Matthieu 3,13-17

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HOMÉLIE XII

 

« ALORS JÉSUS VINT DE GALILÉE AU JOURDAIN TROUVER JEAN POUR ÊTRE BAPTISÉ PAR LUI. MAIS JEAN L’EN EMPÊCHAIT EN DISANT : C’EST MOI QUI AI BESOIN D’ÊTRE BAPTISE PAR VOUS, ET VOUS VENEZ A MOI. » (CHAP. III, 13-14, JUSQU’AU CHAP. IV)

ANALYSE

1. Pourquoi Jésus-Christ, le juste par excellence, vient-il au baptême, confondu dans la foule des pécheurs ?

2. Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; comment les Juifs sont-ils restés incrédules après avoir entendu venir du ciel cette voix miraculeuse ?

3. La foi se passe de la vision .— L’Esprit-Saint n’est pas moindre que le Christ. — Le Christ abroge le baptême et la pâque des Juifs.

4. et 5. Un chrétien doit mépriser tous les biens du monde comme indignes et rendre sa vie conforme à sa foi.


1. Le Seigneur, mes frères, vient se faire baptiser avec des esclaves, et le juge avec des criminels. Mais que cette humilité d’un Dieu ne vous trouble point, car c’est dans ses plus grands abaissements, qu’il fait paraître sa plus grande gloire. Vous étonnez-vous que Celui qui a bien voulu être durant plusieurs mois dans le sein d’une vierge, et en sortir revêtu de notre nature, qui a bien voulu depuis souffrir les soufflets, le tourment de la croix, et tant d’autres maux auxquels il s’est soumis pour l’amour de nous, ait voulu aussi recevoir le baptême, et s’humilier devant son serviteur, en se mêlant avec la foule des pécheurs? Ce qui doit nous surprendre, c’est qu’un Dieu n’ait pas dédaigné de se faire homme. Mais après ce premier abaissement, tout le reste n’en est qu’une suite naturelle.

Aussi saint Jean, pour nous préparer à cette humiliation du Fils de Dieu, dit de lui auparavant, qu’il n’est pas digne de délier le cordon de ses souliers; qu’il était le juge universel qu’il rendrait à chacun selon ses oeuvres, et qu’il répandrait les grâces du Saint-Esprit sur tous les hommes, afin qu’en le voyant venir au baptême, vous ne soupçonniez rien de bas sous cette humilité. C’est dans ce même dessein que lorsqu’il le voit présent devant lui, saint Jean lui dit pour l’empêcher:

« C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par  vous, et vous venez à moi (14)? » Comme le baptême de Jean était un baptême de pénitence, et qui portait ceux qui le recevaient à s’accuser de leurs péchés, saint Jean pour prévenir les Juifs, et les empêcher de croire que Jésus-Christ venait dans cette disposition à son baptême, l’appelle d’ auparavant devant le peuple l’Agneau de Dieu, et le Sauveur qui devait effacer les péchés de tout le monde. Car Celui qui avait le pouvoir d’effacer tous les péchés du genre humain, devait à plus forte raison être lui-même exempt de péché. C’est pourquoi saint Jean ne dit pas: « Voilà celui qui est exempt de péché, » mais ce qui est beaucoup plus: « Voilà celui qui porte sur soi, et qui ôte le péché du monde (Jean, t, 29.) ; » afin que cette dernière vérité admise fît, à plus forte raison, admettre la première, et qu’on (91) reconnût ainsi que c’était pour d’autres raisons que Jésus-Christ venait à ce baptême. C’est pour cela que saint Jean dit à Jésus lorsqu’il vient à lui: « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par vous, et vous venez à moi? » Il ne dit pas : Et vous voulez que je vous baptise? Car il n’osait parler de la sorte; mais seulement : « Vous venez à moi? » Que fait donc Jésus-Christ en cette rencontre?

