HOMÉLIE LIII

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CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. « Or, Esaü, ayant quarante ans, épouse Judith, fille de Béel; du pays de Chet, et Basemath, fille d'Elom, du pays d'Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca. » (Gen. XXVI, 34, 35.)

 

ANALYSE.

 

1. Explication des versets 34 et 35 du chapitre XXVI , et des versets 1-10 du chapitre suivant. — 2. Explication des versets 11-19. En attirant sur la tête de Jacob la bénédiction d'Isaac, Rébecca obéit à l'oracle de Dieu en même temps qu'à son amour pour Jacob. Dieu veut que nous coopérions à ses oeuvres. Il ne coopère point au mensonge. — 3. Explication des versets 20-30. — 4. Explication des versets 30-40. Colère d'Esaü , en apprenant que son frère a reçu la bénédiction paternelle. — 5. De la colère.

 

1. Eh bien, aujourd'hui encore, s'il vous est agréable , reprenons la suite de l'entretien d'hier, et, dans la mesure de nos forces, cherchons ce que renferme chacune des paroles de l'Ecriture , afin d'en recueillir le fruit que nous remporterons en nous retirant. Voyons donc les premiers mots du texte : Or Esaü, ayant quarante ans, épousa Judith, fille de Béel, du pays de Chet, et Basemath, fille d'Elom, du pays d'Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca. Voyez tout l'enseignement que renferment ces quelques paroles : pourquoi l'Ecriture nous marque-t-elle le nombre des années d'Esaü? Ce n'est pas sans dessein; c'est pour nous apprendre qu'Isaac était vieux, et déjà fort avancé en âge; car, si nous nous rappelons l'âge d'Isaac, quand il épousa Rébecca, il avait alors quarante ans ; son âge , quand ses fils lui naquirent, il avait alors soixante ans; nous en conclurons qu'il est actuellement centenaire , c'est-à-dire, dans la vieillesse la plus avancée. En effet, l'Ecriture va nous dire que la vieillesse l'avait rendu aveugle. Voilà pourquoi le texte (349) nous donne le nombre des années d'Esaü , ce qui nous permet de déterminer avec certitude l'âge d'Isaac. Voilà pourquoi le texte dit : Or, Esaü ayant quarante ans. Ensuite l'Écriture tient à nous faire connaître l'esprit inconsidéré de ce fils, prenant des épouses chez des peuples qu'il ne devait pas, fréquenter; donc, l'une était de la race des Chettéens, et l'autre de la race des Evéens. Ce n'est pourtant pas ainsi qu'aurait dû se conduire celui qui savait quel soin le patriarche avait montré quand il prescrivait à son serviteur d'aller lui chercher une femme de sa parenté, pour être l'épouse de son fils Isaac. La mère des deux enfants d'Isaac, Rébecca était venue du pays de Charran ; Esaü n'agit pas de même, il fait voir tout de suite le dérèglement de ses moeurs; sans consulter ses parents, il épouse ces deux femmes. Et pour nous apprendre combien leurs moeurs laissaient à désirer , l'Écriture nous dit: Et elles querellaient Isaac et Rébecca. Et qu'y a-t-il de plus détestable que cette malignité ? celles qui auraient dû montrer tant d'égards , non-seulement n'en faisaient rien, mais elles