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HOMÉLIE L. LES SOLDATS DONC, POUR EXÉCUTER L'ORDRE QU'ILS AVAIÉNT REÇU, PRIRENT PAUL AVEC EUX, ET L'EMMENÈRENT LA NUIT A ANTIPATRIDE. ET LE LENDEMAIN, ILS S'EN RETOURNÈRENT A LA FORTERESSE, AYANT LAISSÉ LES CAVALIERS CONTINUER LEUR ROUTE AVEC LUI. CEUX-CI, ÉTANT ARRIVÉS A CÉSARÉE, RENDIRENT LA LETTRE AU PROCURATEUR, ET REMIRENT PAUL ENTRE SES MAINS. (CHAP. XXIII, VERS. 31-33, JUSQU'AU VERS. 21 DU CHAP. XXIV.)

 

ANALYSE. 1-3. Saint Paul descend de Jérusalem à Césarée escorté comme un roi. — Il comparaît devant le gouverneur qui le trouve innocent, mais néanmoins qui le retient prisonnier.

3 et 4. Il faut supporter patiemment les injures et se réconcilier avec son ennemi. — L'offensé s'honore lui-même en faisant les premières démarches auprès de l'offenseur.

 

1. Ainsi Paul se met en route, escorté comme un.roi, par un si grand nombre de gardes, et pendant la nuit, parce qu'ils redoutent l'effervescence de la colère du peuple. La multitude cesse du moins de le poursuivre, après qu'elle l'a expulsé de la ville. Or, le tribun n'eut pas protégé son départ avec tant de précautions, si lui-même ne l'eût reconnu innocent, et si, en même temps, il n'avait connu les passions sanguinaires auxquelles les Juifs étaient en proie. « Le procurateur ayant donc lu la lettre, s'enquit de quelle province était Paul, et ayant appris- qu'il était de Cilicie, il lui dit : Je vous entendrai, quand vos accusateurs seront venus, et il commanda qu'on le gardât au palais d'Hérode (34, 35) ».Lysias avait déjà pris sa défense; mais les Juifs reviennent à la charge contre lui, ils surprennent la bonne foi du juge, et Paul est de nouveau jeté en prison; écoutez de quelle manière, car le texte sacré ajoute : « Cinq jours après, le grand prêtre Ananie descendit à Césarée, avec quelques anciens du peuple et un certain orateur nommé Tertulle, qui se rendirent accusateurs de Paul devant le procurateur ». Voyez de quelle manière, loin de se désister, ils viennent sans être arrêtés par les mille obstacles qui s'opposaient à cette démarche, de sorte qu'en ce moment même il leur est impossible de ne pas en ressentir une (253) sorte de confusion. « Et Paul ayant été appelé,  Tertulle commençai à l'accuser en ces termes : Comme c'est par vous, très-illustre Félix, que nous jouissons d'une profonde paix, et que plusieurs mesures très-salutaires à ce peuple ont été arrêtées par votre sage prévoyance, nous le reconnaissons en toutes rencontres et en tous lieux, et notes vous en rendons de très-humbles actions de grâces. Mais ne voulant pas vous détourner plus longtemps des affaires de votre gouvernement, je vous prie d'écouter avec votre bonté ordinaire ce que nous avons à vous dire en peu de paroles ». (Chap. XXIV, l, 4.) Mais c'est vous-mêmes, grand prêtre et anciens du peuple, qui avez tout fait; quel besoin aviez-vous donc d'un orateur? Voyez comme celui-ci,  dès le début, cherche à présenter Paul comme un novateur et.comme un séditieux; comme il cherche, par ses éloges, à capter l'opinion du juge. Remarquez aussi que, comme s'il avait beaucoup à dire, il court rapidement d'une chose à l'autre, et se borne à dire ceci : « Afin de ne pas vous détourner glus longtemps des affaires de votre gouvernement». Voyez en même temps de quelle manière il fait naître dans le coeur du juge le désir de la sévérité, puisqu'il ne s'agit de rien moins pour lui que d'arrêter les menées du perturbateur de l'univers, et que c'est un grand intérêt qui excite leur zèle. « Ayant trouvé cet homme.qui est une peste publique, qui pousse à la révolté tous les Juifs de l'univers, quai est le chef de la secte des Nazararéens, qui a même tenté de profaner le «temple, nous nous étions saisis de lui, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence, ordonnant que ses accusateurs viendraient comparaître devant vous; et vous pourrez vous-même l'examiner et reconnaître la vérité de toutes les choses dont nous l'accusons (54»). — «Il