HOMÉLIE IX

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NEUVIÈME HOMÉLIE. Suite de ces paroles : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. »

 

ANALYSE.

 

1. Après avoir rappelé à ses auditeurs que le temps du carême est un temps favorable à  l'étude des saintes Ecritures, saint Chrysostome reprend en peu de mots le récit de la création. — 2. Puis, résumant l'homélie précédente, il explique cette parole rc Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, non d'une égalité de nature, mais d'une participation d'autorité. » —  3 et. 4. Il réfute ensuite cette objection des païens, que l'homme n'a point. un domaine souverain sur tous les animaux, quoique Dieu le lui ait. donné, et il dit que le péché originel a sans doute affaibli ce domaine; mais ne l'a pas entièrement détruit, car l'homme sait se faire craindre de tous les animaux et dompte les plus farouches. — 5 et 6. Il termine en exhortant ses auditeurs à reconnaître les bienfaits du Seigneur par le sacrifice d'un coeur contrit, l'aveu de leurs péchés et la pratique des vertus chrétiennes.

 

1. Le laboureur diligent multiplie la semence dans une terre grasse et bien cultivée, et chaque jour il examiné soigneusement si quelque herbe mauvaise ne menace point d'étouffer le bon grain et de rendre ses travaux infructueux. C'est ainsi qu'en voyant votre empressement et votre zèle pour entendre la parole sainte, je m'applique chaque jour à vous, développer quelques versets de l'Ecriture ; tuais je n'oublie point de vous signaler l'ivraie qui nuirait à la bonne semence, et je vous prémunis contre les dangers de l'erreur et de l'hérésie, car plusieurs s'efforcent de substituer leurs rêveries à l'interprétation de l'Eglise. De votre côté, vous devez retenir ces explications avec soin et les graver dans votre mémoire, afin d'en saisir plus facilement l'ordre et la suite.

Voici un temps favorable pour entrer dans les plus profonds mystères de l'Ecriture et pour captiver l'attention de l'esprit. Pendant ces jours de jeûne, le corps est plus dispos pour nager dans ces eaux spirituelles, le regard de l'âme est plus vif, parce qu'il n'est point troublé par les flots impurs du plaisir, et l'esprit lui-même est plus dégagé et plus libre pour se tenir au-dessus des vagues. Mais si nous ne. nous appliquons aujourd'hui à cette étude, quand pourrons-nous le faire plus commodément? Sera-ce lorsque régneront parmi nous les délices de la table, l'ivresse , la gloutonnerie et tous les désordres qu'entraîne l'intempérance? Voyez-vous les plongeurs qui pêchent les perles au fond de la mer, s'asseoir tranquillement sur le rivage et compter les flots? Ils s'enfoncent sous l'eau, descendent, pour ainsi dire, dans les entrailles de l'abîme, et à force de peine et de travail obtiennent une pêche abondante. Et cependant cette industrie n'est pas d'une grande utilité pour la vie; plût au ciel même qu'elle ne fût pas extrêmement nuisible ! car le désir de posséder ces pertes excite des maux innombrables et allume la soif et comme la rage des richesses. Néanmoins la vue et la certitude de tous ces malheurs ne ralentissent point l'activité des pêcheurs ; ils bravent mille dangers et supportent mille fatigues pour pêcher ces belles perles. S'agit-il, au contraire, de recueillir, dans le champ des saintes Ecritures, des perles spirituelles et bien autrement précieuses, il n'y a ni danger à courir, ni travaux à supporter, et nous sommes assurés d'un gain immense pour peu que, de notre part, nous y mettions quelque empressement. Et en effet la grâce s'offre d'elle-même à tous ceux qui la cherchent de bonne foi; car tel est le Seigneur, notre Dieu : s'il voit en nous l'activité, le désir et la ferveur, il nous distribue largement ses richesses, et il nous les prodigue même avec une munificence qui surpasse nos demandes.

