HOMÉLIE XXVI

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VINGT-SIXIÈME HOMÉLIE. « Et Dieu se souvint de Noé, de toutes les bêtes sauvages, de tous les animaux domestiques, de tous les volatiles et de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l'arche. Et Dieu fit venir un vent sur la terre et l'eau arrêta. » (Gen. VIII,  1)

 

ANALYSE,

 

1. L'orateur nous montre la bonté de Dieu s'exerçant envers l'homme jusque dans le châtiment du déluge, comme en toute rencontre. Telle est l'idée fondamentale à laquelle saint Chrysostome revient sans cesse : lorsque Dieu punit il le fait autant par bonté que par justice. — 2. Application de cette thèse à Caïn. Dieu est plus indulgent pour les fautes commises contre lui que pour celles qui offensent le prochain ; rendons à Dieu la pareille. — 3. Explication du texte : Dieu se souvint. Dieu ne prolonge jamais l'épreuve au delà des forces de celui, qui la subit. — 4. Noé laisse partir d'abord le corbeau, puis la colombe. Explication du mot jusqu'à ce que. — 5. Noé reçoit la même bénédiction qu'autrefois Adam. — 6. Exhortation.

 

1. La grande et ineffable bonté de Dieu, l'excès de sa bienveillance nous est déjà montré par ce qui vient d'être lu, puisqu'elle s'est manifestée, non-seulement envers l'animal raisonnable, c'est-à-dire l'homme, mais aussi envers les bêtes de toute espèce. Car étant le Créateur de tout, il montre sa bonté à propos de toutes les créatures: il nous fait voir ainsi tout l'intérêt qu'il porte au genre humain, puisqu'il a tout fait et depuis le commencement pour notre salut. Aussi, même quand il punit, quand il s'irrite, c'est toujours une suite de sa bonté. S'il envoie des châtiments, ce n'est point par haine ou colère; il veut seulement arracher la racine du mal pour qu'elle ne se multiplie pas. Aussi, comme je vous le dis, il n'a fait le déluge que par intérêt pour ceux qui s'étaient livrés à l'iniquité. Mais, direz-vous, quel est cet intérêt qui consiste à noyer? Imprudent, ne parlez point témérairement, mais acceptez avec reconnaissance toutes les actions de Dieu, et sachez qu'il y a là justement la plus grande preuve d'intérêt. Ces pécheurs incurables qui, chaque jour, élargissent leurs blessures et se font des plaies que rien ne peut guérir, n'était-ce pas un grand bienfait de les arracher à un état si déplorable? Et la manière de les punir n'est-elle pas pleine de douceur? Eux qui devaient de toute manière payer leur dette à la nature, leur faire, en guise de punition, abandonner la vie sans avoir le sentiment de la mort, et sans aucune souffrance, n'était-ce pas beaucoup, de sagesse et (170) de bonté? Si nous faisons à ce sujet de pieuses réflexions, nous verrons qu'une pareille punition a été un bienfait, non-.seulement pour ceux qui l'ont subie, mais pour leurs successeurs qui en ont remporté deux grands avantages; d'abord de ne pas être enveloppés dans la même destruction, ensuite d'en avoir tiré une leçon de prudence et de sagesse; aussi, que de grâces ne doivent-ils pas à Dieu ! En effet, par la punition de leurs prédécesseurs et par la crainte d'en subir une pareille, ils sont devenus meilleurs; de plus, tout le levain du mal a été supprimé, et il n'est plus resté personne pour enseigner le vice et l'iniquité. Voyez comment même les punitions et les supplices deviennent des bienfaits et annoncent la providence de Dieu à l'égard de la nature humaine. Si l'on veut, dès l'origine énumérer tous les châtiments, on trouvera que c'est dans ces intentions qu'ils ont été infligés aux pécheurs. Par exemple, quand Adam a pêché, son exil du paradis n'était pas seulement une punition, mais un bienfait. Et comment, direz-vous, peut-on considérer comme un bienfait ce renvoi du paradis? Ne jugez pas uniquement d'après les faits, mes bien-aimés, n'étudiez pas légèrement les actions de Dieu, mais creusez au fond de l'abîme de sa bonté et tout s'expliquera comme je vous l'ai dit. Dites-moi si Adam, après sa faute, avait encore pu jouir des mêmes biens, jusqu'où ne serait-il pas tombé? Après les ordres qu'il avait reçus, il n'en a pas moins écouté le serpent tentateur et succombé aux piéges que le diable lui tendait ainsi, afin de le faire tomber dans le péché de désobéissance, en le flattant de devenir l'égal. de Dieu; si donc il était resté dans le même état d'honneur et de bonheur, n'aurait-il pas ensuite accordé au démon perfide plus de croyance qu'au Créateur de l'univers, et n'aurait-il pas eu sur lui même des idées encore plus exagérées? Car telle est la nature des hommes si rien ne s'oppose à leurs fautes, si rien ne les inquiète, ils se laissent entraîner à l'abîme. Je puis encore vous montrer d'une autre manière que l'exil d'Adam et sa condamnation étaient des preuves de clémence, car, en le renvoyant du paradis et en le plaçant dans les environs, Dieu le corrigea pour le moment et l'affermit pour la suite en lui faisant voir par cette preuve combien le démon était trompeur. Dieu porta contre lui la sentence de mort pour ne pas l'exposer à pécher continuellement pas désobéissance.

