HOMÉLIE LVII

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CINQUANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. « Or, il arriva que, lorsque Auchel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban : Laissez-moi aller, afin que je retourne dans mon pays et ma patrie. » (Gen. XXX, 25.)

 

ANALYSE.

 

1. L'Ecriture propose à notre imitation les exemples des saints. Rien de plus fort que la mansuétude. Explication des versets 25-33 du chapitre XXX. — 2. Explication de la suite du texte jusqu'au verset 9 du chapitre XXXI. — 3. Explication des versets 10-18. Dieu ne laisse pas sans secours ceux qui souffrent la calomnie. — 4. Explication des versets 19-26. Jacob s'enfuit de citez Laban. Soin que Dieu prend de ses serviteurs. — 5. Explication des versets 27-35. — 6. Explication des versets 36-40. L'orateur réprimande les pasteurs d'âmes négligents. — 7. Explication des versets 41-44. — 8. Explication des versets 45-54. Exhortation.

 

1. La suite du discours d'hier doit être mise aujourd'hui sous les yeux de votre charité, afin qu'apprenant par ces paroles, à connaître et les tendres soins que Dieu a montrés envers Jacob et l'amour de ce juste pour Dieu, nous devenions les émules de sa vertu. Ce n'est pas en effet sans motif que la grâce du Saint-Esprit a fait écrire pour nous ces histoires,  c'est afin de nous exciter à imiter avec zèle ces hommes vertueux. Car, lorsque nous avons appris à connaître la patience de l'un, la prudence de l'autre, les dispositions hospitalières d'un troisième et les nombreuses vertus de chacun d'eux; quand nous savons comment chacun s'est particulièrement illustré, nous sommes excités à avoir le même zèle: Allons donc, et, abordant aujourd'hui la suite de l'histoire de ce juste, achevons notre discours.

Or il arriva, dit l'Ecriture, que, lorsque Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban: Laissez-moi aller afin que je m'en retourne dans mon pays et ma patrie. Remettez-moi mes femmes et mes enfants, pour lesquels je vous ai servi. (XXX, 25-6.) Admirez la douceur et la modestie du juste; il voit clairement la faveur dont il est l'objet de la part de Dieu, et néanmoins il ne s'enorgueillit point contré Laban, mais il lui dit avec douceur: Laissez-moi aller, afin que je m'en retourne. Vraiment, rien n'est plus fort que la douceur, rien n'est plus puissant qu'elle. Considérez en effet comment, ayant prévenu Laban par sa douceur, il en obtint une réponse bienveillante. Laban, dit l'Ecriture, lui répondit : Si j'ai trouvé grâce devant vous, et je dois le penser, car Dieu m'a béni à cause de votre venue, déterminez la récompense que vous souhaitez de moi et je vous la donnerai. (XXX, 27-8.) le n'ignore pas, disait-il, que, par suite de votre présence, j'ai joui de la faveur de Dieu. Puis donc que j'éprouve de tels bienfaits par l'effet de votre présence, faites-moi connaître la récompense (374) que vous voudrez et je suis prêt à vous la donner. — Voyez ce que peut la douceur ! ne passons pas légèrement sur ces paroles; observez que le juste n'a pas demandé la récompense de ses travaux, qu'il n'en a pas même fait mention, il n'a dit que ceci : Remettez-moi mes femmes, et mes enfants, pour lesquels je vous ai servi, afin que je m'en retourne, et Laban, plein de respect pour la grande douceur de ce juste, lui dit : faites-moi connaître la récompense que vous désirez de moi, et je suis tout prêt à vous l'accorder.

Ses femmes et ses enfants n'étaient-ils pas avec lui? Pourquoi donc disait-il : Remettez-moi mes femmes et mes enfants? C'est qu'il rendait à son beau-père l'honneur qu'il lui devait; c'est qu'il montrait en toute chose la convenance de ses procédés, c'est qu'il voulait que cette séparation s'opérât avec la permission de Laban. Considérez donc comment, par ces paroles, Laban fut entraîné à lui promettre une récompense et à lui en remettre le choix. Et que fait ce juste? Voyez jusqu'où il pousse la douceur et comment il évite de devenir, à cette occasion, onéreux et incommode pour Laban. Comment? Il le prend de nouveau à témoin de sa loyauté et de l'affection qu'il lui a montrée tout le temps qu'il l'a servi. Vous savez, lui dit- il, comment je vous ai servi et ce qu'étaient vos troupeaux entre mes mains. Car je les ai trouvés peu nombreux, et ils se sont multipliés grandement, et le Seigneur vous a béni à mon arrivée; maintenant ne me ferai-je pas aussi une maison? (XXX, 29, 30.) Je vous prends vous-même à témoin de mes travaux. Vous savez quelle affection je vous ai montrée en tout et comment, ayant reçu de faibles troupeaux, mes soins et mes veilles vous en ont fait des troupeaux nombreux. Montrant ensuite sa piété, il ajoute: Le Seigneur vous a béni à mon arrivée; maintenant ne me ferai-je pas aussi une maison ? Vous savez vous-même que c'est depuis mon arrivée chez vous que la grâce d'en-haut a donné à votre richesse ces grands accroissements. Maintenant donc, puisque je vous ai montré en tout mon entière affection, durant le temps de mon service, et que l'assistance de Dieu est manifeste; il est juste que je me fasse une maison. Et que veut-il dire par ces mots : Se faire une maison? Il entend: vivre désormais dans l'indépendance et la liberté, et prendre soin d'une maison qui lui appartienne. Et alors Laban lui dit: Que vous donnerai-je ? (Ibid. 31.) Que souhaitez-vous recevoir de moi? parlez, car je le reconnais et je ne voudrais pas le nier, tout ce que j'ai reçu de Dieu, toutes les bénédictions dont il m'a comblé, c'est à votre présence que je les dois. Jacob lui répondit : Vous ne me donnerez rien, et si vous faites ce que je vais dire, je paîtrai encore vos troupeaux. Je ne veux rien recevoir de vous à titre de salaire , mais j'accepte seulement ce que je vais dire, et je paîtrai encore vos trou. peaux. Ce que je veux, le voici: Considérez le juste, parce qu'il a confiance dans la protection de Dieu, voici la proposition qu'il fait à Laban: Que vos troupeaux, dit-il, passent aujourd'hui devant vous, mettez à part toutes les brebis à toisons noirâtres, et tout ce qui est mêlé de blanc et tacheté parmi les chèvres sera ma récompense. Et ma justice se manifestera dans la suite parce que ma récompense sera facile d discerner. Tout ce qui ne sera pas tacheté et mêlé de blanc parmi les chèvres, et noirâtre parmi les agneaux , sera reconnu vous appartenir. (Ibid. 32, 33.)

