime », parce qu'il y avait en effet trois assemblées chaque mois. Cette assemblée était illégitime. Il les épouvante en disant : « Nous a sommes en danger d'être accusés de sédition ».

Mais reprenons. « Lorsque toutes ces choses eurent été accomplies », dit l'auteur, « Paul, inspiré par l'Esprit-Saint, résolut d'aller à Jérusalem, en passant par la Macédoine et a l'Achaïe ». Il n'agit plus ici par des raisons humaines; mais c'est par l'inspiration de l'Esprit qu'il se décide à passer par ces pays. C'est là ce que signifie se décida », et c'est le sens du mot. L'auteur ne dit pas pour quelle cause Paul envoie Timothée et Eraste ; il me semble que cette détermination est prise aussi par «l'inspiration de l'Esprit-Saint ». Il est dit de même ailleurs : « C'est pourquoi n'y tenant plus, nous avons préféré rester seul à Athènes ». ( I Thessal. III, 1.)  Il envoya donc deux de ses ministres pour annoncer son arrivée et ranimer le zèle des distilles. C'est,en Asie qu'il demeure le plus longtemps, et c'est avec raison. Là, en effet, se trouvait une foule de philosophes. Et lorsqu'il fut au milieu d'eux, il

discutait avec eux comme d'habitude. En effet il y avait là beaucoup de superstition. « Démétrios », dit l'auteur, « un orfèvre, ayant rassemblé les ouvriers de ce métier, leur dit

Hommes, vous savez, vous voyez, vous apprenez (tant le fait était notoire) que ce Paul a persuadé et converti une grande foule ». S'il a persuadé, il n'a pas usé de violence, c'est ainsi qu'il faut persuader une ville. Ensuite il amène ce qui le touche de près, et ajoute : « Il a persuadé que ce ne sont pas des dieux que ceux qui sont faits par la main des hommes ». Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire; il renverse notre art. Et de peur qu'ils ne réfléchissent et ne disent : Si un homme seul fait de telles choses, et s'il a une telle puissance, il faut se laisser persuader par lui, Démétrius ajoute : « Que toute l'Asie et la terre vénèrent ». Ils croyaient que leur voix les défendrait contre l'Esprit-Saint, ces païens, ces enfants, pour mieux dire. Nous tirons, dit-il, notre subsistance de ce métier. Et si vous tirez votre subsistance de ce métier, comment un homme simple a-t-il pu persuader à tant de monde de renoncer à cette superstition? Comment a-t-il prévalu contre une coutume si invétérée? Que dit-il ? Ce qu'il dit, ce qu'il fait, n'est pas le fait de Paul, n'est pas l'oeuvre d'un homme. Il lui a suffi de dire : « Ce ne sont pas des dieux ». S'il a été si facile de trouver le défaut de cette impiété, il fallait la condamner dès longtemps; si elle eût été forte, elle n'eût pas dû être si vite anéantie. « Là », dit-il, « ne se borne pas notre danger ». Il ajoute cela pour faire entendre quelque chose de plus grave. «Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils furent remplis de fureur, et ils criaient : La Diane des Ephésiens est grande ». Dans chaque ville il y avait des dieux particuliers. Tel était l'état de leur esprit, qu'ils croyaient par leurs cris rétablir son culte et détruire ce qui venait de s'accomplir.