Ne voyez-vous pas que ces punitions de l'exil et de la mort étaient, en effet, des marques de clémence? Je puis ajouter encore autre chose. Et quoi donc? C'est que Dieu, en déployant ainsi sa colère contre Adam, a voulu, non-seulement le favoriser par une punition salutaire, mais aussi corriger sa postérité par son exemple. Car si par la suite son fils Caïn, après avoir vu son père chassé du paradis, privé de sa gloire ineffable et frappé d'une malédiction terrible : tu es terre et tu rentreras dans la terre (Gen. III, 19) ; si Caïn n'est pas devenu meilleur, mais encore plus coupable, à quelles criminelles folies ne serait-il pas arrivé s'il n'avait pas vu le sort de son père?Et,ce qui est bien digne d'admiration, en punissant celui qui commit de tels crimes et souilla la terre d'un homicide, Dieu mêla encore la miséricorde au châtiment.

2. Comprenez la grandeur de la bonté divine relativement à Caïn ! quand il eut gravement offensé et méprisé Dieu par son sacrifice (en effet, il ne faisait point un partage convenable, mais il offrait sans choix), Dieu ne lui dit rien de dur ni de pénible, quoique sa faute ne fût pas commune et ordinaire, mais très-importante, car si ceux qui veulent honorer des hommes , c'est-à-dire leurs semblables, tiennent à leur offrir et à leur donner ce qu'il y a de meilleur et de plus beau, combien était-il plus obligatoire à un homme d'offrir à Dieu tout ce qu'il avait de plus rare et de plias précieux ! Eh bien ! tandis qu'il péchait ainsi et le méprisait à ce point, Dieu ne le punit pas, ne lui infligea aucune peine; mais il lui dit, avec la douceur d'un ami parlant à un ami: Tu as péché, tiens-toi en repos. (Gen. IV, 7.) Ainsi il lui signala son péché et lui conseilla de ne pas continuer. Voyez-vous quelle bonté parfaite? Mais non-seulement Caïn ne profita pas d'une pareille patience, mais il ajouta de nouvelles fautes aux premières et alla jusqu'à assassiner son frère; or, même en ce moment Dieu lui montrait encore une grande douteux en commençant par l'interroger et lui permettant de se justifier; mais comme il persista dans son impudence, Dieu le punit, mais pour le corriger et mêlant toujours beaucoup de miséricorde à son arrêt.

Vous voyez que Dieu pardonna une faute qui s'adressait à lui-même, quoiqu'elle fût grave; mais quand Caïn s'arma contre son frère, il le blâma et le maudit. Faisons de même et imitons le Seigneur ; si quelqu'un a péché (171) contre nous, pardonnons-lui et remettons cette faute à celui qui l'a commise, ne punissons que si la faute regarde Dieu. Mais je ne sais comment il se fait que c'est tout le contraire; nous laissons impunis tous les péchés qui offensent Dieu, mais pour la moindre. faute qui nous touche nous devenons des accusateurs et des juges sévères, sans songer que nous excitons ainsi le Seigneur contre nous-mêmes.