« Et Jésus répondant lui dit: Laissez-moi faire pour cette heure: car c’est ainsi qu’il convient que nous accomplissions toute justice (15). » Il agit avec saint Jean comme il agit depuis avec saint Pierre. Cet apôtre refusait de se laisser laver les pieds par son maître. Mais quand il eut entendu cette parole: « Vous ne comprenez pas maintenant ce que je fais, mais vous le comprendrez après. » (Jean, XIII, 7.) Et cette autre : « Vous n’aurez point de part avec moi (Ibid 8); » il cessa aussitôt de résister et il s’offrit même à faire plus qu’on ne lui avait demandé. De même lorsque saint Jean eut entendu ces paroles: « Laissez-moi faire maintenant : car c’est ainsi qu’il convient que nous accomplissions toute justice, » il se résolut aussitôt de faire ce que Jésus lui commandait. Ces saints hommes n’étaient point opiniâtres; mais ils montraient autant d’obéissance que d’amour, et ils n’avaient rien plus à coeur que de faire tout ce que leur commandait le maître.

Mais remarquez comment Jésus oblige Jean à le baptiser par les raisons mêmes pour lesquelles celui-ci ne croyait pas devoir le faire. Car il ne dit pas: « Il est juste, » mais, « il convient. » Comme saint Jean croyait qu’il y avait de « l’inconvenance » à un serviteur de baptiser son maître, Jésus-Christ fait voir au contraire qu’il n’y en avait aucune. Vous hésitez, lui dit-il, à me baptiser, parce que vous le croyez contre la bienséance : c’est au contraire, parce que cela est dans la bienséance, que je viens recevoir votre baptême. Et il ne dit pas simplement « Laissez-moi faire, » mais il ajoute : « maintenant. » Comme s’il disait Cela ne durera pas toujours : vous me verrez bientôt dans l’état où vous souhaitez de me voir; mais maintenant, laissez-moi recevoir votre baptême.

Et pour marquer en quoi consistait cette bienséance, il ajoute: « Car c’est ainsi qu’il « faut que nous accomplissions toute justice. »La justice n’est autre chose qu’un parfait accomplissement de tous les commandements de Dieu. Comme nous avons, dit-il, accompli jusqu’ici tous ses ordres, et qu’il ne reste plus que ce dernier à exécuter, il faut nous en acquitter aujourd’hui. Je suis venu pour lever la malédiction où l’homme était tombé par la violation de la loi. Ainsi il faut que je commence par accomplir la loi parfaitement, afin que vous ayant délivrés de la condamnation, j’abolisse ensuite la loi même. C’est aussi pour cette raison que je me suis revêtu de votre chair, et que je suis venu en ce monde.

2. « Alors Jean ne lui résista plus (15). » « Et Jésus, après avoir été baptisé, ne fut pas plus tôt monté hors de l’eau, que les cieux lui furent ouverts; et il vit l’Esprit de Dieu descendant en forme de colombe venant sur lui (16). » Les Juifs croyaient que saint Jean était beaucoup plus que Jésus-Christ, parce qu’il avait passé sa vie dans le désert; qu’il était le fils d’un grand-prêtre; qu’il portait un vêtement si austère ; qu’il appelait tout le monde à son baptême; et enfin qu’il était né d’une mère stérile. Ils voyaient au contraire Jésus-Christ né d’une pauvre femme, dont le divin enfantement leur était entièrement inconnu. Ils savaient qu’il avait été élevé non dans le désert, mais dans une maison, comme les autres enfants, qu’il avait vécu au milieu des hommes, vêtu comme les autres, sans qu’il parût rien d’extraordinaire en sa personne. Ils le croyaient donc inférieur à saint Jean, parce qu’ils ne savaient rien des divines merveilles de sa naissance. D’ailleurs le baptême que Jésus reçut de Jean, était de nature à faire naître cette opinion, lui seul, et à la corroborer. On se disait que Jésus devait être un homme comme les autres, puisqu’il venait au baptême confondu dans la foule des autres, ce qu’il n’eût pas fait, pensait-on, s’il était supérieur au commun des hommes. Donc Jean passait pour plus grand que Jésus et était beaucoup plus admiré. Ce fut pour empêcher que, cette opinion ne se fortifiât de plus en plus dans les esprits, qu’après le baptême de Jésus, les cieux s’ouvrirent sur lui et qu’on entendit la voix du Père qui publiait la gloire de son Fils unique.

