HOMÉLIE XVI

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HOMÉLIE XVI. JE VOUS AI ÉCRIT DANS LA LETTRE : N'AYEZ POINT DE COMMERCE AVEC LES FORNICATEURS ; CE QUI NE S'ENTEND PAS DES FORNICATEURS DE CE MONDE, NON PLUS QUE DES AVARES, DES RAVISSEURS, DES IDOLATRES ; AUTREMENT VOUS DEVRIEZ SORTIR DE CE MONDE. MAIS JE VOUS AI ÉCRIT DE NE POINT AVOIR DE COMMERCE AVEC CELUI QUI, PORTANT LE NOM DE FRÈRE PARMI VOUS, EST FORNICATEUR, OU AVAREOU IDOLATRE, OU IVROGNE, OU MÉDISANT, OU RAPACE, ET MÉME DE NE PAS MANGER AVEC LUI. (CHAP. V, VERS. 9, 10, 11, JUSQU'AU VERS. 11 DU CHAP. VI.)

 

394

 

 

ANALYSE.

 

1. Saint Paul fait mention d'une autre lettre aux Corinthiens, écrite avant celle-ci et qui s'est perdue. — Purifiez-vous, leur dit-il, de tous ces vices au sujet desquels je vous ai donné des avis dans une première lettre. — Séparez-vous de tous ces hommes corrompus qui sont parmi vous. — Quant à ceux qui ne sont pas chrétiens, ne les jugez pas.

2. Le retranchement des coupables avait lieu aussi dans l'ancienne Loi, mais d'une manière plus sévère puisqu'on les lapidait. Saint Paul défend aux chrétiens de se faire juger par les tribunaux païens.

3. Les derniers d'entre vous. peuvent juger des affaires de ce monde : ne savez-vous pas que vous êtes appelés à juger les anges?

4. Contre la médisance.

5 et 6. Que la passion des richesses renverse tout. — Combien il faut qu'un chrétien évite les procès. — De la patience dans les injures. — Conduite que doit tenir un chrétien quand on lui fait quelque tort. — Contre ceux qui oppriment les pauvres.

 

1. Comme il avait dit: « Et vous n'êtes pas plutôt clans les pleurs, pour faire disparaître du milieu de vous celui qui a commis cette « action? » et encore : « Purifez-vous du vieux levain », il était vraisemblable que les Corinthiens se croiraient obligés de fuir tous les fornicateurs. En effet, si le coupable communique son mal aux innocents; ce sont surtout les infidèles qu'il faut éloigner; puisqu'on ne doit pas même épargner un frère de peur qu'il ne répande la contagion , à plus forte raison ne doit-on pas ménager les étrangers. Dans celte hypothèse , il aurait donc fallu rompre avec tous les fornicateurs qui se trouvaient chez les Grecs : chose impossible; et que les Corinthiens eussent difficilement acceptée. Voilà pourquoi l'apôtre met un correctif, en disant : « Je vous ai écrit : n'ayez point de commerce avec les fornicateurs ; ce qui ne s'entend pas des fornicateurs de ce monde »; et donnant, ces mots : « Ce qui ne  s'entend pas », comme chose convenue. De peur qu'ils ne s'imaginent qu'il n'exige point cette séparation parce qu'ils sont trop imparfaits et pour qu'ils ne s'avisent pas de l'opérer en qualité de parfaits, il leur fait voir qu'ils ne le pourraient pas avec la meilleure volonté possible : autrement il faudrait chercher un autre mondé. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vous devriez sortie du monde ».

