HOMÉLIE III

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TROISIÈME HOMÉLIE. Suite, de ces paroles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », jusques à celles-ci : « et du soir et du matin se fit le Premier jour, (Gen. I, 1…5.)

 

12

 

1. L'Ecriture ressemble à une fontaine qui répand ses eaux sans jamais s'épuiser, aussi l'instruction précédente n'a-t-elle pas suffi à l'explication du premier verset de la Genèse. — 2. L'orateur continue donc cette explication, et puis ii dit, en parlant de l'Esprit de Dieu qui était porté sur les eaux, que ces paroles désignent le mouvement et l'activité de l'élément humide. —3. Il nous fait ensuite admirer la puissance divine dans la création et les divers phénomènes de la lumière, et observe que le Seigneur, en déclarant que la lumière était bonne, s'est accommodé à l'usage commun des hommes qui louent un ouvrage fait avec soin. —4. La séparation de la nuit et du jour est, de la part de Dieu, un bienfait qui suffirait seul pour obliger les incrédules à se soumettre à l'autorité de l'Ecriture. — 5. L'orateur s'élève alors contre ceux qui prétendent que tout a été fait fortuitement, et que la Providence ne parait point dans la création. — 6. Il les combat par divers raisonnements tirés de cette création même, et termine par une vive exhortation à résister au démon, et à pratiquer toutes les vertus, et spécialement la charité envers les pauvres.

 

1. La lecture des divines Ecritures se compare à un riche trésor. Et en effet, celui qui a un trésor à sa disposition, peut facilement s'enrichir. Et de même, une seule ligne des saintes Ecritures, nous offre une rare fécondité de pensées et d'immenses richesses. Mais la parole du Seigneur ne ressemble pas seulement à un trésor; elle est encore une fontaine qui s'épanche toujours abondante et inépuisable. Hier, nous avons pu nous en convaincre, puisque l'explication de ces premières paroles de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, a pris tout le temps de l'instruction, sans que nous l'ayons achevée. C'est que ce trésor est riche, et cette fontaine intarissable. Au reste, ne vous étonnez point, mes frères, de notre impuissance , car ceux qui nous ont précédé sont venus, eux aussi, boire à cette source, et ne l'ont point épuisée; ceux qui nous suivront y viendront également , et ne la tariront point. Tout au contraire, elle croît et grossit à mesure qu'on y puise. Telle est, en effet, la nature des eaux spirituelles de la grâce, qu'elles coulent d'autant plus abondantes qu'on y puise plus fréquemment. Aussi le Sauveur disait-il : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Qui croit en moi, suivant ce que dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein. (Jean, VII, 37, 38.) Ces paroles nous montrent quelle est l'abondance des eaux de la grâce, et puisque ces eaux ne sont pas moins salutaires qu'inépuisables, préparons le vase de notre âme pour les recueillir, et le reporter plein à la maison. Mais comme l'Esprit-Saint épanche plus libéralement les richesses de ses grâces, lorsqu'il trouve un coeur fervent et un esprit attentif, délivrons-nous des inquiétudes de la vie présente, et arrachons les épines qui étoufferaient en nous les germes des bonnes pensées. Notre âme pourra alors se livrer tout entière aux saintes affections de la piété, en sorte que nous ne quitterons point ce temple sans y avoir recueilli d'utiles leçons et de salutaires instructions.

