ÉTRENNES

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HOMÉLIE SUR LES CALENDES (OU LES ÉTRENNES).

 

(Voir t. 1, ch. XIV, p. 166.)

 

AVERTISSEMENT ET  ANALYSE.

 

Cette homélie fut prononcée le ter janvier, jour auquel les Romains avaient coutume de faire à leurs amis les petits cadeaux nommés xenia, de donner de grands festins et de se livrer à des réjouissances publiques que souillaient ordinairement les débauches et les superstitions d'un peuple dissolu. — Libanius en fait une description détaillée dans son opuscule sur les calendes. Les orientaux commençaient leur année en septembre; mais ils n'en observaient pas moins, au premier janvier, les pratiques romaines.

Le mois et le jour, où cette homélie fut faite, ne soulèvent aucun doute : mais il est plus difficile de fixer l'année. Les critiques ne sont pas d'accord entre eux. Quelques-uns, comme Hermant et Stilting, marquent l'année 387 : leur raison, c'est qu'on voit par l'exorde que saint Chrysostome avait fait peu auparavant un éloge de saint Paul, et que ce fut vers la fin de 386, qu'il prononça son discours sur les fils de Zébédée, dans lequel nous lisons un passage sur le grand Apôtre. — Tillemont pense que cette homélie vint tout après celle qui a pour titre . Quelles femmes on doit épouser. — L'éditeur bénédictin rejette l'une et l'autre opinion et dit que le seul point assuré est que cette homélie fut prononcée à Antioche, le 1er janvier, pendant une absence de l'évêque Flavien, saint Chrysostome n'étant encore que simple prêtre.

La traduction latine est de Jean Check, savant helléniste de l'université de Cambridge : toutefois les bénédictins ne l'adoptèrent qu'après de nombreuses corrections.

L'exorde est tiré de la personne de l'évêque Flavien, alors absent. — Le dessein de l'orateur avait été de continuer l'éloge de saint Paul, commencé quelques jours auparavant; mais il est obligé de changer de matière, et de parler contre les folies qui se faisaient ce jour-là dans toute la ville. — Véhémente invective contre les superstitions païennes. — Ceux qui croient que le moyen de passer toute l'année dans la joie et dans les plaisirs est de s'y livrer dés le premier jour, sont dans une grossière erreur. — Le vrai moyen d'être heureux toute l'année, c'est de la commencer et de la continuer dans la crainte du Seigneur et l'observation de ses commandements. — Les jours ne se divisent pas en jours heureux et jours néfastes. — Celui qui a la conscience pure est toujours en fête; celui qui l'a chargée de crimes est toujours misérable, quoi qu'il fasse.

La seconde moitié de l'homélie est remplie par le développement très-éloquent de ce texte de saint Paul : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez tout autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu.

 

1. De même qu'un choeur réclame un choryphée , et les matelots un pilote, ainsi notre collège sacerdotal regrette aujourd'hui l'absence (lu pontife, du commun Père. Au choeur et sur le navire l'absence du chef compromet la perfection de l'ensemble et même la sécurité; mais pour nous il n'en n'est pas ainsi. Absent de corps , notre pontife nous est présent par l'esprit; il est avec nous quoi qu'il soit resté dans sa demeure, comme nous sommes avec lui quoique nous tenions ici notre assemblée. Telle est la puissance de la charité qu'elle rallie et réunit ceux que séparent les plus longues distances; si nous aimons un homme qui habite une région lointaine, par delà l'immensité de l'Océan, notre esprit et notre pensée le suivent tous les jours ; au contraire lorsque nous n'avons pas cette affection, nous ne daignons pas seulement jeter un regard sur notre plus proche voisin. Là où règne l'amour, l'éloignement des lieux ne fait pas obstacle; là où il n'existe pas, la proximité des lieux ne sert de rien. Dernièrement, tandis que je faisais l'éloge du bienheureux apôtre Paul, vous avez tressailli de joie comme si vous l'aviez vu lui-même présent devant vous. Et pourtant son (450) corps repose clans Rome , la ville royale : Son âme est dans les mains de Dieu : Les âmes des justes sont dans les mains de Dieu, et le tourment ne les touchera point. (Sag. III, 1.) Mais l'énergie de votre charité l'a replacé sous vos yeux. — Je voulais revenir, aujourd'hui encore, 'sur le même sujet; mais mon discours se porte naturellement à une autre question, plus urgente à traiter, je veux parler du péché que commet en ce moment la ville entière. Ceux qui désirent entendre le panégyrique de saint Paul doivent auparavant se faire les émules de sa vertu et se rendre dignes d'écouter ses louanges. Puisque notre père est absent, je vais, confiant en l'appui de sa prière, aborder ce sujet qui intéresse votre édification. Moïse n'était pas corporellement présent à la bataille, et néanmoins il contribua au succès autant et plus que ceux qui combattaient : ses mains, étendues pour la prière , soutenaient la cause de son peuple et répandaient la terreur parmi les ennemis. La prière comme la charité possède une puissance, une efficacité qui ne se laissent pas restreindre par les lieux et les distances l'une réunit ceux qui sont séparés; l'autre secourt les absents. Marchons donc sans crainte au combat : à nous aussi une guerre est déclarée aujourd'hui, non point par des Amalécites envahisseurs, ou par des barbares survenus à l'improviste, mais par les démons traînant sur le forum leurs pompes triomphales.