Voyez-vous comme il est peu exigeât, comme il cherche en tout à rendre l'exécution de la loi, non-seulement possible, mais facile? Comment, leur dit-il, serait-il possible à un chef de maison , à un père de famille, à un magistrat, à un artisan, à un soldat, au milieu de tant de grecs , d'éviter les fornicateurs qui se trouvent partout? Car c'est aux grecs qu'il applique cette expression : « Les fornicateurs de ce monde. Mais je vous ai écrit de ne point avoir de commerce avec celui qui, portant le nom de frère , est fornicateur, et même de ne pas manger avec lui ». Ici il indique d'autres personnes vivant dans l'iniquité. Mais comment un frère peut-il être idolâtre? Cela arrivait autrefois chez les samaritains, qui n'avaient embrassé la religion qu'à demi. D'ailleurs il pose. ici la base de ce qu'il (395) va dire tout à l'heure sur les idolâtres. « Ou avare ». Il va combattre ce vice ; aussi dit-il : « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés? Pourquoi ne soutirez-vous pas d'être dépouillés? Mais vous-mêmes vous lésez, vous dépouillez». — « Ou ivrogne». Plus bas il accuse aussi ce vices quand il dit : « L'un a faim, et l'autre est ivre» (Ch. XI, 21); et encore « Les aliments sont pour l'estomac et l'estomac a pour les aliments (Ch. VI, 13). Ou médisant ou rapace ». Il en a déjà parlé plus haut avec blâme. Ensuite il donne la raison pour laquelle il n'empêche point d'avoir des rapports avec les étrangers entachés de ces vices : C'est que non-seulement cela n'est pas possible, mais que ce serait inutile. « En effet, m'appartient-il de juger ceux qui sont dehors? »

Il appelle chrétiens ceux qui sont dedans, et grecs ceux qui sont dehors. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : « Il faut aussi qu'il ait un. bon témoignage de ceux qui sont, dehors ». Et dans l'épître aux Thessaloniciens , il répète dans les mêmes termes : « N'ayez point de commerce avec lui, afin qu'il soit couvert de confusion. Cependant ne le regardez pas a comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère ». Cette fois il ne donne pas de motif. Pourquoi? Parce que là il voulait consoler, et ici, non. Là, la faute n'était pas la même, elle était moindre ; il n'accusait que d'oisiveté; ici il s'agit de fornication et d'autres fautes plus graves. Si on veut passer chez les grecs , il ne défend pas d'y manger, et pour la même raison. Nous agissons encore de même, faisant tout pour nos fils et nos frères , et tenant peu de compte des étrangers. Quoi donc? Paul avait-il aucun souci de ceux du dehors ? Il en avait, mais il ne leur donnait des lois qu'après qu'ils avaient reçu la prédication et s'étaient soumis à la doctrine du Christ ; mais tant qu'ils la méprisaient , il était inutile de donner des ordres à des hommes qui ne connaissaient pas même le Christ. « Et ceux qui sont dedans, n'est-ce pas vous qui les jugez? Mais ceux qui sont dehors, c'est Dieu qui les jugera ». Après avoir dit : « M'appartient-il de juger ceux qui sont dehors, ? » De peur qu'on ne s'imaginât qu'ils resteraient impunis, il les livre à un autre tribunal terrible. Son but, en disant cela, est d'effrayer les uns et de consoler les autres, et de montrer que cette punition temporelle délivre du châtiment éternel; ce qu'il affirme encore ailleurs, quand il dit : «Nous sommes jugés et châtiés maintenant, afin de ne pas être condamnés avec ce monde » (Ib. XI, 32) ; et encore : « Faites disparaître le coupable du milieu de vous ». (Deut. XVII, 7.)

2. Il rappelle ce qui était dit dans l'Ancien Testament, et en même temps il leur fait voir qu'ils gagneront beaucoup à se délivrer, pour ainsi dire , d'un terrible fléau ; et encore que ceci n'est point une innovation, puisque déjà autrefois le législateur avait prescrit de retrancher ces coupables; mais alors on procédait avec plus de sévérité, aujourd'hui on agit avec plus de douceur. `On pourrait demander en effet pourquoi il était permis de punir et de lapider celui qui avait commis la faute, tandis qu'ici on l'invite seulement à faire pénitence. Pourquoi des procédés si différents? Il y a à cela deux raisons : la première , c'est que les chrétiens étaient conduits à des combats plus grands, et qu'ils avaient besoin de plus de patience et de courage; la seconde et la plus vraie , c'est que l'impunité les corrigeait plus facilement en les amenant à la pénitence; tandis qu'elle rendait les Juifs plus méchants. Si en effet après avoir vu le châtiment des premiers coupables , ceux-ci n'en persévéraient pas moins dans-les mêmes péchés ; à combien plus forte raisonne l'eussent-ils pas fait, si personne n'eût été puni? Aussi, sous la loi ancienne, l'adultère et l'homicide étaient-ils immédiatement frappés de mort; mais sous la nouvelle, s'ils se lavent par la pénitence , ils échappent au châtiment. Toutefois on peut voir des peines plus sévères dans la nouvelle loi et de plus douces dans l'ancienne; ce,qui prouve qu'un lien de parenté unit les deux Testaments, et qu'ils sont tous les deux l'oeuvre d'un seul et même législateur ; que dans l'un et l'autre le supplice suit, qu'il tarde souvent beaucoup, souvent aussi. très-peu , mais que toujours Dieu se contente du repentir. En effet, dans l'Ancien Testament , David , adultère et homicide, est épargné ; et, dans le Nouveau, Ananie, pour avoir soustrait une partie du prix de son champ, est frappé de mort avec sa femme. Que si ces derniers exemples abondent dans l'Ancien Testament et sont rares dans le Nouveau, la différence des personnes explique la différence de conduite.

