HOMÉLIE XXIV

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HOMÉLIE XXIV. AUCUNE TENTATION NE VOUS A ENCORE ÉPROUVÉS, SI CE N'EST UNE TENTATION HUMAINE ; DIEU EST FIDÈLE, ET IL NE SOUFFRIRA PAS QUE VOUS SOYEZ TENTÉS AU-DELA DE VOS FORCES, MAIS IL VOUS FERA TIRER AVANTAGE DE LA TENTATION MÊME AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER. (CHAP. X, VERS. 13, JUSQU'AU VERS. 25.)

 

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ANALYSE.

 

1. Dieu ne nous envoie pas des tentations au-dessus de nos forces. — De l'Eucharistie.

2. De la communion avec Jésus-Christ. — Beau développement sur l'union de la société chrétienne en Jésus-Christ.

3. Sainteté, puissance du corps de Jésus-Christ; mouvement chaleureux d'éloquence.

4. Images saisissantes qui prouvent avec quel respect on doit s'approcher de Jésus-Christ.

 

1. Il vient de leur inspirer une sage terreur, il vient de leur rappeler d'anciens exemples; il les a inquiétés en leur disant: « Que celui qui paraît ferme, prenne garde de tomber » ; on sait d'ailleurs qu'ils avaient supporté un grand nombre d'épreuves, qu'ils y avaient souvent trouvé des sujets d'exercices; car, dit l'apôtre lui-même, « tant que j'ai été parmi vous, j'y ai toujours été dans un état de faiblesse, de crainte et de tremblement » (I Cor. 11, 3); il s'ensuit que les Corinthiens auraient pu dire : pourquoi nous inspirer de la terreur, nous remplir de crainte ? nous ne sommes pas sans expérience des maux; nous avons été chassés ; nous avons souffert la persécution; nous avons couru sans trêve ni repos mille et mille dangers; et l'apôtre leur répond , pour réprimer leur orgueil : « Aucune tentation ne vous a encore éprouvés, si ce n'est une tentation humaine », c'est-à-dire, faible, de peu de durée, proportionnée à vos forces. Il appelle humain ce qui est petit; c'est ainsi qu'il dit : « Je vous parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ». (Rom. VI, 19.) Donc, ne vous exaltez pas, comme si vous aviez triomphé de la tempête ; vous n'avez pas encore vu le péril qui menace de mort, l'épreuve qui nous montre le glaive prêt à nous égorger. C'est ainsi qu'il disait aux Hébreux : « Vous n'avez et pas encore résisté, jusqu'à répandre votre sang, en combattant contre le péché». (Héb. XII, 4.) Que fait-il ensuite, après les avoir effrayés? Voyez comme il les redresse; il vient de leur persuader la modestie, et il leur dit : « Dieu est fidèle , et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ». Il y a donc des tentations qui ne se peuvent supporter? Quelles sont-elles? Toutes les tentations pour ainsi dire, car le pouvoir de supporter est dans la volonté de Dieu , qui se détermine selon nos propres dispositions. Aussi, pour nous prouver, nous montrer qu'il nous est impossible, sans le secours de Dieu, de supporter, non-seulement les tentations trop fortes pour nous, mais même les tentations humaines, dont il parle ici , Paul ajoute : « Il vous fera tirer avantage de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer ».

