HOMÉLIE II

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Matthieu 9,27-10,16
Matthieu 10,16-25
Matthieu 10,23 -34
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Matthieu 11, 1-7
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Matthieu 11,1-9
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Matthieu 12,46 -13,10
Matthieu 13,10-24
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Matthieu 14, 13-23
Matthieu 14,13-23
Matthieu 14,23 - 36
Matthieu 15,1 -21
Matthieu 15,21-32
Matthieu 15,38 -16,13
Matthieu 16,13-24
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Matthieu 27,11-27
Matthieu 27,27-45
Matthieu 27,45-62
Matthieu 27,62- 28,11
Matthieu 28, 11-20

HOMELIE II

Analyse

1. Description du royaume du ciel. Pourquoi David est mentionné le premier dans la généalogie du Christ.

2. Le Christ est le lien qui unit les deux Testaments et les deux natures divine et humaine.

3. L’Ancien Testament contient la figure, le Nouveau, la vérité. — Gloire de David. — Question touchant la généalogie du Christ.

4. Pourquoi saint Matthieu décrit-il la généalogie de Joseph et non celle de Marie?

5 et 6. Exhortation à écouter et à pratiquer la parole de Dieu. — Qu’il est nécessaire à tout le monde de lire l’Ecriture sainte.

 


 

1. Je crois que vous vous souvenez, mes Frères, de la prière que je vous fis hier, de vous recueillir dans un respectueux silence et dans la paix du coeur et de l’esprit, pour écouter la parole de Dieu. Comme nous allons franchir aujourd’hui le seuil sacré du temple où réside le Verbe divin, je suis obligé de vous renouveler cet avis. Car, si autrefois, lorsque les Juifs furent à la veille d’approcher de la montagne de Sinaï, de ce feu, de cette fumée, de ces ténèbres et de ces tourbillons, ou plutôt à la veille de regarder de loin un rayon de la gloire de Dieu, et d’entendre à distance quelques mots de sa bouche; si, dis-je, on leur commanda de se séparer de leurs femmes durant trois jours, et de laver leurs vêtements; s’ils étaient, ainsi que Moïse lui-même, dans la crainte et le tremblement, il est bien plus raisonnable que, sur le point d’entendre des paroles si saintes et non pas de regarder de loin une montagne ardente, mais d’entrer dans le ciel même, vous témoigniez une disposition plus parfaite, que vous laviez non les vêtements du corps mais ceux de l’âme, et que vous vous sépariez de tout le commerce de la vie du monde.

Vous ne verrez point ici de fumée, ni de tourbillons, ni de ténèbres, mais le Roi même assis sur son trône, dans une gloire ineffable, accompagné de ses anges et de ses archanges, et de la troupe des saints, joints au nombre infini de ces bienheureux esprits. Telle est la sainte cité, elle contient, dit saint Paul, « l’Eglise des premiers-nés, les esprits des justes, les troupes des anges, et le sang dont l’aspersion a réconcilié toutes choses. » (Héb. XII, 20.) Car le ciel a reçu ce qui était sur la terre, la terre a reçu ce qui était dans le ciel, et ainsi s’est faite cette paix des hommes et des anges qui avait été souhaitée durant tant de siècles.

Le trophée qui brille dans cette cité sainte est la croix, les dépouilles qui y sont attachées sont notre nature même, dont Jésus-Christ a fait sa proie et sa conquête, comme vous le verrez dans la suite de l’Evangile. Si vous voulez me suivre avec un profond silence, j’espère vous faire voir la mort terrassée et détruite, !e péché crucifié, et les monuments illustres de la victoire que Jésus-Christ a remportée dans cette guerre. Vous verrez le tyran enchaîné, une multitude de captifs qui suivent leur libérateur, et la forteresse où le démon s’était renfermé depuis tant de siècles, et d’où il faisait ses sorties sur les hommes, forcée en un moment et renversée par terre. Vous verrez la caverne même et les antres profonds de ce prince des ténèbres, qui ont été découverts à nos yeux, parce que notre Roi vainqueur a bien voulu y descendre lui-même en personne et y faire luire l’éclat de sa gloire.