Pour reconnaître que c'est souvent l'usage de Dieu de remettre les péchés qui le touchent et de rechercher sévèrement ceux qui touchent le prochain, écoutez saint Paul : Si un homme a une femme infidèle, mais qu'elle désire cohabiter avec lui, qu'il ne la renvoie pas. Et si une femme a un mari infidèle, mais qu'il désire cohabiter avec elle , qu'elle ne le renvoie pas. (I Cor. VII, 12, 13.) Voyez quelle condescendance ! Etre gentil, infidèle, n'est pas un obstacle à la cohabitation quand on la désire. Qu'une femme soit de la religion des Gentils et infidèle, si elle veut cohabiter avec son mari, qu'il ne la repousse pas. Et il ajoute: que sais-tu, femme, si tu ne dois pas sauver ton mari? que sais-tu, mari, si tu ne dois pas sauver la femme ? (I Cor. VII, 7,16.) Ecoutez encore le Christ qui dit à ses disciples: Je vous le dis, tout homme qui renverra sa femme, excepté pour cause de fornication, l'expose a l'adultère. (Matth. V, 32.) Quel excès de bonté ! Même si elle est de croyance infidèle, de race étrangère, gardez-la si elle y consent; mais si elle a péché contre vous, si elle a oublié ses promesses et qu'elle ait préféré une autre union, vous pouvez la repousser et la renvoyer. Songeons à tout cela et cherchons pour tant de bienveillance à rendre à Dieu la pareille; comme il remet les péchés qui sont faits contre lui et qu'il punit sévèrement ceux qui s'adressent à nous, nous, de même, remettons toutes les offenses que nous souffrons du prochain, mais ne négligeons jamais de venger les offenses faites à Dieu. Cela sera extrêmement avantageux pour nous et rie le sera pas moins pour ceux qui seront ainsi corrigés. Peut-être mon préambule a-t-il été un peu long aujourd'hui. Mais qu'y faire ? Cela m'est arrivé malgré moi, et le courant du discours m'a entraîné.

Puisque nous avions à parler du déluge, il était nécessaire d'expliquer à votre charité que les punitions infligées par Dieu sont plutôt des miséricordes que des punitions : c'est ce qui a lieu pour le déluge. Car de même qu'un père chérit toujours ses enfants, de même Dieu fait tout par intérêt pour les hommes. Pour apprendre par le discours d'aujourd'hui et par la lecture d'hier l'étendue de cette bienveillance, écoutez lés paroles de l'Ecriture sainte. Hier vous avez entendu celles du bienheureux Moïse; L'eau s'éleva sur la terre pendant cent cinquante jours (Gen. VII, 24) (c'est là que nous en étions restés) ; voici la suite : Dieu se souvint de Noé, et de toutes les bêtes, de tous les animaux, domestiques, de tous les volatiles, de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l'arche.

