HOMÉLIE XIX

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DIX-NEUVIÈME HOMÉLIE. « Caïn se retira de devant la face de Dieu et habita dans la terre de Naïd, en face de la région d'Eden. »  (Gen. IV, 16, etc.)

 

ANALYSE.

 

1. L'âme subjuguée par le péché n'entend même plus les exhortations qui la rappellent à la vertu; ce n'est pas un effet de son impuissance; non, l'âme est libre et elle reste libre, même sous le joug du péché, de suivre les inspirations de Dieu qui veut bien l'aider, mais non la forcer. — 2. Dieu est si bon qu'il daigna encore interroger Cain après son crime, il l'interrogeait pour l'exciter an repentir, et trouver moyen de lui faire miséricorde. — 3. Caïn après sa réponse arrogante et impie, fut maudit de Dieu. Différence entre cette malédiction et celle que Dieu prononça après le péché d'Adam ; celle-ci frappe la terre, celle-là le pécheur Caïn lui-même. — 4. La pénitence et la confession sont inutiles quand on y a recours hors du temps convenable. — 5. Que signifient les sept vengeances réservées à celui qui tuera Caïn ? — 6. Exhortation.

 

1. Comme il y a des blessures incurables qui ne cèdent ni aux remèdes énergiques ni à ceux qui ont pour effet d'adoucir; de même quand une âme est une fois devenue captive du démon, qu'elle s'est livrée à quelque péché et qu'elle ne veut plus même comprendre son intérêt, alors on a beau lui prodiguer les instructions et les conseils, c'est peine perdue, et elle ne retire pas plus d'utilité de l'exhortation que si le sens de l'ouïe était mort en elle, ce qui arrive non pas faute de pouvoir, mais faute de vouloir. C'est en quoi les vices de la volonté diffèrent des infirmités du corps. Car pour ce qui est du corps les affections qui viennent de la nature sont la plupart du temps inguérissables; il en est tout autrement de la volonté libre. Si mauvais que l'on soit, on peut, si l'on veut, changer et devenir bon, et l'on peut également, quoique bon, glisser au mal si l'on se néglige.

Après avoir fait notre nature capable de se déterminer elle-même, le Dieu auteur de toutes choses, qui est la bonté par essence, ne néglige rien pour nous amener au bien, et comme il connaît les sentiments les plus intimes, les pensées les plus secrètes qui s'agitent au fond de nos coeurs, il nous exhorte, il nous conseille, il prévient nos mauvais desseins. Ce n'est pas qu'il emploie la contrainte, mais, il use de remèdes appropriés aux maux de chacun, et ensuite il abandonne le tout à la décision du malade.

Telle est la conduite qu'il a tenue particulièrement à l'égard de Caïn. Voyez néanmoins dans quel abîme de malice celui-ci est tombé, malgré les efforts d'une providence si attentive ! Il devait, puisqu'il avait conscience du crime qu'il méditait, s'appliquer uniquement à corriger la perversité de sa pensée; mais non dominé par une sorte d'ivresse, à la blessure qu'a déjà reçue son âme il en apporté une seconde; quant au remède qui lui était appliqué d'une main si douce,, il ne le supporte pas, mais il se hâte d'exécuter le meurtre dont il a conçu le noir dessein; il s'y prend par la ruse et l'astuce, il trouve des paroles trompeuses pour faire tomber son frère dans le piège. Telle est la férocité de l'homme qui tourne au mal. Grand et respectable quand son effort tend au bien, cet animal raisonnable devient aussi bassement cruel que les bêtes féroces lorsque c'est vers le mal que se dirige son énergie. Sa (114) douceur et sa raison naturelles se changent en férocité et en brutalité, tellement qu'il l'emporte à cet égard sur les bêtes mêmes des forêts.

