HOMÉLIE XXVII

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VINGT-SEPTIÈME HOMÉLIE. « Et Noé dressa un autel au Seigneur, et il prit de tous les oiseaux purs, et il offrit un holocauste sur l'autel. » (Gen. VIII, 20.)

 

ANALYSE.

 

1. Les bienfaits de Dieu envers notre race sont innombrables; le plus grand, le plus incompréhensible de tons, c'est la venue de son Fils unique en ce monde. — 2. Dieu agrée les sacrifices que lui offrent les hommes pour exercer leur reconnaissance. — 3. La foi et la bonne intention donnent à nos oeuvres leur mérite. — 4. La bonté de Dieu se manifeste dans la promesse qu'a fait de ne plus détruire le genre humain par le déluge, par la permission qu'il accorde h l'homme de se nourrir de la chair des animaux. — 5. La défense de manger le sang des animaux a été faite pour adoucir la naturelle cruauté de l'homme. — 6-8. Exhortation au pardon des injures et a l'amour des ennemis.         

 

1. Vous avez vu hier comment la bonté du Dieu clément fit sortir le juste de l'arche et le délivra d'une pareille habitation, d'une prison si triste et si pénible, et comment il récompensa sa patience en disant: Croissez et multipliez. Apprenons aujourd'hui combien Noé a été sensible et reconnaissant, et comment il s'est ainsi attiré de la part de Dieu des grâces encore plus grandes. C'est ce que fait Dieu quand il rencontre des coeurs touchés de ce qu'il a déjà fait, il leur prodigue encore de nouvelles faveurs. Cherchons donc à remercier le. Seigneur Dieu de tous les biens qu'il nous a déjà accordés, afin d'en mériter de plus grands encore . n'oublions jamais les faveurs que Dieu nous a faites, et songeons-y constamment pour lui offrir sans cesse nos actions de grâces, quoiqu'elles soient si nombreuses que notre mémoire ne suffise pas pour retenir et compter tous les biens que nous en avons reçus, Qui pourrait en effet examiner tout ce que nous avons déjà reçu, tout ce qui nous est promis et tout ce que nous recevons chaque jour? Dieu nous a tirés du néant à l'être, il nous a donné un corps et une âme, nous a créés raisonnables, nous a donné cet air que nous respirons , a formé création pour le genre humain : il avait voulu , dans l'origine, que l'homme vécût dans le paradis sans douleur ni travail, égal aux anges et aux puissances (177) incorporelles et supérieur aux exigences de la chair, malgré le corps qui l'enveloppait. Ensuite quand l'homme, par sa négligence, eut succombé au piége diabolique que lui tendait le serpent, Dieu ne cessa point d'être bon pour ce pécheur, ce coupable : par sa punition même, comme nous l'avons dit hier, il montra l'excès de sa bonté et lui accorda encore une infinité d'autres bienfaits. Par la suite des temps, la race s'étant. accrue et se détournant vers le mal, quand Dieu eut vu que les plaies étaient incurables , il détruisit tous ces artisans du vice, comme un mauvais levain, laissant ce juste pour en faire la racine et l'origine du genre humain. Voyez encore quelle est sa bonté envers ce juste. C'est par lui et ses fils qu'il a fait multiplier l'humanité en foule innombrable : peu à peu, choisissant des justes, je veux dire les patriarches, il les a établis comme les précepteurs du genre humain, capables d'entraîner tout le monde par l'exemple de leurs vertus, et comme des médecins, de guérir les maladies morales. Il les a conduits; tantôt en Palestine, tantôt en Egypte, afin de montrer à découvert, d'un côté la patience de ses serviteurs, et, de l'autre, de déployer toute sa puissance : ainsi, il s'est toujours montré empressé pour le salut de la race humaine, en suscitant des prophètes, et leur faisant accomplir des signes et des miracles. En un mot, de même que nous ne pourrions pas, avec mille efforts, compter le nombre des flots de la mer, de même nous ne pourrions énumérer la variété des bienfaits que Dieu a épanchés sur notre nature. Enfin, quand il vit qu'après tant de bienveillance de sa part et sa miséricorde inouïe, la race humaine était encore retombée, sans avoir pu être retenue par les patriarches, les prophètes, les miracles les plus frappants, les châtiments et les avertissements si souvent répétés, enfin par les captivités consécutives, Dieu ayant pitié de notre race, pour guérir nos âmes et nos corps, nous envoya son Fils unique, sortant, pour ainsi dire, des bras paternels ; il lui fit prendre la forme d'un esclave dans le sein d'une Vierge, vivre avec nous et supporter toutes nos misères pour enlever de la terre au ciel notre race abattue sous le poids de ses péchés. Le fils du tonnerre, frappé de l'excès de bonté que Dieu avait déployé à l'égard du genre humain, nous disait à haute voix : C'est ainsi que Dieu a aimé le monde. (Jean, III, 16.) Voyez quels prodiges renferme ce mot : C'est ainsi ! Il fait comprendre la grandeur de ce qui va suivre, et c'est pourquoi l'Ecriture commence ainsi. Donnez-nous donc, ô saint Jean, l'explication de ce trot, c'est ainsi dites-nous l'étendue, la grandeur, l'excellence d'un pareil bienfait. C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, au point de nous donner son Fils unique, pour que tout homme croyant en lui ne meure pas, mais ait la vie éternelle.

