Matthieu 8,14-15

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HOMÉLIE XXVII

« OR JÉSUS ÉTANT DANS LA MAISON DE PIERRE, VIT SA BELLE-MÈRE QUI ÉTAIT AU LIT ET AVAIT LA FIÈVRE. — IL LUI TOUCHA LA MAIN ET LA FIÈVRE LA QUITTA, ET, S’ÉTANT LEVÉE, ELLE LES SERVAIT. » (CHAP. VIII, 14, 15.)

ANALYSE

1. Ce qu’il y a de plus miraculeux dans la guérison de la belle-mère de saint Pierre, ce n’est pas qu’elle fut guérie tout à coup, mais c’est qu’elle le fut entièrement et sans avoir besoin de convalescence.

2. Ce n’étaient pas seulement les miracles que faisait le Christ qui attiraient à lui les hommes, mais sa seule vue était pleine de grâces et charmait les âmes. Speciosus forma prae filiis hominum. (Ps. XLIV, 3.) Douceur de Jésus-Christ.

3. Jésus-Christ faisait ses réponses selon la pensée secrète de ceux qui l’interrogeaient.

4 et 5. Exhortation. II faut préférer le salut à toutes choses. Qu’il n’y a rien de si effroyable que la mort de l’âme. Qu’un pécheur est sans comparaison plus mort que ne sont les morts enfermés dans le tombeau.


 

1. Saint Marc voulant marquer la promptitude de cette guérison, ajoute ce mot, « aussitôt; » ce que saint Matthieu ne rapporte pas, se contentant d’avoir marqué le miracle. Saint Luc dit aussi que cette femme malade pria Jésus-Christ de la guérir; ce que saint Matthieu a omis encore. Tout cela néanmoins ne prouve pas que les évangélistes se combattent; mais seulement que les uns ont voulu être plus courts, et les autres, rapporter les choses plus exactement.

Mais pourquoi Jésus-Christ allait-il dans la maison de saint Pierre? Je crois que c’était pour y manger; et l’évangéliste le fait assez voir, lorsqu’il dit que cette femme, après qu’elle fut guérie, « se leva et les servit. » Car Jésus-Christ allait ainsi manger chez ses disciples, comme on le voit encore par saint Matthieu, chez qui il alla, lorsqu’il l’appela pour être apôtre : ce qu’il faisait afin d’honorer ainsi ses disciples, et de les rendre plus ardents le servir. (224)

Remarquez ici le profond respect de saint Pierre pour son Maître. Quoiqu’il eût chez lui sa belle-mère malade d’une fièvre dangereuse, il ne le pria point de la venir voir. Il attendit qu’il eût achevé ce long discours de la montagne, et qu’il eût guéri tous les autres malades qui se présentaient à lui de toutes parts. C’est seulement lorsque le Seigneur entre dans le logis de l’Apôtre que celui-ci le prie enfin de guérir sa belle-mère. Tant il était instruit dès lors à préférer le bien des autres à ses propres intérêts

Ce n’est pas saint Pierre qui prie le Sauveur de tenir chez lui. C’est le Sauveur qui y vient de lui-même; et un moment après que le centenier eut dit: « Je ne suis pas digne, Seigneur, que vous entriez chez moi, afin de témoigner jusqu’à quel point il voulait favoriser son disciple. Et quoiqu’il soit, aisé de juger quelles pouvaient être les maisons de ces pauvres gens qui n’étaient que des pêcheurs, Jésus-Christ néanmoins ne laisse pas d’aller clans ces cabanes, pour nous apprendre toujours à fouler aux pieds le faste et la vanité.

Il est remarquable que Jésus-Christ guérit quelquefois les malades par sa seule parole, quelquefois il étend sa main, quelquefois il joint les deux ensemble, pour rendre la guérison plus sensible Il ne voulait pas agir toujours si souverainement; et si divinement dans ses miracles. Il avait besoin de se cacher pour un temps, principalement à l’égard de ses apôtres, de peur que l’excès de leur joie ne leur fît dire à tout le monde ce qu’il était. C’est pourquoi nous voyons qu’après s’être transfiguré devant eux sur la montagne du Thabor, il leur défendit de dire à qui que ce fût ce qu’ils avaient vu.