Ne craignez point que ce récit vous soit ennuyeux. Si, lorsque quelqu’un vous raconte les guerres et les victoires des hommes, bien loin d’en concevoir de l’ennui, vous perdez même le manger et le boire pour les écouter, combien trouverez-vous plus de goût aux choses beaucoup plus admirables dont nous devons vous parler? Considérez ce que c’est que de voir un Dieu qui vient du ciel, et qui descend du plus haut de son trône sur la terre et jusqu’au fond des enfers, pour en combattre le prince; de voir le démon lutter contre un (14) Dieu qui s’est caché sous la forme de l’homme, et ce qu’on ne peut assez admirer, la mort détruite parla mort, la malédiction abolie par la malédiction, et la tyrannie du démon renversée par tes mêmes armes dont il s’était servi pour l’établir.

Sortons donc de notre assoupissement et réveillons-nous. Je vois déjà les portes ouvertes. Entrons avec une modestie respectueuse et une sainte frayeur. Mais quelles sont ces portes?

Quoi, dites-vous? Vous promettez de parler du Fils unique de Dieu, et vous nous parlez du fils de David, un homme qui vivait il y a plusieurs siècles, et vous l’appelez le père et l’aïeul de Jésus-Christ? Mais attendez un peu, ne désirez pas savoir tout d’un coup toutes choses, apprenez peu à. peu et par degrés. Souvenez- vous que vous n’êtes qu’à la porte et encore dans le vestibule. Pourquoi vous hâtez-vous de pénétrer jusque dans le fond du sanctuaire lorsque vous n’avez pas encore bien considéré ce qui est au dehors?

Ce n’est pas la naissance divine du Sauveur que je vais vous expliquer maintenant, ni même dans la suite. Je sais qu’elle est incompréhensible et ineffable. Le prophète Isaïe l’a dit avant moi. Car, après avoir prédit la passion du Sauveur, et l’extrême charité qu’il a eue pour tous les hommes, et admiré de quel comble de gloire il était descendu dans le dernier abaissement, il s’écrie : « Qui pourra dire quelle est sa génération? » (Is. LIII, 8.)

Ce n’est donc point de cette première naissance que je parle ici; c’est sa naissance terrestre prouvée par une infinité de témoins, dont je tâcherai de vous dire ce que la grâce du Saint-Esprit aura daigné m’en apprendre.

Il n’est pas même possible d’expliquer celle-ci bien clairement, parce qu’elle est elle-même pu mystère grand et redoutable. Ne la considérez donc pas comme peu importante lorsqu’on vous en parle, mais au contraire soutenez votre attention, et tremblez lorsque vous entendez dire qu’un Dieu est venu sur la terre. C’est une merveille si étonnante et tellement inouïe, que les anges en choeur en ont rendu gloire à Dieu au nom de toute la terre, par leurs acclamations et par leurs louanges. Les prophètes mêmes se sont longtemps auparavant écriés avec une profonde admiration « Enfin il a été vu, sur la terre, et il a conversé parmi les hommes! » (Bar. III, 38.) Car c’est un étrange prodige que ce Dieu ineffable, incompréhensible, égal en tout à son Père, soit venu à nous en passant par le sein d’une vierge, et qu’il se soit rabaissé jusqu’à naître d’une femme; qu’il ait bien voulu avoir David et Abraham pour ses ancêtres, et non seulement David et Abraham, mais ce qui est encore plus étonnant, des femmes semblables à celles dont nous vous avons déjà parlé.

Lors donc que vous entendez de si grandes choses, élevez votre esprit et ne concevez rien de bas, que votre admiration redouble en voyant le vrai et unique Fils du Père, souffrir d’être appelé fils de David, pour vous rendre enfant de Dieu, et ne refuser pas d’avoir pour père son esclave, afin que vous qui étiez esclave ayez Dieu pour père. Voyez combien cet Evangile, c’est-à-dire, cette bonne nouvelle qu’on nous annonce est admirable dès l’entrée.

