HOMÉLIE XXXVIII

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HOMÉLIE XXXVIII. JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L'ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ, QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L'AVEZ RETENU, COMME, JE VOUS L'AI ANNONCÉ. (CHAP. XV, VERS. 1.)

 

557

 

ANALYSE.

 

1 et 2. Explication littérale du texte de saint Paul. — Prudence de saint Paul, son habileté, dans les circonstances les plus délicates, à manier les âmes. — Importance capitale du dogme de la résurrection.

3 et 4 Discussion curieuse contre les Manichéens qui soutenaient que la mort de Jésus-Christ et la résurrection n'étaient que la mort du péché et la purification de l'âme.

5-7. De l'humilité de saint Paul ; exemple qu'il nous donne. — Contre le désespoir et la confiance exagérée, ces deux grandes causes de tous nos malheurs. — Sur ce qu'il y a d'insatiable dans l'âme humaine, et sur le bonheur de la pauvreté. — Opposition curieuse de ces deux derniers développements.

 

1. Il vient d'en finir avec les dons spirituels, il passe maintenant à la vérité qui est, de toutes les vérités, la plus nécessaire, à la résurrection ; sur ce point, les fidèles étaient atteints d'une maladie grave. Et de même que pour le corps, si la fièvre en saisit lés parties solides , les nerfs , les veines , les premiers éléments qui le constituent, il faut désespérer de la guérison, si l'on ne s'y applique avec lé plus grand soin; de même, pour leur salut, les fidèles couraient le plus grand danger. C'était aux éléments mêmes de la piété que le mal s'attaquait. Aussi Paul apportait-il un grand zèle à: les guérir. Il ne s'agissait plus de la conduite, des moeurs, du libertinage de l'un, de l'avarice de l'autre, de tel qui se montrait la tête couverte, mais de ce qui est le résumé de tous les biens; c'était sur la résurrection même qu'on était en dissentiment. Comme  toute notre espérance est là, c'est le point que le démon attaquait avec le plus d'acharnement, et tantôt il la   supprimait tout à fait, tantôt il disait qu'elle avait eu déjà lieu. Aussi Paul , écrivant à Timothée, appelle cette funeste doctrine , une gangrène, et flétrit ceux qui la propagent: « De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérite en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns ». (II Tim. II , 17, 18.) Quelquefois donc ils disaient cela, d'autres fois ils prétendaient qu'il n'y a pas de résurrection pour le corps, que la résurrection n'est que la purification de l'âme. Ce qui les portait à tenir de pareils discours, c'était la perversité du démon , jaloux , non-seulement de renverser la résurrection, mais de montrer que tout ce qui a été accompli pour nous n'est que fables. Si l'on avait pu persuader aux esprits qu'il n'y a pas de résurrection des corps, le démon aurait fini par persuader peu à peu que le Christ lui-même n'est pas ressuscité; de là, procédant méthodiquement, il aurait introduit la doctrine que le Christ n'a pas paru parmi nous, n'a pas fait ce qu'on lui attribue.

Telle est la malignité du démon , que Paul appelle un système « d'artifices » (Ephés. VI, 11), parce que le démon ne fait as paraître tout de suite ce qu'il veut qu'on approuve , il craint trop d'être convaincu de perfidie; il prend un masque, il a recours à des manoeuvres, comme un ennemi rusé qui veut entrer dans une ville , forcer les murailles, il a des conduits souterrains , cachés à tous les yeux, dont on ne peut se défier, afin de tromper la vigilance et d'assurer le succès de ses affreux (558) desseins. Aussi, trouvant toujours ses piéges ténébreux, toujours à la poursuite de ses criminelles embûches, cet admirable apôtre, ce grand homme disait : « Nous n'ignorons pas « ses desseins ». (II Cor. II, 11). Ici, en effet, Paul découvre toute la ruse du démon , il montre toutes ses machinations ; tout ce que le pervers médite et prépare, l'apôtre l'étale, il fait voir le tout dans tous les détails avec le plus grand soin. Voilà pourquoi ce qu'il place en dernier lieu , c'est cette, vérité capitale , la plus nécessaire de toutes, et qui renferme tous. nos intérêts. Or voyez là prudence du Maître : ce n'est qu'après avoir fortifié ses disciples , qu'après avoir mis les siens en sûreté, qu'il va plus loin, qu'il attaque les étrangers, qu'il leur ferme la bouche avec toute espèce d'autorité. S'il fortifie les siens, s'il les met en sûreté , ce n'est pas par des raisonnements, mais il s'appuie sur des faits déjà accomplis, qu’eux-mêmes ont acceptés, auxquels ils ont ajouté foi c'était un puissant moyen de les faire rentrer en eux-mêmes, et de lés contenir. S'ils voulaient dorénavant refuser leur foi , ce n'était plus a Paul mais à eux-mêmes qu'ils la refusaient; ils devaient s'en prendre à ceux qui avaient, les premiers , admis la foi nouvelle , et qui s'étaient transformés. Aussi commence-t-il par dire qu'il n'a pas besoin d'autres témoins de la vérité de sa parole que ceux mêmes qui ont été trompés.