« Et en même temps une voix du ciel se fit entendre: C’est là mon Fils bien-aimé, dans lequel j’ai mis toute mon affection (17). » Mais comme cette voix eût pu être appliquée par la plupart de ceux qui étaient là, plutôt à (92) saint Jean qu’à Jésus-Christ, parce qu’elle n’avait pas dit: Celui qui vient d’être baptisé est mon Fils, mais simplement: « C’est là mon Fils « bien-aimé,» parole que tout le monde eût bien plutôt crue de celui qui baptisait, que de celui qui était baptisé, à cause de la dignité de saint Jean Baptiste, et des autres raisons que j’ai dites; le Saint-Esprit descendit en forme de colombe, afin d’indiquer Jésus comme celui que désignait la voix, et de montrer que cette parole: « C’est là mon Fils, » devait s’entendre de celui qui venait d’être baptisé, et non de celui qui le baptisait.

Mais comment se fait-il, me direz-vous, que les Juifs n’ont pas cru en Jésus-Christ, après avoir vu un si grand miracle ? Mais comment, vous demanderai-je à mon tour, se fait-il que sous Moïse, lorsque s’opéraient tant de miracles, qui, sans égaler celui-ci, étaient néanmoins si extraordinaires, comment se fait-il qu’après ces voix tonnantes, ces trompettes, ces éclairs, ces- tonnerres, et tant d’autres choses effrayantes, les Juifs ne laissèrent pas de se faire un veau d’or pour l’adorer, et de se consacrer aux sacrifices de Beelphégor? Est-ce que ces mêmes Juifs, qui entendirent la voix céleste au baptême de Jésus-Christ, ne virent pas un peu plus tard, de leurs yeux, la résurrection de Lazare ? et néanmoins ils furent si éloignés de croire à l’auteur d’une si prodigieuse résurrection, qu’ils tentèrent plus d’une fois de tuer celui qui avait été ressuscité. Si donc la malignité de leur coeur ne se rendait pas en voyant de leurs yeux les morts ressuscités; vous étonnez-vous s’ils ne se rendent pas à une voix qui vient du ciel, et qui ne frappe que leurs oreilles.

Lorsqu’une âme est ingrate et corrompue, et possédée de la passion de l’envie, il n’y a point de miracle qui puisse la guérir: comme au contraire, lorsqu’elle est simple et bien disposée, elle a peu besoin de miracles pour se rendre à Dieu. Ne demandez donc pas pourquoi les Juifs n’ont pas cru; mais considérez si Dieu n’a pas fait tout ce qui était nécessaire afin qu’ils crussent. Au reste Dieu lui-même a pris soin de se justifier à cet égard, et comme il voyait les Juifs endurcis et opiniâtrés à se perdre, sans que rien les pût sauver de la dernière punition , il a voulu au moins empêcher que l’on ne fît retomber sur sa bonté, ce qui ne doit être imputé qu’à leur malice, en disant: «Qu’ai-je dû faire à ma vigne, que je ne lui aie pas fait? (Isaïe, V,4.)» C’est donc là ce que nous devons considérer ici, savoir si Dieu, pour rendre ce peuple fidèle, devait faire quelque chose qu’il n’ait pas fait. Que si, mes frères, vous voyez quelqu’un qui accuse ainsi la providence de Dieu, et qui veuille la rendre responsable de la malice des hommes; vous lui ferez la réponse que vous venez d’entendre.

Mais réservons à parler ailleurs contre l’infidélité des Juifs, et arrêtons-nous maintenant à considérer le grand miracle qui arriva tout après le baptême du Sauveur, et qui était le prélude de ceux qui allaient bientôt s’opérer. Car c’est le ciel seulement, et non pas le paradis qui s’ouvre alors: « Jésus ne fut pas plus tôt baptisé, que les cieux lui furent ouverts. » Pourquoi le ciel s’ouvrit-il lorsque Jésus-Christ fut baptisé? Pour vous apprendre que la même chose arrive invisiblement à votre baptême où Dieu vous appelle à votre patrie qui est dans le ciel, et vous excite à ne plus avoir rien de commun avec la terre. Quoique ce miracle ne s’opère pas visiblement pour vous, ne laissez cependant pas que d’y croire.