Même les tentations médiocres, je l'ai déjà dit, ce n'est pas par notre vertu propre que nous les supportons; même dans ces circonstances, nous avons besoin du secours de Dieu, pour les traverser et, avant de les traverser, pour en soutenir le choc; car c'est Dieu qui donne la patience, et qui procure la prompte délivrance ; ce n'est que par Dieu que la tentation se peut supporter; c'est ce que l'apôtre a indiqué par ces paroles : « Il fera que vous (450)  pourrez persévérer » ; l'apôtre attribue tout à Dieu. « C'est pourquoi , mes très-chers frères, fuyez l'idolâtrie (14) ». Il les traite encore une fois avec douceur, en leur donnant le nom de frères; et il se hâte de les affranchir de l'idolâtrie; il ne se borne pas à dire : retirez-vous de, mais, « Fuyez »; et il appelle l'idolâtrie par son nom; et ce n'est pas seulement à cause du scandale, qu'il ordonne de repousser l'idolâtrie, mais c'est que l'idolâtrie en elle-même est une peste qui fait des ravages. « Je vous parle comme à des personnes sages, jugez vous-mêmes de ce que « je dis (15) ». Il vient de parler d'une faute grave, il a chargé l'accusation de toute la gravité de ce nom, l'idolâtrie; pour ne pas exaspérer les fidèles par des discours insupportables, il leur livre ses paroles à juger, et c'est d'une manière obligeante qu'il leur dit : « Soyez juges; je vous parle »,dit-il, « comme à des personnes sages » ; langage d'un homme qui a toute confiance dans sa cause et dans son droit; de cette manière il fait l'accusé juge de l'accusation. Voilà qui relève l'auditeur; on ne lui impose ni ordre ni loi ; on le consulte, on a l'air d'attendre son jugement. Ce n'était pas ainsi que Dieu parlait aux Juifs insensés et frivoles ; il ne leur rendait pas toujours compte de ses prescriptions; il se contentait de leur dicter ses ordres. Ici, au contraire, parce que nous jouissons d'une liberté supérieure, on nous consulte, on nous parle comme à des amis. Je n'ai pas, dit-il, besoin d'autres juges; c'est à vous à décider de ce que je dis, c'est vous que je prends pour juges. « N'est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ (16) ? »

Que dites-vous, ô bienheureux Paul? C'est pour la confusion de l'auditeur, sans doute, qu'en rappelant les redoutables mystères , vous appelez calice de bénédictions, ce calice terrible, et fait pour inspirer la crainte? Oui certes , répond l'apôtre, car il ne s'agit pas d'une chose indifférente ; quand je dis « Bénédictions », je déploie tous les trésors de la bonté de Dieu , et je rappelle ses magnifiques présents. Nous aussi , nous passons en revue les ineffables bienfaits de Dieu, et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons ce calice, lorsque nous communions, lui rendant grâces d'avoir délivré le genre humain de l'erreur, d'avoir rapproché de lui ceux qui en étaient éloignés, d'avoir fait, des désespérés, des athées de ce inonde, un peuple de frères, de cohéritiers du Fils de Dieu. C'est pour rendre grâces de ces bienfaits et d'autres bienfaits du même genre, que nous nous approchons de Dieu. Quelle contradiction ne faites-vous pas voir, dit l'apôtre, ô Corinthiens, vous qui bénissez le Seigneur de vous avoir affranchis des idoles, et qui courez de nouveau à leurs festins. « N'est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ ? » Langage tout à fait con. forme à la foi, et en même temps terrible, car voici ce qu'il veut dire : ce qui est dans le calice, c'est précisément ce qui a coulé de son côté, et c'est à cela que nous participons. Et maintenant il l'appelle calice de bénédictions, parce que nous l'avons dans les mains, lorsque nous célébrons le Seigneur avec admiration et pénétrés de crainte en méditant sur ses dons ineffables, en le bénissant d'avoir répandu son sang pour nous tirer de l'erreur, et non-seulement de l'avoir répandu, mais de nous l'avoir, ce même sang, distribué à tous, comme s'il nous disait : Si vous désirez m'offrir du sang, n'ensanglantez pas les autels des idoles, en égorgeant des animaux; ensanglantez mon autel de mon propre sang. Quoi de plus fait que ce langage, pour inspirer la terreur, pour inspirer l'amour?

