HOMÉLIE II

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DEUXIÈME HOMÉLIE. SUR LA FOI D'ANNE , SA SAGESSE , SA VERTU. — SUR LE RESPECT DU AUX   PRÊTRES, ET QU'IL FAUT PRIER AU COMMENCEMENT ET A LA FIN DU REPAS.

 

ANALYSE.

 

l. Efficacité de la prière démontrée par l'exemple d'Anne.

2. Règles pour la prière.

3. De la patience à supporter les injures.

4. Exemple de Job.

5. Suite de l'histoire d'Anne. Son invocation au Seigneur.

6. Réflexions à propos de cette prière : Piété d'Anne, sa modération. Conclusion morale.

 

1. Rien ne vaut la prière, mes chers auditeurs, rien n'est plus puissant que la foi. Anne nous a instruits, l'autre jour, de ces deux vérités. Car munie de pareilles offrandes, lorsqu'elle vint supplier Dieu, elle obtint tout ce qu'elle voulut, elle corrigea l'infirmité de sa nature, elle ouvrit son. sein fermé, elle se releva de son humiliation, se délivra des injures de sa rivale et recouvra un grand crédit dans la maison, lorsque un rocher stérile lui eut donné un bel épi. Vous avez tous entendu comment elle pria, comment elle demanda, elle fléchit, elle obtint; comment elle enfanta Samuel, le nourrit et le consacra. Aussi ne se tromperait-on point en appelant cette femme à la fois la mère et le père de son enfant. En effet bien que son époux en eût déposé le germe, c'est Anne, par sa prière, qui donna à ce germe sa vertu, et qui rendit plus auguste la procréation de Samuel. Car cette procréation n'eut pas seulement pour principe comme les autres, le sommeil et le commerce des époux, mais encore des larmes, des prières et la foi : et glorieuse entre toutes fut la naissance du prophète, qui dut le jour à la foi de sa mère. On ferait donc à cette femme une juste application de la parole suivante : Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans l'allégresse. (Ps. CXXV, 5.) Hommes, suivons son exemple : femmes, imitez-la. Car Anne est un maître pour les deux sexes. Que les femmes stériles ne désespèrent point, que les mères nourrissent de la même manière les enfants qu'elles ont mis au monde; imitons tous la sagesse d'Anne avant l'enfantement, sa foi pendant l'enfantement, son zèle après l'enfantement. En effet, quoi de plus sage qu'une femme qui supporte avec patience et courage une calamité si intolérable, qui ne se décourage point, avant d'être sortie d'infortune, et qui trouve pour son mal un remède miraculeux, inouï, sans s'être adjoint. ici-bas aucun aide, aucun allié? C'est qu'elle connaissait la charité du maître : voilà pourquoi elle vint à lui seule et obtint ce qu'elle voulut. En effet ce n'est pas d'un secours humain, c'est de la grâce divine qu'elle avait besoin pour guérir sa peine. Car, cette peine ne provenait point d'une perte d'argent, de telle sorte qu'en lui apportant de l'or on pût dissiper son chagrin : elle ne provenait point d'une maladie, de telle sorte qu'il fallût appeler les médecins pour chasser le mal. C'était la nature qui était attaquée : c'était elle qui réclamait le bras de (496) Dieu. C'est pourquoi Anne, laissant de côté tous les secours terrestres, courut au Maître de la nature, et ne cessa point de le prier jusqu'à ce qu'elle lui eût persuadé de mettre fin à sa stérilité, d'ouvrir son sein, de changer en mère l'épouse stérile. Bienheureuse en cela même, non d'avoir été mère, mais de l'être devenue, ne l'ayant pas été d'abord. Car le premier lot est celui de tout,son sexe, mais le second bonheur était réservé pour Anne. Bienheureuse à cause de cet enfantement, non moins bienheureuse à cause de tout ce qui le précéda. En effet, hommes et femmes, vous,savez certainement tous que rien n'est plus insupportable aux yeux d'une femme que la stérilité : quand elle jouirait mille fois de bonheur, le chagrin que fait naître en elle cette calamité resterait toujours inconsolable. Or, si on trouve ce malheur si intolérable, aujourd'hui que nous avons été conviés à une sagesse plus haute, que nous sommes dans le chemin du ciel, que nous ne tenons nul compte du présent, au milieu de nos préparatifs pour l'autre vie, maintenant que la virginité est l'objet de si grandes louanges, songez quel malheur ce devait être, dans la pensée des anciens, alors qu'on n'avait ni l'espérance, ni l'idée même d'un avenir, alors qu'on n'agissait qu'en vue des choses présentes, et qu'il y avait comme une malédiction, une condamnation attachée au sort de la femme stérile et sans enfants. On ne peut dire, on ne peut se représenter la douleur que causait un pareil coup. Témoin tant de femmes, qui, sages dans tout le reste, ne. purent supporter cette infortune, les unes s'irritant contre leurs maris, les unes jugeant l'existence intolérable. De plus, cette femme n'avait pas seulement la douleur d'être stérile : une autre peine l'assiégeait, le courroux provoqué par les injures de sa rivale. Comme on voit des vents déchaînés en sens contraire, se ravir les uns aux autres un esquif égaré sur le théâtre de leur lutte mutuelle, et ameuter d'énormes vagues contre sa poupe, contre sa proue, tandis que le nocher assis au gouvernail veille sur son embarcation et repousse, grâce à son habileté et à son expérience, toutes les attaques des flots : ainsi la femme dont je parle, recevant en son âme l'irruption de deux souffles contraires, le courroux et le découragement, voyant par là ses conseils frappés d'impuissance, au milieu des vagues soulevées, et cela non deux ou trois, ni vingt jours durant, mais pendant des années entières (depuis longtemps, dit l'Ecriture), cette femme, dis-je, sut résister noblement à la tempête, et ne laissa point l'abîme engloutir sa raison. En effet la crainte de Dieu, comme le pilote assis au gouvernail, lui persuadait de tenir tête généreusement à cet orage : et elle ne quitta pas la direction de cette âme qu'elle n'eût fait débarquer dans un port paisible le navire avec ce qu'il portait, ces flancs chargés d'un inappréciable trésor. Car ce n'est point de l'or, ni de l'argent qu'elle partait : c'était un prophète et un prêtre, et son sein était doublement sanctifié, tant par la destinée de l'enfant qui y était enfermé, que par l’origine de cet enfant dû à la prière et à la grâce d'en haut.

