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HOMÉLIE XXXIV. OBÉISSEZ A VOS CONDUCTEURS ET SOYEZ-LEUR SOUMIS, AFIN QU'AINSI QU'ILS VEILLENT POUR LE BIEN DE VOS AMES, COMME DEVANT EN RENDRE COMPTE, ILS S'ACQUITTENT DE CE DEVOIR AVEC JOIE, ET NON EN GÉMISSANT; CE QUI NE VOUS SERAIT PAS AVANTAGEUX. (XIII, 17 JUSQU'A LA FIN.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Prélude sur l'obéissance en général. — Dangers de l'anarchie. — Distinction entre l'autorité et l'homme qui en est revêtu. — Les Hébreux n'ont que de bons chefs spirituels. — Ceux-ci, quand on leur désobéit, ont une seule et redoutable (596) manière de se venger : c'est de gémir ; Dieu se fera leur vengeur. — Terrible passage sur le salut des prêtres parvenus par ambition. — Derniers voeux de saint Paul en faveur des Hébreux. — Il leur souhaite la concorde et la grâce de Dieu.

3. Nous pouvons résister à la grâce ; elle n'habite pas dans un coeur avec l'esprit du monde. — La grâce est comme le vent qui enfle les voiles d'un navire; mais il faut que la voilure soit tendue, et, de même, que notre coeur soit résolu. — Une demi-volonté n'est qu'une toile d'araignée; tandis qu'un coeur ferme tient bon contre toutes les épreuves. — Rien ne résiste au feu rien non plus ne résiste à un coeur enflammé.

 

1. L'anarchie est partout un mal, une source de calamités infinies, un principe de désordre et de perturbation ; ruais elle est d'autant plus pernicieuse dans l'Eglise en particulier, que chez elle le pouvoir est plus grand et plus sublime. Supprimez le chef d'orchestre, le choeur ne connaît plus l'harmonie ni le concert; enlevez à une armée son général, l'ordre est brisé, la discipline anéantie dans les bataillons; arrachez le pilote à sa barre, le vaisseau fera naufrage ; séparez du troupeau le pasteur, tout est dispersé : ainsi l'anarchie `est un mal, une cause de ruine. Mais, en retour, la désobéissance des sujets n'est pas un moindre mal ; car elle produit les mêmes malheurs. Un peuple qui n'obéit plus à son chef, ressemble à un peuple sans chef; il est même pire encore. En effet, on pardonne, dans un cas, à ceux qui ne savent se garder du désordre et des excès; dans l'autre cas, loin d'excuser, on punit.

Mais, objectera-t-on peut-être, il y a un troisième mal, c'est d'avoir un mauvais chef. Je le sais ; ce n'est pas un petit malheur; c'est pis, alors, bien pis même que l'anarchie- Mieux vaut n'être conduit par aucun guide, que de l'être par un mauvais. Livré à soi-même, on peut se jeter dans le péril et l'on peut aussi y échapper ; mais, mal conduit, on ira nécessairement à la malheure, on sera entraîné au précipice.

Comment donc saint Paul dit-il : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis ? » ayant déclaré précédemment : « Considérant la fin de leur vie, imitons leur foi », c'est seulement après cela qu'il ajoute : Obéissez, soyez soumis ? — Donc, objecterez-vous, que faire ? Et si le chef est mauvais, faudra-t-il ne pas obéir ? — Mauvais, dites-vous; mais en quel sens ? Si c'est : mauvais du côté de sa foi, fuyez-le, oui, évitez-le, non-seulement s'il n'est qu'un homme, rirais quand même il serait un ange descendu du ciel ! Si c'est au contraire : mauvais du côté de sa conduite, n'approfondissez pas ce point. Ne croyez pas, du reste, que cette distinction m'appartienne; je l'emprunte à la divine Ecriture. Ecoutez l'oracle de Jésus-Christ : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ». (Matth. XXIII, 2.) C'est après avoir fait contre eux de graves accusations qu'il prononce ces paroles : « Ils sont  assis sur la chaire de Moïse ; faites donc, tout ce « qu'ils vous disent; mais ne faites pas ce qu'ils font ». Ils sont en dignité, vous dit-il, bien que leur vie soit impure; vous, n'étudiez pas leurs moeurs, mais leur enseignement.

