PÉNITENCE IV

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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE.

 

QUATRIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE.

 

  C'est le quatrième jour que l'orateur entretient son auditoire au sujet de la pénitence. — Combien la pénitence est consolante , et l'exemple des autres propre à nous encourager! —  2° La vertu est facile dans l'adversité, difficile dans la prospérité. — 3° Les saints ne se laissent ni abattre par la mauvaise fortune, ni enfler par la bonne. — 4° Cherchez, non auprès des hommes, mais dans le sein de Dieu, un refuge toujours facile à trouver. — 5° Si Dieu permet que nous soyons souvent affligés, c'est afin de nous forcer à recourir à lui.

 

 

1. Les bergers conduisent habituellement leurs brebis aux endroits où ils voient l'herbe plus abondante, et ils ne les en retirent que lorsque le pâturage est entièrement dépouillé. Nous les imitons : voici le quatrième jour que nous faisons paître notre troupeau sur le champ de la pénitence et nous ne songeons pas encore aujourd'hui à le quitter : car nous voyons qu'il y a abondance d'excellente nourriture en même temps qu'abondance de contentement et de profit.

Le feuillage des arbres, qui sert aux troupeaux d'abri contre les ardeurs du midi, qui répare l'épuisement de leurs forces, qui leur fournit une ombre agréable et utile, qui les invite à un doux sommeil, ne vaut pas pour eux ce que vaut pour nous la méditation des divines Ecritures ; elle repose et rafraîchit les âmes endolories et abattues de fatigue; elle tempère la violence et la fièvre de leurs peines, elle leur offre des consolations plus suaves et plus réparatrices que tous les ombrages. Lorsqu'un homme surpris et circonvenu par la tentation est tombé, lorsqu'il est rongé par ses remords, lorsqu'au souvenir de son péché il se plonge dans un abîme de découragement et se sent chaque jour davantage embrasé par des flammes secrètes, lorsque des milliers de consolateurs ne lui apportent aucune consolation , s'il entre dans l'église et s'il entend raconter qu'une multitude de saints se sont relevés après être tombés et sont rentrés en possession de leur dignité première, cet homme s'en retourne après avoir recouvré intérieurement son courage. Quand nous avons souvent offensé les hommes, nous n'osons pas découvrir notre faute, nous avons peur, nous avons honte; et si nous la découvrons, nous ne gagnons guère; mais quand c'est Dieu qui nous console et qui nous touche le coeur, toute la tristesse satanique s'enfuit rapidement. Aussi les chutes des saints nous ont été décrites à cette fin que justes et pécheurs en retirent un abondant profit. Le pécheur ne se laisse pas aller au découragement et au désespoir, quand il voit qu'un autre, tombé comme lui, a eu la force de se relever : le juste devient plus diligent et plus ferme; car, quand il voit que tant d'autres, meilleurs que lui, ont failli, il puise dans la crainte d'une chute pareille à la leur la circonspection, il fait bonne garde partout, il s'entoure de la plus active vigilance : de la sorte, celui qui a préservé sa vertu la préserve mieux encore, celui qui a péché se sauve du désespoir; l'un reste ferme, l'autre recouvre promptement ce qu'il a perdu. Lorsqu'un (292) homme nous console dans nos peines et que nous semblons reprendre courage pour un temps, bientôt nous retombons dans notre même faiblesse; mais lorsque Dieu se charge de nous exhorter par l'exemple de ces autres pécheurs qui se sont repentis et sauvés, il nous met sa bonté dans une telle lumière que, ne pouvant douter de leur salut, nous recevons par là un encouragement solide et efficace. Ainsi, dans le cas de péché comme dans les accidents périlleux pour nous, les antiques récits de l'Ecriture offrent un bon remède aux âmes affligées, à toutes celles du moins qui veulent y prêter attention. Sommes-nous frappés par la confiscation de nos biens ou par les délations de vils calomniateurs, ou par la condamnation à la prison ou par les verges ou par quelque autre malheur, jetons les yeux sur ces justes qui ont souffert les mêmes calamités et les ont supportées , et nous pourrons revenir promptement à nous-mêmes. Dans les maladies du corps, celui qui souffre ne fait, en contemplant les maux d'autrui, qu'augmenter son propre mal ou même se donner souvent celui qu'il n'avait pas : ainsi regarder certaines gens qui ont les yeux malades suffit pour contracter par la vue seule la même infirmité; en ce qui concerne l'âme, il n'en est pas ainsi, mais c'est tout l'opposé qui arrive ; penser habituellement à ceux qui ont souffert les mêmes maux que nous est le moyen d'alléger le sentiment douloureux de nos propres misères. C'est pourquoi saint Paul exhortait les fidèles en leur mettant sous les yeux les saints non-seulement ceux qui étaient vivants, mais ceux encore qui étaient morts. S'adressant aux Hébreux qui chancelaient, qui menaçaient de faillir, il leur rappelait Daniel, les trois jeunes gens, Elie, Elisée ; il leur disait.: Ils ont fermé la gueule des lions, ils. ont arrêté la violence du feu, ils ont échappé au tranchant du glaive, ils ont été lapidés, ils ont été en butte aux insultes et aux coups, ils ont subi les chaînes et la prison. Ils ont été errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, manquant de tout, affligés, persécutés, eux dont le, monde n'était pas digne (Hébr. XI, 34, etc.) — La communauté de souffrances console les malheureux être seul à supporter quelque mal considérable, c'est souffrir sans soulagement; mais trouver un compagnon de misère, c'est rendre la plaie plus douce.