Les veillées diaboliques qui se font aujourd'hui, et les bouffonneries, et les grossiers quolibets, et les sarcasmes échangés entre vous et les danses nocturnes, et les ridicules comédies tiennent notre cité captive plus misérablement que ne ferait le pire ennemi. Nous devrions nous attrister, pleurer, rougir de honte : ceux qui ont péché, à cause de la faute qu'ils ont commise; ceux qui n'ont pas péché, à cause des turpitudes dont ils voient leurs frères souiller leur conduite : au lieu de cela, la ville rayonne de joie et d'éclat sous ses guirlandes de fleurs; voyez le forum ! il ressemble à une femme élégante et recherchée qui étale avec orgueil ses plus magnifiques ornements, l'or, les étoffes de prix, les riches chaussures et mille objets du même genre; chaque marchand, dans son magasin, s'efforce par la richesse de son étalage de surpasser son concurrent. Cette rivalité est sans doute un signe de puérilité; la marque d'une âme qui ne pense à rien de grand ni d'élevé ; mais elle n'entraîne pas avec soi les plus graves inconvénients ; c'est une sollicitude d'étourdis qui prête à rire aux gens sérieux en effet si vous voulez orner quelque chose, ornez votre coeur et non pas une boutique; parez votre intelligence et non pas le forum, afin de mériter l'admiration des anges, l'approbation des archanges et les dons rémunérateurs du Seigneur même des anges. L'étalage qui se fait aujourd'hui dans toute la ville provoque d'une part l'envie de rire, et de l'autre la jalousie : le rire, de ceux qui ont le coeur haut placé, la jalousie et l'envie, de ceux qui partagent la même fièvre.

2. Mais, comme je viens de le dire, ces rivalités de marchands ne sont pas le mal le plus déplorable ; les jeux des tavernes me font plus cruellement souffrir; ils regorgent d'impiété et d'intempérance : d'impiété, parce que là on consulte superstitieusement les jours, on croit aux augures, on s'imagine qu'en passant dans la joie et le plaisir la nouvelle lune de ce premier mois, on obtiendra de passer de la même façon tout le reste de l'année; d'intempérance, parce que dès l'aube du jour, hommes et femmes remplissent les bouteilles et les coupes, et boivent le vin eu francs débauchés. Voilà qui est indigne de votre profession de chrétiens, soit que vous le fassiez vous-mêmes, soit que vous le permettiez à. vos serviteurs, à vos amis, à vos proches. N'avez-vous pas entendu ces paroles de saint Paul : Vous observez les jours, les mois, les saisons et les années : Je crains pour vous que je n'aie travaillé en vain parmi vous? (Gal. X, 11.) Du reste, c'est le comble de la sottise de s'imaginer que si le premier jour de l'an se passe dans la joie, toute la suite de l'année lui ressemblera; non-seulement c'est une sottise ; mais encore une résolution inspirée parle diable lui-même, que de confier la direction de notre vie non pas à notre activité personnelle et à notre zèle, mais à certaines révolutions des astres et des temps. L'année vous sera bonne tout entière, non pas si vous vous enivrez à nouvelle lune; mais si ce jour-là, comme les autres jours, vous vous conduisez selon l'ordre Dieu. Un jour ne diffère pas d'un autre jour ce n'est point par sa nature que le jour est ou mauvais, mais par notre activité ou notre paresse. Pratiquez la justice, et le jour vous sera bon; si vous commettez le péché, il sera pour vous une source de maux et de (451) tourments. Si vous comprenez sagement ces choses, si vous êtes disposés à répandre chaque jour l'aumône avec la prière, vous aurez toute une année de bonheur; au contraire, si, négligeant le soin de votre propre vertu, vous confiez le bonheur de votre vie aux influences chimériques des commencements de mois et des nombres de jours, vous resterez dénués des biens qui conviennent à votre nature. Le démon connaît cela; et, comme il s'étudie à briser en vous l'effort et le travail pour la vertu, à éteindre le zèle de votre âme, il vous apprend à attribuer à l'influence des jours le succès ou l'insuccès de vos affaires. Qu'un homme se persuade que les jours sont par eux-mêmes ou bons ou mauvais; dès lors, le mauvais jour venu, il ne prendra plus souci de faire aucune bonne action, comme si l'influence inévitable de ce jour funeste devait rendre son travail inutile et sans profit ; par contre, le bon jour étant arrivé, il ne fera rien du tout, comme si l'influence favorable devait neutraliser les funestes effets de sa paresse. De la sorte il sacrifie des deux côtés son salut; il en néglige le soin, d'une part comme inutile, de l'autre comme superflu; en conséquence il passe sa vie dans l'insouciance et le péché. Il faut donc déjouer les artifices du démon, puisque nous les connaissons ; rejetons loin de nous la coutume détestable d'observer les jours, de craindre les uns et d'avoir confiance dans les autres. Ce n'est pas seulement pour nous jeter dans une lâche nonchalance que l'esprit de malice invente tous ces artifices, mais encore pour tourner en dérision les oeuvres de Dieu; il veut entraîner nos âmes à l'impiété aussi bien qu'à la paresse.

