HOMÉLIE LVIII

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CINQUANTE-HUITIÈME HOMÉLIE « Et Jacob levant les yeux, vit le camp de Dieu ; et les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre; Jacob les ayant vus dit : C'est là le camp de Dieu ; et il appela cet endroit le camp. » (Gén. XXXII, 1-2)

 

ANALYSE.

 

1. Explication des versets 1-12 du chap. XXXII. — 2. Explication des versets 13-28. Jacob prie Dieu d'accomplir ces promesses; il lutte avec un ange : son nain est changé en celui d'Israël; pourquoi les Anges se montrent sous une forme humaine. —3. Continuation de l'explication du texte jusqu'au verset 4 du chap. XXXIII. L'incarnation est révélée. Monuments des bienfaits de Dieu dans l'Ecriture. — 4. Explication des versets 5-17. Jacob triomphe de son frère par son humilité. — C'est une grande vertu que de se concilier ses ennemis; que la douceur a pour cela une grande efficacité.

 

1. Je sais que vous avez été fatigués hier parce due mon discours s'est beaucoup prolongé; mais, ayez confiance, votre fatigue n'est pas inutile, car elle a eu lieu dans le Seigneur, près de qui la moindre peine est payée d'une grande récompense : si le corps s'est fatigué, l'âme a été fortifiée. Ainsi moi-même, voyant l'ardeur de votre zèle et votre désir d'entendre, de nouveau éveillé, je veux resserrer mon enseignement, mais non le terminer avant d'en avoir atteint-le terme, sachant bien que c'est le plus sûr moyen de vous être agréable. Car l'étendue de mon enseignement a fait voir combien est avide et insatiable votre désir d'entendre la parole sainte ; d'ailleurs mon ardeur à vous instruire s'accroît aussi, lorsque je vois chaque jour s'accroître votre empressement. Revenons donc aujourd’hui reprendre, dans la mesure. de nos forces, la suite du sujet traité hier; donnons à votre charité son aliment ordinaire, et voyons comment, après le départ de Laban, Jacob conti. nue son voyage. Car rien n'est oiseux de ce que contient la divine Ecriture; mais toutes les actions des justes recèlent une grande utilité pour nous. En effet, puisque sans cesse le Maître de l'univers était présent pour les assister, qu'il allégeait pour eux les fatigues du voyage, le simple récit de ce voyage peut nous fournir un ample profit.

Laban étant parti pour retourner dans sa demeure, Jacob poursuivit son chemin et, (383) levant  les yeux, il vit le camp de Dieu dressé; et les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre. (Gen. XXXII, 1.) Lorsque la crainte que lui avait inspiré Laban se fut pleinement dissipée, la crainte d'Esaü y succéda. C'est pour cela que le bon Maître, voulant encourager ce juste et dissiper toutes ses terreurs, offrit à ses yeux le camp des anges. Les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre, dit l'Écriture, et Jacob dit : C'est là le camp de Dieu. Et il appela cet endroit les camps (Ibid. 1-2) ; en sorte que cette dénomination conservât perpétuellement la mémoire de la vision qu'il avait eue en ce lieu. Et après cette vision, il envoya devant lui, dit l'Écriture , des messagers vers sors frère Esaü, avec cette mission : Vous direz à mon seigneur Esaü. (Ibid. 3-4.) Voyez quelle crainte, même après cette vision, domine encore ce juste. Il redoutait la violence de son frère et s'inquiétait à la pensée que le souvenir de ce qui s'était passé autrefois pouvait l'exciter à marcher contre lui. Dites à mon seigneur Esaü : Voici ce que vous dit votre serviteur Jacob. J'ai demeuré près de Laban et j'y suis resté jusqu'ici ce temps ;je suis devenu possesseur de boeufs, d'ânes, dé brebis, de serviteurs et de servantes, et j'ai envoyé vers mon serviteur, afin que votre serviteur trouvât grâce devant vous. (Ibid. 4-5.) Considérez la crainte qu'il avait de son frère, et comment, désireux de l'adoucir, il lui envoie annoncer son retour, la richesse qu'il a acquise et le lieu où il a vécu jusque-là, afin de calmer sa colère et de pouvoir le rendre doux et facile; ce qui arriva en effet, Dieu ayant calmé son coeur, éteint sa colère, et l'ayant adouci. Car, si Dieu avait inspiré par ses paroles tant de crainte à Laban, tandis qu'il poursuivait Jacob avec tant d'impétuosité, à bien plus forte raison, il inspira au frère du juste de la douceur envers lui.