2. Mais ce n'est pas-seulement le fardeau qui était extraordinaire et merveilleux : la manière dont elle s'en défit est plus étonnante encore elle ne le vendit point à des hommes, à des marchands, à des négociants : mais dès qu'elle en eut débarrassé son esquif, elle le vendit à Dieu : et le gain qu'elle fit fut celui qu'on doit attendre d'un pareil trafic avec Dieu. Car après qu'il eut reçu d'elle ce fils, il lui donna en retour un autre enfant : que dis-je? non pas un, ni deux, ni trois ou quatre seulement, mais un bien plus grand nombre, Stérile, dit l'Ecriture, elle donna le jour à sept enfants. (I Rois, II, 5.) Ainsi l'intérêt dépassa le capital. Voilà comment se terminent, les affaires conclues avec Dieu : ce qu'il paie n'est point une minime partie du capital, c'est le capital plusieurs fois multiplié. Et ce ne sont point seulement des filles qu'il lui donna, mais il lui composa une postérité de l'un et l'autre sexe : de telle façon que sa joie fut sans mélange. Ce que j'en dis n'est point pour m'attirer vos éloges, mais pour vous persuader d'imiter la foi d'Anne, sa résignation, sujet que j'ai déjà traité en partie, l'autre jour, devant vous. Aujourd'hui, afin que je m'acquitte du reste, permettez-moi de vous entretenir un instant des paroles qu'Anne, après sa première prière, adresse au prêtre et au ministre du prêtre, afin que vous jugiez de sa patience et de sa douceur. Et il arriva, dit l’Ecriture, que tandis qu'elle se répandait en prières devant le Seigneur, le prêtre Héli observait sa bouche. (Ibid. I, 12.)