« Quelqu'un de vous, ayant avec un autre un différend, ose l'appeler en jugement devant les injustes; et non devant les saints? » (396) Encore une fois il intente accusation comme sur une chose avouée. Là il dit: « Il n'est bruit que d'une fornication commise parmi vous »; et ici : «Quelqu'un de vous ose»; manifestant ainsi dès l'abord son courroux, et faisant voir l'audace et la monstruosité de la faute. Et pourquoi en vint-il à l'avarice et au devoir de ne point en appeler au jugement des infidèles? Pour se conformer à son propre usage. Il a en effet coutume de tout rectifier en passant; comme quand, à propos des repas communs , il fait une digression sur les mystères. Ici donc, après avoir parlé des frères coupables d'avarice, dans sa vive sollicitude pour l'amendement des pécheurs, il. sort de son sujet, corrige une espèce de péché amené là par voie de conséquence, puis revient à sors premier objet. Ecoulons donc ce qu'il en dit : « Quelqu'un de vous ayant avec un autre un différend, ose l'appeler en jugement avant les injustes, et non devant les saints? » En attendant il s'exprime avec précision, en termes propres, il détourne, il accuse. Tout d'abord il n'infirme pas le jugement qui se rend devant les fidèles; il ne te fait entièrement disparaître , qu'après les avoir d'abord épouvantés de bien  des manières. Surtout, leur dit-il , s'il, faut un jugement,-qu'il n'ait pas lieu devant les injustes; mais il n'en faut absolument point.

Toutefois ceci ne vient qu'en dernier lieu ; en attendant il défend absolument de se faire juger au dehors. N'est-ce pas une absurdité, dit-il , que dans un différend avec un ami on prenne un ennemi pour arbitre? Comment n'êtes-vous pas honteux, comment ne rougissez-vous pas, quand un grec siége pour juger un chrétien ? Et s'il ne faut pas être jugé par les grecs dans des questions d'intérêts privés, comment leur confier des affaires plus importantes? Remarquez son expression : il ne dit pas : devant les infidèles , mais : « Devant les injustes» , employant le terme qui peut le mieux servir son but, afin d'inspirer de l'aversion. Car comme il est question de Jugement, et que ceux qui sont jugés exigent surtout dans les juges un grand respect pour l'équité, il part de là pour les éloigner des tribunaux profanes, en leur disant à peu près : où allez-vous? que faites-vous,. ô homme? Tout le contraire de ce que vous désirez ; car vous recourez à des hommes injustes pour obtenir justice. Et comme il eût été dur de s'entendre tous d'abord interdire le recours aux tribunaux, il n'en vient pas là du premier coup; il se contente de changer les juges, et d'amener. dans l'Eglise ceux qui devaient être jugés au dehors. Ensuite, comme la mesure pouvait n'inspirer que peu de confiance; surtout alors, parce que les juges, pour la plupart simples particuliers et ignorants, n'étaient probablement pas en état de bien comprendre et ne possédaient pas, comme les juges extérieurs, la connaissance des lois et l'art de parler; voyez comme il relève leur crédit, en les appelant tout d'abord des saints ! Mais comme ce mot n'indiquait que la pureté de leur vie et non les connaissances nécessaires pour instruire une cause, voyez comme il y supplée; en disant : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde? »

