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LIVRE CINQUIÈME. Histoire du saint depuis la disgrâce d'Eutrope, 400, jusqu'au conciliabule du chêne, 402.

 

I. Comme la flamme s'élève, s'accroît et devient de plus en plus ardente et vive à mesure qu'elle trouve une matière plus abondante et plus propre à la nourrir; ainsi le zèle apostolique s'échauffe et s'agrandit à proportion des obstacles qu'il rencontre, des sacrifices qui lui sont imposés et des bonnes oeuvres qu'il opère. Plus l'homme apostolique a fait, plus il veut faire : comme il tire de Dieu toute sa force, et que le succès n'est point son unique mobile, il ne se laisse jamais décourager par les difficultés. De même qu'une fontaine coule toujours, quoique personne ne vienne y puiser; qu'un banquier reste à son comptoir, lors même que personne né vient l'y visiter; ainsi le prêtre, qu'anime une charité ardente, continue à travailler au salut des peuples; sans être arrêté par la stérilité du champ qu'il cultive. Telles sont les idées que nous donne du véritable zèle le saint évêque de Constantinople; tel fut aussi celui qu'il déploya non-seulement dans l'administration de son diocèse, mais encore dans une multitude d'autres affaires dans lesquelles, par la volonté de Dieu, il se trouva  engagé.

            II. Quelque attaché qu'il fût à la ville de Constantinople et à son peuple, il n'oubliait cependant pas sa chère ANTIOCHE. La foi vive et la piété sincère de ses habitants étaient sans cesse présentes à son esprit; il se souvenait surtout de la bonté de FLAVIEN, son évêque. Voulant témoigner l'attachement et l'amour qu'il avait conservés pour Antioche et pour son pasteur, il travailla de tout son pouvoir à éteindre le schisme funeste qui depuis tant d'années divisait non-seulement les fidèles de cette Église, mais encore les évêques d'Orient, ceux d'Égypte et d'Occident, au sujet de Paulin et de Mélèce, auquel avait succédé Flavien. Pour réussir dans cette entreprise difficile, il pria Théophile, patriarche d'Alexandrie, de s'unir à lui et de travailler à mener cette affaire à une heureuse solution. D'un commun accord, on choisit Acace, évêque de Bérée, et le prêtre Isidore d'Alexandrie avec quelques députés de l'Église d'Antioche, pour aller en ambassade à Rome. Ils y portèrent le décret de l'élection de Chrysostome; ils négocièrent surtout avec succès l'affaire d'Antioche, et revinrent en Égypte d'où Acace retourna en Syrie, portant à Flavien des lettres pacifiques du pape saint Anastase Ier et des évêques d'Égypte et d'Occident. C'est ainsi que finit ce schisme malheureux qui avait fait constamment gémir Chrysostome, et dont l'extinction fut l'oeuvre de son zèle et de sa charité.

III. Cette entreprise si heureusement terminée, il régla les affaires des églises de la Thrace et de la province de Pont; car sa sollicitude s'étendait au loin, et celui qui autrefois regardait la conduite d'une seule âme comme un fardeau trop pesant pour sa propre faiblesse, qui lors de son entretien avec Basile lui avait avoué que la crainte de l'épiscopat avait failli le faire mourir, se trouvait actuellement chargé de la surveillance et des intérêts spirituels de vingt-huit diocèses : c'est que l'onction sacrée donne des forces et du courage, et qu'il n'est rien que ne puisse faire, avec l'aide de la grâce, le prêtre qui est humble et qui, se défiant de lui-même, met toute sa confiance dans le secours et la protection du ciel.

IV. L'année 398 devait être fatale à la Religion chrétienne selon les oracles des païens. Étonnés de voir cette religion prospérer et s'étendre jusqu'aux extrémités du monde malgré la puissance des princes, les raisonnements des philosophes et la rage des bourreaux qui inondaient de sang les villes et les provinces, ils avaient attribué non à la puissance divine, mais aux artifices de la magie cette merveilleuse propagation, et leurs oracles avaient prédit que Pierre, chef de cette religion, n'ayant établi le maléfice que pour l'espace de trois cent soixante-cinq ans, la religion chrétienne devait cesser aussitôt ces années révolues. Les trois cent soixante-cinq années comptées depuis la première prédication de saint Pierre se terminaient en 398. Les païens qui restaient dans l'empire (et il en restait encore un grand nombre, malgré les lois des empereurs qui défendaient les sacrifices et qui ordonnaient la démolition des temples,) étaient dans l'attente de ce qui allait arriver. Ils parlaient des oracles rendus en leur faveur; ils s'agitaient, ils commençaient à lever la tête comme des hommes qui devaient bientôt reparaître sur la scène du monde et prendre leur revanche. Ce fut sans doute ce mouvement qui provoqua de nouvelles lois contre l'idolâtrie de la part des empereurs Arcade et Honorius. Le premier ordonna la démolition des temples païens dans les campagnes; le second confirma la même ordonnance, mais il voulut qu'on les conservât dans les villes comme monuments; l'un et l'autre prince livrèrent à la vindicte des lois quiconque était convaincu d'avoir sacrifié aux idoles ou pratiqué des superstitions païennes, 399.

V. Chrysostome profita de la faveur des lois pour hâter la ruine du paganisme. Il envoya des hommes apostoliques aux Scythes nomades campés près du Dainitié, et ces peuples se convertirent à la foi; il fit chasser du territoire de Cyr les Marcionites qui y répandaient leurs erreurs. Un grand nombre de moines pieux et zélés qu'il envoya et qu'il entretint à ses frais, attaquèrent l'idolâtrie dans la Phénicie où elle semblait s'être retranchée comme dans une citadelle inexpugnable; les temples d'idoles, les bois, réceptacles impurs des superstitions et des mystères, tombèrent sous les coups de ces missionnaires, et les païens reconnaissant la fausseté de leurs oracles se convertirent en grand nombre. Saint Porphyre, évêque de Gaze, en Phénicie, rendit au Seigneur de grandes actions de grâces pour les secours qu'il lui avait ménagés par le moyen de l'évêque de Constantinople.

VI. Pendant que ses missionnaires convertissaient les Scythes et les Phéniciens idolâtres, lui-même cherchait à ramener à la croyance catholique les Goths tombés dans l'arianisme sous l'empire de Valens et. par lés artifices d'Eudoxe, évêque de Constantinople, qui avait perverti la foi d'Ulphilas, leur premier évêque. Quoique Chrysostome ignorât la langue de ces peuples barbares, qui étaient très-nombreux dans la ville et hors des murs de Constantinople, son zèle industrieux trouva cependant le moyen de les instruire. Ayant ordonné beaucoup de diacres et de prêtres habiles dans cette langue, il leur donna une église particulière dédiée à l'apôtre saint Paul.

            Les barbares s'y réunissaient fréquemment, et les prêtres ordonnés par Chrysostome leur faisaient des instructions pour les désabuser de l'erreur et les ramener à la vraie foi.

Le saint évêque, malgré ses autres occupations, s'y rendait assidûment, confirmant par sa présence la doctrine qui était enseignée; quelquefois il leur parlait lui-même par interprète.

Un jour, ayant fait lire dans l'assemblée quelques textes choisis de l'Écriture et traduits en langue gothique, il s'écria : « Que ne m'est-il donné de voir ici réunis tous les savants, tous les philosophes de la Grèce, afin de les convaincre de la force de la Croix, de la puissance du divin Crucifié et de la beauté incomparable de l'Église ! Que ne puis-je leur montrer combien diffèrent entre elles les doctrines humaines et les doctrines divines! Les erreurs de la philosophie humaine ont été réfutées et convaincues de fausseté dans les lieux mêmes où elles ont pris naissance, tandis que les enseignements sacrés de la foi exercent leur puissance jusque sur les peuples étrangers. Les oracles divins sont lus non-seulement dans la Judée, mais dans toutes les contrées du monde, chez les Scythes, chez les Thraces, chez les Sarmates et chez les Maures; tous les peuples les lisent et les méditent dans leur propre langue; nous en voyons aujourd'hui la preuve consolante. »

La traduction dont parle Chrysostome était sans doute celle des Livres saints en langue germanique, faite par l'évêque Ulphilas; c'est le plus ancien document écrit que nous ayons dans les langues du Nord. Dieu bénit le zèle et les travaux du saint pontife, et il eut la consolation de ramener à la foi de l'Église un grand nombre de ces hérétiques.

VII. Mais, en s'occupant de leur conversion, Chrysostome n'en continuait pas moins ses prédications aux habitants de Constantinople. Le peuple l'écoutait avec une incroyable avidité. Bientôt l'enthousiasme de la foule fut si grand, le désir d'entendre l'orateur et de ne perdre aucune de ses paroles fut poussé si loin que Chrysostome, craignant que quelqu'un de ses auditeurs ne fût écrasé ou étouffé au milieu de cette multitude empressée, se vit obligé d'abandonner la tribune où il prêchait habituellement, et de se placer au milieu de la vaste église sur une espèce de jubé destiné aux lecteurs. C'est de là qu'environné de plusieurs milliers de fidèles, il expliquait les Actes des Apôtres, et il le faisait toujours avec une éloquence si douce et si lumineuse, si chaleureuse et si persuasive, si variée et si abondante, qu'il était souvent interrompu par des acclamations et des applaudissements prolongés.

VIII. Un événement extraordinaire, un vrai miracle vint confirmer sa doctrine, confondre l'hérésie et affermir dans la foi les vrais fidèles. Constantinople renfermait un grand nombre de dissidents. Ariens, anoméens, marcionites, manichéens, macédoniens, toutes les sectes y avaient des adeptes. Chrysostome, en expliquant les Livres sacrés, ne manquait jamais d'expliquer la doctrine catholique et de réfuter l'erreur opposée, toutes les fois que le texte lui en fournissait l'occasion. Ses discours avaient ramené déjà beaucoup d'âmes égarées, et de ce. nombre était un personnage assez distingué qui était tombé dans l'hérésie des macédoniens. Cet homme, après avoir ouvert les yeux à la lumière et s'être sincèrement converti, voulut procurer le même bonheur à sa femme engagée dans les mêmes erreurs qu'il avait lui-même abjurées. Depuis longtemps il la pressait de suivre son exemple et de se réunir aux vrais enfants de l'Église. Mais cette femme obstinée dans l'hérésie, retenue par d'autres femmes ses amies, refusait de l'entendre et, au lieu de se rapprocher de la foi, s'en éloignait chaque jour davantage. A la fin, voyant que tous ses efforts étaient inutiles, et que les conseils, les leçons, les bons exemples et même les prières ne faisaient qu'enflammer la résistance et l'obstination de sa femme, il résolut d'employer l'intimidation et les menaces. Il lui déclara que, puisqu'elle refusait de se réunir à lui dans la croyance véritable, il se voyait dans la nécessité de se séparer d'elle pour jamais. Cette femme perverse, qui voulait à tout prix éviter une séparation et en même temps rester dans ses erreurs, lui promit tout ce qu'il désirait et fit semblant de se convertir. Mais bientôt elle sentit combien Dieu déteste la dissimulation et quelle est la force de son bras tout-puissant. Un jour se trouvant à l'église, elle se vit dans la nécessité de recevoir dans ses mains, comme le reste des fidèles, la sainte Eucharistie. Au lieu de consommer les sacrées espèces, elle se baisse comme pour prier, et laissant l'Eucharistie, elle prend du pain commun que lui donne secrètement une servante complice de sa dissimulation et de son sacrilège. Mais, ô prodige ! le pain ordinaire qu'elle essaye de manger se convertit en pierre et dans sa bouche et dans sa main. Effrayée de ce miracle et craignant pour elle les châtiments du ciel, elle court à l'heure même se jeter aux pieds du saint évêque, lui déclare tout ce qui s'est passé et, fondant en larmes, elle lui montre cette pierre extraordinaire dans laquelle apparaissait l'empreinte même de ses dents.

Chrysostome, après l'avoir exhortée à bénir la puissance et la bonté de Dieu, qui par ce prodige signalé voulait l'arracher à l'erreur, lui imposa la pénitence et. la réconcilia avec l'Église.

La conversion de cette femme fut sincère et durable. Dès ce moment elle s'attacha à la foi de l'Église catholique, au sein de laquelle elle eut le bonheur de vivre et de mourir.

Cet événement, dit Sozomène qui le rapporte, peut paraître incroyable à ceux qui n'ont pas une connaissance exacte de la puissance et de la bonté de Dieu, et qui sont accoutumés à nier les vérités les plus avérées, mais pour dissiper leurs doutes et se convaincre de la vérité du fait, ils peuvent visiter le trésor de l'église de Constantinople; ils y verront encore la pierre miraculeuse qui atteste la réalité du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie et tout à la fois la clémence et la justice du Seigneur.

IX. Arcade et Honorius avaient succédé à Théodose, leur père, et régnaient l'un en Orient, l'autre en Occident; mais en héritant de son trône et de sa fortune, ces deux princes, comme nous l'avons dit, n'avaient hérité ni de sa valeur, ni de son habileté, ni de son génie, ni de sa gloire. C'est de leur règne surtout que date la décadence de la puissance romaine, qui eut pour cause principale la faiblesse des empereurs, laquelle à son tour produisit la corruption des ministres, la dépravation des moeurs, et l'ascendant que prirent les Barbares.

X. Arcade qui régnait en Orient avait atteint en 399 sa vingt-deuxième année. Tous les soins de Théodose, ses leçons, ses exemples n'avaient pu faire naître en lui les qualités nécessaires au gouvernement d'un grand empire. La nature lui avait refusé ses dons. Il était sans esprit, sans jugement, sans fermeté, également incapable d'agir par lui-même ou de prendre des autres un bon conseil et de le suivre avec constance. Son extérieur n'avait rien qui pût couvrir ses défauts; sa taille mince et petite, son visage sec et basané, un parler traînant, des yeux endormis et qui ne s'ouvraient qu'avec peine, tout annonçait la faiblesse de son âme. L'histoire ne lui attribue d'autres vertus, que la douceur et quelque zèle pour la religion, mais ces deux qualités si précieuses dans un prince furent toujours, chez lui exploitées par ses ministres et par les eunuques du palais, qui les firent tourner trop souvent au détriment de la religion et des intérêts du peuple.