2. C'est ce que font ceux qui aiment, quand ils voient l'objet aimé, dédaignant leurs dons, préférer ceux des étrangers. Ils lui offrent ce qu'ils ont, afin de détacher son coeur de tous les autres présents. Mais les amants de ce inonde prouvent leur générosité en donnant de l'argent, des vêtements , des objets quelconques , personne ne donne son sang. Le Christ, au contraire, le donne, prouvant ainsi l'intérêt qu'il nous porte et l'ardeur de son amour. Dans l'ancienne loi, les hommes, étant plus loin de la perfection, offraient du sang aux idoles, et Dieu daignait agréer ce même sang pour les écarter des idoles. Cela même était la preuve d'un amour ineffable; mais il a fait plus, il a rendu l'oeuvre sacerdotale plus redoutable, plus auguste. Il a changé l'essence même du sacrifice, et, au lieu d'égorger des animaux, c'est lui-même qu'il a commandé d'offrir. « Le pain que nous rompons n'est-il pas la communion du corps du Christ? » Pourquoi ne dit-il pas: la participation ? C'est (451) pour exprimer quelque chose de plus, pour indiquer une intime union; car il n'y a pas seulement participation, partage, il y a union. De même que ce corps est uni au Christ, de même, nous aussi, par ce pain, nous sommes unis à Jésus-Christ même. Pourquoi ajoute-t-il: « Que nous rompons ? » C'est ce qui se pratique dans l'Eucharistie. Il n'en fut pas de même sur la croix; ou plutôt, ce fut tout le contraire, car, dit l'Écriture: « Pas un seul de ses os ne sera brisé ». (Nomb. IX, 12; Exode, XII, 46.) Mais ce que le Christ n'a pas souffert sur la croix, il le souffre dans l'oblation à cause de vous. Et il veut bien être rompu, afin de rassasier tous les hommes. Maintenant, après avoir dit : « La communion du corps », comme ce qui se communique, est différent de ce à quoi il se communique, l'apôtre veut encore faire disparaître cette différence, quelque légère qu'elle pût paraître. Il a dit: « La communion du corps »; il cherche une autre expression pour rendre une union encore plus intime; c'est pourquoi il ajoute . « Car nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et un seul corps (17) ».

Que parlé-je, dit-il, de communion? Nous sommes précisément ce corps même. Qu'est-ce que le pain? le corps du Christ. Que deviennent les communiants? le corps du Christ; non pas une multitude de corps, mais un corps unique. De même que le pain, composé de tant de grains de blé, n'est qu'un pain unique, de telle sorte qu'on n'aperçoit pas du tout les grains, de même que les grains y subsistent, mais impassible d'y voir ce qui les distingue dans la masse si bien unis; ainsi, nous tous ensemble; et avec le Christ, nous ne faisons qu'un tout. En effet, ce n'est pas d'un corps que se nourrit celui-ci, d'un antre corps que se nourrit celui-là; c'est le même corps qui les nourrit tous. Aussi l’apôtre a-t-il ajouté : « Parce que nous participons tous à un même pain ». Eh bien, maintenant, si nous participons tous au même pain ; et si tous nous devenons- cette même substance, pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, par la même raison, ne devenons-nous pas un même tout unique? C'est ce que l'on voyait du temps de nos pères : « Toute la multitude de ceux qui croyaient, n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ». (Act. IV, 32.) Il n'en est pas de même à présent; c'est tout le contraire. Des guerres innombrables, et sous toutes les formes, ne montrent que trop que nous sommes plus cruels que les bêtes féroces, pour ceux dont nous sommes les membres, et qui sont les nôtres. Et pourtant, ô homme, c'est le Christ qui est venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s'unir à toi; et toi, tu ne veux pas t'unir à ton frère ? Tu n'y mets pas l'empressement que tu devrais montrer; tu te sépares violemment de lui, après avoir obtenu du Seigneur une si grande preuve d'amour et la vie ! En effet, il n'a pas seulement donné son corps, mais, attendu que la première chair, tirée de la terre, était morte par le péché, il a introduit, pour ainsi dire , une autre substance, un autre ferment, c'est sa chair à lui, sa chair, de même nature que la nôtre, mais exempte du péché, sa chair pleine de vie, et le Seigneur nous l'a partagée à tous, afin que, nourris de cette chair nouvelle, et nous dépouillant de la première qui était morte, nous pussions entrer, par ce banquet, dans la vie immortelle.