L'historien, en ce passage, témoigne de deux vertus chez Anne, la constance dans les prières, et la vigilance de la pensée : d'un côté, par ces mots : Elle se répandait, de l'autre, parce (47) qu'il ajoute : Devant le Seigneur: car si nous prions tous, nous ne prions pas tous également devant Dieu. En effet, quand, le corps prosterné, et la langue se démenant au hasard, notre pensée se promène dans tous les endroits de notre maison et de la place publique, comment pourrait-on dire, après cela, qu'on a prié devant Dieu. Celui qui prie devant Dieu est celui qui recueille de toutes parts sa pensée, qui n'a plus rien de commun avec la terre, qui est transporté dans le ciel, qui n'a plus dans l'intelligence aucune pensée humaine. C'est ce qu'Anne fit alors. En effet, entièrement repliée sur elle-même , l'esprit parfaitement attentif, elle invoquait Dieu avec une âme affligée, Mais comment l'historien 'peut-il dire qu'elle se répandait en prières ? La prière d'Anne est courte. Elle ne fait point de longs discours, elle ne prolonge point indéfiniment sa supplication : ses paroles sont brèves et simples : Adonaï, Seigneur, Eloï, Sabaoth, si, jetant les yeux, vous regardez vers l'humiliation de votre servante, et que vous vous souveniez de moi, et que vous n'oubliiez point votre servante, et que vous accordiez à votre servante un rejeton mâle, je vous le donnerai en présent devant votre face, jusqu'au jour de sa mort. Et  il ne boira ni vin ni liqueur enivrante, et le fer ne montera pas sur sa tête. (I Rois, I, 11.) Où est donc cette effusion de paroles ? A quoi fait allusion ce mot : Elle se répandait? c'est qu'elle répétait continuellement la même chose, c'est qu'elle ne se fatiguait point de passer un long temps à redire les mêmes paroles. Et c'est justement ainsi que dans les Evangiles le Christ nous prescrit de prier. Car, en disant aux disciples de ne point prier à la façon des païens, il nous a enseigné, par là, à ne point prodiguer les mots, à garder une mesure dans nos prières : faisant voir que ce n'est point par la multitude des paroles, mais par la sagesse des pensées qu'on réussit à se faire exaucer. Mais comment, objectera quelqu'un, s'il faut, prier en peu de mots, comment a-t-il une parabole pour enseigner la nécessité de prier toujours, celle de cette veuve qui, par l'insistance de ses supplications, par la fréquence de ses visites, fléchit un juge dur et inhumain, sans crainte de Dieu, sans respect des hommes. Et comment aussi expliquer cette exhortation de Paul : Persistant dans la prière, et encore : Priez sans relâche. S'il faut en même temps ne pas multiplier les paroles, et prier continuellement, voilà deux préceptes qui se contredisent. Non, ils ne se contredisent point, à Dieu ne plaise, ils s'accordent au contraire merveilleusement. En effet, le Christ et Paul ont prescrit pareillement de faire des prières courtes et fréquentes, à petits intervalles. Car situ prolonges trop ton invocation, il arrive souvent que tu soutiens plus ton attention, et que, par là, tu donnes au diable une grande facilité pour s'approcher, pour te prendre en traître, pour détourner ta pensée des paroles que tu prononces : si, au contraire, tes prières sont continuelles, fréquentes et séparées par de petits intervalles, il te sera facile de rester maître de toi, et tes prières mêmes gagneront à cela d'être faites avec beaucoup d'attention. Voilà ce que faisait Anne : elle ne multipliait point les paroles, mais elle revenait à Dieu coup sur coup et d'instant en instant. Ensuite, lorsque le prêtre lui eut fermé la bouche (car c'est ce que signifie : il observait sa bouche, et les lèvres de celle-ci remuaient, et l'on n'entendait pas sa voix), elle fut forcée d'obéir au prêtre et de se taire. La parole lui était donc ôtée, mais non la liberté de prier, et son coeur n'en criait que plus fort au fond de sa poitrine. — Car il n'y a pas de prière comparable à ces cris qui partent du dedans : rien n'indique mieux une âme dans la peine, que de manifester son voeu, non par un effort de voix, mais par un mouvement impétueux de la pensée.