2. Instruit de ces vérités, appliquez-vous donc, mon très-cher frère, à purifier votre coeur des affections du monde; dilatez les facultés de votre âme, et recevez avec une grande joie cette bonne semence que l'Esprit-Saint répand en vous. C'est ainsi que cette semence, confiée à une terre grasse et fertile, rendra tantôt cent pour un, et tantôt soixante ou trente. Et maintenant rappelez-vous le sujet de nos derniers entretiens : je vous y ai fait admirer l'ineffable sagesse de Celui qui a créé toutes les créatures visibles, et je vous ai dit comment il les avait créées par un seul acte de sa volonté et par une seule parole; car il a dit Qu'elles soient, et aussitôt elles ont été produites. Cette seule parole les appela soudain du néant, parce que ce n'était point la parole d'un homme, mais la parole d'un Dieu. Vous vous souvenez aussi de quelle manière j'ai réfuté ceux qui soutiennent que l'univers a été tiré d'une matière préexistante, et qui ne craignent point de substituer ainsi leurs rêveries aux dogmes infaillibles de l'Eglise. Vous savez enfin pourquoi le ciel a été créé tout d'abord brillant et parfait, tandis que la terre fut primitivement brute et informe. Et je vous ai dit que Dieu en avait agi ainsi pour deux raisons principales. D'abord , il a voulu nous montrer sa puissance dans les splendeurs dont il a paré le premier de tous les éléments, en sorte que nous ne doutions point qu'il ne pût également embellir la terre. Mais parce que cette terre est la mère et la nourrice de l'homme, que, pendant la vie, elle lui fournit ses aliments, lui prodigue ses richesses, et, après la mort, le reçoit en son sein, Dieu nous l'a présentée au commencement brute et informe, dans la crainte que la vue des grands avantages que nous en retirons ne nous en fissent concevoir des idées trop relevées. Ce premier état de la terre nous instruit donc à ne point lui attribuer ses diverses productions et à les rapporter toutes à la vertu du Créateur.

Je vous ai ensuite exposé comment Dieu avait séparé les eaux, étendu entre elles, par une seule parole, le firmament visible, et peuplé la terre et les eaux d'animaux vivants. Mais ce n'est point sans raison, ni sans motif que je vous rappelle toutes ces choses; je veux d'abord les mieux imprimer dans votre esprit, et puis les apprendre à ceux qui n'ont pu assister à nos premières réunions , afin que cette absence ne leur nuise point; c'est ainsi qu'un bon père réserve quelques plats de sa table pour les offrir comme consolation à ceux de ses enfants qui étaient absents à l'heure du repas. Vous savez aussi que tous ceux qui se pressent en foule dans cette enceinte ne me sont pas moins chers que les membres de mon corps; je désirerais donc que tous soient consommés en sainteté pour l'honneur de Dieu, la louange de l'Eglise, et ma propre gloire. Aussi voudrais-je, si je ne craignais de vous fatiguer, reprendre brièvement le sujet de notre dernier entretien. Je vous y fis donc observer quelle différence existe entre la création de l'homme et celle des autres créatures, et en quel rang d'honneur Dieu l'a établi. Et en effet, la sublimité seule des paroles que Dieu prononça en le formant nous révèle toute la dignité de l'homme, car Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Je vous expliquai ensuite le sens de ce mot : à notre image, et je vous dis qu'il ne fallait point l'entendre d'une égalité de nature, mais seulement d'une participation d'autorité et de souveraineté; c'est pourquoi Dieu ajoute immédiatement : Et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur les animaux et les reptiles de la terre.

3. Ici les païens nous attaquent, et ils nous objectent que cette parole n'est qu'un mensonge, puisque l'homme ne maîtrise point les animaux féroces, comme Dieu le lui avait' promis,'et qu'au contraire il leur est soumis. Mais d'abord cette objection n'est rien moins que vraie, car à la vue de l'homme tous les animaux prennent la fuite. Si quelquefois pressés par la faire, ou excités par nos attaques, ils se jettent sur nous, et nous blessent, c'est bien plus par notre faute que par suite de leur prétendu empire sur l'homme. Des voleurs nous attaquent, et nous nous défendons les armes à la main. Faut-il en conclure qu'ils ont sur nous quelque autorité? Non sans doute, seulement nous veillons à notre conservation. Mais expliquons de nouveau ces paroles: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Ce mot image indique dans l'homme une pleine autorité sur les animaux, et le mot ressemblance marque les efforts qu'il doit faire pour se rendre, autant qu'il lui est possible; semblable à Dieu par la douceur, la bonté et toutes les (49) autres vertus. C'est ce que Jésus-Christ nous recommande, quand il dit : Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 45.) Et en effet, de même que sur l'immense étendue de la terre il existe. des animaux doux et privés, et des animaux sauvages et féroces; il y a aussi sur le vaste domaine de l'âme des pensées irraisonnables et brutales, des pensées féroces et farouches. Ce sont ces pensées qu'il nous faut dompter et assujettir à l'empire de la raison.

