HOMÉLIE XVII

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HOMÉLIE XVII. MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE ESPÈCE DE ZÈLE. (VIII, 7, JUSQU'A 15.)

 

Analyse.

 

1. Saint Paul évite tout ce qui pourrait ressembler à de l'importunité à l'égard des Corinthiens r il leur a cité l'exemple des Macédoniens, non pour rendre les Corinthiens jaloux, mais pour les engager à imiter les Macédoniens ; il stimule ensuite les Corinthiens par leur propre exemple. — Il commence par leur demander de faire l'aumône sans aller jusqu'à se gêner.

2. Leur aumône rétablira l'égalité, tant des biens temporels que des biens spirituels. — C'est le fait de l'orgueil, de ne vouloir avoir besoin de personne. — Utilité des pauvres en ce monde.

3. Les riches ont bien plus besoin d'autrui que les pauvres. — Ce besoin où nous sommes les uns des autres est un effet de la sagesse divine. — Il ne faut jamais se lasser de faire l'aumône.. — Faire aux autres ce que nous voulons qu'ils nous fassent, telle est la règle de conduite à suivre à l'égard du prochain.

 

1. Voyez encore comme avec des éloges il les excite à en mériter de plus grands. Il n'a pas dit : Afin que vous donniez; mais : « Afin que vous excelliez par votre foi dans les dons de la grâce, par votre parole» pleine de sagesse, « par votre science » des dogmes, « par toute espèce de zèle » pour les autres vertus, « et par votre charité », cette charité dont j'ai déjà parlé, et dont j'ai donné la preuve. « Qu'ainsi vous excelliez également en cette dernière grâce (7) ». Vous le voyez, s'il commence par les louer sur les premiers (107) points, c'est afin de les entraîner, par la suite de son discours, à se montrer tout aussi zélés sous ce dernier rapport. « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (8) ». Voyez quelle complaisance il a sans cessa pour eux, comme il s'abstient d'être importun, et d'employer là violence ou la contrainte ; que dis-je? ce double caractère est ici dans les paroles même: absence d'importunité et absence de contrainte. En effet, comme il les a continuellement exhortés, qu'il a beaucoup loué les Macédoniens, de peur que cela ne ressemble à de la contrainte, voici comment il s'exprime : « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement , mais voulant, par le zèle des autres , éprouver aussi votre fonds sincère de charité (8) ». Non pas qu'il en, doute : car tel n'est pas ici-le sens;. mais il veut mettre cette vertu en lumière, la prouver, et en même temps la fortifier. Si je vous parle ainsi , veut-il dire, c'est afin de vous exciter à la même ardeur; et en faisant mention de leur zèle, je donne de l'éclat ; du lustre, un stimulant, à vos propres dispositions. Puis, de ce motif , il en vient à un plus puissant : car il ne néglige aucune manière de présenter son conseil: il met tout en oeuvre, il emploie toutes les ressources du langage; il les a d'abord exhortés en louant les autres: « Vous connaissez la grâce de Dieu qui a été adonnée dans les églises de Macédoine (1) »; il les exhorte ensuite en les louant eux-mêmes : « Mais afin que vous excelliez en a tout, par votre parole et par votre science (7) ». En effet, il peut être plus cuisant d'être surpassé par soi-même que par autrui.

Il arrive ensuite à l'argument capital et définitif de son conseil : « Car vous connaissez i la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il « s'est appauvri pour nous, lui qui était riche, «afin que nous nous enrichissions par sa a pauvreté (9) ». Pensez , leur veut-il dire, à cette faveur divine, réfléchissez-y, méditez-la; ne la laissez point passer comme inaperçue, mais considérez-en la grandeur, l'importance et la dignité , et alors vous ne ménagerez rien de ce qui vous appartient. Notre-Seigneur s'est dépouillé de sa gloire, pour que vous vous enrichissiez, non par sa- richesse, mais par sa pauvreté. Si vous ne croyez point que la pauvreté produise la richesse, pensez à vôtre Maître, et vous n'aurez plus de doute. Car s'il n'était pas devenu pauvre, vous ne seriez pas devenu riche. Chose étonnante pourtant, que la pauvreté ait enrichi la richesse ! C'est qu'ici, par le mot richesse, l'Ecriture entend la science de la piété, la purification de nos péchés, la justice, la sanctification, et les biens innombrables que Dieu nous a procurés, et qu'il nous procurera plus tard. Or, tout cela nous est venu de sa. pauvreté. Et en quoi consista cette pauvreté ? A se revêtir de notre chair, à se faire homme, à souffrir ce qu'il a souffert. Et cependant il ne vous devait pas ces sacrifices, au lieu que vous, vous lui êtes redevable. « Et je vous donne en cela un avis pour votre utilité (10) ». Voyez comme ici encore il se préoccupe de n'être pas importun, et comme il adoucit son discours par ces deux expressions : « Je vous donne un avis », et « Pour votre utilité ». Il leur dit : Je ne vous contrains pas, je ne vous violente point, je fais un appel à votre bonne volonté :.et en vous. parlant ainsi, j'ai moins en vue l'intérêt de ceux qui recevront que votre propre avantage.