étaient promptes à la dispute. Ce n'est pas sans dessein que l'Ecriturenous donne tous ces détails; comprenez bien, c'est afin que, dans la suite, quand vous verrez la préférence de Rébecca pour Jacob,vous n'en soyez pas choqués. Mais n'anticipons pas, suivons l'ordre même de l'Écriture: Isaac étant devenu vieux, ses yeux s'obscurcirent de telle sorte qu'il ne pouvait plus voir. (Chap. XXVII,1.) Ses yeux, affaiblis par le grand âge, dit le texte, ne distinguaient plus les objets. Il appela donc Esaü, son fils aîné et lui dit : Mon fils, vous voyez que je suis bien vieux, et que j'ignore- le jour de ma fin; prenez donc vos armes, votre carquois et votre arc, et sortez dans la plaine, et chassez, et faites-moi de votre chasse un de ces plats que j'aime, et apportez-le-moi, afin que j'en mange, et que je vous bénisse, avant que je meure. (Ibid. 2, 3, 4.) Ici, mon bien-aimé, je vous en conjure, remarquez l'ineffable sagesse de Dieu; voyez comme le père ne suit que son affection naturelle en donnant cet ordre à Esaü, et comme le Tout-Puissant , le Seigneur plein de sagesse, dispose Rébecca à remplir sa prédiction, nous montrant par là ce que valent et la vertu et la douceur. Esaü avait pour lui son droit d'aînesse et l'affection de son père, et il se croyait le premier; il a tout perdu, parce qu'il n'a pas voulu ajouter à ce qui était hors de lui, le bien qui devait venir de lui. Jacob, au contraire, avec sa vertu propre, et aussi le secours de la grâce d'en-haut, même malgré son père, surprend, saisit sa bénédiction. C'est qu'il n'y a rien de plus fort que l'homme soutenu par la main de Dieu,. Soyez donc appliqués, attentifs; remarquez l'excellence de cette conduite , remarquez comme celui qui s'appuie sur la divine grâce, trouve à chaque instant un grand coopérateur qui travaille dans ses intérêts, au point de lui transférer la bénédiction paternelle; au contraire, l'autre perd tout, il se perd lui-même, parce que ses moeurs sont mauvaises. Or, dit le texte , Rébecca entendit Isaac parlant à Esaü , son fils ; et Esaü étant allé dans les champs, pour faire la chasse que son père lui avait demandée, Rébecca dit à son plus jeune fils. (Ibid. 6, 6.) Pourquoi l'Écriture dit-elle : A son plus jeune fils? c'est parce qu'il y a plus haut : Isaac appela son fils aîné. L'Écriture veut nous faire savoir maintenant à qui s'adresse Rébecca , et le texte dit : Son plus jeune fils, c'est-à-dire Jacob. J'ai entendu, dit-elle, votre père parlant à Esaü, votre frère, et lui disant : Apportez-moi de votre chasse, et faites-m'en un plat, afin que j'en mange, et que je vous bénisse devant le Seigneur, avant de mourir. (Ibid. 7.) Voilà ce que j'ai entendu que votre père disait à votre frère Esaü. Suivez donc maintenant, mon fils, le conseil que je vous donne; allez-vous en au troupeau, et apportez-moi deux chevreaux, tendres et bons, afin que je fasse à votre père, un de ces plats qu'il aime, et qu'après que vous le lui aurez présenté, et qu'il en aura mangé, votre père vous bénisse avant de mourir. (Ibid. 8, 9, 10.)