excite», dit-il, «le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde». Ils l'accusent d'être le fléau, l'ennemi publie de la nation, et le chef de la secte des Nazaréens. Rien n'était plus infamant que cette dénomination de Nazaréen », à cause du mépris qu'on affectait à l'égard de Nazareth. C'est pourquoi ils mettent. en avant cette particularité, et cherchent à y trouver un nouveau sujet d'accusation contre lui. « Ayant trouvé cet homme », dit-il. Remarquez avec quelle méchanceté ils le décrient comme un criminel qui a pris la fuite, et qu'ils ont eu de la peine à atteindre, bien qu'il eût passé sept jours dans le temple. « Nous nous étions saisis de lui, et le voulions juger suivant notre loi ». Voyez comme ils outragent cette loi elle-même, à moins qu'il ne fût permis par la loi de frapper, de tuer, de dresser des embûches. Puis vient l'accusation dirigée contre Lysias. « Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d’entre les mains avec une grande violence », action, semble-t-il dire, qu'il ne lui appartenait pas de faire, et qu'il s'est pourtant permise. « Vous pourrez vous-même, en l'interrogeant, reconnaître la vérité des choses dont nous l'accusons. Les Juifs ajoutèrent que, -tout cela était véritable ». Mais que fait Paul pendant ce temps? Est-ce qu'il garde le silence sur tout cela? Nullement. Il prend de nouveau la parole librement et sans crainte, il répond, et cela par ordre du procurateur; car lé texte ajoute : « Mais le procurateur ayant fait signe à Paul de parler, il répondit en ces termes :  J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier devant vous, que je sais que, depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province, et qu'il vous est aisé de savoir qu'il n'y a pas plus de douze jours que je suis venu adorer à Jérusalem, et ils ne m'ont point trouvé disputant avec qui que ce soit dans le temple, ni amassant le peuple, soit dans les synagogues, soit dans la ville, et ils ne sauraient prouver aucun des chefs dont ils m'accusent maintenant (9-13) ». Rendre témoignage à l'équité du juge, ce n'est pas le langage de la flatterie, langage que nous trouvons bien plutôt dans ces paroles : « C'est par vous que nous jouissons d'une profonde paix», ce qui revient à dire : Mais vous, pourquoi excitez-vous injustement des séditions? Remarquez que les Juifs poussaient le juge à ,l'injustice; Paul ne cherche que la justice, et. c'est pour cela qu'il dit : « J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier ». Il se prévaut ensuite du temps : « Je sais que depuis plusieurs années vous rendez la justice dans cette province ». Cela importait-il beaucoup à sa démonstration? Sans doute: car par là il fait voir que le gouverneur lui-même sait que Paul n'a rien fait de ce dont il est accusé. Si, en effet, il eût excité quelque trouble, (254) Félix, en sa qualité de juge, l'aurait su, et un fait aussi grave ne se serait pas dérobé à sa connaissance. Puis, comme l'accusateur n'a rien pu prouver sur les prétendues menées de Paul dans la ville de Jérusalem, voyez ce qu'il ajoute : « Il excite le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde », accumulant ainsi mensonge sur mensonge. Voilà pourquoi Paul le chassant de cette position, dit : « Je suis venu pour adorer », à peu près comme s'il disait pour se justifier: tant je suis éloigné de chercher à exciter des troubles. Et il insiste sur ce solide argument, en ajoutant : « Ils ne m'ont point trouvé disputant. avec qui que ce soit, ni dans le temple, ni dans la ville, ni dans la synagogue », ce qui était vrai. Et Tertulle lui donne la qualification de chef.», comme dans un combat ou une émeute; mais Paul se borne à répondre avec douceur : « Il est vrai, et je le reconnais devant vous, que selon cette religion qu'ils appellent secte, je sers le Dieu de nos. pères, croyant. toutes les choses qui sont écrites dans la loi et dans les prophètes; espérant en Dieu, comme ils l'espèrent eux-mêmes, que tous les hommes justes injustes ressusciteront un jour (14, 15) ».