« Considérez les Israélites selon la chair, ceux d'entre eux qui mangent de la victime immolée, ne prennent-ils pas ainsi part à l'autel (18) ? » Encore un effort, pour les amener par l'ancienne loi à l'intelligence de sa parole. En effet, comme ils avaient l'esprit beaucoup trop bas pour comprendre la sublimité de ses paroles, afin de les persuader, il les attaque par leurs vieilles habitudes. C'est avec raison que l'apôtre dit : « Israélites selon la chair », les chrétiens étant devenus israélites selon l'esprit. Voici ce qu'il veut dire aux fidèles; les esprits, même les plus épais, vous enseignent que ceux qui mangent de la victime immolée, prennent part à l'autel. Voyez-vous comme il leur montre que ceux qui semblaient parfaits, n'avaient pas la science parfaite? Eux qui ne savaient pas qu'en prenant part à la table dos idoles, ils entraient en amitié avec les démons; leurs relations les entraînant insensiblement. En effet, si , chez les hommes, participer au même sel, à la même table, est une occasion et un symbole d'amitié, c'est précisément ce qui peut arriver avec les démons. Quant à vous, observez qu'en parlant des Juifs, il ne dit pas qu'ils communiquent avec Dieu , mais « qu'ils prennent part à l'autel ». En effet, ce qui s'offrait autrefois sur l'autel devait être consumé par le feu. Pour le corps du Christ, il n'en est pas de même. (452) Qu'arrive-t-il donc? « C'est la communion du corps du Seigneur ». Ce n'est pas à l'autel, c'est au Christ lui-même que nous participons. Après avoir dit : « Ne prennent-ils pas ainsi part à l'autel? » il ne veut pas avoir l'air de dire que ces idoles aient un pouvoir quelconque, et soient capables de nuire. Voyez comme il fait justice de cette pensée , en ajoutant . « Est-ce donc que je veuille dire que ce qui a été immolé aux idoles, ait quelque vertu, ou que l'idole soit quelque chose (19) ? »

3. Voici ma pensée, dit l'apôtre : je ne veux que vous en détourner; je ne dis pas que les idoles puissent nuire en quelque chose, qu'elles aient une vertu , quelle qu'elle soit. Les idoles ne sont rien. Mais je veux que vous les preniez en mépris. Mais, me dira-t-on, si vous voulez que nous les prenions en mépris , pourquoi vous montrez-vous si jaloux de nous détourner des viandes qui leur sont offertes? C'est qu'on ne les offre pas à votre Dieu. « Ce  que les païens immolent », dit l'apôtre, « ils l'immolent au démon, et non pas à Dieu (20) ». Gardez-vous donc de courir chez vos ennemis. Si vous étiez le fils d'un roi, admis à la table de votre père, vous ne l'abandonneriez pas, pour la table des condamnés, de ceux qui sont aux fers dans les prisons; votre père ne le souffrirait pas; au contraire, il emploierait la violence pour vous en détourner, non que cette table pût vous nuire, mais parce qu'elle serait indigne , et de votre noblesse et de la table royale. En effet, ceux dont je parle, sont aussi des esclaves, des criminels, des infâmes, des condamnés dans les fers, réservés à un supplice insupportable, à des maux sans nombre. Comment donc ne rougissez-vous pas de ces honteux excès, de ces êtres serviles ? quand des condamnés dressent leurs tables, comment osez-vous y courir, et prendre votre part de leurs festins? Si je vous en éloigne, c'est que le but des sacrificateurs, c'est que la qualité des gens qui vous reçoivent, souille les mets qu'ils vous présentent. « Je désire que vous n'ayez aucune société avec les démons ». Comprenez-vous la tendresse inquiète d'un père? Comprenez-vous l'affection qu'exprime si éloquemment sa parole ? Je ne veux pas, dit-il, que vous ayez rien de commun avec eux.