XI. Arcade était surtout dominé par un eunuque déjà avancé en âge, vil jouet de la fortune, rebut de la plus infâme débauche, avare, cruel, ambitieux, flatteur et hypocrite : c'était Eutrope. Cet homme, né en Arménie, cent fois vendu et revendu comme esclave, était parvenu par la protection du général Abundantius à obtenir une place entre les derniers eunuques du palais. Par sa souplesse il avait attiré l'attention de Théodose qui l'honora de quelque confiance; ce fut lui que cet empereur envoya en Égypte consulter nu saint solitaire sur l'issue de la guerre contre Eugène. Après la mort de Théodose, Eutrope s'empara insensiblement de l'esprit d'Arcade. Rufin, qui était alors ministre, avait le projet de faire épouser sa fille à l'empereur. Eutrope fit échouer ce projet et par ses avis Arcade épousa Eudoxie (Aelia Eudoxia), fille du comte franc Bauton qui avait été consul en 385. Après la mort malheureuse de Rufin, l'eunuque Eutrope, protégé par Eudoxie, s'empara de toute l'autorité et devint successivement grand-chambellan, ministre et enfin consul en 399. Mais pour arriver à ce haut point de fortune, Eutrope n'avait reculé devant aucun moyen, quelque bas ou injuste qu'il fût. Devenu par ses flatteries maître absolu de la volonté du faible empereur, il sut profiter de son ascendant pour écarter tous ceux qui, à la cour ou dans les provinces, portaient ombrage à son ambition. Les uns furent abaissés, les autres disgraciés, quelques-uns même exilés; il lit confisquer à son profit les biens d'Abundantius son bienfaiteur qu'il envoya en exil. Son audace s'accrut de jour en jour à mesure que grandissait sa puissance, et bientôt son avarice et sa méchanceté ne connurent plus de bornes. Il vendait les charges publiques, créait on supprimait les emplois, ruinait les particuliers et foulait aux pieds la noblesse dont il était méprisé. A ses yeux le mérite était un crime; sous son gouvernement les hommes de talent et de vertu furent persécutés à outrance, et les déserts de la Libye se remplirent d'une multitude d'illustres exilés. Parmi les hommes qui avaient du crédit à la cour, nul ne portait plus d'ombrage à Eutrope que Timase, général renommé par sa bravoure et ses exploits. L'eunuque résolut sa perte, et il ne réussit. que trop bien dans cette honteuse entreprise. Timase fut exilé dans les déserts de l'Égypte, où il mourut misérablement. Son fils disparut aussi. Sa femme Pentadie, célèbre par les persécutions qu'elle endura depuis pour la cause de saint Chrysostome, voulant échapper aux poursuites et à la vengeance d'Eutrope, se réfugia dans l'église où déjà se trouvaient réunies un grand nombre de personnes qui fuyaient les fureurs de ce barbare.

XII. Les églises étaient alors un asile inviolable, toujours ouvert à ceux qui étaient poursuivis. Ce droit d'asile avait commencé sous Constantin. Une loi de Théodose porte que les fugitifs seront en sûreté non-seulement près de l'autel et dans l'enceinte du temple, mais dans tous les lieux qui y sont attenants, chambres, Maisons, jardins, cours, galeries et dans tout ce qui constitue la maison de l'évêque. L'Église, toujours attentive au bien de ses enfants, avait consacré cette loi des empereurs par ses canons. Un concile d'Orléans porte qu'il est défendu d'enlever non-seulement de l'église, mais du parvis et de la maison de l'évêque ceux qui s'y seront réfugiés; que l'on ne pourra les livrer qu'après avoir fait prêter serment à ceux qui les poursuivent de ne leur faire souffrir ni peine ni mutilation. Le concile impose cependant aux réfugiés l'obligation de satisfaire. Cette loi sur les asiles était nécessaire dans les siècles barbares; car les faibles avaient besoin de la protection de l'Église contre la cruauté des riches et des puissants du siècle. Elle avait été portée non point pour mettre les criminels à l'abri des poursuites de la justice, ni pour diminuer l'autorité des lois et des magistrats, mais pour fournir un refuge aux innocents injustement accusés, et laisser aux juges le loisir d'examiner mûrement les cas incertains et difficiles. Le droit d'asile mettait les accusés à couvert de la vengeance et des voies de fait, et donnait aux évêques le temps d'intercéder pour les coupables. On sait que saint Ambroise sauva souvent la vie à des malheureux dont la tête était en danger, entre autres à Cresconius, qui, condamné aux bêtes, se réfugia dans l'église. Le saint évêque l'arracha à la fureur des soldats et du peuple qui le poursuivaient pour le jeter dans l'Amphithéâtre.

Cette loi sacrée des asiles établie par les lois civiles et ecclésiastiques contrariait les vues de l'eunuque Eutrope. Pour satisfaire ses mauvais instincts et exercer plus sûrement sa vengeance, il la fit révoquer par l'empereur Arcade; elle fut abrogée le 27 juillet 398.

XIII. Chrysostome ne put souffrir en silence la destruction des libertés et des immunités de l'Église. Il éleva la voix avec force, mais inutilement. Depuis quelque temps Eutrope, étourdi et enflé par sa fortune, n'écoutait plus les avis du saint évêque. C'est en vain qu'il le rappelait à lui-même, qu'il lui parlait de la caducité des richesses et des honneurs du monde. Ces discours, loin de le rappeler à la vertu, aigrirent tellement son esprit qu'il devint bientôt l'adversaire déclaré du saint prélat. Le ministre d'Arcade maintint la révocation de la loi contre les asiles, et, en la maintenant, il s'estima heureux de pouvoir blesser l'évêque dans les sentiments les plus chers à son cour, son amour pour les malheureux et son zèle pour l'indépendance et les libertés de l'Église. L'insensé ! il courait à sa perte; il creusait l'abîme où il devait être précipité. Bientôt il devait lui-même se réfugier dans cette église et embrasser cet autel dont ii violait en ce moment les droits et les privilèges.

Dès ce moment ses vexations contre les hommes honnêtes, ses rapines, ses concussions, son orgueil et son arrogance s'accrurent de jour en jour. Tout tremblait et pliait devant lui. Ses faveurs étaient réservées aux eunuques du palais, sa protection acquise à des hommes sans aveu qui lui prodiguaient les flatteries les plus ridicules, jusqu'à l'appeler le père de l'empereur. Le peuple se prosternait à ses pieds sur les chemins et dans les places publiques. L'adulation et la crainte lui avaient élevé des statues de tous les métaux, sous toutes les formes et dans tous les quartiers; on en voyait même une dans la salle du sénat, décorée d'une inscription fastueuse où l'on relevait son illustre naissance et ses exploits guerriers. Il y était nommé le troisième fondateur de Constantinople après Bysas et Constantin. Maître absolu d'Arcade, il se fit donner le titre de patrice et nommer consul; il poussa même ses prétentions jusqu'au trône impérial (399). Il serait peut-être parvenu à cette suprême élévation, tant il y avait de faiblesse et de dépravation dans l'empire, mais il n'en eut pas le temps.

C'était la première fois que l'on voyait le titre de consol donné à un eunuque; ce fut aussi la dernière. Arcade n'osa point informer Honorius son frère dé cette indigne promotion, quelle poète Claudius appelle une monstrueuse monstruosité; toutes les âmes honnêtes en furent révoltées.

XIV. Gaïnas, général renommé qui commandait les Goths établis dans la ville et les faubourgs de Constantinople, ne put supporter plus longtemps un pareil scandale; il résolut au péril même de sa vie d'en finir avec l'injustice et la tyrannie. Il s'en ouvre à Tribigilde son parent, capitaine de sa nation, intrépide, entreprenant et mécontent de la cour qui avait mal récompensé ses services. Tribigilde entre dans ses vues, et ces deux hommes s'unissent pour renverser la puissance d'Eutrope. Sous prétexte de passer en revue ses troupes, Tribigilde quitte Constantinople. Arrivé à Nacolie en Phrygie, il fait prendre les armes à sa cohorte et met tout le pays à feu et à sang. Les mécontents se joignent aux révoltés ; bientôt il se forme une armée considérable qui ravage la Phrygie et la Lydie et porte l'effroi jusqu'aux portes de Constantinople. Eutrope envoie Gaïnas et Léon contre les troupes de Tribigilde; mais celui-ci, favorisé par la connivence de Gaïnas, remporte des victoires et continue ses ravages. Constantinople est dans. l'alarme, Arcade tremble sur son trône; c'est ce que demandait Gaïnas: Il écrit à l'empereur que Tribigilde est invincible, que le ciel semble se déclarer pour lui, que la terre lui enfante des soldats; qu'il marche vers l'Hellespont, qu'il faut se résoudre à perdre l'Asie, si on ne lui accorde ses demandes; que pour lui il manque des forces nécessaires

pour arrêter ce torrent; qu'il n'est capable que de donner un bon conseil : c'est de livrer Eutrope, puisque Tribigilde offre la paix à cette condition; que le ministre, s'il aime l'État, ne peut se refuser au salut de l'empire, et qu'après tout il est raisonnable de sauver l'empereur aux dépens du ministre. En même temps l'empereur reçoit la nouvelle que le roi de Perse est prêt à passer le Tigre, et que l'Orient va bientôt ressentir tous les maux que lui a déjà causés plus d'une fois la valeur opiniâtre de Sapor.

XV. Il n'en fallait pas tant pour faire trembler Arcade. Il s'agite, il se trouble, il hésite; mais le pernicieux ministre aurait peut-être encore triomphé de la haine publique, si l'impératrice n'avait achevé de le perdre. Eutrope, maître de l'empereur, voulait aussi dominer la fière Eudoxie. Dans une contestation qu'il eut avec elle, il alla jusqu'à la menacer de la chasser de la cour. L'impératrice si indignement outragée prend ses enfants entre ses bras et court se jeter aux pieds de son époux. Là, fondant en larmes, représentant avec les traits les plus vifs l'insolence d'un vil eunuque, elle demande à grands cris justice, protection et vengeance. C'en est fait, Arcade est blessé dans ses plus chers sentiments; il ouvre les yeux, sa colère éclate; il signe à l'instant même l'arrêt d'Eutrope, lui ordonnant de quitter la cour avec défense, sous peine de la vie, de se présenter jamais devant lui.

XVI. Eutrope est frappé comme par la foudre; l'horreur de ses crimes, les cris de ses victimes, la haine publique qu'il a méritée, la multitude d'ennemis qu'il s'est faits, le sort funeste de Rufin qu'il n'avait que trop imité, se présentent à ses réflexions. Sa perte est assurée: plus d'amis, plus de ressources, il ne voit que des bourreaux et des supplices. Accablé de terreur, égaré et tout hors de lui-même, il entend déjà les pas des satellites, qui viennent le saisir; il cherche son salut dans la fuite, il court se réfugier dans l'église.

L'empereur envoie sa garde pour l'arracher de cet asile; mais Chrysostome s'oppose à la violation du lieu saint, et défend cet homme coupable qui depuis longtemps était son ennemi mortel. On saisit le saint évêque, et en le conduit au palais comme un rebelle; Chrysostome paraît d'un air intrépide devant l'empereur, et obtient qu'Eutrope puisse demeurer en sûreté dans l'enceinte sacrée. Cependant tous les soldats qui se trouvent à Constantinople s'assemblent autour du palais, et poussant de grands cris, faisant retentir le bruit de leurs armes, ils demandent Eutrope pour en faire justice. L'empereur est obligé de se montrer, et ce n'est qu'à force de prières et même de larmes qu'il parvient à calmer la colère de cette foule mutinée toute prête à violer l'asile que l'Église a offert au coupable.

XVII. La nuit se passe dans une extrême agitation. Le lendemain le peuple se rend en foule à l'église. Tous les yeux sont fixés sur Eutrope. On aime à voir ce lion abattu , cet homme orgueilleux et injuste, ce scélérat tombé de la plus haute puissance dans le plus profond mépris, maintenant pâle, tremblant, embrassant les colonnes du sanctuaire et caché dans l'église qu'il a méprisée.

A sa vue la foule est violemment agitée; des murmures, des cris d'indignation se font entendre; de toutes parts on appelle sur le criminel eunuque la vengeance, les supplices et la mort. Chrysostome accourt, il profite de la circonstance pour instruire son peuple et calmer sa fureur. C'est à cette disgrâce d'Eutrope que nous devons le discours célèbre sur la vanité des grandeurs humaines. On nous pardonnera de céder au plaisir de le reproduire en entier, parce qu'il est un des plus éloquents que nous ait transmis l'antiquité.

« Si jamais l'on a dû s'écrier : VANITÉ DES VANITÉS ET TOUT N'EST QUE VANITÉ! c'est sans doute dans la conjoncture présente. Où est maintenant tout ce faste du consulat? où sont ces marques d'honneur et de distinction? qu'est devenu cet appareil des festins et des jours de réjouissance? où sont ces choeurs de musiciens et de danseurs, ces tapis précieux et ces couronnes? ou est cette agitation de toute la ville, ces applaudissements du Cirque, ces acclamations des spectateurs prodiguées par ta flatterie? Tout s'est évanoui. Un vent impétueux a soufflé, et l'arbre superbe, ébranlé jusque dans ses racines, s'est vu dépouillé de toutes ses feuilles, et ne montre plus que des rameaux nus et déshonorés. La violence du vent a été si grande, que le tronc même a éprouvé de rudes secousses, et que l'arbre est menacé d'être arraché entièrement de la terre. Où est maintenant cette foule de faux amis? où sont ces repas animés par la joie et ce nombreux essaim de parasites? où sont ces vins exquis versés avec abondance et ces apprêts d'une table recherchée? où sont ces hommes attachés à la fortune, dont toutes les paroles et les actions ne tendaient qu'à plaire? Tout cela n'était qu'un songe de la nuit, qui s'est évanoui avec le jour; ce n'étaient que des fleurs du printemps qui se sont toutes séchées et qui ont passé avec la saison; c'était une ombre qui a disparu, une vaine fumée qui s'est dissipée, une vapeur légère qui s'est exhalée, une vile poussière que le vent a emportée. Aussi ne nous lasserons-nous pas de répéter ces paroles de l'Esprit.-Saint : VANITÉ DES VANITÉS ET TOUT N'EST QUE VANITÉ ! Il faudrait que ces paroles fussent écrites partout, dans la place publique, dans les carrefours; sur les murs et sur les portes de nos maisons, sur vos vêtements même, mais surtout qu'elles fussent gravées dans tous les coeurs, et qu'on les méditât sans cesse. Oui, puisque les fausses apparences des choses, puisque des masques vains et trompeurs sont aux yeux de presque tores les hommes des objets réels et solides, il faudrait que tous les joncs, dans tous les repas, dans toutes les assemblées; on dit aux autres et qu'on entendit de leur belle ces paroles : VANITÉ DES VANITÉS ET TOUT N'EST QUE VANITÉ !