Sortons de là et regardons comme certain qu'il n'y a rien de mauvais que le péché, rien de bon que de pratiquer la vertu et de servir Dieu en tout et toujours. La joie de l'âme vient non pas de l'ivresse, mais de la prière intérieure ; non pas du vin, mais de la parole sainte qui nous éclaire. Le vin produit la tempête, la parole de Dieu fait le calme; il introduit le tumulte en nous, elle en chasse le trouble ; il obscurcit l'intelligence, elle en illumine les ténèbres ; il amène des chagrins avant lui inconnus, elle dissipe ceux que nous avions auparavant. Rien n'enfante la joie et l'allégresse autant que les enseignements de cette sagesse chrétienne qui nous apprend à dédaigner les choses présentes pour aspirer à celles de l'avenir, à ne regarder comme stable et solide rien de ce qui est humain, ni richesses, ni puissance, ni honneurs, ni train de maison. Voilà la vraie philosophie, qu'elle vous guide et vous ne serez jamais rongés par l'envie quand vous verrez un riche; vous ne vous laisserez point abattre quand vous tomberez dans la pauvreté. Vous vivrez ainsi dans une fête perpétuelle. Le chrétien doit passer dans l'allégresse non-seulement tel mois, telle nouvelle lune, tel dimanche ; sa vie tout entière doit être une fête appropriée à sa nature. Quelle est cette fête qui lui convient? Ecoutons saint Paul : Célébrons donc notre fête, non pas avec le vieux levain de la malice et de la corruption, mais avec le pain nouveau de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Si vous avez la conscience pure, vous célébrerez une fête sans fin, nourris des plus belles espérances, délectés par l'attente des biens éternels. Si , au contraire , vous n'avez pas une conscience tranquille , si vous êtes inquiétés par le remords de vos crimes, vous auriez beau célébrer toutes les réjouissances possibles, votre sort ne vaudrait pas mieux que celui des plus misérables. A quoi peut me servir l'éclat d'un beau jour, si les reproches de ma conscience obscurcissent mon âme? Voulez-vous donc tirer quelque profit de la nouvelle lune? Faites ceci : dès que vous verrez l'année tirer vers sa fin, rendez grâces au Maître qui vous a conduits à une nouvelle période du temps ; faites pénétrer la componction dans votre coeur; dressez le compte de votre vie; dites-vous à vous-mêmes « Les jours fuient et disparaissent, les années s'écoulent, la majeure partie de mon existence est achevée : qu'ai-je fait de bon ? Est-ce que je vais partir d'ici les mains vides, sans une oeuvre de justice? Le tribunal de Dieu est à ma porte, et voilà que ma vie décline vers la vieillesse. »