Voilà la cause de la venue du fils de Dieu en ce monde, il y est venu pour que les hommes qui allaient périr, trouvassent une occasion de salut dans 1a foi en lui. Qui pourra concevoir cette grande et admirable libéralité qui dépasse notre raison, par laquelle le don du baptême, accordé à notre nature, efface tous nos péchés? Mais que dis-je? Si l'esprit ne le conçoit pas, la parole peut encore moins le rendre, et quoi que je dise, il m'en restera encore plus à dire. Qui aurait pu imaginer cette voie de pénitence que Dieu, par son inexprimable bonté, a ouverte à notre race, en nous donnant, après la grâce du baptême, ces admirables préceptes par lesquels, si nous le voulons bien, nous pourrons rentrer en grâce avec lui.

2. Vous avez vu, mes bien-aimés, l'abîme de ses bienfaits, vous avez vu combien nous en avons comptés, mais nous n'avons pu vous en dire encore qu'une faible partie. Comment une langue humaine pourrait-elle exposer tout ce que Dieu a fait pour nous ? Quels que soient ses bienfaits dans cette vie, il en a promis de plus grands et d'inexprimables dans l'autre vie à ceux qui auront marché sur terre dans le sentier de la vertu. Saint Paul nous en indique la grandeur en quelques mots : Dieu a préparé ci ceux qui l'aiment des biens que l’oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur de l'homme n'a pas devinés. (I Cor. II, 9.) Quels dons inouïs, quelle magnificence au-dessus de toute pensée humaine ! Il dit :que le coeur de l'homme n'a pas deviné. Méditons ces paroles, et rendons grâce à Dieu suivant nos forces, nous pourrons bien mieux nous concilier sa bienveillance et devenir plus capables d'être vertueux. Car le souvenir des bienfaits de Dieu suffit pour nous rendre supportables les efforts de la vertu, nous préparer à mépriser toutes les choses présentes et pour nous attacher à Celui qui nous comble de ses faveurs, en nous pénétrant d'un amour chaque jour plus ardent. Ainsi Noé a obtenu tant de bienveillance et de grâce d'en-haut, parce qu'il avait montré sa (177) reconnaissance pour les bienfaits déjà reçus. Mais, pour que cette instruction soit plus claire, il faut que je rappelle à votre charité le commencement de ce qu'on a lu aujourd'hui. Après que le juste fut sorti de l'arche, selon l'ordre de Dieu, avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils, ainsi que tous les animaux et les volatiles, et qu'il eut reçu de Dieu, après sa sortie, cette bénédiction qui le consolait si bien : croissez et multipliez, l'Ecriture, pour montrer sa reconnaissance, nous dit : Noé dressa un autel au Seigneur et il prit de tous les quadrupèdes purs et de tous les volatiles purs, et il offrit un holocauste sur l'autel. Observez avec soin, mes bien-aimés, d'après les paroles présentes, comment le Créateur de toutes choses a mis dans notre nature une idée précise de la vertu. D'où serait venue à ce juste, dites-moi, une pareille idée ? Il n'y avait là personne qu'il pût prendre pour exemple. Mais de même que dans l'origine, Abel, le fils du premier homme, a offert avec dévotion un sacrifice sans être averti par d'autres que par lui-même; de même aujourd'hui ce juste, par la rectitude de sa volonté et de son jugement, offrit au Seigneur, suivant ses forces et comme il croyait devoir le faire, un sacrifice d'actions de grâce. Voyez avec quelle sagesse il avait tout disposé ! Il n'avait pas d'édifice splendide, de temple, ni même de maison habitable ni rien de semblable : il savait, en effet, il savait que Dieu ne demande que les coeurs. Il éleva un autel à la hâte, prit quelques animaux purs et quelques oiseaux purs et offrit son holocauste, montrant ainsi sa reconnaissance autant qu'il le pouvait : aussi le Dieu de bonté couronna sa bonne volonté et lui montra de nouveau sa bienveillance; car l'Ecriture dit: Et le Seigneur en sentit l'odeur agréable. Voyez comme l'intention du sacrificateur change en parfum 1a fumée, l'odeur de graisse et toute la puanteur qui s'en exhalait. Aussi Paul disait: Nous sommes la bonne odeur du Christ pour ceux qui sont sauvés et pour ceux qui périssent: pour les uns c'est une odeur de mort qui fait mourir, pour les autres une odeur de vie qui fait vivre (II Cor. II, 15), c'est là cette odeur agréable.

Ne vous choquez pas d'un mot vulgaire ces expressions, mises à la portée de notre faiblesse, signifient seulement que Dieu accepta l'offrande du juste. On peut voir par cela même que Dieu n'a besoin de rien et qu'il a permis les sacrifices pour exercer les hommes à la reconnaissance. Aussi ce qui lui était offert était brûlé par le feu, afin que les hommes qui l'offraient comprissent que tout cela n'avait d'usage que pour eux. Mais pourquoi, direz-vous, l'a-t-il permis autrefois? C'était encore pour avoir égard à la faiblesse de notre raison les hommes, tombant peu à peu dans le relâchement , devaient se faire d'autres dieux et leur offrir aussi des sacrifices : il voulut donc qu'on lui en offrît à lui-même, afin d'arrêter du moins les hommes sur la pente de cette erreur funeste. Et pour vous montrer que c'était une concession faite à notre faiblesse, observez que, dans l'époque qui nous précède, il avait fait une loi de la circoncision, non qu'elle pût servir en rien au salut de l'âme, mais comme une marque de reconnaissance, comme un signe ou un cachet que les Juifs portaient avec eux et qui leur défendait de se mêler aux gentils.

