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HOMÉLIE XXIII. C'EST PAR LA FOI QUE NOÉ, DIVINEMENT AVERTI, ET APPRÉHENDANT CE QU'ON NE VOYAIT PAS ENCORE, BÂTIT L'ARCHE POUR SAUVER SA FAMILLE, ET EN LA BÂTISSANT CONDAMNA LE MONDE, ET DEVINT HÉRITIER DE LA JUSTICE QUI NAIT DE LA FOI. (CHAP. XI, 7-12)

 

 

Analyse.

 

1 et 2. Exemple de Noé, et de sa foi à la prédiction qui lui annonçait le déluge, tandis qu'un monde 'railleur et indifférent se moquait de le voir construire l'arche. — Exemple d'Abraham, et de sa foi à la parole de Dieu, qui lui montrait la terre promise à lui et à sa postérité. — Il crut ainsi que Isaac et Jacob, Mien qu'ils n'aient pas vu l'accomplissement de la promesse. —  En effet, si Dieu a donné aux saints patriarches quelque bien-être terrestre, cette récompense était loin d'acquitter ses promesses divines . — Aussi les saints, dédaignant les biens de la terre , saluaient par avance la cité à venir, comme le navigateur salue le port désiré. — La foi de Sara, son rire désavoué, sa fécondité miraculeuse.

3 et 4. Longue et magnifique supplication où le saint orateur, le père de tant de fidèles, développe sans art et avec un pathétique sublime les motifs les plus touchants de conversion. —  Jamais prédicateur n'a poussé des cris plus douloureux ni plus éloquents : mais toute analyse ou résumé est impossible.

 

1. « C'est par la foi que Noé, divinement averti... » L'apôtre rappelle ici le fait dont le Fils de Dieu parle ainsi, à propos de son second avènement « Au temps de Noé, les hommes épousaient des femmes, et les femmes épousaient des maris ». (Luc, XVII, 27.) Voilà du reste un exemple que saint Paul choisit à dessein. Celui d'Enoch rappelait seulement un acte de foi, mais l'histoire de Noé montre à côté d'elle un fait d'incrédulité. La plus sûre manière de consoler et d'exciter celui qui vous écoute, c'est de lui montrer les vrais fidèles en possession du bonheur, et l'incrédule frappé d'un sort contraire. Mais pourquoi dit-il littéralement.: « Noé, par la foi, ayant reçu une réponse ?» Comprenez « prédiction » ; car réponse et prophétie sont synonymes dans l'Ecriture. Elle dit ailleurs : « Siméon avait reçu une réponse de l'Esprit-Saint » (Luc, II, 26) ; et Paul demande dans le même sens: « Que dit la réponse divine ? » (Rom. XI, 4.) Voyez, en passant, que le Saint-Esprit est Dieu : Dieu répond, mais l'Esprit Saint aussi et comme lui. Et pourquoi saint Paul a-t-il choisi ce mot pour Noé? Afin de montrer dans cette « réponse » une prophétie. — Ayant reçu réponse de ce qu'on ne voyait pas encore », c’est-à-dire, au sujet du déluge; par crainte et par précaution, « il construisit l'arche ». La raisonne lui suggérait point cette action. « Car les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris »; le ciel était serein, rien n'annonçait l'événement, et cependant Noé craignit; car, dit l'apôtre : « C'est par la foi que Noé, divinement averti et appréhendant ce qu'on ne voyait point encore, bâtit l'arche pour sauver sa famille ».

Que veulent dire les mots suivants : « Et en la bâtissant, il condamna le monde ? » —   Qu'il le montra digne du supplice, puisque la vue de cette construction ne put porter les hommes ni à s'amender, ni même à se repentir, « et il devint héritier de la justice qui naît de la foi », comprenez : Parce qu'il crut à Dieu, il se montra,juste et saint. Car cela est comme naturel à un cœur quai aime Dieu franchement et qui regarde par là même ses paroles comme tout ce qu'il y a de plus croyable au monde; l'incrédulité fait tout le contraire. Il est évident que la foi opère la justice. Or, comme nous avons, nous, la prophétie de l'enfer, ainsi Noé avait-il aussi sa prophétie. Mais on se moquait de lui, alors; on l'accablait de mépris et de railleries; mais il n'y prêtait aucune attention.

