HOMELIE XI

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HOMELIE XI. REMPLIS DE LA CRAINTE DU SEIGNEUR, NOUS CHERCHONS A PERSUADER LES HOMMES, ET DIEU VOIT LE FOND DE N0TRE COEUR; J'ESPÈRE AUSSI QUE VOS CONSCIENCES ONT DE NOUS UNE CONNAISSANCE EXACTE. (V, 11, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)

 

Analyse.

 

1-3. Je ne fais aucune attention à la condition terrestre de qui que ce soit; mais je n'ai égard qu'à la nouvelle créature formée de Dieu, qui, par la médiation de Jésus-Christ, a admis l'homme à se réconcilier avec lui, et qui m'a aussi confié le ministère de la réconciliation. —  Ce ministère, je l’exerce à la place de Jésus-Christ, car c'est lui qui est l’unique médiateur, Dieu en ayant fait la victime pour le péché.

3 et 4. Que nous devons plus craindre le péché que la punition du péché.

 

1. Tremblant nous-mêmes à la pensée de ce redoutable tribunal, nous nous efforçons de ne vous donner aucune prise contre nous, de ne vous causer aucun scandale, de ne faire naître en vos âmes aucun fâcheux soupçon. Voyez quelle perfection, quelle délicatesse de conscience! Il ne nous suffit point de ne pas. faire le mal, pour être à l'abri des reprochés; si l'on nous soupçonne, même sans fondement aucun, et que nous ne nous efforcions point d'écarter ces soupçons, nous méritons d'être punis. — « Nous ne nous recommandons point auprès de vous, nous vous donnons seulement occasion de vous glorifier à notre sujet». Que de fois il se défend de faire son propre éloge ! Rien n'offense autant les auditeurs que d'entendre un homme, se décerner de pompeux éloges. Forcé de se donner à lui-même des louanges, il reprend aussitôt: C'est à cause de vous que je m'exprime de la sorte, et non -par, à cause de moi, afin que vous ayez lieu de vous glorifier, et non pour nous arroger à nous-même quelque gloire. Il avait aussi en vue les faux apôtres. C'est pourquoi il ajoute : « Auprès de ceux qui. se glorifient extérieurement, mais non dans le coeur (12) » . Voyez-vous comme il les détourne de ces hommes dangereux, pour se les attirer à lui-même, en montrant aux Corinthiens qu'eux aussi désirent trouver une occasion de le soutenir et de le défendre contre ses détracteurs? Si nous vous parlons de la sorte, dit-il, ce n'est point afin de nous glorifier nous-même, mais bien pour que vous puissiez parler vous-mêmes librement en notre faveur. C'est ainsi qu'il leur témoigne son amour. Non-seulement je me propose votre propre gloire, mais encore. de vous prémunir contre. leurs pièges. Il ne le leur dit pas en propres termes, mais c'est la pensée qu'il exprime dans un langage plein de modération et incapable de blesser personne. « Afin que vous puissiez vous glorifier en présence de ceux qui se glorifient eux;mêmes extérieurement». Et encore leur recommande-t-il de ne point le faire sans motif, mais uniquement lorsque les faux apôtres feront paraître de l'orgueil. Partout il exige que l'on se guide sur les circonstances. Ce n'est donc point pour faire briller son mérita qu'il agit de la sorte, mais bien pour réprimer l'orgueil de ces hommes qui par leur jactance pouvaient nuire aux Corinthiens. Que signifient ces mots : « à l'extérieur? » C'est-à-dire, en ce qui. frappe les yeux, en ce qui s'étale au grand jour. Ils n'agissaient qu'en vue de la. gloire, ils étaient vides de bonnes intentions, prenaient le masque de la piété pour paraître dignes de respect, sans avoir au fond aucun mérite.

