ANOMÉENS III

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TROISIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.

 

ANALYSE. Louer Dieu est plus utile à l'homme qu'à Dieu — Dieu est incompréhensible aux anges. — L'homme ne peut pas même pénétrer la substance de l'ange. — Les vertus d'en-haut ne peuvent pas comprendre Dieu, même quand il s'abaisse. — Reproches aux habitants d'Antioche, parce qu'ils quittaient l'église tout après le sermon. — Efficacité de la prière publique.

 

1. Quand des cultivateurs laborieux voient un arbre stérile et sauvage nuire à leurs champs, et, par la dureté de ses racines et l'épaisseur de son ombre détruire les plantes utiles, ils s'empressent de le couper. Quelquefois le vent vient seconder leurs efforts; il saisit l'arbre par sa chevelure touffue, et, le secouant avec violence, il le rompt, le jette par terre et abrége le travail des laboureurs. Nous avons aussi à couper un arbre sauvage et stérile,; l'hérésie des Anoméens : prions donc Dieu de nons envoyer la grâce de l'Esprit-Saint, afin que plus puissante que le souffle des vents elle arrache cette hérésie par la racine, et nous rende notre tâche plus légère. Une terre inculte, que les bras du cultivateur n'ont pas remuée, ne produit souvent de son propre fonds que de mauvaises herbes, des épines et des plantes agrestes. Ainsi l'âme des Anoméens, dévastée et privée de la nourriture de l'Ecriture sainte, n'a produit par ses propres forces que cette hérésie grossière et sauvage. Saint Paul n'a point planté cet arbre, Apollo ne l'a pas arrosé, Dieu ne l'a pas fait croître; mais planté par la curiosité coupable de la raison, arrosé par l'orgueil et l'arrogance, il a grandi par l'amour de la vaine gloire. Nous avons besoin des lumières du Saint-Esprit pour arracher, et aussi pour brûler cette racine maudite. Invoquons donc ce Dieu qu'ils blasphèment et que nous honorons; prions-le de diriger notre langue pour arriver plus vite au but, et d'ouvrir notre intelligence pour mieux comprendre ce que nous avons à dire. Car nous travaillons pour lui et pour sa gloire, ou plutôt pour notre propre salut : car Dieu est au-dessus de nos mépris comme de nos louanges; sa gloire immuable ne dépend ni de nos injures ni de nos éloges. Les hommes qui le célèbrent dignement, ou plutôt de toutes leurs forces (car personne ne peut le faire dignement), recueillent le fruit de leurs louanges; mais ceux qui le blasphèment et l'insultent, exposent leur propre salut. Si quelqu'un jette une pierre en haut, elle retombera sur sa tête. (Eccli. XXVII, 28.) Cette parole s'applique aux blasphémateurs. Celui qui lance une pierre en l'air ne peut briser la voûte du ciel, ni atteindre à cette hauteur; mais la (212) pierre, en retombant, vient le. frapper à la tête. De même celui qui outrage l'essence divine, ne peut lui nuire; elle est trop élevée pour éprouver quelque dommage; mais ingrat envers son bienfaiteur, il aiguise un glaive contre soi-même.

Invoquons donc ce Dieu ineffable, inaccessible, invisible, incompréhensible, ce Dieu qui défie toute langue humaine, qui surpasse toute intelligence créée, que les anges ne peuvent scruter, ni les séraphins contempler, ni les chérubins comprendre; qui ne peut être vu ni par les principautés, ni par les puissances, ni parles vertus, ni par aucune créature; mais qui n'est connu que du Fils et du Saint-Esprit. Je sais que les Anoméens m'accuseront de témérité pour avoir dit que Dieu est incompréhensible même aux Vertus célestes. Et moi, je leur renverrai l'accusation en y joignant celle de folie et d'extravagance. Il n'y a pas de témérité à dire que le Créateur surpasse toute intelligence créée, mais il y en a une énorme à dire, comme font les Anoméens, qu'avec leur faible raison ils peuvent le pénétrer et le comprendre, eux qui rampent sur terre si loin au-dessous des anges. Si je ne prouve mon assertion, je consens à être taxé de témérité. Pour vous, mes adversaires, quand j'aurai démontré qu'il est incompréhensible aux puissances des cieux, si vous prétendez encore le connaître, quels abîmes, quels gouffres ne creusez-vous pas devant vous, en vous vantant de pénétrer des mystères inaccessibles à toutes les vertus d'en-haut.