Il touche donc ici la main de cette femme malade, et non seulement il éteint l’ardeur de sa fièvre, mais il la rétablit même tout d’un coup dans une santé parfaite. Comme la maladie était tout ordinaire, il voulut au moins signaler sa puissance en la guérissant comme l’art des médecins n’aurait pu le faire. Vous savez en effet que, même après l’a cessation de la fièvre, il faut encore beaucoup de temps pour que les malades recouvrent toutes leurs forces. Mais ce double effet, Jésus-Christ l’opéra dans le même moment; il fit quelque chose de semblable lorsqu’il apaisa la mer. Non seulement il arrêta les vents et la tempête, mais il calma soudain jusqu’au mouvement des flots, phénomène opposé aux lois de la nature, puisque, même après que la tempête a cessé, le mouvement qu’elle a imprimé aux ondes coMmue encore fort longtemps. La parole de Jésus-Christ fit donc en un instant ce que la nature ne fait que peu à peu. C’est encore ce qui arriva au sujet de cette femme, comme l’atteste l’Evangile « Elle se leva, »dit-il, « et les servit; ce qui nous montre d’un côté la. souveraine puissance de Jésus-Christ dans ses miracles, et de l’autre, la disposition de cette femme, et le grand zèle qu’elle avait pour Jésus-Christ.

Nous apprenons encore en ce miracle que Jésus-Christ accorde quelquefois la guérison de quelques personnes à la foi des autres. Car nous voyons ici que saint Pierre prie pour sa belle-mère, comme le centenier avait prié pour son serviteur. Ce n’est pas que Jésus-Christ dispensât ceux qu’il guérissait de croire en lui; mais parce que ou l’âge encore trop tendre les empêchait de venir à lui, ou que l’ignorance où ils étaient ne leur permettait pas d’avoir de lui des sentiments assez relevés, il suppléait à ce qui manquait au malade parla foi de ceux qui priaient pour lui.

« Le soir étant venu, ils lui présentèrent plusieurs possédés et il chassa d’eux les malins esprits par sa parole, et guérit tous ceux qui étaient malades (16). Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Il a pris sur lui nos langueurs, et il s’est chargé de nos maladies (17).» Remarquez comme la foi de ce peuple s’est déjà accrue. La nuit même ne peut les porter à se retirer, et ils ne craignent point, d’importuner Jésus-Christ en lui amenant si tard leurs malades. Et je vous prie de considérer quelle foule de miracles les évangélistes nous rapportent en un mot. Car ils ne s’arrêtent plus à rapporter chaque guérison en particulier; mais ils en marquent comme en passant un nombre prodigieux. Et de peur que ce prodige ne parût incroyable à cause de sa grandeur même, puisqu’une multitude innombrable fut guérie en un moment de tant de différentes maladies, l’évangéliste rapporte la parole du prophète lsaïe, qui avait rendu témoignage si longtemps auparavant de ces merveilles qu’on voyait alors. Par là il nous apprend comme il fait partout ailleurs, qu’une preuve tirée des paroles de l’Ecriture, n’a pas moins d’autorité qu’en ont les miracles. C’est dans cette vue qu’il rapporte cet endroit (225) d’Isaïe : « Il a pris sur lui nos langueurs, et il s’est chargé de nos maladies. » (lsaïe, LIII, 4.) Il ne dit pas qu’il les a dissipées, ou qu’il les a guéries; mais qu’il « les a prises sur lui, et qu’il s’en est chargé lui-même. » Ce que le Prophète a, selon moi, particulièrement entendu de nos péchés, et dans le même sens que saint Jean dit: « Voilà l’Agneau de Dieu, voilà Celui qui porte le péché du monde. » (Jean, I, 28.)

2. Pourquoi donc, me direz-vous, l’évangéliste applique-t-il cette même parole aux maladies du corps? C’est ou parce qu’il a pris ce passage simplement à la lettre, ou plutôt parce qu’il a voulu nous marquer que la plupart des maladies corporelles, tirent leur source de celles des âmes. Car si la mort, qui est le dernier et le plus grand de tous les maux, ne vient que de cette racine, faut-il s’étonner si les autres en sortent aussi comme de leur tige?