« Si nous semblons exagérer, c'est pour Dieu; si nous parlons un humble langage, c'est pour vous (13) ». Oui, dit-il, soit que (72) nous nous louions nous-mêmes (c'est ce qu'il appelle « exagérer », comme ailleurs il dit « être insensé »), nous le faisons à cause de Dieu; à la vue de notre bassesse, peut-être nous mépriseriez-vous, et ainsi vous courriez à votre perte. Si au contraire nous parlons un langage plein de modération et d'humilité, c'est pour vous apprendre à vous-mêmes à demeurer toujours humbles. On bien encore l'apôtre veut dire . Si l'on nous traite d'insensés, c'est de Dieu que nous attendons notre récompense, après avoir été l'objet d'un tel outrage; si au contraire on reconnaît notre sagesse, on en recueillera les précieux avantages. — Ou bien encore : On nous regarde comme un insensé; eh bien ! c'est à cause de Dieu que nous sommes insensé. Aussi ajoute-t-il : à la charité de Dieu nous presse, et nous « pensons... (14) ». Ce n'est pas seulement la crainte de l'enfer qui nous défend de nous. engourdir dans un lâche sommeil, mais le souvenir du passé nous excité sans cesse à supporter pour vous de si grandes fatigues. Et quels sont donc ces événements passés ? « Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts ». L'apôtre s'exprime donc comme si tous étaient morts. Si tous, en effet, n'eussent été morts, le Christ ne serait point mort pour tous. Ici-bas le salut est possible ; mais après cette vie, il n'est plus possible de se sauver. C'est pourquoi l'apôtre dit : « La charité du Christ nous presse» et ne nous laisse prendre aucun repos. Ne serait-ce point le pire des maux, un mal plus affreux que l'enfer lui-même que de trouver des hommes qui, après cet immense dévouement du Sauveur, ne retireraient aucun fruit de ses souffrances? Quel excès de charité de la part de Jésus-Christ que d'avoir souffert la mort pour sauver un monde si mal disposé à son égard !

« Afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est  mort et ressuscité pour eux (15) ». Si donc nous ne devons point vivre pour nous-mêmes, ne vous troublez point, ne vous effrayez point à l'approche des dangers et de la mort. C'est un devoir pour nous, et la raison qu'il en donne est convaincante. Puisque c'est la mort de Jésus-Christ qui nous a donné la vie, ne devons-nous pas vivre pour celui à qui nous la devons? Saint Paul semble n'avoir exprimé qu'une seule pensée; mais, si nous y prenons garde, il y en a deux; la première, que nous vivons par. Jésus-Christ; la seconde, qu'il est mort à cause de nous. L'une ou l'autre suffit pour flous mettre sous sa dépendance. Mais quand elles se réunissent toutes deux, jugez quelles sont nos obligations ! Ou plutôt il y a là trois choses. Car il est ressuscité d'entre les morts et a transporté l'homme dans les cieux. Voilà pourquoi saint Paul ajoute : « A celui qui est mort et qui est ressuscité pour nous ». — « C'est pourquoi depuis ce temps nous ne connaissons plus personne selon la chair parmi les fidèles ». Car si toits sont morts, victimes de la tyrannie du péché, si tous sont ressuscités parle baptême de la régénération, et le renouvellement opéré par l’Esprit-Saint , l'apôtre a raison de dire : « Nous ne connaissons plus personne d'entre les fidèles selon la chair ». Ils sont encore dans la chair, je le veux bien. Mais en eux il n'y a plus de vie charnelle ; et de plus nous avons été. engendrés dans le Saint-Esprit, et maintenant nous ne connaissons plus d'autre conduite, d'autre vie que la vie du ciel. L'auteur de ce bienfait, c'est encore le Christ, ainsi que le dit l'apôtre : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte (l6) ».

