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CHAPITRE PREMIER. VISION D'ISAIE.

 

ANALYSE.

 

1. Le Prophète nomme sa prédiction une vision, pour signifier que c'est une vue anticipée des événements.

2. Le Prophète laissant de côté les hommes adresse la parole aux éléments : c'est une marque de l'indignation qui anime le Prophète et c'est en même temps un moyen d'inspirer aux hommes de la honte de ce qu'étant doués de raison, ils se sont ravalés par le péché au-dessous des créatures privées de sentiment.

3 et 4. Tableau de l'ingratitude et de la dépravation des Juifs. Dieu, par la bouche du Prophète, leur adresse de vifs reproches, où se remarque encore de la tendresse ; c'est le langage d'un ami outragé, mais qu'aucun outrage ne rebute. Les sacrifices de . l'Ancien Testament n'étaient pas agréables à Dieu par eux-mêmes. Raison de leur institution. Pourquoi l'ancienne loi permettait le divorce.

5. La prière ne sert de rien an pécheur qui reste dans son péché.

6 et 7. Pouvoir du libre arbitre, il est la condition essentielle de la vertu.

8. on pèche non pas seulement en faisant le mal, mais encore en omettant de faire le bien. — Réponse à une objection des Juifs. Turpitude et vanité de l'idolâtrie.

 

1. Il appelle sa prophétie vision soit parce qu'il avait sous les yeux beaucoup d'événements futurs, et c'est ainsi que Michée vit la dispersion du peuple, Ezéchiel la captivité et la prévarication de ceux qui adoraient le soleil et Thamuze ; soit parce que, les choses que les prophètes entendaient leur venant de Dieu, elles n'avaient rien de moins sûr que la vision elle-même et produisaient une certitude égale, ce qui ne saurait avoir lieu en dehors de l'intervention divine. Ils entendaient autrement que le reste des hommes, car Isaïe dit : « Il m'a ajouté une oreille pour entendre. » (Isaïe, L, 4.) En appelant sa prophétie « vision, » il rend son récit plus digne de foi, il excite l'attention de l'auditeur et il le fait penser à l'auteur de la vision. Tous ceux qui nous apportent des oracles de la part de Dieu ont soin avant tout de bien établir ce point, qu'ils ne disent rien qui soit tiré de leur fonds propre, mais que leurs paroles ne sont que des révélations divines, que des écrits descendus du ciel. Ainsi David disait: « Ma langue, c'est la plume d'un écrivain qui écrit rapidement. » (Ps. XLIV, 2.) N'allez donc pas croire que les lettres viennent de la plume, mais de la main qui la tient, c’est-à-dire non de la langue de David, mais de la grâce qui la meut. Un autre prophète voulant montrer la même chose dit: « J'étais un chevrier, arrachant des sycomores. » (Amos, VII, 14.) De sorte que nous ne devons pas juger ces paroles selon les règles de la sagesse humaine. Et cette parole même ne lui suffisait pas, il a ajouté celle-ci : « L'Esprit du Seigneur m'a rempli de force, de jugement et de puissance. » (Mich. III, 8.) Car la grâce les a rendus non-seulement sages, mais forts non selon le corps, mais selon l'âme. Comme ils devaient s'adresser à un peuple audacieux et impudent, altéré du sang des prophètes, se plaisant à massacrer les saints, ils avaient certes besoin de beaucoup de force pour ne pas redouter sa colère. C'est pourquoi le Seigneur dit à Jérémie : « Je t'ai placé comme nue cotonne de fer et comme un mur d'airain ; » et à Ezéchiel « Tu habites au milieu des scorpions, ne crains pas devant eux et ne les redoute pas. » Et quand Moïse fut envoyé, ce n'est pas seulement à mon avis parce qu'il redoutait Pharaon qu'il voulait refuser sa mission, mais parce qu'il craignait le peuple juif. C'est pourquoi en s'entretenant avec Dieu, sans même songer au roi, il s'enquiert avec beaucoup de soin de ce qu'il devra dire à ceux qui ne voudront pas le reconnaître pour envoyé de Dieu, et ce fut pour les convaincre qu'il reçut le pouvoir des miracles; et c'était avec raison. Car si un seul d'entre eus qui avait même été sauvé par lui l'effraya jusqu'à lui faire prendre la fuite, que ne devait-il pas éprouver en pensant à tout ce peuple si turbulent? Aussi outre l'Esprit de sagesse, reçut-il encore l'Esprit de force, comme un autre prophète le disait de lui-même. « L'Esprit du Seigneur m'a rempli de force, de jugement et de puissance (Mich. III, 8); » et un autre « La parole de Dieu se fit entendre à Jérémie, fils de Chelcias (Jérém. I, 1) ; » et un autre encore: « Inspiration contre Ninive : livre de la vision de Nahum d'Elcesaï. » (Nahum.) Celui-ci, tout en se servant d'un autre terme, fait entendre la même chose que les premiers: il appelle inspirés ceux dont l'Esprit s'est emparé. C'est parce qu'en parlant ainsi ils étaient dominés par le Saint-Esprit qu'il a appelé inspiration l'opération de la grâce. C'est pour la même raison que saint Paul place en tête de toutes ses épîtres son titre d'apôtre; ce que faisaient les prophètes en se servant des mots vision, discours, inspiration, parole; il le fait en se servant du mot d'apôtre. Si celui qui dit vision, parole de Dieu, n'annonce rien qui vienne de lui, celui qui s'appelle apôtre, c’est-à-dire envoyé, n'enseigne pas non plus une doctrine qui lui soit propre, mais la doctrine de Celui qui l'a envoyé. La fonction d'apôtre, consiste précisément à ne rien donner qui vienne de soi. C'est pourquoi le Christ dit : « N'appelez personne votre maître sur la terre, un seul est votre Maître, et il est dans les cieux (Matth. XXIII, 10) ; » il nous montre par là que ce que nous enseignons a son commencement et sa racine en notre Maître céleste, bien que les ministres de la parole soient des hommes. « Que vit Isaïe? » Comment les prophètes perçoivent-ils ce qu'ils voient, ce n'est pas à nous de le dire : notre parole est impuissante à expliquer le mode de leur vision ; celui-là seul le connaît qui l'a éprouvé. Si (340) notre nature, soit qu'elle agisse, soit qu'elle reste passive, a des secrets dont nul ne saurait rendre compte, comment pourrions-nous expliquer la manière d'opérer du Saint-Esprit? Si toutefois il faut par des images obscures essayer de la montrer non dans une claire lumière, mais comme dans des énigmes, il me semble que les prophètes éprouvent quelque chose d'analogue à ce qui se fait dans une eau pure que viennent illuminer les rayons du soleil, que leurs âmes purifiées d'abord par leurs propres vertus, et aussi rendues aptes à refléter la divine lumière, reçoivent ensuite la grâce du Saint-Esprit, et avec elle la connaissance de l'avenir.