Mais voyons le récit. Et Caïn dit à son frère : sortons dans la campagne. Paroles fraternelles destinées à voiler un projet homicide. Que fais-tu, Caïn? Ne sais-tu pas à qui tu parles? Oublies-tu que c'est à ton frère que s'adresse cette parole? Ne réfléchis-tu pas qu'il est sorti du même sein que toi? Ta conscience n'est-elle pas frappée de ce qu'il y a d'abominable dans ton dessein? Ne crains-tu pas le juge infaillible? Est-ce que tu ne frissonnes pas à la seule pensée de ton entreprise ? Quel est ton but en entraînant ton frère dans la campagne, en l'arrachant des bras paternels? Pourquoi veux-tu le priver du secours de son père? Qu'y a-t-il de nouveau pour que tu emmènes ton frère dans la campagne, pour que tu fasses ce que tu n'as pas l'habitude de faire, pour que, sous prétexte de lui témoigner l'amitié d'un frère, tu te disposes à le traiter avec la cruauté d'un implacable ennemi? D'où te vient cette fureur? Pourquoi cette rage ? Soit, ta conscience est aveuglée, les sentiments que l'on a pour un frère, tu les as étouffés, tu as fait taire la voix de la nature; mais pourquoi déclarer la guerre à celui qui ne t'a point fait de mal? Et tes parents? qu'as-tu à leur reprocher pour leur infliger, de propos délibéré, un deuil qui accablera désormais leur existence, pour étaler le premier sous leurs yeux l'affreux spectacle de la mort, et d'une mort violente? Est-ce ainsi que tu les récompenses de t'avoir élevé? Quel artifice du diable t'a donc poussé à cette action? Tu ne peux pas même dire que la bienveillance du souverain Maître à l'égard de ton frère ait inspiré à celui-ci du dédain pour toi. Est-ce que pour prévenir les emportements de ton homicide nature, le Seigneur n'a pas soumis ce frère à ton autorité? N'a-t-il pas dit : En toi sera son recours, et tu seras son maître ? Ces paroles en effet marquent la soumission d'Abel à Caïn. Quelques interprètes les entendent du sacrifice offert à Dieu, qui aurait dit à Caïn : le retour ( e apostrophe peut signifier également recours et retour) de lui, c'est-à-dire de ton sacrifice, sera vers toi, et tu seras maître de lui, c'est-à-dire tu en jouiras. Je livre ces deux interprétations à votre intelligence, et je vous laisse libres de choisir celle qui vous semblera plus convenable. Quant à moi, j'incline pour la première.

Et il arriva, comme ils étaient dans la campagne, que Caïn s'éleva contre son frère Abel et le tua. Effroyable attentat ! horrible forfait ! abominable action ! péché impardonnable ! dessein conçu dans une âme féroce ! Il s'éleva contre son frère Abel et le tua. O main scélérate ! ô bras criminel ; ou plutôt ce n'est pas la main qu'il faut appeler scélérate, mais la pensée dont la main ne fut que l'instrument. Disons donc, ô pensée téméraire, misérable et criminelle ! disons tout ce que nous voudrons, car nous n'en dirons jamais assez. Comment cette main ne s'engourdit-elle pas ? Comment, soutint-elle le fer, porta-t-elle le coup ? Comment l'âme du meurtrier ne s'envola-t-elle pas loin de son corps ? Comment eut-elle la force d'exécuter un si horrible attentat ? Comment ne fléchit-elle pas, et ne changea-t-elle pas son dessein ? Comment étouffa-t-elle la voix de la nature ? Comment, avant d'exécuter, ne considéra-t-elle pas les conséquences de l'exécution? Comment, après le meurtre, le meurtrier eût-il le coeur de voir le corps de son frère palpiter sur le sol ? Comment put-il soutenir la vue d'un corps mort, étendu par terre, sans sentir se dénouer en lui les liens de la vie ? Si nous qui vivons tant de siècles après, qui chaque jour voyons des mourants, nous sommes si émus par le spectacle d'une mort même naturelle, et cela quand il s'agit d'hommes qui ne nous sont rien, que nous sentons nos forces nous abandonner, que notre haine la plus forte ne survit pas au trépas d'un ennemi ; combien Caïn n'avait-il pas plus de raison pour que la vie s'éteignît dans son coeur, pour que son âme s'enfuît pour toujours loin de son corps, lui qui voyait celui qui venait de lui parler, ce frère qui avait la même mère et le même père que lui, celui qui avait été porté dans le même sein, celui pour qui Dieu avait témoigné une bienveillance particulière, lui . qui le voyait tout à coup privé de vie et de mouvement et ne faisant plus que palpiter sur le sol où il était étendu ?