3. Mais vous qui devez un jour les juger, comment souffrez-vous maintenant d'être jugés par eux? Orles saints ne jugeront pas assis sur un tribunal et en demandent compte aux coupables, mais ils condamneront. C'est ce qu'il indique par ces mots : « Or, si le monde doit être jugé eu vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses? » Il ne dit pas : Par vous, mais « en vous » ; .comme quand Jésus-Christ dit : «La reine du Midi se lèvera et condamnera cette génération » (Matth. XII, 42); et encore: « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération ». (Ib. 41.) Quand en effet voyant le même soleil, jouissant des mêmes avantages, nous serons trouvés croyants et eux incrédules, ils ne pourront prétexter d'ignorance : car notre propre conduite les condamnera. On trouvera encore bien d'autres motifs de condamnation. Et pour qu'on ne croie pas qu'il a d'autres personnes en vue, voyez comme il parle pour tous : « Et si le monde est jugé parmi vous, êtes-vous indignes de juger. les moindres choses? ». Voilà, leur dit-il, qui-vous couvre de honte et vous imprime un immense déshonneur. Vous avez honte, à ce qu'il paraît, d'être jugés par vos frères , et la honte consiste au contraire à être jugé par ceux du dehors : car les jugements des premiers ont peu d'importance, et non ceux des seconds.

« Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Combien plus les choses du siècle? » Quelques-uns voient ici une allusion aux prêtres, Mais loin, loin cette interprétation ! Car il s'agit des démons. S'il eût en intention de (397) parler des mauvais prêtres, ce serait donc eux déjà qu'il aurait eus en vue plus haut, quand il disait: « Le monde est jugé par vous » ; puisque l'Ecriture donne souvent le nom de monde aux méchants; ensuite il n'eût point répété la même chose; et surtout ne l'eût point répétée sous forme de gradation. Mais il parle de ces anges dont le Christ a dit : « Allez au  feu qui a été préparé au diable et à ses anges » ( Matth. XXV, 41), et Paul : « Ses anges se transforment en ministres de justice ». (II Cor. XI, 45:) En effet si les puissances incorporelles nous sont trouvées inférieures, à nous qui sommes revêtus de chair, elles seront plus sévèrement punies. Que si on persiste à dire qu'il s'agit des prêtres , nous demanderons lesquels ? Sans doute ceux qui ont vécu entièrement à la façon des séculiers. Alors comment expliquer ces paroles : « Nous jugerons les anges : combien plus les choses du siècle? » où il distingue les anges des séculiers, et avec raison : puisque l'excellence de leur nature les place en dehors des besoins de cette vie.

« Si donc vous avez des différends touchant des choses de cette vie , établissez, pour les juger, ceux qui tiennent le dernier rang dans l'Eglise ». Par cette hyperbole , il veut nous apprendre qu'en aucun cas nous ne devons nous confier à ceux du dehors ; et il a déjà répondu d'avance à l'objection qu'il soulève.

Voici, en effet, ce qu'il entend : Quelqu'un dira peut-être qu'il n'y a personne parmi vous qui soit instruit et capable de juger, que vous êtes tous des hommes sans valeur. Qu'importe? Quand même vous n'auriez personne de savant, répond-il, confiez vos affaires aux plus petits. « Je le dis pour votre honte ». Ici il réfute l'objection, comme un prétexte inutile. Aussi ajoute-t-il : « N'y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Etes-vous si pauvres? Y a-t-il chez-vous si grande rareté 'd'hommes intelligents? Ce qui suit frappé encore plus fort ; car, après avoir dit,: n'y a-t-il parmi vous' aucun sage? il ajoute : « Qui puisse être juge entée ses frères? » Quand le litige est de frère à frère, l'arbitre n'a pas besoin d'une grandi, intelligence ni d'une grande habileté : l'affection, les relations de parenté aident singulièrement à la solution de telles difficultés: « Mais un frère plaide contre son frère, et  cela devant des infidèles!» Voyez-vous comme d'abord, dans un but d'utilité, il accusait les juges d'être injustes, et maintenant pour exciter la honte, il les appelle infidèles? C'est quelque chose de bien honteux qu'un prêtre même ne puisse pas rétablir l'accord entre des frères et qu'il faille recourir à des étrangers. En disant donc : « Ceux qui tiennent le dernier rang », il a plutôt voulu les piquer que prétendre élever au rang de juges des hommes sans valeur. Et la preuve qu'on doit confier cette fonction à des hommes capables, c'est qu'il dit: « N'y a-t-il donc parmi vous aucun sage?» Mais pour mieux fermer la bouche, il ajoute que, quand il n'y en aurait pas, il vaudrait mieux s'en remettre aux frères les moins intelligents qu'à des étrangers. Comment ne serait-il pas absurde que, dans une discussion domestique, on n'appelle aucun étranger , qu'on rougisse même d'est rien laisser transpirer dans le public ; et que dans l'Eglise, où est le trésor des mystères secrets; tout soit livré à des étrangers ! « Mais  un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » Double accusation : on plaide, et on plaide devant des infidèles. Si c'est déjà un mal en soi de plaider contre un frère, comment excuser celui qui le fait devant des étrangers? « C'est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous ». Voyez-vous comme il a réservé jusqu'ici de parler de ce mal et avec quel à propos il le guérit ! C'est leur dire :  Je ne dis pas encore que l'un fait tort et que l'autre le subit; par le seul fait qu'il y a procès, je les désapprouve tous deux, et en cela l'un ne vaut pas mieux que l'autre.