3. Ainsi priait Moïse pareillement ; aussi, sans qu'il prononçât aucune parole, Dieu lui dit : Pourquoi cries-tu vers moi ? Les hommes -n'entendent que la voix qui frappe l'oreille ; mais Dieu entend avant celle-là, les cris qui sortent des entrailles. On peut donc, sans crier, se faire entendre, on peut prier mentalement et très-bien en se promenant sur la place; dans une réunion d'amis, en quelque occupation que ce soit, on peut invoquer Dieu à haute voix, je parle de la voix intérieure, à l'insu de toutes les personnes présentes. Telle fut la prière d'Anne. On n'entendait pas sa voix, et Dieu l'entendit. Tel était le cri qui sortait de ses entrailles. Et le jeune ministre d'Héli lui dit : Quand cesseras-tu d'être ivre? Secoue ton vin  et éloigne-toi de la présence du Seigneur. C'est ici principalement qu'apparaît la; sagesse d'Anne. Au logis, sa rivale l'outrageait, elle vient au, temple, et le jeune ministre du prêtre l'injurie, et le prêtre la réprimande. Elle échappe aux orages de sa maison, elle (498)  vient au port et y retrouve les vagues, elle vient chercher un remède, et loin d'en recevoir un, elle ne gagne à cela qu'une nouvelle blessure , que des outrages qui rouvrent sa plaie. Vous savez quel effet produisent sur les âmes endolories les insultes et les affronts. De même que les blessures un peu graves s'enveniment, si l'on y porte la main sans précaution : ainsi une âme troublée et difficile à satisfaire ; tout l'irrite , un mot insignifiant l'exaspère. Anne cependant n'éprouva rien de pareil et cela en s'entendant injurier par le ministre. Si l'insulte fût venue du , prêtre, sa résignation serait moins admirable , car le haut rang de ce personnage , de ses fonctions lui aurait persuadé de rester calme, fut-ce à contre-coeur. Mais en cette occasion elle n'avait affaire qu'au jeune ministre du prêtre, et elle ne se fâcha point. Par là, elle se concilia encore davantage la faveur divine. De même, nous aussi, quand on nous injurie, quoiqu'il nous faille souffrir, supportons noblement les outragés, c'est le moyen de nous concilier davantage la faveur divine.

Comment rendre ceci manifeste ? Par l'histoire de David. Quelles épreuves David eut-il donc à subir? Il fut exilé de sa patrie, il courût le risque de la liberté et même de la vie, et pendant qu'une armée se préparait à combattre un jeune tyran, débauché et parricide, il errait dans le désert. Il ne j'indigna point, il ne manqua point de confiance en Dieu, il ne dit point : Qu'est-ce à dire ? Il a permis au fils de se révolter contre son père? Et cependant les plus justes griefs ne sauraient absoudre une telle conduite. Mais à l'heure qu'il est, sans avoir à m'accuser de la moindre injustice à son égard, ce fils brûle de tremper ses mains dans le sang paternel, et Dieu qui voit cela, le permet. Il ne dit rien de pareil, et ce qui est plus grand et plus merveilleux, c'est que, dans le temps qu'il errait privé de tout, un homme nommé Séméi , un misérable , un scélérat , le poursuivit d'invectives, l'appelant homicide, impie, répandant sur lui un torrent d'injures. David, même alors, ne perdit point patience. Mais on me dira : Pourquoi s'étonner qu'il ne se soit point défendu, n'était-il point sans force et sans, pouvoir? Je pourrais répondre d'abord que je ne l'admirerais pas autant, s'il avait supporté une insulte, étant couronné du diadème, en possession de la royauté et assis sur son trône, que je l'admire et le loue d'avoir montré tant de sagesse à l'heure de l'adversité. En effet l'orgueil du pouvoir et l'indignité de celui qui proférait l'injure lui avait souvent alors inspiré le mépris de pareils outrages. Et beaucoup d'autres rois ont montré en mainte occasion, la même sagesse, jugeant ceux qui les insultaient suffisamment excusés par l'excès de leur démence. En effet, les affronts ne nous touchent point également dans le bonheur et dans l'adversité : quand nous sommes dans l'affliction, c'est alors qu'ils nous sont le plus sensibles et nous paraissent les plus cuisants. Mais en ce qui concerne David , on peut ajouter quelque chose à ce qui vient d'être dit; c'est qu'il était maître de se venger et qu'il ne se vengea point. Et, pour que vous voyiez que cette sagesse ne lui venait point d'impuissance, mais de résignation, comme le général demandait alors la permission d'aller vers cet homme et de lui couper la tête, David, non content de lui refuser cette permission, se mit en colère et dit : Que veux-tu de moi, fils de Sarvias? Laissez-le me maudire, afin que le Seigneur voie mon abaissement et qu'il me rende mes biens en dédommagement des imprécations de cet homme en ce jour. (II Rois, XVI, 12.) C'est justement ce qui advint.