3. Aussi saint Paul l'appelle-t-il un signe, en disant : Il donna le signe de la circoncision comme un sceau. (Rom. IV, 11.) Ce n'est pas que cela justifie, car notre juste, avant que la circoncision eût été établie, parvint à une si haute vertu : Mais que dis-je ? Le patriarche Abraham lui-même, avant de recevoir la circoncision, a été justifié par sa foi seule. Car avant la circoncision, dit saint Paul, Abraham crut en Dieu et cela lui fut imputé en justice. (Rom. IV, 3.) Pourquoi donc, ô juif, t'enorgueillir de ta circoncision ? Apprends que bien des hommes ont été justes avant qu'elle fût connue. Ainsi, Abel fut conduit par sa foi à faire son offrande, et Paul dit : C'est par la foi qu'Abel fit à Dieu une offrande plus agréable que celle de Caïn. (Héb. XI, 4.) Enoch fut enlevé au ciel, et Noé, par sa grande justice, évita les horreurs du déluge : enfin, Abraham même, avant sa circoncision, fut vanté par Dieu pour sa vertu. C'est ainsi que, dès l'origine, le genre humain a trouvé son salut dans la foi'' De même le Dieu de bonté a permis qu'on lui offrît des sacrifices, à une époque où notre nature était plus imparfaite, pour que l'homme pût lui exprimer sa reconnaissance et fuir le culte funeste des idoles. Si, en effet, malgré tant de condescendance de Dieu, bien des hommes n'ont pas évité cette chute, qui aurait pu l'en garantir sans cela? Le Seigneur en sentit l'odeur agréable. Il n'en dit pas autant des Juifs ingrats : pourquoi cela? Ecoutez le  (179) Prophète : Le parfum m'est en abomination (Is. I,13), pour montrer que ceux qui l'offrent ont une volonté perverse. De même que la vertu du juste a changé en parfum la fumée et l'odeur de viande rôtie, de même leur méchanceté changeait les parfums en infection. Aussi, efforçons-nous, je vous en conjure, d'apporter des intentions pures, c'est la source de tous les biens. Le bon Dieu n'a pas l'habitude de regarder nos actions elles-mêmes, il considère la pensée intérieure qui nous fait agir : d'après cela il blâme ou il approuve nos actions. Ainsi, soit que nous priions, soit que nous jeûnions, soit que nous fassions l'aumône (car ce sont là nos sacrifices spirituels), soit que nous fassions toute autre couvre spirituelle, faisons-la toujours dans une bonne intention, afin de recevoir une palme digne de nos efforts. En effet, il est absolument impossible que nos travaux ne soient pas récompensés, s'ils ont été dirigés suivant les règles de la vertu. Il peut même se faire que, par l'extrême bonté de Dieu, nous soyons récompensés pour la seule intention, quoique notre oeuvre n'ait pas été accomplie. Remarquez, par exemple, ce qui arrive à propos de l'aumône. Si, en voyant un homme étendu sur la place et réduit à la dernière misère, vous Compatissez à son sort, et si vous élevez votre pensée au ciel, en remerciant le Seigneur qui vous a épargné ces souffrances et qui donne au pauvre le courage de les supporter , quand même vous ne pourriez apaiser et rassasier sa faim , vous serez néanmoins complètement récompensé pour l'intention. Voilà pourquoi le Seigneur dit : Celui qui aura donné seulement un verre d'eau froide à quelqu'un parce qu'il est mon disciple, en vérité, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense. (Matth. X, 42.) Qu'y a-t-il de moins précieux qu'un verre d'eau froide? Mais l'intention qu'on y joint mérite une récompense. Nous pouvons prendre l'exemple opposé. Je dois présente ces contrastes à votre charité pour que vous puissiez apprécier le mérite avec assurance. Ecoutez ce que dit le Christ: Celui qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matth. V, 28.) Vous voyez ici qu'une mauvaise pensée entraîne une condamnation, et qu'un regard imprudent est puni comme si l'adultère avait été consommé ! Puisque nous savons tout cela , affermissons partout et toujours notre intention dans le bien, afin que nos actions soient bien reçues. Car si une bonne intention change en parfum la fumée et la mauvaise odeur, que ne peut-elle pas faire d'un culte spirituel, et quelles grâces du ciel ne peut-elle pas attirer sur nous ! Le Seigneur en sentit l'odeur agréable. Vous voyez ce qui est arrivé au juste dont l'action, à en juger par l'apparence, avait peu de valeur, mais qui en avait une très-grande par la pureté dé son intention. Voyez encore l'infinie bonté du Dieu de clémence. Le Seigneur Dieu dit en réfléchissant : je ne maudirai plus la terre à l'occasion des couvres des hommes, car la pensée des hommes est sujette à tomber dans le mal dès leur jeunesse. Je ne frapperai plus toute chair vivante, comme je l'ai fait, tant que la terre vivra.