2. Venons à la démonstration, mais auparavant ayons recours à la prière. Les paroles mêmes de la prière pourront nous fournir des preuves. Invoquons donc le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité , qui habite une lumière inaccessible, que nul des hommes n'a vu ni ne peut voir, à qui est l'honneur et l'empire dans l'éternité. Amen. (I Tim. VI, 15.) Ce ne sont pas nos paroles, mais celles de saint Paul. Remarquez sa piété et la force de son amour. Plein de la pensée de Dieu, il ne commence à enseigner qu'après lui avoir payé sa dette de reconnaissance, et il ne termine jamais ses instructions sans le louer encore. Si la mémoire du juste est accompagnée de louange (Prov. X, 7), si son nom ne se prononce pas sans éloge, de quelles marques de respects, de quelles ,bénédictions ne doit pas être accompagné le nom de Dieu? C'est aussi l'exemple que nous donne saint Paul dans ses Epîtres. Souvent après avoir commencé à écrire, frappé de la pensée de Dieu, il suspend ses enseignements jusqu'à ce qu'il ait rendu à Dieu la gloire qui lui est due. Ecoutez-le écrivant aux Galates : Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père et par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, pour nous retirer de la corruption du siècle présent, selon la volonté de Dieu le Père, à qui soit la gloire dans les siècles. Amen. (Gal. I, 3, etc.) Et ailleurs : Au Roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu sage, honneur et gloire dans les siècles. Amen. (I Tim.  I, 17.) Ces hommages, les rend-il au Père seul, et non au Fils? Ecoutez donc comment il s'exprime au sujet du Fils unique. Après avoir dit : J'eusse désiré être anathème à l'égard de Jésus-Christ, pour mes frères selon la chair, les Israélites, à qui appartiennent l'adoption, les testaments, la loi, le culte, les promesses; il ajoute : de qui est sorti, selon la chair, Jésus-Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles. Amen. (Rom. IX, 3, etc.) Puis, ayant rendu gloire au Fils de la même manière qu'au Père, il reprend la suite de son discours. L'Apôtre avait entendu les paroles de Jésus-Christ : Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. (Job. V, 23.)

Pour vous montrer que la prière nous fournit des preuves, ayons-y recours. Le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité; qui habite une lumière inaccessible. (I Tim. VI, 15, 16.) Arrêtons-nous ici, et demandons à l'hérétique ce que signifient ces paroles : Qui habite une lumière inaccessible. Et remarquez l'exactitude de saint Paul. Il ne dit pas : Dieu qui est une lumière inaccessible, mais : qui habite une lumière inaccessible. Apprenez par là que si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l'habite. Par ces paroles, l'Apôtre ne veut pas vous faire croire que Dieu est renfermé dans un lieu, mais vous prouver surabondamment son incompréhensibilité. Il ne dit pas : Qui habite une lumière incompréhensible, mais inaccessible; ce qui est beaucoup plus qu'incompréhensible. On appelle incompréhensible ce que malgré ses efforts et ses recherches on ne peut saisir. L'inaccessible, c'est ce dont l'abord même est interdit. Par exemple nous dirons dans un sens analogue que la mer (213) est insondable; les plongeurs, malgré tous leurs efforts, ne peuvent en sonder les abîmes. Mais pour que l'on pût dire qu'elle est inaccessible, il faudrait qu'il fût impossible même d'en atteindre la surface.