Mais voici qui rendra mon discours plus clair, écoutez les paroles mêmes. Quelles sont ces paroles? « Je vais maintenant, mes frères, vous remettre devant les yeux l'Evangile que je vous ai prêché ». Voyez-vous, dès le début, la parfaite convenance? Voyez-vous, dès le début, comme il leur montre qu'il ne leur apporte aucune étrangeté, aucune nouveauté Remettre devant les yeux ce qui a déjà été mis devant les yeux et qui ensuite a été oublié, ce n'est que rafraîchir la mémoire. Il les appelle frères; et ce simple mot constitue, une démonstration anticipée , une démonstration. éloquente de la vérité qu'il soutient; car nous ne sommes frères que par l'incarnation de Jésus-Christ. S'il les appelle de ce nom, c'est pour les adoucir, pour les flatter, pour leur rappeler en même temps, d'innombrables bienfaits. Et ce qui suit confirme sa pensée. Qu'est-ce qui vient après? L'Evangile. Le point de départ de l'Evangile , l'Evangile tout entier c'est Dieu fait homme, crucifié , ressuscité. C'est ce que Gabriel annonça à la Vierge, c'est ce que les prophètes annoncèrent à toute la terre, c'est ce qu'ont annoncé, à leur tour, tous les apôtres. « Que je vous ai, prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu, comme je vous l'ai annoncé, et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi (2) ».Voyez-vous comme il les prend pour témoins de ses paroles? Et il ne dit pas: Que vous avez entendu, mais, « que vous avez reçu »; il leur redemande., pour ainsi dire, un dépôt, et il leur montre que ce n'est pas seulement un discours entendu ; que des actions, des signes, des prodiges les ont décidés à le recevoir, de manière à le conserver fermement.

2. Ensuite, après le rappel du passé, vient l'assertion relative au présent : « Dans lequel  vous demeurez fermes»; l'apôtre se saisit des fidèles; il prévient,leur résistance, ils auraient, beau vouloir, impossible à eux d'opposer une négation: Voilà pourquoi il ne, dit pas en commençant : Je viens vous. apprendre, mais: « Je vais vous remettre devant les yeux » ce que vous connaissez déjà. Mais comment peut-il dire, de ceux qui bronchent, qu'ils demeurent fermes? Il fait semblant de ne pas voir, et c'est de l'habileté : c'est une conduite analogue qu'il tient avec les Galates, seulement il y a une différence. Avec les Galates il ne peut pas feindre d'ignorer, il a recours à un autre: langage : « J'ai confiance dans le Seigneur, que vous n'aurez point d'autres sentiments » (Gal. V, 10); il ne dit pas : Que vous n'avez point eu d'autres sentiments; leur faute était avouée ; manifeste, mais il garantit l'avenir; sans doute l'avenir est incertain, mais ce qu'il en dit, c'est pour entraîner les fidèles. Ici, avec les Corinthiens, il fait semblant de ne pas savoir: « Dans lequel vous demeurez fermes». Suit la considération de l'utilité; « et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu comme je vous l'ai annoncé ». C'est pourquoi l'enseignement d'aujourd'hui n'est qu'exposition et interprétation. En effet, c'est une doctrine que vous n'avez pas besoin d'apprendre, mais seulement de vous rappeler, afin de vous redresser. Ces paroles, c'est pour les rappeler à leur devoir. Mais que signifie : « comme je vous l'ai annoncé ? » De la manière, dit-il, dont je vous ai annoncé la résurrection. Je ne prétends pas que vous doutiez (559) de la résurrection, mais peut-être voulez-vous savoir plus clairement ce qui a été dit. C'est une explication que je veux encore vous donner : car je sais que vous avez conservé le dogme. Ensuite , comme il leur avait dit : « Dans lequel vous demeurez fermes», pour prévenir la négligence où cet éloge les porterait, il leur inspire un sentiment de crainte, en leur disant : « Si vous l'avez retenu , et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi » ; il leur montre par là que le coup serait mortel, qu'il ne s'agit pas de dogmes quelconques , mais de l'essence même de la foi.