Si vous doutez de la gloire qui vous est promise, soyez-en persuadé par l’humiliation de Jésus-Christ. Car la raison de l’homme a bien plus de peine à comprendre qu’un Dieu soit devenu homme, qu’à s’expliquer qu’un homme puisse devenir enfant de Dieu. Lors donc que vous entendez dire que le Fils de Dieu est aussi fils de David et d’Abraham, ne doutez plus que vous, qui êtes enfant d’Adam, vous ne soyez aussi enfant de Dieu. Car ce serait en vain qu’un Dieu se fût abaissé si profondément, si ce n’avait été pour relever l’homme. Il est né selon la chair afin que vous renaissiez selon l’esprit. Il est né d’une femme, afin que vous cessiez d’être le fils d’une femme.

C’est pourquoi il est né en deux manières différentes, dont l’une est semblable à notre naissance, et l’autre est infiniment élevée au-dessus de nous : car il a cela de commun avec nous, qu’il est né d’une femme, mais ce qu’il a de particulier c’est : « Qu’il n’est point né du sang, ni de la volonté de l’homme ou de la chair (Jean I,13), » mais du Saint-Esprit, et que sa naissance en ce point était la figure de cette renaissance divine, qu’il nous devait donner par la grâce du Saint-Esprit. On peut dire la même chose de tous ses autres mystères. Son baptême avait quelque chose de l’Ancien Testament et du Nouveau.; de l’Ancien, en ce qu’il l’a reçu d’un prophète ; du Nouveau, en ce qu’il reçut visiblement le Saint-Esprit. Jésus-Christ, en s’incarnant, a fait comme une personne qui, voyant deux hommes se battre , les prendrait tous deux par la main et les réconcilierait ensemble. Ainsi, en venant au monde, il a réuni la nature humaine avec la nature divine; la grandeur de Dieu avec la bassesse de l’homme; et la loi ancienne avec la nouvelle.

Vous voyez donc, dès l’entrée, quel est l’éclat de cette ville sainte; et, comme le Roi y paraît d’abord revêtu de notre chair, ainsi qu’un prince au milieu de son armée. Souvent un roi dans le combat ne porte point les marques de sa dignité et de sa puissance. Il quitte la pourpre et le diadème, et s’habille comme l’un de ses soldats. Mais les rois de la terre se déguisent de la sorte de peur d’attirer sur eux , en se faisant connaître , tous les efforts de leurs ennemis, au lieu que le nôtre l’a fait pour ne pas mettre d’abord tous ses ennemis en fuite, et ne pas épouvanter ses amis. Il était venu, non pour nous effrayer, mais pour nous sauver. C’est pourquoi, dès le commencement de l’Evangile, il est appelé Jésus; et ce mot qui est hébreu et non grec, signifie « Sauveur, » parce que, dit l’Evangile, « il sauvera son peuple. » (Matth. I, 21.)

3. Considérez comme l’écrivain sacré élève nos esprits, et comment, en ne nous disant que des choses communes, il nous découvre des merveilles qui dépassent toutes nos espérances. Car ces deux noms du Fils de Dieu, celui de Jésus et celui de Christ étaient tous deux connus de tous les Juifs Dieu prévoyant que les mystères qu’il devait accomplir seraient incroyables, a voulu qu’il y eût même des anciennes figures de ce nom divin, pour prévenir ainsi tous les troubles que la nouveauté cause d’ordinaire. Car Josué qui succéda à Moïse, et qui fit entrer le peuple dans la terre promise, s’appelait aussi Jésus. Vous voyez la figure, comprenez-en maintenant la vérité. Jésus a fait autrefois entrer les Juifs dans la terre promise : Jésus nous fait entrer dans le ciel et dans la jouissance des biens éternels. Le premier fait cette merveille après la mort de Moïse ; le second la fait après la fin de la loi de Moïse; le premier a été le chef du peuple de Dieu; le second en a été le Roi et le Souverain.