2. Mais voyons encore , après un si noir for. fait, après un si impardonnable attentat, voyons de quelle condescendance, de quelle bonté use envers le coupable le souverain Seigneur de toutes choses. Et Dieu dit à Caïn. Quelle preuve de bonté déjà d'adresser la parole à celui geai venait de commettre un tel crime ! Si nous repoussons comme odieux nos parents que le crime a déshonorés, c'est une raison de (115) plus pour admirer le Dieu bon lorsqu'il use d'une si grande patience. Car Dieu c'est un médecin, c'est un père très-tendre : comme médecin il apporte tous ses soins à la guérison de ceux qui souffrent : comme père tendre il cherche à ramener à leur félicité première ceux de ses enfants qui sont déchus par leur faute des privilèges de leur naissance. Il veut donc en raison de son immense bonté témoigner de la bienveillance à ce grand coupable, et il lui dit: Où est ton frère Abel ? Etonnante, et infinie patience de Dieu ! S'il interroge, ce n'est pas qu'il l'ignore : il avait déjà interrogé le père après sa faute, rien ne s'opposait à ce qu'il en usât de même avec le fils. Envoyant Adam qui se cachait à cause de la honte que lui donnait sa nudité, il lui demanda: Où es-tu? (Gen. III, 9.) Il n'ignorait pas où il était, mais il voulait, en l'excitant à la confiance, l'amener à effacer son péché par l'aveu qu'il en ferait. Telle est sa conduite ordinaire: il provoque et exige d'abord la confession des péchés, puis il en accorde le pardon; c'est pourquoi il interroge maintenant Caïn, et lui dit : Où est ton frère Abel ? Il feint d'ignorer, ce Maître miséricordieux; il essaie d'amener par ses questions le coupable à l'aveu de son péché, afin qu'il puisse ainsi obtenir son pardon et trouver miséricorde. Où est ton frère Abel ?

Que répond cet homme sans coeur, sans entrailles, ce téméraire, cet impudent ? Il devait bien penser que Dieu n'ignorait rien quoiqu'il interrogeât, qu'il voulait provoquer une confession, en même temps que nous apprendre qu'il ne faut condamner personne avant de l'avoir entendu et convaincu; il devait se souvenir du conseil de Dieu, qui avait essayé d'empêcher ce crime; de Dieu qui voyant d'avance ses coupables desseins, avait tenté d'en prévenir l'exécution; il devait faire toutes ces réflexions et ne pas pousser plus loin sa criminelle folie; il devait dire ce qu'il avait fait, montrer sa plaie au médecin, et recevoir de lui des remèdes pour sa guérison : mais au contraire il aggrave encore sa plaie, il rend sa blessure plus profonde. Il répondit: je ne sais. Quelle impudente réponse ! Celui à qui tu parles est-il un homme, pour que tu essayés de le tromper ? Ne sais-tu pas , homme misérable, quel est Celui avec qui tu parles ? Ne vois-tu pas que c'est par bonté qu'il t'interroge, qu'il cherche une occasion de faire éclater sa miséricorde, qu'il veut faire pour toi tout ce qui dépend de lui, afin qu'au jour de la condamnation tu n'aies plus aucune excuse à présenter, puisque tu auras couru de toi-même au-devant du châtiment ?

Et il répondit : je ne sais. Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? Remarquez ici avec moi la force d'une conscience accusatrice , voyez comment, poussé par cette conscience, il ne se borne pas à dire : Je ne sais, mais il ajoute : est-ce que je suis le gardien de mon frère? Parole par laquelle il se condamne, peu s'en faut, expressément. Oui, certainement, si l'on voulait avec toi procéder à la rigueur, on te dirait que, selon la loi de la nature, tu étais obligé d'être le gardien du salut de ton frère. C'est en effet une loi de la nature que ceux qui sont nés du même sein se doivent mutuellement garder et défendre. Si tu ne voulais pas remplir ce devoir, ni être le gardien de ton frère, pourquoi es-tu devenu son meurtrier? pourquoi as-tu tué celui qui ne l’avait point fait de mal? Croyais-tu donc qu'il ne se trouverait aucun .témoin pour te convaincre? Mais attends, et tu verras s'élever un accusateur dans celui-même que tu as tué; oui, ce frère mort et étendu par terre va t'accuser à haute voix, toi qui vis, toi qui marches.