3. Méditez ces pensées à l'occasion de la nouvelle lune, réfléchissez de la sorte sur la succession rapide des années. Ayez toujours présente à l'esprit la pensée du dernier jour, afin qu'on ne vienne pas vous dire la parole prononcée par le Prophète contre les Juifs : Leurs jours se sont dissipés dans le vide et leurs années se sont enfuies rapidement. (Psaum. LXXVII, 33.) Cette fête dont je vous parle, fête perpétuelle qui n'attend pas le retour des années et qui ne se mesure pas à la révolution du temps, est le partage du pauvre aussi bien que (452) du riche; elle n'exige ni argent ni abondance des choses matérielles, mais la vertu toute seule. Vous n'avez pas d'argent? Consolez-vous, vous avez un trésor plus abondant que toutes les richesses, un trésor que rien ne peut détruire, ni disperser, ni épuiser : la crainte de Dieu. Regardez le ciel et le ciel des cieux; voyez la terre, l'océan, l'atmosphère, les races d'animaux, les espèces de plantes, les hommes, enfin; considérez les anges et les archanges, et toutes les puissances célestes : tout cela est au pouvoir de votre Maître. Il est impossible qu'un serviteur soit jamais pauvre auprès d'un maître si riche, quand il possède son amitié. — Observer les jours n'est pas le fait d'un sage chrétien : c'est une superstition païenne. Vous avez pris rang dans la céleste cité, vous avez été admis au royaume de Dieu, vous vous êtes mêlés au peuple angélique; là, resplendit une lumière qui ne s'éteint jamais dans les ténèbres, un jour qui ne se termine jamais en nuit, lumière éternelle, jour perpétuel ! Fixons-y nos regards. Cherchez les choses d'en-haut, les choses du ciel où Jésus-Christ siège à la droite de Dieu. (Coloss. III, 1.) Vous n'avez rien de commun avec ce monde où s'accomplissent le cours et les révolutions du soleil et des temps; si vous menez une bonne vie, la nuit vous sera le jour ; ceux, au contraire, qui passent leur temps dans la débauche, l'ivrognerie, l'intempérance, changent leur jour en ténèbres profondes ; non pas que le soleil leur fasse défaut; mais la débauche couvre leur âme d'une épaisse nuit. Avoir des jours pareils en admiration, y prendre plus de plaisir qu'en toute autre époque, illuminer la place publique et l'orner de guirlandes, c'est une puérile démence. Si vous êtes affranchis de cette imbécillité, si vous êtes parvenus à l'état d'hommes, si vous êtes citoyens du royaume de Dieu, n'allez plus allumer au forum une lumière matérielle, mais allumez dans vos esprits la lumière spirituelle ; que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos oeuvres et rendent gloire à votre Père céleste. (Matth. V, 16.) Cette lumière vous procurera une magnifique compensation. Ce n'est pas votre porte qu'il faut couronner de fleurs en guirlandes; arrangez et embellissez votre vie de telle sorte que vous puissiez recevoir de la main du Christ, et poser sur votre front la couronne de justice. Ne faites rien à la légère, rien à l'étourdie : saint Paul ordonne que nous accomplissions toutes nos actions pour la gloire de Dieu. Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. (I Cor. X, 31.)

Mais, direz-vous, comment est-il possible de boire et de manger pour la gloire de Dieu? Comment? eh bien ! allez chercher un pauvre, et, en sa personne, donnez à Jésus-Christ place et part à votre table. Ce n'est pas seulement le manger et le boire que, selon le conseil de l'Apôtre, nous devons rapporter à la gloire de Dieu, mais encore tout le reste de nos actions; ainsi aller au forum, rester à la maison, sont deux choses qu'il faut faire servir à la gloire de Dieu : de quelle manière? Lorsque vous vous rendez à l'église, lorsque vous allez prendre part à la prière commune et à la distribution de l'enseignement spirituel, vous faites une démarche pour la gloire de Dieu. Restez-vous à la maison? ce peut être encore pour Dieu; et comment? Lorsque vous entendez le bruit des rassemblements tumultueux et des pompes diaboliques, lorsque la place publique se remplit de gens sans moeurs et sans frein, fuyez cette foule et ce sera pour Dieu que vous garderez le logis. De même que vous pouvez pour Dieu sortir ou demeurer chez vous, de même vous pouvez pour la gloire de Dieu donner à votre prochain le blâme et l'éloge.