3. Voyez encore comme I'Ecriture sainte s'abaisse jusqu'à nous. Dieu, dit-elle, se souvint. Comprenons cela , mes bien-aimés, d'une manière digne de Dieu et n'expliquons pas la vulgarité de ces paroles avec la faiblesse de notre nature. Considéré par rapport à Dieu , ce mot est indigne de son ineffable nature , mais il a été dit pour se conformer à notre faiblesse. Dieu ee souvint de Noé: Car après avoir raconté, comme je l'ai déjà exposé à votre charité, qu'il avait plu pendant quarante jours et autant de nuits , que l'eau était restée pendant cent cinquante jours, élevée de quinze coudées au-dessus des montagnes, et que pendant tout ce temps le juste était resté dans l'arche; sans pouvoir respirer l'air et habitant avec toutes les brutes, alors Dieu se souvint de Noé. Qu'est-ce à dire? il se souvint ! C'est-à-dire il eut pitié du juste et de sa position dans l'arche; il eut pitié d'un homme souffrant tant d'ennuis et d'embarras et ignorant quand ces désagréments finiraient. Songez, je vous prie, aux pensées qu'il devait avoir dans quarante jours et quarante nuits pendant lesquels se déchaînaient lés eaux impétueuses, et voyant que durant cent cinquante jours elles restaient à la même hauteur sans commencer à descendre; le plus fâcheux, c'est qu'Il ne pouvait voir ce qui s'était passé; enfermé comme il l'était et ne pouvant juger par ses yeux de l'étendue du mal, sa douleur s'en augmentait, et chaque jour il supposait les désastres plus horribles. Pour moi, je m'étonne comment il ne fut pas lui-même englouti par la douleur, en réfléchissant à la destruction du genre humain , à l'isolement de sa famille et à l'existence pénible qu'elle allait mener. Mais la cause de tous ses biens, ce. fut sa foi en Dieu, qui lui donna 1a force de résister et de tout supporter; nourri de cet espoir, il était insensible à toutes (172) les afflictions. D'un côté, s'il fit ce qui dépendait de lui en montrant beaucoup de foi, de résignation et de courage, de l'autre voyez quelle est la bonté de Dieu à son égard. Dieu se souvint de Noé. Ce n'est pas sans raison qu'il est dit: se souvint. Comme l'Écriture sainte a déjà rendu témoignage pour le juste, en lui disant: Entre dans l'arche parce que j'ai vu que tu étais juste dans cette génération (Gen. VII, 1), elle dit maintenant : Dieu se souvint de Noé, c'est-à-dire du témoignage qu'il lui avait rendu. Il n'abandonne pas le juste longtemps, il ne diffère pas sa délivrance au-delà de ce qu'il pouvait supporter et quand cette heure est venue il le comble toujours de ses bienfaits. Sachant l'infirmité de notre nature, s'il permet que nous soyons tentés, il proportionne l'épreuve à notre faiblesse et fait en sorte que ses récompenses prouvent notre courage et sa miséricorde. Aussi saint Paul dit : Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au delà de vos forces, mais en même temps que l'épreuve, il vous donnera un moyen d'en sortir et de n'y pas succomber. (I Cor. X, 13.) Mais le juste conservait toujours son courage et sa résignation, en supportant par sa confiance en Dieu le séjour et les ennuis de l'arche ; aussi est-il dit : Dieu se souvint de Noé. Ensuite, pour vous faire connaître l'abîme de la divine miséricorde, l'Écriture sainte ajoute : Et de toutes les bêtes, de tous les animaux domestiques, de tous les volatiles, de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l'arche.

Voyez comme Dieu atout fait pour l'homme. Avec les hommes qui ont péri par le déluge, il a fait périr la généralité des animaux ; mais, voulant montrer sa miséricorde envers le juste, il a voulu aussi, par égard pour lui, étendre ses soins et sa bonté jusque sur les êtres sans raison, les quadrupèdes, les volatiles et les reptiles. Dieu se souvint de Noé, de, toutes les bêtes, de tous les animaux domestiques, de tous les volatiles et de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l'arche. Et Dieu fit souffler un vent sur la terre, et l'eau cessa de monter. Se rappelant Noé et tout ce qui était avec lui dans l'arche, il fit arrêter l'impétuosité de l'eau pour montrer peu à peu sa bonté. Le juste alors pouvait respirer et calmer ses inquiétudes, puisqu'il recouvrait à la fois l'air et la lumière. Dieu fit souffler un vent sur la terre, et l'eau cessa de monter. Les fontaines de l'abîme et les cataractes du ciel furent fermées. Voyez comment tout cela est exprimé dans le style des hommes. Les fontaines de l'abîme et les cataractes du ciel furent fermées, et, la pluie du ciel fut arrêtée. Cela signifie que le Seigneur avait ordonné aux eaux de revenir à leurs places et de ne plus en sortir, mais de baisser graduellement. L'eau descendait de la terre et diminuait pendant cent cinquante jours. Comment la raison pourra-t-elle jamais comprendre cela? Soit, la pluie a cessé, les sources n'ont plus coulé et les cataractes du ciel ont été fermées; mais comment toute cette eau a-t-elle disparu ? L'abîme s'étendait sur toute la terre. Comment donc une si grande masse d'eau a-t-elle pu tout à coup diminuer? Qui pourra jamais l'expliquer par la raison humaine? Que nous reste-t-il à dire? C'est l'ordre de Dieu qui a tout fait.