En effet, leurs moeurs ne peuvent causer aucun dommage spirituel à personne. Pourquoi ? c'est que, par elles-mêmes, elles sont évidemment mauvaises à tous les yeux ; et que ce maître, fût-il mille fois mauvais, n'enseignera jamais le mal. Du côté de la foi, au contraire, leur perversité est moins évidente pour les masses, et le docteur mauvais en ce genre ne craindra pas d'enseigner l'erreur. Aussi le précepte : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés », s'entend de la conduite, et non de la foi. Le contexte le prouve : « Car, pourquoi », dit Jésus-Christ, « voyez-vous une paille dans l'oeil de votre frère, tandis que vous ne remarquez pas la poutre qui est dans votre oeil ? Faites donc tout ce qu'ils vous disent». (Matth. VII, 1.) Faire est la fonction de la conduite et non de la foi. Voyez-vous que. Notre-Seigneur ne parle pas là des dogmes, mais de la vie et des oeuvres ?

Quant aux maîtres des Hébreux, saint Paul les a loués, en disant : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez-leur soumis; car eux-mêmes veillent pour le bien de vos âmes, comme devant en rendre compte ». Que les chefs donc ici l'entendent aussi bien que les sujets : autant il est requis d'obéissance dans les gouvernés, autant les gouvernants doivent-ils se montrer vigilants et modérés. Car, enfin, répondez : le maître veille, lui, sa tête est menacée, il est exposé aux dangereuses conséquences de vos fautes, et c'est à cause de vous qu'il est soumis à des craintes si redoutables; et vous, sujet, vous seriez assez lâche, assez dépourvu de coeur, assez misérable pour lui refuser l'obéissance? Aussi l'apôtre ajoute: «Obéissez, afin que vos maîtres s'acquittent de leur devoir avec joie, et non pas en gémissant, ce qui ne vous serait pas avantageux ». Voyez-vous ici, qu'un maître, même méprisé, n'a pas le droit de se venger? — Mais n'est-ce pas urne terrible vengeance contre vous que ses pleurs et ses gémissements ? — Sans doute. Car le médecin, méprisé de son malade, ne peut pas, il est vrai, se venger de lui; mais il peut sur lui pleurer et gémir. Et si vous le faites gémir ainsi, c'est Dieu qui le vengera sur volis. Car si nous gagnons Dieu. à notre cause lorsque nous pleurons nos péchés, combien plus quand nous gémissons sur l'insolence et le mépris des autres? Or, voyez-vous toutefois que Dieu ne permet pas au maître d'éclater en injures? Comprenez-vous la haute sagesse de cette loi? On ne peut que gémir, bien qu'on soit ainsi méprisé, et foulé aux pieds, bien qu'on vous crache au visage. Ne doutez pas un instant que Dieu ne soit votre vengeur : le gémissement est plus redoutable qu'aucune vengeance; car lorsque l'homme gémissant n'a rien gagné par ses pleurs, ceux-ci crient à Dieu; et de même que quand un précepteur n'est plus écouté par un enfant, l'on appelle un autre homme qui saura bien le punir plans sévèrement; ainsi en est-il au cas actuel.