Au reste, pour me faire mieux comprendre, j'ai besoin, mes chers frères, de revenir un peu sur le sujet que je traitai hier, ce sera comme un trait d'union entre ces deux discours. Je vous disais donc, si vous vous en souvenez, que Moïse, en nous racontant l'oeuvre de la création, s'exprimait ainsi : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre; or la terre était invisible et informe. Je vous expliquai ensuite pour quels motifs Dieu avait ainsi créé la terre informe et privée de toute parure. (13) Vous n'avez point, je le pense, oublié cette explication; aussi puis-je aujourd'hui pour suivre le récit de Moïse. Après avoir dit que la terre était invisible et informe, il nous en donne la raison, en ajoutant que les ténèbres couvraient la face de l'abîme, et que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Mais observez avec quel soin le saint Prophète retranche ici tout détail inutile. Il ne nous raconte point toutes les diverses particularités de la création; mais parce que le ciel et la terre contiennent tous les éléments, il se contente de les mentionner, et passe les autres sous silence. C'est ainsi que sans décrire la formation des eaux, il dit simplement que les ténèbres couvraient la face de l'abîme , et que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Ainsi les ténèbres et l'abîme couvraient la terre; et il était nécessaire qu'un sage ouvrier, corrigeant toute cette difformité, pût donner à celle-ci quelque beauté. Or, les ténèbres, dit Moïse, couvraient la face de l'abîme, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux; mais que signifie cette parole l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux? Il me semble qu'elle nous révèle que les eaux possédaient une vertu efficace et vitale. Elles n'étaient donc point stagnantes et immobiles, mais elles se mouvaient avec une certaine activité. Car tout corps qui repose dans une entière immobilité est complètement inutile, tandis que le mouvement le rend propre à mille usages.

2. C'est pourquoi le saint Prophète dit que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, afin de nous apprendre qu'elles possédaient une force énergique et secrète, et ce n'est point sans raison que l'Ecriture s'exprime ainsi; car elle veut nous disposer à croire ce qu'elle nous dira plus tard que les animaux ont été produits de ces eaux par le commandement de Dieu, créateur de l'univers. Aussi Moïse ne se contenta-t-il pas de dire que Dieu créa les eaux, mais il ajoute qu'elles se mouvaient, se répandaient et couvraient l'espace. Lors donc que la terre était encore informe et submergée sous l'abîme, le divin Ouvrier corrigea d'une seule parole cette difformité. Il produisit la lumière, dont l'éclatante beauté dissipa soudain les ténèbres extérieures et illumina l'univers. Car Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut. Il dit, et la lumière parut; il commanda, et les ténèbres s'enfuirent à la présence de la lumière. Quelle n'est donc point la puissance du Seigneur !

Mais quelques-uns, séduits par l'erreur et l'hérésie, ne font aucune attention à ce contexte de Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était invisible et informe, parce qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux. Car c'est en cet état que Dieu. a voulu la créer. Aussi affirment-ils que la matière et les ténèbres préexistaient avant la création. Mais cette folie est-elle pardonnable? On vous dit qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et qu'il tira toutes choses du néant; et vous soutenez due la matière préexistait! Le simple bon sens fait justice de cette extravagance. Car le Dieu créateur est-il un homme qui ait eu besoin d'une matière pour exercer son art? il est le Dieu à qui tout obéit et qui a créé toute chose par sa parole et son commandement. Voyez plutôt : il a dit une seule parole et la lumière a été faite, et les ténèbres se sont retirées.

Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres, c'est-à-dire qu'il leur désigna une demeure séparée et qu'il leur fixa un temps spécial et déterminé. Il leur donna ensuite un nom particulier, car Dieu, dit Moïse, appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Observez comme une seule parole et un seul commandement réalisent cette heureuse séparation, et opèrent cette oeuvre admirable que notre raison ne saurait comprendre ! Voyez encore comme le saint Prophète s'est accommodé à la faiblesse de notre intelligence ! ou plutôt, c'est Dieu lui-même qui a daigné parler par sa bouche, afin d'apprendre aux hommes quel a été l'ordre de la création, quel est l'auteur de l'univers et de quelle manière il a produit toutes les créatures. Le genre humain était encore trop grossier pour comprendre un langage plus élevé. C'est pourquoi Moïse, dont l'Esprit-Saint dirigeait la parole, s'est proportionné à l'infirmité de ses auditeurs; il leur a donc expliqué toutes choses avec méthode, et, il est si vrai qu'il n'emploie que par condescendance ce tempérament de style et de pensées, que l’Evangéliste, fils du tonnerre, suit une route tout opposée. Il écrivait dans un temps ou les hommes étaient plus avancés dans l'intelligence de la vérité; aussi les élève-t-il soudain jusqu'aux plus sublimes mystères. Car, après avoir dit : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, il ajoute : Il était la véritable lumière qui illumine tout homme venant au (14) monde. (Jean, I, 1, 9.) Et, en effet, de même que dans la création cette lumière sensible qui se produisit à la parole du Seigneur, dissipa les ténèbres matérielles, de même la lumière spirituelle chasse les ténèbres de l'erreur, et ramène à la vérité ceux qui s'égarent.