Ces messagers revinrent en disant : Nous avons trouvé votre frère, et il vient à votre rencontre avec quatre cents hommes armés. (Ibid. 6.) Voyez comment cette nouvelle redouble les craintes de Jacob. Il ne connaissait pas, en effet, avec certitude le dessein de son frère; mais apprenant lé grand nombre de ceux qui étaient avec lui, il conjecturait avec effroi que, parce qu'il était préparé pour le combat, il ne venait pas à lui pour une rencontre pacifique. Jacob, dit le texte (Ibid. 7), fut effrayé, et il ne savait ce qu'il devait faire. La crainte troublait son esprit, il ne savait que faire, au milieu de son anxiété; il lui semblait qu'il avait lotit à redouter et que la mort était devant ses yeux. Il divisa toute sa troupe en deux camps, bar il disait : S'il marche contre un camp et le,détruit, l'autre pourra être sauvé. (Ibid. 7, 8.) Voilà ce que lui suggéraient la crainte et l'épouvante. Se voyant comme pris dans un filet, il a recours au Maître invincible, et il réclame auprès du Dieu de l'univers l'accomplissement de ses promesses, comme s'il lui disait : Maintenant, voici le temps où, à cause de la vertu de mes pères et à cause de votre promesse , je dois obtenir votre pleine assistance. Jacob, dit le texte, parla ainsi : Vous, le Dieu de mon père Abraham et de mon père Isaac, vous qui m'avez dit : Retourne dans la terre de ta naissance (Ibid. 9); c'est vous qui m'avez fait partir de la terre étrangère, et qui m'avez ordonné (le revenir vers mon père et vers la terre de ma naissance. Que je sois sauvé par la justice et la vérité dont vous avez usé envers votre serviteur. (Ibid. 10.) Qu'elles soient mon assistance en cette conjoncture. Car vous qui, jusqu'à présent, avez pris de moi tant de soin, voit. pouvez, en ce moment encore, m'arracher aux dangers qui me menacent; car je n'ignore pas que j'ai passé ce fleuve du Jourdain, avec une simple baguette. (Ibid.) Et maintenant, par votre providence, moi qui ne portais qu'un bâton, en partant pour la terre étrangère, je reviens avec deux camps. (Ibid.) Vous donc, ô mon Maître, vous qui m'avez donné tant de richesses, qui m'avez fait monter à ce point, maintenant Sauvez-moi de la main d'Esaü, mon frère, parce que je crains qu'il ne me frappe, avec la mère et les enfants. Vous avez dit : Je te ferai dit bien et je multiplierai ta race comme le sable de la mer et sa multitude sera innombrable. (Ibid. 11,12.)