2. Eh ! quoi, direz-vous? Jésus-Christ a-t-il déposé la chair, et n'a-t-il plus de corps ? Loin de nous cette pensée : maintenant encore il est revêtu de sa chair. « Ce Jésus qui a été élevé au ciel et dérobé à vos regards, viendra comme vous l'avez vu remonter ». (Act. I, 14.) C'est-à-dire, dans la chair et avec son corps. Pourquoi donc l'apôtre dit- il : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair ; maintenant nous ne le connaissons plus de a la sorte? » Pour nous, « être dans la chair », c'est être dans le péché; et « n'être pas dans la chair », c'est n'être pas dans le péché. Quand il s'agit du Christ„ cette expression «selon la chair », signifie les affections naturelles, comme la faim, la soif, la fatigue, le, sommeil. « Car il n'a point commis le péché, et la ruse ne s'est point trouvée sur ses lèvres ». (Isaïe, LIII, 9.) Et c'est pourquoi le Sauveur disait : « Qui de vous me convaincra de péché? » Et encore : « Le prince de ce monde est venu, et il n'a rien en moi ». (Jean, VIII, 46 , et XIV, 30.) Cette expression, « non selon la chair », nous dit qu'il n'est plus sujet à ces sortes d'affections, mais non pas qu'il n'a point de corps. Car il doit venir un (73) jour revêtu de sa chair désormais impassible et immortelle pour juger l'univers. Alors aussi nos corps seront transformés comme le sien et resplendiront d'une gloire semblable.

« En sorte que s'il y a dans le Christ une nouvelle création... (17) ». C'est l'amour de Dieu qui doit d'abord nous exciter à la vertu ; mais ensuite l'apôtre nous y porte par les choses elles-mêmes. Et c'est pourquoi il ajoute : « S'il est dans le Christ une création nouvelle ». Celui qui embrasse la foi de l'Evangile, est pour ainsi dire créé une seconde fois : L'Esprit-Saint lui a donné une seconde fois la naissance. Nous devons donc vivre pour Jésus-Christ, non-seulement parce que nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes ou parce qu'il est mort pour nous, ou parce qu'il a ressuscité les prémices du genre humain, mais aussi parce que nous sommes entrés dans une vie nouvelle. Voyez que de motifs pour nous exciter à tenir une conduite vertueuse. C'est pourquoi l'apôtre se sert d'une expression fort matérielle pour rendre cette transformation, afin que nous en sentions mieux l'importance. Il va plus loin, et nous montre en quoi consiste cette création nouvelle. — « Les choses anciennes ont passé, dit-il, voilà que tout a été renouvelé ». Quelles sont ces choses anciennes? Les péchés, les impiétés, ou bien les cérémonies judaïques, ou bien les deux ensemble. « Voilà « que tout a été renouvelé. — Or tout vient de Dieu... (l8) ». Rien ne vient de nous-mêmes. Le pardon de nos fautes, notre adoption, notre- glorification, nous tenons tout de sa munificence. A l'avenir l'apôtre joint le présent pour les exciter encore davantage. Voyez en effet : Il a dit que nous devons ressusciter, entrer dans une vie éternelle, régner éternellement avec Dieu; mais le présent aura plus d'influence que l'avenir sur ceux qui n'ont pas une foi bien ferme dans les biens futurs, et c'est pourquoi il leur rappelle les bienfaits qu'ils ont reçus et l'état où ils se trouvaient, quand Dieu les en a comblés. En quel état se trouvaient-ils donc ? Ils étaient tous morts. — « Tous sont morts, » dit-il, « et le Christ est mort pour tous » , tant il les aimait tous. Tous étaient courbés sous la vétusté des vices.