« C'est par la foi que celui qui reçut plus tard le nom d'Abraham, obéit, en s'en allant dans la terre qu'il devait recevoir en héritage ; c'est par la foi qu'il partit sans savoir même ou il allait; c'est par la foi qu'il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentés avec Isaac et Jacob, qui devaient être avec lui héritiers de cette promesse (8, et 9) ». Quel modèle, dites-moi, Abraham put-il voir et, imiter? Né d'un père idolâtre et gentil, n'ayant point entendu dé prophètes, il ne savait même où il allait. Volontiers les Hébreux devenus chrétiens avaient les yeux fixés sur ces patriarches, supposant qu'ils avaient , été comblés des biens de ce monde. Saint Paul montre qu'aucun d'eux n'a reçu la moindre chose, que tous furent absolument privés de ce genre de salaire ; que pas un ne trouva ici-bas sa récompense. Abraham, lui, sortit même de sa patrie et (548) de ses foyers, et sortit sans savoir où il allait. Et qui s'étonnera du sort fait au père, lorsque ses fils habitèrent le monde aux mêmes conditions que lui? Il ne vit pas s'accomplir la promesse, et toutefois ne se découragea point ; Dieu avait dit : « Je te donnerai cette terre, et à ta postérité ». (Gen. XII, 7.) Abraham vit son fils toutefois y habiter précairement ; le petit-fils à son tour séjourna sur une terre étrangère, sans se troubler davantage. Abraham, pour sa part, pouvait s'attendre à cette vie nomade, puisque la promesse, embrassant sa postérité, ne devait à la rigueur avoir sa réalisation que dans l'avenir. Encore est-il vrai de dire que la promesse s'adressait aussi à lui : « A toi et à ta postérité », disait-elle, non pas à toi dans la personne de tes enfants, mais à toi et à eux. Et toutefois ni lui, ni Isaac, ni Jacob ne recueillirent le fruit de cette promesse. Jacob servit comme mercenaire; Isaac dut subir plus d'un exil ; Abraham sortit de cette terre promise, d'où la crainte le chassait, il lui fallut recouvrer ses biens à main armée; et il eût, d'ailleurs, perdu tout ce qu'il avait, si Dieu ne l'eût secouru. Cela vous explique pourquoi saint Paul a dit : « Abraham, et ceux qui devaient être avec lui héritiers de la promesse » ; et il marque mieux encore cette communauté de leurs épreuves, en ajoutant : « Tous ces saints moururent dans la foi, sans avoir reçu les biens que Dieu leur avait promis ».

Deux questions se présentent naturellement à résoudre ici. Comment, après avoir dit que Dieu enleva Enoch, pour qu'il ne vit pas la mort, de sorte qu'on ne le trouva plus, l'apôtre ajoute-t-il ensuite : « Tous ces saints mouraient?» Second problème : « Sans recevoir l'effet des promesses », dit-il ; et cependant il déclare que Noé reçut comme récompense le salut de sa famille, qu'Enoch fut enlevé de ce monde, qu'Abel parle encore; qu'Abraham reçut une terre; ce qui ne l'empêche pas de conclure que tous ces saints moururent sans avoir reçu l'effet des promesses de Dieu. Quelle est donc la pensée de saint Paul ? Il faut résoudre ces questions l'une après l'autre. « Tous », dit-il, « sont morts dans leur foi » ; l'expression «tous », ici, n'est pas absolue dans ce sens que pas un n'ait échappé à la mort; elle signifie seulement, qu'à une exception près, tous en effet l'ont subie, tous ceux dont nous savons le trépas. Quant à la réflexion : « Sans avoir reçu « l'effet des promesses », elle est vraie de tout point ; la promesse faite à Noé, n'embrassait pas un lointain avenir.