2. Donc, si nous voulons ne pas succomber aux maux qui semblent devoir nous accabler, méditons avec soin les récits de l'Ecriture c'est là que nous recueillerons de nombreuses ressources de patience , non - seulement en nous consolant par les exemples de ceux qui ont subi les mêmes afflictions que nous, mais aussi en apprenant les moyens de nous délivrer des peines qui nous ont frappés, de conserver la grâce du pardon après l'avoir reconquise, de nous préserver de la négligence et de ne pas nous laisser emporter par une folle témérité. Que sous la pression de l'adversité nous soyons soumis et humbles, nous montrions une grande religion, ce n'est pas étonnant : la nature des épreuves est telle précisément qu'elle force les âmes (fussent-elles rudes comme la pierre) à en venir là, à sentir la douleur : mais c'est le fait d'une âme religieuse et tenant toujours Dieu présent à son regard -de ne pas retomber, même après qu'elle est sortie des épreuves, dans l'insouciance et dans l'oubli du devoir. Ce qui arriva souvent aux Juifs. C'est pourquoi le Prophète leur disait en se raillant d'eux: Quand Dieu les faisait périr, ils le recherchaient, ils revenaient à lui, ils accouraient dès le petit jour. (Psal. LXXVII, 34.) Et Moïse, qui les connaissait par expérience, les exhortait souvent en ces termes : Quand tu auras mangé et bu, quand tu seras rassasié, prends garde à toi, de peur que tu n'oublies le Seigneur ton Dieu. (Deut. VI,12.) Aussi ne faut-il pas tant admirer les saints parce que au fort de la tribulation ils furent pieux et sages, que parce que, la tempête passée et le calme revenu, ils ont persévéré dans la prudence et la ferveur. Il faut admirer un cheval qui peut, sans le secours du frein, fournir une course parfaitement régulière; mais que, maintenu par le mors et la bride, il aille droit son chemin, je n'y vois rien d'extraordinaire : en ce cas, ce n'est pas à l'excellence du sang, mais à la nécessité imposée par le frein, qu'il convient d'attribuer la régularité de sa marche. Disons la même chose de l'âme : qu'elle soit docile sous la pression de la crainte, ce n'est pas étonnant; mais lorsque les épreuves sont passées et que le frein de la terreur est écarté, montrez-moi une âme se possédant dans la sagesse et dans une parfaite ordonnance. Ah! je crains bien qu'en voulant accuser les Juifs, je ne fasse le procès à notre propre vie : dans le temps où nous étions poursuivis par la faim , la peste, la grêle, la sécheresse, l'incendie, les incursions (293) d'ennemis, les églises ne se trouvaient-elles pas chaque jour trop petites pour la multitude qui y affluait? Alors nous avions une belle sagesse, un grand mépris pour les choses de cette vie plus de soif d'argent, plus d'ambition de gloire, plus d'appétits et d'amour lascifs, aucune pensée mauvaise enfin ne nous agitait; tous, nous nous adonnions avec des prières et des larmes au culte divin. En ce temps-là le fornicateur se conduisait avec modestie, le rancunier courait à la réconciliation, l'avare s'adoucissait jusqu'à faire l'aumône , l'homme emporté et brutal se convertissait à l'humilité et à la mansuétude. Mais, lorsque Dieu eut déposé sa colère , chassé cette tempête, et ramené le calme après de tels orages, nous sommes rentrés dans nos habitudes d'autrefois. Or, à l'époque même de la tribulation, je ne cessais de vous prédire cela et de l'attester à l'avance; mais je n'ai rien gagné : sous avez écarté de vos souvenirs toutes - ces choses comme un songe , comme une ombre qui passe. C'est pourquoi je crains maintenant plus que je ne craignais alors; et je redoute à présent davantage ce que je vous annonçais alors, je crains que nous n'attirions sur nous des calamités plus terribles et que nous ne recevions de la main de Dieu une irrémédiable blessure. Celui qui, après avoir souvent péché, a obtenu de Dieu le pardon et qui néanmoins n'a pas ensuite profité de cette divine tolérance pour déposer son iniquité, Dieu le traite enfin de telle sorte que bon gré mal gré il accumule sur lui une montagne de maux, il l'en écrase, il ne lui laisse aucun recours à la pénitence c'est ce qui arriva au Pharaon égyptien. Après avoir éprouvé l'immense longanimité de Dieu dans la première, la deuxième, la troisième, la quatrième plaie et dans toutes les autres qui suivirent, après en avoir négligé tout le bénéfice, il fut enfin renversé et anéanti totalement avec tout son peuple. Les Juifs éprouvèrent le même sort. C'est pourquoi le Christ, qui se disposait à les perdre et à les frapper d'une ruine irréparable, leur disait : Que de fois j'ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu! Voilà que votre maison sera abandonnée à la solitude ! (Luc, XIII, 34.) Je crains que nous n'ayons à subir, nous aussi, le même châtiment, puisque ni les maux d'autrui ni les nôtres ne nous out ramenés à la sagesse. Ce que je dis, je ne le dis pas seulement à vous qui êtes ici présents, je le dis encore à ceux qui ont fait divorce avec la ferveur quotidienne et qui ont oublié les calamités passées, à ceux que je m'épuisais à avertir, en ne cessant de leur dire : lors même que les épreuves seraient passées , gardez-en dans vos âmes le souvenir, afin que nous rappelant sans cesse le bienfait, nous rendions sans cesse grâces à Dieu qui l'a octroyé.