4. Le juste n'ignore pas, vous le voyez, que la patience à supporter les injures est le principe d'un accroissement de gloire. Voilà pourquoi un jour; ayant surpris Saül entre deux murs , et pouvant l'égorger, il l'épargna: et cela, quand les personnes présentes l'excitaient à le  percer de son glaive. Mais ni la faculté dont il pouvait user, ni les encouragements qu'il recevait, ni les nombreuses injures qu'il avait reçues, ni la crainte d'en recevoir de plus graves, ne le déterminèrent à tirer l'épée et cependant l'armée même devait ignorer l'auteur de cet homicide. Il était dans une caverne, seul et sans témoins. Il ne dit pas, comme certain homme qui s'abandonnait à l'adultère : Les ténèbres et les murs m'environnent; qu'ai je à craindre ? (Eccl. XXIII, 26.) Il avait devant les yeux l'oeil qui ne se ferme jamais, et il savait que les yeux du Seigneur ont un éclat mille fois plus perçant que celui du soleil. En conséquence, il agissait et parlait constamment comme si Dieu était présent et jugeait ses paroles. Je ne porterai point la main., dit-il , sur l'oint du Seigneur. (I Rois, XXIV, 7.) Je ne vois point ses crimes, je ne vois que son rang. Qu'on ne vienne pas me dire (499) que c'est un tyran , un criminel : je respecte le choix de Dieu , quand bien même cet élu se montrerait indigne. Ce n'est point ma faute, s'il paraît indigne de son élévation. Ecoutez, vous tous qui méprisez les prêtres, voyez quel respect David témoigne à un roi. Cependant, le prêtre est, bien plus que le roi , digne de respect et d'égards, d'autant qu'il est appelé à des fonctions plus augustes. Apprenez à ne pas critiquer, à ne point demander de comptes, à vous soumettre, à céder. En effet, vous ne connaissez pas la vie du prêtre, fût-il indigne et abject : tandis que David savait parfaitement tout ce qu'avait fait Saül : néanmoins il respecta en lui la dignité que Dieu lui avait conférée. Voulez-vous maintenant une preuve que, fussiez-vous exactement informés, vous n'avez point d'excuse et ne méritez point de pardon, quand vous méprisez les prêtres, et négligez leurs avertissements. Ecoutez comment le Christ vous ôte ce refuge, par ce qu'il dit dans les Evangiles : C'est sur le siège de Moïse que sont assis les scribes et les pharisiens : faites donc tout ce qu'ils vous disent de faire; mais ne vous conduisez point suivant leurs actions. (Matth. XXIII, 2, 3.) Voyez-vous comme il respecte les leçons de ces hommes dont la vie était assez corrompue pour devenir un sujet d'accusation contre leurs disciples, et comme il s'abstient de rejeter leur doctrine? Si je parle ainsi, ce n'est point que je veuille accuser les prêtres : à Dieu ne plaise : vous êtes témoins de leurs démarches, vous savez toute leur piété; mais je demande que nous leur rendions tout ce que nous leur devons encore d'égards et de respect. Par là ce n'est pas tant à eux qu'à nous-mêmes que nous rendrons service : Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense d'un prophète. (Matth. X, 41.) Car si nous n'avons pas le droit de juger la vie tes uns des autres, à bien plus forte raison en est-il ainsi pour la vie de nos pères. Mais ce que je disais (il est nécessaire de revenir à la mère de Samuel), savoir que la patience à supporter les injures nous procure beaucoup de biens, c'est ce que montre aussi l'histoire de Job. En effet, Job ne m'inspire pas autant d'admiration avant l'exhortation de sa femme qu'après le conseil funeste que celle-ci lui donna. Et ce que je dis ne doit point paraître étrange. Souvent ceux qui ont résisté aux tentations provenant de la nature des choses, succombent à une parole, à un conseil pervers. Le diable qui le sait, au coup porté par la tentation, fait succéder l'attaque des paroles : et c'est ainsi qu'il se comporta à l'égard de David. Voyant que celui-ci avait noblement supporté la révolte de son fils, et la tyrannie d'un maître illégitime, voulant abuser son esprit, et le faire tomber en colère, il suscita ce Séméï, après l'avoir armé de paroles amères propres à aigrir l'âme de David. Il usa vis-à-vis de Job de la même perfidie. Car, voyant Job aussi se moquer de ses traits, et résister noblement à tout, ainsi qu'une tour d'airain, il arma son épouse afin que nul soupçon ne s'attachât au conseil, cacha son venin dans les paroles de cette femme, et lui fit faire une peinture tragique des infortunes de son mari. Alors que répondit cet homme généreux? Pourquoi as-tu parlé comme une de ces femmes qui ont perdu la raison ? Si nous avons reçu nos biens de la main du Seigneur, ne supporterons-nous, vas ces maux ? (Job, II, 10.) Voici le sens de ses paroles : S'il ne s'agissait pas d'un Maître, ni d'un être si supérieur à nous, mais d'un simple ami, notre égal , serions-nous excusables de répondre à tant de bienfaits, par une conduite tout opposée? Vous avez remarqué cet amour de Dieu, et comment Job ne se glorifie point, ne tire point vanité de son courage à supporter des épreuves au-dessus de la nature, comment il ne fait point honneur à sa sagesse ou à sa magnanimité d'une telle résignation, comment au contraire, de même que s'il payait une dette pressante, et n'endurait rien que d'ordinaire, il ferme résolument la bouche à cette malheureuse femme? Nous retrouvons la même chose chez Anne. En effet, la voyant supporter noblement sa stérilité, et se prosterner devant Dieu, le diable suscita le jeune ministre du prêtre, afin de l'exaspérer davantage. Mais Anne n'éprouva aucun sentiment de ce genre : exercée à endurer les injures qui lui étaient dites à la maison, aguerrie par les invectives de sa rivale, elle s'armait dès lors d'un courage résolu contre toute attaque semblable. Voilà pourquoi, dans le temple aussi, elle montra une grande sagesse, supportant virilement et avec magnanimité les sarcasmes qui en faisaient une ivrogne, dont le vin avait troublé l'esprit. Mais il n'est rien de tel que d'entendre le texte même : aux paroles de l'enfant : Secoue ton vin et éloigne-toi de la face du Seigneur, Anne répondit Non, Seigneur. Elle appelle son maître celui (500) qui vient de l'outrager. Et elle ne dit pas comme beaucoup de gens : Le prêtre m'a dit cela? Celui qui instruit les autres m'a raillée ainsi au sujet du vin et de l'ivrognerie? Elle tâcha seulement d'éloigner d'elle ce soupçon, qui d'ailleurs n'était pas fondé.