2. Voyez la piété de ce juste et sa profonde reconnaissance, qui lui font tenir pour certain que le souverain Maître ne peut ne pas accomplir ses promesses. C'est après avoir montré sa gratitude pour les bienfaits antérieurs, et reconnu que Dieu l'a pris pauvre et banni pour le combler de richesses, qu'il le supplie de l'arracher au péril : Vous m'avez dit: Je multiplierai ta race comme le sable de la mer, et on ne pourra la comptera. Ayant donc adressé au souverain Maître son appel et son humble prière, il fait ce qui dépend de lui. Il prend des présents parmi ce qu'il apportait de la terre étrangère (384) et les adresse à son frère, les divisant en plusieurs envois et recommandant de le fléchir par des paroles et de lui annoncer son approche. Dites-lui : Voilà que votre serviteur vous suit de près, en sorte qu'il puisse le fléchir avant de paraître en sa présence. Ensuite, dit le texte, je verrai son visage; peut-être m'accueillera-t-il. Et il envoya ses présents pour être remis à son frère. (Ibid. 20, 21.) Considérez encore ici l'ineffable bonté de Dieu, et comme elle témoigne bien de l'ordre de sa Providence. A Laban, quand Jacob ne soupçonnait pas le péril et ne savait pas qu'il allait tomber entre les mains de Laban, qui accourait pour se venger de son départ secret, Dieu se montre, réprime sa colère et lui défend d'adresser à Jacob une parole amère : N'adresse à Jacob aucune parole coupable, lui dit-il. Il régla ainsi les choses pour que le juste l'apprît par la bouche de Laban lui-même, afin que, connaissant la providence de Dieu à son égard, il fût plus rempli de confiance. Et maintenant, parce qu'Esaü s'est calmé avec le temps, et que sa colère, son ressentiment contre Jacob se sont apaisés, tandis que celui-ci est rempli d'inquiétude, et frémit de crainte au moment de rencontrer son frère, ce bon Maître ne s'adresse point à Esaü, car celui-ci n'avait nul mauvais dessein contre Jacob; mais il relève ce juste. Après avoir fait partir les porteurs de ses présents et dormi quelque temps, il se leva cette nuit même, il fit passer le Jaboch à ses deux femmes et à ses enfants : il les prit et les fit passer au delà du torrent. Jacob reste seul, et un homme lutte avec lui. (Ibid. 22, 24.) O grande bonté de Dieu l Parce que Jacob allait rencontrer son ,frère, et afin qu'il eût une preuve sensible qu'il n'éprouverait rien de fâcheux, il daigne lutter avec lui, sous la figure d'un homme. Ensuite, Jacob voyant qu'il avait le dessous, le saisit par la largeur de sa cuisse. (Ibid. 25.) Dieu ne s'abaissait ainsi que pour délivrer de crainte l'âme de ce juste, et lui persuader de n'avoir aucune angoisse à la rencontre de son frère. Jacob l'ayant saisi par la largeur de sa cuisse, la largeur de la cuisse de Jacob s'engourdit en luttant avec lui. (Ibid.) Ensuite, afin que Jacob apprît quelle était la puissance de celui qu'il croyait lutter contre lui, le mystérieux lutteur lui dit : Laisse-moi partir, car le matin se lève. (Ibid. 26.) Ce juste donc s'apercevant quelle était la puissance de celui qui lui parlait, répondit : Je ne vous laisserai point partir que vous ne m'ayez béni. (Ibid.) J'ai été jugé digne de grands bienfaits et au-dessus de mon mérite. Je ne vous laisserai donc point que vous ne m'ayez béni. — Quel est ton nom? ( Ibid. 27.) Voyez encore jusqu'où Dieu s'abaisse. Ne savait-il pas, sans le demander, le nom de ce juste? Assurément il le savait, mais il veut augmenter sa foi par cette demande et lui apprendre quel est celui qui s'entretient avec lui. Lors donc qu'il eut répondu Jacob, Dieu lui dit : Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël sera ton nom, parce qu'ayant été fort avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes. (Ibid. 28.) Vous avez compris comment Dieu lui a révélé la cause d'une telle condescendance; en même temps il enseigne à ce juste, par le nom qu'il lui donne, quel est Celui qu'il a vu et qui a daigné se laisser retenir par lui: Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël. Or, Israël se traduit par voyant Dieu. Puis donc que Dieu a daigné se montrer à toi, autant qu'il est possible à un homme de le voir, je te donne ce surnom, afin que désormais il soit manifeste à tous de quelle vision tu as été honoré. Et il ajoute : Parce que tu as été fort avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes. Ne crains donc plus et n'appréhende plus de mal de la part de personne. Car celui qui areçu une force telle qu'il puisse lutter avec Dieu, à plus forte raison l'emportera sur les hommes et sera invincible à tous.

3. Le juste à ces paroles, frappé de la grandeur de celui qui s'entretenait avec lui, reprit : Faites-moi connaître votre nom. Et il lui répondit : Pourquoi me demandes-tu mon nom? Et il le bénit. (Ibid.29.) Comme s'il disait: Demeure dans les bornes qui te conviennent et ne dépasse pas ta mesure. Tu veux obtenir ma bénédiction : eh bien ! je te l'accorde. Il le bénit, dit le texte, et Jacob appela cet endroit: Apparence de Dieu. Car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et nia vie a été sauvée. (Ibid. 30.) Voyez-vous quelle hardiesse lui a donnée cette vision? Ma vie, dit-il, a été sauvée, vie que la crainte m'avait presque ravie. Puisque Dieu a daigné se manifester à moi face à face, ma vie a été sauvée. Et le soleil se levait, lorsque la vision de Dieu disparut. (Ibid. 31.) Vous avez vu comment Dieu condescend à l'infirmité humaine pour accomplir et gouverner toute chose, et comment il manifeste sa bonté suprême? Et ne vous déconcertez pas, mon (385) bien-aimé, de la grandeur de cet abaissement ; mais souvenez-vous qu'au temps du patriarche Abraham, lorsqu'il était assis au pied du chêne, le Seigneur a, sous la forme d'un homme, reçu avec les anges l'hospitalité du, juste, nous annonçant ainsi de loin et dès l'origine, qu'il prendrait la forme d'un homme pour délivrer la nature humaine tout entière de la tyrannie du démon et pour la conduire au salut.