Puis, l'exemple même qu'il donne, il le tire d'eux-mêmes, et non pas de quelques autres. « A vous qui avez déjà commencé, non-seulement à faire celte bonne œuvre, mais même à la vouloir dès l'année dernière (10) ». Voyez comme il fait voir qu'ils s'y sont portés d'eux-mêmes et sans impulsion étrangère. C'est qu'ayant précédemment rendu ce témoignage aux habitants de Thessalonique, qu'ils avaient pratiqué l'aumône de leur propre mouvement, et avec beaucoup d'instance, il veut montrer que ce mérite est aussi celui dés Corinthiens. Voilà pourquoi il dit : «Non-seulement à faire cette bonne oeuvre, mais même à la vouloir », et pourquoi aussi, non content de ces simples mots : Vous avez commencé , il emploie ceux-ci : « Vous avez déjà commencé dès l'année dernière». Ainsi, ce à quoi je vous exhorte, c'est une chose dans laquelle vous m'avez déjà prévenu, en vous y excitant vous-mêmes avec la plus grande ardeur. « Et maintenant vous en avez accompli l'exécution (11) ». Il ne dit pas : « Vous avez fait cette bonne oeuvre », mais : « Vous y avez mis la dernière main ». — « De manière que comme votre désir est provenu de votre vouloir, ainsi votre action est provenue de votre avoir (11) ». En effet, il ne faut pas que ce noble mérite se borne au désir, il faut qu'il reçoive la récompense qui suit les actions; (108) « car pourvu que le désir précède, on est bien  accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas (12) ».

Voyez quelle ineffable sagesse l’apôtre leur avait montré au commencement des gens qui avaient fait l'aumône au-delà de leurs moyens, je veux parler des habitants de Thessalonique; il les en avait loués, et avait dit : « Je leur rends ce témoignage qu'ils ont donné même au-delà de leurs moyens (3) » ; maintenant qu'il engage les Corinthiens à faire l'aumône suivant leurs moyens seulement, il laisse l'exemple qu'il a donné produire son effet de lui-même, sachant bien que c'est moins l'exhortation que le zèle qui pousse les hommes à imiter les bonnes actions; c'est pour cela qu'il dit : « Car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas. ». Ne vous effrayez . pas, veut-il dire, des paroles que j'ai prononcées tout à l'heure, car ce que j'en ai. dit était pour faire l'éloge de leur libéralité ; mais Dieu nous demande en raison de nos moyens, d'après ce que nous avons, et non d'après ce que nous n'avons pas. Car l'expression : « On est bien accueilli » a ici la même valeur que s'il y avait : « Dieu demande de nous ». S'en remettant donc avec confiance à l'exemple qu'il a cité,  il les ménage extrêmement, et les attire d'autant mieux qu'il les laisse libres; aussi ajoute-t-il encore : « Car il ne faut pas que le soulagement des autres soit votre surcharge (13) ».