5. Nous au contraire, lorsqu'on nous injurie, souvent au lieu de nous justifier et de nous éloigner ensuite, nous attisons le feu, et nous nous jetons comme des bêtes féroces sur les provocateurs, les prenant à la gorge, les malmenant, leur demandant compte de leurs propos, et par notre conduite même, nous confirmons le soupçon dirigé contre nous. Si vous voulez prouver aux insolents que vous n'êtes pas ivre, .employez à cela la douceur et la modération,non point la violence ni l'invective. En effet, si vous frappez celui qui vous a fait affront, tout le monde vous croira réellement ivre : si au contraire vous avez montré de là patience et de la magnanimité, vous aurez par votre conduite même écarté de vous ce mauvais soupçon. Anne fit ainsi dans cette occurrence, et après avoir dit non, seigneur, par ses actes mêmes elle montra la fausseté du soupçon. Mais d'où vient enfin que le prêtre ait pu concevoir ce soupçon ? L'avait-il vue rire? ou danser? ou marcher de travers et tomber? ou proférer quelque parole honteuse ou ignoble? D'où lui venait donc ce soupçon? Ce n'était point du hasard, ni d'une rencontre fortuite, mais bien du moment de la journée. On était au milieu du jour, quand Anne adressait sa prière. Qu'est-ce qui le prouve ? Les paroles mêmes qui précèdent. Anne se leva, dit l’Ecriture, après qu'ils eurent mangé dans Sélom, et après qu'ils eurent bu, et elle se tint debout devant le Seigneur. Voyez-vous ? Ce qui est pour tous un temps de repos, elle en faisait un temps de prière; en quittant la table, elle courait offrir ses veaux, elle versait des torrents de larmes, elle montrait une sagesse et un sang-froid parfait : c'est en quittant la table qu'elle priait avec tant de ferveur pour obtenir un don surnaturel , la fin de sa stérilité, la guérison de son mal. Anne nous procure donc ce bénéfice, de savoir prier après le repas. En effet, l'homme préparé à un tel acte, ne tombera plus dans l'ivresse et dans la débauche, ne se rendra plus malade à force de manger; mais l'attente de la prière étant pour lui comme un frein mis sur sa pensée, il touchera aux mets sans s'écarter jamais de la mesure convenable, et par là attirera sur son âme, sur son corps, une abondance de bénédictions. Une table où l'on s'assied en priant, d'où l'on se lève en priant, ne manquera jamais de rien, et ce sera pour nous une source inépuisable de biens de toute sorte. Ne négligeons donc point un tel avantage. En effet il serait absurde que nos serviteurs, si nous leur faisons largesse de quelque portion de notre repas, nous soient reconnaissants et s'éloignent avec des remerciements; et que nous, qui jouissons de tant de biens, nous refusions de payer à Dieu une dette si légère, et cela, quand nous devons y trouver une forte garantie pour notre sécurité. Car là où sont la prière et la gratitude, la grâce du. Saint-Esprit ne fait point défaut, les démons prennent la fuite, et toutes les puissances ennemies s'éloignent et battent en retraite. Celui qui va se donner à la prière, ne se permet aucun propos déplacé, même au milieu du repas; ou; s'il tombe dans un tel écart, il s'en repent aussitôt. Il faut donc et au commencement età la fin, rendre grâce à Dieu : le fruit principal de cette conduite sera de nous préserver de l'ivresse, comme je l'ai dit plus haut, grâce à l'habitude que nous aurons contractée. Par conséquent, quand bien même tu te lèverais avec la migraine ou en état d'ivresse, ne renonce point pour cela à ta pratique accoutumée : quand bien même nous aurions la tête alourdie, quand nous irions de travers et que nous tomberions, prions encore, ne renonçons pas à notre habitude. Car si la veille, tu as prié en cet état, le lendemain, tu répareras l'indécence de ta conduite de la veille. Ainsi donc, lorsque nous prenons nos repas, souvenons-nous d'Anne, et de ses larmes, et de cette noble ivresse. Elle était ivre, aussi, cette femme, non de vin, mais de piété. Telle après le repas, que devait-elle être au lever du jour? Si après l'heure de boire et de manger, elle priait avec tant de constance, que devait-elle être auparavant?