3. Que répondrez-vous à cela? Direz-vous que si Dieu est incompréhensible aux hommes, il ne l'est pas aux anges, ni aux vertus célestes. — Etes-vous,donc un ange, appartenez-vous au choeur des puissances spirituelles? N'êtes-vous pas homme? n'avez-vous pas la même substance que moi, ou bien oubliez-vous votre nature? Supposons qu'il soit inaccessible aux hommes seulement, supposition fausse, puisque saint Paul n'a pas dit : Il habite une lumière inaccessible aux hommes, mais non inaccessible aux anges; mais je vous accorde ce que vous demandez : que pouvez-vous en conclure? N'êtes-vous pas homme? Si Dieu n'est pas inaccessible aux anges, que vous importe, à vous qui prétendez et affirmez que l'essence divine n'est pas incompréhensible à l'intelligence humaine ? Mais, sachez-le, il n'est pas seulement inaccessible aux hommes, il l'est aussi aux anges. Ecoutez Isaïe, ou plutôt le Saint-Esprit qui parle par sa bouche, car tout prophète est inspiré par l'Esprit-Saint: L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé; les séraphins se tenaient autour de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux voilaient leur face, deux leurs pieds... (Isaïe, VI, 1.)

Pourquoi se voilent-ils la face de leurs ailes? pourquoi, sinon parce qu'ils ne peuvent supporter les éclairs et les foudres qui s'échappent du trône. Cependant ils ne contemplent pas l'essence pure, ni la pleine lumière de la divinité. Dieu condescend à leur faiblesse , c'est-à-dire que Dieu se montre, non tel qu'il est, mais tel que ses créatures peuvent le voir, en se proportionnant à la faiblesse de ceux à qui il se révèle. Or, cette condescendance, Dieu en use même à l'égard des chérubins, nous le voyons par les paroles du Prophète : Je vis, dit-il, le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. Dieu n'est pas assis; cela n'appartient qu'aux corps : Sur un trône; mais Dieu n'est point limité. par un trône, puisqu'il est infini. Néanmoins, dans cette vision d'Isaïe, les anges ne pouvaient supporter la splendeur de Dieu ainsi tempérée. Quoique placés près de lui, car les séraphins se tenaient autour de lui, ils ne pouvaient le voir, que dis-je, c'est surtout parce qu'ils étaient près de lui qu'ils ne pouvaient le voir. Il ne s'agit pas d'une proximité de lieu, non, mais le Saint-Esprit veut nous montrer que, quoique plus rapprochés que nous de l'essence divine, ces sublimes créatures ne peuvent néanmoins la contempler. Voilà pourquoi il dit par la bouche du Prophète : Les séraphins se tenaient autour de lui. Il n'indique pas à quelle distance ils sont de Dieu, mais seulement qu'ils en étaient plus rapprochés que nous. Il ne faut pas s'imaginer que nous ayons de l'incompréhensibilité divine la même idée que ces puissances célestes qui, plus pures, ont aussi plus de science et de pénétration que l'homme. Ce n'est pas l'aveugle que le soleil éblouit, c'est celui qui voit clair : nous ne connaissons donc pas l'incompréhensibilité de Dieu aussi bien que les anges. Aussi en entendant le Prophète dire : J'ai vu le Seigneur, ne croyez pas qu'il ait vu l'essence divine elle-même; il l'a vue voilée, et moins parfaitement encore que les vertus d'en-haut. Car il n'a pu en voir autant que les chérubins.