Dieu, dans la première institution de ses mystères, a coutume de faire voir quelque signe et quelque prodige extérieur pour les âmes les plus grossières, qui ne peuvent comprendre rien de spirituel, et qui ne sont touchées que de ce qui frappe les sens; afin que lorsqu’on nous propose ces mêmes mystères, sans être accompagnés de ces miracles, nous les embrassions aussitôt avec une foi ferme et docile. Ainsi lorsque le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, on entendit le bruit d’un souffle violent, et il parut des langues de feu. Et ce miracle ne se fit point pour les apôtres, mais pour les Juifs qui étaient présents. Si nous ne voyons plus maintenant les mêmes signes, nous recevons néanmoins les mêmes grâces, dont ces signes étaient la figure.

3. Il parut alors une colombe sur Jésus-Christ, afin qu’elle fût comme un doigt du ciel, qui indiquât et aux Juifs et à saint Jean, que Jésus-Christ était Fils de Dieu. De plus, elle devait apprendre à chacun de nous, que lorsqu’il est baptisé, le Saint-Esprit descend dans son âme, quoique ce ne soit plus dans une forme visible parce que nous n’en avons plus besoin, et que la foi maintenant suffit seule sans aucun miracle. Car les miracles, comme dit saint Paul, ne sont pas pour les fidèles, mais pour les infidèles. (93)

Mais pourquoi, me direz-vous, le Saint-Esprit paraît-il sous la forme d’une colombe? C’est parce que la colombe est douce et pure, et le Saint-Esprit, qui est un esprit de douceur et de paix, a voulu paraître sous cette figure. Cette colombe nous fait aussi souvenir d’un fait que nous lisons dans l’Ancien Testament. Lorsque toute la terre fut inondée par le déluge, et toute la race des hommes en danger de périr, la colombe parut pour annoncer la fin du cataclysme, elle parut avec un rameau d’olivier, apportant la bonne nouvelle du rétablissement de la paix dans le monde, Or tout cela était une figure de l’avenir. Les affaires des hommes étaient alors dans une bien pire condition qu’aujourd’hui, et le châtiment qu’ils avaient mérité, plus terrible. Il y a donc pour nous, dans la réminiscence de cette antique histoire, un motif de ne pas désespérer, puisque l’issue d’un état de choses si désespéré fut une délivrance et un amendement. Mais ce qui se fit alors par le déluge des eaux, s’opère aujourd’hui comme par un déluge de grâce et de miséricorde. La colombe ne porte plus maintenant un rameau d’olivier, mais elle montre aux hommes Celui qui va les délivrer de tous leurs maux, et elle nous marque les grandes espérances que nous devons concevoir; Elle ne fait point sortir de l’arche un seul homme pour repeupler la terre, mais elle attire toute la terre au-ciel, et au lieu- d’un rameau d’olivier elle apporte aux hommes l’adoption des enfants de Dieu.

Reconnaissez, mes frères, la grandeur de ce don, et ne croyez pas que, parce que le Saint-Esprit parait ici sous cette forme, il soit en quelque chose inférieur à Jésus-Christ. Car je sais que quelques personnes disent qu’il se trouve autant de différence entre Jésus-Christ et le Saint-Esprit, qu’il y en a entre un homme et une colombe, puisque l’un a paru revêtu de notre nature, et l’autre seulement sous la forme d’une colombe. Que répondre à cela, sinon que le Fils de Dieu a pris la nature de l’homme, mais que le Saint-Esprit n’a pas pris la nature d’une colombe? C’est pourquoi l’évangéliste ne dit pas que le Saint-Esprit ait paru dans la nature, mais sous « la forme »d’une colombe. Et, depuis ce temps, il n’a plus paru sous cette figure. Si de là vous concluez que le Saint-Esprit est moindre que Jésus-Christ, vous pourriez dire de même que les chérubins sont autant au-dessus du Saint-Esprit, que l’aigle est au-dessus de la colombe, puisqu’ils ont souvent paru sous la figure d’un aigle. Les anges aussi seraient plus grands que le Saint-Esprit, puisque souvent ils se sont revêtus de la figure d’un homme. Mais à Dieu ne plaise, que nous ayons cette pensée ! Il y a bien de la différence entre la vérité de l’Incarnation de Jésus-Christ, et la condescendance dont Dieu se sert, pour s’accommoder à la faiblesse des hommes.