4. Quelle quantité de bienfaits, quelle étendue de bonté, quel excès de clémence ! Le Seigneur Dieu dit en réfléchissant. Ce mot en réfléchissant est tout à fait humain et adapté à notre nature. Je ne maudirai plus la terre à l'occasion des oeuvres des hommes. En effet, il avait dit au premier homme créé. La terre t'engendrera des épines et des chardons. (Gen. III, 8, et IV, 12), et il avait parlé de même à Caïn. — Maintenant; après la destruction universelle, il s'adresse au juste pour le consoler, lui rendre confiance et l'empêcher de te dire à soi-même : A quoi servira cette bénédiction, croissez et multipliez, s'il nous faut encore périr après nous être multipliés ? Car il avait aussi dit autrefois à Adam : Croissez et multipliez;  cependant le déluge est venu. Pour lui éviter ces tourments perpétuels de la pensée, voyez quelle est la bonté de Dieu : Je ne maudirai plus la terre à propos des oeuvres des hommes! D'abord il déclare que c'est à propos de leur perversité qu'il a ainsi bouleversé la terre. Ensuite, pour nous montrer que s'il fait cette promesse, ce n'est pas qu'il s'attende à voir les hommes se mieux conduire; il ajoute : Car la pensée des hommes est sujette à tomber dans le mal dès leur jeunesse. Voilà un rare exemple de bonté. Puisque, dit-il, la pensée de l'homme est sujette à tomber dans le mal depuis sec jeunesse, à cause de cela, je ne maudirai plus la terre. J'ai usé deux fois, dit-il, de tout mon pouvoir puisque je vois la méchanceté si prompte à s'accroître, je promets de ne plus détruire la terre. Ensuite, pour montrer toute l'étendue de sa bonté, il ajoute : Je ne frapperai plus toute chair vivante, comme je l'ai fait, tant que la terre vivra. Voyez, je vous prie, quelle (180) consolation il apporte au juste, et même à d'autres qu'au juste ! car, dans sa bonté, il embrasse toute la race des hommes de l'avenir, puisqu'il dit: Je ne frapperai plus toute chair vivante, et qu'il ajoute: comme je t'ai fait, et aussi tant que la terre vivra; il déclare ainsi qu'il n'y aura plus de déluge, et que jamais une pareille catastrophe n'envahira le globe. Il dit même comme preuve de son éternelle bienveillance: Tant que la terre vivra, c'est-à-dire: Je promets qu'à aucune époque je ne déploierai à ce point mon indignation et que je ne causerai jamais une pareille perturbation dans la marche des saisons, ni dans l'ordre des éléments. Aussi, dit-il à la suite: Les semailles et les moissons, le froid et la chaleur, l'été et le printemps ne cesseront ni jour ni nuit. Cet ordre, dit-il, sera immuable: jamais la terre ne cessera de donner à l'homme sa subsistance et de récompenser les labeurs de l'agriculture; les saisons ne seront plus bouleversées, mais le froid et le chaud, l'été et le printemps reviendront à leur tour dans l'année. En effet, pendant le déluge, tout cela avait été confondu, et le juste dans l'arche était presque dans une nuit complète; aussi Dieu lui dit: Le jour et la nuit ne cesseront pas leur course et, jusqu'à la fin des siècles, leurs fonctions seront immuables. Voyez quel puissant encouragement bien capable de relever le courage du juste; voyez quelle récompense il a reçue de ses mérites. Mais cette ineffable libéralité se montre encore dans ce qui suit: Dieu bénit Noé et ses fils et leur dit: Croissez et multipliez, et remplissez la terre et dominez-la. Vous serez craints et redoutés de toutes les bêtes de la terre et de tous les oiseaux du ciel, de tous les animaux qui se meuvent sur terre et de tous les poissons de la mer: je les ai livrés tous entre vos mains. Tout ce qui se meut et qui est vivant sera votre nourriture; je vous l'ai donné comme les plantes des jardins. Cependant ne mangez pas la chair avec son sang, qui est son âme. Il faut ici admirer la suprême bonté du Seigneur. vous voyez que le juste reçoit de nouveau la même bénédiction qui avait déjà été donnée à Adam; cette supériorité que l'homme avait perdue, il la recouvre par sa vertu et surtout par l'inexprimable clémence du Seigneur. Car, de même qu'il avait dit autrefois: Croissez et multipliez, et gouvernez la terre; dominez sur les poissons de la mer, les reptiles, les volatiles et les quadrupèdes; il dit maintenant : Vous serez craints et redoutés de toutes les bêtes de la terre et de toutes les volatiles. Tout ce qui se meut et vit sur terre sera votre nourriture; je vous l'ai donné comme les plantes des jardins. Cependant ne mangez pas la chair avec son sang, qui est son âme. C'est la même loi que celle qui avait été donnée au premier homme, sauf une observation. Quand l'empire du monde a été donné à Adam, ainsi que la jouissance de tout ce qui était dans le paradis, il y eut cependant un arbre auquel il lui fut défendu de toucher; il en est de même pour Noé; Dieu le rend terrible aux animaux de la terre et met encore sous sa puissance les oiseaux et les volatiles; il dit aussi: Tout ce qui se meut et vit sur terre sera votre nourriture: je vous l'ai donné comme les plantes des jardins. C'est alors qu'a commencé l'usage de manger de la viande, non pas pour satisfaire notre gourmandise, mais parce que les hommes, devant sacrifier des animaux, afin de rendre grâce au Seigneur, il ne fallait pas qu'ils parussent rejeter les choses consacrées: aussi Dieu leur accorde l'usage de cette nourriture et leur permet d'y recourir abondamment. Je vous ai tout donné comme les plantes des jardins. Ensuite, de même que, tout en jouissant du fruit de tous les arbres, Adam devait s'abstenir d'un seul, de même aussi, tout en accordant à Noé la permission de manger de tout ce qu'il voudrait, Dieu lui dit néanmoins: Ne mangez pas la chair avec le sang, qui est son âme. Qu'est ce donc qu'un animal où l'on a laissé le sang qui est son âme? Cela signifie une bête étouffée; car l'âme d'un animal n'est autre chose que son sang.