3. Recevons donc avec reconnaissance les instructions que nous donne la sainte Écriture, et ne nous opposons point à la vérité, de peur que nous ne demeurions dans les ténèbres. Mais au contraire, venons à la lumière, et opérons des couvres dignes du jour et de la lumière. Saint Paul nous y exhorte quand il dit : Marchons dans la décence comme durant le jour, et ne faisons point des actions de ténèbres. (Rom. XIII, 13.) Et Dieu, dit Moïse, appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Mais je m'aperçois d'une omission et je la répare. Après donc que Dieu eut dit: que la lumière soit, et la lumière fut, Moïse ajoute : et Dieu vit que la lumière était bonne. Considérez ici, mon cher frère, avec quel art l'écrivain sacré tempère ses expressions. Quoi ! Dieu ignorait-il que la lumière fût bonne avant qu'il ne l'eût créée; et sa vue ne lui en a-t-elle découvert la beauté que du moment où il l'eut produite? Mais quel homme sensé admettrait un tel doute ! car nous voyons qu'aucun ouvrier n'entreprend un ouvrage , ne le travaille et ne le polit sans en connaître d'avance le prix et l'usage; et vous voudriez que l'Ouvrier suprême qui a tiré toutes les créatures du néant, ne sût pas avant de la produire que la lumière était bonne ! Pourquoi donc Moïse emploie-t-il cette façon de parler? c'est que ce saint prophète s'abaisse et s'accommode à l'usage ordinaire des hommes. Quand ils ont travaillé avec grand soin un ouvrage important, et qu'ils l'ont heureusement achevé, ils l'examinent de près et l'éprouvent afin de mieux en connaître tout,le mérite. Et de même la sainte Écriture se proportionne à la faiblesse de notre intelligence en disant que Dieu vit que la lumière était bonne.

Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres; et il appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Il leur marqua ainsi un temps déterminé, et dès le commencement il fixa à la lumière, et aux ténèbres les limites qu’elles ne devaient jamais franchir. Il suffit en effet d'un peu de bon sens pour se convaincre que depuis ce moment jusqu'aujourd'hui, la lumière n'a point dépassé les bornes que Dieu lui a marquées, et que les ténèbres se sont également contenues dans leurs limites, sans amener aucun trouble ni aucune confusion. Mais cette simple observation ne devrait-elle pas obliger tous lés incrédules à croire ce que l'Écriture nous dit, et à pratiquer ce qu'elle nous commande? Ils imiteraient du moins ces éléments qui poursuivent invariablement leur course, sans en dépasser jamais les limites, ni méconnaître les bornes de leur nature. Mais après que Dieu eut séparé la lumière d'avec les ténèbres, et qu'il leur eut donné un nom particulier, il voulut les réunir sous une commune dénomination. Aussi Moïse ajoute-t-il que du soir et du matin se fit le premier jour. C'est ainsi que le jour comprenant l'espace que parcourent alternativement les ténèbres et la lumière, maintient entre elles l'ordre et l'harmonie, et empêche toute confusion.