Mais de peur qu’en entendant ce nom de Jésus, vous n’hésitiez entre lui et. ses homonymes, l’évangéliste ajoute aussitôt le surnom de Christ: « De Jésus-Christ fils de David.» Josué n’était pas de la tribu de, David, mais d’une autre.

Vous me demanderez peut-être pourquoi saint Matthieu appelle son livre «le livre de la génération de Jésus-Christ, » puisqu’il ne contient pas seulement sa naissance, mais encore toute la suite de sa vie. C’est parce que la naissance de Jésus-Christ est le principe, et comme la racine de tous ses autres mystères, et l’unique source de tous nos biens. Et comme Moïse a appelé son livre le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu’il y parle aussi de beaucoup d’autres choses, de même l’évangéliste nomme son livre du mystère qui est la source et le principe de tous les autres. Car c’était une chose bien pleine d’étonnement, et qui surpassait l’espérance et l’attente de tous les hommes qu’un Dieu se fît homme; mais après une si grande merveille , tout le reste suit naturellement de ce principe.

Mais pourquoi ne le nomme-t-il pas d’abord « fils d’Abraham , » et ensuite, « fils de David? » Ce n’est pas, comme disent quelques-uns, pour remonter du dernier au premier, puisqu’il l’aurait fait dans tout le reste comme saint Luc, ce qu’il ne fait pas néanmoins. Pourquoi donc nomme-t-il d’abord David? Parce que le nom de David, prince illustre, et beaucoup moins ancien qu’Abraham, était alors dans toutes les bouches. Quoique Dieu leur eût fait à tous deux la même promesse, néanmoins la longue suite du temps faisait que l’on ne se souvenait plus de l’une, et qu’on ne parlait que de l’autre, comme plus nouvelle et plus récente. Les Juifs disent eux-mêmes dans l’Evangile : « Ne savons-nous pas que le Christ doit venir de la race de David, et de la ville de Bethléem où était David?» (Jean, VII, 42.) Nul d’entre eux ne l’appelait fils d’Abraham, et tous l’appelaient fils de David. Je le répète, on se souvenait beaucoup plus de David, et parce qu’il était moins ancien, et parce qu’il avait été roi.

C’est pourquoi ils appelaient de son nom les rois qu’ils voulaient le plus honorer. Dieu même use de cette manière de parler. Ezéchiel et les autres prophètes disent que « David s’élèvera et qu’il régnera. » (Ezéch. XXXVII, 24.) ce qu’il ne disait pas de David qui était mort, mais des antres rois qui devaient être les imitateurs de sa piété. Dieu dit encore à Ezéchias : « Je protégerai cette ville, à cause de moi, et à cause de David mon serviteur. » (IV Rois, XIX, 34.) Il promet aussi à Salomon, « que de son vivant il ne détruirait (16) pas son royaume, à cause de son serviteur David. » (III Rois, II, 34.) Ce roi était dans une grande gloire devant Dieu et devant les hommes. C’est pourquoi l’Evangéliste commence d’abord par lui, et il passe aussitôt au plus ancien de ses pères; croyant qu’il était superflu, au moins à l’égard des Juifs, de remonter encore plus haut dans le dénombrement de ses ancêtres, parce que ces deux-là étaient les plus illustres de tous, l’un parce qu’il était roi et prophète, et l’autre parce qu’il était prophète et patriarche.

Mais comment peut-on prouver, me direz-vous, que Jésus-Christ descende de la race de David? Car s’il n’est pas né d’un homme mais seulement d’une vierge dont on ne rapporte point la généalogie, comment saurons-nous qu’il soit de la race de ce roi? Voici donc deux difficultés qui se présentent : l’une pourquoi l’on ne rapporte point la généalogie de la Vierge, et l’autre pourquoi on rapporte celle de saint Joseph, entièrement étranger à la naissance du Sauveur. Il semble que la première de ces généalogies était seule nécessaire, et que la seconde était inutile.