2. Voyez le grand amour de la mère, ou plutôt la dispensation de Dieu, car c'était lui qui lui donnait ce conseil, et qui prenait soin de tout faire réussir. Avez-vous bien compris l'excellent conseil de la mère ? Voyez maintenant la circonspection de Jacob; voyez comme sa réponse indique la douceur de ses moeurs. En effet, dit le texte : Jacob dit à sa mère : Mon frère Esaü est velu, et moi je n'ai pas de poil; si mon père vient à me toucher, et qu'il s'en aperçoive, j'ai peur qu'il ne croie que j'ai voulu le tromper, et qu'ainsi je n'attire sur moi sa malédiction, au lieu de sa bénédiction. (Ibid. 11, 12.) Grande est l'honnêteté de l'enfant, et grand est son respect pour son père. J'ai peur, dit-il, qu'il n'arrive le contraire de ce que je (350) désire; que je ne paraisse vouloir contrarier mon père, et qu'au lieu de sa bénédiction, je ne m'attire sa malédiction. Que fait donc cette admirable Rébecca, pleine d'amour pour son fils ? Comme ce n'était pas seulement sa volonté qu'elle suivait; comme elle ne servait qu'à l'accomplissement de la volonté. divine, elle fait tous ses efforts pour bannir la crainte du coeur de son enfant, pour le rassurer, pour l'amener à réaliser son dessein. Et elle ne lui dit pas qu'il peut tromper son . père, que son père n'y verra rien; que lui dit-elle? Que cette malédiction retombe sur moi, mon, fils; obéissez seulement à ma voix, et apportez-moi ce que je vous demande. (Ibid. 13.) S'il arrive quelque chose de ce que vous craignez, dit-elle, vous n'en. souffrirez pas; donc, soyez sans crainte, rassurez-vous: Obéissez à ma voix, et faites ce que je vous conseille. C'est bien là le propre de l'amour maternel. Pour son enfant, elle s'expose à tout. Elle dissipa ainsi la crainte de son fils. Il sortit, prit et apporta à sa mère ce qu'elle demandait, et elle fit des plats comme Isaac les aimait. Rébecca prit ensuite, dit le texte, le plus beau vêtement de son fils aîné, qu'elle gardait dans. la maison, et elle en revêtit Jacob, le plus jeune de ses, fils, et, avec la peau des chevreaux, elle lui couvrit les bras et les. parties du cou, qui étaient nues, et elle mit les plats et les pains, qu'elle avait faits, dans les mains de son file; Jacob, qui le porta à son père. (Ibid. 14; 15,16, 17.) Voyez, je vous, en conjure, ici, le grand amour de Rébecca, et, en même temps, sa rare sagesse. Le texte a dit plus haut que l'aîné est velu et que, le plus jeune n'a pas de poil. Voilà pourquoi, dit le. texte, elle le revêtit d'un habit d'Esaü, et l'entoura de peau, et, après l'avoir, de tout point, équipe de manière à tromper son père, elle lui, mit dans les mains les plats et les pains, de sorte qu'il les porta au patriarche. Considérez, encore une fois, ici, comment tout est arrivé par la grâce d'en-haut. Aussitôt que nous offrons à Dieu ce qui vient de nous, nous obtenons en abondance là coopération du Seigneur. C'est afin que nous ne tombions pas dans la nonchalance et l'abattement, qu'il veut aussi que, nous fassions quelque chose, ce n'est qu'à cette condition qu'il nous communique ses dons; il ne veut pas que le secours d'en-haut opère seul toute chose, il faut que nous travaillions de notre côté. Maintenant, il n'exige, pas que nous fassions tout; il connaît notre faiblesse; le Seigneur dans sa bonté, se réjouit de trouver une occasion d'être généreux envers nous, et il attend que nous fassions ce qui est en notre pouvoir. Vous en avez ici la preuve; parce due Jacob et Rébecca ont fait ce qu'ils devaient faire; que l'enfant a obéi aux conseils de sa mère; que la mère a fait tout ce qui dépendait d'elle, le Seigneur, plein de bonté, se met de lui-même à l'oeuvre, et s'occupe de faire réussir, de rendre facile ,ce qu'il y avait de plus difficile, à savoir qu'Isaac ne s'aperçût pas de la ruse. Car, lorsque l'enfant eut apporté les mets à son père, Il lui dit: Qui êtes-vous, mon fils? Et Jacob dit à soya père: Je suis Esaü, votre fils aîné; j'ai fait ce que vous m'avez dit; levez-vous, mettez-vous sur votre séant, et mangez de ma chasse, afin que vous me donniez votre bénédiction. (Ibid. 19.) Considérez ici, je vous en conjuré, l'anxiété de Jacob, en prononçant ces paroles. Il avait d'abord dit à sa mère: J'ai peur d'attirer sur moi la malédiction , au lieu de la bénédiction. Quelle frayeur ne dut-il pas éprouver, quand il jouait une telle scène? Mais, comme c'était Dieu qui travaillait avec lui, tout réussit. Eh quoi donc, dira-t-on? Dieu a coopéré à un pareil mensonge? Né considérez pas simplement le fait, mon bien-aimé, mais remarquez le but; remarquez qu'il n'y avait pas ici un intérêt temporel, poursuivi par l'avarice; c'était la bénédiction de son père , que le jeune fils voulait attirer sur lui. D'ailleurs, si vous ne voulez jamais voir que les faits, sans considérer le but, prenez garde que l'ancien patriarche ne vous paraisse le meurtrier de son fils, et Phinée un homicide. Mais Abraham ne fut pas le meurtrier de son fils; il l'aimait autant qu'un père peut aimer; et Phinée ne fut pas un homicide , mais un homme plein de zèle, L'un et l'autre firent ce qui était agréable à Dieu. Aussi, l'un pour avoir obéi, a mérité, du Seigneur, une grande récompense: l'autre est célébré pour son zèle. En effet, dit le psalmiste : Phinée se leva, et il apaisa. (Psal. CV, 30.) Donc, si un meurtre, des fils massacrés sont des faits approuvés dans leur histoire, parce qu'ils étaient conformes à la volonté de Dieu; si nous ne nous arrêtons pas à la réalité des faits, mais au but qu'on s'était proposé, à l'intention, à bien plus forte raison, ici, celte intention est-elle, ce qui mérite d'être considéré.