Ne soyez donc pas si peu reconnaissants envers celui qui vous comble de tant de bienfaits, et n’opposez pas une extrême ingratitude à cette source de grâces qu’il verse sur vous, pour vous rendre heureux. Car cette seule dignité d’enfants adoptifs de Dieu entraîne nécessairement la destruction de tous les maux, et l’effusion de tous les biens. C’est pour cette raison-que le baptême des Juifs finit aussitôt après, et que le nôtre commence, et qu’il arrive la même chose dans le renouvellement du baptême, que dans le changement de la Pâque. Car de même que Jésus-Christ célébra d’abord l’ancienne Pâque avant que de l’abolir et d’établir la nouvelle; de même ici ce n’est qu’après avoir reçu le baptême judaïque qu’il le fait cesser, et qu’il commence d’ouvrir le mystère du baptême et de la grâce de son Eglise. Ce qu’il fera plus-tard sur la même table il le fait maintenant dans le même fleuve, il retrace l’ombre, puis immédiatement après il offre la vérité. Car la grâce du Saint-Esprit ne se trouve que dans le baptême de Jésus-Christ, et elle n’était point dans celui de Jean. C’est pour ce sujet que le Saint-Esprit, n’est descendu sur aucun de ceux que saint Jean a baptisés, mais seulement sur Celui qui nous devait donner la grâce de ce second baptême, afin que nous reconnussions, avec les choses déjà dites, que ce n’était point la pureté ni le mérite de celui qui baptisait, mais la puissance de Celui qui était baptisé qui a fait cette merveille. Ce fut donc alors qu’on vit les cieux s’ouvrir, et le Saint-Esprit descendre sur la terre. Jésus-Christ voulait nous transférer de l’ancienne alliance à la nouvelle. C’est pourquoi il ouvre ces portes célestes, et il fait descendre son Saint-Esprit pour rappeler les hommes à cette patrie divine. Et il ne les y appelle pas seulement, mais il le fait en les honorant d’une souveraine dignité, Car il nous attire en ce séjour bienheureux après nous avoir faits non anges, non archanges, mais (94) les enfants de Dieu, et ses enfants bien-aimés.

4. Considérons, mes frères, l’amour de Celui qui nous a appelés, l’état heureux auquel il nous appelle, et la gloire qu’il nous a donnée; et menons une vie qui soit digne de ces grands dons. Crucifions-nous pour le monde, et crucifions le monde pour nous; et employons tous nos soins à vivre ici-bas comme l’on vit dans les cieux. Ne croyons pas avoir quelque chose de commun avec la terre, parce que notre corps n’est pas encore élevé dans le ciel, car notre chef y règne déjà. Le Fils de Dieu est venu dans le monde avec les anges, et ayant pris la nature humaine, il l’a élevée dans les cieux lorsqu’il y est retourné, afin qu’avant que nous y montions aussi nous sussions qu’il ne nous est pas impossible de vivre dans la terre comme dans un ciel.