En ce moment , il parle à mots couverts, mais à mesure qu'il avance , qu'il s'échauffe, il se découvre, il met à nu sa pensée, il parle à haute et intelligible voix, il crie: « Si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi (14) », vous êtes; encore dans vos péchés. Mais, au début, il ne s'exprime pas de cette manière; il était bon de commencer doucement et de ne s'avancer que pas à pas. « Car je vous ai transmis d'abord ce que j'ai reçu (3) ». Ici même, il ne dit pas, je, vous ai dit, ni je vous ai enseigné, mais il se sert encore de l'expression : « je vous ai transmis ce que j'ai reçu ». Et il ne dit pas qu'il a été instruit, mais, « ce que j'ai reçu » : cette manière de parler s'explique par une double intention; d'abord on ne doit rien introduire de son fonds particulier dans l'enseignement ; ensuite, la démonstration de la vérité se faisant par, les oeuvres, c'est là ce qui a dû opérer en eux la. certitude, et ils ne la doivent pas seulement . des paroles; puis, peu à peu, rendant son discours de plus en plus digne de foi, il rapporte le tout au Christ, et il montre qu'il n'y arien, dans ces dogmes, qui appartienne à l'homme. Mais que signifie , « car je vous ai transmis d'abord ? » C'est-à-dire, dès le commencement, ce n'est pas seulement d'aujourd'hui. Il prend le temps à témoin, et ce serait le comble de la honte, après avoir cru si longtemps, de renoncer maintenant à la foi ; cette raison n'est pas la seule de plus, le dogme est nécessaire; voilà pourquoi il a été transmis. dès le début, et tout de suite, et d'abord. — Et qu'avez-vous transmis? Répondez-moi. — L'apôtre ne le dit pas tout de. suite, mais d'abord, « ce que j'ai reçu ». Et qu'avez-vous reçu? « Que Jésus-Christ est mort pour nos péchés». Il ne dit pas tout de suite qu'il y a une résurrection de nos corps, mais c'est l'affirmation même qu'il prépare de loin , et par un moyen détourné, « que Jésus-Christ est mort» ; il commence par jeter le grand et ferme et solide fondement de son discours sur la résurrection. Car il. ne se contente pas de dire que Jésus-Christ est mort, quoique ces simples,paroles eussent été suffisantes pour rendre manifeste la résurrection, mais il ajoute: «que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ».

Avant tout, il est bon d'entendre sur ce sujet ces manichéens malades, ennemis de la vérité, ces adversaires armés contre leur propre salut. Donc que disent-ils? Par mort, à les en croire, Paul n'entend pas autre chose que l'état de péché, et la résurrection n'est que l'affranchissement du péché. Voyez-vous la faiblesse de l'erreur? comme elle fournit elle-même des armes contre elle? comme il est peu besoin de forces étrangères, comme elle se transperce elle-même? Voyez donc, considérez comme ils se transpercent eux-mêmes par les discours qu'ils tiennent. Si c'est là ce qu'il faut entendre par mort, si le Christ n'a pas revêtu dé corps, comme vous le prétendez, s'il est mort, le Christ a été en état de péché, à vous entendre. Voici, moi, .ce que je soutiens, à savoir, qu'il a pris un corps, et je dis que la mort est le fait de la chair : or vous le niez, il vous faut donc nécessairement dire qu'il était dans le péché. Or s'il était dans le péché, comment a-t-il pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché?» (Jean VIII, 46) et encore : « Le prince de ce monde va venir, quoiqu'il n'ait rien en moi qui lui appartienne ». (Id. XIV, 30); et encore : « C'est ainsi que nous devons accomplir toute « justice». (Matth. III, 15.) Or comment est-il mort pour les pécheurs, si lui-même était un pécheur? Celui qui meurt pour les pécheurs, ne doit être soumis à aucun péché : car s'il est lui-même un pécheur, comment pourra-t-il mourir pour les péchés des autres? Au contraire, s'il est mort pour les péchés des autres, il est mort, n'étant lui-même soumis à aucun péché; mais s'il est mort, étant sans péché, il n'est pas mort par le péché, (comment cela. se pourrait-il, puisqu'il n'avait aucun péché?) mais il est mort par son corps. Aussi Paul ne dit pas seulement : « Est mort », mais il ajoute : « pour nos péchés ». Et après les avoir contrainte, quelque dépit qu'ils en aient, de (560) reconnaître la mort corporelle, en montrant qu'avant la mort il était sans péché, (car mourir pour les péchés des autres entraîne nécessairement cette conséquence que l'on est sans péché,) l'apôtre n'est pas encore content, il ajoute : « Selon les Ecritures » ; nouvelle preuve à l'appui de son discours, et qui marque de quelle mort il entend parler. Car les Ecritures parlent partout de la mort du corps : « Ils ont percé mes mains et mes pieds » (Ps. XXI, 17) ; et: « Ils verront celui qu'ils ont percé». (Jean, XIX, 37.)