2. Remarquez la prudence du juste; con. fiant dans la protection d'en-haut, il pose lui. même des conditions qui, selon l'ordre de la nature, devaient rendre, sinon impossible, du moins très-difficile, sa juste rémunération; la couleur variée se rencontre en effet très-rarement dans les agneaux qui viennent de naître, et néanmoins Jacob ne demande pour lui que ceux-là ; aussi Laban s'empresse-t-il d'acquiescer a sa demande, et il lui dit: Qu'il soit fait conformément à votre parole. Et il sépara en ce jour les boucs tachetés et mêlés de blanc , et les chèvres tachetées et mêlées de blanc, et tout ce qui était blanc parmi eux, et tout ce qui était, de toison noire, et il remit aux mains de ses fils cette part, et il mit une distance de trois jours entre ces troupeaux il ceux de Jacob. (XXX, 34-36.) Il divisa, dit l'Ecriture, ses troupeaux suivant la proposition de Jacob, et les remit à ses fils. Et Jacob paissait les troupeaux de Laban qui restaient, c'est-à-dire ceux dont la toison n'était point de couleur mêlée. Tout cela s'est fait afin que le juste apprît par l’événement le grand soin que Dieu avait de lui, et que Laban vît de quelle assistance d'en-haut jouissait Jacob. Jacob, dit le texte, prit des baguettes de styrax, d'amandier et de platane encore vertes; il en enleva une partie de l'écorce verte, de manière que les endroits d'où l'écorce avait été enlevée parurent

(375) blancs et les autres demeurèrent verts. Ainsi ces baguettes devinrent de couleur variée. Et il plaça les baguettes ainsi écorcées, dans les. canaux des abreuvoirs, afin que les brebis, quand elles iraient s'abreuver, les eussent devant les yeux en buvant, et conçussent des petits de couleur analogue. Elles conçurent effectivement ainsi, et mirent bas des petits à toison mêlée de blanc, variée et tachetée de couleur de cendre. (XXX, 37-39.) Voilà ce que fit le juste, non de son propre mouvement, mais par la grâce d'en-haut qui inspirait sa pensée. Car cela ne se faisait point selon l'ordre de la nature, mais c'était quelque chose de miraculeux et qui dépassait l'ordre naturel. Et il partagea les agneaux, et il plaça devant les brebis un bélier à toison mêlée de blanc, et tous les agneaux de couleur mélangée , et il mit à part son troupeau, et ne le mêla point avec les brebis de Laban. (XXX, 40.) Lorsque désormais des agneaux de cette sorte naissaient, il les ajoutait à son troupeau; il les mit à part, et il eut un troupeau séparé. Et il arriva qu'au temps où les brebis concevaient, Jacob plaça ces baguettes devant elles, pour qu'elles conçussent des petits de couleur analogue. Et quand elles mettaient bas, il ne plaçait plus les baguettes. Ce qui ne portait point de marque était à Laban, et ce qui en portait à Jacob, et il s'enrichit fort grandement. (XXX, 41-43.) Pourquoi cette expression redoublée ? pour montrer sa grande richesse, parce qu'il ne s'enrichit pas grandement, mais fort grandement. Car, dit le texte, il eut des troupeaux nombreux, et des boeufs, et des serviteurs, et des servantes. (43.)

Mais considérez encore l'envie qui naît de là contre lui. Laban entendit les discours de ses fils qui disaient : Jacob a pris toute la richesse de notre père, et c'est du bien de notre père qu'il s'est ainsi élevé. (XXX, 1.) Voyez comment la jalousie les a conduits à l'ingratitude, et lion lias seulement eux, mais Laban lui-même. Jacob, dit l'Ecriture, vit le visage de Laban, et voilà qu'il n'était point envers lui comme la veille et l'avant-veille. (2.) Les paroles de ses enfants avaient agité son âme, et lui faisaient oublier ce qu'il avait auparavant dit à Jacob, Le Seigneur m'a béni à cause de votre venue. Il avait rendu grâces au souverain Maître, parce qu'il avait fait croître sa richesse à cause de la présence du juste; et maintenant les propos doses fils ont changé son coeur; l'envie s'est allumée en lui, et apparemment parce qu'il a vu le juste dans une grande abondance, il ne veut plusse montrer pour lui tel qu'auparavant. Jacob, dit l’Ecriture, vit le visage de Laban, et voilà qu'il n'était point envers lui comme là veille et l'avant-veille. Voyez-vous la douceur du juste, et l'ingratitude de ses beaux-frères? ne sachant contenir leur jalousie, ils ont troublé l'esprit de leur père. Considérez maintenant l'ineffable bonté de Dieu , et de quelle condescendance il use, quand il voit que nous faisons ce qui dépend de nous.