Comme ce n'était alors que le principe et le prélude de l'Incarnation, il ne se manifestait à chaque patriarche que sous une forme apparente, comme lui-même le dit parle Prophète : J'ai multiplié les visions , et des images de moi se sont produites sous la main des prophètes. (Osée, XII, 10.) Mais quand il a daigné prendre la forme d'un esclave et entreprendre notre régénération, ce n'est point sous une forme apparente et fantastique, c'est en réalité qu'il s'est revêtu de notre chair. Aussi, a-t-il consenti à embrasser notre condition , tout entière, à naître d'une femme, à être petit enfant, à être enveloppé de langes, à être allaité, à supporter toutes nos misères, afin de bien établir la foi en la réalité de l'Incarnation, et de fermer la bouche aux hérétiques. C'est pour cela qu'il dort sur la barque., qu'il voyage et se fatigue, qu'il supporte toutes les misères humaines, afin de pouvoir confirmer pleinement par des faits la foi de chacun. C'est pour cela qu'il comparaît au tribunal, qu'il est mis en croix, qu'il souffre une mort infamante et qu'il est mis dans le tombeau, afin que le mystère de l'Incarnation soit prouvé jusqu'à l’évidence. Car, s'il n'avait pris en réalité notre chair, il n'eût pas été crucifié, ne serait pas mort, n'eût pas été enseveli et ne serait pas ressuscité. Et, s'il ne fùt pas ressuscité, toute la doctrine de l'Incarnation serait bouleversée. Voyez-vous dans quelle absurdité tombent ceux qui ne veulent pas adopter la règle suprême de l'Ecriture divine, mais tout soumettre à leurs propres raisonnements? Mais de même que la vérité est ici manifeste, de même au temps de ce juste, il n'y en avait qu'une figure qui devait confirmer sa croyance en la Providence dont il était l'heureux objet, sa croyance qu'il était invincible à quiconque voudrait lui dresser des embûches. Ensuite, afin que personne à l'avenir n'ignorât la vision qu'il avait eue, il boita de la cuisse. Et, c'est à cause de cela que, jusqu'à ce jour, les enfants   d'Israël, ne mangent pas du nerf de la cuisse qui s'est engourdi, parce que Jacob a touché la largeur de la cuisse, qui s'est engourdie. (Ibid. 31-2.) Parce que ce juste, après avoir rempli sa carrière, devait quitter la vie, il fallait que la tendresse vigilante de Dieu envers lui et cet abaissement immense fussent connus de toutes les générations ; c'est pourquoi il dit : Que les enfants d'Israël ne mangent point ce nerf de la cuisse qui s'est engourdi. Connaissant toute leur ingratitude et leur oubli des bienfaits divins, il a employé ce moyen de conserver en eux la perpétuelle mémoire de ses bienfaits; il leur en a fait conserver des monuments dans ses observances : c'est ce que l'on trouve partout dans l'Ecriture. Et telle est surtout la cause du plus grand nombre des observances : il a voulu que les générations qui se succèdent ne cessassent jamais de méditer les bienfaits divins et ne revinssent point, par l'oubli qu'ils en feraient, à l'égarement qui leur était naturel; car telle était surtout la coutume de la race des Juifs. Ce peuple, qui montra si souvent son ingratitude pour les bienfaits, eût., bien davantage encore, éloigné de sa pensée ce que Dieu avait fait pour lui, s'il n'en eût point été ainsi. Mais, voyons la suite, voyons comment s'opéra la rencontre de Jacob avec son frère.