2. Considérez ceci : les Juifs s'attachent à le séparer, à l'isoler,d'eux : mais lui se confond avec eux en s'unissant à la,loi par les raisons mêmes qu'il fait valoir pour sa justification. Et pour donner plus de force à ce qu'il a dit, il ajoute : « C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes. Mais étant venu, après plusieurs années, pour faire des aumônes à ma nation et des sacrifices à Dieu.; lorsque je vaquais encore à ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple , sans rassemblement du peuple et sans tumulte .(16, 18) ». Pourquoi êtes-vous monté à Jérusalem ? Pourquoi êtes-vous .venu? Pour adorer », répondit-il, « pour à faire des aumônes ». Ce n'était pas le fait d'un séditieux. Ensuite , il fait tomber les masques , en disant, sans rien particulariser : « C'est dans ces exercices que m'ont trouvé quelques Juifs d'Asie , qui auraient dû comparaître devant vous, et se rendre.accusateurs, s'ils avaient quelque chose «contre moi; mais que ceux-ci déclarent «s'ils ont trouvé en moi quelque iniquité, lorsque j'ai comparu dans leur assemblée, à moins que l'on ne m'accuse de cette parole que j'ai dite hautement en leur présence : .C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui traduit en justice par vous (19-21) ». Le propre d'une justification complète, c'est de ne pas reculer devant ses accusateurs , et d'être prêt à rendre compte à tous de sa conduite. « C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui, » dit-il, « traduit en justice par vous ». Et il ne dit rien de tout ce qu'il pouvait dire à bon droit, à savoir : qu'ils l'ont épié, qu'ils l'ont détenu, qu'ils lui ont dressé des embûches : (car tout cela, ceux-ci racontent qu'ils l'ont fait, mais lui, quelque danger qu'il coure en ce moment, il n'en dit rien)  il garde le silence à ce sujet; et bien qu'il eût mille choses à dire, il borné sa justification à ce seul point, dans la ville de Césarée, où son arrivée, au milieu d'une telle escorte, a eu un certain éclat. « Pendant que je vaquais à a ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple ».. Comment donc l'a-t-il profané? La même personne n'a pu se purifier et adorer en même temps qu'elle profanait les saints lieux. Le soin qu'il a- de s'interdire les longueurs ajoute à la force de sa défense. Et cela même fait plaisir au juge; et c'est aussi dans ce dessein que Paul me paraît resserrer le champ de sa justification. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut.

Comme Tertulle avait précédemment fait de longues harangues, il ne dit pas simplement : écoutez l'exposé de l'affaire , mais pour ne pas vous détourner plus longtemps des soins,de votre gouvernement, je vous prie de nous écouter avec votre bonté ordinaire », montrant par là qu'il a l'intention d'abréger. Peut-être arrange-t-il ainsi son discours pour gagner la faveur de Félix, ou plutôt, n'y a-t-il pas quelque chose de bienveillant à ne dire que quelques mots pour ne pas être importun, alors qu'on aurait beaucoup à dire? «  Nous avons trouvé cet homme qui est une pesté, publique... Il a même tenté de profaner le temple ». — Il ne l'a donc pas profané. effectivement. — Mais peut-être a-t-il commis ailleurs cette profanation. — Nullement; car, dans ce cas, Tertulle en eût parlé. Or, il se contente de dire ici : «il a tenté »,mais le « comment » il ne l'ajoute, pas. En même temps qu'il s'attache ainsi à mettre en relief et à exagérer tout ce qui est contre Paul, voyez (255) comme il atténue les torts des Juifs dans toute cette affaire. « Nous nous étions saisis de lui » , dit-il, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu , nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence ». Il fait voir ici que c'est par suite d'une sorte de violence qu'ils comparaissent ainsi devant un tribunal