4. Ne cherchons donc pas trop curieusement à explorer comment tout s'est passé : croyons seulement. C'est la volonté de Dieu qui a ouvert l'abîme; c'est encore sa volonté qui l'a fermé et a fait revenir les eaux à la place que le Seigneur leur a marquée et que lui seul connaît. L'arche s'arrêta le septième mois et le vingt-septième jour de ce mois sur les monts d'Ararat. L'eau décrut jusqu'au dixième mois et l'on commença à voir les sommets des mon. tagnes le premier jour du dixième mois. Voyez quel changement rapide et combien les eaux étaient baissées pour que l'arche s'arrêtât sur les montagnes. L'Écriture avait dit que l'eau dépassait les montagnes de quinze coudées: maintenant elle dit que l'arche s'est arrêtée sur les montagnes d’Ararat, que l'eau a décru peu à peu jusqu'au dixième mois jusqu'à laisser voir alors les sommets des montagnes. Réfléchissez, je vous prie, à la fermeté du juste quia été tenu, pendant tant de mois, renfermé dans les ténèbres. Il arriva, après quarante jours, que Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite à l'arche, et il envoya un corbeau pour voir si l'eau avait quitté la terre. Le juste n'ose pas encore regarder par lui-même, mais il envoie un corbeau pour apprendre de cette manière s'il y avait un heureux changement. Mais le corbeau ne revint pas jusqu'à ce que les eaux fussent séchées sur la terre. L'Écriture ajoute ce mot jusqu'à ce que; ce n'est pas que le corbeau soit revenu plus tard, mais tel est le langage propre de l'Écriture sainte. Il serait facile de trouver d'autres exemples de cette habitude et de vous en indiquer beaucoup; mais pour ne pas vous rendre (173) négligents en vous disant tout, nous vous laissons à sonder l'Ecriture et à chercher dans quelles circonstances elle emploie des locutions semblables. Il s'agit maintenant de vous dire pourquoi cet oiseau n'est pas revenu. Peut-être cet oiseau immonde, après la retraite des eaux, avait trouvé des cadavres d'hommes et de bêtes, et, rencontrant une nourriture qui lui convenait, s'y était arrêté, ce qui même donnait au juste une bonne raison pour espérer, car si le corbeau n'avait rien trouvé pour se soutenir, il fût revenu. Pour savoir s'il en était ainsi, le juste, dont la confiance s'augmentait , envoya une colombe, oiseau privé et familier, d'une grande douceur et qui ne se nourrit que de graines; aussi il est compté parmi les oiseaux purs. Et il envoya la colombe pour voir si l'eau avait cessé de couvrir la face de la terre. Mais la colombe n'ayant pas trouvé où poser ses pieds, retourna vers lui dans l'arche, parce que l'eau était sur toute la face de la terre. Ici il faut chercher comment l'Ecriture sainte, après avoir dit plus haut que l'on voyait les sommets des montagnes, dit maintenant que la colombe est revenue à l'arche parce qu'elle n'avait pas trouvé où se poser : et que l'eau couvrait toute la face de la terre. Lisons ce passage avec attention et nous en saurons la cause: il n'est pas dit simplement où se poser, mais où poser ses pieds, ce qui nous montre que malgré la retraite des eaux et la réapparition des sommets des montagnes, l'abondance de l'inondation avait laissé sur ces sommets une grande masse de limon. Aussi la colombe ne pouvant s'arrêter nulle part, ni trouver la nourriture qui lui convenait, revint à l'arche, montrant au juste par son retour qu'il y avait encore une grande quantité d'eau. Ayant étendu la main, il la prit avec sa main et la ramena à lui dans l'arche. Voyez quelle douceur dans cet oiseau, comment son retour montra au juste qu'il fallait prendre encore un peu de patience. Et ayant attendu encore sept jours, il fit partir la colombe de l'arche. Et la colombe revint vers lui le soir, portant dans son bec une feuille cueillie à un olivier. Ce n'est .pas au hasard ni sans raison qu'il est écrit le soir: nous voyons par là, qu'après s'être nourrie tout le jour de la nourriture qui lui convenait, elle revenait le soir portant dans son bec ce qu'elle avait cueilli sur un olivier. Cet animal est doux et très-familier. Aussi revint-il, et par cette feuille d'olivier, il apporta au juste une grande consolation. Mais l'on dira peut-être : où a-t-il trouvé cette feuille? Tout cela est arrivé conformément aux desseins de Dieu, d'après lesquels la colombe a trouvé l'arbre, a cueilli là feuille et l'a rapportée au juste. Du reste, l'olivier est toujours vert, et il est probable qu'après la retraite des eaux, cet arbre avait encore ses feuilles. Ayant attendu encore sept autres jours; il fit partir la colombe et 'elle ne revint plus à lui. Voyez que le juste reçoit toujours la consolation dont il a besoin. Quand la colombe rentre avec la feuille d'olivier dans son bec, il conçoit déjà de grandes espérances : maintenant quand elle fut sortie pour ne plus rentrer, c'était la meilleure preuve qu'elle avait trouvé ce qu'il lui fallait et que les eaux avaient complètement disparu. Et pour voir qu'il en était ainsi, écoutez la suite : Il arriva, dans la six cent et unième année de la vie de Noé, le premier mois , que l'eau se retira de la face de la terre. Et Noé enleva la couverture de l'arche qu'il avait construite et vit que l'eau avait quitté la surface de la terre.