Et Dieu dit: pourquoi as-tu fait cela? Que de choses dans cette brève parole ! Pourquoi as-ttu fait cela, commis cet abominable forfait, cette action exécrable, ce crime inexpiable, cette oeuvre d'une incroyable folie, ce meurtre, péché nouveau, inouï, et pour la première fois introduit par, ta main dans la vie des hommes? Pourquoi as-tu commis ce grand, cet. affreux péché, Je plus grief qui se puisse commettre? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. Penses-tu que je sois comme les hommes qui n'entendent d'autre voix que celle dont la langue est l'organe? Je suis Dieu, et j'entends la voix du sang que le meurtre a versé; j'entends les plaintes du malheureux terrassé par l'homicide. Vois-tu à quelle distance porte la voix de ce sang ! elle monte de la terre jusqu'au ciel, elle traverse même les régions célestes, arrive pins haut que les puissances d'en-haut, jusqu'au trône du grand Roi, où elle accuse en gémissant ton parricide. La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. Ce n'est pas un étranger, un ennemi que ta main a frappé; c'est ton frère, ton frère qui ne t'avait nullement offensé. Peut-être la bienveillance que je lui (116) ai montrée a-t-elle été la cause de sa mort, et ne pouvant t'en prendre à moi, tu as fait retomber sur lui le poids de ta colère. C'est pourquoi je t'infligerai un châtiment qui ne laissera pas tomber ton crime dans l'oubli, un châtiment qui servira d'exemple et de leçon à tous les hommes à venir. Et maintenant, puisque tu as fait cela, puisque tu as exécuté ton mauvais dessein, et que l'excès de l'envie t'a précipité dans le meurtre : Tu seras maudit sur la terre.

3. Voyez-vous, mon cher auditeur, comme cette malédiction diffère de celle d'Adam? Ne passez pas négligemment, mais par la grandeur de la malédiction comprenez l'énormité du crime. Combien ce péché était plus grief que la prévarication du premier homme, vous pouvez en juger par la différence de la malédiction. Dieu avait dit à Adam : La terre est maudite en tes oeuvres (Gen. III, 17), répandant la malédiction sur la terre et épargnant l'homme par bonté; mais ici, comme l'oeuvre est d'une grièveté mortelle, qu'il s'agit d'un forfait, d'une iniquité monstrueuse et impardonnable, c'est Caïn lui-même qui est frappé de malédiction

Et maintenant te voilà maudit sur la terre. Il avait à peu près fait la même chose que le serpent, il avait comme lui servi d'instrument à la pensée du diable, comme lui employé la ruse pour introduire la mort dans le monde, puisqu'il avait trompé son frère pour le faire sortir dans la campagne, et qu'ayant armé sa main, il l'avait tué. Aussi Dieu qui avait maudit le serpent : Tu seras maudit parmi les bêtes de la terre, Dieu maudit de même Caïn, dont l’oeuvre ressemblait à celle du serpent. Le diable était tourmenté par l'envie; il ne pouvait voir sans un dépit amer les immenses bienfaits dont Dieu avait comblé l'homme dès le premier jour de sa vie, c'est pourquoi il ourdit une traîne artificieuse qui introduisit la mort dans le monde. De même Caïn regarda d'un oeil envieux et jaloux la bienveillance particulière de Dieu pour Abel, et de l'envie il passa au meurtre. Voilà pourquoi Dieu lui dit : Tu seras maudit sur la terre. Tu seras en abomination à cette même terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Oui, elle te repoussera avec horreur, cette terre, parce qu'elle s'indigne d'avoir été arrosée d'un tel sang, souillée d'un tel forfait, outragée par ta main homicide.

Ensuite la sainte Ecriture, interprétant la malédiction, ajoute : Quand tu l'auras cultivée, elle ne donnera pas son fruit. Terrible châtiment et qui dénote une grande indignation en celui qui l'inflige. Tu supporteras le poids du travail, tu emploieras tout ce que tu as de force à cultiver cette terre souillée de ce sang, et tu ne recueilleras aucun fruit de tes pénibles travaux ; quelle que soit la peine que tu endures, elle ne produira rien. Là ne se bornera pas ton châtiment, mais tu iras gémissant et tremblant par toute la terre. Quel plus grand supplice de toujours gémir et trembler ! Puisque tu ne t'es pas servi comme il fallait de la force de ton corps et de la vigueur de tes membres, voici que je t'impose la peine d'une agitation et d'un tremblement continuel, non-seulement afin que tu aies toi-même un perpétuel avertissement et un impérissable souvenir de ton crime, mais encore afin que tous ceux qui te verront soient instruits par la seule vue, afin que ton seul aspect soit comme une voix puissante qui avertisse les spectateurs de s'abstenir du crime, s'ils veulent éviter le châtiment, afin que la punition qui pèsera sur toi enseigne aux hommes à ne plus souiller la terre du sang de leurs frères. Et pour mieux atteindre ce but, je ne te ferai pas mourir trop tôt, de peur que ton forfait ne tombe dans l'oubli, mais je ferai en sorte que tu traînes une vie plus pénible que la mort, afin que tu saches quel est ton crime.