4. Pourquoi parler de l'essence infinie, lorsque l'homme ne peut pas même sans crainte soutenir l'aspect d'un ange? Cependant il en est ainsi. J'en ai pour garant un homme ami de Dieu, à qui sa sagesse et sa sainteté donnaient un grand crédit auprès du Roi du ciel, un homme orné de toutes les vertus, le juste Daniel. Quand donc je vous le montrerai abattu, craintif et tremblant à la vue d'un ange, n'attribuez pas ces effets à ses péchés et à sa mauvaise conscience; n'en accusez que la faiblesse inhérente à la nature humaine, puisqu'un homme à qui sa sainteté aurait.dû donner tant de confiance ne peut s'empêcher de trembler à la vue d'un ange. Daniel a jeûné trois semaines, il n'a mangé aucun mets qui pût flatter le goût; il n'a pas bu de vin; ni chair, ni liqueur enivrante ne sont entrées dans sa bouche; il n'a usé d'aucun parfum. Alors il a une Vision; son âme élevée et spiritualisée par le jeûne était plus apte à la contemplation. Que dit-il? Je levai les yeux et je vis un homme vêtu de baddin, c'est-à-dire d'un vêtement sacré; ses reins étaient ceints d'un or d'Uphaz, son corps était comme la pierre de Tharsis, son visage brillait comme l'éclair, ses yeux comme des flambeaux ardents, ses bras et ses jambes comme un airain étincelant, le son de sa voix était comme le bruit d'une multitude d'hommes. Et moi je vis seul cette (214) vision, et ceux qui étaient avec moi ne la virent point; mais ils furent saisis d'épouvante, ils s'enfuirent pleins d'effroi. Ma force m'abandonna, mon,visage fut tout changé, et ma gloire fut anéantie. (Dan. X, 5 et suiv.) Que veut dire : Ma gloire fut anéantie ? Daniel était beau. La présence de l'ange le remplit de terreur, la vie semble le quitter, il pâlit, la fraîcheur de son visage s'évanouit, il perd toute sa beauté. Voilà pourquoi il s'écrie : Ma gloire fut anéantie. Quand le cocher effrayé laisse échapper les rênes, les chevaux s'emportent et le char se brise. Ainsi en est-il de l'âme, lorsque la crainte et l'angoisse s'en emparent. Epouvantée, elle suspend son action à l'égard de tous les sens, et laisse les membres sans vie. Ceux-ci, privés de &la force qui les anime, tombent en défaillance.

C'est ce qu'éprouva Daniel. Que fait l'ange? Il le relève et lui dit : Daniel, homme de désirs, entendez les paroles que je viens vous dire; levez-vous debout, car je suis maintenant envoyé vers vous. Le Prophète se lève tremblant. Et l'ange continue : Du jour où vous avez résolu d'affliger votre coeur en présence de Dieu, vos paroles ont été exaucées, et vos prières m'ont fait venir ici. (Id. 11 et suiv.) Daniel retombe prosterné en terre, comme il arrive à ceux qui éprouvent une faiblesse. On les voit en effet se ranimer un instant, revenir à eux, puis s'évanouir de nouveau entre les bras des personnes qui les soutiennent et qui cherchent à les rappeler à la vie. Ainsi en est-il du Prophète. Son âme effrayée ne peut supporter l'aspect ni l'éclat de l'ange, elle est saisie de trouble, elle veut s'échapper en brisant les liens qui l'attachent au corps. Quelle leçon pour, ceux qui scrutent le Maître des anges ! Daniel que les lions respectent, Daniel qui dans un corps humain accomplit des choses surhumaines, ne peut supporter la vue d'une simple créature comme lui, et il tombe évanoui. Cette vision, dit-il, a bouleversé tout mon être, et ma respiration s'est arrêtée. (Id. 16.) Les Anoméens, bien moins parfaits que ce juste, s'imaginent connaître parfaitement l'essence divine, cette essence suprême et première qui a créé des millions d'anges, tandis que Daniel ne peut supporter la vue d'un seul de ces anges.