Mais tout a été renouvelé, l'âme qui a été purifiée, le corps, la manière d'adorer Dieu, les promesses, le Testament, la table, les vêtements, tout en un mot. Au lieu de la Jérusalem d'ici-bas, nous avons reçu la Jérusalem céleste; au lieu d'un temple matériel, un temple spirituel; au lieu des tables de pierre, des tables de chair; au lieu de la circoncision, le baptême; au lieu de la manne, le corps du Seigneur; au lieu de l'eau du rocher, le sang qui coule du côté de Jésus;. nous avons reçu la croix au lieu de la verge de Moïse et d'Aaron, le royaume des cieux au lieu de la terre promise, un seul Pontife au lieu de ces milliers de prêtres, l'Agneau spirituel au lieu de cet agneau privé de raison. C'est tout plein de ces pensées que l'apôtre disait : « Tout a été renouvelé. Et tout nous vient de Dieu » par le Christ; c'est un présent de la divine munificence. Aussi ajoute-t-il : « Qui nous a réconciliés avec lui par Jésus-Christ et nous a donné le ministère de la réconciliation. » De là en effet nous viennent tous les biens. Celui qui nous a rendus les amis de Dieu, nous a valu tous les autres bienfaits que Dieu nous a prodigués. Il n'a point voulu que nous fussions encore ennemis de Dieu, au moment où il nous faisait ces largesses; il a commencé par nous rétablir dans son amitié. En disant que le Christ a été pour nous l',auteur de la réconciliation, je veux parler aussi du Père; et en disant que ces bienfaits nous viennent du Père, j'entends aussi parler du Fils. « Car c'est par lui que tout a été fait ». (Jean, I, 13.) D'où il suit qu'il est lui-même aussi l'auteur de ces bienfaits. Ce n'est pas nous qui sommes accourus vers lui ; c'est lui qui nous a appelés. Et comment nous a-t-il appelés? Par la mort du Christ : « Qui nous a donné un ministère de réconciliation ». Ici il montre encore la dignité des apôtres, la grandeur de leur mission, l'amour excessif de Dieu envers nous. Les hommes ne voulurent pas entendre la voix de l'ambassadeur céleste, et cependant Dieu ne s'irrita point, ne les abandonna point, il redoubla d'instance auprès d'eux et par lui-même et par ses envoyés. Comment avoir assez d'admiration pour une telle sollicitude? Le Fils de Dieu; venu sur la terre pour nous réconcilier avec son Père, le vrai Fils de Dieu, son Fils unique, est mis à mort, et cependant le Père ne se détourne point des criminels; il ne dit point : J'ai envoyé mon Fils en ambassade, non-seulement ils n'ont pas voulu l'entendre, mais ils l'ont fait mourir, ils l'ont crucifié; il est bien juste (74) que je les abandonne. Il agit tout autrement; et quand Jésus-Christ a quitté la terre, c'est à nous-même qu'il confie le ministère de la réconciliation. « Il nous a donné, » dit saint Paul, « le ministère de la réconciliation ».

« Car Dieu était dans le Christ réconciliant « le monde avec lui-même, ne leur imputant « point leurs péchés. (19) ». Quel amour ! Ne dépasse-t-il point tout ce qu'on pourrait dire, tout ce qu'on pourrait s'imaginer? Quel était l'offensé? Dieu lui-même. — Qui se présenta le premier pour opérer la réconciliation ? — Dieu encore. — Mais, dites-vous , il a envoyé son Fils, il n'est pas venu lui-même. — Il a envoyé son Fils, j'en conviens ; mais le Fils n'était point seul à- exhorter les hommes ; le Père les exhortait aussi avec lui et par lui. — « Dieu était dans le Christ réconciliant le « inonde avec lui ».'- « Dans- le Christ. », c'est-à-dire, « par le Christ ». L'apôtre avait dit : «Il nous a donné un ministère de ré« conciliation ». Il adoucit un peu sa pensée en disant : Ne croyez pas que nous soyons à nous seuls chargés clé, cette mission; nous ne sommes que des serviteurs. C'est Dieu qui a -fait tout cela; c'est lui qui a réconcilié le monde par son Fils unique. Et comment-? Ce qu'il y a d'admirable en effet, ce n'est pas seulement que le monde soit venu l'ami de Dieu, mais aussi la manière dont s'est opérée la réconciliation. Comment s'est-elle donc opérée? Dieu a pardonné les péchés des hommes. : l'amitié ne pouvait se contracter autrement. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Sans tenir compte de leurs péchés ». Ah ! s'il eût voulu demander compte aux hommes de leurs fautes, nous étions tous perdus; car tous étaient morts. Mais ces fautes si nombreuses, il ne voulut pas en tirer vengeance, il nous rendit au contraire ses bonnes grâces; non-seulement il nous pardonna nos péchés, mais il ne nous les imputa pas même. C'est ainsi que nous aussi nous devons pardonner à nos ennemis, si nous voulons obtenir de Dieu notre pardon. « Et il a mis en nous la parole de la réconciliation ». Ce n'est point pour une mission pénible que nous sommes venus, mais pour vous rendre l'amitié de Dieu. Ils, n'ont pas voulu se rendre à mes paroles; vous, ne cessez de les exhorter, jusqu'à ce que vous les persuadiez. C’est pourquoi saint Paul ajoute : «Nous sommes les ambassadeurs du Christ; et c'est Dieu qui exhorte par notre bouche. Nous vous en conjurons au nom de Jésus-Christ: réconciliez-vous avec Dieu (20) ».