Comment peut-on, pour la gloire de Dieu, louer ou blâmer quelqu'un? Je m'explique Souvent vous allez vous asseoir dans les boutiques , vous voyez passer des hommes sans probité et sans vertu, hauts du sourcil, bouffis de vanité, qui traînent derrière eux une troupe de parasites et de flatteurs, qui s'enveloppent de vêtements superbes et de toutes les fantaisies du luxe : ce sont des pillards et des avares. Alors, si vous entendez quelqu'un s'écrier : « Voilà un personnage dont j'envie le sort; qu'il est heureux ! » protestez, blâmes ce mot, fermez la bouche à cet étourdi, prenez en pitié cet homme et gémissez sur son sort voilà un blâme qui tourne à la gloire de Dieu. Le blâme, en cette circonstance, devient pour tous les assistants une leçon de sagesse et de. vertu; il leur enseigne à ne pas admirer si sottement ce qui ne sert qu'à la vie matérielle. Demandez à celui qui a parlé pourquoi il trouve si heureux le personnage en question:; Est-ce parce qu'il possède un beau cheval dont le frein étincelle d'or? Est-ce parce qu'il a de nombreux domestiques ? Est-ce parce qu’il (453) porte de splendides vêtements, et qu'il se vautre quotidiennement dans l'ivrognerie et la volupté? Mais c'est précisément pour tout cela que je le trouve malheureux, misérable, digne de toutes mes larmes ! de vois que vous ne pouvez louer rien qui fasse partie de lui-même ; vous louez son cheval et le frein, vous louez ses habits, toutes choses extérieures qui ne tiennent nullement à sa personne. Dites, qu'y a-t-il de plus misérable qu'un homme qui ne mérite d'éloges que pour des chevaux, des harnais, des vêtements splendides, des esclaves bien bâtis et bien étoffés, mais rien pour lui personnellement? Qu'y a-t-il de plus pauvre qu'un homme qui, ne possédant rien en propre, rien qu'il puisse emporter de ce monde, tire toute sa valeur et tout son lustre des choses extérieures? Notre ornement personnel, notre richesse personnelle , ce ne sont ni les chevaux, ni les esclaves, ni les vêtements, mais la force d'âme, l'abondance des bonnes oeuvres, et l'assurance de la conscience en face de Dieu.

4. Mais, en revanche, quand vous verrez un pauvre rebuté, méprisé, vivant dans l'indigence et la vertu, faites son éloge, alors que vos amis et vos compagnons le traiteront de misérable : cet éloge, donné en passant, sera une leçon et une utile exhortation aux bonnes et honnêtes moeurs. Si ceux avec qui vous êtes disent que ce pauvre est bien à plaindre, vous au contraire affirmez hautement que vous le tenez pour le plus heureux des hommes, lui qui a Dieu pour ami, qui vit de vertu, qui est riche non pas d'une richesse fugitive, mais d'une conscience pure. Que lui importe de n'avoir pas d'argent, puisqu'il recevra en héritage le ciel avec ses biens infinis ? Si vous avez vous-mêmes ces principes de vraie sagesse, si vous les enseignez aux autres, vous recevrez une belle récompense pour les blâmes et les éloges que vous dispenserez de la sorte, parce que les uns et les autres servent à la gloire de Dieu. Mes paroles ne sont pas une fallacieuse exagération : que Dieu réserve une large compensation à ceux qui portent en leur coeur les dispositions que je viens de dire, que ce soit une vertu de professer les sentiments que je viens d'exposer, j'en ai pour garant le Prophète : écoutez comment il range parmi les vertus le mépris qu'on fait des hommes corrompus et l'estime qu'on a pour ceux qui craignent Dieu. Après avoir passé en revue les qualités diverses de l'homme qui mérite d'être honoré de Dieu, après avoir expliqué ce que doit être celui qui habitera un jour la sainte demeure, c'est-à-dire, sans souillure, sans méchanceté, fidèle observateur de la justice; après avoir dit qu'il n'a point été perfide dans son langage et qu'il n'a jamais fait de mal à son prochain, il ajoute : Le méchant a été réduit à rien en présence de Dieu, et la gloire a entouré ceux qui craignent le Seigneur. (Psaum. XIV, 3, 4.) Par ces paroles il montre qu'un des devoirs de la vraie justice consiste à mépriser les méchants, à louer et à glorifier les bons. Il s'exprime dans le même sens quand il dit : Je vois, mon Dieu, que vous avez honoré d'une façon toute particulière vos amis : leur autorité s'est affermie extraordinairement. (Psaum. CXXXVIII, 17.) N'attaquez pas. celui que Dieu approuve et loue : il loue l'homme juste, fût-il le plus pauvre de tous. Ne louez pas, celui que Dieu repousse : il repousse tous ceux qui vivent dans le mal, fussent-ils inondés de toutes les richesses. Mais soit que vous donniez l'éloge ou le blâme, faites l'un et l'autre selon la volonté de Dieu. Il est possible aussi de faire des reproches publics qui soient à la gloire de Dieu : de quelle manière ? Souvent nous sommes irrités contre nos serviteurs; comment pourrons-nous les réprimander pour la gloire de Dieu ? Si vous voyez un serviteur, un ami, un proche s'enivrer, être l'esclave de la colère, s'empresser aux théâtres, oublier le soin de son âme, proférer des jurements, ou des blasphèmes, ou des mensonges, fâchez-vous, punissez, corrigez, réformez : tout cela sera fait pour la gloire de Dieu. Si quelqu'un vous offense ou néglige de remplir envers vous certains devoirs, pardonnez, et ce sera encore pour la gloire de Dieu. Mais, à présent, on agit souvent tout à l'opposé envers les amis et les serviteurs : s'ils nous manquent à nous-mêmes , nous devenons pour eux des juges sévères et inflexibles ; s'ils font outrage à Dieu et perdent leurs âmes, nous n'en prenons nul souci.