Que répondrons-nous donc à cela? Comment montrerons-nous que la Vierge descendait de David? Comment le prouverons-nous? Ecoutez ce que Dieu dit à l’ange Gabriel: « Allez, lui dit-il, à une vierge fiancée à un homme qu’on nomme Joseph , qui est de la maison et de la famille de David.» (Luc, I,27.) Que voulez-vous de plus clair, puisque Joseph était de la maison et de la famille de David, il est démontré que la Vierge en était aussi? Car il était défendu par la loi de chercher une femme hors de sa tribu, et d’en épouser une qui n’en fût pas.

Le patriarche Jacob avait prédit que Jésus-Christ naîtrait de la tribu de Juda, lorsqu’il dit: « Les princes ne cesseront point dans la « tribu de Juda et les chefs sortiront toujours de sa chair jusqu’à ce que Celui qui a été destiné de Dieu soit venu, et il sera l’attente des nations. » (Gen. XLIV, 10.) Cette prophétie nous assure d’abord que Jésus-Christ est sorti de la tribu de Juda, mais elle ne montre pas qu’il soit de celle de David. Est-ce que toute la tribu de Juda n’était composée que de la famille de David? n’en avait-il pas beaucoup d’autres? Beaucoup au contraire étaient de la tribu de Juda sans être de la race de David. Mais pour vous empêcher de vous arrêter à cette pensée, l’Evangéliste dit formellement, que Joseph était «de la maison et de la famille de David. » (Luc, I. 27.)

Si vous voulez encore d’autres preuves, nous en avons une très constante. Il n’était pas permis pour se marier, de sortir, non seulement de sa tribu, mais même de sa famille et de sa parenté. Ainsi que ces paroles « de la famille et de la maison de David, » s’entendent ou de la Vierge ou de Joseph, on n’en peut tirer que la même conséquence. Car si Joseph était de la maison et de la famille de David, il n’a pris certainement une femme que de la famille d’où il était descendu.

Mais si Joseph, dites-vous, a violé l’ordonnance de la loi? L’Evangéliste prévient cette objection , lorsqu’il dit « qu’il était juste (Matth. I, 19) » , afin qu’en reconnaissant sa vertu, on ne l’accusât point de violation de la loi. Comment un homme qui était si charitable et si modéré qu’il ne voulut pas même penser à faire punir la Vierge, quoique toutes les apparences semblassent l’y forcer, comment, dis-je, un homme si vertueux aurait-il pu violer la loi pour satisfaire sa passion? Comment un homme dont la vertu allait au delà même de la loi, comme on le voit par le dessein qu’il prit de quitter sa femme en secret, eût-il pu se résoudre à pécher ouvertement contre la loi, sans y être contraint par aucune nécessité?

Il est donc évident par ces preuves que la Vierge était de la race de David. Voyons maintenant pourquoi l’Evangéliste ne rapporte point sa généalogie, mais seulement celle de Joseph.

C’est parce que ce n’était point l’ordinaire parmi les Juifs de tirer la généalogie du côté des femmes. Ainsi pour garder cette coutume, et pour ne point troubler les esprits par aucune nouveauté, il ne parle point des parents de la Vierge; mais il se contente, pour nous la faire connaître, de nous rapporter la généalogie de Joseph. Si donc il eût rapporté la généalogie de la Vierge, il n’aurait pas gardé l’ordre commun, et s’il n’eût point rapporté celle de saint Joseph, nous n’aurions point su de quelle tribu était la Vierge. C’est pourquoi, afin que nous connussions qui était Marie et d’où elle descendait, et que la coutume des Juifs fût gardée, l’Evangéliste décrit la généalogie de Joseph l’époux de la Vierge, et montre qu’il était de la famille de David. Il s’ensuivait que La Vierge en était aussi, puisque indubitablement un homme si juste, comme j’ai déjà dit, (17) n’aurait point voulu épouser une femme d’une autre tribu que de la sienne.