Comme les sacrifices se faisaient en immolant des animaux, voici l'enseignement qui résulte dé ce commandement. Le sang est mis à part pour moi, et vous gardez la chair. Dieu agit ainsi pour modérer par ses ordres la cruauté et le penchant à l'homicide. Pour prouver qu'il a voulu ainsi rendre les hommes plus pieux, écoutez ce qui suit : Je demanderai compte de votre sang, de vos âmes, à tous les animaux. Et je demanderai compte à l'homme et au frère de l'âme de l'homme. Quoi donc ! l'âme de l'homme est-elle du sang? Dieu ne veut pas le dire; loin de là! mais il parle conformément aux habitudes humaines, comme si un homme disait à un autre : Ton sang est en mes mains : c'est-à-dire, je puis te tuer. Pour voir que l'âme de l'homme n'est pas le sang , écoutez le Christ, qui dit : Ne (181) craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme. (Matth. X, 28.) Et voyez la distinction que Dieu fait; : Celui qui aura répandu le sang de l'homme, son sang sera répandu par compensation; car j'ai fait l’homme à mon image. Méditez, je vous prie, sur la terreur qu'inspirent ces paroles. Si l'idée de frapper ton semblable, celui qui est de même nature que toi, ne suffit pas pour te détourner de ton odieuse entreprise, si tu repousses toute sympathie fraternelle pour te livrer à cette criminelle audace, songe que ta victime a été faite à l'image de Dieu, que Dieu lui a accordé ses plus hautes prérogatives, et abandonne ton horrible projet. Mais supposons un homme qui ait commis une infinité de meurtres et versé des flots de sang: comment pourra-t-il tout compenser en répandant le sien? Ne vous arrêtez pas à cela, mais songez que bientôt il recevra un corps incorruptible qui pourra être puni sans cesse pendant l'éternité. Voyez aussi comme le précepte est précis. Il est dit de l'homme : tu ne verseras pas son sang; à propos des animaux il n'est point dit tu ne verseras pas, mais seulement : Tu ne mangeras pas la chair avec le sang; qui est son âme. D'un côté Dieu dit : tu ne répandras pas; de l'autre : tu ne mangeras pas.

Vous voyez que ces lois n'ont rien de pénible, combien ces préceptes sont simples et faciles, comment Dieu ne demande à notre nature rien de gênant et de fâcheux. Plusieurs personnes disent que lé sang des animaux. est lourd, grossier et cause des maladies : nous pensons que si nous devons observer ce précepte, ce n'est pas à cause de la raison que nous venons de dire, si savante qu'elle soit, mais pour accomplir l'ordre du Seigneur. Du reste, pour savoir que s'il nous a fait cette recommandation c'est pour modérer nos instincts sanguinaires, il dit : Quant à vous, croissez, multipliez, remplissez la terre et dominez la. Ce n'est pas sans raison qu'il dit : Quant à vous. Vous qui êtes si peu nombreux; si faciles à compter, remplissez la terre et gouvernez-la, c'est-à-dire ayez-y tout empire, toute puissance et recueillez-en les fruits. Voyez, je vous prie, toute la bonté de Dieu qui, en échange d'immenses bienfaits, n'impose qu'une facile et unique obligation. De même qu'après avoir placé Adam dans le paradis et lui avoir accordé de jouir de tout, il lui défendit cependant de toucher à un arbre; de même ici encore, après avoir promis qu'il ne détruirait plus l'univers et qu'il ne s'irriterait pas à ce point, mais que les éléments ne seraient plus bouleversés jusqu'à la consommation, des siècles et garderaient toujours leur marche et leurs lois, après avoir donné sa bénédiction à ceux qu'il avait sauvés, et leur avoir accordé toute puissance sur les animaux et le droit de manger leur chair, Dieu leur dit: Cependant vous ne mangerez pas la chair avec le sang, qui est son âme. Vous voyez qu'après avoir montré tant de bonté et d'ineffable libéralité, il finit par un ordre : ce n'est pas là l'habitude des hommes. Les hommes veulent, avant fout, que leurs ordres soient exécutés, ils exigent beaucoup de douceur et d'exactitude chez ceux qu'ils chargent de leurs commandements, et ce n'est qu'à la fin qu'ils songent à récompenser ceux qui leur ont montré tant d'obéissance. Le Maître de toutes choses agit tout autrement : il commence par répandre ses bienfaits, il nous séduit par leur abondance, puis enfin il donne quelques préceptes simples et faciles, afin que leur facilité même se joigne aux bienfaits antérieurs pour assurer notre obéissance.