L'Esprit-Saint nous a donc révélé, par l'intermédiaire de notre illustre prophète, l'œuvre du premier jour de la création; et il nous révèlera également les couvres des autres jours. Or, cette création successive est de la part de Dieu une preuve de condescendance et de bonté ; car sa main était assez puissante, et sa sagesse assez infinie pour achever la création dans un seul et même jour. Que dis-je ? dans un jour ! un seul instant lui suffisait; mais puisqu'il n'a pu, n'ayant besoin de rien, créer le monde pour sa propre utilité, il faut dire qu'il n'a produit tant de créatures que par son extrême bonté. Et c'est encore cette même bonté qui l'a porté à ne produire ces créations que successivement, et à nous faire connaître, par notre saint prophète, l'ordre et la suite de ses ouvrages. Il a voulu que cette connaissance nous empêchât de nous laisser séduire aux erreurs de la raison humaine. Et, en effet, plusieurs soutiennent encore, malgré une révélation si expresse, que le hasard a tout fait. Mais si Moïse ne nous eût instruits avec tant de condescendance et de netteté , que, n'eussent point osé ceux qui ont la hardiesse d'avancer de semblables propositions, et de tenir une conduite si préjudiciable à leur salut 1

4. Et, en effet, n'est-ce pas le comble du malheur, comme de la folie, que d'affirmer que le hasard a tout fait et que la Providence divine est étrangère à la création? Car peut-on raisonnablement admettre, je vous le demande, que le hasard ait produit ce vaste univers avec sa brillante décoration, et qu'il la conserve et (15) la régisse? Un vaisseau sans pilote ne traverse point les flots, une armée ne fait rien de grand et d'éclatant sans un général , une famille ne s'administre point sans un chef :.et l'on voudrait que ce vaste univers, et l'ensemble des éléments qu'il renferme, se soient produits fortuitement ! Mais ce serait nier l'existence d'un Etre supérieur qui a tout créé par sa puissance, de même qu'il maintient et dirige tout par sa sagesse ; au reste, est-il besoin de nouveaux arguments pour prouver à ces aveugles des vérités qui sautent aux yeux? Cependant je ne négligerai point de leur proposer l'explication de nos saints livres, et j'y emploierai même tous mes soins, afin de les arracher à leurs erreurs et les ramener à la vérité. Car, malgré leur égarement, ils sont nos frères, et à ce titre ils ont droit à toute notre sollicitude. C'est pourquoi je m'appliquerai avec zèle et selon mes forces à leur présenter de salutaires remèdes : et peut-être un jour reviendront-ils à la saine doctrine. Rien en effet n'est plus cher à Dieu que le salut des âmes. Il veut, comme l'Apôtre nous l'assure, que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils viennent tous à la connaissance de la vérité. (I Tim. II, 4.) Et le Seigneur lui-même nous dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XXVIII, 23.) Il n'a donc créé l'univers qu'en vue de notre salut; et il nous a fait naître, non pour nous perdre et nous précipiter dans les supplices de l'enfer, mais pour nous sauver, nous délivrer de l'erreur et nous rendre participants de son royaume. C'est ce royaume qu'il nous a destiné longtemps avant notre naissance , et avant même qu'il eût jeté les fondements du monde, comme Jésus-Christ nous l'apprend par ces paroles : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Matth. XXV, 34.) Oh ! combien est grande la bonté du Seigneur ! il n'avait as encore créé le monde ni formé l'homme que déjà il nous préparait les biens infinis du ciel. Pouvait-il mieux montrer ses soins à l'égard de l'homme, et son désir. de notre salut.

Mais puisque nous avons un Maître si plein de miséricorde, de bonté et de douceur, travaillons à sauver et notre âme et celles de nos frères; car une voie facile et assurée de salut est de ne point concentrer sur soi-même toute sa sollicitude, et de l'étendre jusqu'à ses frères, en sorte qu'on leur soit utile et qu'on les ramène dans les sentiers de la vérité. Mais voulez-vous connaître combien il nous est avantageux de sauver nos frères en nous sauvant nous-mêmes ? écoutez ces paroles qu'un prophète nous adresse au nom du Seigneur : Si vous séparez ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez comme ma bouche (Jér. XV, 19) ; c'est comme si Dieu disait : Celui qui fait connaître la vérité à son prochain, ou qui le ramène du vice à la vertu, m'imite autant qu'il est possible à la nature humaine. Et en effet, le Verbe éternel, tout Dieu qu'il est, a pris notre nature et s'est fait homme pour nous sauver; mais ce n'est pas dire assez que d'affirmer qu'il a pris notre nature et qu'il s'est soumis à toutes les infirmités de notre condition, puisqu'il a même souffert le supplice de la croix, afin de nous racheter de la malédiction du péché. Jésus-Christ, dit l'Apôtre, nous a rachetés de la malédiction de la loi , s'étant rendu lui-même malédiction. (Gal. III, 13.) Mais si un Dieu, quoique impassible en son essence, n'a point dédaigné, dans son ineffable bonté, de tant souffrir pour notre salut, que ne devons-nous pas faire à l'égard de ceux qui sont nos frères et nos membres, afin de les arracher de la gueule du démon et de les ramener en la . voie de la vertu? Car, puisque l'âme est bien supérieure au corps, l'aumône corporelle, qui distribue nos richesses aux pauvres, est moins excellente que l'aumône spirituelle qui, par de salutaires avis et de continuelles exhortations, remet dans le bon chemin les âmes tièdes et paresseuses en leur faisant connaître la difformité du vice et l'admirable beauté de la vertu.