« Fils d'Amos. » Pourquoi mentionne-t-il son père? C'est pour prévenir les équivoques qui résulteraient des homonymies, ou bien pour nous apprendre que la bassesse du père n'offusque pas le mérite du fils : car la noblesse ne consiste pas à être né de parents illustres, mais à se rendre illustre soi-même. Quoique d'une naissance obscure, Isaïe ne laissa pas que de devenir plus illustre entre tous, grâce à l'éclat singulier de son propre mérite : « Qu'il a vue au sujet de la Judée et de Jérusalem. »

Pourquoi nomme-t-il l'un et l'autre lieu séparément? Parce que les châtiments devaient être distincts et infligés en des temps différents; Dieu, en réglant les choses ainsi, avait montré sa sagesse ; il ne voulait pas les faire périr tous d'un seul coup, mais lentement et peu à peu afin que le malheur de ceux qui seraient emmenés captifs inspirât le repentir à ceux qui restaient. Que s'ils ne profitèrent pas du remède comme ils auraient dû, la l'auto en est à ces malades et non pas au divin Médecin. Dieu tient la même conduite en toute circonstance et dans tous les temps, et jamais il ne punit du même coup tous ceux qui ont commis les mêmes crimes; car autrement il y a longtemps que toute notre race aurait disparu ; mais il punit les uns ici-bas, et par là il leur adoucit à eux-mêmes le châtiment de l'autre vie, tandis qu'il donne à ceux qui sont témoins de leur punition, une admirable occasion de se convertir; quant à ceux que ni leur propre nature, ni la sagesse de cette conduite ne peut ramener au bien, il les réserve pour le jour inévitable et terrible du jugement. « Sous le règne d'Ozias et de Joathan et d'Achar et d'Ezéchias qui régnèrent en Judée. » Il a bien fait de mentionner le temps, puisqu'il appelle ainsi l'attention du lecteur studieux sur l'histoire des événements antérieurs. La prophétie n'en sera que plus intelligible et plus claire : car sachant quel était l'état des choses et ce qu'il y avait de mal chez les Juifs, nous jugerons mieux des remèdes que les prophètes y ont apportés. « Ecoute, ciel, et toi, terre, prête l'oreille : car c'est le Seigneur qui a parlé (2). » Ce début est plein de colère ; car s'il n'avait pas été emporté par une indicible fureur, comment aurait-il laissé les hommes pour s'adresser aux éléments? II ne le fait pas seulement pour montrer qu'il est irrité, mais aussi pour couvrir de honte ceux qui devaient l'entendre, en leur montrant que, honorés de la raison, ils se sont cependant dégradés au-dessous des éléments insensibles. C'est là du reste une chose habituelle aux autres prophètes. Ainsi le Prophète envoyé vers Jéroboam, au lieu de s'adresser à celui qu'il vient reprendre, s'adresse à l'autel. Et Jérémie apostrophe la terre en disant : « Terre, terre, terre, écris que cet homme est proscrit. » Et un autre dit encore . « Ecoutez, abîmes, fondements de la terre; j'ai engendré des fils. » Il ne parle pas ici d'un bienfait qu'il a accordé à tous les hommes, celui d'exister, mais d'un bienfait particulier aux Israélites, celui d'en avoir fait ses enfants. Partout le Seigneur commence par des bienfaits ; quand il a créé l'homme, il a comblé d'honneur celui qui n'existait pas encore, en disant: « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Sous le Nouveau Testament il fait plus encore : car ce ne sont pas des hommes qui n'ont rien fait, mais des hommes qui ont commis une infinité de péchés, qu'il régénère dans les eaux du baptême ; ici vous voyez la même chose, puisqu'il honore de son adoption des hommes qui non-seulement n'ont rien fait de bien, mais encore qui étaient tombés dans le mal, et cependant s'il les honore avant qu'ils aient pu mériter, ce n'est pas qu'il les prive de récompense quand ils ont mérité ; c'est alors au contraire qu'il leur accorde de plus grandes récompenses. «Et je les ai élevés. » Les bienfaits accordés en Egypte, les bienfaits accordés dans le désert, les bienfaits accordés dans la Palestine, il rappelle tout d'un seul mot ; car c'est la coutume de Dieu, dont les bienfaits sont si nombreux de s'abstenir de les rappeler longuement et (341) minutieusement. « Et ils m'ont méprisé. » Ils ont, veut-il dire, transgressé ma loi, abandonné mes préceptes. « Le boeuf connaît celui à qui il appartient et l'âne l'étable de son maître (3). »

Les comparaisons, celles surtout qui sont prises de choses inférieures, ne fout que rendre l'accusation plus vive; c'est ainsi que le Christ dit : « Les Ninivites se lèveront au jugement avec cette génération et ils la condamneront;» et en un autre endroit : « La reine du midi se lèvera au jugement avec cette génération et la condamnera, parce qu'elle vint des extrémités de la terre entendre la sagesse de Salomon. » (Luc, XI, 31-32. ) Et Jérémie dit encore : « Allez aux îles de Céthim et jetez les yeux sur Cédar. Envoyez-y pour savoir si ces nations changeront jamais leurs dieux ; mais mon peuple a changé sa gloire et cela ne lui servira de rien. » (Jérém. II,10-11.) II montre que la loi n'est pas dure et combien peu elle exige des hommes, elle que les animaux privés de raison et les plus stupides des animaux observent facilement. — Mais, direz-vous, c'est la nature qui opère en eux. — Ce que la nature accomplit en eux, la volonté libre peut le faire en nous. « Le boeuf connaît celui à qui il appartient. » Ce n'est pas sur l'excellence de ses dons mais sur l'excès de leur malice qu'il fonde son accusation. De même qu'il s'est adressé pour leur confusion à des éléments, de même ce n'est pas à des hommes, mais à des animaux et aux plus stupides des animaux qu'il les compare et il les trouve inférieurs à eux.