 

351

 

3. Donc, ne vous arrêtez pas aux mensonges prononcés par Jacob; ne voyez que la volonté de Dieu; il voulait que la prédiction s'accomplît, et il a tout disposé dans ce but. Et ce qui vous montrera que c'est Dieu qui a rendu tout facile, même le plus difficile, l'homme juste n'a pas soupçonné la fraude; il s'est laissé prendre aux paroles de Jacob; il mange ses mets, et le récompense par ses bénédictions. Esaü ne revint de la chasse qu'après que tout eût été accompli. C'est pour nous montrer que la volonté de Dieu a seule tout conduit. Isaac dit encore à son fils : Mais comment avez-vous pu, mon fils, en trouver si tôt ?Il lui répondit: Parce que le Seigneur Dieu l'a livré devant moi, (Ibid. 20.) Jacob était toujours dans les angoisses, et sa frayeur, au comble. Mais tous ces événements se sont accomplis,. pour que nous sachions bien, par des faits, que le Seigneur ne se contente pas de nous montrer sa sollicitude, le soin qu'il prend de nous; il veut encore que nous méritions ses .faveurs, par l'ardeur de notre zèle. Ne vous bâtez pas de passer en courant devant ce combat de Jacob, mes bien-aimés ; considérez qu'il avait tout à perdre, qu'il était plein de terreur, tout tremblant, qu'il craignait que cette bénédiction ne l'exposât à toutes les rigueurs de la malédiction. Ensuite, dit le texte, Isaac dit: Approchez de moi, afin que je vous touche, mon fils, et que je reconnaisse si vous êtes mon fils Esaü, ou non. (Ibid. 21.) .C'est que la voix laissait un peu d'incertitude; mais, comme il fallait que l'événement conduit par le Seigneur s'accomplît, Dieu ne permit pas d'apercevoir la ruse. Jacob s'approcha de son père, et Isaac l'ayant tâté, dit : Pour la voix, c'est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d'Esaü et il ne le reconnut point. (Ibid. 22.) Voyez-vous comme le texte nous montre que tout émane de la grâce de Dieu?-c'est Dieu qui faisait qu'Isaac ne s'apercevait de rien, et, que Jacob allait jouir de la bénédiction paternelle. Et il ne le reconnut point, dit le texte, parce que ses mains étaient comme les mains d'Esaü. (Ibid. 24.) Et il lui dit : Etes-vous mon fils. Esaü ? Voyez, encore une fois; comme la divine Ecriture nous montre que l'homme juste a des soupçons. En effet, dit le texte : Isaac dit: Etes-vous mon fils Esaü? Détail qui a pour but aussi de nous faire savoir que le père n'écoutait gare l'affection de la nature, mais que Dieu, qui prévoit l'avenir, et qui glorifie la vertu de ses serviteurs, est celui qui a tout disposé ici. Et Jacob dit: Je le suis. En effet, après qu'Isaac a eu dit : Etes-vous mon fils Esaü ? Je le suis, dit le texte. Apportez-moi à manger de votre chasse, mon fils, afin que je vous bénisse; c'est à peine enfin, si Jacob commence à respirer. Et il apporta à son père les plats, et il lui apporta du vin, et Isaac but, et il lui dit : Approchez-vous de moi, mon fils, et venez me baiser; il s'approcha donc de lui, et le baisa. Et Isaac sentit la bonne odeur qui sortait de ses habits, et lui dit, en