3. Voyez cette foule confuse. « Comme Paul », dit l'auteur, « voulait aller vers le peuple, les disciples s'y opposèrent ». Paul voulait donc aller vers le peuple pour lui parler; car il saisissait les temps de persécution pour instruire. Mais les disciples ne le permirent pas. Remarquez partout de quel soin prévoyant on l'entoure. Et dès le commencement ils l'emmenèrent, de peur qu'il ne reçût quelque coup mortel. Quoiqu'ils lui aient entendu dire qu'il doit voir Rome, cependant ils l'empêchent de sortir. C'est par l'action de la (214) Providence qu'il l'a prédit par avance, afin que les disciples ne se troublent pas. Ils ne voulaient pas qu'il lui arrivât le moindre accident. « Quelques-uns des Asiarques le suppliaient», dit l'auteur; « de ne pas entrer au théâtre ». Voyant son ardeur, ils le suppliaient. Et pourquoi, direz-vous, Alexandre voulut-il se justifier devant le peuple? Etait-il accusé lui-même? Afin de trouver une occasion de tout bouleverser et d'exciter la fureur populaire. Vous avez vu l'emportement tumultueux des Ephésiens? C'est donc avec raison que le scribe leur dit, sous forme de reproche : « Quel homme ne sait que la cité d'Ephèse ». Il parle tout de suite de l'objet de leurs craintes. C'est comme s'il leur disait N'honorez-vous pas la déesse? Il ne dit pas : Quel homme ne connaît pas Diane? Mais «notre cité », afin de les flatter. « Comme cela est incontestable, il faut vous calmer». Leur faire ce reproche, c'est presque leur dire Pourquoi vous inquiétez-vous donc comme si cela était incertain? Il est clair que l'insulte retombe sur la déesse. lis voulaient que la religion assurât leur gain. Il les prend ensuite par la douceur, en leur montrant qu'ils se sont rassemblés sans raison. « Et rien », leur dit-il, « ne doit se faire témérairement ». Il leur parle ainsi pour leur montrer qu'ils ont agi étourdiment. « Si donc Démétrius et ceux qui sont avec lui ont quelque sujet de plainte, il y a des proconsuls ». Il leur dit cela en forme de reproche, pour indiquer qu'il ne fallait pas faire une assemblée publique pour des crimes privés. « Car nous sommes exposés à nous entendre reprocher » : Par là, il les jette dans l'embarras. « Puisqu'il n'y a pas de motif par lequel nous puissions rendre raison de cette émeute ». Voyez avec quelle prudence et quelle sagesse les infidèles raisonnent eux-mêmes. Il calma ainsi leur fureur. Aussi facilement elle avait été allumée, aussi facilement elle s'éteignit. « Par ces paroles, il dissout l'assemblée », dit l'auteur. Remarquez-vous comment Dieu permet les épreuves, et par elles réveille les disciples et les rend plus fervents ? Ne nous laissons donc pas abattre par les afflictions, car Dieu nous donnera le moyen de les supporter.

Rien ne fait naître et ne fortifie l'amitié comme la tribulation. Rien ne relie et ne resserre si bien les âmes fidèles; rien ne nous est plus utile, à nous docteurs, pour que l'on écoute nos paroles. L'auditeur, qui demeure dans la tranquillité, est mou et négligent; il semble supporter péniblement l'orateur; dans la tribulation et l'angoisse, au contraire, il désire ardemment qu'on lui parle. Celui dont l'esprit est,dans la peine, cherche partout ce qui le console dans son affliction, et la parole procure une grande consolation: Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n'écoutaient-ils pas lorsqu'ils étaient dans l'affliction? Parce qu'ils étaient Juifs, toujours faibles et misérables; d'ailleurs, parce que leur affliction était extrême, et nous ne parlons que d'une affliction ordinaire. Remarquons donc ceci : les Juifs s'attendaient à être délivrés de leurs maux actuels, et ils se précipitèrent dans mille nouveaux malheurs. Cela ne jette pas l'âme dans un chagrin médiocre. Les tribulations nous détachent violemment de l'affection pour le monde d'ici-bas ; nous désirons bien vite la mort; nous ne sommes plus amoureux de notre corps. Et c'est une grande partie de la philosophie de ne plus se complaire dans la vie présente et de n'y être plus attaché. L'âme affligée ne cherche pas à s'attacher à toutes choses, elle n'aime plus que le calme et le repos; elle ne souhaite que d'être arrachée à la vie présente, quand même il n'y aurait rien à espérer après. De même qu'un corps fatigué et accablé de maux ne veut plus servir le ventre, triais se reposer et vivre dans la tranquillité ; de même l'âme affligée de mille maux, aspire au calme et à la paix; celle qui ne connaît pas la peine, est stupide, troublée, indécise ; celle-là ne s'ébahit de rien, elle est étrangère aux molles voluptés; toujours recueillie en elle-même, elle ne se laisse point emporter à tous les vents. L'une est plus virile, l'autre plus puérile ; celle-là est plus grave, celle-ci plus légère. Lorsqu'un corps tombe dans une eau profonde, s'il est léger, il surnage; il en est de même d'une âme tout à coup plongée dans une grande joie. Tout le monde sait que nos plus grandes fautes sont causées par l'entraînement du plaisir.