3. Ainsi fait Jérémie, lorsqu'il appelle la tourterelle et l'hirondelle (Jérém. VIII, 7), et Salomon lorsqu'il renvoie le paresseux tantôt à la fourmi, tantôt à l'abeille. (Prov. VI, 6.) « Israël ne m'a pas connu. » Le crime s'aggrave lorsque ce sont des amis intimes, comblés de faveurs, qui, tous ensemble, se précipitent dans le mal. Il ne dit pas Jacob, mais « Israël, » afin que ce nom qui rappelle la vertu du patriarche inspire à ses descendants plus de confusion. A celui-là, sa vertu valut la bénédiction qu'exprime son nom, et ceux-ci par leur malice la rejettent. « Et mon peuple ne m'a pas compris, » moi, dit-il, plus éclatant que le soleil. « Malheur ! nation pécheresse (4). » C'est encore là l'habitude des prophètes, de pleurer sur les hommes atteints de maux incurables. Ainsi fait Jérémie en un grand nombre d'endroits; ainsi le Christ quand il dit: « Malheur à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïde ! » (Matth. XI, 21.) C'est encore là une manière d'instruire : car celui que la raison n'a pu ramener, souvent les larmes le ramènent. « Peuple rempli d'iniquités. » Voici qui rend l'accusation plus grave; ils ont péché tous et jusqu'aux derniers excès. « Race méchante. » Ce n'est pas qu'il leur reproche leur origine, ruais il montre que depuis leur premier âge ils sont pécheurs. Lorsque Jean dit

« Serpents, race de vipères (Matth. III, 7), » il n'accuse pas leur nature : car il ne leur eût pas dit : «Faites donc de dignes fruits de pénitence, » s'ils avaient été méchants par nature de naissance. De même, en disant ici « race méchante, » le Prophète ne leur reproche pas leur naissance. « Fils sans loi ; » il ne dit pas « transgresseurs, » mais « sans loi, » qui ne valent pas mieux que s'ils n'avaient jamais reçu la loi. Il note ainsi la corruption (1) de la volonté. « Vous avez abandonné le Seigneur et vous l'avez irrité. » Il parle ainsi par emphase , car le nom seul de Dieu suffisait pour justifier l'accusation. Jérémie fait le même reproche en ces termes : « Parce qu'ils se sont éloignés de lui et qu'ils se sont attachés aux « démons. » (Bar. IV, 7, 8.)

« Le saint d'Israël.» Voici encore qui aggrave l'accusation , c'est qu'ils le connaissaient bien comme le Maître de toutes choses. « Ils se sont retournés en arrière (5). Pourquoi vous frapper encore, vous qui ajoutez sans cesse à vos prévarications? » Quel triste état lorsque les châtiments mêmes ne rendent pas meilleur ! Certes, c'est une des formes du bienfait que la punition. Ils ne pourront pas dire qu'il ne leur a accordé que des honneurs et des biens, et que, quand ils ont péché, il les a abandonnés; mais par les honneurs il les a attirés, par la crainte des punitions il a voulu les amener à la pénitence, et dans l'un et l'autre cas ils se sont montrés incorrigibles. Il a employé tous les traitements, il a taillé, il a brûlé, et la maladie n'a pas disparu ; ce qui montre que la maladie est incurable , c'est qu'elle soit rebelle aux remèdes. « Toute tête est malade et tout coeur rempli de tristesse (6). Depuis les pieds jusqu'à la tête il n'y a rien de sain en lui, ni blessure, ni tumeur, ni plaie enflammée. » Il rappelle ensuite les punitions

 

1 Le texte grec parait ici altéré : au lieu de diaphoran le sens demanderait diaphthoran corruption.

 

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et les châtiments ; car ce n'est pas là une petite marque de l'amour qu'il leur porte et de l'honneur qu'il leur fait. Je les ai tous frappés, dit-il, je les ai tous accablés de douleur. Si a toute tète est malade, » comment n'y a-t-il ni blessure, ni tumeur? La blessure ne parait-elle que quand le reste d u corps est sain ; mais s'il est couvert de blessures , on ne pourra plus en distinguer une en particulier. Cela veut donc dire que tout le corps est couvert d'ulcères, qu'il n'y a pas un endroit sain à côté d'un autre malade , mais que tout est enflammé, que tout n'est qu'une tumeur. « On ne peut y appliquer rien d'adoucissant. » Voici qui est plus grave encore. Il est bien moins fâcheux d'être malade seulement que de ne pouvoir, étant malade , subir de traitement, surtout lorsque le médecin est si grand. « Ni huile, ni bandes. » C'est pour parler par emphase qu'il continue la métaphore; c'est là le mérite de cette figure. « Votre terre est  déserte (7). » Ces événements, il ne les raconte pas comme passés, il les annonce comme futurs, bien qu'il emploie le temps du passé. Les prophètes en usent ainsi et pour effrayer l'auditeur et pour montrer combien ce qu'ils prédisent est certain. De même que les choses passées ne peuvent pas ne pas avoir existé, de même les choses que les prophètes ont annoncées devoir exister, ne peuvent pas ne pas arriver, à moins que par hasard ceux qui devaient être punis ne se repentent. « Vos villes sont incendiées. » Il ne les a pas détruites entièrement, il a permis que des ruines échappées aux flammes des barbares restassent debout, parce qu'elles toucheraient davantage ceux qui les verraient. « Des étrangers dévorent votre pays sous vos yeux, et il est désert parce a qu'il a été ravagé par des peuples étrangers. » C'est le comble du malheur pour des hommes d'être spectateurs de maux qui les atteignent, au lieu de les apprendre par la renommée seulement. « La fille de Sion demeura abandonnée comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres (8). »