« Mais Jésus voyant autour de lui une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples, de passer à l’autre bord (18). » Vous voyez partout combien Jésus-Christ est éloigné de tirer vanité de ses miracles. Car les autres évangélistes remarquent ici qu’il défendait au démon de dire qui il était, et saint Matthieu écrit qu’il renvoya le peuple; ce qu’il faisait d’un côté pour nous donner un exemple d’humilité, nous avertissant de ne rien faire pour la vaine gloire ; et pour adoucir de l’autre l’envie que les Juifs avaient contre lui. Car il n’avait pas seulement soin de guérir les corps, et il en avait bien plus de sauver les âmes, et de les porter à la vertu. Il se révélait de deux manières, et en guérissant miraculeusement les maladies, et en ne faisant rien par le désir de la gloire. Il renvoie donc ce peuple qui s’attachait à sa personne par le lien de l’amour et de l’admiration, et qui ne souhaitait rien tant que de toujours jouir de sa vue et de sa présence. En effet, qui aurait pu quitter un homme qui faisait tant de miracles? Qui n’aurait désiré de voir seulement ce visage, et de contempler cette bouche d’où sortaient des paroles si divines? Car il n’était pas seulement admirable par les prodiges qu’il faisait, mais sa seule vue et sa seule présence répandait la joie et la grâce dans ceux qui le regardaient. C’est pourquoi le Prophète dit de lui: « Votre beauté surpasse la beauté « de tous les hommes. » (Ps. XLIV, 3.) Et ce que dit lsaïe : « Qu’il n’avait ni forme ni beauté (Is. LIII, 6), » ne se doit entendre qu’en comparant son humanité à la gloire ineffable de sa divinité; ou en le considérant dans le moment de sa passion, où il fut déshonoré et défiguré d’une manière si horrible; ou pour marquer l’état simple et pauvre dans lequel il a passé toute sa vie.

Jésus-Christ ne commande à ses disciples de passer à l’autre bord, qu’après qu’il a guéri tous ceux qui étaient là. Ils eussent eu trop de regret de le quitter, s’il n’eût satisfait à toutes leurs prières. C’est tout ce qu’ils peuvent faire après même qu’il a guéri leurs malades. Sur la montagne, ces gens n’étaient pas seulement, restés immobiles autour de lui pendant qu’il parlait, mais encore ils l’avaient suivi lorsqu’il eut cessé de parler; de même ici ils demeurent encore auprès du Sauveur, alors qu’ils n’ont plus de miracles à voir ni à attendre, uniquement retenus par le bonheur de contempler sa face divine. Car si le visage de Moïse était tout brillant de gloire, et si celui de saint Etienne paraissait comme le visage d’un ange, quel a dû être le visage de Ce. lui qui a été le Seigneur de l’un et de l’autre?

Peut-être que quelques-uns de vous souhaiteraient de voir le Sauveur tel qu’il était alors. Mais si nous le voulons, mes frères, nous verrons cette divine face dans un éclat sans comparaison plus grand. Si nous vivons ici-bas comme nous devons, nous verrons ce même Sauveur au milieu des airs, nous irons au-devant de lui pour le recevoir sur les nuées revêtus d’un corps immortel et incorruptible.

Mais considérez, je vous prie, qu’il ne renvoie pas simplement ce peuple, ce qui aurait pu lui faire de la peine. Il ne dit pas: retirez-vous , allez-vous-en, mais il donne seulement à ses disciples l’ordre de passer sur l’autre bord, laissant espérer à la foule qu’elle le retrouverait là.

Mais pendant que ces multitudes témoignaient tant d’affection, et un si grand zèle pour Jésus-Christ, un homme possédé de l’amour de l’argent et du désir de la gloire s’approcha de lui, et lui dit : « Maître, je vous suivrai en quelque lieu que vous alliez (19).» Remarquez l’orgueil de cet homme. Il dédaigne d’être du commun du peuple, et il s’approche de Jésus-Christ à part, comme un personnage d’importance et qui ne vent pas être confondu avec la foule. On reconnaît bien là le caractère juif, plein de liberté et de hardiesse (226). Et nous en verrons bientôt un autre élever la voix du milieu d’une assemblée silencieuse, pour faire à contre-temps cette question à Jésus-Christ : « Maître, quel est le premier commandement de la loi? » (Matth. XXII, 36.) Cependant Jésus-Christ ne le reprit point, de cette liberté indiscrète, pour nous apprendre à souffrir nous-mêmes l’importunité de ces personnes.