Si vous le voulez , faisons la description de deux maisons : l'une où l'on fait des noces, l'autre où l'on est dans le deuil. Entrons par la pensée dans toutes les deux, et voyons quelle est la meilleure. Nous trouverons celle où l'on pleure pleine de sagesse, l'autre où l'on fait des noces est pleine d'inconvenances. Regardez en effet : là se profèrent des paroles (215) honteuses, le rire est immodéré, les allures sont désordonnées, le vêtement et la démarche sans pudeur; toutes les marques de la folie et de la sottise s'y rencontrent : en un mot, rien autre ne s'y trouve que le rire et la dérision. Ce n'est pas le mariage que je condamne, à Dieu ne plaise ! mais c'est ce qui accompagne les mariages. La nature alors est comme agitée d'une fureur étrange ; les assistants y sont semblables à des êtres sans raison et non à des hommes : les uns hennissent comme des chevaux, les autres ruent comme des ânes; c'est une grande dissolution, une grande confusion; il n'y reste plus rien de vertueux ni d'honnête. Là est la pompe du démon, les cymbales, les flûtes; là se font entendre des chansons remplies de fornication et d'adultère. Il en est tout autrement là où l'on est dans le deuil, l'ordre y règne avec la bienséance. Un grand silence, un grand calme, une grande réserve, rien n'est déréglé; si quelqu'un parle, c'est pour faire entendre des paroles pleines de sagesse ; mais, chose étonnante, pendant ce temps, ce ne sont pas seulement les hommes, mais même les serviteurs et les femmes dont tous les propos respirent la sagesse. Telle est, en effet, la nature du deuil; chacun s'efforce de consoler celui qui est dans la peine, on lui communique mille pensées remplies de philosophie. On fait des prières pour que le malheur ne s'aggrave point. Pour consoler l'affligé, on lui énumère ceux qui ont souffert ce qu'il souffre. Qu'est-ce en effet que l'homme ? Etude de notre nature. Qu'est-ce donc que l'homme? Accusation de sa vie et de sa vile existence, souvenir des choses à venir et du jugement.

4. Chacun rentre dans sa demeure : celui qui revient des noces, s'afflige de n'être pas lui aussi dans la bonne fortune; celui qui revient du deuil est plus à l'aise, parce qu'il n'a rien souffert de semblable , et il s'en est allé, après avoir éteint en lui-même toute passion. Mais quoi ! Voulez-vous que nous mettions en parallèle les prisons et les théâtres? Les unes sont des lieux d'affliction , les autres des lieux de plaisir. Souffrez que nous vous fassions voir ce qui se passe dans l'un et l'autre séjour. Dans la prison, beaucoup de philosophie : en effet, là où est le chagrin, là est aussi la philosophie. Celui qui auparavant était riche, orgueilleux, supportera que n'importe qui lui parle, car la crainte et la douleur consument son âme avec plus d'ardeur que le feu, et en amollissent la dureté; alors il devient humble, austère, alors il comprend l'instabilité des choses de la vie, et il est fort contre toutes les adversités. Au théâtre, tout au contraire, se rencontrent le rire, la honte, la pompe diabolique, l'affaiblissement de l'esprit, la perte de temps, la dépense inutile des jours, tout l'apparat d'une concupiscence effrénée , l'enseignement de l'adultère, l'école de la prostitution et du libertinage, l'encouragement à la honte, les sujets de rire , l'exemple de la dépravation. Telle n'est pas la prison : là se trouvent l'humilité, l'exhortation, l'encouragement à la philosophie, le mépris des choses de cette vie. Toutes choses sont foulées aux pieds et méprisées; la crainte se tient auprès du prisonnier comme le précepteur près de l'enfant, et le forme à tout ce qui est bon. Si vous le voulez bien, examinons ces lieux sous un autre point de vue. Je voudrais que vous rencontrassiez un homme sortant du théâtre, et un autre quittant la prison , et que vous vissiez l'âme hébétée, troublée; et vraiment enchaînée du premier; et celle du second, tranquille, déliée et libre. Celui, en effet, qui sort du théâtre les yeux épris des femmes du lieu, est véritablement lié par des chaînes plus fortes que le fer, c'est-à-dire par les lieux eux-mêmes, les paroles et les formes qu'il y a vues. Celui qui sort de la prison est débarrassé de tout, il ne croira plus rien souffrir désormais en comparant son sort à celui des autres; pourvu qu'il ne soit plus enchaîné, il considérera cela comme une grâce , il méprisera les choses humaines en voyant tant de riches dans l'infortune, tant de puissants jetés dans les fers. Si on lui fait quelque injustice, il la supportera; il en a tant vu. Le jugement à venir lui viendra à l'esprit , et il frissonnera d'horreur à l'idée de la prison de l'autre monde. De même que la prison l'a rendu doux envers tout le monde; de même la perspective du jugement et du châtiment futur lui inspirera de la bonté pour sa femme, pour ses enfants et pour ses serviteurs.