« Ne vous disais-je pas; Eutrope, ne vous répétais-je pas continuellement que les richesses ne sont que des esclaves fugitifs? Et vous ne vouliez pas me croire. L'expérience vous a éclairé et ne vous a que trop appris que les richesses ne sont pas seulement des esclaves fugitifs, qu'elles sont homicides et meurtrières, puisqu'elles vous font craindre et trembler pour vos jours? Ne vous disais-je pas, lorsque vous vous offensiez de ma sincérité, que je vous aimais plus que vos flatteurs; que moi, qui vous faisais des reproches, j'étais plus ami de votre personne que ceux qui vous prodiguaient de faux éloges N'ajoutais-je pas à ces discours, que les blessures des amis sont plus salutaires que les caresses des ennemis? Si vous aviez souffert mes blessures, leurs caresses ne vous auraient pas porté le coup mortel. Mes blessures donnent la santé, leurs caresses font une plaie incurable. Où sont maintenant, où sont ces hommes qui vous versaient le vin à pleines coupes, qui faisaient écarter le peuple devant vous dans la place publique, qui publiaient partout vos louanges! Ils ont pris la fuite, ils ont renoncé à votre amitié, ils cherchent leur sûreté dans vos périls.

Pour nous, notre conduite est bien- différente. Nous avons souffert vos emportements dans votre élévation; et dans votre chute nous vous soutenons, nous vous défendons de tout notre pouvoir. L'Église, à qui vous avez fait la guerre, vous ouvre un asile et vous reçoit dans son sein; les théâtres dont vous recherchiez les applaudissements, les théâtres qui nous attirèrent si souvent votre indignation, vous ont abandonné et trahi. Nous ne cessions cependant de vous dire : Que faites-vous? Vous vous déchaînez contre l'Église, vous vous précipitez vous-même dans l'abîme. Tous nos avis ont été inutiles. Cependant les cirques, pour lesquels vous avez épuisé vos trésors, se sont armés contre vous; tandis que l'Église persécutée par vous injustement s'empresse de voles tirer de l'abîme où vous êtes plongé.

« Si je parle ainsi, ce n'est point pour insulter à un malheureux étendu par terre, mais pour affermir ceux qui sont encore debout; non pour aigrir les plaies d'un homme blessé, mais pour garantir de tout accident ceux qui n'ont encore reçu aucune blessure; non pour enfoncer dans les flots celui qui a fait naufrage, mais pour instruire ceux qui naviguent heureusement, de peur qu'ils ne soient exposés à être submergés. Et quel est le moyen de nous mettre à l'abri des disgrâces? C'est de nous bien convaincre de l'instabilité des grandeurs humaines. Si cet homme dans la faveur eût craint une révolution, il n'en éprouverait pas aujourd'hui. Mais puisque les conseils de ses proches et des étrangers n'ont pu le rendre sage, vous du moins qui nagez dans l'abondance, profitez de son malheur. Rien de plus fragile que les choses humaines, et quelque expression qu'on emploie pour désigner leur néant, elle est toujours au-dessous de la réalité. Herbe des prés, fleurs du printemps, fumée, songe, aucun terme ne peut exprimer tout le vide des biens de ce monde, qui sont plus néant que le néant même. Mais non-seulement ces biens sont frivoles, ils sont même funestes; et nous en avons devant les yeux une preuve sensible. Qui jamais fut plus élevé que cet homme ? ne surpassait-il pas tous les mortels en richesses? n'était-il pas parvenu au comble des honneurs? n'était-il pas craint et redouté de tout l'empire? Et voilà qu'il est devenu plus misérable que les plus vils esclaves, plus tremblant que les prisonniers enfermés dans de noirs cachots, plus dénué que les indigents qui périssent de faim. Il voit chaque jour les épées aiguisées contre lui; il voit les supplices, les bourreaux, les tourments et la mort. Son ancienne prospérité est effacée de sa mémoire comme si elle n'avait jamais existé, et il ne jouit pas même des rayons du soleil : retenu et enfermé, ses yeux sont obscurcis en plein midi comme dans la nuit la plus profonde. Mais plutôt, quelque effort que nous fassions, nous ne pouvons représenter par nos discours tout le malheur d'un homme qui à chaque moment attend la mort. Mais qu'est-il besoin de nos paroles pour décrire sa situation déplorable, lorsque lui-même nous en a offert un tableau si frappant? Vous en fûtes témoin hier, lorsqu'on vint du palais pour le tirer d'ici par force et qu'il courut aux vases sacrés pour les embrasser : la pâleur de la mort était peinte sur son visage, tout son corps frissonnait et tremblait; sa voix était entrecoupée, sa langue bégayante; la crainte avait engourdi tous ses sens et l'avait rendu comme stupide. Ce n'est pas pour lui reprocher son abaissement ni pour insulter à son malheur que je rappelle ces circonstances, mais pour toucher vos cœurs, pour vous amener à la compassion et vous persuader qu'il n'est déjà que trop puni.

« Il en est parmi voles plusieurs d'assez cruels, d'assez impitoyables pour nous reprocher même de lui avoir donné un asile dans ce temple : c'est pour fléchir leur âme, c'est pour les adoucir, fille je leur fais la peinture de ses malheurs. Et pourquoi, je vous prie, seriez-vous indignés? Est-ce parce que celui qui a fait une guerre continuelle à l'Église y trouve un refuge? Mais on doit principalement glorifier Dieu de ce qu'il a réduit cet ennemi formidable à reconnaître lui-même la puissance de l'Église et sa clémence et sa puissance, puisque les persécutions qu’il lui a suscitées ont causé sa chute; sa clémente, puisqu'elle couvre maintenant d'un bouclier son persécuteur, qu'elle le cache à l'ombre de ses ailes, le tient à l'abri de toute violence, et que, sans songer aux maux qu'il lui a faits, elle lui ouvre son sein avec tendresse : action plus honorable que tous les triomphes, victoire éclatante qui confond les juifs et les gentils. Épargner un ennemi qui recourt à elle, lui montrer un visage serein, s'empresser seule de le recevoir lorsque tout le monde l'abandonne, le couvrir de son vêtement comme une mère tendre; le défendre contre le courroux du prince, contre les emportements du peuple, contre la haine publique; quoi de plus grand et de plus généreux! c'est là vraiment l'honneur et la gloire de l'autel. Quelle gloire, direz-vous, d'être touché et embrassé par un homme aussi coupable, par un déprédateur public et un concussionnaire? Eh quoi! je vous prie, une courtisane, une femme impure et chargée de crimes n'a-t-elle pas touché les pieds de Jésus? Et loin d'en faire un reproche à ce Dieu Sauveur, n'est-ce pas une raison pour l'admirer davantage, pour célébrer sa bonté infinie? Non, un Dieu pur n'était pas souillé par l'attouchement d'une femme immonde, mais une courtisane criminelle était sanctifiée par cette communication avec un Dieu pur et irréprochable. Ne songeons pas à nous venger, puisque nous sommes les disciples de Jésus-Christ, qui disait sur la croix : PARDONNEZ-LEUR, CAR ILS NE SAVENT CE QU'ILS FONT.

« Mais, direz-vous, cet homme lui-même par ses lois a fermé cet asile! Mais il vient lui-même abroger ces lois, il vient lui-même en reconnaître et en proclamer l'injustice. Prosterné au pied de l'autel, devenu un spectacle pour tout l'univers, il instruit tous les hommes par son silence et leur dit hautement : Craignez de vous livrer aux mêmes excès si vous ne voulez pas tomber dans la même infortune. Soir malheur est une grande leçon; et l'autel ne fut jamais plus éclatant, jamais il ne fut plus terrible que depuis qu'il tient ce lion enchaîné. Ainsi ce qui rehausse à nos yeux l'éclat de l’image d'un prince, ce n'est pas de le voir représenté assis sur le trône, revêtu de pourpre, le front ceint du diadème; rais de voir des barbares étendus à ses pieds, les mains liées derrière le dos et la tête tristement penchée vers la terre. Vous prouvez vous-mêmes par votre empressement à accourir dans ce temple, que ce malheureux n'a pas besoin d'employer des paroles touchantes pour nous instruire. Sa personne seule est pour nous en ce jour un grand spectacle. Aussi tous les fidèles: se rassemblent à l'envi, et je vois ici maintenant un peuple aussi nombreux que dans la solennité de Pâques :,tarit la disgrâce seule de cet homme nous invite tous et nous appelle d'une voix plus forte, d'une voix plus éclatante que le son de la trompette! Désertant la place publique, abandonnant vos maisons, hommes et femmes, vous accourez tous pour voir la faiblesse humaine confondue, la fragilité des choses de ce monde dévoilée et la figure hier si brillante d'une vile courtisane réduite aujourd'hui. à sa difformité naturelle. Oui, telle est la prospérité, ouvrage de l'injustice, que le malheur, comme une éponge effaçant toutes les couleurs étrangères, ne laisse plus paraître qu'un visage hideux et toutes les rides de la vieillesse; telle est l'infortune, qu'elle montre le plus abject dès hommes dans celui qui par son éclat éblouissait naguère tous les yeux.

« Quelle leçon pour tous ceux qui entrent ici ! Le riche voit précipité du faite de la grandeur celui qui faisait trembler toute la terre; il le voit humilié, aussi timide que le plus timide des animaux, attaché, enchaîné à cette colonne par la crainte, effrayé et tremblant. Frappé de cette vue et instruit par cet exemple, il réprime son orgueil, dépose sa fierté, et faisant sur les choses humaines d'utiles réflexions, il se retire convaincu de la vérité de ces paroles du prophète Isaïe : TOUS LES MORTELS SONT COMME L'HERBE DES CHAMPS ; TOUTE LA GLOIRE DE L'HOMME EST COMME LA FLEUR DES PRAIRIES, L'HERBE SÈCHE ET LA FLEUR TOMBE. L'HOMME SÈCHERA AUSSI PROMPTEMENT QUE L'HERBE, dit le Prophète-Roi, IL TOMBERA AUSSI VITE QUE LA FLEUR DE L'HERBE : SES JOURS NE SONT QU'UNE VAINE FUMÉE. Le riche se rappelle ces paroles et d'autres semblables. Ce spectacle n'est pas moins utile au pauvre qui en est le témoin. Consolé par cet exemple éclatant des révolutions humaines, loin de se mépriser lui-même, loin de gémir sur son indigence, il rend grâce à la pauvreté d'être pour lui un port tranquille, un asile sûr, une citadelle inaccessible; et souvent il aimerait mieux rester dans sa situation présente que de posséder un seul instant tous les biens de ce monde pour se trouver ensuite exposé à perdre la vie. Vous voyez quel insigne avantage procure aux riches et aux pauvres, aux grands et aux petits, aux personnes libres et aux esclaves, le refuge que cet homme est venu chercher au pied des autels. Vous voyez comme chacun trouve ici un remède et se retire guéri par ce seul spectacle.

« Suis-je parvenu à toucher vos coeurs, à en bannir tout mouvement d'indignation, à y étouffer tout sentiment de dureté? Vous ai-je enfin amenés à la compassion? Oui, sans doute; et j'en ai pour garant l'affliction que je vois peinte sur votre visage et les larmes abondantes qui coulent de vos yeux.

« Puis donc que la pierre dure est devenue un champ gras et fertile, produisons des fruits de miséricorde, et faisant paraître au dehors une riche moisson de pitié, allons nous jeter aux pieds du prince, ou plutôt invoquons à l'envi le Dieu bon, prions-le d'amollir lui-même l'âme du prince et de rendre son coeur sensible pour qu'il nous accorde une grâce entière. Nous voyons déjà que du jour où ce malheureux s'est réfugié dans ce temple, il est arrivé un grand changement. Lorsque les soldats en troupe se présentèrent à l'empereur, animés par les excès du coupable et demandant son supplice, le prince, instruit qu'il avait choisi l'Église pour asile, leur tint un long discours pour tâcher de les adoucir; il leur représenta qu'ils ne devaient pas considérer les fautes de celui contre lequel ils étaient justement indignés, mais ce qu'il avait pu faire de bien. Je lui sais gré, disait-il, de ses bonnes actions et je lui pardonne les autres comme une suite de la faiblesse humaine. Mais comme ils le pressaient toujours de venger la majesté impériale outragée, qu'ils jetaient des cris, trépignaient de colère, agitaient leurs piques et s'obstinaient à demander la mort du criminel, alors ce prince très-clément, versant un torrent de larmes, leur parla de la Table sainte que cet homme avait choisie pour asile, et parvint enfin à les apaiser.