2. Mais quelles sont les promesses de Dieu ? Isaac, en effet, et Jacob après lui, ont eu jusqu'à un certain point les promesses de la terre. Mais Noé, Enoch, Abel, quelles promesses virent-ils se réaliser? C'est donc de ces trois derniers que l'apôtre dit qu'ils n'ont rien reçu. Et si même on veut qu'il leur attribue quelque récompense, n'en était-ce pas une que cette gloire dont Abel hérita, que cet enlèvement dont Enoch fut l'objet, que ce miracle par lequel Noé fut sauvé ? Mais tout ce bonheur, loin de remplir les engagements de Dieu, n'était qu'un faible salaire de leurs vertus, et comme un avant-goût des récompenses à venir. Dieu, en effet, dès l'origine du monde, se vit comme forcé, dans l'intérêt du genre humain, à se mettre à la portée des hommes, et à leur donner non-seulement l'avenir, mais quelques biens présents. C'est dans le même dessein que Jésus-Christ disait à ses disciples : « Celui qui aura quitté maison, frères, soeurs, père et mère, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle ». Et ailleurs : « Cherchez le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Matth. XIX, 29 et VI, 33.) Voyez-vous comment il nous donne ce faible surcroît, afin de ne pas nous décourager ? Ainsi les athlètes, pendant la durée de la lutte, reçoivent quelques rafraîchissements; mais ils ne jouissent d'une trêve absolue et d'un repos complet que plus tard, lorsqu'ils ne vivent plus sous le régime, et qu'ils ont enfin droit à toute jouissance. Dieu aussi donne un peu en ce monde; mais l'entier accomplissement de ses promesses est réservé à la vie future ; et saint Paul, pour nous enseigner cette vérité, s'est exprimé en ces termes : « Ces saints ne voyant et ne saluant que de loin les promesses divines ». Il nous fait entendre ici une réalisation mystérieuse de leurs voeux ; c'est-à-dire que ces saints ont reçu tout ce que Dieu leur annonçait pour l'avenir : la résurrection, le royaume des cieux et tous les biens que Jésus-Christ venant en ce monde nous a prêchés : voilà, selon l'apôtre, les vraies promesses. Tel est donc le sens de ce passage; ou peut-être signifie-t-il seulement que sans avoir encore reçu tout l'effet des promesses divines, du moins ils sont partis de ce monde avec la confiance et la certitude de les recueillir. Or, la foi seule a pu leur suggérer cette confiance, puisqu'ils ne virent que de loin, selon saint Paul, les réalités même terrestres, dont quatre générations d'hommes les séparaient. Car ce n'est qu'après ce nombre écoulé de générations, qu'ils sortirent enfin de l'Egypte. Mais ils saluaient ces espérances, dit-il, et ils se réjouissaient. Telle était leur intime persuasion de cet avenir, qu'ils le saluaient : métaphore empruntée aux navigateurs, qui aperçoivent de loin le port désiré, et qui avant même d'entrer dans les eaux d'une ville cherchée longtemps, appellent cette cité et l'ont déjà conquise dans leurs désirs.

« Ils attendaient, en effet, la cité bâtie sur un ferme fondement, et dont le fondateur et l'architecte est Dieu lui-même (10) ». Vous voyez que, pour ces grands saints, « recevoir », c'était seulement attendre, espérer avec pleine confiance. Si donc avoir confiance, c'est avoir reçu déjà, nous pouvons, nous aussi, recevoir. Bien que non encore en possession, ils voyaient déjà, par le désir, les promesses remplies. Pourquoi tous ces faits allégués ? Pour nous donner une sainte honte à nous : car ces patriarches avaient des promesses pour ce monde même, mais ils n'y prêtaient point attention et cherchaient la cité à venir; tandis que nous, à qui Dieu ne cesse de parler de la cité d'en-haut, nous cherchons celle d'ici-bas. Dieu leur a dit à eux : Je vous donnerai les biens présents. Mais bientôt il les a vus, ou plutôt eux-mêmes (549) se sont montrés dignes de biens plus nobles, n'ayant pas même voulu se lier à ceux de la terre.