Voulez-vous acquérir des amis? Que ce soit pour Dieu. Devez-vous vous faire des ennemis? Que ce soit encore pour Dieu : comment cela ? Si vous ne courez pas après ces amitiés qui vous rapporteraient un bénéfice en deniers sonnants ou de bonnes invitations à dîner, ou la protection de quelque haut personnage, mais si au contraire vous recherchez et. gagnez des amis (454) qui puissent diriger votre âme, vous conseiller le bien, vous reprendre de vos fautes, vous corriger dans vos manquements, vous relever de vos chutes, vous soutenir de leurs avis et de leurs prières, en un mot vous mener à Dieu, vos amitiés tourneront à la gloire de Dieu. Il est permis aussi de vous faire des ennemis pour Dieu : si vous voyez un homme intempérant, souillé d'impuretés, plein de malices et de principes détestables, cherchant à vous pervertir et à vous nuire, quittez-le, fuyez-le selon le commandement de Jésus-Christ : Si votre oeil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le bien loin. (Matth. V, 29.) Par ces paroles, le Christ nous ordonne de retrancher et de rejeter les amitiés nuisibles au salut de notre âme, lors même qu'elles nous seraient aussi chères que nos propres yeux et comme un élément nécessaire de notre vie. — Si vous paraissez dans les assemblées et si vous prenez la parole, faites-le pour Dieu; si vous gardez le silence, faites-le encore pour Dieu. Comment prendrez-vous part à une conversation pour la gloire de Dieu ? Lorsque vous serez au milieu d'un cercle, au lieu de causer des affaires mondaines qui nous servent peu ou point, parlez de notre religion, de l'enfer, du paradis ; ne vous engagez pas dans les questions vaines et frivoles, comme celles-ci : Quel magistrat vient d'entrer en charge ? Quel autre en est sorti ? D'ou vient la ruine de celui-ci? Comment celui-là a-t-il fait fortune ? Et cet autre, qu'a-t-il laissé en mourant ? Et cet autre, comment se trouve-t-il absent du testament, lui qui comptait se trouver inscrit au premier rang des héritiers ? Et mille autres futilités pareilles. Ne faisons jamais de ces niaiseries le sujet de nos conversations, ne le permettons pas même à notre prochain; mais considérons plutôt par quel langage et quelle conduite nous nous rendrons agréables à Dieu. — Vous pouvez aussi garder le silence à la gloire de Dieu, lorsque, mis en butte aux persécutions, aux injustices, à mille autres souffrances, vous supporterez généreusement tout ce mal, sans maudire celui qui vous l'aura causé. — Vous pouvez, pour la gloire de Dieu, non-seulement louer ou blâmer, aller au forum ou rester au logis, parler ou vous taire, mais encore vous pouvez offrir vos douleurs, vos joies. Si vous voyez vôtre prochain commettre une faute, ou bien si vous tombez vous-même dans le péché, gémissez alors et mettez la tristesse dans votre coeur : cette douleur vous fera gagner un salut qui ne donnera pas lieu à des regrets, selon la parole de l'Apôtre : La douleur qui est selon Dieu opère en nous le salut qui ne donne aucun regret. (II Cor. XII, 10.) Si vous voyez un homme prospérer, au lieu de lui porter envie, rendez grâces a Dieu qui a donné cette prospérité à votre frère, comme vous lui rendriez grâces du bien qu'il vous aurait fait à vous-même : cette joie vous méritera une abondante récompense.