4. Les images font beaucoup , surtout celles de la sainte Ecriture, pour rendre plus frappant ce qu'on dit. Le Prophète appelle Jérusalem fille de Sion parce qu'elle est placée au pied de cette montagne. « Comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres. » Le fruit une fois enlevé, et les vignerons emmenés, à quoi servent les bâtiments de la ville? « Comme une « ville assiégée. » Cette expression figurée marque leur faiblesse et leur abandon. Car n'ayant plus personne qui vint à leur secours, ils étaient dans la nécessité de rester enfermés dans l'enceinte de leurs remparts qui faisaient maintenant toute leur sûreté. « Et si le Seigneur des armées n'en avait laissé quelques-uns de notre race, nous aurions été comme Sodome, et nous serions devenus semblables à Gomorrhe (9). » C'est une habitude constante des prophètes de dire non-seulement ce que les pécheurs vont souffrir de maux, mais encore ce qu'ils mériteraient de souffrir afin que dans le temps même de leur châtiment ils rendent à Dieu de fréquentes actions de grâces de ce qu'il rie leur inflige qu'une punition fort inférieure à leurs crimes. C'est ce qu'Isaïe dit ici , que leurs péchés auraient mérité non les maux qu'il vient de rappeler, mais l'extinction complète de toute la race, comme il était arrivé à Sodome. Mais la miséricorde de Dieu ne l'a pas permis, elle n'a envoyé qu'une punition bien inférieure aux fautes. Et comme il y a beaucoup de rapport entre l'Ancien et le Nouveau Testament, saint Paul a usé du même moyen, et avec plus de raison que le prophète. Car de même qu'en ce temps-là, sans la miséricorde de Dieu, tous auraient péri, de même au temps du Christ, sans la charité, tous les hommes périssaient d'une manière encore plus affreuse. « Il nous en a laissé quelques-uns de notre race.» Il parle de ceux qui furent sauvés de la captivité. « Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome ; faites attention à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe (10). » Après avoir dit qu'ils étaient dignes du châtiment de Sodome, il montre que leurs crimes n'ont pas été moins audacieux que ceux de Sodome c'est pourquoi il les comprend avec eux dans une seule et même apostrophe. C'est bien là ce que veut dire le Prophète, autrement sa parole serait sans à propos. Par ce nom de princes de Sodome ce ne sont pas les habitants de cette dernière ville , mais les Juifs qu'il veut désigner; ce qui va suivre l'indique clairement. Il parle de sacrifices, d'oblations, de tout ce culte légal, dont il n'y avait pas trace chez les Sodomites. Ces mots : la loi de notre Dieu, prouvent que tel est le sens.

« Qu'ai-je à faire de la multitude de vos (343) sacrifices? dit le Seigneur. J'ai assez des holocaustes de vos béliers; la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs, je n'en veux plus (11). » Le psaume XLIX tout entier ressemble à ces passages; les termes diffèrent, mais les pensées sont les mêmes. Car ce verset du psaume, « Il appellera le ciel d'en-haut et la terre pour juger son peuple, » ressemble à celui-ci : « Ecoute, ciel, et toi, terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé; » et le reste ne se ressemble pas moins. Si David dit: « Je ne vous reprendrai point pour vos sacrifices, car vos holocaustes sont toujours devant moi, » Isaïe dit de même: « Qu'ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices? dit le Seigneur. » David dit encore : « Je ne recevrai point avec plaisir de votre maison les veaux, ni de vos troupeaux les boucs. » Et Isaïe : « Les holocaustes des béliers, la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs , je n'en veux plus. » Comme on leur reprochait continuellement de manquer de vertu , et qu'ils répondaient pour toute justification qu'ils offraient continuellement des sacrifices, ces deux prophètes, ou plutôt tous les prophètes leur ôtent ce moyen de défense. D'où il est évident que ces sacrifices étaient institués non pour eux-mêmes, mais pour conduire les hommes à d'autres oeuvres de vertu. Mais parce qu'ils négligeaient les choses nécessaires pour s'arrêter à ces observances, Dieu déclare qu'il ne les acceptera plus. « Pas même lorsque vous viendrez en ma présence (12). » Lorsque vous viendrez au temple, veut-il dire. « Car qui a réclamé ces choses de vos mains? » Et cependant tout le Lévitique roule là-dessus et règle ce qui regarde les sacrifices. Et dans le Deutéronome comme en bien d'autres livres, on trouve çà et là .quantité de lois sur ce sujet. Comment peut-il donc dire: « Quia réclamé ces choses de vos mains ? » C'est pour vous apprendre que Dieu n'avait pas fait cette législation pour ce qu'elle valait par elle-même, mais pour condescendre à la faiblesse des Juifs. De même qu'il ne voulait pas que la femme, une fois unie à l'homme, pût être répudiée, et qu'il le permit cependant pour éviter de plus grands maux, pour empêcher que les hommes ne tuassent leurs femmes, si, tout en les haïssant, ils étaient obligés de les garder chez eux; de même ici, pour empêcher que les Israélites ne sacrifiassent aux démons, il voulut bien recevoir ce qui ne lui plaisait pas, afin que ce qui lui plaisait se fit. C'est ce que le prophète Amos nous montre par ces paroles : « M'avez-vous offert des sacrifices et des victimes pendant les quarante ans du désert ? » Jérémie dit aussi : « Ce n'est pas là ce que j'ai commandé à vos pères. »

5. Comme c'est de cette manière qu'on honorait les démons, c'est pour ôter aux faibles tout sujet de scandale qu'il parle ainsi par tous les prophètes. Les démons se fâchaient contre ceux qui ne leur offraient pas ces sacrifices, et toujours on nous les représente demandant la graisse et la fumée et disant : « C'est l'honneur qui nous est attribué (1). » Dieu au contraire ne demanda point dans le principe ces sacrifices, et quand il les ordonna, il fit voir que ce n'était pas pour lui-même qu'il les permettait, et une autre preuve encore , c'est qu'il y mit bientôt fin et que quand on les lui offrait, il ne les acceptait pas; en un mot, il nous montra par tous les moyens possibles que ce mode d'adoration était indigne de la grandeur de son culte. Il nous veut donc dire maintenant: J'ai toléré ces choses à cause de vous, mais je n'en avais pas besoin. « Vous ne viendrez plus fouler mes parvis. » Ou bien il prédit la captivité, on bien il leur défend d'entrer clans ses parvis, parce qu'ils ne le faisaient pas avec un coeur droit. « Si vous m'offrez de la farine, c'est inutile (13). » Car parmi les commandements, les uns ont leur raison d'être en eux-mêmes, les autres en d'autres choses; par exemple, connaître Dieu, ne pas tuer, ne pas commettre d'adultère , etc., tous ces commandements nous sont ordonnés pour eux-mêmes et pour l'utilité qu'ils renferment; au contraire, offrir des sacrifices, apporter de l'encens, garder le sabbat et autres choses semblables, tous ces commandements ne furent pas donnés simplement et absolument pour les choses qu'ils prescrivaient, mais pour que leur observation éloignât les Israélites du culte des démons. Mais puisqu'ils gardaient ces derniers préceptes sans en recueillir le fruit et qu'ils n'en étaient pas moins attachés aux démons, c'est avec raison que Dieu rejette ces observances; car c'est avec raison que l'on abat un arbre, qui se charge de feuilles et de branches, mais qui ne porte point de fruits. Car si le cultivateur donne ses soins à un arbre, ce n'est pas