Mais comment maîtriser des pensées féroces? Que dites-vous, ô homme? nous savons apprivoiser les lions et les rendre doux et familiers; et vous douteriez s'il vous est possible de changer en douceur la férocité de vos sentiments ? Observez encore que ces animaux sont féroces par nature, et qu'ils ne s'adoucissent que par une violence faite à leur instinct, tandis que l'homme est naturellement doux, et qu'il ne devient féroce que contrairement à sa nature. Eh quoi ! l'homme transforme dans un animal la férocité de l'instinct en des qualités tout opposées, et il ne pourrait conserver en lui-même celles qu'il tient de la nature ! Mais combien ne serait-il pas coupable ! Et ici ce qui est plus étonnant encore et plus merveilleux, c'est que les lions sont dépourvus de raison, et par conséquent moins faciles à instruire. Néanmoins on en voit plusieurs qui se laissent mener sur nos places publiques comme des animaux apprivoisés; nous jetons même des pièces de monnaies à ceux qui les conduisent, comme pour les payer de leur art et de leur industrie. Et vous, ô homme, vous avez une âme douée de raison, la crainte de Dieu, et mille secours, en sorte que vous ne sauriez opposer ni prétextes, ni excuses; oui, si vous le voulez, vous pouvez devenir doux, juste et affable, car Dieu a dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance.

4. Revenons maintenant à l'objection proposée. Les paroles de la Genèse prouvent que dans le principe l'homme avait sur les animaux un empire absolu. Et en effet, Dieu a dit : Qu'il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux et les reptiles de la terre. Mais puisqu'aujourd'hui les animaux féroces nous épouvantent, et que nous les craignons, nous sommes donc déchus de cet empire; je l'avoue. Et néanmoins cette déchéance ne prouve rien contre les promesses divines. Car il n'en était pas ainsi au commencement. C'étaient les animaux qui craignaient l'homme, qui le redoutaient, et qui respectaient son autorité. Mais quand, par sa désobéissance, il perdit la grâce et l'amitié de son Dieu, il vit son empire sur les animaux s'affaiblir et décroître. L'Écriture nous les montre soumis à l'homme au commencement, car elle nous dit que Dieu fit venir devant Adam tous les animaux de la terre, et tous les oiseaux dit ciel, afin qu'Adam vît comment il les nommerait. Or, Adam ne s'enfuit point à leur vue,, ni à leur approche; et il donna à chacun un nom propre et particulier, 'ainsi qu'un maître nomme ses esclaves. Et le nom, ajoute l'Écriture, qu'Adam, donna à chaque animal, est son propre nom. (Gen. II, 19.) Mais n'est-ce pas là un grand acte d'autorité? et Dieu le lui réserve comme témoignage de sa puissance et de sa dignité.

Cette preuve, seule suffirait pour montrer qu'au commencement l'homme ne s'effrayait point des animaux. Mais je puis en apporter une seconde plus convaincante encore. Et laquelle? L'entretien de la femme avec le serpent. Et en effet si l'homme eût tremblé devant les animaux , nous ne verrions point Eve attendre l'approche du serpent, recevoir ses conseils, et entrer en conversation avec lui. Mais à son aspect, elle eût pris la fuite craintive et épouvantée. Cependant elle lui parle sans effroi ; donc elle ne le redoutait pas alors. Mais le poché, qui dépouille l'homme de sa dignité, lui ravit également son empire sur les animaux. Dans une maison les mauvais serviteurs craignent ceux que leur fidélité fait plus estimer de leurs maîtres. C'est ce qui est arrivé par rapport à l'homme. Tant qu'il demeura fidèle au Seigneur, il se faisait craindre de tous les animaux : et dès qu'il devint pécheur, il trembla lui-même devant les derniers de ses esclaves.