5. Ici encore je ne puis m'empêcher d'admirer avec stupéfaction là vertu du juste et la bonté de Dieu. Comment, en effet, respirant l'air après si longtemps et ouvrant les yeux à la vue du ciel, n'a-t-il pas été ébloui et aveuglé? Car vous savez que c'est ce qui arrive d'ordinaire à ceux qui ont passé, même peu de temps, dans l'obscurité et les ténèbres, lorsqu'ils revoient l'éclat du jour. Mais ce juste, pendant une année entière et des mois si pénibles passés dans l'arche presque sans, lumière , en revoyant tout-à-coup les splendeurs du soleil, n'éprouva aucun accident semblable. C'était la grâce de Dieu et la patience qu'il lui avait accordée, qui avaient  donné plus de vigueur même à ses facultés corporelles, et les avaient élevées au-dessus de leur nature. Au second mois la terre fut séchée, le vingt-septième jour, de ce mois. Ce n'est pas sans raison que l'Ecriture sainte raconte tout avec tant d'exactitude : c'est -pour rions montrer que tout fut terminé à cet anniversaire, pour faire briller, la patience du juste et compléter la purification de la terre. Ensuite, après que toute la création eut été comme lavée de tout ce qui la souillait, eut effacé les taches qu'y avait laissées la perversité humaine, et que sa figure fut devenue radieuse, c'est alors que le juste put enfin sortir de l'arche, et se délivrer de sa cruelle prison. Le Seigneur dit à Noé: Sors de l'arche, toi et tes fils, et ta femme, et les (174) femmes de tes fils avec toi, ainsi que tous les animaux qui sont avec toi, toute chair, depuis les volatiles jusqu'aux bestiaux et aux reptile qui se meuvent sur la terre : fais-les sortir avec toi; croissez et multipliez sur la terre. Voyez comment Dieu, dans sa bonté, donne au juste toute sorte de consolations. Il le fait sortir de l'arche, avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils, avec tous les animaux; et pour ne pas le laisser ensuite dans un profond découragement s'il pouvait se demander avec anxiété quelle serait sa vie dans ce désert, habitant seul une si vaste étendue sans y rencontrer d'êtres vivants, après lui avoir dit sors de l'arche et emmène tout ce qui est avec toi, il ajoute : Croissez et multipliez sur la terre.