Nous voyons aussi qu’il ne reprend pas ouvertement ceux qui s’approchent de lui avec une mauvaise volonté. Il se contente de répondre à leurs pensées, d’une manière qui leur fait assez connaître qu’il voit et qu’il condamne le fond de leur coeur. Ainsi il leur procure un double avantage : premièrement il leur fait connaître qu’il pénètre le secret de leurs pensées; ensuite il épargne leur pudeur, en ne découvrant point aux autres leur vanité qu’ils tiennent cachée, et leur donnant lieu néanmoins, s’ils le veulent, de s’en corriger eux-mêmes.

On peut voir ici un bel exemple de cette sage conduite. Car cet homme voyant les grands miracles que faisait le Fils de Dieu, et que tout le monde venait à lui, crut que c’était là un excellent moyen pour s’enrichir. C’est ce qui lui inspira le désir de le suivre. La réponse du Sauveur est une preuve de ce que je dis. Car il répond moins aux paroles de cet homme, qu’à la pensée de, son coeur. Vous vous imaginez, dit-il, que vous amasserez beaucoup d’argent en me suivant; et vous ne voyez pas que je n’ai pas seulement comme les oiseaux un petit abri pour me retirer. « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête (20). » Il ne rejetait pas ce disciple en lui parlant de la sorte. Il reprenait seulement son désir secret, et lui laissait la liberté de le suivre, s’il voulait vivre aussi pauvrement que lui. Voyez la mauvaise disposition de cet homme, jugez-en par sa conduite; lorsqu’il a entendu ces paroles, et qu’il s’est senti pénétré et ,condamné, il se garde bien de dire: je suis tout prêt à vous suivre.

3. Jésus-Christ a souvent usé de cette même conduite. Il ne reprochait point ouvertement leurs crimes à ceux qui lui parlaient; mais il leur faisait connaître par ses réponses quel était le fond de leur coeur. C’est ainsi qu’il agit envers cet homme qui l’appelait « bon Maître, » et qui espérait par cette flatterie de se le rendre favorable. Il lui répondit selon la pensée qu’il lui voyait dans le coeur: « Pourquoi, » dit-il, « m’appelez-vous bon, puisqu’il n’y a personne de bon que Dieu seul? » (Matth. XII.)

C’est ainsi qu’il se conduisit encore lorsque le peuple lui dit : « Voilà votre mère et vos frères qui vous cherchent. » (Marc, III.) Comme alors ses parente agissaient humainement, et qu’ils demandaient à approcher de lui, moins pour apprendre quelque chose d’utile, que pour montrer qu’ils étaient ses proches, et tirer gloire de cet avantage, voici ce qu’il leur répondit: «Qui est ma mère, ou qui sont mes frères? » et le reste. Il traite encore ses parents de même, lorsque, pour satisfaire leur vanité, ils le portaient à s’acquérir de la réputation en lui disant : «Faites-vous connaître au monde. Votre temps, leur dit-il, est toujours prêt, mais le mien ne l’est pas encore.» (Jean, VII, 6.)

Il répond aussi à la pensée du coeur, mais pour l’approuver et non pour la reprendre, lorsqu’il dit de Nathanaël : « Voilà un véritable israélite, en qui il n’y a point de tromperie.» (Jean, I, 46.) Lorsqu’il dit aux disciples de saint Jean : « Allez et dites à Jean ce que vous avez entendu et ce que vous avez vu (Luc, VII, 9),» il ne répondait pas tant à ceux qui l’interrogeaient, qu’à la pensée de celui qui lui envoyait faire cette demande.

Jésus-Christ de plus a répondu à la pensée du peuple, lorsqu’il dit aux Juifs : «Qu’êtes-vous allés voir dans le désert?» Comme il voyait que dans leur pensée Jean n’était qu’un homme versatile et inconstant, c’est ce sentiment qu’il réfute et corrige en disant : « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert? Un roseau agité du vent? ou un homme vêtu d’étoffes délicates? » montrant par là que l’âme de ce saint avait toujours été ferme et qu’aucune volupté n’avait pu l’amollir.