4. Quant à la justice ou à l'injustice de l'action judiciaire, on en traitera ailleurs. Ne dites donc pas: On m'a fait tort; dès que vous plaidez, je vous condamne. Mais si c'est un crime de ne pouvoir supporter une injure, à plus forte raison en est-ce un de la commettre. «Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés? Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt la fraude? Mais vous-mêmes vous lésez , vous fraudez, et cela à l'égard de vos frères ». Encore une fois double accusation, peut-être même triple, quadruple. La première : de ne pouvoir supporter celui qui vous fait tort; la seconde, de faire tort vous-même ; la troisième, de remettre le jugement à des hommes injustes; la quatrième, de faire cela à l'égard d'un. frère. Car ce n'est pas la (398) même chose de commettre un péché contre le premier venu ou contre un membre de sa famille. Car en ce dernier cas, l'audace est bien plus grande : Là, on n'outrage que la nature des choses; ici, on manque à la dignité même de la personne. Après les avoir ainsi fait rougir parles motifs ordinaires et, plus haut déjà, en. leur mettant les récompenses sous les yeux, il conclut son exhortation par la menace, et prenant un ton plus violent : « Ne savez-vous pas », leur dit-il, « que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu? ne vous abusez point ni les fornicateurs, ni les idolâtres; ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu ».

Que dites-vous, Paul? à propos des avares, vous faites. passer devant nous cette longue chine de prévaricateurs ? Oui , répond-il, mais je ne confonds rien et je procède par ordre. Comme à propos des fornicateurs, il a fait mention de tous les autres; ainsi fait-il encore à l'occasion des avares, pour accoutumer aux reproches ceux qui se sentent coupables de telles iniquités. A force d'avoir entendu parler du châtiment réservé aux autres, on est plus disposé à s'entendre adresser des reproches, quand il faudra travailler à combattre son défaut personnel. Et s'il menace, ce n'est point parce qu'il sait qu'ils le méritent, ni pour leur faire des reproches : ruais rien n'est plus propre à retenir et à contenir l'auditeur qu'un discours qui ne s'adresse point à lui directement, n'a pas de but déterminé et remue secrètement sa conscience. « Ne vous abusez point ». Ceci insinue que certaines personnes disaient alors ce que beaucoup disent aujourd'hui Dieu est clément et bon, il ne se venge pas des péchés : ne craignons rien ; il ne punira personne de quoi que ce soit. Voilà pourquoi il dit : « Ne vous abusez pas » . Car c'est une erreur extrême et une illusion d'espérer le bien et d'obtenir le mal, et de supposer en Dieu ce qu'on n'oserait pas même penser d'un homme. Aussi le prophète nous dit-il en son propre nom . « Tu as songé à mal, t'imaginant que je te ressemble : je te confondrai et je te mettrai tes iniquités sous les yeux ». (Ps. XLIX.) Et Paul dit ici : « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs (il place au premier rang celui qui avait déjà été condamné), ni les adultères, ni les efféminés, ni , les ivrognes; ni les médisants ne possèderont le royaume de Dieu ».