3. On peut voir un grand nombre d'autres passages, pour ne pas les énumérer tous un à  un, exprimant soit par des paroles, soit par des figures, et que c'est la chair quia été meurtrie, et que le Christ est mort pour nos péchés. « C'est pour les péchés de mon peuple», dit le prophète, «qu'il est mort », et « le Seigneur l'a livré pour nos péchés », et « il a été percé de plaies pour nos péchés ». (Is. LIII, 8, 6, 5.) Si vous ne voulez pas de l'Ancien Testament, entendez la voix de Jean qui vous crie, qui vous montre les deux choses à la fois, et le corps meurtri, et la cause de la mort. « Voici », dit-il, « l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jean I, 29) ; et Paul disant «Celui qui ne connaissait pas le péché, il l'a rendu pour nous le péché, afin que nous devenions la justice de Dieu en lui » ( II,Cor. V, 21) ; et encore : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant rendu pour nous malédiction » (Gala III , 13) ; et encore : « Et avant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées en triomphe » (Coloss. II, 15) et combien d'autres, passages, qui montrent et que c'est le corps qui à été meurtri, et qu'il l'a été pour nos péchés: C'est le Seigneur lui-même qui dit : « Je me sanctifie moi-même pour vous » (Jean, XVII, 19); et: « Le prince de ce monde est déjà condamné » (Id. XVI, 11), pour montrer que le Christ a été mis à, mort, quoique sans- péché. «Qu'il a été enseveli. (4) ». Nouvelle preuve à l'appui de ce qui précède; car ce qu'on ensevelit, est nécessairement un corps. Ici, l'apôtre n'ajoute plus: Selon les Ecritures; il pouvait le faire assurément, mais il ne le fait pas. Pourquoi? ou bien par la raison que lé sépulcre de Jésus-Christ était alors, comme aujourd'hui, un monument public, manifeste, ou bien parce que l'observation : « Selon les Ecritures » s'applique à tout.

Pourquoi donc ajoute-t-il en cet endroit « Selon les Ecritures ? et qu'il est ressuscité, le  troisième jour, selon les Ecritures? » pourquoi ne se contente-t-il pas de l'observation une fois pour toutes? C'est parce que la résurrection , au troisième jour;. était un fait incertain pour le grand nombre. Voilà pourquoi, ici encore, l'apôtre cite les Ecritures, et en cela il. est inspiré de la sagesse divine. Pourquoi en ce qui concerne la mort, ne les mentionne-t-il pas? C'est que le crucifiement état, pour tous; un fait avéré; la croix, tous l'avaient vue, tous ne voyaient pas de même là cause de la mise en croix. Que le Christ fût mort, tous le savaient, mais qu'il eût souffert pour les péchés de tous, c'est ce que la multitude ne savait pas également bien. Voilà pourquoi l'apôtre cite le témoignage des Ecritures: Mais c'est ce que nous avons  déjà suffisamment démontré. Or; dans quels passages les Ecritures ont-elles annoncé la sépulture et la résurrection au troisième jour? par la figure de Jonas que le Christ lui-même rappelle en disant. « Comme Jonas fut trois jours et. trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le coeur de la terre ». (Matth. XII, 40.) Par le buisson ardent du désert (Exode III) : de même que ce buisson brûlait sans se consumer, de même le corps du Sauveur subit la mort, mais ne fut pas retenu par la mort. Autre image encore: le dragon de Daniel (Daniel XIV) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata: par le milieu du corps; ainsi l'enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita.