5. Qu'y a-t-il de plus misérable que les envieux? Tandis qu'ils pourraient goûter une joie vraie et en tirer même un profit, ils aiment mieux se chagriner eux-mêmes du bonheur d'autrui et s'attirer , outre cette peine intérieure, la vengeance divine et d'intolérables supplices. Du reste, pourquoi parler de 1a louange et du blâme, de la peine et de la joie, quand les choses les plus humbles et les plus vulgaires peuvent, si elles sont faites pour Dieu, nous procurer la plus grande utilité? Quoi de plus vulgaire que de se couper les cheveux? Et pourtant il est possible de le faire à la gloire de Dieu ! Quand vous aurez renoncé à composer artistement votre chevelure, à vous donner une mine affectée, à vous attifer pour séduire et charmer les regards, quand vous aurez adopté cette simplicité qui reste sévère sans heurter les usages, vous aurez fait quelque chose pour la gloire de Dieu et vous en obtiendrez une récompense, parce que vous aurez réprimé une passion mauvaise et enchaîné une vanité déraisonnable. —  Si, pour un verre d'eau froide, donné au nom de Dieu, on acquiert un droit au royal héritage des cieux, quelle compensation n'obtiendra pas celui qui aura fait toutes ses actions pour Dieu? — Bien plus, chacun de nos pas, chacun de nos regards, peuvent être pour la gloire de Dieu : de quelle façon ? Lorsque vous ne courez pas à l'iniquité , lorsque vous ne cherchez pas d'un oeil avide les curiosités étrangères, lorsqu'à la rencontre d'une femme vous mettez un frein à vos regards et les réprimez par la crainte de Dieu, vous agissez à la gloire de Dieu. Lors que, au lieu de rechercher les vêtements précieux et riches, vous vous contentez de ceux qui suffisent à vous couvrir, vous agissez encore à la gloire de Dieu. Il n'est pas jusqu'aux chaussures qui ne puissent être l'objet de la sainte pratique que je vous conseille. Combien de gens sont tombés à un tel point de luxueuse (455) mollesse qu'ils ornent et embellissent leurs chaussures avec autant de coquetterie que d'autres parent leur tête. C'est le signe d'une âme impure et dépravée : détail et bagatelle, semble-t-il, et pourtant j'y vois pour les hommes et pour les femmes la marque de l'impudicité et de la dépravation ! Vous pourrez donc employer même vos chaussures pour la gloire de Dieu, si vous ne leur demandez que l'usage et l'utilité. — Que notre démarche et notre costume puissent contribuer à la gloire de Dieu, vous l'apprendrez du sage qui a dit autrefois: L'homme se fait connaître à son vêtement, au rire de sa bouche, au mouvement de ses pieds. (Eccli. XIX, 27.) Lorsque nous paraissons en public vêtus avec simplicité, pleins de gravité, faisant preuve de modestie en toutes nos actions, nous imposons par notre aspect seul un respectueux étonnement au libertin , au débauché , à l'infidèle. — Lorsque vous choisissez une épouse , faites-le pour la gloire de Dieu, et dans l'intérêt des bonnes moeurs, faites-le non pas pour rechercher une aisance plus grande, mais la noblesse d'aine; ne poursuivez pas la richesse ou l'illustration de famille , mais la pureté de la vie et la modestie ; associez à votre vie une compagne , ne prenez pas une camarade de débauche. — Mais à quoi bon passer tout en revue ? Après ce que j'ai dit, il vous est facile d'examiner successivement chacune de vos actions et de les faire toutes pour la gloire de Dieu. Pareils aux marchands qui , après avoir parcouru les mers et touché aux rivages de quelque cité, ne quittent pas le port et ne montent pas au forum avant d'avoir supputé le gain qu'ils peuvent tirer de ce qu'ils ont sous la main, ne disons rien et ne faisons rien qui ne puisse nous rapporter quelque profit selon Dieu. N'objectez pas qu'il est impossible de faire tout pour Dieu , puisque chaussures , chevelure , vêtement, démarche, regards, paroles, réunions, entrées, sorties, plaisanteries, éloges, blâmes, recommandations, amitiés, inimitiés, peuvent tourner à la gloire de Dieu : que reste-t-il donc que nous ne puissions faire pour Dieu si nous le voulons ? Connaissez-vous un état plus vil que celui de geôlier? Ce genre de vie n'est-il pas le pire de tous? Et pourtant il est possible à celui qui le veut de gagner en cet état plus d'un mérite, quand il est doux pour ceux qui portent les chaînes, quand il prend quelque soin de ceux qui souffrent une injuste captivité, quand il ne trafique pas du malheur d'autrui, quand il est pour tous ces affligés qui lui sont confiés un consolateur et un ami. C'est de la sorte que le geôlier de saint Paul obtint le salut : ainsi donc il est certain que nous pouvons, si nous le voulons, mettre à profit tous les actes de notre vie.