3. A quelle hauteur il. porte cette mission dont il est chargé ! C'est le Christ lui-même qui supplie dans l'apôtre. Et non-seulement Jésus-Christ, mais Dieu le Père. Car voici le sens de ces paroles : Le Père a envoyé son Fils pour, exhorter les hommes en son nom et pour remplir auprès d'eux les fonctions d'ambassadeur. Les hommes l'ont fait mourir; il a quitté ce monde , et nous lui avons succédé dans sa mission. C'est donc en son nom et en celui de son -Père que nous vous exhortons. Le père aime le genre humain à ce point qu'il a livré son propre Fils, sachant bien que les hommes le feraient mourir, et qu'il nous a faits ses apôtres à cause de vous. L'apôtre pouvait donc bien dire : « Tout est pour vous. Nous sommes les ambassadeurs du Christ ». Comme s'il disait : Nous tenons la place du Christ, nous lui avons succédé dans sa mission. Cela vous semble peut-être bien extraordinaire: Ecoutez ce qui suit, vous verrez que les apôtres tiennent la place non-seulement du Christ, mais aussi du Père. Saint Paul ajoute en effet : « C'est Dieu qui vous exhorte par notre bouche ». Ce n'est point seulement par son Fils que le Père vous exhorte, mais encore par nous qui avons pris la place de son Fils. Ne vous imaginez donc point que c'est nous qui vous prions. C'est le Christ lui-même, c'est son Père qui vous prie par notre bouche. Est-il rien de comparable à une pareille bonté? Ce Père dont on a payé les immenses bienfaits par tant d'outrages, non-seulement ne se venge point, mais il. donne son Fils pour nous réconcilier avec lui. Loin de vouloir se réconcilier, les hommes le font mourir. Il envoie d'autres ambassadeurs, et après les avoir envoyés,.il se fait lui-même suppliant en leurs personnes.. Et que demande-t- il? « Réconciliez-vous avec Dieu ». Il ne dit pas : Réconciliez Dieu. avec vous: Ce n'est pas lui qui nous hait, c'est vous qui voulez être. ses ennemis. Dieu éprouve-t-il jamais un sentiment de haine? Et il discute la cause, comme ferait un ambassadeur.— « Celui qui m'a point connu le péché, il l'a fait péché à cause de nous ». Je ne rappelle point le passé, vos outrages envers moi, qui ne vous ai jamais tait de mal, mes bienfaits si nombreux ; je ne vous dirai point que je ne vous ai point punis, que bien (75) qu'outragé le premier, je suis cependant le premier à vous prier. Non, je ne veux rien rappeler de tout cela. Ne suffit-il pas du bienfait qu'il-vous accorde aujourd'hui pour vous décider à une réconciliation? Quel est-il donc, ce bienfait? «Celui qui n'a point connu le péché, pour vous il l'a fait péché... (21) ». Ne vous aurait-il jamais accordé d'autres faveurs, n'était-ce pas une faveur immense que de livrer son Fils pour ceux qui l'avaient outragé? Oui, il l'a donné, et ce n'est pas assez, il a permis que ce Fils, l'innocence même, fût accablé d'outrages pour ceux-mêmes qui les lui infligeaient. — Ce ne sont point les paroles de l'apôtre; elles sont encore plus expressives. « Celui », dit-il, « qui ne connaissait point le péché ; qui était la justice même, « il l'a fait péché », c'est-à-dire, il l'a laissé condamner comme un pécheur, mourir comme un homme chargé de malédictions : « Car maudit est celui qui est pendu au bois». (Deut. XXI, 23.) Une mort ordinaire n'était rien en comparaison de cette mort si atroce. Et c'est ce que saint Paul nous donne à entendre, quand il dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix ». (Phil. II, 8.) Il y avait là non-seulement le supplice, mais l'ignominie. Voyez donc que de bienfaits vous avez reçus ! C'est chose admirable qu'un pécheur consente à mourir pour un autre quel qu'il soit; mais quand c'est un juste qui meurt, et qui meurt pour des pécheurs , et qui meurt comme un maudit et pour nous mériter des faveurs auxquelles nous ne pouvions prétendre (afin que par lui nous devenions justes de la justice de Dieu), comment dire, comment peindre tant de générosité? Celui qui était juste, dit l'apôtre, il l'a fait pécheur, afin de justifier les pécheurs. Et ce n'est pas même ainsi qu'il parle; il tient un langage plus sublime encore; ce n'est point l'état qu'il exprime, mais la qualité elle-même. Il ne dit pas : il l'a fait pécheur, mais : « il l'a fait péché » ; il ne dit pas : celui qui n'a point péché, mais celui qui n'a point connu le péché; il ne dit pas : afin que nous devenions justes, mais afin que nous devenions à la justice »,. et même « la justice de Dieu ». C'est en effet la justice de Dieu, quand elle ne vient point des oeuvres, quand elle n'est ternie d'aucune tache, niais bien le fruit de la grâce qui fait disparaître toute imperfection. De telles expressions ne nous permettent point de nous enorgueillir : car c'est de Dieu que nous vient ce trésor, et nous apprenons ainsi à connaître la puissance de notre bienfaiteur. La loi et les oeuvres produisaient « simplement la justice»; celle dont parle l'apôtre est. « la justice de Dieu». Pénétrons-nous bien de ces pensées, et qu'elles nous. effraient plus que la vue même de l'enfer; admirons de tels objets plus que le royaume des cieux; et regardons comme une peine non d'être châtiés, mais de tomber dans le péché. Si Dieu ne nous châtiait pas lui-même, nous devrions nous imposer à nous-mêmes un châtiment, après nous .être montrés ingrats envers un tel bienfaiteur. Que de fois un amant passionné ne s'est-il point donné la mort, parce qu'il n'a pu assouvir sa passion? et après l'avoir assouvie, que de fois ne s'est-il pas jugé indigne de vivre pour avoir outragé son amante.? Et nous qui. avons offensé un Dieu si bon, si miséricordieux, nous ne nous précipiterons pas dans le feu de l'enfer? Ce que je vais dire paraîtra singulier, étrange, incroyable à la plupart : Celui qui sera puni après avoir outragé un maître si plein de bonté, devra s'estimer plus heureux, s'il est raisonnable, et s'il aime Dieu, que celui qui n'aura pas été puni.