N'ayons donc jamais, mes bien-aimés, ni répugnance , ni négligence pour remplir ses commandements : songeons à ses bienfaits antérieurs et à la facilité de ses ordres, ainsi qu'à la grandeur des récompenses qui bous sont promises quand nous les aurons remplis: veillons et empressons-nous d'exécuter tout ce que Dieu nous a commandé; ne quittons pas la route qu'il nous a tracée pour parvenir au salut de nos âmes, faisons un bon usage du temps qui nous reste encore à vivre, purifions-nous de nos péchés et fortifions notre confiance, surtout dans les jours gui restent encore jusqu'à la fin du carême.

6. Ce nombre de jours est encore suffisant, si nous voulons l'employer à la pénitence. Si je vous parle ainsi, ce n'est pas que ce temps soit en réalité suffisant pour nous corriger de tous nos péchés, mais c'est parce que nous avons un Maître doux et clément qui n'exige pas beaucoup de temps: il suffit de s'approcher de lui avec ferveur et vigilance en rejetant tous les soins du monde et ne s'appuyant que sur la force d'en-haut. Les habitants de Ninive, écrasés sous une multitude de péchés, mais faisant une grande et véritable pénitence, n'eurent pas besoin de plus de trois jours pour (182) réveiller la bonté de Dieu et rendre vaine la sentence qu'il avait portée contre eux. Mais pourquoi parler des Ninivites ? Le larron sur la croix n'a pas eu besoin d'un jour. Et que dis-je, d'un jour? pas même d'une heure, tant est grande là bonté de Dieu pour nous ! Car, dès qu'il voit que nous venons à lui avec une volonté ferme et un désir fervent, if ne tarde pas, il ne diffère point; il s'empresse, au contraire, et avec sa générosité habituelle, il s'écrie : Tu parleras encore quand je te dirai : Me voilà ! (Is. LVIII, 9.)

Il nous écoutera donc si nous voulons, pendant ces quelques jours, montrer un certain zèle, puiser du secours dans un jeûne convenable, secouer notre paresse pour implorer le Seigneur, verser des larmes brûlantes; confesser fréquemment nos péchés, montrer les plaies de notre âme comme celles du corps à un médecin, nous livrer à cette cure spirituelle et faire, du reste, tout ce qui dépend de nous, c'est-à-dire apporter un coeur contrit, une véritable componction, faire de larges aumônes, refréner les passions qui troublent notre raison et les chasser de notre âme, au point de ne plus être assiégé par l'amour des richesses, par des rancunes contre notre prochain, par des haines contre nos semblables. Il n'est rien, en effet, rien' que Dieu déteste et repousse, comme un homme qui conserve constamment dans son âme de la rancune et de la haine contre son prochain. Cette faute est d'autant plus funeste qu'elle s'oppose à la miséricorde de Dieu. Pour vous l'apprendre, je vous rappelle la parabole évangélique, où cet homme, qui devait à son maître dix mille talents, tomba à ses pieds, le supplia et l'implora, et obtint remise du tout. Son maître, ému de pitié, lui remit sa dette. (Maith. XVIII, 27.) Voyez quelle est la miséricorde du maître. Le débiteur tombe à ses pieds et lui demande une échéance plus éloignée. Donne-moi du temps et je te payerai tout. Mais le maître bon et miséricordieux, touché de sa prière, lui accorda non-seulernent ce qu'il demandait, mais plus qu'il n'osait espérer. C'est ce que fait Dieu, pour dépasser et prévenir nos prières. Cet homme implorait l'indulgence et promettait de tout payer; mais ce maître, dont la bonté dépasse .encore nos fautes, est assez touché pour le tenir quitte et lui remettre sa dette. Vous avez vu ce que le serviteur demandait et combien le maître lui a remis : voyez maintenant la folie du serviteur. Il devait, après avoir été l'objet d'une si grande bonté et d'une pareille munificence, être porté lui-même à l'indulgence envers le prochain ; c'est tout le contraire. Il s'en va ensuite, il s'agit de l'homme à qui on avait remis dix mille talents. Écoutez, je vous en conjure, avec attention, car ce qui suit suffit pour entraîner nos âmes et nous persuader d'en arracher une maladie aussi grave; il s'en va ensuite trouver un de ses . compagnons de servitude qui lui devait cent deniers. Voyez quelle différence ! Ici ce compagnon devait cent deniers; de l'autre côté le maître réclamait dix mille talents, et cependant il avait abandonné la dette aux supplications de son débiteur. Mais ce débiteur lui-même, prenant son compagnon, l'étouffait en disant : rends-moi ce que tu me dois. Son compagnon de servitude tomba à ses pieds. Voyez comme l'évangéliste répète ce mot de compagnon, non sans motif, mais pour que nous. comprenions qu'ils étaient égaux. Cependant, ce compagnon le suppliait comme l'autre avait supplié son maître, en disant: Donne-moi du temps et je te rendrai tout. Mais celui-ci s'en alla, et fil jeter le débiteur en prison jusqu'au paiement de la dette. Quel excès d'ingratitude ! Il avait encore le souvenir récent de la libéralité que son maître avait déployée à son égard, et il n'a pas. pitié d'un autre; il veut d'abord l'étrangler et enfin le jette en prison..