Nous pourrions encore rapporter une autre raison plus mystérieuse, pour montrer pourquoi on n’a rien dit de la généalogie de la Vierge, mais ce n’est pas ici le lieu de la dire, parce qu’il y a trop longtemps que nous sommes sur ce sujet.

Il vaut mieux terminer ce discours, et retenir avec soin ces points que nous avons tâché d’expliquer: Pourquoi l’Evangéliste parle d’abord de David; pourquoi il appelle ce livre le livre de la génération du Sauveur; pourquoi il lui donne le nom de Jésus, et de Jésus-Christ; ce que cette naissance a de commun ou de différent avec la nôtre; comment on fait voir que Marie était de la race de David, et enfin pourquoi on rapporte la généalogie de Joseph, et non celle de la Vierge.

Si vous avez soin de vous souvenir de ces choses, vous nous donnerez du courage pour continuer; mais si vous êtes indifférents, et que vous laissiez tout échapper de votre mémoire, votre froideur nous rendra plus froid et plus lent dans toute la suite. Car un laboureur ne se porte pas aisément à cultiver une terre où il voit que ce qu’il sème se perd et ne lève point. C’est pourquoi je vous conjure de faire croître cette semence, puisque ce soin vous produira de grands biens pour le salut de vos âmes. Ce saint exercice vous rendra agréables à Jésus-Christ, et en méditant les paroles sorties de sa bouche, vous apprendrez à purifier la vôtre de toutes les paroles déshonnêtes et injurieuses. Nous deviendrons ainsi terribles aux démons lorsqu’ils verront notre langué armée de ces paroles de feu: nous nous attirerons une plus grande grâce de Dieu, et cette lecture assidue rendra les yeux de notre coeur plus vifs et plus éclairés.

Dieu nous a donné des yeux, une bouche et des oreilles, afin que nous les consacrions à son service, afin que nous ne parlions que de lui, que nous n’agissions que pour lui, que nous ne chantions que ses louanges, que nous lui rendions de continuelles actions de grâces, et que par ces saints exercices nous purifiions le fond de nos coeurs. Car, comme la pureté de l’air rend le corps sain, ainsi la sainteté de ces occupations rend l’âme plus sainte et plus pure.

5. Ne voyez-vous pas que les yeux nous pleurent dans un lieu plein de fumée, et qu’aussitôt que nous passons au grand air, que nous considérons la beauté des campagnes, les fleurs des prés et les eaux courantes, ils reprennent leur première vigueur? Il en est ainsi de l’oeil de l’âme. S’il se plaît dans les Ecritures comme dans un pré spirituel, il deviendra plus sain, plus pur, et plus pénétrant; mais s’il se laisse obscurcir par la fumée des choses du siècle, il se trouvera réduit à pleurer et en ce monde et en l’autre. Car tout ce qui est en ce monde est semblable à la fumée; ce qui fait dire à David: « Mes jours se sont évanouis comme la fumée.» (Ps. CI, 12.) Il l’entendait de la brièveté et de l’instabilité de la vie; mais je crois qu’on peut dire encore que les choses du monde nous aveuglent comme la fumée;et qu’elles nous enveloppent par des liens semblables aux toiles d’araignées.

Car il n’y a rien qui blesse et qui trouble plus les yeux de l’âme que cet embarras des soins et des affaires du monde, et cette multiplicité de désirs et de passions, qui sont comme le bois qui produit ensuite cette fumée. Et comme le feu fume beaucoup lorsqu’il s’attache à une matière humide; ainsi lorsqu’un désir ardent entre dans une âme qui est comme humide par son relâchement et par sa paresse, il faut nécessairement qu’il y excite une effroyable fumée. C’est pourquoi nous avons besoin de la rosée du Saint-Esprit, et de ce souffle bienheureux, afin d’éteindre ce feu des passions, de dissiper cette fumée, et de rendre notre coeur plus libre et plus dégagé. Car il est impossible qu’une âme appesantie de tant de soins puisse s’élever en haut pour voler au ciel. Nous devons nous dégager de tout, pour pouvoir courir dans la voie de Dieu. Et nous ne le pourrons faire à moins que d’être soulevés sur les ailes du Saint-Esprit.