        Beaucoup ont blâmé ce passage comme trop dur, parce qu'il met l'ivrogne et le médisant au même niveau que l'adultère, le libertin et le sodomite. Or ces crimes ne sont pas égaux: comment leur châtiment peut-il l'être? A cela que répondrons-nous ? que l'ivrognerie et la médisance ne sont pas choses de peu d'importance : puisque le Christ a jugé digne de l'enfer. celui qui. traite son frère de fou:. Souvent la mort en a été la suite, et l'ivresse a fait commettre de très-graves péchés aux Juifs. Ensuite nous dirons que l'apôtre ne parle pas ici de châtiment, mais d'exclusion du royaume. L'un et l'autre sont donc également exclus. Mais qu'il y ait une différence dans le supplice de l'enfer, ce n'est pas ici le  lieu de traiter cette question, car ce n'est point là notre sujet. « C'est ce que quelques-uns de vous ont été; mais vous avez été lavés, mais de quels maux Dieu vous a délivrés, quelle bonté il vous a témoignée et prouvée par des faits; il ne s'est pas contenté de vous délivrer, il a poussé la bienfaisance beaucoup plus loin, il vous a purifiés. Est-ce tout? non : il vous a sanctifiés, et non-seulement sanctifiés; mais justifiés. Cependant vous délivrer de vos péchés, c'était déjà un grand don; et il y a ajouté d'innombrables bienfaits. Et tout cela s'est fait « au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ», non en celui-ci ou en celui-là , mais « dans l'esprit de notre Dieu ». Instruits de ces vérités, songeons, mes bien-aimés, à la grandeur du bienfait que nous avons reçu, persévérons dans une vie sage et régulière, restons exempts de tous les vices que nous avons énumérés,.fuyons les tribunaux profanes et conservons soigneusement la noblesse que nous tenons de la libéralité de Dieu. Comprenez quelle honte c'est pour vous d'être jugés par un grec.

5. Mais, direz-vous, si le fidèle est un juge inique? Pourquoi le serait-il, je vous le demande? Selon quelles lois juge le grec? selon quelles lois juge le chrétien? N'est-il pas clair que le premier juge selon les lois des hommes; et le second selon les lois de Dieu? C'est donc ici qu'on trouvera plutôt la justice , (399) puisque ces lois sont descendues du ciel. Devant les tribunaux profanes, outre ce que nous avons dit, il y a bien d'autres motifs de défiance: l'habileté des avocats, la corruption des juges et beaucoup d'autres choses qui détruisent la justice; mais ici rien de pareil. Mais, dira-t-on, si l'adversaire est puissant? Et c'est surtout alors qu'il faut chercher des juges chez nous : car ce puissant l'emportera nécessairement sur vous devant les tribunaux étrangers. Mais s'il n'y consent pas, s'il dédaigne nos propres jugements et nous traîne de force devant les infidèles? Le meilleur alors pour vous est de supporter avec patience .ce que la nécessité vous impose et de récuser le tribunal, pour obtenir la récompense. Car Jésus-Christ a dit : « À celui qui veut vous appeler en justice pour vous enlever votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau » (Matth. V, 40); et encore : « Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui ». (Ib. XXI.) Et pourquoi chercher des témoignages chez nous? Les chefs des tribunaux étrangers disent trés-souvent qu'il vaut mieux s'arranger que plaider.

Mais, ô richesses ! ou plutôt, ô absurde attachement aux richesses ! tu détruis tout, tu renverses tout; pour toi, tout le reste n'est que bagatelle et fable aux yeux de la foule. Que des séculiers assiégent les tribunaux, à cela rien d'étonnant; mais que beaucoup de ceux qui ont renoncé au monde en fassent autant, voilà qui n'est pas pardonnable. Si vous voulez savoir combien l'Ecriture condamne chez vous cet abus, et pour qui les lois sont faites, écoutez ce que dit Paul : « La loi n'est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les insoumis ». (I Tim. I, 9.) Or s'il a dit cela de la loi de Moïse, à plus forte raison des lois païennes. Si donc vous faites tort, vous êtes évidemment injuste : si vous êtes lésé et que vous le supportiez (ce qui est le caractère propre du juste), vous n'avez pas besoin des lois étrangères. Mais, dites-vous, comment puis-je supporter l'injustice ? Le Christ vous demande plus encore. Non-seulement, il veut que celui qui est lésé le supporte, mais encore qu'il se montre généreux à l'égard de son ennemi et triomphe de son mauvais vouloir par sa patience et sa libéralité. En effet, il ne dit pas : Donnez votre tunique à celui qui vous la dispute en justice ; mais: Donnez-lui encore votre manteau. Remportez la victoire sur lui, en supportant l'injustice, et non en rendant le mal pour le mal : voilà le vrai, le glorieux triomphe. C'est pourquoi Paul dit à son tour : «C'est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous; pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés ? »