Il me semble voir proposer à un sage certaines récompenses puériles, non qu'on veuille les lui faire agréer, mais pour lui donner occasion de montrer sa philosophie, parce qu'il demandera plus et mieux. L'apôtre a ainsi le dessein de nous montrer que les saints avaient à l'égard des choses terrestres, un si noble et si beau détachement, qu'ils ne voulaient pas même recevoir ce qu'on leur en offrait. Et c'est pourquoi leurs descendants les reçoivent, car eux, hélas! sont dignes de la terre.

Mais qu'est-ce que « la cité qui a des fondements solides? » C'est-à-dire que les fondations de ce monde ne méritent pas ce nom, si on les compare avec ceux de la cité dont Dieu est le fondateur et l'architecte. Ciel ! quel admirable éloge de cette cité d'en-haut ! « Sara eut aussi la foi (11) ». Exemple parfaitement choisi pour faire rougir les Hébreux, puisqu'ils ont montré un cœur plus petit et plus étroit que celui d'une femme. Mais, objecterez-vous, comment, elle qui a ri si malencontreusement , est-elle ici vantée comme fidèle? Ce rire était, en effet, d'une infidèle; mais sa crainte aussitôt prouva sa foi. « Je « n'ai pas ri », s'écria-t-elle ; ce désaveu montre la foi qui rentre dans son coeur, et en bannit l'incrédulité. Donc : « C'est aussi par la foi que Sara étant stérile, reçut la vertu de concevoir un enfant, et qu'elle le mit au monde, malgré son âge avancé ». Qu'est-ce que la vertu de concevoir? C'est-à-dire qu'elle devint féconde, elle qui était déjà comme morte et qui était encore stérile. Il y avait deux obstacles : son âge, car elle était vieille; sa complexion, car elle était stérile.

« C'est pourquoi il est sorti d'un seul homme et qui était déjà mort, une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel, et que les grains de sable sans nombre au bord de la mer (12) ». Ainsi cette multitude sortit d'un seul homme, d'après l'apôtre; c'est dire que non-seulement il rendit mère sa femme Sara, mais qu'elle le fut d'un nombre d'enfants tel que n'en produit pas le sein le plus fécond. Autant que d'étoiles, ajoute-t-il. Comment, alors, l'Ecriture en a-t-elle fait souvent le dénombrement, elle qui disait : comme on ne peut nombrer les étoiles du ciel, ainsi votre postérité sera innombrable? — Vous verrez ici ou bien un langage hyperbolique, ou bien une allusion à cette postérité réellement incalculable que la génération multiplié tous les jours. On peut dresser, en effet, la généalogie exacte d'une famille, mais de telle ou telle famille déterminée ; tandis que le dénombrement est impossible s'il s'agit de la race tout entière comparée aux étoiles.

3. Telles sont les promesses de Dieu ; telle est la facilité que nous avons d'en gagner la réalisation. Or, si ce qu'il a promis comme par surcroît est cependant si admirable, si magnifique et si splendide, de quelle nature seront les biens dont ceux-ci ne sont que le faible accessoire et comme la surabondance? Quel bonheur est plus grand que d'acquérir ces biens parfaits, et quel malheur plus grand que de les perdre ? Un banni, rejeté du sol de sa patrie, un malheureux déshérité, font pitié à tous les hommes : mais celui qui est déchu du ciel, et de tous les biens que le ciel nous garde, n'a-t-il pas droit d'être pleuré avec des torrents de larmes? Hélas ! non ! Il ne mérite point nos pleurs! On en verse sur la victime de malheurs involontaires; mais pour celui qui s'y précipite lui-même, par l'abus coupable de son libre arbitre, il mérite plus que nos larmes; il lui faut nos lamentations et un deuil sans fin, car Notre-Seigneur Jésus-Christ a pleuré Jérusalem, bien qu'elle fût ingrate et impie ; et nous aussi, nous sommes dignes de gémissements sans fin, de lamentations sans mesure . Et quand même l'univers nous prêterait ses rochers, ses arbres, ses plantes, ses animaux terrestres et aériens; quand le monde entier, pour mieux dire en un mot, emprunterait des millions de voix et pleurerait sur nous qui sommes déchus de si grands biens, non, le deuil du monde, cette lamentation universelle, ne serait pas à la hauteur d'une telle infortune !