Et Caïn dit au Seigneur : Mon crime est trop grand pour que j'en obtienne la rémission. Voilà une parole qui, si nous sommes attentifs, nous fournira un enseignement très-important et très-utile à notre salut. Et Caïn dit : Mon crime est trop grand pour que j'en obtienne la rémission. La confession est complète. Mon péché est si grand, dit-il, qu'il n'est pas possible que j'en reçoive le pardon. Il s'est donc confessé, et confessé entièrement? Oui, mais sans aucun profit, car il l'a fait d'une manière intempestive. Il aurait fallu le faire en temps convenable, alors que le Juge était disposé à la miséricorde. Souvenez-vous de ce que je vous disais naguère, que dans ce terrible dernier jour, et devant le Tribunal où il ne sera fait aucune acception des personnes, chacun de nous sentira un vif repentir de ses péchés, lorsqu'il aura devant ses yeux les supplices et les châtiments désormais inévitables de l'enfer, mais ce sera un repentir inutile , parce qu'il (117) ne se produira pas dans un temps convenable.

Lorsqu'elle précède la peine, la pénitence vient en son temps, et sa vertu est immense. C'est pourquoi, je vous en conjure, tandis que cet admirable remède conserve encore son efficacité, hâtez-vous d'en profiter; appliquons-nous le traitement de la pénitence pendant que nous sommes en cette vie, et persuadons-nous bien qu'il ne nous servira de rien de nous repentir après que la tragédie de ce monde sera jouée et lorsque le temps des luttes sera passé.

4. Revenons à notre sujet. C'est lorsque le Seigneur lui demandait : Où est ton frère Abel? que Caïn devait confesser son péché, se prosterner, prier, implorer miséricorde. Mais alors il a refusé le remède, et maintenant, après la sentence prononcée, quand tout est fini, quand la voix du sang versé a fait entendre hautement une accablante accusation , il se confesse , mais confession tardive et inutile, contre laquelle s'élève la parole du Prophète : Le juste est lui-même son accusateur en premier lieu. (Prov. XVIII, 77.) Caïn lui-même, s'il avait prévenu la réprimande, eût été jugé digne de quelque pitié, tant est grande la divine miséricorde. Il n'y a pas de péché, si énorme qu'il soit, qui surpasse la charité de Dieu pour les hommes, pourvu que nous fassions pénitence au temps qu'il faut et que nous implorions notre pardon.

Et Caïn dit: Mon crime est trop grand pour que j'en obtienne la rémission. Confession suffisante, mais intempestive. Caïn dit encore : Si vous me chassez aujourd'hui de dessus la terre, j'irai me cacher de devant votre face, et je serai gémissant et tremblant sur la terre ; et il arrivera que quiconque me trouvera me tuera. Paroles qui excitent la pitié ! malheureusement elles viennent trop tard , et le défaut d'opportunité leur ôte toute valeur : Si vous me chassez, dit-il, de dessus la terre, j'irai me cacher de devant votre face, et je serai gémissant et tremblant sur la terre; et il arrivera que quiconque me rencontrera me tuera. Puisque vous m'avez rendu exécrable à la terre, puisque vous me repoussez vous-même, que vous me livrez à un châtiment si sévère, qu'il doit me faire gémir et trembler, rien n'empêchera désormais, qu'étant en cet état, et dénué de tout secours de votre part, je ne sois tué par le premier qui me rencontrera. Je serai facile à vaincre pour le premier venu qui voudra m'ôter la vie. Je n'ai pas la force de résister par moi-même avec ces membres perclus et agités par un continuel tremblement; de plus, on saura que vous m'avez privé de votre secours, et ce motif déterminera à me donner la mort ceux qui en auraient le désir.