étranger, et qu'ils n'importuneraient pas en ce moment le procurateur , si Lysias ne les y avait forcés, et qu'il n'avait pas le droit de leur enlever cet homme. C'est contre -nous que cet homme a commis ses méfaits ; c'est donc chez nous qu'il devrait être mis en jugement. — Pour reconnaître que c'est bien là ce qu'il veut dire, vous n'avez qu'à voir la suite : « Avec une grande violence », dit-il, c'est là en effet de la violence. « Vous pourrez savoir de lui ». Il n'ose pas lui-même se porter accusateur , car c'était un homme indulgent pour ses semblables, et il ne veut pas non plus passer outre sans raison. Puis, pour qu'on ne croie pas qu'il vient, il fait de Paul son propre accusateur. «Vous pouvez», dit-il; « l'examiner et reconnaître la vérité de toutes ces choses ». Viennent ensuite les témoins qui doivent confirmer ses allégations : « Les Juifs ajoutèrent que tout cela était véritable». Les accusateurs sont ici à la fois témoins et accusateurs. Paul répond : « Sachant que depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province ». Puisque depuis plusieurs années il connaît le juge , il n'est donc ni un étranger, ni un barbare , ni un novateur. Et c'est avec raison qu'il ajoute ce mot : « avec justice », par lequel il exclut toute idée de partialité, soit à L'égard du grand prêtre, soit à l'égard du peuple, soit à l'égard de son accusateur. Remarquez qu'il s'abstient de toute invective, bien qu'il y soit poussé pair sa situation même. « Croyant », dit-il « toutes les choses qui sont écrites dans la loi ». Il dit cela pour montrer que ce dont ils l'accusent ne saurait être le fait d'un homme qui croit à la résurrection, résurrection qu'ils attendent eux-mêmes. Il n'a pas dit, en parlant d'eux, qu'ils croient à ce qui est écrit dans les prophètes, (car ils n'y croyaient pas). Comment croyait-il, lui, à tous ces prophètes, et non les Juifs? C'est ce qu'il serait trop long d'expliquer en ce moment.

On pourrait s'étonner qu'énonçant tant de choses , nulle part il ne fasse mention du Christ. Je réponds que, dans ce terme croyant », il a compris tout ce qui avait trait au Christ, mais il s'en tient pour le moment au sujet de la résurrection , parce que cette croyance était commune aux chrétiens et aux Juifs, et qu'ainsi il écarte- tout soupçon de sédition. Vient ensuite la raison de son voyage à Jérusalem. « Je suis venu faire des aumônes à ma nation et à Dieu des offrandes » , et cela depuis plusieurs années ». Comment donc aurait-il mis le trouble parmi des gens auxquels il est venu faire l'aumône, après avoir entrepris à cet effet un si grand.voyage ? «Sans attroupement », dit-il, « sans tumulte ». Il s'attache partout à ôter à sa conduite tout caractère séditieux. C'est bien à propos qu'il fait appel, pour être ses accusateurs, aux Juifs d'Asie, disant : « Ils devraient paraître devant vous et m'accuser, s'ils avaient quelque grief contre moi ». Il est si assuré de son innocence quant aux choses dont on l'accuse, qu'il croit pouvoir leur porter ce défi. Et il accepte pour accusateurs; non-seulement les Juifs d'Asie, mais encore ceux de Jérusalem, et il presse ces derniers de se présenter aussi , en ajoutant : « Ou bien que ceux-ci même déclarent ». Car ce qu'ils supportaient avec peine dès le commencement, c'est que Paul annonçât la résurrection. Et il avait raison d'en agir ainsi: car ce point établi , il lui, était facile d'amener ce qui concerne la résurrection du Christ. « Quelle iniquité » , dit-il, « ont-ils trouvée en moi, « lorsque j'ai comparu dans leur assemblée?» Il dit: « Dans leur assemblée » , pour montrer qu'ils n'ont rien trouvé contre lui, non pas à la suite d'une enquête faite à son sujet en particulier, mais en présence d'une multitude de.gens examinant cette affaire avec le plus grand soin.