6. Y a-t-il quelque chose de plus détestable que de tuer un homme? Et cependant cet acte cruel a pu devenir une source de justification pour celui qui l'a commis : tant il y a d'efficacité à agir pour la gloire de Dieu ! Mais comment l'homicide a-t-il procuré la justification? Jadis les Madianites voulurent irriter Dieu contre les Juifs, pensant qu'ils dompteraient aisément ceux-ci après les avoir privés de la bienveillance du Seigneur. lis parent legs plus belles filles et les exposent en vue de l'armée, ils séduisent leurs ennemis, ils les entraînent à la fornication d'abord, à l'impiété ensuite. A cette vue, Phinées, surprenant deux complices d'impudicité, les transperce l'un et l'autre de son glaive, et détourne la sentence vengeresse qu'allait porter Dieu irrité. Cette action fut un meurtre sans doute, mais elle eut pour résultat le salut de cette multitude sur le point de se perdre; elle justifia celui qui le commit. Non-seulement cet homicide ne souilla pas les mains de Phinées, mais il les rendit plus pures : et cela avec toute raison. Ce- ne fut ni par haine ni par jalousie que Phinées tua ces deux misérables, mais ce fut pour sauver tous les autres; il sacrifia deux personnes, mais il en conserva une multitude. Il agit avec 'autant de sagesse que ces médecins qui né craignent pas d'amputer un membre pourri afin de rendre le reste du corps sain et vigoureux. Aussi le Psalmiste a-t-il dit: Phinées se leva et apaisa le courroux de Dieu, et il fit cesser la plaie dont ils étaient frappés. Ce zèle lui fut imputé à justice pour toujours et dans la suite de toutes les générations. (Psaum. CV, 30.) Son action fut légitime : elle vivra dans un immortel souvenir.

Mais voici un autre homme : il prie beaucoup, et il ne fait qu'offenser Dieu, tant il est nuisible de ne pas accomplir pour Dieu les actions que l'on fait ! je parle du pharisien. Phinées se rend agréable à Dieu en commettant un meurtre; le pharisien offense Dieu et encourt sa disgrâce, non pas précisément par sa prière, mais par l'intention qu'il mettait dans sa prière. L'oeuvre la plus religieuse, si elle (456) n'est pas accomplie pour Dieu, porte immédiatement dommage à celui qui la fait; au contraire, l'oeuvre-la plus ordinaire de la vie devient un mérite pour celui qui l'accomplit avec une intention religieuse. Quel acte peut être plus grave et plus horrible que le meurtre ? Et pourtant il a justifié Phinées qui a eu le courage de le commettre. Quelle excuse aurons-nous donc, nous qui prétendons ne pouvoir pas tirer mérite de tout ni faire tout pour la gloire de Dieu, quand nous voyons Phinées justifié par un meurtre? — Il n'y a pas jusqu'à nos achats et nos ventes de chaque jour, qui ne nous offrent l'occasion de réaliser, si nous avons la bonne volonté et l'attention, à tous les moments de notre vie, ces profits spirituels: par exemple, en ne réclamant rien au-dessus du juste prix, en n'épiant pas les moments où règne la disette publique, en montrant de la facilité envers les pauvres. Maudit soit celui qui augmente la cherté du froment ! (Prov. XI, 26.) Mais il est inutile d'entrer dans tous les détails; recueillons en une seule comparaison toutes nos conclusions : lorsque les ouvriers construisent un mur, ils conduisent leur cordeau d'un angle à l'autre et le suivent pour dresser leur bâtisse de telle sorte que la surface entière ne présente aucune partie irrégulière. Nous, prenons pour ligne de conduite ces paroles de l'Apôtre: Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque chose, faites tout pour la gloire de Dieu. Par la prière ou le jeûne, par l'accusation ou le pardon, par la louange ou le blâme, dans l'intérieur de vos maisons comme au dehors, dans la vente ou dans l'achat, par le silence ou la discussion , dans tout ce que nous faisons, agissons constamment pour la gloire de Dieu, abstenons-nous de tout ce qui ne peut être rapporté à la gloire de Dieu, actions ou paroles; faisons de cette maxime notre bâton de voyage, notre arme et notre défense, notre plus cher trésor; en quelque lieu du monde que nous soyons, gravons-la dans nos âmes, portons-la partout avec nous de telle sorte que nous dirigions à la gloire de Dieu nos actions, nos discours, nos entreprises, tout enfin; et Dieu nous accordera en retour la gloire à nous-mêmes sur cette terre et après la fin de notre pèlerinage; car il a dit : Je comblerai de gloire ceux qui me glorifient. (I Rois, II, 30.) Travaillons donc assidûment par notre conduite plus encore que par nos paroles à glorifier le Seigneur avec Jésus-Christ notre Dieu : à qui appartiennent toute gloire, tout honneur, toute adoration, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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