Quel langage si sublime, en effet, quelle intelligence pourrait expliquer ce bonheur, cette puissance, cette volupté, cette gloire, cette joie, ces splendeurs que « l'œil de l'homme n'a point vues, que son oreille n'a pas entendues, que son coeur n'a jamais soupçonnées, et que cependant Dieu a préparées à ceux qui l'aiment ». (I Cor. 11, 9.) L'Ecriture, qui parle ainsi, ne dit pas seulement que cette félicité surpasse notre intelligence, mais que jamais personne n'a pu concevoir les biens que Dieu réserve à ses amis. Et, de fait, de quelle nature ineffable ne doivent pas être des biens que Dieu même veut préparer et créer? Si, aussitôt après nous avoir faits, antérieurement à toute bonne action de notre part, il daignait accorder à notre nature humaine tant de grâces, le paradis, la familiarité de ses entretiens, l'immortalité et la, promesse d'une vie bienheureuse et sans aucun chagrin ; que ne donnera-t-il pas à ceux qui pour son service auront fait tant de choses, soutenu vaillamment tant de combats et de souffrances? Pour nous, en effet, il n'a pas épargné son Fils unique, il l'a livré pour nous à la mort. Si donc il a daigné nous honorer de tant de faveurs, alors que nous étions ses ennemis, quelle grâce nous refusera-t-il, une fois son amitié reconquise ? Que ne donnera-t-il pas, après nous avoir réconcilié avec lui ? pieu est si riche, et toutefois il ambitionne et désire de gagner notre amitié : et nous bien-aimés frères, nous n'avons point ce désir !

Que dis-je, Nous ne désirons pas? Ah! nous avons, moins que Dieu même, la volonté de conquérir le bonheur qu'il nous offre. Lui , par des actes inouïs de bonté , a fait preuve de son bon vouloir; et nous, quand il y va de tout nous-même, nous ne savons pas mépriser un peu d'or, lorsque Dieu pour nous a donné son propre Fils. Profitons, enfin, comme il le faut, de ce divin amour; exploitons cette adorable amitié! « Vous êtes mes amis», nous dit-il, «si vous faites ce que je vous prescris ». (Jean, XV, 14.) Grand Dieu ! de vos ennemis, séparés de vous par la distance de (550) l'infini, et que vous surpassez d'une manière incomparable, vous faites des amis et vous leur en donnez le nom! Pour une amitié pareille, que ne devrions-nous pas souffrir volontiers? Et pourtant nous bravons les dangers pour gagner une amitié humaine, lorsque, pour, celle de Dieu, nous ne dépensons pas même notre argent! Oui, je le répète , notre état mérite les pleurs, le deuil, les gémissements , les lamentations , les sanglots ! Déchus de notre espérance, tombés de notre rang sublime, nous nous montrons indignes de l'honneur que Dieu nous a fait. Oublieux et ingrats, après tant de faveurs, dépouillés de tous nos biens par le démon, nous que le Seigneur avait élevés jusqu'au rang d'enfants, de frères, de cohéritiers, nous sommes en tout semblables à ses ennemis les plus outrageux.