7. Mais voyez la suite: Quand les compagnons de servitude virent cela, ils furent attristés, et, venant vers leur maître, ils lui dirent tout. Ce n'est pas celui qui avait été maltraité (comment aurait-il pu le faire, puisqu'il était-en prison?), mais les autres compagnons qui souffraient de cette injustice, qui pourtant. ne les, touchait pas; dans leur tristesse ils vont .voir le maître et lui racontent tout. Voyez maintenant la colère du maître. Il le fit venir et lui dit : méchant serviteur. C'est ici que l'on peut voir combien il est funeste de se rappeler les injures. Quand il devait dix mille talents, le maître ne l'a pas appelé méchant; mais aujourd'hui, après qu'il a été cruel avec son compagnon : Méchant serviteur, lui dit-il, je t'ai remis toute ta dette parce que tu m'as supplié. Voyez comme il lui fait sentir sa perversité! Qu'as-tu fait de plus avec moi, que ton compagnon avec toi, lui dit-il? Tu m'as dit quelques mots, j'ai accueilli ta prière et je t'ai remis ton immense dette. Ne devais-tu pas avoir pitié de

ton compagnon comme j'ai eu pitié de toi. Quel pardon mérites-tu, si moi, le maître, je t'ai remis une dette aussi considérable pour quelques paroles; tandis que toi, tu n'as pas eu pitié de ton compagnon, de ton égal? rien. n'a pu te fléchir, tu ne t'es pas rappelé mes concessions, tu n'as montré aucune commisération, tu as été inhumain et cruel, tu es resté impitoyable envers ton camarade. Aussi tu vas connaître tous les maux que tu as attirés sur toi. Et le maître irrité le livra aux bourreaux. Vous voyez que maintenant il se fâche contre l'inhumanité de son serviteur et le livre aux bourreaux, il fait actuellement ce qu'il n'avait pas voulu faire quand il ne s'agissait que d'une dette. Il le livra aux bourreaux jusqu'à ce qu'il rendît toute la dette, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il comptât les dix mille talents qui lui avaient été remis. Sans doute la clémence de Dieu est grande et ineffable : quand c'était lui-même qui réclamait la dette, il a tout remis sur de simples prières; mais quand il voit le débiteur aussi cruel et aussi inhumain envers son compagnon, il révoque sa libéralité, et montre par ses actions que ce n'est pas ce compagnon qui a été maltraité, mais que c'est lui-même. Et de même que cet homme avait jeté son compagnon en prison jusqu'à ce qu'il s'acquittât de sa dette; de même il le livre aux bourreaux jusqu'à ce qu'il ait aussi payé sa dette.

Dans tout cela, il n'est pas seulement question de talents et de deniers, mais de péchés et de la grandeur de nos fautes : cela nous montre que si nous sommes chargés devant Dieu d'une infinité de péchés, cependant, par son ineffable miséricorde, il peut nous les remettre. Mais si nous devenons cruels et inhumains envers nos compagnons de servitude, nos semblables, ceux qui sont de notre nature, si nous ne remettons pas les fautes qu'ils ont commises contre nous, si nous les tourmentons pour une cause frivole (quelles que soient ces offenses, elles seront toujours dans la proportion de cent deniers à dix mille talents avec celles que nous avons commises envers le Seigneur) ; alors l'indignation du Seigneur tombe sur nous, et les dettes qu'il nous avait déjà remises, il nous force de nouveau à les payer dans les tourments. Pour être bien certains que dans cette parabole le Seigneur fait en réalité allusion au salut de nos âmes, écoutez ce qui la termine: C'est ce que votre Père céleste voies fera, si chacun de vous ne pardonne pas du fond du coeur à son frère les offenses qu'il en a reçues.

Cette parabole peut nous être d'une grande utilité, si nous y faisons attention. Comment pourrions-nous avoir à pardonner autant que le Seigneur nous pardonne? Du reste, si nous voulons que Dieu nous pardonne, nous n'avons qu'à accorder notre pardon à nos compagnons d'esclavage, nous obtiendrons celui de Dieu. Voyez toute la précision de ces paroles. Il ne dit pas simplement : si vous ne remettez pas les fautes des hommes, mais : si chacun de vous ne pardonne pas du fond du coeur à son frère les offenses qu'il en a reçues.  Remarquez comme il veut que notre coeur soit calme et tranquille, que notre âme ne soit pas troublée et se délivre des passions, en conservant pour notre prochain des sentiments d'affection. Dans un autre passage, il dit aussi : Si vous remettez aux hommes leurs péchés, votre Père céleste vous remettra les vôtres. (Matth. VI, 14.) Ne croyons donc pas, quand nous obéissons à cet ordre, être bien généreux envers les autres et leur faire de grandes concessions. C'est nous-mêmes qui jouissons du bienfait et nous en retirons un avantage immense. Si nous agissons autrement, nous ne pourrons faire aucun mal à nos ennemis, et nous préparons pour nous-mêmes les peines intolérables de l'enfer. Aussi, je vous en conjure, méditons là-dessus, et s'il est quelques personnes qui nous ont affligés ou nous ont fait un tort quelconque, gardons-nous de conserver contre elles ni rancune ni haine; considérons plutôt quelle occasion cela nous donne de mériter les bienfaits et l'affection de Dieu , puisque la meilleure manière d'effacer nos péchés est de nous réconcilier avec ceux qui nous ont offensés. Soyons donc actifs et empressés pour recueillir un pareil avantage, et soyons aussi bien disposés pour ceux qui nous ont fait tort que pour ceux qui nous ont véritablement servis. Car, si nous y réfléchissons, ceux qui ont été bons pour nous et qui ont cherché à nous rendre service de toute manière , ne pourront nous être aussi utiles que nos bons procédés envers nos ennemis pour gagner la bienveillance d'en-haut et nous débarrasser du fardeau de nos péchés.