le bénissant. (Ibid. 25, 26, 27.) Voyez le soin de la divine Ecriture ; après cette interrogation : Etes-vous Esaü ? et cette réponse, je le suis, Isaac le touche encore, la voix lui ayant presque fait soupçonner la feinte; et il l'interroge de nouveau : Etes-vous mon fils Esaü?.Et Jacob dit: Je le suis; et ensuite, il lui apporte les plats et Isaac mange. Alors, dit le texte : Il le baisa et le bénit. Et, pour qu'on ne s'imagine pas qu'il l'a béni en la personne d'Esaü, pour qu'on. voie bien qu'il a béni celui qu'il a baisé, la divine Ecriture nous dit : Qu'il l’a baisé; et qu'il a béni celui qu'il a baisé. Et aussitôt qu'il. eut senti la bonne odeur, qui sortait de ses habits, il lui dit en le bénissant : l'odeur qui sort de mon fils, est comme l'odeur d'un champ plein de fruits, que le Seigneur a bénis. Que Dieu vous donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, et l'abondance du froment et du vin. (Ibid. 27-28.) Que le Seigneur Dieu, dit-il, vous accorde tout cela, à vous qui m'avez apporté ces plats, qui avez reçu de moi le baiser. Que les peuples vous soient assujettis ! Voyez, il demande pour lui, par ses prières, d'abord le nécessaire; ensuite la domination sur les peuples, et il lui prédit sa prospérité future, et l'agrandissement de ceux qui sortiront de lui. Et que les princes vous adorent! Ces prières ne demandent pas que les peuples seulement lui soient assujettis, mais les princes eux-mêmes; Et soyez le seigneur de votre frère. Voyez l'homme juste servant même sans le savoir, la volonté de Dieu. Tout,.en effet, était disposé de manière que le fils vertueux reçut la bénédiction que ses vertus méritaient. Que les fils de votre père vous adorent ! C'est l'habitude, de l'Ecriture, de donner le nom de fils à toutes les générations. C'est comme s'il disait: ceux qui sortiront de la race d'Esaü; car Isaac n'eut pas d'autre fils que ces deux-là. Que celui qui vous maudira, soit maudis lui-même., et que celui, qui vous (352) bénira, soit comblé de bénédictions ! Voilà la couronne de la bénédiction ; voilà la somme de tous les biens, être béni. Avez-vous bien compris la clémence de Dieu? Celui qui avait craint de recevoir la malédiction, au lieu de la bénédiction, non-seulement emporte tout le trésor des bénédictions de son père, mais la malédiction est prononcée contre ceux qui tenteraient de le maudire. Apprenons par là, que celui qui disposé de ce qui- lui appartient, d'une manière conforme à la volonté de;Dieu, est assuré du secours d'en-haut, à tel point que sa volonté devient un fait qui se réalise. Qui n'admirerait pas l'ineffable disposition de la sagesse divine, qui ne permet pas qu'Esaü revienne de la chasse avant le dénouement de cette histoire, avant que Jacob se soit retiré, riche de toutes les bénédictions de son père; c'est ce qu'a voulu nous montrer Moïse , en ajoutant : Et après qu'Isaac eut fini de bénir Jacob, et après que Jacob fut sorti, ayant quitté Isaac son père, voici qu'Esaü, son frère, revint de la chasse. (Ibid. 30.)