Tel n'est pas celui qui revient du théâtre.  Il regardera sa femme d'une façon peu aimable, il sera dur envers les domestiques, aigre avec ses enfants , sauvage avec tout le monde. Les théâtres engendrent de grands maux pour les cités, de grands maux, et nous n'en savons pas la grandeur. Si vous me le permettez, (216) nous examinerons aussi ces séjours du rire , je veux dire les festins où se rencontrent les parasites et les flatteurs, et les délices de la bonne chère, et nous les comparerons avec les autres qu'habitent les boiteux et les estropiés. Dans les premiers se voient l'ivresse , les délices, l'énervement de l'âme. Dans les seconds, c'est tout le contraire. Voyez le corps , lorsqu'il s'engraisse et vit dans la délicatesse, il tombe promptement dans la maladie; il n'en est pas ainsi lorsqu'il est réglé. Pour vous montrer cela plus clairement, prenons un corps qui ait beaucoup de sang et de chairs, et qui soit plein de sève; il ne faudra qu'une nourriture ordinaire pour lui donner la fièvre, surtout s'il est oisif. Prenons-en un autre qui lutte habituellement avec la faim et l'affliction, celui-ci sera plus difficile à abattre et à vaincre. Quoique le sang soit sain en nous, il engendre cependant souvent la maladie par la réplétion; s'il est moins abondant, quoique moins sain, on peut facilement le guérir. On peut en dire autant de l'âme, celle qui vit dans l'oisiveté et les délices suit . une pente plus rapide vers le péché : car elle est proche de la violence, de la volupté, de la vaine gloire, de l'envie, des embûches et de la calomnie; mais il n'en est pas ainsi de celle qui vit dans la tribulation et la frugalité, elle est exempte de tous ses maux. Voyez combien est grande notre cité. D'où viennent les maux? n'est-ce pas des riches? n'est-ce pas de ceux qui sont dans la joie? Quels sont ceux qui traînent les autres devant les tribunaux? qui est-ce qui dilapide sa fortune? Sont-ce les malheureux et les rebuts du monde, ou bien les orgueilleux et ceux qui sont dans la joie? Il n'appartient pas à l'âme affligée de faire le mal. Paul a connu ses avantages, c'est pour cela qu'il dit : « La tribulation engendre la «patience; la patience, l'épreuve; l'épreuve, « l'espérance; l'espérance ne confond pas ». (Rom. V , 3-5.) Ne nous laissons pas abattre dans l'affliction, mais rendons grâces en toutes circonstances, pour gagner beaucoup et être, éprouvés devant Dieu qui permet les tribulations. L'affliction est un grand bien, et nous voyons cela par nos enfants; sans l'affliction, l'enfant n'apprend rien de bon. Nous avons encore plus besoin qu'eux de l'affliction. S'ils ne fleurissent que lorsque leurs passions sont tenues dans le calme, à plus forte raison nous qui avons des passions beaucoup plus impérieuses, nous aurions bien plus besoin de maîtres; les péchés des enfants ne sont pas très-grands, mais les nôtres le sont. L'affliction est notre précepteur. Ne l'attirons pas sur nous, mais supportons-la avec courage lorsqu'elle survient; elle est la source de mille biens; supportons-la afin de jouir de la grâce de Dieu et des biens qui sont préparés à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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