3. Que ce que je dis soit vrai, c'est ce que prouvent ceux-là même qui l'accusent sur ce point. C'est pour cela qu'il a dit: « C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes ». En effet, la vertu parfaite consiste à ne pas donner prise aux reproches des hommes, et à s'efforcer d'être également irréprochable devant Dieu. « J'ai crié », dit-il, « dans l'assemblée », montrant par cette expression : « J'ai crié » , leur violence à son égard, comme s'il disait: Ils ne sauraient alléguer que j'ai fait cela sous prétexte de faire l'aumône ; car il n'y a eu autour (256)  de moi, à ce propos, ni attroupement, ni tumulte; et d'ailleurs, après enquête faite à ce sujet, on n'a pas trouvé autre chose dans ma conduite. — Avez-vous remarqué sa mansuétude au sein des périls? avez-vous remarqué la modération de son langage, et comme il n'a d'autre but que de détruire les accusations dirigées contre lui , sans les accuser à son tour, ne se justifiant qu'autant qu'il y est forcé? Il agit ainsi à l'exemple du Christ qui disait: « Je ne suis pas possédé du démon, mais j'honore mon Père, et vous, vous m'avez déshonoré». (Jean, VIII , 49.) Et nous, imitons Paul, puisqu'il a été lui-même l'imitateur du Christ. Si Paul n'a eu aucune parole dure pour ceux qui en étaient venus à son égard jusqu'à vouloir le faire mourir, comment, nous, pourrions-nous mériter notre pardon, si nous nous laissons emporter jusqu'aux injures et aux outrages, en appelant nos ennemis des scélérats, des infâmes? Comment pourrions-nous nous excuser même d'avoir des ennemis? Ne comprenez-vous pas que celui qui honore les autres s'honore lui-même ? Mais nous, tout au contraire, nous nous outrageons nous-mêmes. Tu accuses, parce que tu as été outragé! Pourquoi tombes-tu toi-même dans la même faute? Pourquoi te blesses-tu toi-même? Reste impassible, reste invulnérable , de peur qu'en voulant frapper autrui, tu ne te précipites toi-même dans le malheur. N'avons-nous pas assez de ces tempêtes de l'âme qui se soulèvent dans ses profondeurs sans que personne les excite, je veux sjire nos désirs insensés, nos folles tristesses, nos abattements, et tant d'autres mouvements désordonnés ? faut- il encore que nous y accumulions comme à plaisir d'autres orages?

Mais comment est-il possible, dites-vous, de supporter cet outrage? — Comment, vous demanderai-je à mon tour, comment n'est-ce pas possible? Est-ce que les mots peuvent nous blesser ?est-ce qu'il en reste sur notre corps des meurtrissures? Quel est donc le mal qu'ils nous font? Si nous le voulons, nais pouvons les supporter. Imposons-nous la loi de ne pas souffrir. de leur atteinte , et nous les supporterons. Disons-nous à nous-mêmes. Ceci n'est pas l'effet de la haine qu'on nous porte, c'est plutôt l'effet d'une sorte d'infirmité. Et ce qui prouve que ce n'est ni l'effet de la haine, ni l'effet de la méchanceté, c'est que notre ennemi.voulait se contenir, bien qu'on ait eu mille fois tort envers lui. Si nous nous contentons de faire cette réflexion que l'outrage provient d'une sorte d'infirmité, nous le supporterons, nous pardonnerons à celui qui nous a outragés, et nous nous efforcerons de ne pas tomber nous-mêmes dans ce défaut. Si je demande à tous ceux qui m'écoutent: Die pourriez-vous pas, si vous le vouliez bien, avoir assez de philosophie pour supporter les outrages ? chacun répondra: Pour moi, du moins, je le crois ainsi. Eh bien donc, lui dirai-je, si quelqu'un t'a offensé malgré lui, sans le vouloir, et comme poussé par la passion, possède-toi. Ne vois-tu pas les démoniaques? C'est bien moins une violente inimitié, qu'une sorte d'infirmité , qui met certaines personnes dans cet état. Il en est ainsi de nous; c'est en nous-mêmes, ce n'est pas dans la nature même des injures, que se trouve la cause de notre émotion. Comment se fait-il, en effet, que nous supportons les mêmes outrages de la part d'un fou? Et si ceux qui nous outragent sont des amis ou des supérieurs, nous supportons également leurs outrages. Mais quelle absurdité n'est-ce pas d'endurer ainsi ce qui nous vient de nos amis, des fous et des