Si maintenant. vous tenez à entendre des paroles expresses après. des figures, écoutez Isaïe : « Sa vie est arrachée à la terre, et le Seigneur veut le purifier de la plaie, pour lui montrer la lumière », (Isaïe, LIII, 8, 10). Et David, avant Isaïe : « Vous ne laisserez point  mon âme dans l'enfer, et ne souffrirez point  , que votre saint éprouve la corruption ». (Ps. XV, 10). Et si Paul, à son tour, vous renvoie aux Ecritures, c'est pour vous faire savoir, que ces choses n'ont pas été faites au hasard ; et sans dessein. Pourrait-on le penser, après tant d'images des prophètes qui proclament que l'Ecriture n'entend nulle part la mort du péché, quand elle parle de la mort du Seigneur, mais qu'elle annonce la mort du corps, (561) la sépulture, la résurrection, telle qu'on vous l'a enseignée? « Qu'il s'est fait voir à Céphas (5) ». L'apôtre nomme tout de suite celui qui est de tous le plus digne de foi. « Puis aux douze apôtres. Qu'après il a été vu en une seule fois de plus de cinq cents frères, dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui, et quelques-uns sont endormis ; qu'ensuite il s'est fait voir à Jacques, puis à tous les apôtres; et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton (6, 7, 8) ». Après la démonstration qui se fait par le moyen des Ecritures, il ajoute la démonstration par les faits, il cite comme témoins de la résurrection, après les prophètes, les apôtres et les autres fidèles. S'il eût pensé que cette résurrection ne fut que l'affranchissement du péché, il eût été inutile de dire que Jésus-Christ fût vu de celui-ci, de celui-là. Les yeux n'ont pu voir que le corps ressuscité, et non l'affranchissement du péché.

4. Voilà pourquoi l'apôtre ne s'est pas contenté de dire une fois seulement : « Il a été vu », quoiqu'il eût pu se borner à le dire une fois pour toutes; mais ici Il répète deux et trois fois cette expression, autant de fois presque qu'il y a eu d'apparitions différentes. « Qu'il s'est fait voir », dit-il, « à Céphas ; il a été vu en une seule fais de plus de cinq cents frères ; il s'est fait voir à moi-même ». Cependant l'Evangile dit , au contraire , qu'il s'est fait voir d'abord à Marie. C'est qu'il n'est question ici que des hommes , et Jésus-Christ s'est montré d'abord à celui qui désirait le plus de le voir. Mais quels sont ces douze apôtres dont il parle ? Car ce ne fut qu'après l'ascension que Matthias fut mis au rang des apôtres, ce ne fut pas aussitôt après la résurrection. Mais il est vraisemblable que le Seigneur se fit voir même après l'ascension. Donc Matthias fut nommé apôtre après l'ascension, et vit Jésus, ressuscité. Voilà pourquoi Paul ne distingue pas les temps, et se borne à énumérer indistinctement les apparitions il est vraisemblable qu'il y en eut un grand nombre Voilà pourquoi Jean disait: Ce fut la troisième fois qu'il se manifesta. Qu'après il a été vu (1).  Epano pentakoisis adelphois. Quelques interprètes expliquent cet epano, comme il suit : Jésus-Christ s'est fait voir, aux cinq cents frères, du

 

1. La phrase grecque présente, à cause de cet ‘Epano , un double sens que la traduction ne peut rendre.

 

haut des cieux, non plus marchant sur la terre, mais d'en haut, sur leurs têtes, c'est ainsi qu'on l'a vu. En effet, le Christ ne voulait pas faire croire à sa résurrection seulement mais aussi à son ascension. D'autres interprètes expliquent le même mot par « à plus » de cinq cents frères. « Dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui ». Quoique je vous raconte, dit-il, des faits anciens, j'ai pourtant des. témoins encore vivants. « Et quelques-uns sont endormis ». Il ne dit pas : Sont morts, mais : « Sont endormis » ; expression choisie pour confirmer la résurrection. «Qu'en« suite il s'est fait voir à Jacques », c'est-à-dire, je crois, à son propre cousin germain : c'est Jésus-Christ lui-même qu'on rapporte lui avoir imposé les mains, l'avoir ordonné, avoir fait de lui- le premier évêque de Jérusalem. «Ensuite à tous les apôtres ». Car; outre les douze, il y en avait d'autres; les apôtres étaient environ au nombre de soixante-dix. « Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ». Parole pleine de modestie. Ce n'est pas parce que Paul était le moindre de tous, que le Sauveur ne se fit voir à lui qu'en dernier lieu. Bien qu'il ait été appelé le dernier, on l'a vu bien plus éclatant de gloire que le grand nombre de ceux qui l'ont précédé, ce n'est pas assez dire, plus illustre qu'eux tous. Les cinq cents frères n'étaient pas meilleurs que Jacques, bien qu'ils aient vu le Christ avant lui.