3. Voilà ce que je disais alors, ce que je dis encore aujourd'hui; voilà ce que je dis par vous aux autres. Imitons les saints qui ne se laissèrent ni abattre par le malheur ni amollir par la prospérité, comme ont fait bien des gens de notre temps , pareils à ces barques légères qui sont enveloppées et submergées par la moindre agitation des flots. Souvent la pauvreté, arrivant à l'improviste, nous coule à fond et nous noie; d'autres fois la richesse, en nous favorisant, nous enfle et nous jette dans la plus complète oisiveté. Je vous en supplie donc, dédaignez tout le reste pour songer, chacun de votre côté, à préparer vos âmes pour le salut; votre salut une fois assuré, peu importe quels maux vous frappent; la faim, la maladie, la délation, le pillage de vos biens, un malheur quelconque, tout vous sera tolérable et léger en raison du précepte de Dieu et de l'espérance que nous avons en lui; mais au contraire, c'est en vain que la richesse abonde, que les enfants prospèrent, que des biens infinis vous fournissent toutes les jouissances, l'homme qui les possède ne fait qu'accumuler des chagrins et des peines, quand son âme est mal disposée vis-à-vis de Dieu. Ne poursuivons pas l'opulence et ne fuyons pas la pauvreté ; ayons avant tout le souci de notre âme, mettons-la en bon ordre non-seulement pour l'arrangement de notre vie présente, mais encore pour notre départ de ce monde en l'autre. Encore un peu de temps, et l'examen de chacun de nous aura lieu, lorsque devant le tribunal redoutable du Christ nous comparaîtrons tous, entourés de nos couvres personnelles, et voyant de nos propres yeux, ici les larmes des orphelins, là les honteuses débauches dont nous avons souillé nos âmes, ailleurs les gémissements des veuves, plus loin les outrages faits aux malheureux et les rapines commises contre les pauvres, et non-seulement ces actes coupables et tous les autres semblables, mais encore tout ce que nous avons fait de mal par la pensée : Dieu est en effet le scrutateur des pensées et le juge des intentions. (Héb. IV, 42) ; (294) c'est lui qui examine les coeurs et les reins, (Ps. VII, 10), lui qui rend à chacun selon ses œuvres. (Matt. XVI, 27.)