« Il ne reste plus qu'à changer nous-mêmes à son égard. Eh ! quelle excuse auriez-vous si, lorsque l'empereur outragé oublie les injures qui lui ont été faites, vous montriez un ressentiment implacable, voles qui n'avez pas été attaqués directement? Pourrez-vous donc, au sortir de cette assemblée, participer aux saints mystères? Pourrez-vous demander à Dieu qu'il vous pardonne vos offenses comme vous pardonnez à ceux qui vous ont offensés; pourrez-vous prononcer la prière que le Seigneur nous met dans la bouche, si vous demandez la punition de celui qui vous a outragés? Il a commis de grands crimes, il s'est permis de grands excès, nous n'en disconvenons pas; mais c'est aujourd'hui le temps de la clémence et non celui de la rigueur, c'est le temps de la bonté et non celui de la justice, c'est le temps de la compassion et de la miséricorde et non celui du jugement et de la condamnation; c'est le temps de faire grâce et non celui d'infliger une peine. Ne nous livrons donc pas aux mouvements de la haine; mais plutôt prions le Dieu bon de prolonger la vie de ce coupable, de l'arracher au supplice dont il est menacé, afin qu'il puisse réparer ses fautes. Implorons tous pour l'Église et pour l'autel un empereur plein de clémence; conjurons-le d'accorder à la Table sainte la grâce d'un seul homme. Si nous nous portons à cette démarche, le prince lui-même y applaudira; Dieu l'approuvera avant le prince et récompensera abondamment cet acte de douceur. Car autant il abhorre l'homme dur et cruel, alitant il aime et chérit celui qui est doux et humain. Si c'est un juste, il lui prépare des couronnes plus brillantes; si c'est un pécheur, il oublie ses fautes, et c'est la récompense dont il paye sa tendresse pour son frère.

« JE VEUX LA MISÉRICORDE, dit-il, ET NON LE SACRIFICE. Enfin, vous voyez partout dans l'Écriture qu'il demande toujours la miséricorde, qu'il la représente comme un moyen de racheter ses péchés. C'est ainsi que nous-mêmes nous nous rendrons Dieu propice, que nous rachèterons nos péchés, que nous honorerons l'Église, que nous mériterons les louanges d'un prince clément et les applaudissements de tout le peuple. C'est ainsi que la douceur et la modération de notre ville seront admirées jusqu'aux extrémités de la terre, et que notre action sera célébrée par tous les peuples chez qui elle retentira. Si donc nous voulons jouir de ces grands avantages, allons nous jeter aux pieds de l'empereur, implorons-le, conjurons-le, arrachons ait péril un malheureux captif, notre suppliant, afin que nous obtenions nous-mêmes les biens à venir par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »

XVIII. Le discours de saint Jean Chrysostome eut son effet; il sauva pour le moment la vie d'Eutrope; mais quelques jours après cet eunuque ayant eu l'imprudence de sortir de l'église pour se sauver, fut pris par les gardes et banni en Cypre. On le tira de cette île pour le ramener à Chalcédoine où son procès fut instruit; il fut condamné à avoir la tête tranchée.

XIX. L'agitation causée par la disgrâce d'Eutrope était à peine calmée, que l'on vit surgir de nouvelles affaires qui tendaient à troubler l'Église, à ruiner Constantinople et l'empire, et où partirent d'une manière merveilleuse le zèle, l'habileté, le caractère, la force d'âme de Chrysostome et la confiance universelle qu'inspiraient ses vertus.

La chute subite et la mort funeste d'Eutrope n'avaient point encore satisfait la haine de Gaïnas. Ce barbare orgueilleux s'était cru appelé à remplir les premières dignités de l'empire. Déçu dans son ambition, humilié de ce qu'il n'avait été élevé jusqu'alors qu'à des dignités secondaires, il voulut se venger sur l'empire et sur l'empereur même de la prétendue injustice qu'il avait soufferte. Il résolut d'humilier ce prince en lui faisant sentir son pouvoir, et d'immoler les personnages dont il avait à se plaindre ou qui lui portaient ombrage.

Soutenu par Tribigilde, il parcourut à la tête d'une puissante armée la Lydie, la Bithynie, s'abandonnant ait pillage et aux meurtres et livrant les villes aux flammes. Arcade hors d'état de se défendre écrivit à Gaïnas, de l'avis de son conseil, que pour le satisfaire il n'attendait qu'à connaître ses demandes. Le barbare lui répondit qu'il fallait lui remettre entre les mains trois personnages de la cour, Aurélien, Saturnin et le comte Jean, conseiller intime de l'empereur. Arcade ne pouvait se résoudre à envoyer ainsi à la mort les plus vertueux et les plus estimés de l'État; mais dans l'intérêt de ce prince et de l'empire, ces trois personnages se dévouèrent généreusement à la mort et se rendirent au camp de Gaïnas. Le barbare, par un reste d'honneur, n'osa les faire mourir; il se contenta de les envoyer en exil. Cependant il ne fut point satisfait; il exigea que l'empereur lui-même vint le trouver en personne pour convenir ensemble des articles du traité.

XX. Ce fut alors que l'on vit le fils du grand Théodose descendre de son trône et abaisser la majesté impériale jusqu'à traiter de son salut avec un général révolté. La conférence eut lieu à Chalcédoine dans l'église de Sainte Euphémie. On convint que Gaïnas et Tribigilde cesseraient les hostilités, qu'ils seraient reçus avec leurs soldats à Constantinople, que Gaïnas conserverait le titre de général et serait décoré des ornements consulaires. Le traité fut juré, maisle serment n'était sincère que dans la bouche de l'empereur. Gaïnas entra dans la ville, aussi mal intentionné qu'il en était parti.

XXI. Quelque temps après, à l'instigation de l'évêque arien de Constantinople, Gaïnas s'imaginant que rien ne pouvait lui être refusé, demanda à l'empereur pour lui et pour ceux de sa secte une église dans la ville, ajoutant qu'il était inconvenant que le général en chef des armées de l'Orient fût contraint de prier sous la tente et hors des murs de la ville. Ce Goth était arien, et Théodose avait interdit à ses sectaires l'usage de toutes les églises de la ville. Arcade fut dans un très-grand embarras : d'un côté il craignait de faire quelque chose de contraire à la religion; de l'autre il n'osait rien refuser à celui auquel il venait de sacrifier ses plus fidèles sujets. Il promit à Gainas de le satisfaire; mais avant d'acquitter sa promesse il fit venir Chrysostome pour lui exposer la demande du général et les motifs qui l'engageaient à le lui accorder. La réponse du saint évêque fut conforme aux lois de l'église, pleine de sagesse et de fermeté. Il répondit que le prince n'était pas le maître de disposer à son gré de la maison de Dieu; que, pour lui, il ne souffrirait jamais qu'on fermât une église aux fidèles qui venaient y célébrer les louanges du fils de Dieu, pour l'ouvrir à ceux qui ne s'y rendraient qu'afin de l'insulter par leurs blasphèmes. «Prince, continua-t-il, si vous craignez ce barbare, permettez-moi de lui parler en votre présence et écoutez-nous sans rien dire. J'espère lui fermer la bouche et le réduire à se désister d'une prétention sur laquelle on ne peut sans crime lui rien accorder. » L'empereur y consentit avec joie et les manda tous les deux le lendemain.

XXII. Chrysostome se rendit au palais, accompagné des prélats qui se trouvaient alors à Constantinople. Gainas, avec sa hardiesse ordinaire , somma le prince de sa parole; il représenta que ce serait lui faire injure, de lui refuser une église; qu'il ne pouvait se joindre dans la prière à ceux dont il était séparé dans la doctrine, et qu'après ce qu'il avait fait pour l'honneur et la défense de l'empire, il méritait bien cette déférence. Alors Chrysostome prenant la parole et tenant en main la loi de Théodose qui ôtait aux sectaires toutes les églises de Constantinople : « Il est vrai, dit-il à Gainas, que vous avez servi le père de l'empereur; mais jugez vous-même si les récompenses n'ont pas au moins égalé les services. Considérez ce que vous étiez et ce que vous êtes. Né barbare, fugitif de votre pays, réduit à la plus extrême misère, vous trouvâtes un asile entre les bras de Théodose ; vous y trouvâtes quelque chose de plus, des richesses et des honneurs. Vous lui jurâtes alors de le servir, lui et ses enfants, et d'observer fidèlement les lois de l'empire. Vous êtes maintenant général, vous portez les ornements de la dignité consulaire. Comparez ces habits dont vous êtes revêtu avec ceux sous lesquels vous passâtes le Danube. Souvenez-vous de votre serment. Voici une de ces lois auxquelles vous avez juré d'obéir. N'oubliez pas les bienfaits du père auxquels les enfants n'ont cessé d'en ajouter de nouveaux. Les empereurs sont-ils seuls obligés à la reconnaissance, et vous est-il permis d'être ingrat? Pour vous, prince, ajouta-t-il en se tournant vers Arcade, c'est à vous de maintenir les saintes ordonnances de votre père. Vous perdriez moins en renonçant au nom d'empereur qu'à celui de prince catholique; et vous ne pouvez conserver ce dernier titre, si vous abandonnez la maison de Dieu à un culte qui l'outrage. »

XXIII. Gaïnas trompé dans son espérance , furieux d'avoir été vaincu par l'évêque, prit dès lors la résolution de violer les traités et de piller la ville. L'apparition d'une comète extraordinaire fut, au dire de Sozomène, l'annonce des désordres et des malheurs causés par ce barbare. Il tente de piller les édifices des monnaies et de brûler le palais impérial, mais ayant échoué dans ses projets, il partage ses soldats; les uns le suivent hors des murs et les autres restent dans la ville, pour aider à l'armée nouvelle qu'il allait lever, à s'emparer de Constantinople. Mais par la permission de Dieu, son dessein ayant été découvert, le peuple tombe à l'improviste sur les soldats au moment où ils sortent des portes, tandis qu'au centre de la cité on extermine ceux qui y sont demeurés. Arcade, excité par le courage du peuple, déclare Gainas ennemi public. Il donne des ordres , les citoyens animés par le zèle de la patrie fortifient la ville et la mettent à l'abri des attaques de ce barbare. La Thrace ressentit les effets de la fureur de Gaïnas et les cruautés qu'il y commit furent telles, que l'on jugea nécessaire à Constantinople de lui envoyer une députation pour l'adoucir. Mais la difficulté fut extrême , lorsqu'il s'agit de trouver des citoyens assez courageux pour remplir cette mission; car on redoutait autant la cruauté que la bravoure de ce barbare, et personne n'osait aller ni le combattre ni même traiter avec lui.

XXIV. Au milieu de cette terreur universelle, on eut recours à Jean Chrysostome, cet invincible guerrier de Jésus-Christ, dit Théodoret, le seul homme intrépide qui fût à Constantinople. Le saint évêque, heureux de se dévouer pour le salut public, accepta cette ambassade plus dangereuse pour lui que pour tout autre, après la liberté avec laquelle il avait confondu Gaïnas. Il alla le trouver en Thrace, et l'on vit en cette rencontre combien est forte et victorieuse l'impression que fait la vertu sur l'esprit de ceux-mêmes qui la combattent.

XXV. Le barbare averti de son arrivée va au-devant de lui, et lui prenant la main, il l'applique sur ses yeux; il lui présente ensuite ses enfants qui tous, prosternés, embrassent les genoux du saint, évêque. Pouvoir étonnant de la religion! Celui qui faisait trembler l'empereur et devant qui tous les peuples consternés s'humiliaient, se laisse fléchir par un pauvre ministre de Jésus-Christ ! Chrysostome commence cette longue suite de saints évêques qui, pour sauver les peuples lors de l'invasion des barbares, se dévouent généreusement à la mort. Ils adoucissent la férocité des farouches conquérants par le respect qu'ils savent leur inspirer. Seuls, ils sont dans ces temps de bouleversement les remparts des villes et les sauveurs de la patrie. Qui n'a pas entendu parler de saint Loup de Troyes et de saint Léon, qui sauvèrent leurs peuples de l'incendie, du pillage et de la mort? Leurs noms, comme celui de Chrysostome, vivront aussi longtemps que la foi chrétienne , principe de leur dévouement.

Gaïnas fut. obligé de quitter la Thrace et de repasser le Danube. Uldès, roi des Huns, le vainquit en bataille rangée. Gaïnas tomba percé de coups et sa tête fut portée en triomphe à Constantinople.

La rébellion de Gaïnas fut utile à la religion et à la piété. La crainte qu'il inspirait, le danger où était sans cesse Constantinople, fit rentrer les pécheurs en eux-mêmes. Un grand nombre de païens et d'hérétiques convertis à la foi reçurent le baptême, et les catholiques les moins fervents renoncèrent à leur vie sensuelle, pour se livrer tout entiers aux couvres de la foi et de la piété chrétienne.

XXVI. Ce que nous venons de raconter fait voir combien les plus paisibles années de l'épiscopat de Chrysostome furent pourtant remplies de soucis, de craintes et de sollicitudes; toutefois les événements politiques , le soulèvement des barbares et la frayeur continuelle qu'ils inspiraient, l'occupaient beaucoup moins que le soin des églises, le maintien de la discipline et la réforme des abus qui s'étaient introduits dans le sanctuaire. Après s'être occupé des vierges, des veuves, des diacres et des prêtres, il s'occupa des évêques préposés aux différentes églises qui dépendaient de la métropole de Constantinople. Jaloux de la gloire de l'Église, de la pureté de cette Épouse de Jésus-Christ, il employa, pour la procurer et la maintenir sans aucune tache, tout ce que la Providence lui avait donné de science, de force, de talents et de vertus. Dans ce siècle où les âmes énervées tendaient à s'appesantir vers la terre et dans lequel l'avarice, l'orgueil, l'ambition et la simonie souillaient le sanctuaire, il fut comme une colonne inébranlable, un phare lumineux et resplendissant, un mur d'airain dans la maison de Dieu. Doué d'un caractère énergique, supérieur à toutes les petites considérations que né manquent pas de suggérer la vanité et le désir de plaire au monde, il ne voyait en toutes choses que la gloire de Dieu, le bien de l'Église et le salut des âmes. Il ignorait ces timides et coupables ménagements qui nuisent tant à la vérité et à la vertu. Jamais il ne pactisait avec l'erreur et le désordre; il les attaquait avec force, mais en même temps avec douceur et prudence partout où il les rencontrait, sans acception de personne ; quand il s'agissait de son devoir il avait polir devise cette parole de saint Paul : SI JE CHERCHAIS A PLAIRE AU MONDE , JE NE SERAIS PLUS SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST. L'affaire des évêques d'Asie vint en l'année 400 mettre dans un nouveau jour son zèle, son courage, sa prudence, sa fermeté épiscopale et son amour pour la beauté de l'Église.