Je vous ferai voir que celui qui supporte l'injure est plutôt vainqueur que celui qui ne la supporte pas. Ce dernier, en effet, est surtout battu quand il traîne son adversaire au tribunal et qu'il gagne son procès : car il a éprouvé ce qu'il voulait éviter : son adversaire l’a forcé à souffrir et à intenter une action. Après cela, qu'importe la victoire ? qu'importe que vous ayez tout l'argent? En attendant vous avez subi ce qui vous déplaisait : on vous a forcé à faire un procès. Si au contraire vous supportez l'injustice, même en perdant votre argent vous remportez la victoire , mais non une victoire selon leur sagesse : car votre adversaire n'a pu vous forcer à faire ce que vous ne vouliez pas. Et pour preuve de la vérité de ce que j'avance, dites-moi : le quel fut le vainqueur du jaloux ou de l'homme assis sur son fumier? Lequel fut vaincu, de Job qui avait tout perdu, ou du démon qui avait tout pris? Evidemment ce fut le démon, qui avait tout pris. A. qui accordons-nous l'admiration due -au triomphe, du démon qui frappait, ou de Job qui était frappé ? Evidemment à Job. Cependant il n'avait pu conserver sa fortune , ni sauver ses enfants. Et que parlé-je de fortune et d'enfants? Il ne peut pas même garantir son propre corps. Et pourtant il resta le vainqueur, lui qui avait tout perdu. Il ne put conserver sa fortune, mais il conserva toute sa piété. — Il ne vint point au secours de ses enfants mourants. — Qu'importe? leur malheur les a rendus plus glorieux, et il s'est aidé lui-même dans ses souffrances. S'il n'eût été maltraité et outragé par le démon , il n'aurait pas remporté cette magnifique victoire. Si c'était un mal de souffrir l'injustice, Dieu ne nous en eût pas donné l'ordre : car Dieu ne commande jamais le mal; et ne savez-vous pas qu'il est le Dieu de la gloire? qu'il n'a pas voulu nous livrer à la honte, à la dérision et à l’injustice, mais rapprocher les contraires? Voilà pourquoi il veut que nous supportions l'injustice, et met tout en oeuvre pour nous (400) détacher des choses du monde, et nous montrer où est la gloire et le déshonneur, la perte et le profit.

6. Mais, dit-on, il est dur d'être injurié et lésé. Non, ô homme, cela n'est pas dur. Jusqu'à quand serez-vous avide des biens présents,? Dieu ne vous eût pas commandé cela, si c'était un mal. Voyez un peu : Celui qui a commis l'injustice s'en va' avec son argent, mais aussi avec une conscience coupable ; celui qui a été lésé est privé de son argent, mais il a la confiance en Dieu, trésor mille fois plus précieux. Puisque nous savons cela, soyons sages par volonté et ne nous exposons point au sort des insensés qu’ils croient n'être pas lésés, quand ils le sont réellement par un tribunal. Tout au contraire, c'est là un très grand dommage; comme en général, quand nous ne sommes pas juges de nous-mêmes, mais par force et à la suite d'une défaite. Car il n'y a pas de profit à supporter la condamnation d'un tribunal, puisqu'on ne le fait que par force. Mais où est l'honneur de la victoire? A dédaigner cette démarche , à ne point plaider. Quoi ! direz-vous, on m'a tout pris, et vous voulez que je me taise? On' m'a fait tort, et vous m'exhortez à le supporter patiemment? Comment le pourrais-je ? Vous le pourrez très-facilement, si vous levez les yeux vers le ciel, si vous contemplez sa beauté, vous souvenant que Dieu a promis de vous y recevoir, dans le cas où vous supporteriez généreusement l'injustice. Faites-le donc, et en levant les yeux au ciel, songez que vous êtes devenu semblable à celui qui y est assis sur des chérubins., Car lui aussi a été accablé, d'injures et il les a supportées; il a été outragé et ne s'est point vengé ; il a été couvert de crachats et ne s'est point défendu ; mais il a fait tout le contraire, en comblant de bienfaits ceux qui l'avaient ainsi traité, et il nous a ordonné de l'imiter. Songez que vous êtes sorti nu du sein de votre mère ; que vous vous en retournerez nu, vous et celui qui vous a fait tort, ou plutôt qu'il s'en ira, lui, avec mille blessures engendrant les vers. Songez que les choses présentes sont passagères, comptez les tombeaux de vos aïeux, examinez bien ce qui s'est passé, et vous verrez que votre ennemi vous a rendu plus fort; car il a augmenté sa passion, l'amour de l'argent, et il affaiblit la vôtre en lui ôtant son aliment de bête fauve.