5. Mais revenons à la proposition que nous avons entrepris d'établir, et montrons que Dieu, même en s'abaissant, ne peut être vu des puissances célestes. Pourquoi les séraphins se voilent-ils de leurs ailes? sinon pour proclamer, par leur conduite, ce que dit l'Apôtre : Il habite une lumière inaccessible. C'est ce que font aussi les chérubins supérieurs aux séraphins. Ceux-ci se tiennent auprès du trône; ceux-là sont le trône même de Dieu, non que Dieu ait besoin de trône, non, ce sont là des manières de parler pour nous montrer la différence qui se trouve entre les natures angéliques. Ecoutez un autre prophète sur le même sujet : Dieu adressa sa parole à Ezéchiel, fils de Buzi, près du fleuve Chobar. (Ezéch. I, 3.) Ce prophète était près du fleuve Chobar, comme Daniel près du Tigre. Quand Dieu montre quelque vision extraordinaire à ses serviteurs, il les conduit hors des villes, dans un lieu tranquille, pour que l'âme, à l'abri de toute distraction, puisse en toute sécurité s'appliquer à la contemplation du mystère. Que vit-il donc? Une nuée venait de l'aquilon, un feu l'environnait et une lumière éclatait tout autour; au milieu du feu on voyait un métal brillant, et au milieu de ce même feu, la ressemblance de quatre animaux qui étaient de cette sorte : On y voyait d'abord la ressemblance d'un homme. Chacun d'eux avait quatre faces et quatre ailes. Ils étaient grands et terribles. Leur dos était tout couvert d'yeux. Au-dessus de leur tête, on voyait un firmament qui paraissait comme un cristal étincelant et terrible à voir qui était étendu sur leur tête. Chacun d'eux avait deux ailes dont il se couvrait le corps; et au-dessus de ce firmament on voyait une pierre de saphir; et au-dessus un trône, et un homme paraissait assis sur ce trône. Et je vis comme un métal très-brillant; depuis les reins jusqu'en haut , et des reins jusqu'en bas je vis comme un feu, et son éclat était comme la splendeur de l'arc qui parait dans la nuée en un jour de pluie. (Ezéch. I, 4 et suiv.)

Puis, pour montrer que ni le Prophète, ni les vertus célestes n'ont pénétré l'essence pure de Dieu, il ajoute : Telle fut cette image de la gloire du Seigneur. (Id. II, 1.) Voyez-vous comment partout Dieu se proportionne à la faiblesse de ses créatures ? Et cependant les vertus des cieux elles-mêmes se voilent de leurs ailes, malgré leur profonde sagesse, leur vive pénétration et leur. grande pureté. Les noms de ces habitants du ciel nous révèlent l'excellence de leur nature et la (215) dignité de leurs différents ministères. L'ange s'appelle ainsi parce qu'il porte aux hommes les ordres de Dieu; l'archange, parce qu'il commande aux anges; d'autres prennent le nom de vertus pour signifier leur sagesse et leur pureté; si on leur donne des ailes, c'est pour exprimer la sublimité de leur nature. On peint l'ange Gabriel ailé pour faire entendre que du haut des cieux, il est descendu dans les basses régions de la terre. Il y a de ces esprits bienheureux que l'on appelle Trônes, parce que Dieu semble se reposer sur leurs ministères; le chant continuel qu'on leur attribue, est le symbole de leur vigilance; par leurs yeux on entend leurs connaissances et leurs lumières; d'autres termes marquent d'autres qualités : chérubin signifie science parfaite; séraphin, bouche de feu. Vous le voyez, les noms veulent dire sagesse et pureté. Or, si la science parfaite ne peut soutenir l'éclat même voilé de la majesté divine; si la science imparfaite, comme dit saint Paul, ne connaît qu'en partie, comme dans un miroir et en énigme, quelle folie de prétendre scruter et comprendre ce qui est caché même aux anges !