Voyez comment le juste reçoit cette bénédiction d'en-haut, qu'Adam avait reçue avant le péché; car aussitôt après là création, Dieu les bénit en disant : Croissez, multipliez et gouvernez la terre. De même, il est dit à Noé : Croissez et multipliez sur la terre. De même que le premier est l'origine et la racine de tous ceux qui ont précédé le déluge, de même notre juste est comme le levain, l'origine et la racine de tout ce gui a suivi le déluge. C'est de lui que viennent nos générations actuelles, pour lui que la création tout entière a recouvre sa beauté propre, que la terre a pu donner des fruits et que tout a été réorganisé pour servir l'homme. Noé sortit, lui et sa femme et les femmes de ses fils avec lui; et tous les animaux, les bestiaux, les oiseaux, les reptiles se mouvant sur terre, tous suivant leur espèce, sortirent de l'arche. Après avoir reçu l'ordre du Seigneur et sa bénédiction dans ces termes : Croissez et multipliez, il sortit de l'arche avec tout ce qui s'y trouvait. Et ensuite il vivait seul sur la terre avec sa femme, ses fils et les femmes de ses fils. Mais sitôt qu'il fut sorti, il montra sa reconnaissance naturelle en rendant grâce au Seigneur tant pour le passé que pour l'avenir. Mais, si vous le voulez bien, afin de ne pas être trop long, nous renverrons à demain ce qui regarde la reconnaissance du juste et nous n'en parlerons pas maintenant; nous vous supplions de porter sans cesse vers ce bienheureux votre attention et votre zèle, pour étudier la perfection de sa vertu et pour chercher à l'égaler. Considérez, je vous en conjure, combien est grand le trésor de sa vertu, puisque, après tant de jours que j'ai consacrés à vous en parler, je n'ai pu encore terminer ce que j'avais à vous en dire. Que parlé-je de terminer ! Nous n'y parviendrons jamais, quoique nous puissions dire : nous et nos successeurs, nous aurons beau parler, nous n'épuiserons pas ce sujet : telle est l'excellence de la vertu ! L'exemple de ce juste suffirait, si nous le voulions bien, pour instruire la nature humaine et l'engager à imiter cette vertu. Car si Noé, seul au milieu de tant de méchants et n'ayant pas un ami, est parvenu à ce comble de vertu, quelle sera notre excuse, à nous qui ne rencontrons pas lés mêmes obstacles, et qui ce, pendant sommes si négligents pour les bonnes oeuvres? Il ne s'agit pas seulement de cette existence de cinq cents ans pendant laquelle il était forcé de vivre au milieu ries méchants qui le raillaient et l’insultaient; cette année qu'il passa tout entière dans l'arche me parait valoir tout le reste. Ce juste y éprouvait une infinité d'afflictions et d'angoisses, par la privation d'air et le voisinage de tant d'animaux : au milieu de tout cela son esprit restait inébranlable, sa volonté inflexible, ainsi que sa foi envers Dieu, qui lui rendait tout facile et léger à supporter. Il est vrai que, s'il faisait beaucoup de lui-même; Dieu avait été prodigue envers lui. Malgré les tourments qu'il supportait dans l'arche, du moins il évitait une terrible catastrophe et il échappait à la destruction universelle. Aussi en échange de ces angoisses et de cette insupportable prison, il avait le repos et la sécurité, en même temps que la divine bénédiction : aussi montra-t-il sa reconnaissance, et vous le verrez ton, jours commencer par là. Dans les premiers temps de sa vie, il a pratiqué toutes les vertus et fui tous les vices dont ceux qui vivaient alors étaient infectés, ce qui lui a épargné loué punition et l'a fait sauver lui seul pendant que tous les autres étaient submergés : de même aussi, comme il a conservé la foi et qu'il a supporté avec reconnaissance son séjour dans l'arche, il a reçu encore une nouvelle effusion de grâce divine; à peine sorti de l'arche et revenu à ses premières habitudes il a obtenu a bénédiction, et montrant toujours la même reconnaissance il a rendu grâce à Dieu qui l'a encore honoré de plus grands bienfaits. Car c'est ce que fait Dieu : ce que nous lui offrons peut être sans importance ni valeur; mais enfin, si nous l'offrons, il nous récompense libéralement. Et pour vous faire voir toute la pauvreté humaine et toute la munificence da Dieu, écoutez bien ceci : si nous voulons faire une offrande à Dieu, que pouvons-nous faire de plus que de lui offrir des paroles d'action de grâces? Ce qu'il fait pour nous, au contraire, nous le voyons par des œuvres. Or, quelle différence entre les paroles et les oeuvres ! Le Seigneur n'a pas besoin de nous et ne nous demande rien que des paroles : Si même il exige cette reconnaissance verbale, ce n'est pas qu'il en ait besoin, mais c'est pour que nous ne soyons point ingrats et que nous reconnaissions l'Auteur de tant de bienfaits. Aussi saint Paul nous dit : Soyez reconnaissants. (Colos. III, 15.) C'est là surtout ce que Dieu nous demande. Ainsi ne soyons point ingrats; ne montrons point de paresse pour remercier Dieu, puisque nous recevons ses bienfaits : il nous en reviendra de nouveaux avantages. Si nous sommes reconnaissants des bienfaits passés, nous en recevrons encore de plus grands, et de plus nous donnerons des forces à notre confiance. Seulement, je vous en conjure, méditons, méditons en nous-mêmes, chaque jour et à chaque heure, s'il est possible, non-seulement les bienfaits que nous avons reçus du Créateur et que nous partageons avec toute la nature humaine, mais ceux que nous recevons chaque jour et en particulier.