Voyant en effet le juste exposé à leur envie, il dit à Jacob : Retourne dans le pays de ton père, et dans ta famille, et je serai avec toi. (4 .) C'est assez demeurer sur la terre étrangère. Ce que je t'avais promis en te disant : Je te ramènerai dans ton pays, je vais maintenant l'accomplir. Retourne donc saris rien craindre, car je serai avec toi. Afin que le juste n'hésitât pas à faire ce voyage, mais se mît hardiment en chemin vers sa patrie, il lui dit : Je serai avec toi, moi qui jusqu'à présent ai gouverné tes affaires, qui ai fuit croître ta famille, c'est moi qui, dans la suite encore serai avec toi. Le juste ayant entendu ces paroles de Dieu, ne tarda point, mais se prépara aussitôt à lui obéir. Il envoya, dit l'Ecriture, Rachel et Lia clans la plaine où il faisait paître ses troupeaux (1) et leur dit. — Il veut faire connaître il ses femmes le voyage qu'il a résolu, et leur communiquer l'ordre de Dieu, ainsi que la jalousie de leur père contre lui. — Il leur dit : Je vois que le visage de votre père n'est point envers moi comme hier et avant-hier. Mais le Dieu de mon père était avec moi. Vous savez vous-mêmes que j'ai servi votre père de tout mon pouvoir. Votre père a même usé envers moi de tromperie; il a changé ma récompense en dix agneaux, mais Dieu ne lui a point permis de me faire du mal. Quand il nie disait : Les animaux de couleur mêlée seront votre récompense, tous ceux qui naissaient étaient variés; et quand il me disait : les animaux blancs seront votre récompense, tous ceux que mettaient bas les brebis étaient blancs, et Dieu a enlevé le bétail de votre père et me l'a donné. (5-9.)

3. Voyez comme il les instruit de l'ingratitude de leur père à son égard, et du dévouement

 

1. Telle est la seule traduction possible de la leçon suivie par l'auteur ; mais l'hébreu, la vulgate et les autres textes portent :  Il a dix fois changé ce que je devais avoir pour récompense ; ce qui offre un sens beaucoup plus clair et beaucoup plus satisfaisant.

 

 

376

 

que lui-même lui a montré tandis qu'il le servait. Vous savez, leur dit-il, que j'ai servi votre père de tout mon pouvoir. Et il leur fait bien comprendre le soin manifeste que Dieu a eu de lui, leur montrant que c'est le secours d'en-haut qui a tout conduit et fait passer entre ses mains l'abondante richesse de Laban. C'est Dieu, leur dit-il, qui a enlevé le bétail de votre père et me l'a donné. Et il est arrivé qu'au temps où les brebis concevaient j'ai vu en songe des boucs et des béliers mêlés de blanc, de couleur variée et tachetés de couleurs de cendre qui couvraient les brebis et les chèvres. Et l'ange de Dieu m'a dit dans mon sommeil Jacob. Et j'ai répondu : Que me voulez-vous? Et il m'a dit : Lève les yeux, et vois ces boîtes et ces béliers mêlés de blanc, de couleur variée et tachetés de couleur de cendre, qui couvrent les brebis et les chèvres. Car j'ai vu tout ce que Laban t'a fait. (9-12.)

Vous voyez que c'était la force d'en-haut qui avait tout fait et qui récompensait le juste de ses travaux. Lorsque Laban devient ingrat envers Jacob, le Maître libéral récompense magnifiquement ce juste : J'ai vu, dit-il, tout ce que Laban. t'a fait. Nous apprenons de là que, si nous supportons avec modération et douceur l'injustice, nous recevons d'en-haut une protection plus grande et plus libérale : Ne résistons donc pas à ceux qui veulent nous nuire, mais supportons tout avec courage, sachant que le Maître de tout ne nous oubliera pas, pourvu que nous-mêmes nous montrions notre gratitude et notre bienveillance. C'est à moi qu'appartient la vengeance, et je l'accomplirai, dit le Seigneur. (Rom. XII, 19, et Deut. XXXII, 35.) C'est pour cela que Jacob disait : Dieu ne lui a point permis de me faire tort; parce qu'il a voulu me priver de la récompense de mes travaux. Le souverain Maître a montré si largement sa bonté envers nous, u'il a fait passer chez nous toute la richesse de Laban. Dieu a vu que j'avais accompli mon service avec dévouement et que Laban ne s'était pas conduit envers moi comme il convenait, et c'est pourquoi il a manifesté sa faveur pour moi d'une manière si éclatante. Je ne parle pas ainsi sans motif, témérairement et à l'aventure, j'ai Dieu pour témoin de ce que m'a fait votre père. Car j'ai vu, dit-il, tout ce que Laban t'a fait; il ne t'a pas seulement privé de ta récompense, mais il change de dispositions à ton égard; ses sentiments se sont altérés : Je suis ton Dieu, celui que tu as vu dans Béthel, où tu m'as consacré, en l’oignant d'huile une colonne. (XXXI, 13, 16,19.) Dieu veut lui rappeler la mémoire de ce qu'il lui a promis, en lui disant : Je te multiplierai; et je te gardé pour te ramener dans ton pays. (Gen. XXVIII, 14, 15.) Moi donc que tu as vu et qui t'ai fait des promesses, aujourd'hui que le temps est venu, j'exécute ce que je t'ai promis et je t'ordonne de t'en retourner sans alarme. Car je serai avec toi. Je suis le Dieu que tu as vu au lieu où tu as oint la colonne, et où tu m'as fait un voeu. II le fait souvenir de son vœu et de la promesse qu'il lui a faite. Et quel était ce voeu? Le voici : De ce que vous me donnerez, je vous payerai la dîme. (Gen. XXVII, 20, 22.) Ce voeu que Jacob avait fait lorsqu'il voyageait en fugitif et dénué de tout, Dieu le lui rappelle et dit : Lorsque je t'ai apparu tu m'as fait un vœu en disant: De ce que vous me donnerez, je vous payerai la dîme; par ce vœu et cette promesse, tu as confessé à l'avance mon souverain pouvoir; tu as entrevu par les yeux de la foi ton abondance future; maintenant donc que ce que j'ai , dit s'accomplit, le temps est venu pour toi d'accomplir aussi ton voeu. Retourne donc; lève-toi et sors de ce pays pour revenir dans la terre de ta naissance, et je serai avec toi. Je t'accompagnerai partout, je rendrai ton voyage facile, et personne ne te nuira, parce que ma droite s'étendra partout sur toi pour te protéger, Rachel et Lia, ayant entendu ce discours, lui dirent : Avons-nous notre lot dans l'héritage et dans la maison de notre père; ?n'avons-nous pas été traitées par lui comme des étrangères? Car il nous a vendues et il a mangé notre prix. Et toute la richesse et tout l'honneur que Dieu a enlevés à notre père, il te les a donnés, Maintenant, fais tout ce que Dieu t'a dit. (Gen. XXXI, 14, 16.)