6. Dieu est incompréhensible non-seulement aux chérubins et aux séraphins, mais encore aux principautés, aux puissances et à tonte vertu créée; je voudrais vous le prouver, si mon esprit n'était accablé, non par la multitude, mais par la sublimité des choses. L'intelligence tremble épouvantée en demeurant trop longtemps dans ces hautes contemplations. Redescendons des cieux, reposons notre âme fatiguée, en reprenant notre exhortation habituelle, que vous connaissez, pour la guérison de ces infortunés. Oui, prions-. Si nous devons prier pour les malades , pour ceux qui gémissent dans les mines ou dans un dur esclavage, pour les énergumènes, combien plus pour ceux-là ! L'impiété est pire que l'obsession du malin esprit; les possédés sont dignes de compassion, tandis que rien n'excuse les hérétiques. Puisque j'ai rappelé les prières pour les énergumènes, je veux vous dire quelques mots à ce sujet, et retrancher de l'Eglise un grave désordre. Il serait absurde de déployer tant de zèle pour guérir les maladies des autres, et de négliger ses propres membres. Quel est donc ce désordre?

Cette multitude innombrable , maintenant réunie et écoutant avec la plus grande attention, je l'ai souvent cherchée des yeux au moment le plus solennel, et je ne l'ai point rencontrée. J'en gémis profondément. Un homme parle, on se hâte , on accourt, on se presse, et l'on demeure jusqu'à la fin de son discours. Jésus-Christ va paraître dans les saints mystères , l'église est vide et déserte ! Cette conduite est-elle pardonnable? Vous avez du zèle pour entendre la parole de Dieu, c'est bien, mais la conduite que vous tenez ensuite vous ravit tout le mérite de votre assiduité à la prédication. Qui, en vous voyant perdre sitôt le fruit de nos discours, ne nous condamnera nous-même? Si vous écoutez la parole divine avec un zèle sincère, montrez-le parles oeuvres. Se retirer tout après l'homélie, c'est une preuve que l'on n'a pas été véritablement touché. Si votre âme conservait les enseignements de la chaire, vous resteriez pour assister pieusement à nos redoutables mystères. Mais vous m'écoutez comme un joueur de cithare; le discours fini, vous vous retirez sans aucun fruit. Quelle excuse banale apportez-vous? — Je peux prier à la maison; je ne puis y entendre prêcher ni enseigner. — Vous vous trompez, chrétien ! On peut, il est vrai, prier à la maison, mais on ne peut y prier aussi efficacement qu'à l'église, où la multitude des Pères spirituels est si nombreuse ; où de tous les coeurs montent vers Dieu les supplications. Vous ne serez pas exaucé, en priant seul le souverain Seigneur, comme si vous le faisiez avec vos frères. Vous trouverez ici ce que vous ne trouvez pas dans vos maisons : l'union des coeurs et des voix, le lien de la charité, la prière des prêtres. Les prêtres président, afin que les prières plus faibles du peuple, unies à leurs supplications plus ferventes, montent ensemble vers le ciel. D'ailleurs que sert la prédication sans la prière? La prière d'abord, et la prédication ensuite.

C'est ainsi que s'expriment les apôtres: Nous nous appliquerons à la prière et à la dispensation de la parole. (Act. VI, 4.) Voilà pourquoi saint Paul commence ses Epîtres par la prière, afin que la prière, comme une lumière, précède et éclaire tout le discours. Si vous vous habituez à prier avec ferveur, vous n'aurez pas besoin de l'enseignement des hommes; Dieu, sans intermédiaire, éclairera votre intelligence. Si la prière d'un seul est si puissante, quelle force, quelle efficacité n'a pas la prière publique? En effet, écoutez saint Paul : C'est lui qui nous a délivré d'un si grand péril, qui nous (216) en délivre et nous en délivrera encore, nous l'espérons, pendant que vous nous aiderez par vos prières, afin que la grâce que nous avons reçue soit reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous. (II Cor. I, 10.) C'est ainsi que Pierre sortit de prison. L'Eglise faisait sans cesse des prières à Dieu pour lui. (Act. XII, 5.) Si la prière de l'Eglise fut utile à Pierre, et ouvrit à ce grand apôtre les portes de la prison , comment osez-vous mépriser cette arme puissante, et quelle excuse avez-vous? Ecoutez Dieu lui-même, montrant qu'il se laisse apaiser par les prières ardentes du peuple. Se justifiant au sujet du lierre, il dit à Jonas : Vous épargnez un lierre, pour lequel vous n'avez point souffert, et que vous n'avez pas finit croître. Et je ne pardonnerais pas à la grande ville de Ninive, où habitent plus de douze cent mille hommes ! (Jon. IV, 10.) Ce n'est pas sans motif qu'il mentionne cette multitude, c'est pour vous montrer que la prière en commun a une grande puissance. Je veux vous prouver cette vérité par un exemple récent.