Que parlé-je de bienfaits quotidiens et particuliers? Remercions encore Dieu de tous ceux qu'il nous accorde et que nous ne connaissons pas. Quand il est inquiet pour notre salut, il nous oblige sauvent à notre insu, souvent même il nous sauve des dangers et nous accorde encore d'autres grâces. C'est une source de clémence qui répand sans cesse ses flots sur le genre humain: Méditons à ce sujet et cherchons à remercier le Seigneur de ses bienfaits passés et à nous préparer à ceux de l'avenir de manière à ne pas en paraître indignes : c'est alors que nous pourrons bien diriger notre existence et fuir le vice. Car le souvenir des bienfaits est une excellente préparation à une vie vertueuse il nous empêche de tomber dans l'indifférence et l'oubli, et de tourner au mal. Un esprit attentif et vigilant remercie toujours, dans les mauvais succès comme dans les bons, et ne se laisse point abattre par les vicissitudes de la vie; il s'en fortifie davantage, et il considère l'ineffable providence de Dieu qui déploie, même dans nos adversités , assez de sagesse et de ressources, quoique nous ne puissions pas comprendre toute la profondeur de ses desseins, pour montrer qu'il veille encore sur nous.

6. Aussi soyons toujours disposés à lui rendre sang cesse grâce de toutes choses, quoi qu'il arrive. C'est pour cela qu'il a fait de nous des êtres raisonnables et différents des animaux; c'est pour louer, célébrer, glorifier sans cesse le Seigneur créateur de toutes choses. C'est pour cela que son souffle a fait naître notre âme et qu'il nous a accordé la parole, afin d'apprécier ses bienfaits, de reconnaître sa puissance et de montrer que nous ne sommes point ingrats en le remerciant selon nos forces. Car si les hommes, c'est-à-dire nos semblables, exigent de nous des remercîments pour le moindre bienfait, non pas qu'ils s'inquiètent de notre reconnaissance, mais pour en tirer gloire, combien ne devons-nous pas remercier Dieu qui ne veut que nous rendre service? Notre reconnaissance glorifie les hommes qui nous ont obligés; celle que, nous marquons à Dieu nous glorifie nous-mêmes. En effet, quoiqu’il n’ait pas besoin de nos remerciements, il les désire, mais c'est pour en faire retomber sur nous tout l'avantage et nous rendre dignes d'une protection encore plus grande. Sans doute nos louanges ne sont pas dignes de lui; comment cela se pourrait-il avec la faiblesse de la nature qui nous enchaîne? Mais pourquoi parler de la nature humaine? Pas même les intelligences incorporelles et invisibles, les puissances et les dominations, les chérubins et les séraphins ne pourraient célébrer dignement sa gloire. Nous n'en devons pas moins, selon nos forces, lui exprimer notre reconnaissance et glorifier sans cesse notre Seigneur par les louanges que lui adresse notre voix et par la pureté de notre vie. Car la meilleure glorification de Dieu consiste à le faire célébrer par des milliers de langues. Or, tout homme vertueux engage tous ceux qui le voient à célébrer le Seigneur; et cette glorification dont il est cause loi attire de la part de Dieu une grande et ineffable bénédiction. En effet, peut-il y avoir rien de plus glorieux pour nous, non-seulement de célébrer par nos propres voix la gloire du bon Dieu, mais d'engager tous nos semblables à le glorifier avec nous? Pour cela, mes bien-aimés, rien ne vaut une conduite irréprochable. Aussi le Seigneur dit : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes (176) oeuvres et qu'ils glorifient votre Dieu qui est aux cieux. (Matth. V, 16.) De même que la lumière dissipe les ténèbres, de même l'éclat de la vertu repousse le mal et écarte les ténèbres de l'erreur en excitant à louer Dieu ceux devant qui elle brille. Aussi faisons nos efforts pour que nos oeuvres aient cet éclat qui fait glorifier le Seigneur. Si le Christ a parlé ainsi, ce n'est pas pour que nous fassions montre de nos actions; loin de là ! C'est pour que nous veillions sur notre vie avec assez de soin, pour qu'il nous approuve, pour ne donner à personne occasion de blasphémer, et que nos bonnes actions excitent tous ceux qui nous voient à glorifier le Dieu tout-puissant. C'est alors, en effet, c'est alors que nous attirerons sur nous toute sa bienveillance, que nous pourrons éviter les châtiments et obtenir les biens ineffables, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, soient gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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