 

1. To gar lukhomen geras emeis (Homère, IV, 49.)

 

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pour l'écorce et le bois, mais pour le fruit qu'il en attend. « Votre encens m'est en abomination. » Le voyez-vous ? Il se réjouit moins de la nature de ce qu'on lui apporte que des dispositions de ceux qui offrent. Aussi il appelle la fumée et l'odeur qui s'élevaient du sacrifice de Noé un agréable parfum, et ici il donne à l'encens le nom d'abomination. Car comme je le disais, il regarde moins à la nature des dons qu'aux dispositions de ceux qui donnent. « Vos néoménies et vos sabbats « (14). » Remarquez qu'il ne rejette rien de ce qui est nécessaire, mais seulement ces rites que le Christ descendu parmi nous a fait disparaître. Aussi saint Paul, qui parlait avec véhémence lorsqu'il combattait les Juifs, rappelle non-seulement ces choses, mais d'autres encore, et il dit que ceux qui n'ont en eux-mêmes aucune vertu, gardent inutilement ces observances. « Si tu portes le nom de juif et que tu te reposes sur la loi, et que tu te glorifies en Dieu, et que tu connaisses sa volonté; et que, instruit par la loi, tu saches a discerner ce qui est utile. » (Rom. II, 17, 18). Et encore : « A la vérité, la circoncision est utile si tu observes la loi; mais, si tu la violes , ta circoncision devient incirconcision. » (Ibid. 25.) Et il dit que, si la loi leur a été confiée, leur incrédulité n'en sera pas pour cela moins punie ; c'est aussi ce que David fait entendre en ces termes : « Dieu dit au pécheur : Pourquoi racontes-tu mes justices ? » (Ps. XLIX, 16.) Les voyant s'enorgueillir d'entendre lire la loi, eux qui étaient vides de toute bonne oeuvre, saint Paul abat leur orgueil en disant : « Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis donc pas toi-même ! Toi qui cries aux autres de ne pas voler, tu voles ! » ( Rom. II, 21. ) De même David quand il dit : « Si vous voyiez un voleur, vous couriez avec lui et vous faisiez alliance avec les adultères. » (Ps. XLIX, 18.) « J'ai en abomination vos grands jours, » La Pentecôte, veut-il dire, la fête des Tabernacles,. la Pâque et les autres fêtes. « Vos jeûnes, votre repos, vos fêtes, mon âme les hait. » Il leur parle comme le ferait un homme. « Vous m'êtes devenus à charge, » un objet de dégoût, de haine. Voyez son indicible longanimité, de les avoir supportés malgré leurs nombreux péchés et de ne s'être vengé que quand ces pécheurs l'eurent provoqué par l'excès de leurs iniquités. « Je ne pardonnerai plus vos péchés. » Je ne les souffrirai plus. David dit la même chose : « Vous avez fait ces choses et je me suis tu. »(Ps. XLIX, 21.) « Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point (15). » D'où il est évident que la prière ne sert de rien, quelque longue qu'elle soit, si celui qui prie reste dans ses péchés. Rien n'est égal à la vertu et au témoignage que rendent les couvres. « Vos mains sont pleines de sang, » c'est-à-dire meurtrières; mais au lieu de meurtrières , il a dit pleines de sang, pour montrer qu'ils font de l'iniquité leur occupation et toujours avec ardeur.

6. C'est encore une preuve de sa douceur, de le voir donner la raison de ces menaces; car il dit pour quelles causes il regrette la prière. « Lavez-vous, soyez purs (16). » Comment, après avoir dit : « Je ne pardonnerai plus vos péchés, » donne-t-il ce conseil et comment, après leur avoir montré qu'ils sont incorrigibles , demande-t-il qu'ils se corrigent? Dieu, quand il menace, fait désespérer du salut, afin d'augmenter la crainte, et loin de garder le silence, ensuite, il tâche de rendre l'espérance pour amener ainsi au repentir. Partout on peut voir la même conduite. A l'égard des Ninivites, il fit la même chose non point par les paroles, mais par les effets. Dans ses paroles il n'avait rien promis de bon, au contraire, il n'avait laissé voir après la menace que le seul châtiment ; et quand ces barbares eurent donné ce qu'ils pouvaient, sa colère s'apaisa bientôt. C'est ce que dit encore David dans le psaume XLIXe ; car j'ai dit plus haut que ce psaume ressemble entièrement à ce début d'Isaïe; et de même qu'Isaïe dit après avoir rappelé les menaces du Seigneur. « Lavez-vous, soyez purs, » de même David, après avoir dit : « Je vous reprendrai, je placerai devant vous vos iniquités, » ajoute : « Le sacrifice de louange m'honorera et c'est la voie par laquelle je leur montrerai le salut de Dieu (Ps. XLIX, 21, 23), » appelant louange la gloire qu'on lui rend par les couvres et la connaissance des choses divines.