Et pourquoi ne s'est-il pas fait voir à tous en même temps? Il voulait jeter d'avance les semences de la foi. Celui qui vit Jésus le premier, et qui fut bien certain de l'avoir vu, en porta la nouvelle aux autres : à ce récit, les auditeurs étaient dans une grande attente du miracle, et la foi se préparait avant la réalité de l'apparition. Voilà pourquoi le Sauveur ne se montra pas à tous en même temps, ni d'abord au grand nombre, mais pour commencer, à un seul, à celui qui était le chef de tous, et le plus. fidèle. Car il fallait que ce fût l'âme la plus fidèle qui reçût la première cette vision, c'était tout à fait nécessaire. Ceux qui l'apercevaient après d'autres, et à qui d'autres l'avaient annoncée, ceux-là, préparés par le témoignage des autres, y trouvaient un grand secours pour leur foi., leur âme était prévenue, disposée : quant au premier jugé digne de recevoir cette vision, il avait grand besoin, je (562) l'ai déjà dit, d'une foi inébranlable pour n'être pas bouleversé d'une apparition si incroyable. Voilà pourquoi c'est à Pierre que le Sauveur apparaît en premier lieu. C'était lui qui le premier avait confessé le Christ, il était juste qu'il fût le premier témoin de sa résurrection. Mais ce n'est pas pour cette raison qu'il n'apparaît qu'à lui seul, en se montrant à lui le premier. Pierre l'avait renié ; pour lui ménager une consolation abondante , pour lui prouver qu'il n'est pas rejeté , le Sauveur l'honore avant tous les autres en se faisant voir à lui, et il est le premier à qui il remet ses brebis. Voilà aussi pourquoi les femmes furent les premières à qui il se montra. Ce sexe avait été abaissé, voilà pourquoi, dans la naissance et dans la résurrection du Sauveur, c'est la femme qui éprouve la première les effets de la grâce. Ensuite il se montre à Pierre, et séparément à chacun, et tantôt à un petit nombre, tantôt à de plus nombreux ; il veut qu'ils se servent réciproquement de témoins et de maîtres sur ce point, et il confirme la foi que méritent les paroles des apôtres.

« Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ». Que signifient ces paroles pleines d'humilité, quel en est l'à-propos ? Car s'il veut se rendre digne de foi, se mettre au nombre des témoins de la résurrection, il fait le contraire de ce qu'il prétend; il devrait s'élever, montrer sa grandeur, ce qu'il fait souvent quand les circonstances l'exigent. S'il parlé ici avec modestie, c'est précisément parce qu'il va s'exalter; mais il ne se célébrera pas tout de suite, il y met la prudence convenable. Ce n'est qu'après des paroles modestes et beaucoup d'accusations entassées sur lui-même , qu'il prend un fier langage. Pourquoi? C'est qu'il faut, quand il aura dit de lui quelque chose de grand et de magnifique, comme: «J'ai travaillé plus que tous les autres », qu'on accepte ses paroles comme une conséquence nécessaire de son discours ; il ne faut pas qu'on voie un parti pris d'avance. C'est ainsi qu'en écrivant à Timothée, avant de parler de lui-même avec fierté, il s'accuse. (I Timothée, I, 12 seq.) Quand on n'a qu'à louer les autres, on peut parler sans crainte en toute sécurité , quand il faut, au contraire, qu'on se loue soi-même, et surtout en appuyant ses éloges sur son propre témoignage, c'est alors qu'on doit avoir honte et rougir. Aussi le bienheureux Paul commence par exprimer sa misère avant de célébrer sa grandeur. Il a d'ailleurs une autre raison; l'éloge qu'on fait de soi, est odieux ; sa modestie corrige ce que l'éloge a d'insupportable, et rend tout son discours plus digne de foi. Car en rapportant avec véracité sa propre honte, en ne cachant rien, comme les persécutions qu'il a exercées contre l'Eglise, ses efforts pour renverser la foi, il met à l'abri de tout soupçon ce qu'il y a d'honorable pour lui dans les oeuvres qu'il rappelle.

5. Et voyez l'excès d'humilité : après avoir dit : « Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même », il ne s'est pas contenté de ces paroles ; « car beaucoup », dit l'évangéliste, « qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ». (Matth. XIX, 30.) Voilà pourquoi il ajoute : « Qui ne suis qu'un avorton ». Et il ne s'arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu'il porte sur lui-même , et qu'il motive : « Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, a parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu (9) ». Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l'ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu'il vent faire entendre. S'il avait dit d'emblée : « Vous devez m'en croire, le Christ est ressuscité ; je l'ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que. c'est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d'être accusé ; il retranché ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l'ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu'il est le dernier, qu'il est indigne du titre d'apôtre, mais il dit pourquoi : « Parce que j'ai persécuté l'Eglise ». Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés; en les rappelant, il tient à montrer l'abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : «Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (10) ». Voyez-vous encore cette preuve insigne d'humilité? Les fautes, il se les attribue; les bonnes oeuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c'est à Dieu qu'il rapporte (563) tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l'auditeur dans le relâchement; aussi dit-il : « Et sa grâce n'a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l'humilité; il ne dit point : J'ai montré un zèle ardent qui. méritait la grâce, mais : « Elle n'a point été stérile, mais j'ai travaillé plus que tous les autres ».