Ensuite, comme il n'a fait jusque-là qu'exhorter, les esprits épais auraient pu se croire en droit de mépriser ses paroles; voilà pourquoi, après avoir dit. « Je ne veux pas»; après avoir dit: « Vous, soyez juges »; il émet une décision, il formule la loi : « Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et le calice des démons. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons (21) ». Ces seuls noms lui suffisent pour les détourner; par ce qui suit, il veut leur faire honte : « Est-ce que nous voulons irriter Dieu, en le piquant de jalousie? Sommes-nous plus forts que lui (22)?» C'est-à-dire, prétendons-nous essayer si Dieu est assez fort pour nous punir; voulons-nous l'irriter, en passant du côté contraire, en nous mettant dans les rangs de ses ennemis? Ces paroles rappellent une ancienne histoire, le péché des anciens parents. Voilà pourquoi il se sert de la parole que Moïse fit entendre autrefois contre les Juifs, quand il les accusait d'idolâtrie, et qu'il faisait ainsi parler Dieu : « Ils m'ont piqué de jalousie », dit le texte, « en adorant ceux qui n'étaient point Dieu, et ils m'ont irrité par leurs idoles ». (Deutéron. XXXII, 21.) Sommes-nous plus forts que lui? Comprenez-vous ce qu'il y a de terrible, de fait pour épouvanter, dans cette réprimande? Il les fait tressaillir en les réduisant ainsi à l'absurde; il les secoue fortement, et il rabaisse leur orgueil. Et pourquoi, me dira-t-on, n'a-t-il pas tout d'abord énoncé les idées qui étaient les plus capables de les écarter des idoles? C'est que son habitude est d'avoir recours à plusieurs preuves, de réserver les plus fortes pour les dernières, et d'emporter la conviction par la surabondance de ses moyens. Voilà pourquoi il commence par les malheurs moindres, il arrive ensuite à ce qu'il y a de plus funeste. Ajoutez à cela qu'en commençant par les paroles moins sévères, il prépare les esprits à recevoir le reste. « Tout m'est permis, mais tout n'est pas avantageux ; tout m'est permis, mais tout n'édifie pas (23). Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres (24) ».

Comprenez-vous ce qu'il y a là de sagesse achevée? Il était à croire que plus d'un se disait : Je suis du nombre des parfaits, je suis à moi, je suis maître de mes actions, et je ne me fais aucun tort en goûtant des mets qui me sont servis. Oui, répond l'apôtre, vous êtes parfait, je le veux, vous êtes maître de vous, j'en suis d'accord. Mais ce n'est pas là ce que vous devez considérer; considérez plutôt si ce (453) qui arrive, n'est pas de nature à vous nuire, de nature à scandaliser. Car il exprime ces deux pensées : « Tout n'est pas avantageux, tout n'édifie pas ». La première expression regarde l'intérêt personnel; la seconde l'intérêt des frères. L'expression « n'est pas avantageux », marque la perte encourue par celui qui fait mal ; l'expression « n'édifie pas », marque le scandale dont on est l'occasion pour ses frères. Aussi ajoute-t-il : « Que personne ne cherche sa propre satisfaction », pensée qu'il prouve partout, et dans tout le cours de sa lettre, et dans la lettre aux Romains, quand il dit : « Puisque Jésus-Christ n'a pas cherché à se satisfaire lui-même » (Rom. XV, 3); et. ailleurs encore : « Comme je tâche moi-même à plaire à tous en toutes choses, ne cherchant point ce qui m'est avantageux » (I Cor. X, 33); et ici encore, sans toutefois insister sur cette pensée. En effet, plus haut, il a prouvé et démontré abondamment qu'il ne cherche nulle part son intérêt, qu'il s'est fait Juif pour les Juifs; que pour ceux qui sont sans loi, il s'est montré comme s'il n'avait pas de loi ; qu'il ne s'est pas servi au hasard de sa liberté, de son pouvoir, qu'il a cherché l'intérêt de tous, qu'il s'est fait le serviteur de tous. Ici, il s'arrête, après quelques paroles qui lui suffisent pour rappeler tout ce qu'il a déjà dit. Eh bien donc, pénétrés de ces vérités, nous aussi, mes bien-aimés, veillons à l'intérêt de nos frères, conservons-nous dans l'unité avec eux; car c'est à cela que nous conduit ce sacrifice redoutable, et plein d'épouvante, qui nous commande la concorde, la ferveur de la charité, afin que, devenus comme des aigles, nous prenions notre essor jusque dans le ciel. « Partout où se trouvera le corps mort, les aigles s'assembleront ». (Matth. XXIV, 28.) C'est ainsi qu'il appelle son corps à cause de la mort qu'il a endurée : si ce corps ne fût pas mort, nous ne serions pas ressuscités. Quant aux aigles, c'est pour montrer la sublimité qui convient à quiconque s'approche de ce corps; celui-là ne doit avoir rien de terrestre, il ne doit ni s'abaisser, ni ramper, mais toujours tendre vers les hauteurs, y prendre son vol, fixer les yeux sur le soleil de justice, avoir la vue perçante; car c'est le festin des aigles et non des geais. Les aigles iront au-devant de lui, lorsqu'il descendra du ciel; je désigne par là ceux qui reçoivent dignement son corps, et cela est aussi vrai qu'il est assuré, que ceux qui le reçoivent indignement, subiront les derniers supplices.