Ce sermon ne regarde pas uniquement ceux qui vivent dans le siècle, mais ceux aussi qui, pour mener la vie monastique, sont allés dans les montagnes dresser leurs tentes; ils doivent non-seulement garder leurs corps purs de toute souillure de fornication , mais aussi préserver leurs âmes de la satanique envie de posséder. C'est aux hommes et à l'Eglise tout entière, autant qu'aux femmes, que saint Paul s'adresse quand il dit que l'âme virginale doit être pure de corps et d'esprit (I Cor. VII, 34) ; et ailleurs : Offrez à Dieu vos corps purs comme une vierge chaste. (II Cor. XI, 2.) Comment chaste? N'ayant ni souillure ni ride. (Ephés. V, 27.) Ces vierges, qui n'avaient que des lampes éteintes, possédaient lai virginité du corps, mais non pas la pureté du coeur ; aucun homme ne les avait souillées sans doute, mais l'amour de l'argent les avait corrompues. Leur corps était pur, mais leur âme était remplie par d'autres adultères : là régnaient les pensées mauvaises, et l'avarice, et la dureté, et la colère, et l'envie, et l'oisiveté, et la négligence, et l'orgueil, et tous les autres vices qui insultaient à leur dignité de vierges. C'est pourquoi saint Paul disait : Que la vierge soit sainte de corps et d'esprit (I Cor. VII, 34); et ailleurs : La vierge doit s'offrir parfaitement chaste au Christ. (II Cor. XI, 2.) De même que le corps se souille dans la fornication, ainsi l'âme se déshonore par les pensées sataniques, les dogmes pervers, les maximes déraisonnables. Celui qui dit : je suis vierge de corps, mais dans le coeur je porte envie à mon frère; celui-là n'est pas vierge, il a corrompu sa virginité en la mêlant de haine. Celui qui ambitionne une misérable gloire, n'est pas vierge non plus, il a corrompu sa virginité par l'amour des sottes fascinations ; cette passion une fois entrée dans le coeur y ruine la virginité. Celui qui hait son frère s'appellerait plutôt assassin que vierge. En résumé, toute passion mauvaise, en s'emparant d'un homme, en a, du même coup, empoisonné la virginité. Pour cette raison, saint Paul repousse tous ces funestes mélanges et nous ordonne d'être vierges, de telle sorte que nous ne donnions librement accès dans notre âme à aucune pensée mauvaise.

4. Que dire à cela ? Comment obtiendrons-nous miséricorde, et comment nous sauverons-nous? Je vais vous le dire : ouvrons toujours notre coeur à la prière et à ses fruits, c'est-à-dire à l'humilité et à la douceur. Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez le repos pour vos âmes. (Matth. XI, 29.) Et David : Le sacrifice agréable à Dieu est une âme pénitente; Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié. (Psalm. I, 19.) Dieu ne recherche et n'aime rien tant qu'une âme douce, humble et reconnaissante. Et vous aussi, mon frère, remarquez ceci lorsqu'un accident vous frappe à l'improviste et vous chagrine, ne cherchez pas refuge auprès des hommes, ne jetez pas les yeux sur un secours périssable; mais, laissant tout cela de coté, courez par la pensée au médecin des âmes. Le seul qui puisse apporter remède aux blessures de votre coeur est Celui qui a fait le coeur de chacun de nous et qui connaît toutes nos oeuvres (Ps. XXXII, 15) ; voilà celui qui peut entrer dans notre conscience, poser la main sur notre âme et l'émouvoir. S'il n'y parvient pas, tout ce qu'essayeront les hommes restera inutile et vain; au contraire, lorsque Dieu nous console et nous exhorte, rien n'est capable de nous faire le moindre préjudice, lors même que les hommes nous écraseraient de mille chagrins; quand Dieu affermit notre coeur, rien ne peut l'ébranler.