Il ne dit pas : J'ai été honoré, mais : « J'ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu'il avait su affronter; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l'humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu; il dit : « Non pas moi  toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s'il en prononcé une seule qui l'élève, alors même il ne s'attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l'orgueil de ce qu'il n'a dit pourtant qu'à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l'abondance, les flots de paroles qui expriment l'humilité. En effet, « et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même »; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui; et, « qui « ne suis qu'un avorton » , il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n'est. pas tout : il ne veut pas afficher l'humilité en paroles , il donne des raisons, il démontre qu'il n'est qu'un avorton, puisqu'il a été le dernier à voir Jésus, qu'il est indigne du titre d'apôtre, puisqu'il a persécuté l’Eglise. Telle n'est pas la conduite de celui dont l'humilité n'est qu'une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d'humilité, prouve la contrition de son coeur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l'expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui. m'a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu'il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (I Tim. I, 12, 13.) Mais pourquoi cette fière parole : « J'ai travaillé plus que tous les autres? » La circonstance le contraignait. S'il ne l'eût pas dite, s'il n'eût fait que se rabaisser, comment. aurait-il pu trouver assez d'assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle , voilà ce que nous prêchons (11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu'il a travaillé plus que les autres, il l'a prouvé plus haut, en disant : « N'avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les: autres apôtres? » Et encore : « J'ai vécu avec ceux qui n'avaient pas de loi, comme si je n'eusse point eu de loi». (I Cor. IX, 4, 21.) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres; fallait-il savoir user de condescendance , il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D'où il est manifeste qu'il avait reçu plus de grâces. Car s'il a plus travaillé, c'est que la grâce en lui était plus abondante; et s'il a reçu plus de grâces, c'est qu'il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l'ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu'à montrer qu'il est le premier de tous?

6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes oeuvres sous silence; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C'est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu'il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l'a sauvé , et après l'avoir sauvé , a fait de lui ce qu'il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l'homme vertueux s'abandonne à la confiance; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L'indolence ne suffit pas pour que l'on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple; le voilà, pour s'être un peu endormi, tombé d'une chute grave; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C'est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l'indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l'indolent (564) : « Que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber » (I Cor. X, 12) ; quant au désespéré, le psalmiste lui dit « Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs ( Ps. XCIV, 8) » ; et Paul encore : « Relevez donc vos mains languissantes , et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Hébr. XII, 12.) .

Aussi, lorsque le fornicateur est touché de repentir, l'apôtre s'empresse de l'encourager, pour l'arracher à l'excès de sa morne tristesse: — D'où vous viennent donc vos angoisses pour les autres sujets, ô hommes ! La tristesse n'est utile qu'au pécheur ; si, même alors, l'excès en est funeste, à bien plus forte raison dans les autres sujets. D'où viennent vos chagrins? De ce que vous avez perdu de . l'argent?, Mais considérez donc ceux qui n'ont pas même assez de pain pour se rassasier,et vous recevrez la plus prompte des consolations de vos maux. Au lieu de déplorer chacun des accidents qui font votre peine, rendez des actions de grâces pour tous ceux qui ne vous arrivent pas. Vous avez eu de l'argent, et volis l'avez perdu? Ne versez pas de larmes sur votre perte, mais rendez grâces à Dieu pour le temps pendant lequel vous avez possédé. Dites avec Job : « Si nous avons reçu les biens de la main du Soigneur, pourquoi n'en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job. II, 10.) Faites encore la réflexion suivante : Vous avez perdu de l'argent, mais en attendant vous avez la santé; vous n'avez pas, pour vous lamenter , à joindre à votre pauvreté les infirmités de votre corps. Mais ce n'est pas tout : votre corps aussi a souffert? Mais ce n'est pas là le bas fond des douleurs humaines, vous flottez encore au milieu du tonneau. Il en est en grand nombre qui luttent contre la pauvreté, contre les mutilations, contre le démon, et qui sont errants dans des déserts; d'autres encore souffrent des douleurs plus cruelles. Loin de nous tous les malheurs que nous pouvons supporter ! Méditez ces pensées, considérez ceux qui souffrent plus que vous, et ne vous affligez pas de ce qui vous arrive; mais quand vous avez péché, gémissez alors seulement; oui, gémissez et pleurez, je ne vous en empêche pas, au contraire, je vous y exhorte; et alors, soyez encore modérés, pensez que le retour est possible, que la réconciliation est possible. Vous voyez les autres dans les délices, et vous êtes dans la pauvreté ; vous voyez les autres revêtus d'habits resplendissants, à eux la gloire? Ne bornez pas là vos contemplations; voyez aussi les inconvénients attachés à cet éclat. Dans la pauvreté, ne considérez pas seulement la main qui mendie, mais, avec la pauvreté, le plaisir qui en découle.