Voyez-les suivre la volonté de Dieu et produire un raisonnement sans réplique : n'est-il pas vrai que nous n'avons plus rien de commun avec notre père? il nous a données pour ton. jours. Et la richesse et l'honneur que Dieu lui a enlevés et t'a donnés nous appartiendront à nous et à nos enfants. Ne tarde donc point, né diffère pas, mais accomplis ce que Dieu t'a prescrit. Maintenant donc fais tout ce que le Seigneur t'a dit. Jacob ayant entendu ces mots, se leva, prit ses femmes et ses enfants, les fit monter sur des chameaux et emmena tout (377) ce qui lui appartenait et l'équipage qu'il s'était procuré en Mésopotamie et tout ce qui était à lui, pour s'en retourner vers Isaac son père. (16-18.)

4. Examinez la force d'âme de ce juste et comment, mettant de côté toute crainte et toute alarme, il obéit à l'ordre du souverain Maître. Car, lorsqu'il a vu que les sentiments de Laban étaient mauvais, il ne s'est plus préoccupé de l'interroger comme auparavant, mais d'accomplir l'ordre du souverain Maître, et, prenant ses femmes et ses enfants, il s'est mis en route. Laban, dit l'Ecriture, était allé tondre ses brebis. Et Rachel déroba les idoles de son père. (XXXI, 18.) Ce n'est point sans raison que ces mots sont ajoutés, mais afin que nous sachions comment elles tenaient encore à la coutume de leur père, et montraient une grande vénération pour les idoles. Comprenez cette passion de Rachel qui n'enlève de chez son père rien autre chose que les idoles, et cela à l'insu de son mari, car il ne le lui eût point permis. Jacob, dit l'Ecriture, se cacha de Laban le Syrien (1), et ne lui fit point connaître qu'il s'enfuyait. il s'enfuit avec tout ce qu'il possédait et passa le fleuve, et se hâtait d'arriver aux monts de Galaad. (20-21.) Admirez ici encore la providence de Dieu, qui jusqu'à ce que ce juste fût bien éloigné, n'a point permis que le départ de Jacob vînt à la connaissance de Laban. Trois jours s'étant passés, dit le texte, Laban en eut connaissance. Et prenant avec lui tous ses frères, il le poursuivit durant sept jours et l'atteignit dans les monts de Galaad. (22-23.)

Voyez encore le soin ineffable que Dieu prend de Jacob. Il lui a dit : Retourne dans ton pays, et je serai avec toi, et maintenant il lui montre une providence spéciale. Sachant que Laban poursuit ce juste avec une grande indignation et veut faire justice de cette retraite furtive, il se manifeste à Laban, la nuit, pendant son sommeil. Dieu, dit l'Ecriture, vint à Laban le Syrien, durant la nuit, et lui dit. Voyez la condescendance de Dieu, et comment, par le soin qu'il prend de ce juste, il s'adresse à Laban, afin de jeter la terreur en son âme et de le détourner de ses projets contre Jacob. Garde-toi de tenir jamais à Jacob des discours mauvais. (Ibid.) La bonté du souverain Maître est bien grande. Comme il a vu qu'il courait au combat et voulait s'élever contre ce juste, il l'arrache en quelque sorte à sa résolution par

 

1. C'est-à-dire de Mésopotamie, la Syrie des eaux.

 

cette parole: Garde-toi de tenir jamais à Jacob des discours mauvais. Ne tente pas, même en paroles, d'affliger Jacob, mais veille sur toi, contiens ta coupable impétuosité, apaise son coeur, réprime tes sentiments de colère, et abstiens-toi de l'affliger, même en paroles. Considérez donc l'amour de Dieu pour l'homme. Il n'a point ordonné à Laban de s'en retourner chez lui; il lui a seulement prescrit de ne rien dire à ce juste de pénible et de haineux. Pourquoi et dans quel but ? afin que ce juste apprît par les effets et les actes de quelle tendresse il était jugé digne de la part de Dieu. Si en effet Laban fût retourné, comment Jacob et ses femmes eussent-ils connu ce fait? Laban lui permet de s'éloigner, après avoir confessé de sa propre bouche ce que Dieu lui a dit, afin que le juste ait une plus grande ardeur pour son voyage et une confiance plus ferme ; et que ses femmes, en apprenant quelle tendresse Dieu accorde en tout à Jacob, soient enlevées à l'erreur de leur père, imitent avec zèle le juste, et soient suffisamment instruites de la connaissance de Dieu. Car les discours de Jacob étaient moins persuasifs pour elles que ceux de Laban, encore plongé dans les ténèbres de l'idolâtrie. En effet les témoignages des incrédules et des ennemis de la religion ont toujours bien plus de force pour en faire reconnaître la vérité. Et c'est l'oeuvre de la sagesse industrieuse de Dieu, quand il fait, des ennemis de la vérité, les témoins de la vérité, et que leur propre bouche devient l'auxiliaire de notre cause.