2. Cependant Jésus-Christ avait loué au contraire la veuve pour s'être dépouillée de tous ses moyens d'existence et avoir donné quelque chose dans sa misère même. Mais saint Paul parlait aux Corinthiens, à ce peuple au milieu duquel il préférait souffrir la faim : « Car », disait-il, « il est plus beau pour moi de mourir, que si quelqu'un me dépouillait de mon sujet de gloire ». (I Cor. IX, 15.) C'est pour cela qu'il a recours à une exhortation mesurée, louant à la vérité ceux qui font l'aumône au-delà de leurs moyens, mais sans contraindre les Corinthiens à en faire autant; non pas qu'il ne le voulût, mais parce qu'ils étaient un peu faibles. En effet, pourquoi loue-t-il les autres de ce que, dans de nombreuses épreuves de tribulation , ils avaient une surabondance de joie, de ce que leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la, richesse de leur simplicité (Il Cor. VIII, 2), et de ce qu'ils avaient donné au-delà de leurs moyens (3) ? N'est-il pas clair que c'est pour y amener les Corinthiens? Ainsi, bien qu'il paraisse leur passer en cela l'infériorité, ce n'est pour lui qu'un moyen de les faire monter aussi haut que les autres. Observez en effet comme par les paroles qui suivent, et sans en avoir l'air, il les prépare encore à ce résultat. Après ce qu'il vient de dire, il ajoute « Que votre superflu supplée à ce qui leur manque (4) ». Pour rendre son commande ment léger, il n'en avait pas dit assez, il a voulu y ajouter les mots que vous venez d'entendre. Et même, non content des moyens précédents, il leur facilite encore l'accomplissement du précepte, en leur montrant la récompense , et en des termes plus grandioses qu'ils ne le méritent : « Afin », dit-il, «que l'égalité se fasse dans le temps présent, et que leur superflu supplée à ce qui vous manque (ibid.) ». Qu'est-ce à dire? Le voici: vous regorgez, vous autres, de richesses : eux, ils regorgent de la véritable vie et de leur crédit. auprès de Dieu. Donnez-leur donc de ces richesses que vous avez en surabondance, et dont ils sont privés, afin que vous receviez d'autres biens par l'entremise de ce crédit dont ils sont riches, et dont vous êtes pauvres. Voyez comme il a su, sans qu'ils s'en doutassent, les préparer à donner au-delà de leurs moyens, et même dans l'indigence. Car si vous voulez, leur dit-il , recevoir de la surabondance des autres, donnez vous-mêmes de votre surabondance; mais si vous voulez vous faire donner tout, il faut leur offrir même de votre indigence, et au-delà de vos moyens. Il ne tient pas littéralement ce langage à ses auditeurs, mais il laissé leur raisonnement tirer cette conclusion : en attendant, il poursuit toujours son premier but, il opère son exhortation modérée, en leur parlant des effets visibles, en leur disant: « Afin que l'égalité se fasse dans le temps présent ».

Comment arrivera cette égalité ? En ce que vous et eux vous vous donnerez réciproquement de ce que vous avez en abondance., et vous suppléerez mutuellement à ce qui vous manque. Et quelle est cette égalité, puisqu'en retour de choses matérielles, on vous en rendra de spirituelles ? La supériorité est grande de ce dernier côté : comment donc appelle-t-il cela de l'égalité? Il ne la considère qu'au point de vue du superflu et du trop peu, ou bien seulement par rapport à la vie présente. (109) C'est pour cela qu'après avoir dit : « L'égalité», il ajoute : « Dans le temps présent ». Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l'orgueil des riches, et faire voir qu'après notre départ d'ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l'avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d'une grande égalité; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, cartes justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non-seulement comme donnant , mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s'ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l'antique histoire : « Selon ce qui est écrit : « Celui qui en recueillait beaucoup, n'en avait pas plus que les autres; et celui qui en recueillait peu, n'en avait pas moins ». (Exode, XVI, 18.) C'est de la manne qu'il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l'avidité. Or l'apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l'exemple dé ce qui s'était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s'affliger lorsqu'ils n'avaient pis assez. Et l'on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n'a qu'un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n'est revêtu que d'un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins.

Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté? Ou pourquoi courez-vous après la richesse? Je crains, direz-vous, d'être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J'entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j'en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J'ai grande pitié d'entendre un tel langage . car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l'artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l'esclave a besoin de l'homme libre, le maître a besoin de l'esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l'aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit,, car celui qui reçoit l'aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S'il n'y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n'ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en 'est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d'avoir besoin d'autrui, il ne lui reste plus qu'à mourir, car il n'est pas possible de vivre si l'on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d'arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation? Car ne pouvoir supporter l'arrogance, c'est le fait d'une âme gonflée elle-même d'orgueil. Et si tout cela ne mérite d'être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l'idée de la pauvreté? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n'en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s'enrichit, plus on met en butte à cette malédiction.