5. Fortement convaincus de ces vérités, plaçons le salut de notre âme au-dessus de tous les intérêts de la vie, et cherchons à exciter dans nos frères une égale sollicitude. Car, que pouvons-nous souhaiter de plus désirable que de retirer une âme, par nos fréquentes exhortations, de cet abîme de maux où nous sommes tous plongés, et de lui enseigner à réprimer ces passions tumultueuses qui nous agitent incessamment. C'est pourquoi nous avons besoin d'être toujours sur nos gardes, parce qu'il nous faut soutenir une guerre qui n'admet ni trève, ni relâche. Aussi l'Apôtre écrivait-il aux Ephésiens : Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes (16) de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice. répandus dans l'air. (Eph. VI, 12.) C'est comme s'il nous disait : ne vous persuadez point que vous n'ayez à livrer que de légers combats. Nos adversaires ne sont point .de même nature que nous, et il n'y a point égalité entre les combattants. Nous qui sommes appesantis par le poids du corps, nous devons entrer en lice et nous mesurer contre des puissances spirituelles. Mais ne craignez point, car quoique la lutte soit inégale, nos armes ne laissent pas d'être fortes et puissantes. Et maintenant que vous connaissez, continue-t-il, le génie et le caractère de vos ennemis,, ne perdez point courage, et n'engagez point lâchement le combat : mais revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, pour pouvoir vous défendre des embûches du démon. (Eph. VI,11.)

Cet ennemi implacable multiplie ses ruses, c'est-à-dire les moyens qu'il emploie pour surprendre les chrétiens négligents. Il nous importe donc beaucoup de les connaître afin d'échapper à ses coups, et de ne point lui donner entrée dans nos coeurs. C'est pourquoi nous devons veiller avec soin sur notre langue, captiver nos regards, purifier notre âme, et toujours nous tenir prêts à combattre, comme si une bête féroce nous attaquait, et cherchait à nous dévorer. Aussi saint Paul, cet homme apostolique, ce docteur des nations, cet oracle de l'univers n'omet-il rien pour le salut de ses disciples. Après leur avoir dit : Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu; il poursuit ainsi pour achever de les rendre invincibles. Soyez donc fermes : que la vérité soit la ceinture de vos reins; que la justice soit votre cuirasse; et que vos pieds aient une chaussure qui vous dispose â suivre l'Evangile de la paix. Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés de l'esprit mauvais, et prenez encore le casque du salut, et l'épée spirituelle, . qui est la parole de Dieu. (Eph. VI, 14, 17.)