La richesse a un visage rayonnant; mais à l'intérieur tout est plein de ténèbres; pour la pauvreté, c'est le contraire, et si vous vous donnez la peine de déplier toutes les consciences, vous verrez dans l'âme du pauvre la sécurité et la liberté; dans l'âme du riche, les troubles, les tumultes, les flots. Ce riche, dont la vue vous attriste, ce même riche s'afflige plus que vous, à l'aspect d'un autre plus, riche que lui; et comme vous tremblez devant tel riche, ce riche tremble, à son tour, devant un autre riche, et en cela il n'a aucun avantage sur vous. La vue d'un magistrat vous attriste, parce que vous êtes un simple particulier, de ceux à qui l'on commande. Mais réfléchissez donc au jour où un autre succèdera à cet homme puissant, et en attendant qu'il vienne, ce jour, voyez les agitations, les. périls, les travaux, les flatteries, les veilles, toutes les calamités. Nos paroles s'adressent à ceux qui ne veulent pas comprendre la sagesse. Car si vous la comprenez, nous pouvons vous apporter des consolations d'un ordre supérieur ; jusqu'à présent nos raisons sont grossières, nous avons été forcé de vous les présenter. Eh bien donc, à la vue d'un riche, pensez à un plus riche, et vous verrez que lui, que vous, vous éprouvez les mêmes sentiments. Et après ce riche, représentez-vous l'homme qui est plus que vous dans la pauvreté : combien y en a-t-il qui se sont endormis ayant faim, qui ont perdu leur patrimoine, qui habitent dans une prison, qui chaque jour appellent la mort ! Et la pauvreté n'engendre pas la tristesse, et la richesse n'engendre pas le plaisir, tristesse et plaisir viennent également de nos pensées. Considérez maintenant, en commençant par ce qu'il y a de plus bas, l'acheteur de fumiers, triste, affligé de n'être pas affranchi de cette misérable et, selon lui, honteuse condition; mais affranchissez-le, qu'il soit libre, dans la sécurité, dans l'abondance dès choses nécessaires, il se reprendra à gémir encore de ne pas posséder au-delà de ce dont il a besoin; donnez-lui davantage, il voudra le double, et il ne se (565) plaindra pas moins qu'auparavant; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu'il n'a point de part aux affaires publiques; donnez-lui sa part, il se plaindra de n'avoir pas la première; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n'avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n'avoir pas de pouvoir sur le peuple entier; maître du peuple entier, de ce qu'il ne commande pas à des peuples nombreux; maître de peuples nombreux, de ce qu'il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque; seul monarque, il voudra l'être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier , pourquoi ne le serait-il pas d'un autre monde encore? La pensée de cet homme, s'avançant toujours dans l'infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie.

7. Voyez-vous comment alors même que, d'un être vil, d'un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l'avarice et la cupidité? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c'est le préfet que nous renversons de son siège élevé; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S'il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n'en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu'on lui a enlevé, il réfléchira sur ce. qu'il possède actuellement, la gloire qu'il tient de la magistrature qu'il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire , il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu'à cette magistrature, il se consolera par ses richesses; dépouillez-le encore de ses richesses, il considèrera ceux dont la fortune est médiocre; enlevez-lui même cette médiocrité,. ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire , qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables; d'insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d'envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi , ne trouve pas même alors la tranquillité de l'âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l'affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse; tout vient de nos pensées, de l'impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s'arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l'infini. De même que les corps pleins de santé, n'eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s'affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d'un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur.

Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d'une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation? C'est que la richesse n'est rien; la pauvreté, rien ; l'infamie, rien; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. A cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens , et en tirer votre consolation. Mais je l'ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d'hommes riches, vous ne diriez pas qu'il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu'ils sont malheureux et qu'il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a (566) plus de durée que dans la réalité même des choses humaines. Cette image d'un homme riche durera, cela se voit souvent, une centaine d'années; notre riche, au contraire, on le voit même en moins d'un an, tout à coup dépouillé de tous ses biens. Méditons donc toutes ces pensées , faisons tous nos efforts pour assurer à notre âme le repos et la tranquillité qui nous préservera d'une tristesse irréfléchie, afin de passer la vie présente avec joie, et d'obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la. gloire , la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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