8. Méditez avec moi, mes bien-aimés, sur l'importance de cette vertu, et connaissez-la d'après les récompenses que le Seigneur de l'univers y a attachées. Il dit: Chérissez vos ennemis, bénissez ceux qui vous persécutent, priez (184) pour ceux qui vous calomnient. (Matth. V, 44.) Comme ces préceptes sont élevés et touchent le sommet de la vertu, il ajoute : Afin que vous soyez semblables â votre Père qui est aux cieux parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et qu'il fait tomber la pluie sur les justes et les pervers.

Voyez à qui peut ressembler l'homme, autant que sa nature le comporte, quand il consent, non-seulement à ne pas se venger de celui qui l'a offensé, mais encore à prier pour lui ? Que notre négligence ne nous fasse donc pas perdre de vue de si grands biens et ces récompenses incomparables, mettons tous nos soins à une oeuvre si méritante, habituons et forçons notre esprit à obéir aux ordres de Dieu. C'est pour cela que je vous ai fait cette exhortation et que je vous ai rapporté cette parabole. Vous avez vu quelle était l'importance de cette oeuvre et quel avantage nous pouvons en retirer; je vous l'ai montré pour que celui d'entre vous qui aurait un ennemi s'empresse de se réconcilier avec lui pendant qu'il en est encore temps. Qu'on ne me dise pas je l'ai prié une première et une seconde fois de se réconcilier, et il a refusé. Si nous le voulons sincèrement, nous n'aurons pas de repos avant d'avoir remporté cette victoire, de nous l'être rendu favorable et de lui avoir fait oublier ses inimitiés avec nous. Lui donnons-nous quelque chose? c'est sur nous que retombent les bienfaits; nous méritons la faveur de Dieu, nous obtenons le pardon de nos péchés, nous augmentons notre confiance en Dieu. Si nous agissons ainsi, nous pourrons approcher avec confiance de cette table si sainte et si redoutable et dire avec fermeté toutes les paroles des prières. Les initiés savent ce que je veux dire. Aussi, j'abandonne à la conscience de chacun de vous la question de savoir si nos devoirs auront été assez bien remplis pour dire à ce moment terrible ces paroles avec confiance. Si nous sommes négligents, quelle cause de condamnation ce sera pour nous qui prononcerons des paroles contraires à nos actions, qui aurons l'audace de répéter ces prières, d'attiser. le feu qui nous menace et de provoquer la colère de Dieu ! Je suis transporté de joie quand je vois quel plaisir vous prenez à mes paroles, quand vos applaudissements me prouvent que vous êtes remplis de zèle et disposés à accomplir le précepte du Seigneur. C'est là ce qui guérit nos âmes, ce qui panse nos blessures, c'est la route qui plaît surtout à Dieu, c'est la meilleure preuve de l'amour d'une âme pour Dieu que de tout entreprendre pour suivre la loi du Seigneur sans être arrêté par la pensée de notre faiblesse, mais de commander à ses passions en réfléchissant aux bienfaits dont Dieu nous comble chaque jour. Quoi que nous nous efforcions de faire, nous ne pourrions vous exposer même la moindre partie de tous ceux que nous avons reçus ou que nous recevons chaque jour, et surtout de ceux qui nous sont promis pour l'avenir, si nous voulons accomplir les ordres de Dieu. Aussi, en sortant d'ici, telle doit être notre première préoccupation; nous devons nous y livrer comme à la recherche d'un trésor, sans différer d'un seul instant. Peu importent les fatigues, les recherches, la longueur de la route et les ennuis de toute espèce, triomphons de tous ces obstacles. N'ayons qu'un souci, celui d'accomplir l'ordre du Seigneur, et notre obéissance sera récompensée. Est-ce que j'ignore combien il est embarrassant et pénible d'aller trouver celui qui est en hostilité avec nous, de rester et de parler avec lui? Mais si vous songez à l'autorité du précepte et à la magnificence de la récompense, si vous réfléchissez que vos bienfaits retomberont sur vous plutôt que sur lui, tout vous paraîtra simple et facile. Soutenus par cette méditation, mettons-nous au-dessus de nos habitudes et accomplissons avec piété les ordre,; du Seigneur. Méritons, ainsi d'être récompensés, par la grâce et la miséricorde du Christ, auquel soient ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Traduction de M. HOUSEL.

 

 

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