Tâchons de conserver la naissance illustre que nous avons reçue par notre baptême. Cherchons tous les jours. ce royaume éternel, et considérons toutes les choses présentes comme des ombres et comme des songes. Si un roi de la terre vous avait trouvé pauvre et mendiant, et vous avait tout d’un coup adopté pour son fils, vous ne penseriez plus à votre misère passée, ni à la bassesse de votre cabane, quoique d’ailleurs il n’y ait pas une fort grande différence entre ces deux choses. Ne pensez donc plus à votre première condition, puisque l’état, auquel vous avez été appelé, est sans comparaison, plus illustre que la dignité royale. Car Celui qui nous a appelés est le Seigneur des anges; et les biens qu’il vous donnera ne sont pas seulement au-dessus de toutes paroles, mais même au delà de toutes pensées. Il ne vous fait point passer de la terre à la terre comme ce roi pourrait faire; mais il vous élève de la terre au ciel, et d’une nature mortelle à une gloire immortelle et ineffable, qui ne sera bien connue de nous, que lorsque nous la posséderons.

Comment donc, vous qui devez être admis au partage de ces grands biens, vous souvenez-vous encore des richesses de la terre? et comment vous amusez-vous encore a des fantômes et à des images vaines? Ne croyez-vous pas que toutes les choses que nous voyons sont plus viles et plus basses que les haillons des pauvres et des mendiants? Et comment donc serez-vous dignes de l’honneur auquel vous êtes appétés? Quelle excuse vous restera- t-il, ou plutôt quelle punition ne souffrirez-vous point, si après avoir reçu une si grande grâce, « vous retournez à votre premier vomissement? » (Pierre, II, 22.) Vous ne serez pas punis simplement comme un homme qui pèche, mais comme un entant de Dieu qui lui est rebelle, et l’éminence de la dignité à laquelle vous étiez élevés, ne servira qu’à rendre plus grand votre supplice. Ce qui certes est bien raisonnable, puisque nous-mêmes nous châtions nos enfants plus sévèrement que nos serviteurs, lorsqu’ils n’ont commis que la même faute, principalement quand nous les avons comblés de bienfaits.

Que si Adam, que Dieu avait mis dans le paradis terrestre, a souffert tant de maux après l’honneur qu’il avait reçu, à cause seulement d’un péché qu’il commit, comment, nous qui avons reçu le ciel et qui avons été faits cohéritiers du Fils unique de Dieu, pourrons-nous espérer quelque pardon, si nous quittons la colombe pour suivre le serpent? On ne nous dira pas comme à Adam: «Vous êtes terre, vous retournerez en terre, et vous cultiverez la terre (Gen. III, 19); » mais on nous prononcera une sentence bien plus effroyable; puisqu’on. nous condamnera aux ténèbres extérieures, aux chaînes éternelles, au ver qui ronge et envenime tout ensemble, et au grincement de dents. Et il est bien juste qu’après que tant de grâces et de faveurs n’ont pu vous rendre meilleurs, vous enduriez ces derniers et ces horribles supplices..

Elie autrefois a ouvert et fermé le ciel, mais ce n’était que pour faire descendre ou pour arrêter la pluie. Dieu vous ouvre maintenant les cieux, mais c’est pour vous y faire monter; et non seulement afin que vous y montiez, mais, ce qui est encore plus, afin que, si vous le voulez, vous y fassiez aussi monter les autres, tant est grande la bonté avec laquelle il vous traite et la puissance qu’il vous donne sur tout ce qui est à lui. Puis donc que c’est là qu’est notre maison et notre patrie, mettons-y en dépôt tout ce que nous possédons, et ne laissons rien ici-bas, de peur de le perdre.

Quand vous tiendriez ici vos trésors enfermés sous cent clés et sous cent verroux, et gardés par des milliers de serviteurs; quand vous auriez évité tous les piégea de vos ennemis et tous les artifices de vos envieux, quand la rouille épargnerait vôtre argent, quand la longueur du temps ne porterait aucune atteinte à (95) tout ce que vous possédez; quand, dis-je, tout cela arriverait, ce qui est impossible, vous n’éviterez jamais la mort, vous n’empêcherez jamais qu’elle ne vous ravisse tout votre bien en un moment, et peut-être même qu’elle ne le fasse passer entre les mains de vos plus grands ennemis. Mais si vous mettez en dépôt de bonne heure toutes vos richesses dans le ciel, vous vous mettrez au-dessus de tous ces maux. Il n’est point besoin en ce lieu ni de portes, ni de serrures, ni de verroux. La ville où l’on vous appelle est si assurée, elle est un asile si inviolable et si inaccessible à toute la malignité de l’envie, que votre dépôt n’y pourra périr.