Laban atteignit Jacob. Jacob dressa sa tente dans la montagne, et Laban plaça ses frères dans les monts de Galaad. Et Laban dit à Jacob : pourquoi avez-vous fait cela ? (XXXI, 25-26.) Considérez comme l'ordre de Dieu a calmé l'ardeur de sa colère et mis un frein à son coeur. C'est pour cela qu'il lui parle avec une grande douceur, lui faisant presque des excuses et lui témoignant une tendresse paternelle. Car, lorsque nous sommes favorisés par la Providence, non-seulement nous pouvons éviter les machinations des méchants, mais les bêtes féroces elles-mêmes, si nous en rencontrons ne peuvent nous nuire. En effet le Maître de toutes choses, montrant sa puissance souveraine, transforme la nature des animaux féroces et leur donne la douceur des brebis; non qu'il leur ôte leur humeur farouche, ruais, en les laissant à leur propre nature, (378) il les fait agir comme des brebis. Et ceci on peut le voir, non dans les bêtes féroces seulement, mais dans les éléments eux-mêmes. Lorsqu'il le veut les éléments se dépouillent de leurs propriétés et le feu n'a plus les effets du feu. On peut l'apprendre par l'histoire des trois enfants et de Daniel. Celui-ci, environné de lions, n'éprouve pas plus de mal que s'il était entouré de brebis, parce que la volonté d'en-haut contient leur naturel féroce. Ces animaux demeurèrent sans témoigner leur cruauté, comme les faits le prouvèrent à ceux qui étaient plus féroces que des animaux sans raison.

5. Et cela s'est fait pour flétrir davantage ceux qui, honorés du don de la raison, ont dépassé des brutes en cruauté. Ils ont appris par l'événement que la providence du souverain Maître a fait respecter le juste par les animaux féroces, qui n'ont pas osé le toucher; tandis qu'eux-mêmes étaient pour lui pire que ces animaux. Et ils n'ont pu penser que c'était un simple caprice, en voyant ce qui arrivait aux hommes jetés depuis dans la fosse; ils ont vu que si, à l'égard du juste, les lions avaient imité la douceur des brebis et dissimulé leur naturel, ils montraient leur férocité envers ceux qu'on y jeta ensuite. De même, dans la fournaise ardente. Les trois Hébreux qui s'y trouvèrent au milieu du feu furent respectés par cet élément dont l'activité était suspendue et comme entravée , en sorte qu'il laissait intacts les corps de ces enfants et n'osait toucher même à leurs cheveux, comme s'il eût reçu défense de laisser voir son action naturelle; et cependant il dévora ceux qui étaient hors de la fournaise, montrant par ces deux effets la puissance infinie de Dieu, en épargnant ceux qu'il enveloppait et atteignant les autres. Ainsi, lorsque nous sommes soutenus par la force d'en-haut, non-seulement nous échappons aux embûches de ceux qui nous veulent nuire, mais, quand nous tomberions entre les griffes de bêtes féroces, nous n'éprouverions point de mal. Car la main de Dieu a une force supérieure à tout; elle nous environne d'une défense assurée et nous rend invincibles, comme il arriva à ce juste.

En effet, Laban, qui souhaitait avec tant de passion d'atteindre Jacob et de tirer vengeance du départ de cette famille, non-seulement ne lui adresse pas une parole rude et haineuse, mais s'entretient avec lui comme un père avec son enfant et lui tient un discours plein de douceur, en lui disant: Pourquoi agir ainsi? Pourquoi vous enfuir secrètement? (XXXI, 26-27.) — Considérez quel changement, et cour ment celui qui avait la fureur d'une bête sauvage imite la douceur des brebis. — Pourquoi vous enfuir secrètement, me dépouiller, m'enlever mes filles comme des captives conquises par l'épée. (26. ) Pourquoi, lui dit-il, agir ainsi? quelle a été votre pensée? pourquoi ce départ furtif ? Car si vous m'en aviez informé, je vous aurais escorté avec honneur et avec joie pour prendre congé de vous; si je l'avais su, je vous aurais fait, au départ, accompagner par des musiciens avec des tambours et. des cithares. Vous ne m'avez pas jugé digne d'embrasser mes filles; vous venez d'agir sans sagesse. (27-8.) Voyez comme ensuite il se condamne et avoue de sa propre bouche qu'il se préparait à faire du mal au juste , mais que la providence de Dieu a brisé sa fougue. Ma main, dit-il, est assez forte pour vous faire du mal; mais le Dieu de votre père m'a dit hier : Garde-toi de jamais tenir à Jacob des discours mauvais. (XXXI, 29.) Comprenez bien quelle consolation ces paroles apportèrent à ce juste, et considérez comment son beau-père lui confessa ce qu'il avait médité contre lui, dans quel dessein il avait voulu l'atteindre, et comment la crainte de Dieu l'empêchait d'effectuer ses desseins hostiles. « Le Dieu de votre père, » dit-il. Voyez combien Laban lui-même tire avantage de cet événement, puisqu'il reconnaît la manifestation souveraine de la puissance de Dieu aux paroles qu'il lui a adressées. Mais, dit-il, puisque vous avez eu ce dessein et que Dieu prend de vous un tel soin. Vous voilà parti, car vous avez désiré d'un grand désir retourner dans la maison de votre père. Mais pourquoi m'avez-vous dérobé mes dieux? (30.) Soit, dit-il, vous avez jugé convenable, voue avez résolu de retourner dans la maison de votre père; mais pourquoi me dérober mes dieux? O comble de la démence! tes dieux sont-ils tels qu'ils puissent être dérobés? N'as-tu pas honte de dire : Pourquoi m'avez-vous dérobé mes dieux! Voyez quel excès d'égarement, il adore du bois et de la pierre, comme si la raison leur pouvait rendre un culte. Et tes dieux, Laban, ne pouvaient se défendre quand on les allait dérober ! Comment, en effet, l'auraient-ils pu, puisqu'ils étaient de pierre? Mais le Dieu du juste, et sans que le juste le sût lui-même, a arrêté ta fougue. Et tu ne comprends (379) pas la grandeur de ton égarement, mais tu accuses le juste d'un larcin. Car pourquoi eût-il été capable de dérober ce qu'il abhorrait, et surtout ce qu'il savait être des pierres insensibles?