De plus il vous a débarrassé des soucis, des angoisses, de la jalousie des sycophantes, de l'agitation , du trouble , des craintes continuelles ; et il a entassé tous les maux sur sa tête; Mais, direz-vous, si je lutte avec la faim? Alors vous partagez le sort de Paul qui nous dit : « Jusqu'à cette heure nous souffrons la « faim et la soif, et nous sommes nus». (I Cor, IV, 2.) Il  souffrait pour Dieu, ajoutez-vous. Et vous aussi, car dès que vous ne vous vengez pas, vous agissez en vue de Dieu. — Mais celui qui m'a fait tort, vit avec les riches au sein des plaisirs. — Dites plutôt avec le démon; et vous vous êtes couronné avec Paul. Ne craignez donc pas la faim ; « car Dieu ne laissera pas périr de faim les âmes des justes ». (Prov. X, 3.) Et le psalmiste nous dit encore: « Jetez vos soucis dans le sein du Seigneur, et lui-même vous nourrira ». (Ps. LIV.) Car s'il nourrit les oiseaux des champs, comment ne vous nourrirait-il pas? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a. promis le royaume des cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents? Ne désirons pas le superflu, contentons nous du nécessaire , et nous serons toujours riches; cherchons le vêtement et la nourriture; et nous la recevrons et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je voudrais vous faire voir l'âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle est devenue poussière. Car voilà ce que c'est que le péché : pendant qu'on le commet, il procure un certain plaisir; une fois qu'il est commis, le plaisir disparaît et le chagrin succède. Voilà. ce que nous éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain : nous finissons par nous condamner nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d'autrui, nous goûtons de la satisfaction; mais viennent ensuite les remords de conscience.

Vous voyez un tel posséder la maison des pauvres? Pleurez, non sur la victime, ruais sur le voleur; le,voleur n'a pas donné le coup, il l'a reçu. Il a privé l'autre des biens présents; il s'est privé lui-même des biens éternels. Car si celui qui ne donné pas aux pauvres va en enfer, que sera-ce de celui qui les dépouille? Et que gagné-je, dites-vous, à souffrir l’injustice? Beaucoup. Ce n'est pas en punissant votre ennemi que Dieu vous dédommage: cela n'en vaudrait guère la peine. Que gagnerais-je, en effet, à ce que mon ennemi fût (401) malheureux comme moi? J'en connais pourtant beaucoup qui trouvent là une très-grande consolation, et se croient assez riches quand ils voient punir ceux qui leur ont fait tort. Mais ce n'est pas là que Dieu place votre récompense. Voulez-vous savoir lés biens qui vous attendent? II vous ouvre le ciel tout entier, il vous fait concitoyen des saints, il vous introduit dans leur assemblée, il vous absout de vos péchés, il vous ceint de la couronne de justice. Si en effet ceux qui pardonnent sont pardonnés, quelle, bénédiction n'est pas réservée à ceux qui non-seulement pardonnent, mais comblent leurs ennemis de bienfaits? Ne vous irritez donc point de l'injure , mais priez pour celui qui vous l'a faite ; vous travaillerez ainsi à votre profit. On vous a prïs votre argent? Mais on a pris aussi vos péchés; comme il arriva dans l'affaire de Naaman et de Giézi. Combien d'argent n'auriez-vous pas donné pour obtenir le pardon dé vos fautes? Eh bien ! cette faveur vous est accordée; si vous supportez courageusement l'injustice , si vous ne maudissez pas , vous êtes ceint d'une couronne magnifique. Ce n'est pas moi qui vous parle : vous avez entendu le Christ dire « Priez pour ceux qui vous font du mal » . Puis songez à la grandeur de la récompense: « Afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Matth. V, 46.) Vous n'avez donc rien perdu, mais vous avez gagné; vous n'êtes point lésé, mais couronné; vous êtes devenu plus sage ; vous voilà semblable à Dieu , débarrassé des soucis qui, s'attachent à l'argent, en possession du royaume des cieux. Par toutes ces considérations, ô mes bien-aimés, acceptons les injures en philosophes, afin de, nous délivrer du trouble de la vie présente, de secouer une tristesse inutile et d'obtenir le bonheur futur par la grâce et la bonté, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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