supérieurs, et de ne pas endurer ce qui nous vient de nos égaux ou de nos inférieurs ? Je l'ai déjà. dit bien des fois: il s'agit,d'une chose qui ne dure qu'un instant, et que l'instant d'après voit s'évanouir; un peu de patience , et tout est dit. Plus l'outrage est grave , plus est grande l'infirmité de celui qui outrage. Sais-tu dans quel cas il faut se chagriner? Lorsque, à nos outrages, un autre n'appose que le silence. Car alors c'est lui qui est fort , et c'est nous qui sommes faibles; mais si c'est le contraire qui arrive, non-seulement il ne faut pas s'en chagriner, mais il faut même s'en réjouir. Tu as été couronné, tuas été proclamé vainqueur, sans que tu aies eu besoin de descendre dans l'arène. Tu n'as été incommodé ni par l'ardeur du soleil, ni par la poussière; tu n'as pas eu à en venir aux mains, tu n'as eu qu'à vouloir: et assis ou debout, tu as reçu une belle couronne, une couronne plus belle que toutes celles qu'on décerne aux athlètes, car il est plus méritoire de triompher des traits de la colère que de frapper un ennemi qui vous attaque. Tu as vaincu, sans même avoir engagé la lutte; tu n'as eu qu'à dompter la passion qui était en toi, égorgeant ainsi la bête irritée, ou, pour mieux dire, la muselant au moment où elle entrait en (257) fureur, comme un pâtre prévoyant: c'était une  guerre civile qui avait éclaté; c'était en toi- même que le combat était engagé. — Car de même que ceux qui assiègent une place, cherchent à fomenter la guerre civile dans l'intérieur de cette place, et sont vainqueurs par l'emploi de ce moyen : de même celui qui nous outrage, s'il ne parvient pas à exciter en nous-mêmes l'ardeur du ressentiment, échouera dans son entreprise ; il n'a aucune force, aucun pouvoir, si nous n'attisons le feu en nous-mêmes. — Que l'étincelle de la colère demeure donc en nous, pour n'y être ranimée qu'à propos, et non contre nous-mêmes, ce qui nous exposerait à mille maux.

Ne voyez-vous pas de quelle manière , dans les maisons, le feu est tenu caché, sans être éparpillé nulle part et jeté au hasard parmi la paille et les étoffes, de peur que le moindre vent qui viendrait à souffler n'allume un incendie ? Quand la servante va quelque part une lampe à la main, et quand le cuisinier allume ses fourneaux, on leur recommande expressément de prendre des précautions; et lorsque la nuit survient, nous avons soin de couvrir le feu de peur que, pendant notre sommeil; et lorsque personne n'est là pour y veiller, il ne 'se rallume et qu'un incendie n'éclate. — Agissons de même à l'égard de la colère: ne la laissons pas s'éparpiller çà et là dans notre pensée, mais renfermons-la dans, les profondeurs de l'âme, de peur que le vent ne vienne à souffler, je veux parler des paroles offensantes que . nous sommes exposés à entendre : sachons contenir le souffle en nous-mêmes, pour ne l'employer qu'à propos et lorsque la chose est sans danger pour nous. S'il se déchaîne du dehors en toute liberté, il ne connaîtra pas de bornes et allumera un incendié qui dévorera tout. Que cette étincelle de la colère ne nous serve donc qu'à nous donner de la lumière. En effet, la lumière naît de la colère , quand celle-ci n'éclate qu'à propos. Portons des torches allumées pour surprendre ceux qui , à là faveur des ténèbres, cherchent à nuire à leurs . semblables ; servons-nous-en pour. épier les  pièges du démon. Que cette étincelle ne soit pas abandonnée 'un peu partout, comme au hasard; conservons-la sous la cendre; que d'humbles pensées la recueillent et l'endorment dans leur sein. Nous n'en avons pas toujours besoin,, mais seulement quand il nous faut vaincre quelque difficulté, aplanir quelque obstacle, quand il nous faut adoucir quelque coeur endurci, ou reprendre avec vigueur quelque esprit qui s'égare