Peut-être n'approuvez-vous pas mon raisonnement : eh bien ! montrez-moi qu'avant le péché l'homme ait craint les animaux. Mais vous ne le pourrez. Sa frayeur actuelle est une suite de son péché, et nous y voyons même reluire un admirable effet de la bonté divine. Car si l'homme, après sa désobéissance, eût été maintenu dans toute l'intégrité de ses privilèges, il se serait peu soucié de se relever de sa chute. Si le prince honorait également ses sujets rebelles et ses sujets fidèles, les premiers persisteraient dans leur révolte, et on ne les (50) soumettrait que difficilement. C'est ainsi qu'aujourd'hui les menaces , les châtiments et les supplices de l'enfer ne convertissent pas toujours les pécheurs. Mais que seraient-ils donc si Dieu laissait leurs crimes impunis? Aussi nous a-t-il ôté l'empire sur les animaux; et cette privation est de sa part un grand acte de miséricorde et de bonté.

5. Voulez-vous, mon cher frère, mieux apprécier encore l'ineffable bonté du Seigneur? Considérez d'un côté comment Adam a violé le précepte divin, et transgressé toute la loi, et de l'autre comment Dieu a daigné surpasser notre malice par l'excès de ses miséricordes. Car il n'a point dépouillé l'homme de tousses honneurs, et il ne lui a point retiré toute autorité sur les animaux. Mais il n'a soustrait à sa domination que ceux qui lui sont le moins utiles. Quant aux espèces qui peuvent le plus nous soulager, et qui nous sont réellement utiles et nécessaires, elles nous sont restées soumises et obéissantes. Ainsi le Seigneur nous a laissé le boeuf pour traîner la charrue, et pour nous aider dans le labourage et la culture des champs. Il nous a laissé les genres nombreux des bêtes, de somme, qui tirent les chariots, et nous soulagent dans nos travaux. Il nous a laissé les diverses espèces de bêtes à laine qui nous fournissent nos vêtements, et une multitude d'autres animaux qui nous rendent de grands services.

C'est en punition de sa désobéissance que Dieu a dit à l'homme : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Mais pour que cette sueur ne nous fût pas trop amère, ni ce travail trop pénible, il a daigné en adoucir la fatigue par le secours de ces nombreuses bêtes .de charge qui partagent nos peines et nos labeurs. Le père de famille bon et prudent châtie un serviteur coupable, mais il ne laisse point que d'en prendre soin. Ainsi le Seigneur, qui a porté contre l'homme pécheur une sentence de condamnation, a voulu lui adoucir les rigueurs du châtiment. C'est pourquoi il lui a donné l'aide des animaux domestiques pour ménager ses sueurs, et alléger ses fatigues. Nous ne saurions donc méditer sérieusement la conduite du Seigneur à notre égard, soit qu'il accorde à l'homme un empire absolu sur les animaux, soit qu'il l'en dépouille, et le rende craintif devant eux, sans y reconnaître une providence pleine de sagesse, de clémence et de bonté.

Ne négligeons donc point de lui rendre grâces pour tant de bienfaits. Il n'exige en cela rien de bien pénible, ni de bien difficile, et il demande seulement que nous avouions sincèrement ses libéralités, et que nous lui en soyons reconnaissants. Ce n'est point qu'il en ait besoin, puisqu'il se suffit à lui-même. Mais il veut que nous nous concilions ainsi la bienveillance de l'Auteur de tout bien, que nous ne soyons point ingrats envers lui, et que nos vertus répondent à ses bienfaits et à sa providence. Ce sera aussi le moyen d'attirer sur nous de nouvelles grâces. Je vous en conjure donc, remplissez ce devoir avec zèle; et selon vos forces, renouvelez en vous, à chaque heure du jour, le souvenir de ses bienfaits, tant généraux que particuliers. Oui, rappelez-vous non-seulement ceux que tous avouent, et qui éclatent aux regards de tous, mais encore ces grâces secrètes qui ne sont connues que de vous seul. Vous contracterez ainsi l'heureuse habitude d'une continuelle reconnaissance. Or ces sentiments sont le grand sacrifice et l'oblation parfaite que Dieu exige, non moins que le principe et le témoignage de notre confiance en lui. Comment? je vais le dire. C'est que ce fréquent souvenir des bienfaits de Dieu développe en nous la conscience de notre faiblesse, produit la connaissance de son éminente bonté, et nous montre comment, dans les soins de sa providence envers nous, il oublie ce que mériteraient nôs péchés, et ne suit que les attraits de sa miséricorde. Or à cette vue l'homme, s'humilie, et il est contrit dans son coeur. Il réprime au dedans de lui le faste et l'arrogance, et il agit modestement en toutes choses. Il méprise donc la gloire du monde, et il se rit de son éclat futile et éphémère; parce que sa pensée s'attache aux biens futurs, et à cette vie immortelle qui ne finira jamais. Mais de tels sentiments ne sont-ils pas ce vrai sacrifice dont parle le Prophète, et que Dieu agrée toujours. Le sacrifice, dit-il, que Dieu demande, est une âme brisée de douleur; et il ne dédaigne jamais un coeur contrit et humilié. (Ps. I, 49.) Ne voyons-nous pas en effet que les châtiments retiennent bien moins dans le devoir les serviteurs qui ont un. bon coeur, que le souvenir des bienfaits et celui de l'indulgence avec laquelle on punit leurs fautes ?