Quelle consolation ou espérance pourra nous rester encore? Dieu nous appelle au ciel : et, spontanément, nous nous précipitons en enfer. Mensonge, vol, adultère se répandent sur cette terre. Le sang est versé sur le sang. Des crimes se commettent pires encore que l'assassinat. En effet, que d'opprimés, que de malheureux si tristement ruinés par l'avarice de leurs frères, qui choisiraient volontiers mille morts plutôt que ces excès de misère, et qui déjà se seraient réfugiés dans le suicide, si la crainte de Dieu ne les avait retenus, tant ils désirent se donner le coup fatal ! De tels crimes ne sont-ils pas pires que le sang versé? « Malheur à moi » , disait le Prophète, « l'homme pieux a disparu de la terre , et parmi tous les hommes il n'en est plus un seul qui fasse le bien ! » (Michée, VII, 2.) Jetons ainsi sur nous-même ce cri d'alarme et de douleur; mais vous, mes frères, aidez-moi à gémir. Peut-être quelques-uns n'ont-ils encore que le rire à nous opposer. Oh! alors redoublons nos lamentations, en rencontrant parmi nous cette folie, cette démence furieuse, qui ignore jusqu'à son délire, et  nous fait rire encore de ce qui devrait nous faire gémir! « O homme! la colère de Dieu se manifeste sur toute impiété et injustice des hommes ! Dieu viendra manifestement: le feu marchera devant lui, et la tempête horrible le précédera. Un feu devant sa face brillera et enflammera autour de lui tous ses ennemis. Le jour du Seigneur sera comme une fournaise ardente ». (Rom. I, 18; Ps. XLIX, 3 et XCVI, 3.) Et personne ne réfléchit à ces menaces, et des oracles si redoutables sont méprisés comme des fables; personne, qui veuille les entendre; et tous s'accordent pour en rire et s'en moquer. Par quelle voie pourrons-nous les éviter, cependant? Par où trouver notre salut? Nous sommes compromis, nous sommes perdus, vains jouets désormais de nos ennemis, moqués à la fois et des païens et des démons! Satan, à l'heure qu'il est, relève la tète, il bondit, il triomphe, il s'applaudit, tandis que les anges commis à notre garde sont accablés de tristesse. Personne qui se convertisse : nous perdons ici nos peines, puisqu'à vos yeux nous sommes des charlatans.

4. L'heure est venue par conséquent d'apostropher le ciel, puisque personne n'écoute plus notre voix: il nous faut faire appel aux éléments : « Ciel, écoutez; terre, prête l'oreille! car le Seigneur a parlé ». (Isaïe, I, 2.) O vous qui n'êtes pas encore engloutis, donnez la main, offrez le bras à tant d'infortunés; vous dont l'intelligence est saine encore, secourez tant de gens perdus par leur ivresse; sages, secourez les êtres en démence; coeurs fermes et solides, n'oubliez pas les âmes ballottées par leurs passions. Je vous en conjure, sacrifiez tout au salut de cet ami pécheur; et que vos réprimandes et vos supplications n'aient qu'un but, son intérêt. Quand la maladie envahit une maison, les esclaves mêmes dominent leurs maîtres atteints de la fièvre; tant qu'elle est là, en effet, troublant les âmes et menaçant les vies, toute la troupe de serviteurs présents à ce spectacle ne reconnaît plus la loi du maître au détriment du maître. Convertissons-nous, je vous en supplie : guerres de chaque jour, inondations, morts de tous côtés menaçantes et sans nombre, la colère de Dieu, enfin, nous environne de toutes parts. Et l'on nous voit aussi calmes, aussi exempts de crainte, que si nous étions agréables au souverain Maître ! Nos mains sont toutes et toujours disposées à s'enrichir par l'avarice; aucune n'est prête à secourir par charité; tous acceptent le rôle de ravisseur, aucun celui de défenseur. Chacun n'a que l'idée fixe d'augmenter ses richesses; aucun, la pensée de venir en aide à l'indigent. Tous n'ont qu'une crainte et la formulent ainsi : Nous ne voulons pas être pauvres! mais personne. ne tremble ni ne frissonne, de peur de tomber en enfer. Voilà ce qui mérite nos lamentations, ce qu'on ne saurait trop accuser, trop blâmer !