4. Si on ne reçoit pas un roi comme une autre personne, et que dis-je d'un roi? s'il est vrai qu'on ne touche pas avec des mains souillées un vêtement de roi, fût-on même dans un lieu solitaire, seul, loin de tout témoin; et cependant un vêtement n'est autre chose qu'un tissu filé par des vers; si vous admirez la pourpre, et cependant ce n'est que le sang d'un poisson mort; toutefois, nul n'oserait y toucher, avec des mains souillées : eh bien, si l'on n'ose pas toucher, sans précaution, un vêtement d'homme, oserons-nous bien, quand c'est le corps du Dieu de l'univers, le corps immaculé, resplendissant de pureté, uni à cette ineffable nature divine, le corps par lequel nous sommes, par lequel nous vivons, par lequel les portes de la mort ont été brisées, les voûtes du ciel nous sont ouvertes, oserons-nous bien le recevoir avec d'indignes outrages? Non, je vous en prie, ne soyons pas homicides de nous-mêmes par notre impudence ; soyons saisis d'une sainte horreur, soyons purs en nous approchant de ce corps, et quand vous le verrez exposé à vos yeux, dites-vous à vous-même : c'est à ce corps que je dois de ne glus être terre et cendre, de ne plus être captif, mais libre; c'est par lui que j'espère le ciel, et les biens qui sont là-haut, en réserve pour moi, la vie immortelle, la condition des anges, l'intimité avec le Christ. Ce corps a été cloué sur la croix, ce corps a été déchiré par les fouets, la mort n'en a pas triomphé; ce corps, attaché à la croix, a fait que le soleil a détourné ses rayons; c'est par ce corps que le voile du temple a été déchiré, que les rochers se sont fendus, que la terre entière a été ébranlée; le voilà ce corps qui a été ensanglanté, percé d'une lance d'où ont jailli deux sources salutaires pour le monde, une source de sang, une source d'eau. Voulez-vous d'ailleurs en connaître la vertu, demandez-la à la femme, travaillée d'une perte de sang, qui n'a pas touché ce corps, mais rien que le vêtement; qui n'a pas touché le vêtement, mais rien que la bordure; demandez-la à la mer, qui a porté ce corps sur ses flots; demandez-la au démon lui-même, et dites-lui : D'où te vient cette plaie incurable? d'où vient que te voilà sans pouvoir? d'où vient que tu es captif? qui t'a saisi pendant que tu (454) fuyais? Et le démon ne vous répondra que ces mots : Le corps crucifié. C'est par lui que les aiguillons de l'enfer ont été brisés; par lui que les membres du démon ont été broyés, par lui que les principautés et les puissances ont été désarmées. « Et ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe, à la face du monde entier, après les avoir vaincues par sa croix ». (Colos. II, 15.)