4. Voyez comme aussitôt après la sortie de l'un, l'autre arrive, et il n'y a pas là un simple hasard. La providence a voulu qu'il apportât, sans se douter de rien, sa chasse à son père, et que ce fût de son père qu'il apprît tout ce qui s'était passé. Car s'il eût rencontré son frère, peut-être qu'il l'eût tué, cédant à sa fureur; car si, plus tard, il a pu avoir cette pensée, à bien plus forte raison, au moment même, eût-il essayé de commettre le crime. Mais il y avait là la main de Dieu, qui conserva le plus jeune des deux frères ; c'est Dieu qui le rendit digne de la bénédiction, et qui priva l'autre, et de la bénédiction et du droit d'aînesse. Esaü arriva, dit le texte, et il apprêta sa chasse, et il l'apporta à soit père, et il lui dit : Levez-vous, mon père, et mangez de la chasse de votre fils, afin que vous me donniez votre bénédiction. (Ibid, 31.) Voyez le nouveau trouble qui confond, ici, l'esprit de l'homme juste; car, en entendant ces paroles, Isaac lui dit : Qui êtes-vous ? Et il lui répondit: Je suis votre fils aîné Esaü. (Ibid. 32.) Voyez l'orgueil qu'il montre en ce moment; il ne lui suffit pas de dire : Je suis Esaü, mais il ajoute : Votre fils aîné. Isaac fut frappé d'un profond étonnement, et il dit : Quel est donc celui qui m'a déjà apporté ce qu'il avait pris à la chasse, et qui m'a fait manger de tout, avant que vous vinssiez, et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni. (Ibid. 33.) Voyez la perplexité dans laquelle se trouve l'homme juste. Il raconte le fait, et il ajoute, avec une rigueur qui blesse le coeur de l'autre : Et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni. C'était Dieu lui-même qui faisait parler la langue de l'homme juste. Il fallait que l'autre, parfaitement renseigné sur ce qui s'était passé, fût bien persuadé qu'il ne lui servirait de rien, ni de son droit d'aînesse, ni de sa chasse. Esaü, à ces paroles de soie père, dit le texte, jeta un grand cri, plein d'amertume. (Ibid. 34.) Qu'est-ce que cela veut dire, Un grand cri, plein d'amertume ? Il montra son indignation, la colère dont il était saisi à cette nouvelle, au delà de toute expression. Et il lui dit : Donnez-moi aussi votre bénédiction, mon père; Isaac lui répondit : Votre frère est venu me surprendre, et il a reçu la bénédiction qui  vous était due. (Ibid. 35.) Votre frère, dit-il, vous a devancé, et il s'est emparé de toute la bénédiction, de tous les privilèges qui l'accompagnent. Et ce qui vous prouve que la grâce d'en-haut a coopéré à la ruse, qui a trompé l'homme juste, ce sont les paroles mêmes dont il se sert pour avouer le fait : Votre frère est venu me surprendre. On dirait qu'il s'excuse auprès de son fils, qu'il veut lui donner des explications; c'est à mon insu que je lui ai départi les bénédictions; j'étais prêt à en répandre sur vous l'abondance ; mais voilà qu'il est venu me surprendre et il a reçu la bénédiction qui vous était due : Ce qui vous était préparé, il l'a pris ; ce n'est pas de ma faute. C'est avec raison, dit Esaü, qu'il a été appelé Jacob, c'est-à-dire supplantateur, car voici la seconde fois qu'il m'a supplanté; il m'a déjà enlevé mon droit d'aînesse, et maintenant il ma dérobe la bénédiction qui m'était due. (Ibid. 36.) Ce n'est pas à tort, .dit-il, qu'il porte ce nom de Jacob, qui signifie en effet supplantateur; il a bien prouvé qu'il l'était, en me privant, et de mon droit d'aînesse et de ma bénédiction. Que dit maintenant Esau à Isaac ? Ne m'avez-vous pas réservé, à moi aussi, une bénédiction, mon père ? Isaac lui répondit : Sachez, dit-il, que j'ai versé sur lui toutes les bénédictions. Je l'ai établi votre seigneur. (Ibid. 37.) Voyez-le lui annoncer, dès ses premières paroles, la servitude et la sujétion. Je l'ai établi votre Seigneur et j'ai assujetti à sa domination tousses frères; je l'ai affermi dans la possession du blé et du vin, et, après cela, que ferai-je pour vous, mon fils ? Il ne me reste plus rien, (353) puisque que je l'ai fait votre seigneur, puisque je lui ai assujetti tous ses frères, et que mes prières ont demandé pour lui l'abondance de toutes les choses nécessaires. Que me reste-t-il encore ? Esaü lui répartit : N'avez-vous donc, mon père, qu'une seule bénédiction ? bénissez-moi, moi aussi. (Ibid. 38.) Comme il a entendu son père qui lui disait : Je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni; comme Isaac lui a révélé toutes les conséquences de la bénédiction, alors il lui dit : Bénissez-moi, moi aussi, mon père ; n'avez-vous donc qu'une seule bénédiction ? Est-ce que vous ne pouvez pas me bénir, moi aussi? moi que vous aimez tant, moi votre premier-né, moi que vous avez envoyé à la chasse ? Ces paroles touchèrent son père. Isaac était, touché, dit le texte; Esaü jetait de grands cris avec des sanglots. Il vit son père confondu, ne pouvant ni ne voulant révoquer ce qui avait été fait, et il cria, et il pleura, pour toucher son père de plus en plus. Isaac eut pitié de lui et lui dit : Votre bénédiction sera dans la graisse de la terre, et dans la rosée du ciel qui vient d'en-haut ; vous vivrez de l'épée; vous servirez votre frère, et le temps viendra que vous secouerez son joug, et que vous vous en délivrerez (Ibid. 39, 40.) Puisque, dit-il, vous aussi, vous voulez ma bénédiction, apprenez qu'il n'est pas possible d'agir contre la volonté divine; mais je demande pour vous, par mes prières, que vous jouissiez de la rosée du ciel sachez que vous vivrez dans les combats, car vous vivrez de l'épée, vous servirez votre frère.