Vous voyez donc comme l'Apôtre nous revêt d'une armure complète, ainsi que des soldats qui s'avancent au combat. Il veut d'abord que nos reins soient ceints pour que nous soyons plus disposés à courir, et il nous couvre ensuite d'une cuirasse, afin de nous protéger contre les traits de notre ennemi. Il munit même nos pieds, et surtout il nous arme de la foi comme d'un bouclier qui puisse repousser et éteindre les traits enflammés de notre ennemi. Quels sont donc ces traits de Satan? Ce sont les désirs mauvais, les pensées impures, et les affections déréglées; l'emportement, l'envie, la jalousie, la colère, la haine, l'avarice et tous les vices. Le glaive de l'esprit, dit l'Apôtre, ;peut éteindre les feux de ces diverses passions, et même trancher la tête à notre ennemi. C'est ainsi qu'il fortifie ses disciples, et qu'il rend plus durs que le fer des hommes qui étaient plus mous que la cire. Et parce que nous n'avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre dés puissances spirituelles, il ne nous revêt point d'une armure matérielle, et nous remet entre les mains des armes spirituelles et flamboyantes, en sorte que le démon ne puisse même en supporter l'éclat.

6. Revêtus de telles armes, nous ne devons ni craindre ses attaques, ni fuir sa rencontre, ni le combattre lâchement. La vigilance chrétienne ne permet point à l'esprit mauvais de résister à la force de nos armes, et elle déconcerte toutes ses ruses. Mais si nous étions lâches et timides, ces mêmes armes nous deviendraient inutiles, car l'ennemi de notre salut ne dort jamais, et il n'épargne rien pour nous perdre. Soyons donc toujours sous les armes, et abstenons-nous des paroles, non moins que des actions qui blesseraient notre conscience. Joignons aussi à l'exercice de l'abstinence la pratique de toutes les vertus, et spécialement de la charité envers les pauvres, n'ignorant point quelles grandes récompenses sont attachées à l'aumône. Car celui qui donne au pauvre prête au Seigneur. (Prov. XIX, 17.) Et voyez comme ce genre de prêt est extraordinaire et admirable ! L'un reçoit et i n autre se porte garant et caution. Bien plus, et cette considération est importante, nous n'avons ici à craindre ni un défaut de reconnaissance, ni perte aucune. Et en effet, on ne nous assure pas seulement sur la terre le centième; mais le centuple, et après la mort, la vie éternelle. Si quelqu'un nous promettait aujourd'hui de nous rendre le double de notre argent, nous lui offririons notre fortune entière, quoique bien souvent l'on ne rencontre que des ingrats, ou des débiteurs de mauvaise foi. Plusieurs en effet qui passent pour des gens probes et honnêtes,  manquent à leurs engagements ou par malice, ou par impuissance. Mais avec Dieu il n'y a rien à craindre : le capital est en sûreté entre ses mains; et quant aux intérêts, il nous donne (17) le centuple dès cette vie, et nous réserve après la mort le bonheur du ciel. Quelle serait donc notre excuse, si une coupable négligence nous empêchait de faire fructifier notre argent au centuple, et d'échanger quelques biens présents et périssables contre les richesses futures et immuables de l'éternité ! Mais on conserve tranquillement son or sous une double clé; et il repose inutilement dans nos coffres-forts, tandis que si nous en faisions part aux pauvres, il nous assurerait leur concours pour la vie future. Employez, dit Jésus-Christ, les richesses injustes à vous faire des amis, afin que quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. (Luc, XVI, 9.)

Cependant, je le sais, plusieurs, loin de se rendre à mes instances, traitent mes paroles de fables et de rêveries, et ils n'y donnent aucune attention. C'est ce qui m'afflige et me contriste profondément : car je vois que ni l'expérience de la vie, ni les promesses solennelles de Dieu, ni la crainte d'un avenir malheureux, ni mes exhortations de chaque jour ne peuvent les ébranler. Et néanmoins, je ne cesserai point de les poursuivre de mes reproches jusqu'à ce qu'enfin l'importunité de mes avis triomphent de leur dureté. Poissé-je donc les amener à la pratique sincère de l'abstinence, et dissiper ainsi les ténèbres dont les offusquent l'abondance des viandes, le vin et l'avarice ! J'espère en effet, oui, j'espère que ma parole, vivifiée par la grâce divine et l'exercice du jeûne les guériront enfin de cette dangereuse maladie, et les rendront à une parfaite santé. Ils n'auront donc plus à redouter les menaces des feux éternels, et nous-même, délivré de toute inquiétude, nous glorifierons- en leur nom Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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