6. Revenons à ses paroles, dont on ne saurait trop admirer la sagesse et la mansuétude. Après avoir dit non , seigneur, elle ajoute: Je suis une femme dans l'affliction, et je n'ai bu ni vin ni liqueur enivrante. (I Rois, r, 15.) Observez comme ici encore elle tait les injures de sa rivale, s'abstient de dénoncer sa méchanceté, comme aussi de représenter sous des couleurs tragiques sa propre infortune, mais elle ne découvre de sa peine que ce qui est (501) propre à la justifier aux yeux du prêtre. Je suis, dit-elle, une femme dans l'affliction; je n'ai bit ni vin ni liqueur enivrante, et j'épanche mon âme devant le Seigneur. Elle ne dit pas je prie Dieu, je supplie Dieu, mais j'épanche mou âme devant le Seigneur : c'est-à-dire, je me suis jetée entièrement entre les bras de Dieu, j'ai mis à nu ma pensée devant lui, j'ai fait ma prière de toute mon âme et de toute ma force, j'ai dit à Dieu mon infortune; je lui ai découvert ma plaie : c'est lui qui peut y appliquer le remède. Ne vois pas dans celle qui est ostensiblement ta servante une fille de Bélial. (I Rois, I, 16.) Elle s'appelle encore une fois servante et fait tous ses efforts pour que le prêtre ne prenne point mauvaise opinion d'elle. Et elle ne se dit pas : que m'importe la fausse imputation de cet enfant? Il m'a accusé étourdiment et à la légère, il m'a soupçonné mal à propos : ma conscience est pure, je permets à qui voudra de me calomnier. Mais elle se conforme à cette loi des apôtres qui nous ordonne de songer à paraître honnêtes non-seulement aux yeux du Seigneur, mais encore aux yeux des hommes. Et elle apporte tous ses soins à repousser de soi le soupçon en disant : Ne vois pas dans celle qui est ostensiblement ta servante une fille de Bélial. Qu'est-ce à dire, ostensiblement ? Ne va point me prendre pour une impudente, une effrontée. Ce langage est celui de la douleur, non celui de l'ivresse; il annonce le chagrin, non la débauche. Que dit alors le prêtre : Voyez, chez lui aussi, quelle prudence ! Il n'est pas curieux de connaître cette infortune, il ne veut point en demander la cause : Eloigne-toi en paix, dit-il : Que le Seigneur, Dieu d'Israël, t'accorde toutes les demandes que lit lui as adressées. (I Rois. I, 17.) D'accusateur qu'il était, Anne s'en est fait un avocat. Telle est l'excellence de la sagesse et de la mansuétude. Au lieu d'injures, elle reçoit en partant un abondant viatique: elle trouve un protecteur, un intercesseur dans celui qui l'a réprimandée. Néanmoins elle ne s'en tient pas là, mais elle répète encore : Que ta servante trouve grâce devant tes yeux ! (Ibid. V, 18.) C'est-à-dire puisse la fin de tout ceci et l'issue de cette affaire te prouver que ce n'est point (ivresse, mais une douleur profonde qui m'a dicté cette supplication et cette requête. Et s'en étant allée, dit l'Ecriture, elle ne tomba plus. Voyez-vous la foi de cette femme ? avant d'avoir obtenu ce qu'elle demandait, elle montre la même confiance que si elle l'avait reçu. La raison en est qu'elle avait prié avec une grande ferveur, avec un zèle aveugle. C'est pourquoi elle revint, comme si tout lui était accordé. D'ailleurs, Dieu lui-même alors dissipa son chagrin, attendu qu'il devait contenter son désir.