S’il faut donc que notre âme soit non-seulement déchargée des soins du siècle, mais qu’elle soit encore soutenue de la grâce de Dieu pour nous élever en-haut, comment le pourrons-nous faire, puisque, bien loin d’avoir cette disposition, nous nous engageons tous les jours dans une autre toute contraire, et qu’au lieu de voler au ciel, nous nous laissons charger de ce poids insupportable, dont le démon nous accable, et par lequel il nous entraîne toujours en bas? Car si on voulait peser tous nos discours dans une juste balance, je ne crois pas que, pour mille talents qu’on trouverait d’entretiens tout séculiers, on pût trouver je (18) ne dis pas pour cent deniers, mais pour dix oboles de paroles vraiment chrétiennes et spirituelles.

N’est-ce pas une chose honteuse et ridicule, tandis que nous ne nous servons de nos domestiques, quand nous en avons, que pour des affaires qui sont pour la plupart nécessaires, d’employer notre bouche à des choses où nous rougirions d’employer le dernier de nos serviteurs, c’est-à-dire, toutes vaines et superflues? Et plût à Dieu même qu’elles ne fussent que superflues, et non mauvaises et dangereuses! Si nos paroles nous étaient utiles, il est certain qu’elles seraient aussi agréables à Dieu; mais nous disons au contraire tout ce que le démon nous inspire: des railleries et des bons mots, des imprécations et des injures, des jurements, des mensonges, des parjures; des cris de colère et des futilités , des contes de vieilles femmes, des questions oiseuses et sans intérêt, voilà ce qui sort continuellement de notre bouche.

Quel est celui de vous tous qui m’écoutez maintenant, qui pourrait me dire par coeur ou un psaume ou quelque autre partie de l’Ecriture, si je le lui demandais? Il ne s’en trouverait pas un seul. Et ce qui est encore plus à déplorer, c’est que, étant si indifférents pour les choses saintes, vous êtes tout de feu pour les choses du diable. Car si l’on vous priait au contraire de dire quelqu’une de ces chansons infâmes, quelques-uns de ces vers lascifs et honteux, il s’en trouverait plusieurs qui les auraient appris avec soin, et qui les réciteraient avec plaisir.

Mais comment excuse-t-on de si grands excès? Je ne suis pas religieux ni solitaire, dit-on, j’ai une femme et des enfants, et j’ai le soin d’un ménage. Telle est en effet la grande plaie de notre temps, on croit que la lecture de l’Ecriture n’est bonne que pour les religieux, au lieu que les gens -du monde en ont encore plus besoin qu’eux. Car ceux qui sont au milieu du combat, et qui reçoivent tous les jours de nouvelles plaies, ont plus besoin de remèdes que les autres. C’est tin grand mal de ne pas lire les livres qui contiennent la parole de Dieu, mais il y a quelque chose de pire encore, c’est de se persuader que cette lecture est inutile. Une telle pensée ne peut venir que du démon.

N’entendez-vous point ce que dit saint Paul: « Que tout ce qui est écrit, est écrit pour notre instruction? » (Rom. XV, 4.) Si l’on voulait vous faire toucher l’Evangile avec des mains malpropres, vous ne voudriez jamais le faire, et cependant vous ne croyez pas qu’il soit nécessaire de savoir ce qu’il enseigne. C’est là la cause du dérèglement général que l’on voit aujourd’hui parmi les hommes.