Et afin que par cet mots « lavez-vous, soyez purs, » ils n'entendent point leurs purifications habituelles, il ajoute: «Otez de devant mes yeux la corruption de vos âmes, et corrigez , « vous de vos péchés. » Il montre par là que la vertu est facile et que la volonté est libre, (345) puisqu'il était en leur pouvoir de se convertir. « Apprenez à faire le bien (17). » Ainsi leur malice était si grande qu'ils ne connaissaient même plus la vertu. C'est ainsi que David dit: « Venez , enfants ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. » (Ps. XXXIII, 12.) De toutes les sciences c'est la plus sublime et celle qui demande le plus d'application , parce qu'elle a à surmonter bien des obstacles, les résistances de la nature, la torpeur de la volonté, les embûches du démon et le tumulte des affaires. Baruch dit de même : « Celui-ci est notre Dieu ; nul ne lui est comparable; il a trouvé toutes les voies de la science. » « Recherchez la justice (Baruch, III, 36, 37); » c'est-à-dire à venger ceux qui éprouvent des injustices, ce qui demande beaucoup de soins et une âme vigilante. C'est pourquoi il dit : « Recherchez. » Il y a bien des choses qui obscurcissent le droit , par exemple, les dons, l'ignorance, la puissance, la honte, la peur, l'acception des personnes : aussi faut-il beaucoup de vigilance, « Délivrez l'opprimé. » Ceci enchérit sur ce qui précède; il demande non-seulement qu'on se propose, mais qu'on exécute ce qui est juste. « Jugez l'orphelin, et faites justice à la veuve. » Dieu prend soin que personne ne soit maltraité, particulièrement parmi ceux qui, outre ces mauvais traitements, ont à supporter un autre malheur. La veuve et l'orphelin sont bien infortunés ; mais quand ils sont maltraités par les autres, c'est comme un double naufrage : « Venez et entrons ensemble en discussion; dit le Seigneur (18).» II est remarquable que partout dans les prophètes, Dieu ne cherche rien tant qu'à venger les opprimés. Il en est ainsi autre part encore que dans Isaïe, par exemple dans Michée, lorsque les Juifs disent : « Lui sacrifierai-je pour mon impiété mon premier-né, et pour l'iniquité de mon âme, le fruit de mon sein?» Le prophète ajoute : « Je vous dirai, ô homme, ce qui est bon, et ce a que le Seigneur attend de vous, rien autre chose que d'agir selon la justice et d'aimer la miséricorde et d'être prêt à suivre le Seigneur votre Dieu. » Et le prophète David dit aussi : « Je chanterai devant vous la miséricorde et la justice , Seigneur. »

« Venez. » Ce n'est qu'après les avoir munis des moyens de se justifier, qu'il les entraîne au tribunal, et qu'après leur avoir appris comment ils peuvent se dépouiller de leurs crimes, qu'il leur fait rendre compte, de peur que les trouvant sans excuse il ne soit obligé de les condamner. « Et entrons en discussion ; » comme s'il disait, commençons le jugement. Ce bon juge se fait avocat et médecin. Ensuite pour montrer que, quelles que soient nos bonnes actions, nous avons cependant toujours besoin de sa charité pour être délivrés de nos péchés, il dit : « Quand vos péchés seraient comme l'écarlate; je vous rendrai blancs comme la neige; » vous le voyez, il prend des qualités diamétralement opposées, et promet de changer l'une en l'autre. « Et quand « ils seraient comme du vermillon, je les rendrai blancs comme la laine. » Elle est donc bien méritoire la protection que l'on accorde aux veuves puisque d'une âme si corrompue qu'elle est comme teinte de l'iniquité elle fait une âme non-seulement pure, mais brillante à ce point. « Si vous voulez m'écouter, vous mangerez les biens de la terre (19), et si vous ne voulez pas m'écouter, l'épée vous dévorera : car c'est le Seigneur qui l'a prononcée de sa bouche (20). » Parce que ces hommes grossiers regardaient comme moins désirable et moins doux de se délivrer de leurs péchés que de jouir des prétendus biens de la vie présente, avec la première chose il promet la seconde, et fait dépendre celle-ci de celle-là.

7. Ensuite pour montrer combien la vertu est facile, il la place dans la volonté seule. Mais comme l'espérance de ces biens aurait pu amollir les esprits, il termine par des choses effrayantes pour rendre plus frappante la puissance de celui qui a fait ces révélations. « Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle de Sion (21) ? » Cette question montre et la douleur de celui qui la fait et l'insensibilité des Juifs et ce qu'il y a d'inattendu dans cet événement. Saint Paul fait aux Galates une question analogue : « Je m'étonne que vous changiez si vite, » ce qui est comme une accusation et une exhortation pour porter à la vertu. Cette parole étonne sans doute: mais, comme elle est entremêlée de louanges, une nouvelle accusation vient fortifier l'autre. Nous ne cherchons pas tant à corriger ceux qui ne valent rien; qui n'ont jamais mené qu'une vie abjecte, que ceux qui, après s'être montré d'abord vertueux , se sont ensuite tournés vers le mal. Il l'appelle prostituée, non qu'il veuille parler de la prostitution du corps , (346) mais de l'ingratitude de l'âme, ce qui est bien pire que l'autre prostitution. Là c'est sur l'homme, ici sur Dieu que retombe l'injure. Et si Isaïe et les autres prophètes parlent ainsi, c'est que Dieu avait daigné se laisser regarder comme l'époux de cette ville pour montrer son ineffable charité pour les Juifs, et les prophètes parlent souvent du Seigneur et de Jérusalem comme d'un époux et d'une épouse, non pas pour abaisser leur discours jusqu'à la grossièreté humaine, mais pour amener les Juifs par des exemples familiers à la connaissance de l'amour de Dieu; en même temps ils voulaient, par cette appellation honteuse de prostituée, les porter à rougir d'eux-mêmes. « Fidèle, » c'est-à-dire religieuse et pleine de vertu : ce qui montre encore qu'il ne parle pas de la prostitution des corps, puisque autrement il aurait dû dire la ville chaste; car ce mot eût été opposé à prostituée; mais pour montrer que par prostitution il voulait désigner l'impiété, il se sert du mot opposé, la foi. « Pleine d'iniquité, » c'est-à-dire de justice. Voici encore une bien grande accusation portée contre ce peuple , non-seulement il s'était précipité dans toute sorte d'iniquités, mais il avait abandonné toutes les vertus, ce trésor précieux de tous les biens qu'il tenait dans ses mains, il l'avait rejeté pour se réduire aux plus affreuses misères. « Dans laquelle « habitait la justice. » Elle y restait, dit-il, elle y demeurait, c'est-à-dire, elle y était plantée, enracinée, et les citoyens mettaient toute leur ardeur à la garder. En insistant sur les louanges du passé, il fait mieux ressortir ce que, le changement avait de coupable, il rend en même temps de l'espoir puisqu'il montre aux pécheurs qu'il serait facile de regagner ce qu'ils ont perdu. « Et maintenant c'est la demeure des meurtriers; » des homicides, veut-il dire. « Votre argent est impur (22), » c'est-à-dire de faux aloi, altéré, mélangé. « Vos marchands mélangent leur vin d'eau. » Couine dès l'abord il n'a pas signalé leur méchanceté dans chacune de ses espèces, mais qu'il leur a dit, d'une manière générale, qu'ils sont des contempteurs, une race perverse, dés fils impies, termes qui ressemblent plus à des injures qu'à une accusation, il indique ici les diverses espèces de leurs crimes, et place en premier lieu ce qui est au commencement, au milieu et à la fin des péchés, l'amour de l'argent et la fraude dans les contrats. Quelques-uns ne comprenant pas l'ineffable charité de Dieu, ont pris ce terme dans le sens apagogique. Jamais, disent-ils, le grand, le sublime Isaïe n'aurait parlé des tromperies des banquiers, des ruses des cabaretiers ; mais il appelle argent les oracles de Dieu, et vin sa doctrine qu'ils mélangeaient de leurs commentaires. Pour moi, sans rejeter cette interprétation, je dis que l'autre est plus vraie. Non-seulement il n'est pas indigne d'un prophète de parler de ces choses, mais cela est très-digne et de lui et de la charité de Dieu. Et pourquoi m'étendre sur ce point? Lorsque le Fils unique de Dieu vint nous apporter ses enseignements sublimes et implanter sur notre terre la vie pure des anges , il parla bien souvent des mesures, et de choses qui paraissent plus petites encore, des salutations, de la place du milieu, du premier rang. Ces choses qui paraissent petites, si elles sont négligées, deviennent la source de grands péchés. Mais si toutes ces choses devaient être réglées dans le Nouveau Testament , à plus forte raison dans l'Ancien , alors que les auditeurs étaient plus grossiers, et que toute leur vie se bornait à suivre ces lois, puisqu'ils avaient été instruits surtout à s'éloigner de toute injustice, à ne faire aucun tort au prochain , à ne pas écraser la pauvreté des indigents par les mélanges frauduleux.