C’est donc de cette même manière que Jésus-Christ répond en cet endroit, non aux paroles, mais à la pensée de cet homme qui le voulait suivre. Et considérez , avec quelle modestie il lui répond ! Il ne lui dit point : J’ai ; mais : Je méprise; il dit simplement : Je n’ai pas, parole aussi exacte que pleine de condescendance. Et de même, lorsqu’il mangeait et buvait avec les Juifs et qu’il menait une vie qui semblait toute contraire à celle de saint Jean, (227) il n’avait pour but que leur salut, ou plutôt que celui de tous les hommes. Il a voulu fermer ainsi la bouche aux hérétiques qui devaient nier un jour qu’il eût été véritablement homme et gagner par surcroît l’affection de ceux avec qui il vivait, en rendant sa vie semblable à la leur.

« Un autre de ses disciples lui dit: Seigneur, permettez-moi, avant que je vous suive, d’aller ensevelir mon père (21). » Admirez quelle différence il y a entre ces deux hommes. L’un dit hardiment: « Je vous suivrai partout où vous irez. » Et l’autre qui cependant demandait quelque chose de louable en soi, dit modestement : « Permettez-moi. » Mais Jésus-Christ ne permit pas, et voici sa réponse : « Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez aux morts le soin d’ensevelir leurs morts (22).» On voit partout que Jésus-Christ pénétrait le fond des coeurs. Mais, direz-vous, pourquoi refuser cette permission? Parce qu’il y avait d’autres personnes pour ensevelir son père, et qu’il n’était pas raisonnable que cette occupation détournât ce disciple d’une autre beaucoup meilleure. Quand il dit : «Laissez aux morts le soin d’ensevelir leurs morts, » il montre que celui-ci n’était pas de ce nombre; quant à son père, c’était apparemment un infidèle.

Que si vous vous étonnez que ce jeune homme demande permission pour s’acquitter d’un devoir si nécessaire, et qu’il ne prend pas sur lui de s’en aller sans même consulter, je vous réponds que ce qu’il faut surtout admirer, c’est que, la défense faite, il se rend et obéit docilement.

Mais n’est-ce pas une étrange ingratitude, direz-vous, de n’assister pas à la sépulture de son propre père? J’avoue que s’il l’eût fait par indifférence, c’eût été de l’ingratitude, mais s’il ne le faisait que pour ne pas interrompre une affaire plus importante, ç’aurait été au contraire une extrême folie de s’en aller malgré tout pour faire les funérailles mêmes de son père. Jésus-Christ ne fait pas cette défense pour nous apprendre à mépriser nos parents, mais pour nous faire voir que nous n’avons rien de plus important que l’affaire de notre salut; que c’est à cela que nous devons nous attacher de tout notre coeur, sans différer d’un moment à nous y appliquer, quelque pressants que soient les motifs qui s’y opposent; car quoi de plus nécessaire parmi les affaires de ce monde que d’assister aux funérailles de son père? Et tout ensemble quoi de plus facile, et qui exige moins de temps?

Si donc, mes frères, il nous est défendu de perdre aussi peu de temps qu’il en faut peur ensevelir notre père, et s’il n’est pas sûr d’interrompre pour un moment ses exercices spirituels, jugez de quels supplices nous nous rendons dignes en nous éloignant continuellement de ce qui nous pourrait approcher de Jésus-Christ, en nous amusant volontairement à des choses où nous n’avons pas le moindre prétexte de nous appliquer, et en préférant des bagatelles et des folies à notre salut.

Mais ne devons-nous pas admirer ici la conduite et la sagesse de Jésus-Christ, qui d’abord attache ce jeune homme à sa parole, et qui le délivre ainsi d’une Infinité, de maux, comme des pleurs, des cris et de tout ce que des funérailles entraînent après soi de pénible et de douloureux? Car après l’enterrement de son père, il aurait fallu ouvrir le testament, partager la succession, et faire bien d’autres choses qui suivent nécessairement la mort d’un père. Ainsi dans ce flux et reflux d’affaires, ce jeune homme se serait trouvé comme emporté dans la haute mer et bien éloigné du port de son salut. Jésus-Christ donc lui fait une grande grâce en le tirant de tous ces embarras, et le tenant attaché auprès de lui.