Jacob lui répond avec une grande douceur, et se justifie d'abord des accusations qu'il vient d'entendre; il l'engage à chercher ses dieux. Je vous ai dit de ne point m'enlever vos filles et tout ce que je possède (XXXI, 31) ; parce que je vous voyais mal disposé pour moi, j'ai tremblé que vous n'entreprissiez de m'enlever vos filles et ce qui m'appartient, de me priver de mon bien, comme vous l'avez déjà fait. Voilà le motif et la crainte qui m'ont conduit à exécuter secrètement ce voyage : Au reste celui que vous trouverez possesseur de vos dieux, ne vivra pas devant nos frères. (XXXI, 32.) Jacob, vous le voyez, ignorait le larcin commis par Rachel, voyez, en effet, de duel rigoureux châtiment il menace celui qui sera convaincu d'avoir, commis le vol : Celui que vous trouverez possesseur de vos dieux, ne vivra pas devant nos frères. Non pas seulement parce qu'il les a dérobés, mais parce que ce fait est la preuve évidente de son propre égarement. Examinez s'il y a avec moi quelque chose qui soit à vous et reprenez-le. (Ibid.) Cherchez, lui dit-il, si j'ai emporté quelque chose qui ne m'appartienne pas. Vous ne pouvez une reprocher autre chose que d'être parti secrètement; et cela même je ne l'ai pas fait volontiers, mais parce que je soupçonnais une injustice et craignais que vous ne voulussiez m’enlever vos filles et toute ma richesse. Et il ne reconnut rien. Jacob ignorait que Rachel sa femme avait dérobé ses dieux. Et Laban, étant entré dans la tente de Lia, chercha sans rien trouver. Il entra aussi dans celle de Rachel. Mais Rachel prenant les idoles, les avait placées sous le harnais des chameaux, et, s'étant assise dessus, elle dit à son. père: Ne vous offensez pas, mon père, je ne puis me lever devant vous: je suis femme et incommodée comme les femmes. Laban chercha dans toute sa tente et ne trouva rien. (32-35)

6. Elle fut grande la prudence par laquelle Rachel sut faire illusion à Laban. Qu'ils écoulent ceux qui se sont enracinés dans l'erreur et font tant d'estime du culte des idoles. Elle les plaça, dit le texte, sous le harnais des chameaux et s'assit dessus. Quoi de plus plaisant? Ceux qui, honorés du don de la raison et jugés dignes d'une telle prééminence par la bonté divine, se résolvent à adorer des dieux insensibles, ne les dissimulent point et ne se préoccupent point d'une telle extravagance , mais se laissent, comme des troupeaux, conduire par leur habitude. C'est pourquoi Paul disait, dans ses épîtres : Vous savez comment, lorsque vous étiez gentils, vous vous laissiez conduire vers des idoles muettes. (I Cor. XII, 2.) Il a bien dit muettes. Vous qui possédez la parole, qui savez entendre et converser, vous êtes conduits comme des brutes vers des êtres insensibles. Quelle indulgence peuvent obtenir de tels hommes ! Mais voyons comment s'exprime ce juste, désormais affermi dans sa confiance par les aveux de Laban , qui d'ailleurs n'a trouvé contre lui aucun motif raisonnable de blâme