3. En demandant les richesses pour n'avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c'est comme si un homme, en s'embarquant sur une mer où l'on a besoin de nautonniers, d'un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le voeu de n'avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n'avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d':avoir recours à quelqu'un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement; tandis qu'étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre. rang , pour votre sûreté , pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux (110) de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d'autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s'y soustraire absolument; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d'avoir besoin des autres : car c'est ici l'ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres,. et ce n'est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par c'eux de l'amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle parla contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l'amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d'avoir besoin de personne; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n'est pas d'avoir besoin des autres, mais c'est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce- dernier sujet, jamais nous ne disons: Préserve-moi de désirer le bien des autres; et pour ce qui est d'avoir, besoin d'eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l'affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n'en rougissait pas; au contraire, il s'en vantait, et il faisait dans les termes suivants l'éloge de ceux qui lui avaient rendu service: « Car une première et une seconde fois vous m'avez envoyé de quoi m'aider dans mes besoins » (Philipp. IV, 16) ; et ailleurs: « J'ai dépouillé les autres Eglises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ». (II Cor. XI, 8.) Rougir de cela, ce n'est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c'est le fait d'une âme sottement fière , d'un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n'y. accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t'exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu'il t'exhorte dans ton propre intérêt? « Car nous, sommes les délégués du Christ », dit l'apôtre, « de sorte que c'est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ». (II Cor. V, 20.) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d'être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n'a. pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur? Il ne fera au contraire que vous charger davantage , lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n'avait pas même un abri suffisant; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu'il n'avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j'ai donné. Oui, mais il ne faut pas s'arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n'aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s'il y a encore des gens qui ont faim, vous n'aurez pas de bonne raison à faire valoir.

Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d'autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion; il s'est lui-même pour vous dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim; votre serviteur est gorgé de mets jusqu'à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d'agir a été celle d'un ennemi, d'un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore; et quand un pauvre s'approche de nous en nous demandant l'aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l'encourageant par nos paroles, afin que nous (111) éprouvions à notre tour le même traitement, et de la part de Dieu, et de la part des hommes.

En effet, « tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur vous-mêmes ». (Matth. VII, 12.) Cette loi n'a rien de pénible , rien de rebutant. Faites-nous, dit-elle, ce que vous voulez que l'on vous fasse; la rémunération est égale à l'action. L'Ecriture ne dit pas : Ne faites pas ce que vous ne voulez pas que l'on vous fasse ; elle va. plus loin. Ce dernier précepte serait l'abstention du mal,, le premier est la pratique du bien, et l'autre y est renfermé. L'Ecriture ne dit pas non plus : Souhaitez-le aussi aux autres; mais : « Faites-le leur ». Et qu'y gagne-t-on? « C'est la loi et les prophètes ». Vous voulez que Dieu ait pitié de vous? Ayez pitié des autres . Vous voulez obtenir votre pardon? Pardonnez donc vous-même. Vous prétendez que l'on ne dise pas de mal de vous? Ne dites donc de mal de personne. Vous désirez être loué ? Faites l'éloge d'autrui. Vous souhaitez que l'on ne vous enlève pas vos biens? Ne ravissez donc pas les biens étrangers. Voyez-vous comme Notre-Seigneur nous montre que le bien est une chose naturelle, et que nous n'avons pas besoin de chercher des lois ni des maîtres hors de nous? Car suivant que nous voulons être traités par notre prochain de telle ou telle manière, nous nous faisons notre loi en conséquence. Si donc vous ne voulez pas qu'il vous fasse quelque chose, et que vous le lui fassiez, ou bien si vous voulez qu'il vous fasse quelque chose, et que vous ne lui fassiez pas, vous prononcez votre propre condamnation, et il ne vous reste plus aucun moyen de vous justifier, en alléguant que vous ne saviez comment agir, que vous ignoriez ce qu'il fallait faire. Aussi, je vous en conjure, gravons en nous cette loi pour notre usage, et en lisant ces paroles si claires à la fois et si concises, devenons tels envers notre prochain, que nous voulons qu'il soit envers nous, afin que nous jouissions de la paix ici-bas, et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et là charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur, au père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduction de M. Edouard MALVOISIN.

 

 

 

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