Demandez-la à la mort, la vertu de ce corps, et dites-lui : D’où vient que tu n'as plus aiguillon ? d'où vient que la chaîne de tes victoires est rompue? d'où vient que tu n'as plus de nerfs? d'où vient que les jeunes filles et que les enfants te trouvent ridicule, toi qui faisais peur aux tyrans , toi que tous les justes redoutaient jusque-là? Et la mort dira: C'est à cause de ce corps. Car, lorsqu'on le crucifiait, alors les morts ressuscitèrent, alors la prison infernale fut défoncée, alors les portes d'airain furent brisées, et les morts furent libres, et les geôliers de l'enfer furent tous frappés de stupeur. Si ce supplicié eût été un homme ordinaire, c'est le contraire qui devait arriver ; la mort aurait été plus puissante ; mais non, ce n'était pas un homme ordinaire, et voilà pourquoi la mort fut brisée. Et de même qu'après avoir pris un aliment que l'on ne saurait digérer, il faut rendre, outre cet aliment, tout ce qu'on avait pris, de même a fait la mort. Ce corps qu'elle avait pris elle n'a pu le digérer, elle a dû le rejeter, et avec lui tous ceux qui étaient dans ses entrailles. Ce corps divin, dans le sein de la mort, la déchira douloureusement , jusqu'à ce qu'elle l'eût rendu. De là ce que dit l'apôtre: « En arrêtant les douleurs de l'enfer ». (Act. XI, 24.) Non, jamais femme dans les douleurs de l'enfantement, n'est tourmentée comme le fut la mort, quand le corps du Seigneur déchirait ses entrailles. Et vous savez ce qui arriva au dragon de Babylone , qui mangea et creva; c'est ce qui est arrivé à la mort. Car le Christ n'est pas sorti, par la bouche de la mort, mais par le ventre même ; par le milieu du ventre du dragon, crevé et déchiré. C'est ainsi qu'il est sorti de ses entrailles environné de splendeur, rayonnant de toutes parts, et il a pris son essor non-seulement jusqu'au ciel que nos yeux contemplent, mais jusque sur les hauteurs de son trône. Car il a enlevé son corps avec lui. Ce même corps, il nous l'a donné pour le posséder, pour nous en nourrir, preuve d'un ardent amour; car ceux que nous aimons d'un vif amour, nous voudrions les manger. C'est ainsi que Job disait, pour montrer l'amour que lui portaient ses serviteurs, que souvent ils témoignaient l'ardeur de leur affection pour lui, par ces paroles. « Qui nous donnera de sa chair, afin que nous en soyons rassasiés? » (Job, XXXI, 34.) C'est ainsi que le Christ nous a donné ses chairs, pour que nous en soyons rassasiés , pour s'assurer l'ardeur de plus en plus vive de notre amour.

5. Approchons-nous donc de lui avec ferveur, avec une charité brûlante , et fuyons l'éternel supplice. Plus nous aurons reçu de bienfaits, plus nous serons punis, si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de bonté. Ce corps était couché dans une crèche, et les mages lui ont apporté leur vénération. Des hommes sans foi , des barbares ont quitté leur patrie, leur maison ; ils ont fait un long voyage, et ils sont venus, avec crainte et tremblement, l'adorer. Imitons donc, au moins, des barbares, nous , citoyens du ciel. Ces hommes qui ne voyaient qu'une crèche , une cabane, rien qui ressemble à ce que vous voyez aujourd'hui, se sont approchés, tout saisis de respect et de crainte; et vous, ce n'est pas dans une crèche que vous l'apercevez, mais dans son sanctuaire; ce n'est pas une femme qui le tient, mais le prêtre , et le Saint-Esprit avec l'abondance de ses dons plane au-dessus du sacrifice. Vous ne voyez pas simplement comme ceux-là ce corps de vos yeux, mais vous en connaissez la puissance , vous n'ignorez rien de l'économie divine, vous n'ignorez rien des mystères accomplis par ce corps : on vous a tout appris avec soin, en vous initiant. Secouons donc notre assoupissement, et frissonnons ; élevons-nous bien au-dessus de ces barbares; montrons une piété qui les dépasse; gardons-nous, en nous approchant sans nous recueillir, d'amasser le feu sur notre tête. Ce que je dis, ce n'est pas pour que nous -refusions de nous avancer, mais pour que nous nous gardions bien de nous approcher sans recueillement. De même que l'absence de recueillement est dangereuse; de même il y a danger à négliger sa part du mystique banquet; c'est la faim, c'est la mort. Cette table donne à notre âme ses nerfs, à nos pensées le lien de leur union, le fondement de notre confiance; notre espérance, notre salut, notre lumière, notre vie.