XXVII. Au commencement du mois d'octobre de cette même année, quelques évêques qui se trouvèrent à Constantinople s'étant assemblés un dimanche pour communiquer ensemble, Eusèbe de Valentinople en Lydie leur présenta une requête contenant six chefs d'accusation (314) contre Antonin, évêque d'Éphèse, son métropolitain; il l'accusait : 1° d'avoir fait fondre les vases sacrés de l'Église et d'en avoir détourné l'argent au profit de son fils; 2° d'avoir employé dans ses étuves des marbres du baptistère; 3° d'avoir fait dresser dans sa salle à manger des colonnes de l'Église, couchées sur le pavé depuis longtemps; 4° de tenir à son service un valet qui avait commis un meurtre, sans lui en avoir fait aucune correction; 5° d'avoir vendu à son profit les terres que Basiline, mère de l'empereur Julien, avait laissées à l'Église; 6° de vendre habituellement l'ordination des évêques à proportion du revenu des évêchés. Eusèbe ajoutait : « Ceux qui ont été ordonnés à prix d'argent et celui qui l'a reçu sont présents, et j'ai les preuves de tout ce que j'avance. »

XXVIII. Saint Chrysostome craignant que ces accusations ne fussent l'effet de quelque inimitié tâcha d'apaiser Eusèbe, et pria Paul d'Héraclée, ami d'Antonin, de les réconcilier l'un avec l'autre. Après quoi il se leva et entra dans l'Église avec les évêques, car .c'était le temps du sacrifice; après avoir salué le peuple, en donnant la paix suivant la coutume, il s'assit avec les évêques qui l'accompagnaient. Mais Eusèbe qui était entré secrètement présenta devant tout le peuple et devant tous les évêques une autre requête qui contenait les mêmes chefs d'accusation, demandant instamment justice à saint Chrysostome et l'en conjurant par les serments les plus terribles. Chrysostome voyant son emportement et voulant prévenir tout désordre parmi le peuple reçut le mémoire; mais après la lecture, des saintes Écritures, il pria Pansophius, évêque de Pisidie, d'offrir le saint sacrifice. Pour lui, il sortit avec les autres évêques : car il ne voulait point sacrifier dans l'état de trouble et d'agitation où se trouvait son esprit, tant était grand le respect qu'il avait pour les saints mystères!

Quand le peuple eut été congédié, saint Chrysostome s'assit dans le baptistère avec les autres évêques, et ayant appelé Eusèbe, il lui dit devant tout le monde : « Mon cher Eusèbe, souvent on avance par passion des choses que l'on a peine à prouver; si vous pouvez démontrer clairement votre accusation, nous ne la rejetons pas; sinon nous ne vous obligeons point à la soutenir. Prenez donc votre parti avant la lecture du mémoire; car quand il aura été lu et entendu de tout le monde et que l'on aura dressé des actes, il ne vous sera plus permis, étant évêque, de vous désister. » Eusèbe persista. On fit lire son mémoire, et les anciens évêques dirent à saint Chrysostome : « Quoiqu'il n'y ait aucun de ces chefs d'accusation qui ne soit criminel, néanmoins pour ne pas perdre de temps attachons-nous au dernier qui est le plus horrible. Car celui qui aura vendu à prix d'argent la communication du Saint-Esprit, n'aura pas épargné les vases sacrés, les marbres ou les terres de l'Église. » Alors saint Chrysostome commença l'instruction du procès et dit : « Mon frère Antonin, que dites-vous à cela? » II ne manqua pas dalle nier. On interrogea ceux qui avaient donné l'argent; ils le nièrent aussi. On continua l'instruction sur quelques indices et on travailla avec soin jusqu'à deux heures après midi. Enfin on voulut adresser des questions aux témoins devant lesquels Margent avait été donné et reçu, mais ils n'étaient pas présents.

Chrysostome sentant la nécessité d'entendre ces témoins et la difficulté de les faire venir, résolut d'aller lui-même en Asie achever cette instruction. Mais Antonin, pressé par les remords de sa conscience, s'adressa à une personne puissante dont il était comme l'intendant pour quelques terres qu'elle avait en Asie, et la pria d'empêcher le voyage de Chrysostome, promettant de faire venir lui-même les témoins. On fit donc dire au saint de la part de l'empereur : « Il n'est pas à propos que vous, qui êtes notre pasteur, vous nous quittiez à la veille d'un si grand trouble et que vous alliez en Asie pour des témoins que l'on peut aisément faire venir. » Ce trouble était la révolte de Gaïnas. Quoique le saint évêque remarquât dans tout ce procédé les fuites et les artifices d'Antonin, il suspendit son voyage; et, de l'avis des évêques, il envoya trois d'entre eux sur les lieux pour entendre les témoins. Mais avant qu'ils fussent arrivés à Hypèpe, ville d'Asie où les parties et les témoins devaient se rendre, Eusèbe gagné par argent s'était réconcilié avec Antonin; il traîna la procédure en longueur sous divers prétextes et enfin l'abandonna tout à fait pour aller se cacher à Constantinople, en sorte que les juges le déclarèrent excommunié, ou comme faisant défaut, ou comme calomniateur.

XXIX. Cependant Antonin mourut, et saint Chrysostome reçut un décret du clergé d'Ephèse et des évêques voisins qui le priaient, dans les termes les plus vifs et les plus pressants, de venir réformer cette église, affligée depuis longtemps par les ariens et par les mauvais catholiques; et empêcher les brigues de ceux qui prodiguaient l'argent et les promesses pour être promus à cet évêché devenu vacant. Le saint, voyant qu'il s'agissait de rétablir la discipline dans toute la province d'Asie, où elle était tombée autant par le manque de pasteurs que par l'ignorance de ceux qui étaient à la tête des églises, résolut de faire ce voyage malgré sa mauvaise santé et la rigueur de l’hiver. II laissa le soin de l'Église de Constantinople à Sévérien, évêque de Gabale en Syrie, qui y était venu prêcher et en qui il avait une entière confiance, et prit Pour l'accompagner en son voyage trois évêques, Paul, Syrien et Pallade.

Quand ils furent arrivés à Éphèse, les évêques de Lydie, d'Asie, de Phrygie et de Carie s'y assemblèrent au nombre de soixante-dix, attirés par la réputation de saint Chrysostome qu'ils désiraient entendre depuis longtemps, principalement les Phrygiens. Ce concile ordonna pour évêque d'Éphèse Héraclide, natif de Cypre, diacre de saint Chrysostome, et qui avait été moine en Sétis sous la direction d'Évagre. Eusèbe, accusateur d'Antonin, se présenta, persistant dans son accusation contre les six évêques qu'il prétendait avoir acheté de celui-ci l'épiscopat. On fit entrer les témoins qui marquèrent en détail les espèces de présents que ces six évêques avaient donnés. Eux-mêmes, ne pouvant plus résister aux remords de leur conscience, avouèrent le crime qu'on leur reprochait, s'excusant sur la coutume et sur ce qu'ils n'avaient eu d'autre intention que de s'affranchir des charges curiales. Maintenant donc, ajoutaient-ils, nous vous prions de nous laisser, s'il se peut, dans le service de l'Église; sinon, de nous faire rendre l'or que nous avons donné. Saint Chrysostome dit au concile : « J'espère que l'empereur, à ma prière, les délivrera des charges curiales ordonnez de votre côté que les héritiers d'Antonin leur rendent ce qu'ils ont donné. » Le concile prescrivit cette restitution et déposa les six évêques simoniaques, leur permettant seulement de communier dans le sanctuaire. Ils acquiescèrent au jugement, et on mit en leur place d'autres évêques de moeurs et de capacité convenables et qui avaient toujours gardé la continence.

Saint Chrysostome ôta aussi de Nicomédie l'évêque Géronce. Il avait été diacre de saint Ambroise, à Milan, et se vanta d'avoir pris la nuit un onoscélide. C'est ainsi que les Grecs nommaient un spectre qu'ils se figuraient avec des jambes d'âne. Géronce disait donc qu'il avait pris ce monstre, qu'il lui avait rasé la tête et l'avait mis dans un moulin pour tourner la meule, ce qui était le châtiment des esclaves. Soit qu'il le dit par vanité pour se faire admirer, ou par illusion du démon, saint Ambroise trouva ce discours indigne d'un ministre de Dieu, et ordonna à Géronce de demeurer quelque temps chez lui à faire pénitence. Mais celui-ci, qui était habile médecin, actif, insinuant et propre à se faire des amis, se moqua de saint Ambroise et s'en alla à Constantinople. En peu de temps il acquit la faveur de quelques personnes puissantes au palais, qui lui procurèrent l'évêché de Nicomédie. Il fut ordonné, par Hellade, évêque de Césarée en Cappadoce, en récompense de ce qu'il avait obtenu à son fils un emploi considérable à la cour. Saint Ambroise l'ayant appris, écrivit à Nectaire, évêque de Constantinople, de déposer Géronce, et de ne pas souffrir l'injure qu'on lui faisait, ainsi qu'à la discipline ecclésiastique. Quelque désir qu'en eût Nectaire, il n'avait pu y réussir à cause de la forte résistance qu'il éprouva de la part du peuple de Nicomédie. Saint Chrysostome déposa Géronce et ordonna à sa place Pansophius, qui avait été précepteur de l'impératrice; il était pieux, de moeurs douces et réglées, mais il n'était point agréable au peuple de Nicomédie aussi son élection suscita bien des ennemis à saint Chrysostome.

Cependant, Sévérien de Gabale, à qui le saint avait en partant confié l'Église de Constantinople, faisait servir la prédication de l'Évangile à son ambition particulière, et tâchait de gagner les esprits dans le dessein d'usurper ce siège. Antiochus, évêque de Ptolémaïde en Phénicie, qui parlait avec beaucoup de facilité et un beau son de voix, ayant prêché quelque temps à Constantinople, s'en était retourné chez lui avec une somme assez considérable. Sévérien, excité par cet exemple, composa un grand nombre de sermons, s'en vint à son tour dans la capitale, se fit connaître à la ville et à la cour, et capta l'amitié de saint Chrysostome, qui le nomma son remplaçant pendant son absence. Sévérien sut habilement profiter des avantages de cette position. Une circonstance particulière vint encore le favoriser : il eut l'honneur de baptiser Théodose le Jeune, qui naquit dans l'intervalle; ce qui le mit en relation directe avec l'empereur et l'impératrice. Ses cabales s'étendaient de plus en plus. Mais un prêtre de Constantinople, nommé Sérapion, très-fidèle à saint Chrysostome, lui donna avis de ce qui se passait, et contribua de toutes ses forces à dissiper les artifices de Sévérien. Aussitôt après son retour, qui eut lieu au mois d'avril 409, après cent jours d'absence, saint Chrysostome prononça, à la louange de son peuple, un discours où il se félicitait de retrouver ses diocésains tels qu'il les avait laissés, au lieu que les Israélites avaient commis de grands péchés en l'absence de Moïse. Il les loua de ce qu'ils. avaient résisté courageusement aux ariens, et les compara à une femme honnête et vertueuse qui repousse avec force tonte proposition coupable, et à des chiens fidèles qui gardent le troupeau en l'absence du pasteur. Sévérien, se croyant outragé, sortit de Constantinople et se retira à Chalcédoine. Mais l'impératrice Eudoxie le fit revenir et le réconcilia avec saint Chrysostome. Ce saint parla de cette réconciliation dans un discours qu'il fit exprès pour engager son peuple à l'approuver, et Sévérien monta lui-même en chaire, le lendemain, pour déclarer qu'il venait, à bras ouverts et avec une grande expansion de coeur, offrir des sacrifices au Dieu de paix.

L'année 401, qui était la quatrième de l'épiscopat de Chrysostome, était terminée. Nous dirions qu'avec elle aussi finirent sa gloire et sa puissance, si nous parlions selon les idées du monde; mais il cessa seulement de résider au milieu de son peuple; sa gloire, au contraire, ne fit qu'augmenter par les persécutions et les calomnies sans nombre dont il fut l'objet et par les souffrances extraordinaires qu'il endura pour la cause de l'Église et de la vraie piété jusqu'à la fin de sa vie et de son épiscopat.

XXX. Avant de retracer les peines et les souffrances de son exil, revenons un peu sur nos pas pour contempler attentivement cet illustre athlète que la main de la Providence va jeter dans les rangs des confesseurs et pour ainsi dire dans l'arène du martyre. Examinons-le avant son dernier combat, et voyons quelle est sa grandeur, sa force, ses vertus et les armes dont il est couvert pour combattre et pour vaincre.

XXXI. Pour donner une juste idée de Chrysostome, nous ne saurions mieux faire que de le comparer au grand Apôtre des nations, à l'incomparable Paul. Personne n'eut plus d'admiration que lui pour cet Apôtre, et l'on peut dire que personne n'a retracé plus fidèlement ses vertus. Sa vénération et son amour pour saint Paul percent de toutes parts; il en parle, il le cite dans toutes ses homélies et dans tous ses traités. Faut-il exposer la doctrine, établir le dogme catholique? la parole de saint Paul est la preuve convaincante qu'il en apporte. Faut-il exhorter les peuples à la pratique de la foi, aux oeuvres de dévouement, à l'humilité, à l'amour de Dieu ? Chrysostome appuie ces exhortations des exemples de saint Paul. Pour lui, saint Paul est le type de la sainteté, le modèle le plus parfait que l'on puisse imiter; aucun saint ne lui est comparable; et il a rassemblé en lui dans un degré éminent tout ce qu'il y a de bon et de grand non-seulement parmi les hommes, mais parmi les anges; il a possédé lui seul les vertus de tous les autres, il les a pratiquées toutes ensemble plus parfaitement qu'aucun d'eux n'a pratiqué celle qui lui était particulière (1). « Son détachement a surpassé celui d'Abraham; il a été plus doux qu'Isaac, plus patient que Jacob, plus chaste que Joseph; sa charité a été plus grande que celle de Moïse; il a surpassé David en humilité, Élie en zèle et JeanBaptiste en mortification. A l'imitation des anges, il s'est soumis à la parole du Tout-Puissant, et a gardé ses commandements, parcourant tout l'univers avec la même agilité que ces esprits célestes, et purifiant la terre par l'ardeur de la charité comme le feu fait les métaux. »

Mais c'est surtout dans son homélie 32 sur l'Épître aux Romains (2) que le disciple de saint Paul révèle son enthousiasme et son profond amour pour son Maître. « La ville de Rome m'est chère, s'écrie-t-il; je l'aime de toute l'ardeur de mon âme. Je pourrais célébrer son antiquité reculée, la beauté de ses édifices, la grandeur de ses monuments, la magnificence de ses palais, ses richesses immenses, les guerres qu'elle a soutenues, les victoires qu'elle a remportées et la gloire dont elle est environnée; mais rien de tout cela ne me touche. Je chéris cette ville parce que c'est la ville de Paul, parce qu'il l'aimait. Je l'aime parce qu'il y a prêché, parce qu'il y a vécu et qu'il y est mort. Oui, cette grande cité est illustre pardessus toutes les autres; elle plus éclatante que le soleil à son midi, parce qu'elle renferme les restes précieux de ces deux colonnes, des deux grandes lumières de l'Église, des deux Apôtres de Jésus-Christ. Oh! quel spectacle pour Rome, quand au dernier jour elle verra saint Pierre et saint Paul allant au-devant du Christ, glorieux et triomphants (3).