Puisque nous savons cela, mes amis, cherchons toujours notre refuge auprès de Dieu, auprès de celui qui a volonté et pouvoir de nous délivrer du malheur. Lorsqu'il nous faut implorer les puissances humaines, nous sommes obligés de parlementer d'abord avec les portiers, puis de nous adresser aux habitués de la maison et aux courtisans, et enfin de parcourir un long détour; avec Dieu, rien de semblable, il nous écoute sans intermédiaire, il accueille nos requêtes sans dépense et sans frais; il suffit de crier du fond du coeur vers lui, de lui offrir nos larmes, à peine admis en sa présence nous l'attirons à nous. Recourons-nous à un homme, souvent nous avons à craindre qu'un de nos ennemis, un de leurs affidés, un adversaire quelconque, entendant l'exposé de notre affaire ou l'apprenant par autrui, né vienne à la traverse de notre droit; avec Dieu nous n'avons aucune inquiétude de ce genre. Lorsque vous voulez me prier, nous dit-il, venez à moi, venez tout seul, sans témoins, c'est-à-dire priez du coeur, sans remuer même les lèvres. Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte sur (295) vous et priez votre Père en secret; et votre Père, qui voit ce qui se passe en secret, vous accordera en public ce que vous demanderez. (Matth. VI, 6.) Voyez quel excès d'honneur ! Lorsque vous me priez, dit-il, faites que personne ne s'en aperçoive; mais lorsque je vous favorise, je rends toute la terre témoin de mon bienfait. Laissons-nous donc persuader prions ; mais ne prions ni pour l'apparence, ni contre nos ennemis, et ne prétendons pas enseigner à Dieu la manière dont il nous doit secourir. Quand nous nous adressons aux avocats et aux rhéteurs qui plaident devant les tribunaux, nous leur exposons simplement nos affaires, nous les laissons libres de choisir eux-mêmes le mode de la défense et de traiter de nos intérêts comme ils l'entendront; à plus juste titre, faut-il en agir de même sorte avec Dieu. Lui avez-vous expliqué votre cause et raconté vos souffrances? eh bien ! prenez garde de lui expliquer aussi de quelle façon il doit vous aider; il sait parfaitement ce qui vous convient. Il est certaines gens qui, pour prier, récitent à la file des milliers de phrases : Seigneur, donnez-moi la santé du corps; Seigneur, augmentez au double mes possessions ; Seigneur, protégez-moi contre cet ennemi. Tout cela est pleinement absurde. Il faut écarter toutes ces sottes réclames, et prier uniquement à la manière de ce publicain qui disait : Mon Dieu, ayez pitié d'un pauvre pécheur. (Luc, XVIII, 13.) Et Dieu saura bien comment vous secourir. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, dit l'Evangile, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Matth. VI, 33.) Pratiquons donc, mes chers amis, pratiquons cette laborieuse et humble sagesse, frappons notre poitrine à l'exemple du publicain, et nous obtiendrons ce que nous demandons; si notre prière sort d'une âme remplie par la colère et la haine, nous serons trouvés devant le Seigneur, abominables et odieux. Broyons notre coeur, humilions notre âme, prions pour nous et pour ceux qui nous persécutent. Si vous voulez attirer le Juge souverain au secours de votre âme et l'attacher à votre parti, ne l'interpellez jamais contre votre ennemi. Ce Juge, en effet, est de tel caractère, qu'il accueille et exauce les demandes de ceux qui prient pour leurs ennemis, qui oublient les injures reçues, qui rie s'emportent pas contre leurs adversaires ; et d'autant qu'ils entrent davantage en ces dispositions, d'autant Dieu traite plus rigoureusement leurs ennemis, si ces derniers ne se convertissent pas à une sincère pénitence.