4. N'en avons-nous point la preuve dans la vie commune? Si vous injuriez un de vos amis, vous n'avez de repos qu'après vous être punis vous-mêmes ou reçu quelque injure à votre tour. Ecoutez ce que disait David : « Moi qui suis le pasteur, j'ai péché; moi qui suis le pasteur, j'ai commis l'injustice : et ceux-ci, qui forment mon troupeau, quel mal ont-ils fait? Je vous en conjure, tournez votre main contre moi et contré la maison de mon père ». (II Rois, XXIV, 17.) Après la mort d'Absalon, il s'infligea les plus rudes tourments; et cependant, bien loin d'être coupable, C'est lui qui avait reçu l'outrage. Mais l'amour qu'il portait à son fils, lui faisait rechercher ces douleurs où il trouvait quelque consolation. Nous aussi, quand nous péchons contre ce Dieu que nous ne devrions point offenser, empressons-nous de nous punir nous-mêmes. Ne voyez-vous point ceux qui ont perdu des enfants bien chers, se frapper la poitrine, s'arracher les cheveux? C'est une consolation pour eux de s'affliger pour ceux qu'ils aiment. Si donc, sans avoir fait aucun mal à nos amis, nous trouvons du soulagement à nous affliger de leurs propres douleurs, n'en trouverons-nous point à nous punir nous-mêmes, après (76) les avoir irrités et outragés? Qui pourrait en douter? Celui qui aime Jésus-Christ, comme il convient, comprend ce que je dis; et quand même Dieu le laisserait en repos, lui, il ne supporterait point de n'être pas puni. Le plus grand supplice que vous puissiez endurer, p'est d'avoir irrité le Seigneur. Je sais bien que ce langage vous étonne; cependant je ne dis rien d'exagéré.