 

1. Encomia Pauli, homil. 1. — 2 Rom., homil. 32. — Ad Rom., homil. 32.

 

« Que ne m'est-il donné de voir les cendres de ce corps qui a accompli dans sa chair ce qui manquait aux souffrances de Jésus-Christ, qui a porté sur lui les marques et les stigmates de sa croix, qui a répandu l'Évangile dans tout le monde! Que ne puis-je contempler les restes précieux de cette bouche sacrée par qui Jésus-Christ a parlé, d'où a jailli une lumière plus brillante que le soleil, qui a fait retentir une voix plus redoutable aux démons que le tonnerre! C'est par cette voix qu'il les a vaincus, qu'il a purgé le monde de ses erreurs, guéri les maladies des corps et des âmes et fait régner la vérité sur la terre. Mais je souhaiterais encore de voir les restes de son coeur, que l'on peut dire avoir été la source d'une infinité de biens, le principe de notre vie : car c'est de là due l'Esprit de vie s'est communiqué à tous les membres du Vils de Dieu, non par les artères, mais par les désirs et les saintes résolutions des fidèles. Ce coeur dilaté par la charité a renfermé des villes, des peuples et des nations entières. De ce coeur coulaient, suivant la promesse de Jésus-Christ, des fleuves abondants de doctrine et de sagesse, pour arroser non la terre, mais les âmes. Que ne puis-je encore vénérer de près les cendres de ses mains qui ont été si souvent enchaînées, qui par leur imposition donnaient le Saint-Esprit aux fidèles, que les serpents ont respectées en s'élançant d'eux-mêmes dans les flammes plutôt que de les blesser! Quelle joie n'aurais-je pas de voir aussi les cendres de ces yeux qui ont mérité de contempler Jésus-Christ, les cendres de ces pieds qui ont parcouru toute la terre sans se donner de relâche, et qui étaient dans les entraves lorsque cet. Apôtre par sa prière ébranla les murailles de la prison ! Enfin, je voudrais approcher de ce sépulcre où sont renfermées ces armes de justice et de lumière, ces membres vivants lors même qu'ils paraissent morts, ces membres en qui Jésus-Christ vivait, et dont le Saint-Esprit avait fait son temple. Le corps de cet Apôtre et celui du bienheureux Pierre protégent Rome bien plus sûrement que les tours et les bastions ne défendent les villes les plus puissantes. »

XXXII. Plein de cette admiration pour saint Paul, Chrysostome lisait assidûment ses Épîtres; elles étaient toujours entre ses mains; il les savait de mémoire. Dans sa cellule, il avait placé, au rapport de saint Jean Damascène, une, image de saint Paul. Pendant qu'il préparait ses homélies sur les Epîtres de cet Apôtre, il levait souvent les yeux vers cette image pour demander le secours du ciel et l'intelligence de la parole sacrée. L'empereur Léon, dans la Vie de saint Chrysostome, rapporte que Proclus, qui fut depuis évêque de Constantinople, vit un jour debout près du saint évêque un vieillard vénérable, qui avait le port, la taille, le visage enfin de saint Paul, et qui lui suggérait les explications qu'il devait écrire; aussi ce saint docteur a-t-il toujours passé pour le plus excellent interprète du grand Apôtre.

Chrysostome recommandait instamment à ses auditeurs d'Antioche et de Constantinople de lire les Épîtres de saint Paul; non-seulement il voulait que les grands, les riches et les savants les méditassent, mais il exhortait à cette sainte lecture les pauvres, les gens du peuple, les marchands et même les ouvriers.

XXXIII. Avec quelle éloquence ne réfute-t-il pas, dans son Traité du Sacerdoce, ceux qui, ne comprenant pas le sens profond de la parole de saint Paul, objectaient qu'il n'était pas éloquent! « Non, sans doute, s'écrie-t-il, saint Paul n'est pas éloquent à la manière d'Isocrate, de Démosthène, de Thucydide et de Platon; il n'a pas la politesse du premier, ni l'heureux choix d'expressions des autres, mais en abandonnant aux profanes les vains ornements d'une éloquence pompeuse, il a excellé dans un genre d'érudition dont personne ne peut lui disputer la gloire, qui était de mettre en évidence, par un discours simple, mais naturel, les dogmes de la religion (1). C'est avec cette éloquence qu'il confondit les juifs qui demeuraient à Damas, qu'il triompha depuis de tous ses ennemis, et convertit à la foi des milliers de juifs et de gentils, à Athènes, à Antioche, à Thessalonique, à Corinthe, à Éphèse et à Rome, les villes du monde où l'on se piquait le plus d'éloquence. La beauté de ses lettres ne charme-t-elle pas encore ceux qui les lisent? Tous les fidèles n'y trouvent-ils pas de quoi se consoler et s'instruire? Elles servent à l'Église comme de remparts pour la défendre; c'est là qu'on trouve les motifs de l'obéissance que nous devons à Jésus-Christ, et de quoi abaisser la fierté de l'esprit humain qui veut s'élever ou se révolter contre Dieu. Elles nous servent de préservatif contre le poison des fausses doctrines, de règles et d'instruction pour la réformation de nos moeurs; les évêques y trouvent les moyens de conserver la pureté et la beauté de l'Epouse de Jésus-Christ; et nous y trouvons nous-mêmes des remèdes contre tous les maux qui peuvent nous atteindre. »

L'admiration de Chrysostome pour saint Paul était vraie, et par conséquent ne pouvait être stérile. Aussi se montrait-elle dans ses paroles et dans sa conduite; et, de même que ses discours étaient tout imprégnés des sentiments et des expressions de ce saint, ainsi sa vie reflétait admirablement les vertus du grand Apôtre. Comme lui, il se montrait un digne ministre de Dieu par une grande patience dans les maux, dans les nécessités pressantes, dans les afflictions, dans les séditions, dans les

 

1. De Sacerdotio, lib. IV, cap. IV.

 

travaux, dans les veilles et dans les jeûnes; par la pureté, par la science, par une douceur persévérante, par les fruits du Saint-Esprit, par une charité sincère, par la parole de la vérité, par la force de Dieu, par les armes de justice pour combattre à droite et à gauche, à temps et à contre-temps.

Entrons dans quelques détails, et mettons en parallèle les vertus du maître et celles du disciple.

XXXIV. Tout l'édifice spirituel du salut repose sur l'humilité. C'est elle qui est la première des vertus, la pierre angulaire, la base sur laquelle elles doivent s'élever. Point de vertus sans l'humilité : aussi, l'Apôtre saint Paul était-il parfaitement humble; élevé au troisième ciel , appelé miraculeusement à l'apostolat, instruit par Jésus-Christ même des secrets des cieux, puissant en oeuvres et en paroles, guérissant les malades, opérant. mille prodiges, il s'écriait, : « Je suis le plus petit des apôtres; je ne mérite pas d'être compté parmi les apôtres , parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu... J'ai été un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi de la foi... Jésus-Christ s'est révélé à moi comme à un avorton, au dernier de tous (1). » Chrysostome, il est vrai, ne pouvait pas dire : J'ai persécuté l'Eglise de Dieu, j'ai été blasphémateur, mais il reconnaissait humblement devant Dieu qu'il eût pu l'être sans la grâce qui l'avait préservé; il attribuait à la grâce tout le bien qu'il avait fait et tout le mal qu'il eût pu faire et qu'il n'avait pas fait. Comme l'Apôtre, il disait aussi : Je ne suis pas digne d'être élevé au saint ministère; quand on voulut l'élever à l'épiscopat, sa frayeur et le chagrin dont il se trouva saisi, agirent sur les organes de son corps avec tant de violence, qu'il faillit en mourir. « Je me représentais, d'un côté, dit-il, la

 

1. Corinth , cap. XV.

 

gloire de l'Épouse de Jésus-Christ, la sainteté, la sagesse et la beauté spirituelle qui la décorent; de l'autre, mes péchés sans nombre et les infirmités dont mon âme était accablée. Dans cette comparaison, je gémissais et soupirais continuellement, me disant à moi-même : d'où a pu venir un semblable dessein? Quelle si grande offense l'Église a-t-elle commise contre Dieu? par quelle faute a-t-elle si fort irrité son Seigneur contre elle, qu'il la veuille déshonorer en la livrant à un pécheur tel que moi (1)? »

Devenu évêque par la permission de Dieu, il persévéra dans les mêmes sentiments d'humilité; toujours modeste au milieu des plus grands succès qu'ait jamais obtenus l'éloquence humaine, gémissant de se voir environné de tant d'estime, condamnant les louanges qui lui étaient prodiguées , et disant sans cesse avec son modèle : JE SUIS LE PLUS PAUVRE ET LE DERNIER DE TOUS : EGO SUM MINIMUS APOSTOLORUM, QUI NON SUM DIGNUS VOCARI APOSTOLUS.

XXXV. L'esprit de pénitence, la contrition du cœur, la mortification des sens, est une suite de l'humilité ou (le la connaissance de soi-même. Comme son modèle, Chrysostome craignait pour son salut; il prenait le titre de pécheur; il châtiait son corps par les veilles, par le travail, les jeûnes, les austérités de la pénitence; il dormait peu, étudiait sans cesse, ne buvait jamais de vin, et. ne donnait à son corps que la nourriture nécessaire; il le réduisait en servitude, craignant qu'après avoir prêché l'Évangile aux autres, il ne fût réprouvé lui-même. « Je tremble pour mon salut, disait-il à ses auditeurs, parce que, obligé par ma position de pleurer vos péchés, il ne me reste plus assez de temps pour pleurer les miens propres. »

 

1 De Sacerdotio, lib. VIi.

 

XXXVI. Sa chasteté était parfaite. Les combats qu'il soutint, les victoires qu'il remporta dans le désert contre le démon et ses propres passions en sont la preuve. Aucun docteur, aucun Père ne s'éleva ni plus souvent, ni avec plus de force et d'éloquence contre les théâtres et les spectacles qui, pour l'ordinaire, sont la ruine et la perte de cette vertu dans les âmes. Sans cesse dans ses homélies et ses écrits, il insiste sur l'excellence, la nécessité et les avantages précieux de cette vertu. Il composa un traité particulier pour exhorter à la virginité tous ceux qui sentent en eux-mêmes le don de Dieu. «  Je vous aime pour Dieu d'un amour de jalousie, disait-il avec saint Paul (1), parce que je vous ai préparés pour l'unique époux qui est Jésus-Christ., afin de vous présenter à lui comme une vierge toute pure; quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je leur donne comme ayant reçu du Seigneur la grâce d'être son fidèle ministre. Je crois donc que cet état est avantageux à cause des misères de la vie présente, je veux dire qu'il est avantageux de ne se point marier. » Il représente la virginité comme exempte de soins et de sollicitudes, ornée d'un vêtement immortel, la tête ceinte d'une couronne plus brillante que la couronne des rois; elle est la sueur des anges, un combat, un martyre glorieux, une source de joies, de mérites et de récompenses.

XXXVII. Personne n'était mieux fait due Chrysostome pour plaire au monde; son talent, son mérite extraordinaire lui donnaient un accès facile à la cour, où il pouvait avoir un immense crédit; les revenus de son Église étaient propres à le recommander auprès des riches, et sa dignité le rendait leur égal; son éloquence l'élevait au

 

1. II Corinth., cap. XI.

 

dessus de tous les orateurs de son temps, et quel immense respect n'eût-il pas pu se concilier dans les rangs du clergé? Mais il n'aimait ni le monde, ni les honneurs, ni les richesses, ni les vanités du monde; son zèle ne lui permettait pas de taire ou de dissimuler la vérité, quand c'était son devoir de la dire; il avait appris de son maître cette maxime qui est celle des ministres dévoués à Dieu : « SI JE CHERCHAIS à PLAIRE AU MONDE JE NE SERAIS PLUS SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST (1). Peu m'importe d'être jugé par vous ou par quelque homme que ce soit, je n'ose pas même me juger moi-même ; c'est le Seigneur qui est mon juge. Aussi il était mort au monde, et le monde était mort pour lui; il ne se glorifiait que dans la croix de Jésus-Christ; il vivait, ou plutôt ce n'était pas lui qui vivait, é est Jésus qui vivait en lui. Sa vie se passait entièrement occupée au service de Dieu et du prochain, à la prière, à l'étude et à la méditation des divines Ecritures. Ses prières et ses oraisons étaient continuelles. Outre celles qui lui étaient particulières, il ne manquait pas d'assister à celles qui se faisaient en commun dans l'église; souvent il se trouvait le premier et ouvrait lui-même, pendant la nuit, les portes du saint lieu. Sa foi, sa piété, sa ferveur, paraissaient surtout pendant la célébration des saints mystères. Jamais il ne s'exprime avec plus d'onction et de force que quand il parle de l'amour infini que Jésus-Christ nous témoigne dans l'Eucharistie et qu'il exhorte les fidèles à s'approcher fréquemment de cet auguste Sacrement. Nous apprenons de saint Nil, son disciple, que le saint évêque eut plusieurs fois le bonheur de voir une multitude innombrable d'anges environner l'autel durant la célébration du divin Sacrifice.