Mais, ô ciel! quel péril redoutable ! Et que dire aux misérables qui se précipitent vers cet abîme infini de supplices? Pasteur, tu rendras compte de tous ceux que tu diriges, hommes, femmes, enfants; c'est à ce terrible feu que tu exposes ta (597) tête. Je m'étonne qu'un seul de ceux qui gouvernent puisse être sauvé, surtout qu'en présence de telles menaces d'une part, d'une telle lâcheté de l'autre, j'en vois quelques-uns accourir encore et se jeter sous ce redoutable fardeau du gouvernement de la maison de Dieu! Car s'il n'est point d'excuse ni de pardon pour ceux-mêmes qui s'y sont laissés traîner par force, dès que d'ailleurs ils gouvernent mal ou avec négligence; car Aaron fut traîné au pontificat par violence, et cependant il a été en péril; car Moise, aussi, fut en danger, bien qu'ayant souvent refusé le pouvoir; car Saül enfin, qui avait reçu un autre genre d'autorité malgré ses refus, joua son éternité aussi, pour avoir abusé de sa puissance : combien plus sont donc exposés ceux qui mettent tant d'âpreté à la conquérir, et qui ont eu l'audace de s'y précipiter? Un ambitieux de cette espèce , bien plus que personne, se prive par avance du pardon. Il ne peut que craindre, que trembler, et sous le poids du remords, et sous le faix du pouvoir; de telles gens ne doivent pas refuser pour une fois seulement, qu'on les traîne à l'autel, ou qu'on ne les y traîne pas; ils ne peuvent que fuir en prévision de la grandeur d'une dignité pareille. Quant à ceux qui s'y sont laissés prendre malgré eux, toujours doivent-ils être pieux et vigilants; qu'ils évitent tout excès de pouvoir; qu'ils agissent en tout dans l'ordre et le droit. Je conclus : si vous pressentez le fardeau, fuyez, bien persuadés que vous êtes indignes d'un tel honneur; et si vous l'avez reçu de vive force, n'en soyez ni moins vigilants, ni moins modestes; montrez en tout un coeur pur et humble.

2. « Priez pour nous, car nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien, n'ayant point d'autre désir que de nous conduire saintement en toutes choses (18) ». Voyez-vous comme il prend ici le ton de l'apologie ? On dirait qu'il écrit à des gens indisposés contre lui, à des frères qui le méprisent et le regardent comme un transgresseur de la loi, et qui ne peuvent même entendre prononcer son nom. Lui, cependant, qui veut exiger de ces hommes dont il est haï, les mêmes sentiments que vous demanderiez à ceux qui vous aiment, il a soin de leur dire pour cette raison : « Nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien ». Non, dit-il, ne m'objectez aucun grief; ma conscience ne me désapprouve en rien; aucun remords ne me dit que je vous aie tendu le moindre piège. Nous osons dire que notre conscience est pure en tout; n'ayant point d'autre désir que de nous conduire saintement, non-seulement aux yeux des païens, mais même à vos yeux; nous n'avons rien fait par duperie, rien par hypocrisie. Car il est vraisemblable que des calomnies de ce genre le poursuivaient. Qu'on l'eût, en effet, accusé faussement, saint Jacques même en est témoin, quand il dit

« Ils ont entendu dire que vous enseigniez la désertion de la loi ». (Act. XXI, 21.) Ainsi, dit saint Paul, je ne vous écris pas ceci en ennemi, mais en ami sincère; et il le prouve par ce qui suit : «Et je vous prie avec instance de le faire, afin que Dieu me rende plus tôt à vous (19) ». Une telle prière révélait dans l'apôtre un tendre amour pour eux ; d'autant plus que, non content dé prier simplement, il les suppliait en toute instance. — Afin que je vienne bientôt chez vous, disait-il. C'était faire preuve d'une conscience sans reproche, que de montrer un tel empressement à les revoir, et d'implorer aussi pour lui-même leurs prières. Pour le même motif, après s'être recommandé ainsi à leur piété, il leur souhaite à son tour toutes sortes de biens.

« Que le Dieu de paix... » C'est son premier mot, et il l'écrit parce que des dissensions s'élevaient parmi eux. Si donc; dit-il, notre Dieu est un Dieu de paix, gardez-vous de faire schisme avec nous. — « Le Dieu qui a tiré du sein de la terre le Pasteur de toutes les brebis » : allusion à la résurrection. — « Le Pasteur si grand » : nouvelle qualification à Jésus-Christ. Ensuite son discours se poursuit de nouveau et s'achève en leur garantissant la résurrection: «Parle sang du Testament éternel, Jésus-Christ Notre-Seigneur (20) ».