Si donc nous aimons vraiment Jésus-Christ, nous nous punirons nous-mêmes de nos fautes. Ce qu'il y a de pénible pour un homme, ce n'est point de souffrir après avoir offensé son ami, mais bien d'avoir irrité celui qu'il aimait. Et si cet ami ne se venge point de l'injure qu'il a reçue, le coupable n'en est que plus tourmenté; il n'éprouve du soulagement qu'après avoir été offensé à son tour. Ne craignons donc pas tant les feux de l'enfer; craignons plutôt d'offenser Dieu. Quoi de plus affreux pour nous que de voir le Seigneur détourner de nous son visage irrité? C'est assurément le plus terrible de tous les supplices. Un exemple vous fera mieux comprendre ma pensée. Un roi vit un criminel que l'on menait au supplice; il livra son propre fils pour être immolé à la place du coupable; non content d'envoyer son fils à la mort, il transporta sur cette victime innocente le crime lui-même, afin de sauver le coupable, de l'arracher à l'infamie; bien plus, il l'éleva à une haute dignité. Or, après avoir été sauvé , de la .sorte, après s être vu combler d'honneurs, le misérable outragea son bienfaiteur. Eh bien, je vous le demande, si cet homme a encore sa raison; n'aimera-t-il pas mieux mourir mille fois, plutôt que de rester sous le poids d'une pareille ingratitude? Telle est précisément la question pour nous-mêmes. Nous avons outragé notre bienfaiteur; poussons d'amers gémissements. Et sous prétexte qu'il se montre plein de patience; n'allons pas nous  rassurer; au contraire, que cette patience accroisse notre douleur. Qu'on vous frappe sur la joue gauche, et qu'ensuite vous présentiez la droite, ne vous vengez-vous pas mieux de la sorte qu'en accablant votre ennemi? Quand on vous lance des paroles outrageantes, est-ce en rendant outrages pour outrages que vous blesserez le plus vivement votre ennemi? Non, mais bien en gardant le silence, ou en lui souhaitant toutes sortes de biens. Si donc la patience de ceux que nous outrageons nous couvre de confusion, combien n'est-elle pas plus à craindre la patience du Seigneur pour ceux qui ne cessent point de pécher et qui ne reçoivent aucun châtiment. Ah ! c'est sur leur tête que s'amoncellent d'incompréhensibles tourments. Songeons-y et ne craignons rien tant que le péché ; le péché c'est notre supplice, c'est l'enfer; c'est la réunion de toits les maux. Ne nous bornons pas à le craindre, mais encore fuyons-le et efforçons-nous de plaire au Seigneur : car c'est là notre royaume, c'est là notre vie, c'est la réunion de tous les biens. Ainsi dès ici-bas nous posséderons le royaume des cieux et les biens de la vie future. Puissions-nous tous y arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soit au Père et au Saint-Esprit gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. — Ainsi soit-il.

 

 

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