XXXVIII. Quoique, à cette époque, le culte de la sainte

 

1. Corinth , cap. IV.

 

Vierge n'eût point encore reçu les développements que lui réservait la Providence, en manifestant d'une manière éclatante la bonté de cette puissante Protectrice des chrétiens, Chrysostome en expliquant le texte sacré, ne manquait pas d'enseigner les nombreuses prérogatives de Marie, sa maternité divine, sa virginité perpétuelle, sa sainteté éminente et les grands privilèges qui la placent non-seulement au rang des créatures les plus élevées, mais dans un ordre à part, au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Nous avons suffisamment parlé de sa piété et de sa dévotion envers les saints et les martyrs, du soin qu'il avait pour la décence des églises, pour faire rendre aux saintes reliques le respect et le culte qui leur est dû. Pour dire encore ici un mot de sa foi et de son union avec Dieu, il pouvait bien s'écrier aussi comme son modèle : « Mes frères, nous ne sommes plus des étrangers et des hôtes, mais nous sommes de la cité des saints et de la maison de Dieu; car nous n'avons point ici de cité permanente, mais nous en cherchons une où nous devons habiter un jour. Nous vivons déjà dans le ciel, c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui changera notre corps corruptible en le rendant semblable à son corps glorieux, par cette vertu efficace qui peut lui assujettir toutes choses (1) »

XXXIX. Ce qui domine dans la vie de l'Apôtre saint Paul, ce qui est l'âme de son âme, ce qui le fait penser, agir, parler, parcourir la terre; ce qui le rend heureux ait milieu des travaux, des combats, des prisons, des persécutions et des souffrances; le trait enfin le plus saillant de sa vie et de son caractère, c'est son amour pour Jésus-Christ. Il l'aime avec une telle ardeur que son nom sacré est comme un rayon de miel pour sa bouche, une harmonie

 

1. Ad Hebraeos, cap, XIII.

 

divine pour son oreille, une source de joie pour son coeur. Sans cesse il parle du Sauveur Jésus; ce doux nom est toujours sur ses lèvres, il le prononce dans tousses discours, il l'écrit dans toutes les pages et même dans toutes les phrases de ses lettres. Pour lui, c'est le nom au-dessus de tous les noms, c'est celui par qui le salut s'est opéré, devant lequel s'inclinent le ciel, la terre, l'enfer, les anges, les hommes et les démons. Pour lui c'est un nom de confiance et de force, c'est le signe du ralliement, c'est la trompette qui l'excite au combat, c'est l'hymne du triomphe et de la victoire. Qu'il fait bon l'entendre défier toutes les créatures et s'écrier: « Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? sera-ce l'affliction, l'angoisse, la persécution oit la f«irn; sera-ce la nudité, les périls ou le glaive? Non , nous triomphons de toutes ces choses par la vertu de Celui qui nous a aimés. Non, car je suis assuré que ni la mort , ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les vertus, ni les choses présentes, ni les futures, ni la puissance des hommes, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus pro fond, ni mille autres créatures ne pourront jamais nous séparer de l'amour de Dieu qui est fondé en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).»

XL. Chrysostome avait bien compris la leçon du maître, et l'ardeur du saint Apôtre était passée dans son âme. « Un homme bien pénétré de l'amour divin, disait-il, ne voit plus ni les adversités ni les prospérités de la vie présente; empressé d'arriver à sa patrie, il passe près de tout cela sans y prendre garde. Et comme un homme qui court avec une extrême vitesse ne remarque aucun de ceux qui passent devant lui, quoiqu'il rencontre une infinité de personnes, parce que, tout occupé de sa course, il oublie tout le reste pour arriver promptement à son

 

1. Ad Rom., cap. VIII.

 

terme; de même celui qui marche à grands pas dans le chemin de la vertu et qui désire avec ardeur passer de la terre au ciel, néglige toutes les choses terrestres, et, sans penser à aucun des objets visibles, il ne s'arrête que quand il se voit enfin sur le sommet de la montagne. Un homme ainsi disposé méprise et dédaigne tolet ce qu'on regarde dans le monde comme redoutable; il ne craint ni le fer, ni le feu, ni les précipices, ni les dents des bêtes féroces, ni les plus horribles tourments, ni la cruauté des bourreaux, ni tout ce qu'on peut imaginer dans la vie de plus funeste; il passe par-dessus les charbons ardents comme s'il foulait aux pieds les roses; la vue des plus affreux supplices ne détourne ni ne ralentit sa marche. Le désir (les biens futurs le transporte et lui fait oublier qu'il a un corps; la grâce d'en-haut, dont il est prévenu, suspend toutes ses affections naturelles et l'empêche de sentir les douleurs les plus cuisantes. Je vous exhorte donc, mes frères, à allumer dans vos coeurs un grand amour de Dieu pour soutenir facilement les difficultés qui sont attachées à la pratique de la vertu. Tout occupés d'arriver au ciel, ne soyez arrêtés dans votre course par aucun des événements de la vie présente; mais uniquement attentifs à vous rendre dignes de posséder les biens ineffables d'une autre vie, supportez avec patience les maux et les traverses de celle-ci sans être ni attristés par les ignominies, ni affligés par la pauvreté, ni découragés par les maladies, ni ralentis dans votre zèle pour la vertu, par les mépris et les outrages des hommes : secouant tout cela comme une vile poussière, prenez des sentiments nobles et généreux, et montrez dans toutes les circonstances un courage digne de la foi que vous avez embrassée. »

XLI. Ces sentiments étaient gravés dans le coeur du Saint évêque; ils éclataient dans toute sa conduite; mais ils brillèrent surtout dans une circonstance rapportée par les historiens contemporains. L'empereur Arcade étant un jour transporté de colère contre Chrysostome, s'écria dans sa fureur en présence de quelques-uns de ses courtisans : « Que ne puis-je me venger de cet évêque !» Quatre ou cinq de ces courtisans voulant faire leur cour à l'empereur donnèrent leur avis et lui indiquèrent les moyens de se venger. Le premier dit : Envoyez-le si loin en exil que vous ne le revoyiez jamais; le second : Confisquez tous ses biens; le troisième : Jetez-le dans une prison, chargé de fers; le quatrième : N'êtes-vous pas le maître? faites-le périr et délivrez-vous-en par la mort; un cinquième plus intelligent : Vous vous trompez tous, dit-il, ce n'est point là le moyen de s'en venger et de le punir. Si vous l'envoyez en exil, la terre entière est sa patrie; si vous confisquez tous ses biens, vous les enlevez aux pauvres et non à lui; si vous le mettez dans un cachot, il baisera ses fers et s'estimera heureux; si vous le condamnez à la mort, vous lui ouvrez le ciel. Prince, voulez-vous vous venger? forcez-le à commettre un péché; je le connais : il ne craint ni l'exil, ni la perte de ses biens, ni le fer, ni le feu, ni les tourments; il ne craint au monde que le péché.

XLII La charité pour le prochain est la compagne inséparable de l'amour de Dieu : car ces deux amours n'en font qu'un; il est impossible d'aimer Dieu véritablement, si l'on n'aime les hommes qui sont les images de Dieu. Si quelqu'un dit :j'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car comment celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas, dit saint Jean (1)? L'amour du prochain est donc le signe

 

1.  S. Joan., cap. I.

 

auquel on reconnaît l'amour de Dieu. La charité de Chrysostome pour le prochain n'a pas besoin de preuves. Elle ressort admirablement de toutes les paroles et de toutes les actions de sa vie. Nous l'avons vu distribuer aux pauvres non-seulement les revenus, mais même le fonds de son riche patrimoine, solliciter en leur faveur la charité des riches et des personnes du siècle, soulager et visiter les malades, recueillir et nourrir les voyageurs et les pèlerins, gémir sur les calamités publiques et soutenir par son dévouement le courage abattu des peuples confiés à ses soins. Son amour pour son troupeau allait si loin, que l'on ne peut le comparer qu'à la tendresse d'une mère pour son enfant. Avec quelle noblesse, quelle douce effusion de son âme, il s'exprimait quand, après une absence plus ou moins longue, occasionnée par les affaires, la fatigue ou les maladies fréquentes auxquelles il était sujet, il reparaissait au milieu de ses enfants. En 387, il disait aux habitants d'Antioche :

« Je me sens aujourd'hui dans la même disposition que si je vous revoyais après une longue absence et un long voyage. Lorsqu'on est vraiment uni par les liens d'un amour réciproque, c'est en vain qu'on est près les uns des autres, si on n'a pas la liberté de se voir. Aussi, quoique nous fussions près de vous, nous n'étions guère plus heureux que si nous eussions été éloignés, parce que nous avons passé beaucoup de temps sans pouvoir vous entretenir. Mais pardonnez à un silence dont la cause unique était une indisposition corporelle. Vous vous réjouissez à présent parce que vous me voyez délivré d'une longue maladie, et moi je me réjouis parce que je puis enfin paraître au milieu de vous. Lorsque j'étais malade, ce que je trouvais de plus fâcheux dans mon état, c'était de ne pouvoir participer à vos pieuses assemblées; et maintenant que je suis rétabli, ce que je trouve de plus agréable dans la santé, c'est l'avantage de jouir librement de votre présence. La fièvre n'allume pas le sang de celui qu'elle dévore autant que le regret enflamme nos coeurs pour les personnes que nous aimons et dont nous sommes séparés ;nous désirons de les revoir avec la même ardeur que le malade convalescent soupire après des bains d'eau fraîche. Ceux qui savent aimer m'entendent. Puis donc qu'enfin me voilà rétabli, voyons-nous les uns les autres sans craindre la satiété, puisque l'amitié véritable ne connaît pas le dégoût; plus on voit celui qu'on aime, plus on désire de le voir. C'est ce que savait saint Paul, l'Apôtre de la charité, et c'est là ce qui lui faisait dire : NE DEMEUREZ REDEVABLES QUE DE L'AMOUR QUE L'ON SE DOIT LES UNS AUX AUTRES. C'est la seule dette que l'on paye toujours et que l'on n'acquitte jamais. »

Sa tendresse fut en quelque sorte plus grande encore pour le peuple de Constantinople. Après son voyage en Asie, qui dura cent jours, il s'écriait, dès le lendemain de son retour. « Il n'y a point de joie semblable à la mienne lorsque je me vois réuni à vous tous; elle embrasse par son étendue celle que mon retour cause à chacun de vous; car ne faites-vous pas ma couronne et ma gloire? A qui pourrais-je mieux comparer mon troupeau qu'à un jardin planté d'arbres fleuris? Si, par hasard, il s'en trouvait qui ne portassent point de fruits, je n'épargnerais ni soins ni peines pour en améliorer la nature et pour les rendre fertiles; et en agissant de la sorte, je ne ferais que remplir les devoirs de la justice. Eh ! ne suis-je pas l'esclave de vous tous? Mais, ô aimable esclavage qui fait tous mes délices! Ne vous imaginez pas que je vous aie oubliés durant mon absence; toujours vous avez été présents à mon esprit, et je n'ai cessé d'offrir à Dieu mes prières pour votre avantage spirituel et temporel. »

XLIII. L'amour de Dieu et du prochain est un feu, mais un feu ardent, un feu plein d'activité. Le zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes en est un des effets nécessaires; c'est la chaleur et la flamme qui s'échappent de la fournaise. Celui qui aime véritablement ne se contente pas d'aimer seul, il désire, il veut que les autres aiment l'objet de son amour; il s'écrie, comme le Prophète : « Glorifiez le Seigneur avec moi, je ne veux pas le glorifier seul, je ne veux pas l'embrasser seul; glorifiez-le avec moi. » Il prie, il sollicite, il entraîne les autres à sa suite vers l'objet de son amour. Saint Paul, cette âme héroïque, est le plus parfait modèle du zèle apostolique: consumé par les ardeurs divines de sa charité, il tenait embrassé en quelque sorte le monde entier. Son amour pour les âmes lui faisait affronter la faim et la soif, les persécutions, les périls, les prisons et les chaînes, les supplices et la mort. Depuis qu'il avait appris que le Sauveur,avait dit à saint Pierre : Si vous m'aimez, paissez mes brebis, et qu'il avait mis cette marque à son amour, il est impossible d'expliquer avec quel zèle et quelle générosité il se porta an salut des âmes. Je me dévoue pour votre salut, écrivait-il aux Philippiens, et quand même mon sang serait répandu sur le sacrifice et l'offrande de votre foi, j'en aurais de la joie et je m'en réjouirais avec vous. Qui est faible, sans que je sois faible avec lui' ? qui est scandalisé, sans que je brûle? Il était dans une sollicitude continuelle, il était dans les douleurs de l'enfantement, tant que ses enfants spirituels ne portaient pas l'image de Jésus-Christ. « Comme le fer jeté dans la fournaise ardente devient tout embrasé, tout brûlant et tout de feu, dit saint Chrysostome, ainsi le divin Paul, jeté dans la fournaise de l'amour divin, était tout amour. Aussi quelle ardeur pour le salut de ses frères en

 

1. Ad. Philipp., cap. II.

 

Jésus-Christ ! Que ne faisait-il pas par ses lettres et ses exhortations, par ses prières, par ses menaces, par lui-même, par les autres, par tous les moyens? Tantôt soutenant les faibles, relevant ceux qui étaient tombés, confirmant ceux qui marchaient., guérissant les malades, consolant les affligés, animant les tièdes; tantôt réprimant l'audace des ennemis et exerçant lui seul la fonction de médecin, de docteur et de général. Avec quelle charité, écrivant aux Romains, il s'écrie : « Jésus-Christ m'est témoin que je ne mens point. Je suis saisi d'une tristesse profonde, mon coeur est pressé d'une douleur continuelle , oui, je désirerais être anathème moi-même pour le salut de mes frères (1). »

XLIV. Tels étaient aussi les sentiments de Chrysostome; embrasé de l'amour de Dieu, il ne respirait que pour le salut du peuple confié à ses soins, la gloire de Dieu et l'honneur de son Eglise. C'était là l'objet de ses pensées, de ses désirs, de ses tristesses et de ses joies. Il pensait que l'on ne pouvait se sauver sans le zèle des âmes. Ecoutons avec quelle ardeur son dévouement et sa charité se manifestent dans un discours sur les Actes des Apôtres, prêché à Constantinople peu de temps avant que le feu de la persécution s'allumât contre lui.