Ayant donc reçu un suffisant encouragement ; ainsi que l'assurance qu'il serait fort et puissant parmi les hommes : Jacob leva les yeux, dit le texte, et il vit Esaü, son frère, et quatre cents hommes avec lui. Et il partagea ses enfants entre Lia, Rachel et les deux servantes. Il mit en première ligne les deux servantes et leurs enfants, puis Lia et les siens, enfin Rachel et Joseph. Et lui-même marcha en avant et s'inclina sept fois vers la terre, jusqu'à ce qu'il se fût approché de son frère. (Gen. XXXIII, 1-3.) Voyez comment, après cette division, il va le premier à la rencontre d'Esaü. Et il s'inclina sept fois vers la terre, jusqu'à ce qu'il se fût approché de son frère, entraînant Esaü par son attitude et ses profondes salutations à se montrer amical envers lui; ce qui arriva en effet. Esaü, dit le texte, accourut, le prit dans ses bras et lui donna un baiser, et il s'inclina sur son cou, et ils pleurèrent tous deux. (Ibid. 4.)

4. Voyez comment Dieu gouverne toutes choses : Ce que je vous disais hier, je le dis encore (386) aujourd'hui, que, lorsque le Maître de l'univers veut nous témoigner sa tendresse vigilante, il sait rendre plus doux que des brebis ceux qui ont des sentiments hostiles à notre égard. Considérez quel changement Esaü témoigne : Il accourut à sa rencontre, le prit dans ses bras et lui donna un baiser, et ils pleurèrent tous deux. A peine le juste a-t-il pu respirer et secouer sa crainte; à peine est-il délivré de son inquiétude et s'est-il enhardi : Esaü, dit l'Écriture, ayant levé les yeux, vit les femmes et les enfants, et dit: Sont-ils à toi? (Ibid. 5.) A la vue des richesses de son frère, il fut frappé d'étonnement; aussi voulut-il l'interroger. Et que lui dit le juste? Ce sont les enfants que la miséricorde de Dieu a donnés à ton serviteur. (Ibid.) Voyez quelle est la force de la douceur et comment, par l'humilité de ses paroles, il contenait la colère d'Esaü : Les servantes et les enfants s'approchèrent; Lia et Rachel s'inclinèrent, et il dit : Sont-ils tous à toi, ces camps que j'ai rencontrés? Et Jacob répondit: c'était pour que ton serviteur trouvât grâce devant toi. (Ibid. 6-8.)

Voyez, je vous prie, comment son extrême humilité l'a rendu maître de son frère, et comment celui qu'il pensait être rempli d'une brutale inimitié contre lui, il l'a trouvé si doux qu'il veut mettre à son service tout ce qui lui appartient. Esaü lui dit : Je suis riche, mon frère, garde ce qui t'appartient. (Ibid. 9.) Mais Jacob ne le souffrit .pas, et montrant combien il avait d'empressement à posséder ses bonnes grâces, il reprit : Si j'ai trouvé grâce devant toi, accepte des présents de mes mains, car j'ai vu ton visage, comme on verrait le visage de Dieu. (Ibid. 40.) Accepte, lui dit-il, les présents qui te sont offerts de ma part. Car j'ai eu à voir ton visage une joie semblable à celle qu'on aurait en voyant celui de Dieu. Ces paroles, le juste les disait par déférence, pour l'adoucir et l'amener à l'amitié d'un frère. — Et tu m'aimeras, voulant dire : Tu feras à mon égard ce qu'il convient que tu fasses. Reçois donc ces bénédictions que je t'ai apportées, parce que Dieu a eu pitié de moi et que rien ne me manque. (Ibid. 11.) Ne refuse pas de l'accepter, lui dit-il, car tout cela m'a été donné par Dieu; c'est lui qui m'a fait obtenir\tout cela. Ainsi Jacob instruisait doucement son frère des soins que la Providence divine daignait avoir de lui, et le préparait à lui témoigner un grand respect. Et il l'obligea d'accepter ses présents. (Ibid.)