 

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Si nous sortons de ce monde après la participation de ce sacrement, nous entrerons aven. une confiance entière dans le sanctuaire du ciel, comme si une armure d'or nous rendait invulnérables. Eh ! pourquoi parler de la vie à venir? La terre même, ici-bas, devient le ciel, par ce mystère. Ouvrez donc, ouvrez les portes du ciel, regardez: du ciel, ce n'est pas assez dire, mais du plus haut du ciel , et vous allez voir ce que je vous ai annoncé. Ce que les trésors du ciel, à sa plus haute cime, ont de plus précieux, je vais vous le montrer, couché sur la terre. Car s'il est vrai que, dans un palais de roi, ce qu'il y a de plus auguste, ce ne sont ni les murs, ni les lambris d'or, mais le roi sur, son trône, ainsi, dans le ciel même, c'est le roi. Eh bien ! vous le pouvez voir; aujourd'hui, sur la terre. Je ne vous montre ni anges, ni archanges, ni ciel, ni le ciel du ciel . C'est , de tout cela le Maître et Seigneur, que je vous montre. Comprenez-vous comment ce qu'il y a dans l'univers de plus précieux, vous le voyez sur la terre? et non seulement vous le voyez, mais vous le touchez : mais vous faites plus encore, vous vous en nourrissez, vous le recevez, vous l'emportez dans votre demeure? Purifiez donc votre âme, préparez votre esprit à recevoir ces mystères. Si vous aviez à porter un fils de roi , avec ses riches ornements, sa pourpre, son diadème, vous rejetteriez tout ce qu'il y a sur la terre; mais maintenant ce n'est pas le fils d'un roi mortel, c'est le Fils unique de Dieu lui-même que vous recevez, et vous ne frissonnez pas, répondez-moi , et vous ne répudiez pas tout amour des choses de ce monde ! Il ne vous suffit pas de cet ineffable ornement; vous avez encore des regards pour la terre, et vous soupirez après les richesses , et c'est de l'or que vous êtes épris ! Quelle pourrait être votre excuse? que direz-vous pour vous justifier? Ne savez-vous pas jusqu'où va, contre la pompe du siècle, l'aversion du Seigneur? N'est-ce pas pour cela qu'il est né dans une crèche, qu'il a pris pour mère une femme d'humble condition? n'est-ce pas pour cela qu'il répondit à celui qui lui parlait d'un abri: « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ? » (Matth. VIII, 20.) Et ses disciples? n'ont-ils pas suivi la même loi , logeant dans les maisons des pauvres; l'un, chez un cordonnier; l'autre, chez un couseur de tentes, et une marchande d'étoffes de pourpre? Ils ne recherchaient pas la magnificence de la maison , mais les vertus des âmes. Eh bien ! nous aussi, rivalisons avec eux, ne nous arrêtant pas devant la beauté des colonnes et des marbres; recherchons les demeures d'en-haut : foulons aux pieds, avec tout le luxe d'ici-bas, l'amour des richesses, concevons de hautes pensées. Si nous avons la sagesse , toute cette beauté n'est pas digne de nous, encore moins ces portiques et ces lieux de promenade. Aussi, je vous en conjure, embellissons notre âne, c'est là l'habitation que nous devons orner, que nous emporterons avec nous en partant, pour obtenir les biens éternels, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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