Que répond le Maître miséricordieux et bon? Et le Seigneur Dieu lui dit : il n'en sera pas ainsi. Ne crois pas qu'il en advienne ainsi. Il ne sera permis à personne de te tuer, en eût-on la volonté; mais je prolongerai ta vie pour augmenter ta peine, je te laisserai pour instruire, exemple vivant, les générations futures; ton aspect rendra sage, et personne, en te voyant, n'aura le désir d'imiter ta conduite. Et le Seigneur dit : non, il n'en sera pas ainsi, quiconque tuera Caïn se rendra responsable de sept vengeances.

Peut-être suis-je long, peut-être vous ai-je fatigués, matériellement du moins? Mais que voulez-vous ? Votre vive attention, l'espèce d'avidité avec laquelle vous recevez la nourriture de la parole sainte, en sont la cause; c'est là ce qui m'encourage à poursuivre mon explication jusqu'au bout suivant mes forces. Que veut dire cette parole : se rendra responsable de sept vengeances ? Mais me voici encore retenu par la crainte d'entasser tant de choses dans vos mémoires, que les dernières né vous fassent oublier les premières ; je ne voudrais cependant pas être fastidieux. Mais, s'il vous reste encore un peu de courage , prenez patience, j'achève l'explication des versets que j'ai récités, et je finis. Et le Seigneur Dieu lui dit: il n'en sera pas ainsi. Quiconque tuera Caïn se rendra responsable de sept vengeances. Et le Seigneur Dieu mit un signe sur Caïn de peur que personne ne le tuât, venant à le rencontrer. Tu crains que l'on ne te tue? Aie confiance, cela ne sera pas. Et quiconque le fera, attirera sur sa tête sept châtiments. C'est pourquoi je te marque d'un signe, de peur que personne ente tuant sans te connaître n'encoure cette terrible punition.

5. Mais il convient que je vous montre plus clairement comment le meurtrier de Caïn se rendra passible de sept châtiments. Soyez attentifs, je vous prie. Comme je l'ai déjà dit souvent à votre charité ces jours passés, si, maintenant que le temps du jeûne nous procure une si grande tranquillité, et qu'il éloigne de nos esprits les pensées qui seraient de nature à les troubler, nous n'étudions pas avec beaucoup de soin les enseignements compris dans les (118) divines Ecritures, dans quel autre temps pourrons-nous le faire? Je vous prie donc, je vous supplie, et, tout prêt à me jeter à vos genoux, je vous conjure d'écouter ce que je vous dis avec un esprit attentif, afin que vous ne vous retiriez pas dans vos maisons sans emporter d'ici quelque chose qui élève vos âmes et les porte vers Dieu.

Que signifie donc cette parole : se rendra responsable de sept vengeances ? Observons d'abord que dans la sainte Ecriture le nombre sept s'emploie souvent d'une manière indéterminée et signifie plusieurs ou un grand nombre ; par exemple, on lit au premier livre des Rois (II, 5) : Celle qui était stérile est devenue mère de sept, c'est-à-dire d'un grand nombre d'enfants. Il y a beaucoup d'exemples d'une semblable acception. Ici l'Ecriture nous fait entrevoir l'énormité du forfait de Caïn, puisqu'elle le considère non comme un péché unique, mais comme constituant sept péchés, pour chacun desquels un châtiment sévère est destiné. Essayons d'énumérer ces péchés. Premièrement, il a porté envie à son frère à cause de la bienveillance que Dieu lui a témoignée, et il n'en eût pas fallu davantage pour le perdre; deuxièmement, c'est à son propre frère qu'il porte envie; troisièmement, il tend un piège; quatrièmement, il commet un meurtre; cinquièmement, c'est son propre frère qu'il tue; sixièmement, il est l'auteur du premier meurtre qui se soit commis; septièmement, il ment à Dieu. Avez-vous suivi cette énumération, ou s'il faut que je la reprenne en vous montrant que chacune de ces circonstances aggravantes méritait par elle-même un grave supplice? Porter envie à celui que Dieu favorise est-ce excusable? Voilà donc déjà une faute impardonnable. Elle s'aggrave encore lorsque c'est à un frère, de qui l'on n'a souffert aucune injustice, que l'on porte envie. Voilà donc encore un péché qui n'est pas des plus petits. C'est une troisième faute de tendre un piège, de tromper, d'entraîner dans la campagne, de fouler aux pieds la nature. Le meurtre forme le quatrième péché. Le cinquième résulte de la circonstance que c'est un frère qui est mis à mort, un frère né du même sein. Introduire dans le monde une nouvelle espèce de péché, voilà le sixième péchés Le septième péché : le meurtrier ose mentir à Dieu qui daigne l'interroger. Voilà pourquoi Dieu dit : celui qui tentera de le tuer prendra sur soi le fardeau de sept vengeances. Ainsi, ne crains pas cela; car voici que je,mets sur toi un signe qui te fera reconnaître de quiconque te rencontrera. Ton infirmité sera utile aux générations futures, et ce crime que tu as commis sans témoin, tous l'apprendront en te voyant trembler et gémir; ce tremblement de tout ton corps sera comme une voix entendue de tous, qui dira : que personne ne fasse ce que j'ai fait, de peur que, s'il l'ose, il ne soit frappé d'un semblable châtiment.