« Que ce Dieu vous rende complètement disposés à toute bonne oeuvre, afin que vous fassiez sa volonté, faisant en vous ce qui lui est agréable (21) ». L'apôtre leur rend encore un bien beau témoignage. Car ce qui ne doit être que complété, possède déjà un digne commencement et reçoit ensuite le complément. Il prie pour eux, ce qui indique un coeur affectueux et ami. Et remarquez que dans ses autres épîtres, il commence par où il finit ici, par la prière. « Qu'il fasse en vous ce qui est agréable à ses yeux, par Jésus-Christ, auquel est la gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il: Je vous supplie, mes frères, d'agréer ce que j'ai écrit pour vous consoler; car je ne vous ai écrit qu'en peu de mots (22) ». Vous voyez qu'il leur écrit ce qu'il n'a écrit à personne . « Je vous ai », dit-il, « écrit en peu de mots »; c’est-à-dire, je n'ai pas voulu vous fatiguer par de longs discours. Je pense que les Hébreux n'étaient pas fort mal disposés à l'égard de Timothée; aussi l'apôtre le leur recommande : « Sachez », dit-il, « que votre frère Timothée a été renvoyé ; et s'il vient bientôt, j'irai vous voir avec lui (23) ». Timothée avait été « renvoyé » : d'où? De la prison, je crois,où il avait été jeté; sinon, d'Athènes, car les Actes ont consigné ce fait. « Saluez de ma part tous ceux qui vous conduisent et tous les saints. Nos frères d'Italie vous saluent. Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ».

Vous voyez comment l'apôtre nous montre que la vertu n'est pas produite ni par l'oeuvre de Dieu absolument, ni par nous seulement. « Que Dieu « vous rende », dit-il, « accomplis en toute oeuvre bonne », et le reste ; c'est assez dire : vous avez déjà la vertu, mais vous avez besoin de la posséder complète. En ajoutant d'ailleurs : «En toute parole et oeuvre bonne » , il fait entendre que tout doit être droit en nous, la vie et les croyances. — Que Dieu fasse en vous ce qui est agréable « devant lui », dit-il avec raison ; « devant lui » , car faire ce qui plait devant Dieu, c'est la perfection de la vertu, selon ce que dit aussi le prophète : « Selon la pureté de mes mains devant (598) ses yeux ». (Ps. XVII, 25.) — Après avoir si abondamment écrit, il déclare qu'il a dit peu de choses encore, en comparaison de ce qu'il devait dire. C'est une remarque qu'il fait ailleurs : « Comme je vous ai déjà écrit en peu de paroles, où vous pourrez comprendre en les lisant quelle est l'intelligence que j'ai du mystère de Jésus-Christ ». (Ephés. III, 3.) — Or, voyez sa prudence. Il ne dit pas : Je vous supplie de supporter une parole d'avertissement, mais « de consolation », c'est-à-dire d'encouragement, d'exhortation. — Personne, ajoute-t-il, ne pourra se dire fatigué de la longueur de mes discours. Quoi donc? Etait-ce donc là le motif qui leur avait fait prendre saint Paul en aversion? Evidemment non. Aussi n'est-ce pas ce qu'il veut montrer; il rte veut pas dire Vous êtes des esprits faibles et lâches; car tel est le caractère de ceux qui ne peuvent supporter un long discours. — « Sachez que Timothée votre frère est renvoyé; et s'il vient bientôt, j'irai vous voir avec lui ». Réflexion qui suffit à leur persuader d'être bien humbles, puisqu'il se prépare à leur rendre visite avec sort disciple. — « Saluez tous vos chefs et tous les saints ». Voyez combien il les honore en leur écrivant pour leurs supérieurs. — « Nos frères d'Italie vous saluent. « Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il». La grâce étant le bien commun de tous, il en fait son dernier souhait.