Jacob s'irrita et disputa contre Laban, il lui dit : — Voyez comment il fait voir dans ce différend la vertu de son âme : En quoi ai-je été injuste et coupable que vous m'ayez poursuivi? » (XXXI, 36.) Pourquoi , lui dit-il, m'avez-vous ainsi poursuivi avec ardeur? de quelle injustice, de quelle faute pouvez-vous m'accuser? Et non-seulement cela, mais vous m'avez fait l'injure de tout scruter dans ma demeure. Qu'avez-vous trouvé que j'aie apporté de chez vous ? Exposez cela devant vos frères et mes frères et qu'ils jugent entre nous deux. (XXXI, 37.) Après toutes ces recherches avez-vous pu trouver quelque chose qui ne m'appartint pas et en quoi je vous aie fait tort ! Si vous l'avez trouvé produisez-le , afin que ceux qui m'accompagnent et ceux qui vous accompagnent décident le différend. Voyant qu'il était ;ans reproche aux yeux de tous , il parle désormais avec hardiesse, et comptant la durée de l'affection qu'il lui a toujours montrée , il lui dit Et voilà vingt ans que je suis avec vous. Après tant d'années de travail , méritais-je donc cet outrage? « Et voilà le prix de ces vingt ans ! » Aujourd'hui je compte vingt ans de service dans votre demeure. Vos brebis et vos chèvres n'ont pas été stériles; je n'ai point mangé vos béliers; je n'en n'ai point laissé enlever parles bêtes féroces. Je vous ai dédommagé des larcins de jour et des larcins de nuit. J'endurais les ardeurs du jour et le froid glacial de la nuit, et le sommeil s'éloignait de rues yeux. (XXXI, 38, 40. ) Avez-vous donc oublié, lui dit-il, les travaux que j'ai endurés eu faisant paître vos brebis et vos chèvres ! Vous ne pouvez me reprocher qu'elles aient été (380) stériles. Voyez comment il lui montre la grande bonté de Dieu, épandue sur la maison de Laban à cause de sa présence. Car c'est là ce qu'il a dit plus haut : Dieu vous a béni à ma venue. Personne ne demanderait cela d'un berger; cela ne dépend ni de lui ni d'aucun homme. C'est pour cela qu'il le met avant tout le reste et qu'il témoigne de la divine Providence qui a pris soin de ces troupeaux. Je n'ai pas mangé vos béliers. Vous ne pouvez dire que j'en aie mangé un seul, comme le font souvent tant de bergers. Je n'en ai point laissé enlever par les bêtes féroces. Je ne les ai ni mangés, ni laissé enlever par les bêtes. —Ne voyez-vous pas chaque jour ceux qui gardent des troupeaux rapporter à leurs maîtres les restes des brebis que les bêtes féroces ont dévorées ? Mais vous ne pouvez me reprocher rien de tel; vous ne pouvez m'alléguer que rien de tel soit arrivé en vingt ans. Que dis-je, enlevés par les bêtes féroces ? Mais, si même il y a eu des larcins, comme cela devait arriver, je ne vous en ai point donné connaissance, mais je vous en ai dédommagé, qu'ils fussent arrivés de jour ou de nuit. J'ai supporté sans cesse et courageusement les ardeurs du chaud et la rigueur du froid des nuits, pour préserver vos troupeaux de tout dommage; enfin le sommeil même était. écarté de mes yeux par tant de soucis.

Voyez-vous les veilles d'un berger? Voyez-vous l'ardeur inquiète de son zèle? Quelle excuse peuvent donc avoir ceux à qui sont con fiés des troupeaux doués de raison, et qui montrent tant d'insouciance; qui chaque jour, suivant la parole du Prophète, égorgent les uns et voient les autres en proie aux bêtes féroces, ou au pillage, et qui ne veulent en prendre aucun soin? Cependant la fatigue du pasteur est ici moindre, et sa vigilance plus facile; car c'est l'âme qu'il faut instruire; là-bas la fatigue était grande pour l'âme et pour le corps.

7. Or considérez ce que dit Jacob : J'endurais les ardeurs du jour et le froid glacial de la nuit, et le sommeil s'éloignait de mes yeux. Qui maintenant pourrait dire que, pour le salut de son troupeau, i1 a accepté des périls et des peines? Nul de nos contemporains ne l'oserait prétendre. Paul seul a le droit de le dire avec confiance, et le docteur de la terre entière a seul le droit d'en dire davantage. Et où Paul, direz-vous, a-t-il enduré cela? Ecoutez-le : Qui est faible sans que je le sois avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle? (I Cor. XI, 29.) O tendresse du pasteur ! Les chutes d'autrui, dit-il, n'ont pas lieu sans que j'en ressente le contre-coup ; les scandales d'autrui me font ressentir les douleurs d'une fournaise. Que tous ceux-là s'efforcent de lui ressembler, à qui est confié l'autorité sur des brebis raisonnables , et qu'ils ne descendent pas au-dessous de celui qui, pour garder un troupeau sans raison, s'est livré, durant tant d'années, à une telle vigilance. Là, en effet, quelque négligence n'eût point causé de mal; ici que des brebis raisonnables, une seule se perde, ou devienne la proie des loups, la peine est grande, le dommage immense, le châtiment inexprimable. Car si notre Maître n'a pas refusé de répandre son propre sang pour elle, quel pardon méritera celui qui osera- négliger des âmes estimées si haut par le Maître, et qui n'accomplit pas tout ce qui dépend de lui pour le soin de ses brebis?

Mais revenons à la suite du texte : Voilà vingt ans, dit Jacob, durant lesquels j'ai sers dans votre maison. Je vous ai servi quatorze ans pour vos deux filles, et six ans pour des brebis et vous m'avez fraudé en me donnant dix agneaux pour salaire. Si le Dieu d'Abraham, mon père, et le Dieu d'Isaac n'eût pas été avec moi, vous me renverriez maintenant dépouillé de tout. Dieu a vu mon abaissement et mes fatigues et vous a fait hier des reproches. (XXXI, 40-42.) Voyez comment les aveux de Liban ont enhardi ce juste et la franchise de ses accusations. Vous savez, dit-il, comment je vous ai servi l'espace de vingt années, quatorze pour vos filles et le reste pour des brebis; et cependant vous avez voulu me frauder sure mon salaire; pourtant je ne vous ai pas accusé.. Mais d'après vos propres aveux, je sais que, si le Dieu d'Abraham et d'Isaac ne m'eût assisté, vous me renverriez aujourd'hui seul et les mains vides; vous m'auriez tout enlevé, vous auriez mis à exécution le noir projet que vous aviez formé. Mais Dieu connaît mon abaissement et mes fatigues. — Que veut-il dire par ces mots? — Dieu savait avec quelle affection je vous ai servi et les fatigues que j'ai endurées en faisant paître vos brebis , la vigilance que j'y ai jour et nuit apportée; c'est pour cela que ce, maître plein de bonté vous a fait hier des reproches; c'est pour cela qu'il a réprimé votre injustice contre moi et votre fureur déraisonnable.