6. Brisons donc nos cœurs, je vous en supplie, et humilions nos âmes, aujourd'hui (51) surtout que le jeûne nous en facilite les moyens. Ces dispositions nous permettront de prier avec plus de recueillement, et d'obtenir par la confession de nos péchés des grâces plus abondantes. D'ailleurs le Seigneur nous a révélé lui-même combien ces âmes lui sont agréables. Sur qui fixerai-je mes regards, nous dit-il, si ce n'est sur l'homme humble, pacifique et obéissant à ma parole? (Isa. LXVI, 2.) C'est pourquoi Jésus-Christ, nous dit également Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. (Matth. II, 29.) Et en effet, le chrétien sincèrement humble ne saurait s'abandonner à la colère, ni à la vengeance, parce qu'il ne s'occupe que de la considération de son néant et de sa misère. Mais qui est plus heureux que ce chrétien? il est dans le port à l'abri de la tempête, et il se complaît en son repos et sa sécurité. Aussi Jésus-Christ nous assure-t-il que c'est le moyen de trouver le repos de nos âmes.

Le chrétien qui réprime les saillies de ses passions, jouit donc d'une paix abondante; mais celui qui est lâche et négligent, et qui ne sait point les modérer, vit nécessairement dans le trouble et l'agitation. Sa conscience est le théâtre d'une guerre intestine, et il se trouble en présence de lui-même. Son coeur devient le jouet des orages, qui y soulèvent les vagues d'une mer féconde en naufrages. Et quand les esprits mauvais y déchaînent les tempêtes, trop souvent, par l'inhabileté du pilote , le vaisseau périt corps et biens. Ainsi c'est pour nous un devoir d'être attentifs et vigilants, afin de ne perdre jamais de vue le soin et la préoccupation de notre salut. Car tout chrétien doit lutter sans cesse contre les révoltes de la chair, et garder fidèlement les préceptes de la loi divine. Il doit s'en environner comme d'un rempart, et ne point abuser de la miséricordieuse bonté du Seigneur. Mais surtout il ne doit point attendre pour s'humilier que sa colère éclate, car l'on pourrait dire de lui comme des Juifs: Lorsque le Seigneur les frappait, ils revenaient à lui. (Ps. LXXVII, 34.)

Et puisque ces jours de jeûne sont pour nous des jours de salut, hâtons-nous, mes bien-aimés, de confesser nos péchés; évitons toute action mauvaise, et exerçons-nous à la pratique de toutes les vertus. C'est le conseil du Psalmiste: Éloignez-vous du mal, nous dit-il, et faites-le bien. (Ps. XXXVI, 27.) Si notre conduite se règle sur ces maximes, et si nous joignons la fuite du vice à la privation des viandes, nous jouirons d'une confiante sécurité, et nous obtiendrons pour la vie présente les grâces les plus abondantes. Bien plus, les prières et l'intercession des saints, qui sont les amis de Dieu, nous mériteront les effets de sa miséricorde au jour terrible du jugement. Qu'il en soit ainsi, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant, toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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