4. Que de maux ont enfanté la colère et ses emportements ! Et ce qui est plus fâcheux, c'est qu'après que nous nous sommes séparés les.uns des autres à la suite d'une altercation, nous ne-nous sentons plus capables de nous réunir encore, mais nous attendons que les autres viennent à nous : chacun a honte de faire le premier pas en vue d'une réconciliation. Voyez donc, on ne rougit pas de donner comme le signal de cette mauvaise action, je veux dire, la séparation, le déchirement : mais on rougit de s'approcher pour rajuster ce qui a été ainsi mis en pièces, comme ferait celui qui n'éprouverait aucune peine à amputer son membre, mais qui rougirait d'avoir à le mettre en place, et à donner les soins nécessaires en pareil cas. Réponds-moi, ô homme ! As-tu de grands torts à te reprocher, et peut-on dire que c'est toi qui as provoqué la lutte? Dès lors, il est juste que ta fasses les premiers pas pour te réconcilier, puisque tu as été la cause première. du dissentiment. Mais c'est toi qui as été offensé; c'est lui, dis-tu, qui est cause de tout. — Eh bien, pour cette raison même, fais les premiers pas, afin qu'on t'en admire davantage, et que tu obtiennes ainsi doublement la première -place, et pour n'avoir pas été la cause de cette rupture, et pour avoir empêché qu'elle ne se prolonge; et peut-être déjà ton ennemi, à qui sa conscience reproche les mille méfaits dont tu te plains, en rougit-il, en a-t-il honte en secret. — Mais il s'est laissé aller aux derniers excès ! — Eh bien, pour cette raison même, n'hésite pas à accourir vers lui : car deux violentes passions le troublent,: l'emportement et la colère. Tu viens d'articuler toi-même lés motifs que tu as de faire les premières démarches : tu te possèdes, tu es sain d'esprit, ta vue n'est pas troublée comme la sienne,  pour lui, il est plongé dans les ténèbres; car tel est l'effet de l'emportement et de la colère. Toi qui. es exempt de ces maux, toi qui te portes bien, va, comme le médecin; voir le malade- Quel est le médecin qui osera dire : Puisque .cet homme est malade, je ne veux pas aller à lui? Tout au contraire, les médecins sortent précisément. pour aller visiter ceux qu'ils savent hors d'état de venir les trouver. Quant à ceux qui sont en état de sortir, ils ne s'en inquiètent guère, (258) parce qu'ils savent qu'ils ne sont que légèrement indisposés : ils réservent toute leur sollicitude pour ceux qui sont obligés de garder le lit. Est-ce que tu ne considères pas la colère, l'emportement, comme la pire des maladies? L'emportement ne peut-il pas être assimilé à une fièvre violente, et la colère à une vive inflammation. qui fait enfler nos membres? Juge donc combien il est pénible d'être pris par la fièvre, ou d'avoir, une inflammation va, marche, éteins ce feu, car tu le peux- par la grâce de Dieu. : arrête au plais tôt cette inflammation, comme on arrête, au moyen.de l'eau, les progrès d'un incendie.

Mais quoi, diras-tu, mes avances ne feront que l'exalter davantage ! — Cela ne te regarde pas : tu as fait ce que tu pouvais faire; quant à lui, qu'il ne s'impute qu'à lui-même d'avoir si mal répondu à tes bons, sentiments : il doit nous suffire que notre conscience ne nous reproche pas qu'une chose fâcheuse soit arrivée parce que nous avons négligé de faire ce qui était de notre devoir. « Donnez », dit l'apôtre, « donnez à manger à votre ennemi, car en faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». (Rom. XII, 20.) Et tout en disant cela, il n'en vçut.pas moins que nous allions trouver notre ennemi, que nous nous réconciliions avec lui, que nous lui fassions du bien, non, pour amasser ainsi ,des charbons , mais pour que notre ennemi , sachant cela, se calme, pour qu'il craigne et redoute les bienfaits et les témoignages d'amitié de son ennemi plus encore que ses embûches. Un ennemi vindicatif ne fait pas autant de mal à son ennemi, que celui-ci n'en reçoit d'un adversaire qui cherche à lui être utile et à lui faire du bien. En effet, le vindicatif se nuit à lui-même, et peut-être.un peu à celui dont il cherche à se venger : mais celui qui, tout au contraire, cherche à faire du bien.à son ennemi, « a amassé; des charbons de feu sur la tête de ce dernier. ». — Ne devons-nous pas, diras-tu, nous abstenir de lui  faire du bien, afin de lui épargner ce malheur qui doit en être la suite? — Mais.voudras-tu donc; en agissant autrement, amasser les.charbons sur ta propre tête? Car c'est ce que fait la vengeance. — Mais vous voulez donc que j'aggrave encore le mal? - Point du tout : ce n'est pas toi qui l'aggraves_; ce n'est qu'à son humeur brutale qu'il doit s'eu prendre de cette aggravation. En effet, si alors que tu lui