6. Que ces enseignements se gravent dans vos esprits, mes très-chers frères; et qu'ils ne fassent pas seulement que, les effleurer en passant. Venir ici chaque jour se nourrir de l'aliment de la parole sainte, c'est très-bien, mais cela ne suffit pas, il ne vous servira de rien d'entendre expliquer la loi de Dieu si vous ne la pratiquez point. Ayant toujours présent à la pensée le péché de Caïn, ses causes et son impardonnable énormité, de Caïn devenu homicide par envie, homicide d'un frère qui ne lui avait fait aucun mal, craignons beaucoup moins de souffrir nous-mêmes du mal que d'en causer aux autres. Le mal ne frappe véritablement que celui qui tente de nuire à son prochain. Afin que vous en soyez convaincus, regardez ici avec moi lequel des deux est le plus malheureux, de celui qui tue ou de celui qui est tué. N'est-il pas évident que c'est le meurtrier? Pourquoi? parce que là louange de celui qui a été tué, est encore aujourd'hui dans toutes les bouches, parce que son nom est toujours prononcé avec admiration, comme celui du premier martyr de la vérité, selon ce que dit le bienheureux Paul: Tout mort qu'il est, Abel parle encore. (Hebr. XI, 4.) Mais le meurtrier, outre qu'il a vécu plus misérablement que tous les hommes, est demeuré odieux à tout le genre humain, et la sainte Ecriture l'offre continuellement à tous les âges comme un exemple terrible de la vengeance et de la malédiction divines. Tel est le parallèle pour cette vie présente et périssable; mais si on voulait le poursuivre jusqu'à l'autre vie où le juste Juge rendra à chacun selon ses oeuvres, quel discours pourrait exprimer tout ce qu'il y aura de bonheur d'une part, de malheur de l'autre. Pour Abel, le royaume des cieux, les tabernacles éternels, les choeurs des patriarches, des prophètes et des apôtres, et la grande assemblée des saints, où il règnera dans les siècles des siècles en compagnie du Roi Jésus-Christ, (119) Fils unique de Dieu et Dieu lui-même; pour Caïn, la géhenne du feu, et des milliers d'autres supplices qui le tourmenteront à jamais; il s'y trouvera en compagnie de tous les meurtriers comme lui; toutefois, la vengeance divine sévira avec plus de rigueur, contre ceux qui, sous l'empire de la loi de grâce, se seront faits esclaves des plus viles passions. Ecoutez, en effet, ce que dit saint Paul : Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi (Rom. II, 12) ; c'est-à-dire subiront une peine plus légère parce qu'ils n'ont pas eu de loi pour les maintenir dans le bien par une sanction menaçante, mais tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi; c'est-à-dire toutes les autres conditions étant égales, ceux qui auront joui du secours de la loi endureront des châtiments plus rigoureux. Et rien de plus juste, puisque ni la loi, ni l'exemple des malheurs des autres ne les auront rendus plus tempérants et plus vertueux. Je vous en conjure donc, profitez du moins, à partir de maintenant , des enseignements des autres pour devenir plus sages; dirigeons enfin notre vie selon la loi du Seigneur, obéissons à ses commandements. Que ni l'envie, ni la jalousie, ni l'amour charnel, ni la gloire, ni les autres avantages misérables de cette vie, ni les grossiers plaisirs de la table, ni aucune autre mauvaise passion ne règne sur les pensées de nos coeurs. Défaisons-nous de toute obscénité, de toute volupté mondaine; disons adieu à tous nos attachements honteux et illicites, et tendons de toutes nos forces vers cette vie bienheureuse, à ces biens ineffables que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment; puissions-nous en être trouvés dignes, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, soient au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ? Ainsi soit-il.

 

 

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