Or, comment la grâce est-elle avec nous? C'est quand nous rie faisons point outrage à ce divin bienfait ; c'est quand nous ne sommes point lâches en face d'un don si précieux. Qu'est-ce que la grâce ? La rémission des péchés, notre purification, car elle-même est en nous. Que si quelqu'un lui fait outrage, peut-il dès lors la conserver ? Ne la perd-il pas aussitôt? Par exemple, Dieu vous a pardonné vos péchés, mais comment avec vous demeurera cette grâce, cette estime de Dieu, cette opération de l'esprit, si vous ne la retenez pas par vos bonnes oeuvres? Car la cause de tous les biens en nous, c'est précisément cette habitation continuelle de la grâce du Saint-Esprit dans nos âmes; c'est elle qui se fait notre guide en toutes choses, comme aussi, dès qu'elle nous échappe, elle nous laisse éperdus et comme dans un désert.

3. Gardons-nous donc de la repousser; car il est en notre pouvoir qu'elle demeure ou qu'elle se retire. Elle reste, quand nos pensées ont trait au ciel; elle s'en va, quand nos idées s'attachent aux choses de cette vie. C'est l’esprit « que le monde », dit Jésus-Christ, « ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas ni ne le connaît pas ». (Jean, XIV, 17.) Il appelle «monde » une vie mauvaise et honteuse. Comprenez-vous qu'une vie mondaine ne peut le posséder? Il nous faut donc dépenser beaucoup d'efforts pour le retenir en nous, de sorte qu'il soit l'intendant et le directeur de tous nos biens, et qu'il nous établisse dans une ferme tranquillité, dans une paix abondante.

Poussé par un vent favorable, un navire ne sent point d'arrêt, ne craint point de naufrage, tant que souffle cette aide puissante et persévérante. Rentré au port, il va rapporter et aux matelots et aux passagers une belle part de gloire; aux uns, il octroie le repos et leur permet de ne plus se courber sur les rames; aux autres, il fait oublier toutes les craintes, et leur laisse comme un magnifique spectacle, le souvenir de son fortuné voyage. Ainsi en est-il de l'âme secondée par le Saint-Esprit; elle est plus forte que toutes les vagues que soulèvent les peines de la vie; elle fend la route qui porte an ciel, avec plus de vitesse encore que l'heureux navire; car elle n'est point poussée par le vent, mais elle a des voiles, des voiles pures que le Paraclet daigne gonfler; elle chasse de sa pensée tout ce qui pourrait l'amollir et l'énerver. Car de même que le vent qui tombe sur une voile lâche et mal tendue, n'a sur elle aucune prise; ainsi le Saint-Esprit, rencontrant une âme énervée, n'y accepte pas un long séjour: il exige, au contraire, du ton et de la vigueur.

Il nous faut donc acquérir cette ardeur de l'âme, cette vivacité, cette force résolue des oeuvres. Ainsi, vaquons-nous à la prière ? Que ce soit avec une énergique tension de l'âme, déployant notre coeur vers le ciel, non pas avec des cordages matériels, mais à l'aide d'une ferme et vive résolution. Exerçons-nous la miséricorde avec les pauvres? Ici encore, il faut une tension vigoureuse, pour que la voilure ne se relâche jamais sous le choc des soucis domestiques, de précautions pour les enfants, d'inquiétudes pour l'épouse, d'une crainte personnelle de la pauvreté. Que si nous raidissons notre coeur de tous côtés par la sainte espérance des biens immortels, il sera disposé dès lors à recevoir le souffle puissant de l'Esprit divin; dès lors il ne sera plus frappé par les créatures éphémères et misérables d'ici-bas; ou, s'il en subit encore le choc, loin d'en être blessé, il repoussera par sa fermeté, il abattra par sa résistance leur attaque impuissante.