7. Il y a dix ans, des conspirateurs furent saisis, comme vous le savez : l'un d'eux, personnage éminent, convaincu de son crime, était conduit à la mort une corde à la bouche. Toute la ville se précipite à l'hippodrome, implore la clémence du prince et arrache à la vengeance impériale ce coupable indigne de pardon. Pour fléchir la colère d'un empereur mortel, vous accourez tous ensemble avec vos femmes et vos enfants; et quand il s'agit de vous rendre propice le roi des cieux, de soustraire à sa colère non pas un coupable comme alors, ni deux, ni trois, ni cent, mais tous les pécheurs de la terre, d'arracher les possédés des piéges du démon, vous restez tranquillement assis, vous ne vous empressez pas tous ensemble, afin que Dieu, touché de l'unanimité de vos prières, leur remette leurs peines et vous pardonne vos péchés. Quand vous seriez alors sur la place publique, ou dans vos maisons, ou occupés à des affaires pressantes , ne devriez-vous pas , plus rapides qu'un lion , et rompant tous les liens, accourir aux prières publiques? Quelle espérance de vous sauver pouvez-vous avoir si vous ne le faites pas? Non-seulement les hommes font retentir l'église de leurs supplications, mais les anges se prosternent devant le souverain Maître , mais les archanges lui adressent leurs prières pendant la célébration des divins mystères. C'est pour eux le moment favorable, l'oblation puissante. Les hommes, des branches d'olivier à la main, apaisent le courroux des rois, et les ramènent à la clémence par la vue de ce feuillage, symbole de la clémence. Les anges, au lieu de branches d'olivier, présentent alors le corps de Notre-Seigneur. Ils intercèdent pour les hommes, ils semblent dire à Dieu : Nous vous prions pour ceux que, dans votre bonté, vous avez vous-même aimés le premier, jusqu'à leur donner votre vie; nous répandons nos supplications pour ceux en faveur de qui vous avez répandu votre sang; nous vous conjurons de sauver ceux pour qui vous avez immolé ce corps sacré. Voilà pourquoi dans ce moment le diacre présente les énergumènes, leur fait incliner la tête, pour s'unir à la prière par un extérieur humilié; car il ne leur est pas permis de prier avec l'assemblée des frères. Voilà pourquoi il les amène, afin que, touchés de leur malheur et de leur impossibilité de prier, vous usiez de votre crédit auprès de Dieu pour les secourir.

Pénétrés de ces pensées, accourons tous à ce moment précieux, pour attirer la miséricorde, et trouver grâce et protection. Vous approuvez mes paroles; vous les recevez avec de bruyants applaudissements, mais si vous voulez manifester vos sentiments par vos œuvres , voici le moment de montrer votre obéissance; après l'homélie, la prière, voilà l'approbation que je voue demande; cette approbation qui se manifeste par les actes. Exhortez-vous mutuellement à rester à vos places; si quelqu'un veut se retirer, empressez-vous de le retenir; et recevant la double récompense de votre propre zèle et de cette charité fraternelle, vous répandrez vos prières avec plus de confiance; vous vous rendrez Dieu propice, vous recevrez les biens présents et futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui soient, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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