 

381

 

Jacob s'est suffisamment justifié devant Liban, et, après lui avoir reproché son injustice, il lui a fait l'énumération de ses bienfaits. Aussi Laban, pénétré de honte par ses paroles, devient timide et veut demander la paix à ce juste. Voyez l'oeuvre de la protection divine. Celui qui s'était préparé à l'attaque et s'était mis avec tant d'ardeur à la poursuite de Jacob, est devenu si timide, qu'il cherche à en obtenir la paix. Laban, dit l'Ecriture, ayant ouï cette réponse, dit à Jacob : Vos filles sont mes filles, vos fils sont mes fils, vos troupeaux sont mes troupeaux, et tout ce que vous voyez est à moi et à mes filles. Que ferai-je aujourd'hui pour elles et pour leurs enfants? (XXXI, 43.) Je sais, dit-il, que ce sont mes filles, et tout ce que vous avez vous est venu de chez moi? Que ferai-je donc aujourd'hui pour elles et pour leurs enfants? Faisons maintenant tous deux ici la paix, et il y aura un témoignage entre vous et moi. (XLIII, 44.) Faisons la paix, et il t'aura un témoignage entre vous. et moi, comme preuve et comme signe. Il lui dit : Si quelqu'un essaye de violer nos conventions : Il n'y a personne avec nous; mais que Dieu soit témoin entre nous deux.

8. Considérez comment Laban est graduellement conduit à la connaissance de Dieu. Celui qui reprochait au juste de lui avoir dérobé ses dieux et les cherchait avec tant de soin, dit maintenant : Puisque personne ne peut, s'il arrive plus tard quelque incident, être entre nous témoin de ce que nous allons faire, que Dieu soit témoin entre vous et moi. Il est présent, il voit tout, rien ne peut lui échapper, il connaît la pensée de chacun. Et Jacob, dit le texte, ayant pris une pierre la dressa, et il fit toi amas de pierres où ils mangèrent. Ensuite Caban lui dit : Cet amas de pierres sera un témoignage entre vous et moi. (XXXI , 45 , 46, 48.) Qu'est-ce donc? c'est comme s'il eût dit: Les paroles prononcées sur cette colline, nous nous en souviendrons toujours. Et il l'appela le tertre du témoignage. Que Dieu abaisse son regard entre vous et moi ! (49.) Considérez que Laban invoque de nouveau la justice de Dieu. Que Dieu, dit-il, abaisse son regard entre vous et moi , parce que nous allons nous séparer l'un de l'autre ! (Ibid.) Maintenant, dit-il, nous allons nous éloigner. Vous retournerez dans votre pays et je vais regagner ma demeure. Si vous humiliez mes filles, si vous prenez d'autres femmes qu'elles, voyez, nul regard ne s'interpose entre nous; notre témoin, c'est Dieu. (50.) Voyez une première fois , une seconde et plus souvent encore, il invoque Dieu comme témoin. En effet, la Providence qui accompagne Jacob lui a appris quelle est la puissance du souverain Maître; il sait maintenant qu'il ne peut échapper à un oeil qui ne dort jamais. C'est pourquoi il dit : Que nous nous séparions et que nul autre ne puisse témoigner entre nous, Celui qui est présent partout sera notre témoin. Par chacune de ses paroles, il manifeste que Dieu est souverain par toute la terre.

Et Jacob lui dit : Voilà que cette pierre que j'ai dressée sera elle-même un témoignage. Liban dit encore: Pour que je ne dépasse point en allant vers vous cette colline que vous ne dépassez point en venant vers moi, avec de mauvais desseins, cet amas et cette pierre dressée, que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous deux ! (51-53.) Vous le voyez : il réunit les noms du père et de l'aïeul, frère du patriarche et son aïeul à lui-même. Que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous ! Et Jacob jura par la crainte du Dieu de son père Isaac, et offrit un sacrifice sur la montagne; et il appela ses frères; ils mangèrent et burent, et ils dormirent sur la montagne. (53-54.) Il offrit un sacrifice sur la montagne et rendit grâces à Dieu de ce qui était arrivé. Ils mangèrent et burent et ils dormirent sur la montagne. Laban s'étant levé dès le point du jour, embrassa ses enfants et ses filles et il les bénit. Et s'en retournant il arriva dans sa demeure. (54-55.) Vous avez vu, mon bien-aimé, combien grande est la sagesse divine, qui s'est manifestée ici par sa providence au sujet de ce juste, en le préservant de l'injustice tentée contre lui; vous avez vu que prescrivant à Laban de ne pas prononcer contre Jacob des paroles de menace, elle l'a, par cela même, acheminé graduellement à la connaissance de Dieu. Lui qui courait sur Jacob comme une bête féroce pour l'atteindre et le tuer, s'excuse et l'embrasse, ainsi que ses filles et leurs enfants, puis s'en retourne dans sa demeure. Nous avons peut-être étendu beaucoup ce discours; mais le récit nous y a forcément entraîné.

Le terminant donc ici, exhortons votre charité à faire tous vos efforts pour attirer la bienveillance d'en-haut. Car si nous avons Dieu propice, tout nous sera doux et facile : rien dans la (382) vie présente ne pourra nous désoler, quelque désolant qu'il paraisse. Car telle est l'immensité de la puissance de Dieu, qu'il change, quand il le veut, les souffrances en plaisirs. Ainsi Paul, dans ses tribulations, se réjouissait et se glorifiait soulevé vers le ciel par l'attente des récompenses qui lui étaient réservées. (Rom. V, 2, 3.) C'est pour cela que le prophète aussi disait : Dans la tribulation, vous avez dilaté mon cœur (Ps. 4, 2) ; nous apprenant par là que, dans la tribulation même, Dieu l'a fait jouir de consolation et d'assurance. Puis donc que nous avons un tel Maître, si puissant et si habile, si sage et si bon, manifestons ses oeuvres et faisons grande estime de la vertu, afin d'obtenir les biens temporels et les biens futurs, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient, au Père, gloire et puissance, avec le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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