5. Maintenant, que personne ne s'étonne à ce récit, en voyant, bientôt après, son frère qui s'en va errant, par suite de la crainte qu'il lui inspire, et se dirigeant vers une terre étrangère. Il ne faut pas conclure de ce début, que la prédiction ne s'accomplira pas. En effet, quand le Seigneur fait une promesse; quels que soient les obstacles qui semblent d'abord en contrarier les effets, nous ne devons pas nous troubler, car il est impossible que les promesses soient vaines jusqu'à la fin. Ce qui arrive, c'est pour que les justes, glorifiés par tous les moyens, rendent plus manifeste, à tous les yeux, l'abondance de la vertu du Seigneur. Cette réflexion s'applique à chacun des hommes justes; vous la verrez toujours confirmée, si vous lisez attentivement l'histoire de chacun d'eux. C'est ce qui est manifeste maintenant encore. Ne vous arrêtez pas à considérer que tout d'abord il prend la fuite ; mais réfléchissez sur la gloire qui viendra plus tard. Voyez au bout d'un certain temps, ce frère aîné, main tenant si terrible, lui montrer toute espèce de respect et de vénération. Considérez quel excès de gloire a été son partage, après les épreuves qu'il a subies sur une terre étrangère; c'est à ce point que ses enfants sont devenus une multitude, qui a donné son nom, son nom glorieux à tout un peuple. Maintenant la divine Ecriture, voulant nous montrer l'indignation d'un frère qui roulait des pensées homicides; Esaü, dit le texte, haïssait Jacob à cause de cette bénédiction qu'il avait reçue de son père. Et ce qui nous montre que ce n'était pas simplement une colère soudaine, c'est l'expression de l'Ecriture qui marque l'excès de la malignité : haïssait, dit le texte, c'est-à-dire persistait dans la haine, à ce point que le sentiment caché au fond de son coeur, le texte l'exprime par ces paroles : Et il disait dans son coeur : Le temps de la mort de mon père viendra, et alors je tuerai mon frère Jacob. (Ibid. 41.) En vérité, la colère n'(st pas moins folle que le délire. Voyez comme ce démon jette ses victimes dans le délire, les prive absolument de la raison, leur persuade de faire tout le contraire de ce que leur conseillent les yeux. Ils ne voient rien; ils ne font rien d'une manière raisonnable, on dirait qu'ils n'ont plus ni sens ni jugement. Ainsi, ceux qui sont en colère, ne reconnaissent pas les personnes présentes; ne se souviennent ni de leurs parents, ni de leurs amis, ni de leurs connaissances, ni de ce qu'ils se doivent à eux-mêmes, ni de quoi que ce soit; la colère les subjugue, ils tombent dans le précipice. Qu'y a-t-il de plus misérable que ces vaincus, que ces captifs de la colère, qui se hâtent de courir au meurtre? Voilà pourquoi le bienheureux Paul, pour extirper la racine de ce mal, fait entendre ces conseils: Tout emportement, toute colère, tout cri, doit, ainsi que toute malice, être banni d'entre vous. (Ephés. IV. 31.) Non-seulement, dit-il, je neveux pas que vous vous échauffiez, que vous vous mettiez en colère, mais je ne veux pas que vous fassiez entendre des cris, en parlant à votre prochain; car le cri est l'enfant de la colère. Quand ce mal s'éveille dans l'intérieur de notre être, quand le coeur se gonfle, dès ce moment la langue ne fait plus entendre de paroles paisibles; la violence de la passion se manifeste, et l'on crie en parlant au prochain. Donc ce bienheureux Paul, voulant, par ses conseils, assurer à ceux qui l'écoutent, (354) une tranquillité non interrompue, leur dit : Tout emportement (c'est-à-dire quelle que soit la cause qui vous émeuve) et toute colère, et toute espèce de cri doit disparaître parmi vous. Ensuite, comme il veut dessécher la racine de ce mal, en prévenir le triste fruit, il dit : ainsi que toute malice. Car celui qui ne connaît pas la colère, est toujours dans un port, à l'abri des flots de ce monde, et il ne craint ni tempête, ni naufrage; il navigue sur une onde tranquille; il séjourne dans un port paisible; pour lui, la vie présente se passe loin de tout ce qui bouleverse et trouble les coeurs ; et, de plus, il s'assure, par tous les moyens, lesbiens immortels, les trésors ineffables. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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