Mais, répétons-le : il faut savoir nous raidir vigoureusement. Car nous aussi nous naviguons sur une mer immense et découverte, remplie de monstres, hérissée d'écueils, féconde pour nous en orages, et qui du calme le plus profond, passe subitement aux plus cruelles tempêtes. Si donc nous voulons faire une navigation facile et sans péril, il nous faut tendre nos voiles, c'est-à-dire, raidir notre libre arbitre.

Au reste, cette fermeté de vouloir, suffit à nous sauver. Abraham, en effet, dès qu'il eut ainsi dirigé vers Dieu tous ses désirs, dès qu'il se fut armé d'une volonté disposée à tout, Abraham eut-il besoin d'autre secours? Non; « mais il crut en Dieu, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Gen, XV, 16.) Or, la foi, c'est le propre caractère d'une volonté généreuse. Il offrit son Fils; et bien qu'il ne l'ait pas immolé, il reçut la même récompense que s'il l'avait réellement sacrifié ; et quoique n'ayant pas accompli cette immolation, il en reçut le prix.

Procurons-nous donc une voilure immaculée et toujours neuve, et non pas usée et vieillie; « car tout ce qui est ainsi vieux et fatigué touche déjà à une fin misérable ». (Hébr. VIII, 13.) Point de ces voiles trouées qui laisseraient échapper souffle de l'Esprit. « Car l'homme animal n'est point capable », dit saint Paul, « des choses qui (599) sont de l'Esprit de Dieu ». ( I Cor. II, 4.) Pas plus qu'une toile d'araignée ne peut supporter l'effort Auvent, une âme adonnée aux soucis de cette vie, un bomme animal ne saurait recevoir la grâce de l'Esprit. Nos convictions flottantes n'offrent aucune différence d'avec ces toiles fragiles; elles ont seulement, comme elles, un air de consistance, mais leur trame est privée de toute résistance.

Ah! que plutôt, si nous sommes sages, nos âmes ne présentent rien de semblable ! Dès lors , quel que soit le choc, nous retenons tout le souffle de la grâce, et nous demeurons supérieurs à tout, plus forts que toute attaque. Donnez-moi un homme vraiment spirituel, et laissez tomber sur lui tous les maux les plus effrayants, aucun ne pourra l'abattre. Que dis-je? Que sur lui fondent ensemble pauvreté, maladies, outrages, malédictions, opprobres, plaies et supplices de tout genre, dérisions et insultes de toute espèce; vous le croirez vraiment en dehors et au-dessus de ce bas monde, et affranchi de toutes les souffrances du corps, tant il se rira de tout cet ouragan.

Que ce ne soient pas là des paroles en l'air, plusieurs exemples de nos jours mêmes m'en fourniraient certainement la preuve : dussé-je n'invoquer que ceux qui ont choisi la retraite au désert. — Ceux-là, direz-vous, n'ont rien d'étonnant. — Eh bien! je réponds qu'il en est d'aussi héroïques, et que vous ne soupçonnez pas, jusqu'au sein des cités. Et, s'il vous plaisait,je pourrais vous en montrer quelques-uns parmi ceux qui ont vécu jadis. Pour vous en convaincre, rappelez-vous seulement saint Paul. Est-il une atrocité qu'il n'ait pas soufferte? un mal qu'il n'ait pas subi? Or, il supportait tout avec courage. Et nous aussi, étendons vers le ciel les efforts de notre âme; remplissons-la de ce désir de Dieu; précipitons-nous dans ce foyer de l'Esprit, sauvons-nous par cette flamme même. Armé d'une flamme, en effet , personne ne craindrait une rencontre d'homme, de bête féroce, de mille filets tendus ; tout reculerait, tout lui ferait place, aussi longtemps que durerait ce feu; car la flamme est irrésistible, le brasier est insoutenable, tout s'y consume. Revêtons ce beau feu , et renvoyons toute gloire à Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartiennent au Père, en l'unité du Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Traduit par M. l'abbé COLLERY.

 

 

FIN DU ONZIÈME ET DERNIER VOLUME.

 

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