Que si vous continuez à croire qu’il y avait de la dureté à ne pas permettre à un fils d’assister aux funérailles de son père, je vous, prie, de considérer que tous les jours, lorsqu’on prévoit que quelqu’un serait trop douloureusement affecté de la mort d’un père ou d’un fils, ou de quelqu’autre de ses proches, on lui cèle sa mort, on laisse passer le temps de l’enterrement, et l’on attend un moment favorable pour lui dire et lui adoucir en même temps cette nouvelle. Cependant on ne croit point qu’il y ait de la dureté dans cette conduite, on croirait au contraire être cruel, de dire tout d’un coup à ces personnes ce qui devrait les accabler de douleur. Que si c’est un mal, de pleurer à l’excès la mort d’un père, et de tomber pour cette cause dans une prostration qui anéantit l’âme, combien sera-ce encore un plus grand mal, si, pour la même cause, nous nous privions de la partie spirituelle qui donne la vie? C’est pourquoi Jésus-Christ dit ailleurs:

« Celui qui met la main à la charrue et qui tourne la tête en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu. » (Luc, IX, 62.) N’est-il pas (228) plus avantageux d’annoncer le royaume de « Dieu, » et de retirer les autres de la mort, que de rendre à un mort un service qui ne peut-lui servir de rien, surtout lorsqu’il y en a d’autres qui peuvent lui rendre ce dernier devoir?

4. Ce que nous devons donc apprendre de cette conduite du Sauveur, c’est qu’il ne faut jamais perdre le moindre temps en ce qui regarde notre salut; qu’il faut préférer à toutes les affaires de ce monde, quelque nécessaires qu’elles puissent être, les occupations chrétiennes et spirituelles; et qu’il faut bien comprendre ce que c’est dans la vérité que la vie et ce que c’est que la mort. Car plusieurs paraissent vivre qui sont morts en effet, parce qu’ils vivent mal, ou plutôt dont l’état est bien pire que celui des. morts. « Celui qui est mort,» dit saint Paul, « est délivré du péché. » (Rom. VI, 7) Et l’autre au contraire, celui qui est mort spirituellement, est encore l’esclave du péché.

Ne me dites donc point: Mais on ne lui a pas fermé les yeux; il n’est pas étendu dans le sépulcre; il n’est pas enveloppé dans un, linceul; il n’est point mangé des vers. Je vous dis qu’il est mort et pire que les morts. Les vers ne mangent point son corps, mais son âme est déchirée par ses passions comme par autant de bêtes cruelles. Il a les yeux encore ouverts; mais il vaudrait mille fois mieux que la mort les lui eût fermés. Les yeux d’un homme-mort ne voient plus rien ; mais celui-ci voit tous les jours mille choses criminelles, et ses regards sont autant de flèches qui lui percent le cœur. Un mort est couché dans son sépulcre, sans vie et sans mouvement; mais celui-ci est enseveli dans ses vices, et il est lui-même son tombeau vivant.

Quelqu’un me dira peut-être : Mais nous ne voyons pas néanmoins que le corps de cet homme soit corrompu comme celui d’un mort. Il est vrai; mais c’est en cela qu’il est plus malheureux. Car son corps est sain et son âme est déjà pourrie et d’une pourriture pire que celle des corps. Ceux-ci sentent mauvais durant quelques jours, mais l’âme et la bouche de cet homme exhalent durant toute sa vie, par des paroles licencieuses, une odeur plus insupportable que celle de la fange et de la boue. Il y a encore une grande différence entre ces deux morts : l’un, celui qui ne meurt que par le corps, n’éprouve que la corruption que lui impose la loi de la nature; l’autre, qui n’est pas exempt de cette corruption-là y ajoute encore la pourriture volontaire de ses iniquités et de ses désordres, inventant chaque jour de nouveaux éléments de décomposition. Mais, dites-vous, ce mort dont vous parlez, je le vois sur un cheval magnifique ! Et qu’est-ce que cela fait? Cet autre n’est-il pas aussi sur un lit superbe? Mais voici qui est plus fâcheux: celui-ci, du moins, s’il se décompose et sent mauvais, personne ne le voit, un voile recouvre même la bière où il est enfermé; tandis que celui-là, fétide, déjà, quoique encore en vie, promène de tous côtés sa puanteur, et, comme un sépulcre toujours ouvert, porte son âme morte dans un corps vivant. Que si vous aviez des yeux pour voir l’état d’une âme plongée dans les délices et dans le péché, vous comprendriez sang peine qu’il vaut mieux sans comparaison être lié dans un drap mortuaire, que d’être garrotté avec les chaînes de ses passions, et avoir une grande pierre qui nous couvre, que d’être accablé du poids de ses crimes.