5. Quand une injure vient vous atteindre, prenez garde, mes frères, de vous livrer de suite à l'indignation et au découragement ; rendez plutôt grâces à Dieu avec une sage modération et attendez son secours. Dieu ne pouvait-il pas, avant toute prière, nous accorder tous les biens ? Ne pouvait-il pas nous faire une vie exempte de douleurs et libre de tout souci ? Eh bien ! il réalise ces deux choses par un ingénieux procédé de son amour. Pourquoi permet-il que nous souffrions, sans venir immédiatement à notre aide? Pourquoi ! Pour nous obliger à recourir à lui sans cesse, à réclamer son appui, à chercher près de lui un refuge , à invoquer perpétuellement son assistance. Voilà d'où viennent les douleurs physiques, d'où vient la disette des fruits de la terre, d'où viennent les famines ; par toutes ces calamités, il nous montre que nous dépendons de lui entièrement, et par les malheurs du temps il nous fait conquérir l'héritage de la vie éternelle. Aussi devons-nous, même pour ces maux, rendre grâces à Dieu qui les emploie comme de nombreux moyens de guérir et de sauver nos âmes. Les hommes qui nous ont rendu quelque mince service et que, plus tard, nous contrarions légèrement, même sans le vouloir, ces hommes, dis-je, nous reprochent aussitôt le bienfait reçu et nous le jettent au visage, de telle sorte que souvent nous regrettons amèrement de l'avoir accepté; Dieu n'agit pas ainsi, outragé et insulté après les plus magnifiques largesses, il s'excuse encore, il entre en explications avec celui qui l'offense : O mon peuple que t'ai-je fait? dit-il. Le peuple ne voulait pas l'appeler son Dieu, mais Dieu ne cessait de l'appeler son peuple ; les Juifs reniaient son autorité, mais Dieu ne les reniait pas, ne cessait pas de les traiter comme siens et de les attirer à lui, en disant: O mon peuple, que t'ai-je fait? Est-ce que j'ai été pour toi une charge, un fardeau, un embarras? Tu ne peux pas le dire ; et, quand cela serait, faudrait-il donc résister de la sorte? Quel est le fils que son père ne corrige jamais? (Hébr. XII, 7.) Et pourtant vous ne pouvez pas même dire cela. Et ailleurs il demande encore Quel sujet de plaintes vos pères ont-ils trouvé en moi? (Jérém. II, 15.) Grande et étonnante parole ! En l'employant, il semble dire : En quoi ai-je péché? Et c'est Dieu qui demande (296) à des hommes en quoi il a péché, Dieu qui s'exprime comme des esclaves ne voudraient pas s'exprimer en parlant à leurs maîtres. Dieu ne dit pas: En quoi ai-je péché contre vous, mais il dit : contre vos pères; vous ne pouvez pas même prétexter que vous conservez contre moi une inimitié que vous auraient transmise vos ancêtres. Dieu ne dit pas tout simplement : Qu'est-ce que vos pères ont eu contre moi, mais il dit : Qu'est-ce que vos pères ont trouvé contre moi. Après avoir bien cherché, après avoir examiné dans tous les sens pendant les années si nombreuses qu'ils ont passés sous- mon autorité, ils n'ont pas trouvé un seul reproche à me faire. — Pour tous ces motifs, courons nous réfugier auprès de lui , dans tous les chagrins demandons-lui la consolation, dans toutes les calamités la délivrance et sa miséricorde, dans toutes les tentations son secours ; quelle que soit la grandeur de nos maux et de nos misères, il peut tout dissiper et écarter, et non-seulement cela, mais encore sa bonté nous accordera la pleine sécurité, et la force, et la vraie gloire, et la santé du corps, et la sagesse de l'âme, et les plus belles espérances, et la grâce de ne plus pécher si facilement. Ne murmurons plus à la manière de serviteurs ingrats, n'accusons plus le Seigneur, mais rendons-lui grâces en toutes choses, et n'estimons comme un mal que le péché qui l'outrage. Si nous mettons en nous ces dispositions envers Dieu , rien ne nous séparera de lui, ni la maladie, ni la pauvreté, ni les outrages, ni la disette, ni quoi que ce soit de ce qu'on range parmi les maux de ce monde; mais, après avoir recueilli ici-bas de pures et chastes joies, nous obtiendrons les biens éternels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint la gloire maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. l'abbé A. SONNOIS.

 

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