Voyez ensuite quel changement. Esaü dit: Partons et marchons devant nous. (Ibid.12.) Comme s'il eût dit : Désormais nous voyagerons ensemble. Mais Jacob lui fait une demande fondée sur un motif plausible. Mon seigneur sait que les enfants sont plus délicats que nous, les brebis et les vaches mettent bas; si donc je les presse durant un jour, ils mourront. (Ibid. 13.) Je ne puis, dit-il, abréger mon voyage, mais je suis contraint de marcher lentement et à petites journées, à cause de mes enfants et de mes troupeaux, afin qu'ils ne succombent pas à un excès de fatigue. Marche donc toi-même, et moi, diminuant la fatigue de mes enfants et de mes bestiaux, j'irai te rejoindre à Séir. (Ib. 14.) Son frère alors lui dit : Si tu le veux, je vais te laisser quelques-uns de ceux qui m'accompagnent (Ibid. 15), lui témoignant son respect et sa com. plaisance. Mais Jacob n'accepte pas même cette offre : Il me suffit, lui dit-il, d'avoir pleinement trouvé grâce devant toi. (Ibid.) Ce que je désirais avec empressement, c'était de te trouver favorable. Puisque je l'ai obtenu, je n'ai plus besoin d'autre chose. Et Jacob partant de là, alla camper avec ses troupeaux; et il appela ce lieu : les Tentes. (Ibid. 17.)

5. Écoutons ces paroles, imitons le juste Jacob, montrons une humilité semblable à la sienne; et, s'il est des hommes dont les dispositions soient fâcheuses à notre égard, n'enflammons pas davantage leur colère, mais apaisons leur haine par la; douceur et l'humilité de notre langage et de nos actions; portons remède au mal de leur âme. Voyez la sagesse de ce juste, voyez comment la courageuse patience de son langage a si bien adouci Esaü, qu'il cherche à lui témoigner de la déférence et veut de toute façon lui faire honneur. Le fait d'une grande vertu, ce n'est pas de s'appliquer à chérir ceux qui sont envers nous ce qu'ils doivent être, mais d'attirer à nous, par notre grande indulgence, ceux qui veulent nous offenser. Rien n'est plus énergique que la douceur. Comme souvent un bûcher ardent s'éteint si l'on y jette de l'eau, de même la colère, plus enflammée qu'une fournaise, s'éteint devant un langage formulé avec douceur, et nous obtenons un double avantage, celui de témoigner de la douceur et celui de délivrer de trouble, en apaisant son irritation, la raison de notre frère. Eh ! quoi (387) donc, dites-moi, ne blâmez-vous pas, n'accusez-vous pas votre frère de sa colère et de ses dispositions hostiles à votre égard? Pourquoi donc ne pas vouloir vous efforcer de marcher dans une voie différente? pourquoi vouloir vous irriter plus que lui? On ne peut éteindre le feu avec du feu; telle n'est pas sa nature. Une colère ne saurait éteindre une autre colère; mais ce que l'eau est au feu, la bonté et la douceur le sont à l'emportement. C'est pour cela que le Christ disait à ses disciples : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? (Matth. V, 46.) Puis, afin de s'emparer de leur âme en les faisant rougir et de toucher ceux qui veulent négliger sa loi, il ajoute : Les publicains n'en font-ils pas autant ? Le. plus lâche ne le fait-il pas bien; et les publicains ne s'y montrent-ils pas empressés? Qu'y a-t-il de pis qu'un publicain? cependant vous trouverez ce devoir pleinement rempli par eux, et il n'est pas possible de ne pas aimer aussi, quand on est aimé soi-même. Mais moi qui veux que vous soyez plus parfaits, et que vous ayez une vertu qu'ils n'ont pas, je vous avertis d'aimer même vos ennemis. C'est ce qu'a fait ce bienheureux Jacob, avant la loi donnée, avant cet enseignement extérieur, mais par l'impulsion de sa conscience et de son extrême bonté; c'est ce qui l'a fait triompher d'abord de Laban, et maintenant de son frère. Car, s'il a joui de l'assistance d'en-haut, il a aussi montré les qualités de son âme. Soyons de même persuadés que, quelque multipliés que soient nos efforts, nous ne pourrons réussir sans la protection d'en-haut. Et de même que, sans cette divine assistance, nous ne pourrions accomplir aucun de nos devoirs, de même, si nous n'y apportons ce qui dépend de nous, nous ne saurions obtenir cette protection. Faisons donc avec zèle ce qui dépend de nous, afin d'attirer sur nous les tendres soins de Dieu, en sorte que, par notre zèle et par la bonté divine, notre vertu se fortifie de jour en jour et que nous jouissions de l'abondance de la grâce d'en-haut, que je vous souhaite à tous d'obtenir, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel soient, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, Honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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