Il est donc bien juste que ceux qui sont liés de parenté avec ces sortes de morts, pleurent sur eux, puisqu’ils ne pleurent pas sur eux-mêmes. Il convient d’implorer pour eux le Sauveur comme Magdeleine le pria pour, Lazare. (Jean, XI.) Quand ce mort exhalerait déjà une extrême puanteur, quand il serait en terre depuis quatre jours, ne perdez point courage; allez, et levez d’abord cette pierre qui le couvre. Vous le verrez alors étendu dans le sépulcre, vous le verrez enveloppé d’un. linceul et de bandelettes.

Mais, pour rendre plus clair ce que nous disons, prenons pour exemple quelques-uns des grands de ce monde. Ne craignez point, je ne nommerai personne, et quand je nominerais quelqu’un, il n’y aurait rien à craindre. Car- qui pourrait craindre un homme mort? Quoi qu’il fasse, il est toujours mort; et ainsi il ne peut faire aucun mal à ceux qui vivent. Je dis donc qu’il m’est aisé de vous faire voir, en vous dépeignant tel qu’il est, l’un de ces grands du monde, qui est véritablement mort. Premièrement sa tête est couverte d’un suaire. Puisqu’il est toujours dans l’ivresse, n’est-il pas vrai que les vapeurs du vin sont comme des enveloppes et des bandelettes qui tiennent sa tête et sa raison liée, et lui interdisent l’usage de, l’esprit et même des sens? (229) Considérez ensuite comme il a les mains. Vous les verrez attachées à son ventre, non avec des bandes comme celles des morts; mais ce qui est encore plus horrible, avec les chaînes de l’avarice, qui les empêchent de s’étendre pour faire l’aumône, et qui les rendent plus immobiles et plus mortes pour les bonnes œuvres que celles des morts. Voulez-vous voir

aussi comme ses pieds sont liés? Vous n’avez qu’à considérer cette foule d’affaires, dont il est accablé sans cesse, qui ne lui permettent pas d’aller à l’église pour adorer Dieu. Je vous ai fait voir le mort; voyez maintenant l’ensevelisseur. Quel est-il l’ensevelisseur de ces morts.? Il n’est pas autre que le diable; c’est lui qui les enveloppe et les bande avec tant de soin, qu’un homme ne paraît plus un homme, mais seulement un morceau de bois sec. Là, en effet, où l’on ne voit plus d’yeux, plus de mains, plus de pieds, aucun membre, pourrait-on voir l’homme et l’apparence même de l’homme? Eh bien! telle est l’âme de ces hommes: elle est tellement enveloppée et si bien bandée qu’on ne voit plus qu’une idole au lieu d’une âme.

Puis donc, mes frères, que ces hommes sont aussi insensibles que des morts, allons nous adresser à Jésus-Christ pour le prier de les ressusciter. Otons cette pierre qui les couvre, et rompons ces bandes et ce drap mortuaire qui les lie. Car si vous pouvez leur ôter cette pierre qu’ils ont sur le coeur, c’est-à-dire cette insensibilité dans laquelle ils vivent, vous les ferez sortir aisément de leurs tombeaux.; et lors. qu’ils en seront sortis, vous les délierez sans peine. Jésus-Christ commencera alors à connaître ce mort, lorsqu’il sera sorti du sépulcre, et qu’il sera délié, et il l’invitera à sa table.

Vous donc qui êtes les amis de Jésus-Christ; vous tous qui êtes ses disciples; vous tous qui aimez-ce mort, courez à Jésus, et priez-le pour celui qui est sans vie et sans mouvement. Car encore que ces morts répandent une puanteur détestable, nous ne devons pas néanmoins nous éloigner d’eux. Nous devons au contraire nous en approcher davantage, et imiter ces saintes soeurs de Lazare, qui ne cessèrent point de prier pour leur frère, jusqu’à ce qu’elles le virent ressuscité. Si nous témoignons à Dieu ,ce soin pour notre salut et pour celui de nos frères, il nous comblera enfin du bonheur de l’autre vie, dont je le prie de nous faire jouir, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (230)

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