Sachons, nous aussi, l'imiter, et dans toutes les infortunes, ayons recours à Dieu. Si nous n'avons point d'enfants, adressons-nous à lui pour en avoir; s'il nous en a accordé, élevons-les avec le plus grand soin, et éloignons de tout vice leur jeunesse, mais principalement de l'incontinence : car elle fait à cet âge une rude guerre, et il n'a point d'ennemi plus acharné que cette passion. Fortifions-les donc de tout côté par nos conseils, nos exhortations, par la crainte, par les menaces. S'ils triomphent de cet appétit, ils ne se laisseront facilement dompter par aucun autre : ils ne seront point esclaves de l'argent, ils ne succomberont point à l'ivresse, ils mettront tous leurs efforts à écarter d'eux les scènes d'intempérance et les mauvaises compagnies, ils se rendront plus aimables aux yeux de leurs parents, plus respectables à ceux de tout le monde. En effet, qui ne serait point pénétré de respect pour un jeune homme chaste ? qui n'aurait de l'affection, de la tendresse pour celui qui a su brider ses appétits déréglés? qui ne le choisirait, même parmi les plus riches, pour lui donner sa fille, et ne se jugerait heureux d'une telle alliance, fût-il le plus pauvre des hommes? Car de même que celui qui vit dans le libertinage et fréquente les prostituées, aura peine à rencontrer, quelle que soit sa fortune, un homme assez malheureux, assez misérable, pour consentir à l'agréer comme gendre : ainsi le jeune homme chaste et rangé ne trouvera point un homme assez fou pour le repousser et le dédaigner. Si nous voulons donc que nos enfants obtiennent le respect des hommes et l'amour de Dieu, ornons leurs âmes, et conduisons-les au mariage par le chemin de la chasteté. Ainsi les biens présents eux-mêmes se répandront sur eux en abondance, ainsi ils trouveront Dieu propice, et jouiront de la gloire en ce monde et clans l'autre. Puissions-nous tous obtenir cette gloire céleste, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, honneur, et puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

 

 

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