8. Le mépris de ces lois fut cause que souvent des villes furent renversées , des rois précipités du trône , des guerres implacables allumées, et leur observation amena plus d'une fois la paix, l'ordre et la sécurité nécessaire à la vertu. « Vos princes sont indociles (23). » C'est une preuve que la maladie , que la perversité est bien grande , quand les médecins même travaillent à l'augmenter. C'est aux rois de réprimer les mauvais instincts de leurs peuples, de les diriger vers le bien, et de les rendre soumis aux lois; mais quand eux-mêmes les premiers ils les enfreignent, comment peuvent-ils enseigner aux autres la soumission? En disant « sont indociles , » il veut dire, n'obéissent pas à la loi , rejettent le joug des préceptes ; c'est aussi ce que leur reproche saint Paul en disant: «Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ? » (Rom. II, 2-1.) Quand donc la racine est corrompue, qu'attendre de bon des rameaux? « Ils sont les « complices des voleurs. » Voici qui aggrave la faute, c'est que, loin d'empêcher les crimes, ils les favorisent; loin de faire la guerre aux voleurs , ils sont de connivence avec eux , et courent à une perversité entièrement opposée à la vertu des princes. « Aiment les présents. » Voici encore un nouveau vice engendré par l'amour de l'argent, vice qui, sous une apparence honnête, sous les dehors de la bienveillance, cache l'avarice la plus sordide. « Ne cherchent que le gain. » Gardent rancune à leurs ennemis, s'empressent de rendre le mal pour le mal , espèce de péché très-grave. Aussi et le Nouveau et l'Ancien Testament mettent-ils tous leurs soins à le réprimer. « Que nul , est-il dit, ne forme dans son coeur de mauvais desseins contre son frère. » (Zac. VII, 10.) Car il faut que le peuple et à plus forte raison le prince soit pur de toute inimitié, lui qui doit avertir ses sujets de déposer en justice toute haine privée, de peur que le port ne devienne un écueil. « Ne rendent point justice aux orphelins. » C'est-à-dire ne les aident pas à obtenir justice. « Et la cause de la veuve n'a point d'accès auprès d'eux. »

Remarquez que le Prophète signale comme un mal non-seulement de faire de mauvaises actions, mais encore de ne pas en faire de bonnes, doctrine que nous retrouvons dans le Nouveau Testament. Car ceux qui n'ont pas nourri le pauvre dévoré par la faim , quoiqu'ils n'aient pas enlevé le bien d'autrui, mais uniquement parce qu'ils n'ont pas donné leurs biens à ceux qui étaient dans le besoin, sont envoyés au feu de l'enfer; de même le Prophète blâmé les princes de Sion non de ce qu'ils sont ou avares ou tyrans, mais de ce qu'ils n'accordent pas leur protection à ceux qui en ont besoin. « Aussi voici ce que dit le Maître , le Seigneur des armées, le Fort d'Israël (24) , » c'est-à-dire du peuple. Ce n'est pas sans motif qu'il emploie ce terme, le Fort, mais bien pour leur rappeler les bienfaits qu'ils ont obtenus contre toute espérance et les châtiments terribles qu'ils ont endurés; comme après avoir souvent et beaucoup péché, après avoir éprouvé la longanimité de Dieu, ils sont tombés dans la mollesse , il veut leur montrer que Dieu peut se venger quand il lui plaît, qu'il n'a pas besoin de temps favorables, de circonstances opportunes , que tout est sous sa main et à sa disposition. « Malheur à ceux qui commandent en Israël ! ma fureur contre mes ennemis n'aura pas de fin. » Quoi de plus malheureux que ceux qui ont Dieu pour ennemi ! « N'aura plus de fin , » dit-il , non qu'il veuille les jeter dans le désespoir , mais pour qu'une crainte plus fortement imprimée les amène au repentir. Car ces mots « ma fureur n'aura point de fin , » sont moins terribles que ceux-ci, « contre mes ennemis. » Il n'y a rien qui irrite Dieu, comme l'injustice faite aux pauvres. « Malheur à ceux qui commandent ! » dit-il, non pour condamner tout pouvoir, mais le pouvoir qui fait le mal. La force dont il parle ici ce n'est pas la force du corps, mais la force que donnent les circonstances. « Et je ferai justice de mes adversaires. » Je punirai mes ennemis: il appelle ses ennemis les ennemis des pauvres, ceux qui les maltraitent; et il se sert de cette expression pour montrer la grandeur du méfait. « D'appesanti« rai ma main sur vous et je vous purifierai par le feu (25). » Apprenez de là que la colère et la vengeance de Dieu, quelles qu'elles soient, n'ont pas pour but le mal et la punition, mais l'amendement de ceux même qui sont châtiés. « Et je vous purifierai, dit-il, par « le feu. » Ce n'est donc pas quand nous sommes punis, c'est quand trous péchons qu'il faut pleurer, puisque dans le second cas nous nous souillons , tandis que dans le premier nous nous purifions. Quelle est la vertu de cette purification? De faire qu'il n'y ait plus en vous trace de souillure; car ce que le feu est à l'or, la punition l'est aux pécheurs. « Ceux qui désobéiront , je les perdrai , j'enlèverai du milieu de vous tous les impies et j'humilierai tous les superbes. » Les incorrigibles, veut-il dire, et ceux qui ne céderont pas auto châtiments, je les perdrai. Que sert qu'ils vivent puisqu'ils n'emploient leur vie qu'à procurer le mal et d'eux-mêmes et des autres? Et ceux que le châtiment de ces endurcis pourra rendre meilleurs resteront. Il me semble qu'il fait ici allusion à la captivité. « Et je rétablirai vos juges comme ils étaient autrefois, et vos conseillers comme ils étaient dans le principe.»