5. N’est-ce donc pas un étrange aveuglement, d’amasser et de garder tant de trésors dans un lieu où ils se corrompent, et de n’en pas confier la moindre partie à un autre lieu où ils ne se peuvent perdre et où ils s’augmentent même beaucoup, alors surtout que nous savons que c’est en ce lieu que nous devons vivre pour jamais? De là vient que les païens ne croient rien de tout ce que nous leur disons, parce qu’ils veulent reconnaître la vérité de notre religion, non par nos paroles, mais par nos actions et par la conduite de notre vie. Lorsqu’ils nous voient occupés à bâtir des maisons magnifiques, à embellir nos jardins, à faire faire des bains délicieux et à acheter de grandes terres, ils ne peuvent croire que nous nous regardions ici comme des étrangers qui se préparent à quitter la terre pour aller vivre en un autre lieu. Si cela était ainsi, disent-ils, ils vendraient tout ce qu’ils ont ici et l’enverraient par avance au lieu où ils désirent d’aller. Voilà la manière dont ils raisonnent, en considérant ce qui se passe tous les jours dans le monde. Car nous voyons que les personnes riches achètent des maisons principalement dans les villes et dans les lieux où ils croient qu’ils doivent passer leur vie.

Nous faisons nous autres tout le contraire. Nous nous tuons, et nous consumons tout notre temps et tout notre bien pour avoir quelques champs et quelques maisons sur cette terre où nous nous croyons étrangers et que nous devons bientôt quitter, et nous ne donnons pas même de notre superflu pour acheter le ciel, quoique nous puissions le faire avec si peu d’argent, et que l’ayant acheté une fois, nous devions le posséder éternellement.

C’est pour cela que, sortant de cette vie tout pauvres et tout nus, nous serons punis du plus grand supplice, et nous tomberons dans cet extrême malheur, non-seulement pour avoir vécu dans cette indifférence, mais encore pour avoir rendu les autres semblables à nous. Car, lorsque les païens voient que ceux qui ont part à de si grands mystères sont si passionnés pour les choses présentes, ils s’y attachent eux-mêmes bien plus fortement; et ainsi : « Ils amassent, » comme dit saint Paul, «des charbons de feu sur notre tête. » (Rom. XII, 10.) Que si nous leur apprenons ainsi à désirer avec plus d’ardeur les choses de la terre, nous qui devrions leur apprendre à les mépriser, comment pourrons-nous être sauvés, puisque nous mériterons d’être perdus, pour cela même que nous aurons contribué à perdre les autres?

Ne savez-vous pas que Jésus-Christ dit que nous devons être «le sel et la lumière du  monde »; le sel pour conserver ceux qui se corrompent par les délices, et la lumière pour éclairer ceux qui s’aveuglent par l’amour des biens d’ici-bas? Lors donc qu’au lieu de les éclairer, nous augmentons leurs ténèbres, et qu’au lieu de les préserver de la corruption, nous les corrompons, quelle espérance nous reste-t-il de notre salut? Certes, mes frères, il ne nous en reste aucune, et nous ne devons nous attendre qu’à nous voir lier les pieds et les mains, pour être jetés dans l’enfer, où le feu nous dévorera, après que l’amour de l’argent nous aura déchirés et consumés sur la terre.

Considérons ces choses, mes frères, et rompons les liens de cette erreur qui nous trompe, pour ne pas tomber dans des fautes qui nous conduiront au feu éternel; car celui qui est esclave de l’argent, est chargé de chaînes dès cette vie et s’en prépare d’éternelles pour l’autre. Mais celui qui se dégage de cette passion sera libre et durant sa vie et après sa mort. C’est dans cette liberté que je prie Dieu de nous établir, afin que, brisant le joug si pesant de l’avarice, nous puissions trouver dans la charité des ailes qui nous élèvent jusqu’au ciel, par la grâce et la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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