Si vous voulez éprouver combien la lecture de l’Ecriture sainte est utile, examinez-vous vous - mêmes. Voyez dans quelle disposition vous êtes , ou lorsque vous écoutez des psaumes, ou lorsque vous entendez ces chansons diaboliques ; lorsque vous êtes à l’église, ou lorsque vous êtes au théâtre; et vous serez surpris de voir combien votre âme étant la même, est néanmoins différente d’elle-même dans ces rencontres. C’est pourquoi saint Paul disait : « Les mauvais entretiens corrompent « les bonnes moeurs. » (I Cor. XV, 33.) Nous avons continuellement besoin des cantiques du Saint-Esprit. Chanter les louanges de Dieu est le plus beau privilège de l’homme, rien ne le distingue autant des bêtes qui ont cependant sur lui de nombreux avantages. C’est là, la nourriture de l’âme ; c’est là son ornement; c’est là son assurance ; au contraire la négligence de la parole de Dieu lui cause la faim et la-mort: « Je leur enverrai, » dit Dieu, « non la famine du pain ni la soif de l’eau, mais la famine de la parole de Dieu. » (Amos, VIII, 11.)

Qu’y a-t-il de plus déplorable que d’attirer volontairement sur vous un malheur dont Dieu menace les hommes comme d’un très grand supplice, et de réduire vous-même votre âme à une faim cruelle qui la met dans une extrême langueur? Car c’est par la parole que l’âme se perd ou qu’elle se sauve. Un mot l’enflamme de colère, et un mot l’appaise; une parole déshonnête la jette dans une passion brutale, et une parole modeste et grave la rend chaste et pure. Si donc la parole d’un homme produit de si grands effets, comment pouvez-vous mépriser la parole de Dieu même? Et si l’exhortation d’un homme est si puissante, combien celle de l’Esprit-Saint le sera-t-elle davantage?

Une parole de l’Ecriture excite souvent dans l’âme une flamme plus vive que le feu, et la rend capable des actions les plus belles. C’est ainsi qu’autrefois saint Paul abaissa l’orgueil des Corinthiens, qui se glorifiaient d’une chose dont ils eussent dû rougir, et qu’ils devaient étouffer dans un éternel silence. Mais lorsque (19) cet apôtre leur eût écrit, voyez quel changement ses paroles firent en eux, comme il leur en rend témoignage lui-même: « Voyez, en effet » dit-il, « ce qu’a produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie: quelle sollicitude, quel soin de vous justifier, quelle indignation, quelle crainte, quel désir, quel zèle, quelle ardeur pour punir le crime ! » (II Cor. VII, 11.).

C’est ainsi que vous réglerez vos serviteurs, vos enfants, vos femmes et vos amis, et que vous forcerez vos ennemis mêmes à vous aimer. C’est par ces paroles saintes, que tant de grands hommes si chéris de Dieu, se sont avancés dans la vertu. David après son péché écouta la parole du Prophète, et il embrassa aussitôt cette pénitence, qui est devenue le modèle de tous les pénitents. C’est par ces paroles saintes, que les apôtres sont devenus ce qu’ils ont été, et qu’ils ont attiré à eux toute la terre.

Mais que sert, dites-vous, d’entendre la parole de Dieu, lorsqu’on ne la pratique pas? On ne laisse pas d’en retirer même alors une utilité très-considérable. Car on s’accusera soi-même, on soupirera, on gémira, et on se mettra enfin en état de faire ce qu’on nous apprend. Mais lorsqu’on ne comprend pas même le mal qu’on fait, comment peut-on s’en retirer ou s’en repentir?

Ne négligeons donc point d’entendre l’Ecriture sainte. C’est le démon qui nous inspire ce dégoût, parce qu’il ne peut souffrir que nous approchions de ce trésor, de peur qu’il ne nous en demeure des perles et des diamants qui nous enrichissent. C’est pourquoi il nous persuade qu’il nous est inutile d’entendre la parole de Dieu, afin qu’il n’ait pas le regret de nous la voir mettre en pratique après que nous l’aurons entendue. Reconnaissons donc cet artifice si dangereux, et fortifions-nous de toutes parts contre ces attaques; afin que couverts de celte armure spirituelle, nous soyons invulnérables à notre ennemi, et que l’ayant vaincu et portant les marques de notre victoire, nous jouissions à jamais des biens du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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