9. Ici il annonce le retour. Quand les incorrigibles auront disparu, et que ceux qui sont capables de s'améliorer seront devenus meilleurs, il montre (et c'est le moment) comment il achèvera la guérison; ce sera en donnant de bons chefs et de bons conseillers, afin que, tout le corps ayant ressenti l'effet des remèdes et de bons médecins continuant leurs soins , tous les membres reviennent de toutes parts à la santé. Ce n'est pas un léger bienfait que de (348) procurer de bons princes. « Et après cela vous serez appelée la cité de la justice et Sion la  ville fidèle. » Et cependant nous ne trouvons nulle part que ce nom ait été donné à la ville de Jérusalem. Que dirons-nous donc? Que le Prophète le lui donne à cause des faits dont elle sera témoin.

Ceci ne nous sera pas peu utile , quand les Juifs nous demanderont l'interprétation du nom d'Emmanuel. Comme Isaïe a prédit que le Christ s'appellerait ainsi et que nulle part il n'a reçu ce nom, nous leur dirons qu'il appelle « nom » l'événement lui-même, comme dans le passage que nous examinons. « C'est par la justice et la miséricorde qu'elle sera délivrée de sa captivité (27).» — « Par la justice, » c’est-à-dire par la punition, le châtiment et la persécution que lui feront souffrir ses ennemis. « Par la miséricorde, » c'est-à-dire par la charité. Il leur promet deux grandes faveurs, que captifs il seront punis et qu'ils jouiront ensuite d'une grande paix, deux choses dont une seule suffirait par elle-même à rendre très-heureux , et qui réunies donnent une joie inénarrable. Et pour montrer encore d'une autre manière qu'après cette longue captivité , ils devraient leur retour non à ce qu'ils auraient par un châtiment proportionné, expié leurs fautes , mais à sa seule bonté, que leur salut serait l'oeuvre de sa bonté et non le résultat d'une compensation et d'une sorte d'échange, il ajoute :«par la miséricorde. » — « Les méchants et les pécheurs seront brisés à la fois. » Troisième bienfait: il ne restera personne pour les séduire et les entraîner, les docteurs d'iniquité auront disparu. « Et ceux qui auront abandonné le Seigneur périront entièrement. » Ces impies, veut-il dire.

« Car ces idoles qu'ils ont recherchées seront leur confusion (29). » Il y en a qui s'efforcent d'adapter ces paroles au temps présent; pour moi , sans m'arrêter à les réfuter, je poursuis. C'est là ce qu'il prédit devoir arriver lors de l'incursion des ennemis. Et lorsque des barbares parcourront leurs pays, assiégeront leurs villes, les tiendront tous comme pris dans un filet, tandis que personne ne viendra les secourir et mettre fin à cette tempête parce qu'ils seront abandonnés de Dieu , c'est alors que la seule expérience couvrira de honte les serviteurs des idoles. « Qu'ils ont recherchées; » pour lesquelles ils ont montré tant de zèle.

« Et ils rougiront de ces statues, » qu'ils ont faites. Pour accuser, il lui suffit de raconter. Car il suffisait même avant que les malheurs fussent venus instruire ces impies, il suffisait pour les confondre de leur montrer que ces idoles sont l'ouvrage des hommes. Quoi de plus honteux en effet que de se faire un dieu ! « Et ils rougiront des jardins où ils se rendaient avec tant d'empressement. » Non-seulement ils adoraient des statues, mais même des arbres dans les jardins. « Ils seront comme le térébinthe qui a perdu ses feuilles (30).» Ces idoles ou ceux qui habitent la ville. Il emprunte sa comparaison à cet arbre , parce qu'il croît dans ce pays et qu'il n'y est pas rare parce qu'il a beaucoup de fleurs et de feuillages dans la saison favorable, et qu'il est très-laid au contraire quand il a perdu ses feuilles. « Et comme un jardin sans eau. » Cette deuxième image est plus claire que la première et vient confirmer ce que j'ai dit touchant celle-là. Car il n'y a rien de plus agréable qu'un jardin verdoyant, et      il n'y a rien de plus triste qu'un jardin dépouillé : or la ville de Sion a été dans ces deux conditions. De tout temps elle avait été bonne, brillante, ornée de mille beautés; et elle est devenue plus vile, plus déshonorée que toute autre, ayant perdu tout d'un coup tant d'ornements. « Et leur force sera comme l'étoupe sèche (31). » Ses précédentes images ont montré la laideur, celle-ci la faiblesse , toutes sont bien énergiques, bien claires et bien frappantes. « Comme l'étoupe sèche, » c'est-à-dire faible. « Et leurs oeuvres comme une étincelle de feu. » Ici il montre que leurs maux viennent d'eux, qu'ils ont eux-mêmes attiré sur leurs têtes la captivité, qu'ils ont allumé eux-mêmes le feu qui les dévore. De même que des étincelles allument un incendie là où elles tombent, ainsi leurs péchés, à force de s'accumuler, ont enflammé la colère de Dieu. « Les méchants et les pécheurs brûleront ensemble sans qu'il y ait personne pour éteindre le feu. » S'il semble encore leur ôter tout espoir de salut, c'est toujours pour la même raison , non pour qu'ils désespèrent , mais pour que frappés d'une vive crainte, ils secouent leur mollesse. Et de là nous pouvons retirer une autre leçon, c'est qu'on ne peut vaincre sa puissance, et que, quand il punit et châtie, personne ne peut s'opposer à lui et faire cesser les maux.

 

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