fais du bien, que tu l'honores, que tu as à coeur de te réconcilier avec lui, lui, au contraire, conserve au fond du coeur sa haine:, c'est contre lui-même qu'il allume ce feu dévorant, ç'est sa propre tête qu'il livre à ses' ravages. Quant à toi, tu n'y es pour rien. Ne cherche p$a à être plus. miséricordieux que Dieu lui-même ; car, en voulant l'être, tu t'exposerais à mille maux. Mais que dis-je ! Quand tu voudrais l'être, tu ne le pourrais pas, même au plus faible degré. Et comment donc cela pourrait-il être?  « Autant », dit-il, « il y a de distance entre le ciel et la terre, autant mes desseins, sont au-dessus de vos desseins ». (Isaïe, LV, 9.) Et en un autre endroit : «Si vous », dit-il, « qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus vous donnera votre Père qui est dans les cieux ». (Matth. VII,. 11.) Mais tout, cela n'est qu'une excuse, qu'un vain prétexte. Gardons-nous de porter un esprit de sophisme dans l'interprétation des ordres de Dieu. Tu demandes comment tu tombes ici dans le sophisme : le voici. L'apôtre a dit : « En faisant cela, vous amasserez des charbons de feu  sur sa tête ». Mais toi, tu dis : Je crains mon ennemi, parce qu'il m'a fait beaucoup de tort, et cette crainte m'arrête quand il s'agit de lui faire du bien. N'est-ce pas là ce que tu  dis? Mais comment donc se fait-il que tu aies un ennemi? Tu crains celui qui t'a fait du, tort, et tu ne te crains pas toi-même ! Plût à Dieu que tu eusses un peu plus de souci de ce qui te regarde ! N'agis pas, si tu veux, de cette façon envers ton ennemi dans cette intention, mais dans telle ou telle autre... Mais tu n'agis pas du tout. Eh bien, pour te déterminer, je ne veux plus te donner cette raison : « Que tu amasseras sur la tête de ton ennemi des charbons ardents », mais une autre raison plus haute. Tu peux agir, si tu veux, par ce nouveau motif, mais agis enfin. Paul a dit ce qui précède, pour t'exciter, par la crainte du châtiment, à bannir de ton coeur toute haine, Sachant tout ce qu'il n’y a de purement animal dans nos. penchants, et que, par suite, si l'on ne nous montrait la perspective de quelque châtiment, il serait impossible de nous amener à aimer notre ennemi, il nous jette, pour ainsi dire, cette grossière pâture. Mais ce n'est pas là ce que le Christ a dit aux apôtres. Que leur dit-il? Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans les cieux». (Matth. V, 45.)  (259) Il est, du reste, impossible que deux, hommes restent ennemis, quand l'un des deux fait du bien à l'autre. Voilà dans quelle vue Paul nous fait cette recommandation. Mais toi, pourquoi, philosophe en paroles, ne gardes-tu aucune mesure dans tes actions? Tu ne donnes pas à manger à ton ennemi, pour ne pas amasser sur sa tête des charbons de feu. C'est fort bien. Mais est-ce que tu as pour lui dés ménagements, de l'affection, ou est-ce dans cette intention que tu agis ainsi envers lui? Dieu sait si c'est ce motif qui te fait parler de la sorte. Toujours est-il que vis-à-vis de nous, tu uses de sophismes et de vains prétextes. Ton ennemi est-il réellement pour toi un objet de prévoyante sollicitude? Crains-tu réellement qu'il ne soit châtié? Tu as donc éteint en toi, en ce cas, toute l'ardeur de tes ressentiments : car celui qui aime son semblable, à ce point qu'il négligé son propre intérêt pour l'intérêt d'autrui, n'est plus ion ennemi. Tu diras probablement : jusques à quand nous permettrons-nous ces jeux d'esprit sans excuses en des choses aussi graves? Je vous supplie donc de couper court à tout vain prétexte, quand il s'agit d'obéir aux lois de Dieu; afin qu’après nous être conduits , dans la vie présente, d'une manière qui lui soit agréable, nous puissions obtenir les biens qui nous ont été, promis, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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