« Il y a déjà trois ans, par la grâce du Seigneur, que je vous prêche, sinon nuit et jour comme saint Paul, du moins une ou deux fois la semaine; mais, hélas! quel a été le fruit de mes prédications (1)? J'avertis, je reprends, je pleure, je m'afflige, sinon ouvertement, du moins secrètement. Les pleurs que l'on répand an dehors en toute liberté adoucissent les peines, au lieu que les larmes secrètes ne font qu'augmenter la douleur et resserrer l'âme. Lorsqu'on ressent un chagrin que l'on n'ose faire paraître

 

1. Ad Rom., cap. IX.

 

dans la crainte d'être taxé de vanité, on souffre bien plus que si on pouvait le manifester au dehors. Si donc je ne craignais que l'on me reprochât d'agir par un motif de vaine gloire, vous me verriez répandre tous les jours des torrents de larmes; mais je me contente de les laisser couler sans témoins dans le secret de ma solitude. Croyez-moi, je désespère presque de mon salut, parce que, touché des maux de mon peuple, je n'ai pas le loisir de déplorer les miens propres, tant vous êtes tout pour moi! Que je vous voie faire des progrès dans la vertu, la joie qui me pénètre m'empêche de sentir mes maux; au contraire, si je ne vous vois pas profiter de mes conseils, la tristesse qui m'accable fait que je m'oublie moi-même. Ainsi quelque grandes que soient mes peines personnelles, je me réjouis du bien qui vous arrive; et quelque heureuse que puisse être ma situation, je m'afflige de tout ce que vous éprouvez de fâcheux. Oh! quelle joie peut goûter un pasteur lorsque son troupeau est en désordre? Quelle vie peut-il mener, quelle espérance peut-il avoir, avec quelle confiance peut-il se présenter devant le Seigneur? Je suppose qu'il soit sans reproche, qu'il n'ait pas de punition à craindre, qu'enfin il soit innocent et pur du sang de tous, cela n'empêchera pas qu'il ne souffre des maux insupportables. »

Le zèle du saint évêque était ardent, plein de force et de vigueur; mais il était aussi plein de bonté et de charité. « N'attaquons pas nos adversaires avec aigreur et emportement, disait-il; montrons-nous modérés dans la dispute, parce qu'il n'est rien de plus fort que la douceur et la modération; voilà pourquoi saint Paul nous exhorte si instamment à ne nous départir jamais de ces vertus. Un serviteur du Seigneur ne doit pas se livrer à la contestation, mais il doit être doux à l'égard de tout le monde (1); il

 

1. Ad Timoth., cap. II.

 

ne dit pas à l'égard de ses frères, niais à l'égard de tout le monde; et dans un autre endroit : Que votre modestie soit connue de tous les hommes (1).

« Pourquoi, je vous prie, avez-vous cet homme en aversion ? C'est un idolâtre, direz-vous. Mais c'est pour cela même que vous devez le voir et le traiter avec ménagement afin de le gagner, s'il est possible, et de le guérir. Que si sa maladie est incurable, on vous ordonne toujours de faire pour votre part tout ce qui dépend de vous (2). La maladie de Judas était incurable; cependant Jésus-Christ ne se lassa pas de tenter les moyens de le guérir. Ne vous lassez donc pas vous-même. Si malgré tous vos soins vous ne pouvez amener l'infidèle à la vérité, vous recevrez toujours la même récompense, vous ferez admirer votre douceur et par là toute la gloire en reviendra à Dieu. Quand vous ressusciteriez les morts, quand vous feriez les plus grands miracles, les actions les plus éclatantes, les gentils ne vous admireront jamais autant que s'ils voient en vous un caractère de bonté et des moeurs douces. Ce sera déjà là une grande avance pour leur conversion, et vous en verrez beaucoup sortir enfin de leurs erreurs. Non, rien n'est si propre à gagner les hommes due la charité. Les prodiges et les miracles excitent l'envie; la charité concilie l'estime et l'amour. Lorsque les infidèles vous aimeront, ils ne tarderont pas à embrasser la vérité. S'ils ne se convertissent pas sur-le-champ, n'en soyez pas surpris, ne les pressez pas trop, ne cherchez pas à faire tout à la fois; laissez-les vous louer et vous aimer; le reste viendra ensuite. »

XLV. La malice du péché excitait son zèle, mais les pécheurs étaient l'objet de sa commisération. Sa charité pour eux le rendit l'objet de l'injuste censure des

 

1. Ad Titmoth., cap. II. — 2 Ad Corinth.. homil. 33.

 

novatiens qui faisaient profession d'un rigorisme outré; mais il n'en continua pas moins de les exhorter à se convertir avec la tendresse du plus compatissant des pères. Quoique nous ayons déjà parlé ailleurs de sa charité pour les pécheurs, nous ne pouvons nous dispenser de citer encore quelques-unes de ces touchantes paroles qu'il leur adressait pour les ramener à Dieu.

« Ne désespérez jamais, leur disait-il, et c'était sa maxime, ne désespérez jamais! Vous péchez tous les jours, faites pénitence tous les jours; si vous tombez mille fois dans le péché, il faut vous relever mille fois (1). Le mal, le plus grand mal n'est pas d'être tombé dans le péché, mais d'y persévérer en refusant de faire les efforts nécessaires pour en sortir. La pénitence se mesure non par le temps, mais par le sentiment. Voyez saint Paul : il marche contre Damas, résolu de persécuter hommes et femmes, tous les chrétiens qu'il trouvera. Tout à coup il est renversé miraculeusement sur le chemin et en même temps cette voix retentit à ses oreilles Paul, Paul, pourquoi me persécutes-tu (2)? Seigneur, qui me parlez, s'écrie le persécuteur, qui êtes-vous? Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes : lève-toi, entre dans la ville et là on te dira ce que tu dois faire.

«C'en est fait, le loup dévorant devient un doux agneau, le persécuteur est changé en apôtre. Ce pirate qui capturait les vaisseaux jusque dans le port, devient un excellent pilote, et celui qui ravageait l'Église en devient le plus intrépide défenseur. Ne désespérez jamais ! Rappelez-vous la conversion de cette fameuse courtisane, non pas celle de l'Évangile, mais celle que vous avez vue, qui paraissait sur le théâtre de cette ville, qui surpassait en méchanceté et en impudence toutes celles qui l'avaient précédée et dont la réputation s'étendait jusque dans les provinces les plus

 

1. In Acta, homil. 24. — 2 Acta apost.. cap. IX.

 

éloignées. Il n'est pas possible d'énumérer combien de fortunes elle a renversées, combien de jeunes hommes elle a pervertis. Ce n'était pas assez pour elle d'employer à cette fin ses charmes et sa beauté; elle se servait de divers maléfices, de chants et d'herbes magiques : tous les moyens lui semblaient bons, quand ils pouvaient assurer le succès de ses infâmes desseins (1) . Eh bien! cette courtisane impudente, impie, éhontée, cette peste publique, au moment où l'on y pensait le moins, est tout à coup changée par je ne sais quoi, ou plutôt je le sais parfaitement, elle est changée par un coup de la grâce et de la miséricorde de Dieu. Elle abandonne son indigne profession, elle se sépare des sociétés coupables, elle se revêt d'un cilice, elle pleure avec les larmes de sang ses innombrables péchés. Renfermée dans une étroite cellule d'où elle ne sort jamais, elle termine sa vie dans la pénitence après avoir donné des exemples de vertu aussi admirables que ses scandales avaient été pernicieux.

« Imitez sa pénitence, ne désespérez pas; si le cri de vos péchés est grand, la voix de la miséricorde est plus grande encore. C'est pour sauver les pécheurs que le Fils de Dieu s'est fait homme : aussi quels sont ceux qu'il appelle à lui dans l'Évangile? D'abord les mages infidèles, puis une courtisane, puis le larron, puis Paul le blasphémateur. Vous êtes impie, imitez le larron; vous êtes impudique, voyez la conversion de la pécheresse; vous êtes blasphémateur, considérez saint Paul. Vous êtes tombé, relevez-vous, faites pénitence. Fermez l'oreille aux suggestions mensongères du démon qui voudrait. vous jeter dans le découragement; hâtez-vous de faire pénitence. Votre pénitente, quelque grande qu'elle soit, sera bien petite encore pour tant et de si grands péchés; mais ayez confiance et souvenez-vous que la clémence du Seigneur est infinie (2).»

 

1. In Math., homil. 68. — 2. Ps. L, homil. 1.

 

Tels étaient les sentiments du saint évêque sur la conversion du pécheur. Ces idées lui sont familières, il y revient à chaque instant dans ses traités et dans presque toutes ses homélies : bien différent sans doute de ces docteurs impitoyables qui, méconnaissant également et la faiblesse humaine et la bonté de Dieu, bâtissent dans leur imagination d'inflexibles théories, exagèrent les difficultés de la conversion et semblent toujours prêts à fermer aux pécheurs la porte de la miséricorde.

XLVI. Nous terminerons ce tableau en rapportant une partie de l'homélie du saint évêque sur ces paroles de l'Épître aux Éphésiens : Je vous conjure donc, moi qui suis dans les chaînes pour le Seigneur, de vous conduire d'une manière qui soit digne de l'état auquel vous avez été appelés: OBSECRO VOS EGO VINCTUS IN DOMINO UT DIGNE ADIBULETIS VOCATIONE QUA VOCATI ESTIS (1). Le commentaire qu'il fait de ces paroles résume admirablement ce que nous avons dit de sa vénération pour saint Paul, de son amour pour Jésus-Christ et des dispositions intérieures de son âme.

« Rien n'est plus glorieux que d'être lié, d'avoir les mains chargées de chaînes pour Jésus-Christ. titre enchaîné pour son amour, c'est un sort plus glorieux que d'être Apôtre, plus glorieux que d'être docteur, plus glorieux que d'être Évangéliste. Si quelqu'un aime Jésus, il comprend ce que je dis; s'il est atteint de la sainte folie de la croix, si son coeur brûle pour ce Seigneur, il comprend quelle est la beauté, quel est le prix des chaînes. Les mains sacrées de Paul, chargées de liens, étaient plus brillantes que si elles eussent été couvertes d'or et de pierreries. Le diadème tout resplendissant de perles orne moins la tête des empereurs qu'une chaîne de fer n'orne

 

1. Ad Ephes., cap. IV.

 

les mains d'un prisonnier du Christ. Un cachot ténébreux est préférable aux palais des rois, que dis-je! au ciel même.

« Oui, si j'avais à choisir entre le ciel tout entier et porter pour Jésus-Christ une seule des chaînes de Paul, je saisirais la chaîne avec transport : j'aimerais mieux être dans la prison de Paul et comme lui chargé de chaînes, que d'habiter les cieux avec les anges et les bienheureux. Le prisonnier du Christ est plus grand à nies yeux que les anges, que les archanges, les trônes et les puissances; rien n'est plus grand, rien n'est plus magnifique, rien n'est plus heureux!

« Que ne m'est-il donné de me trouver en ce moment dans ces lieux où sont gardées ces chaînes! Que ne puis-je les voir! Que ne puis-je vénérer les restes précieux de ces deux généreux amants du Christ ! Oh ! avec quel amour je baiserais ces chaînes, oui, ces chaînes augustes, l’amour des anges et la terreur des démons ! Non, rien n'est plus beau, plus digne, plus méritoire que d'aimer à souffrir pour Jésus-Christ. Ce que j'envie dans l'admirable Paul, c'est moins son ravissement au troisième ciel que sa prison, moins les saints mystères qui lui furent révélés que ses chaînes et ses souffrances.

« Voulez-vous savoir ce que c'est que de porter les fers pour Jésus-Christ? Écoutez Jésus lui-même : Vous êtes heureux, dit-il; et en quoi sommes-nous heureux, Seigneur ! Serait-ce de ressusciter les morts? Non. Serait-ce de rendre la vue aux aveugles? Non encore. En quoi donc sommes-nous heureux? Quand les hommes vous persécutent, qu'ils vous calomnient, qu'ils vous chargent d'outrages à cause de moi. Heureux donc, mes frères, ceux qui souffrent pour Jésus-Christ; qu'ils se réjouissent, qu'ils rendent grâce à Dieu, parce que leur récompense est grande! »

Le lendemain Chrysostome commentait les mêmes paroles; il insistait encore sur le bonheur des chaînes portées pour Jésus-Christ; il s'excusait d'en avoir parlé trop longuement la veille, en disant qu'il n'a pas pu ni voulu résister à l'attrait de la grâce et qu'il voudrait parler toujours de la chaîne du divin Paul.

XLVII. En lisant les paroles brûlantes de Chrysostome sur le bonheur d'être captif de Jésus-Christ, ne croit-on pas entendre saint Ignace d'Antioche conduit au martyre et écrivant aux Romains pour leur défendre de l'arracher aux dents des bêtes : « Je crains que votre charité ne me nuise; ne m'empêchez pas de mourir pour Dieu; ne vous laissez pas aller à une fausse compassion pour moi. Souffrez que je sois la pâture des bêtes, afin que je jouisse de Dieu. Je suis le froment de Dieu, il faut que je sois moulu par les dents des bêtes, pour devenir un pain tout pur de Jésus-Christ. Ne m'empêchez pas d'aller à la vie. Ne me rendez pas au monde quand je veux être à Dieu. Permettez-moi d'être l'imitateur des souffrances de Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu. »

Les saints désirs de Chrysostome furent accomplis Dieu pour étancher sa soif, pour apaiser ses ardeurs, le fit boire à la coupe des tribulations et des douleurs, et comme son divin Paul auquel il portait envie, il eut le bonheur d'être poursuivi, calomnié et enchaîné pour Jésus-Christ. Il nous reste à considérer ce généreux évêque éprouvé par des adversités et des persécutions sans nombre. s'élevant au rang des confesseurs et remportant en quelque sorte la palme et la couronne des martyrs

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