Je ne voulais pas vous tenir ce langage; mais la douleur m'y force. Oui, pardonnez à cette douleur qui, malgré moi, me fait parler contre mon coeur. Je vois des menaces terribles, des malheurs auxquels on ne peut apporter de consolation; les maux qui nous ont envahis sont au-dessus de tout soulagement humain : nous sommes perdus! « Qui donnera de l'eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes » (Jérém. IX, 1), pour pleurer dignement? Oui, pleurons, mes frères, pleurons et gémissons. Il en est peut-être qui disent : Il ne nous parle que de lamentations, il ne veut que des larmes ! Ah ! c'est bien malgré mon coeur, croyez-le; c'est bien malgré mon coeur; je voudrais plutôt vous donner continuellement l'éloge et les louanges ! Mais c'est maintenant le temps des pleurs ! Et ce n'est pas le gémissement qui est pénible, ô mes bien-aimés; c'est plutôt qu'on commette ce qui mérite le gémissement. Ce ne sont pas les larmes qu'il faut éviter, mais les actions qui méritent les larmes. Ne soyez pas punis, et je cesse de gémir; ne mourez point, et mes larmes s'arrêtent. Mais quoi ! devant un cadavre vous demandez à tous un tribut de pitié, vous appelez cruels ceux qui ne gémissent point, et vous voulez que je ne pleure pas une âme qui périt! Mais puis-je être père sans pleurer ? car je suis votre père, plein de bon vouloir et d'amour. Ecoutez ce cri de Paul : « Mes petits enfants, que je mets au monde dans la douleur ! » (Gal. IV, 19.) Quelle mère dans l'enfantement pousse des cris plus douloureux? Plût à (551) Dieu que vous puissiez voir ce feu qui me dévore; vous avoueriez que je suis brûlé par le chagrin, tout autant qu'une mère ou qu'une épouse jeune encore, et veuve avant le temps! (:elle-ci pleure moins son époux, un père pleure moins son fils, que je ne gémis sur cette multitude des nôtres chez lesquels je n'aperçois aucun progrès dans le bien.

On n'entend retentir que calomnies ou médisances cruelles. Lorsque chacun devrait uniquement se faire un devoir de servir Dieu, on entend dire : Parlons mal d'un tel et d'un tel; de celui-ci encore qui n'est pas digne d'appartenir au clergé, tant sa conduite est honteuse et déshonorante. Il nous faudrait déplorer nos péchés personnels, et nous jugeons les autres; lorsque nous n'aurions pas ce droit, quand même nous serions purs. de tout péché. Car, dit l'apôtre, « qui donc vous distingue? Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? Et si vous l'avez reçu, comment vous en glorifiez-vous comme si vous. ne l'aviez pas reçu?» (I Cor. IV, 7.) Et vous, comment jugez-vous votre frère, étant vous-même couvert de plaies sans nombre ? Quand vous aurez répété de lui: C'est un méchant, un pervers, un scélérat, ramenez votre pensée sur vous-même; sondez-vous, examinez-vous avec soin, et vous regretterez ce que vous aurez dit. Car aucune exhortation au monde, non, aucune ne vaut le souvenir de vos péchés. Si nous pratiquons au reste ces deux -points, nous pourrons gagner les biens promis, nous pourrons nous laver et nous purifier. Ayons seulement bien soin d'y penser et de porter là tous nos efforts, mes bien-aimés frères; livrons-nous en cette vie à la sainte douleur de l’âme, afin d'éviter dans l'autre l'inutile douleur du supplice; ainsi nous jouirons du bonheur éternel, d'où seront bannis la douleur, le deuil, le gémissement; ainsi nous atteindrons les biens impérissables qui surpassent toute intelligence humaine, en Jésus-Christ Notre-Seigneur à lui soit la gloire , aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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