Matthieu 10,23 -34

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Matthieu 27,62- 28,11
Matthieu 28, 11-20

HOMÉLIE XXXIV

 

ALORS DONC QU’ILS VOUS PERSÉCUTERONT DANS UNE VILLE, FUYEZ DANS UNE AUTRE. JE VOUS DIS EN VÉRITÉ QUE VOUS N’AUREZ PAS ACHEVÉ DE PARCOURIR TOUTES LES VILLES D’ISRAËL, QUE LE FILS DE L’HOMME NE SOIT VENU. » (CHAP. X, 23, JUSQU’AU VERSET 34)

ANALYSE

1. Le Christ propose son exemple à ses apôtres pour leur apprendre à supporter courageusement les injures.

2. Si nous le voulons, nous ne serons pas vaincus.

3. Celui qui confesse Jésus-Christ, le fait par la force que lui châtiments. Dieu dispense plus volontiers les biens que les châtiments.

4. Des maux qui s’ensuivraient si les corps ne se corrompaient point après la mort.

5. Rien de plus beau qu’une belle âme.


 

l. Après tant de prédictions pleines de terreur que Jésus-Christ vient de faire à ses apôtres, prédictions qui pouvaient abattre les coeurs les plus fermes, après ce déluge de maux qui devait fondre sur eux, lorsqu’après être mort sur une croix, leur Maître serait ressuscité et monté au ciel, il passe à des choses moins pénibles et moins dures, pour donner lieu à ses nouveaux soldats de reprendre un peu leurs esprits, et pour les rassurer contre la crainte. Car il ne leur commande pas d’aller attaquer eux-mêmes et d’irriter leurs persécuteurs, mais de les fuir.

Comme ils étaient faibles et qu’ils ne faisaient que débuter dans l’apostolat, il use d’une grande condescendance. Il ne leur parle point encore des persécutions qui devaient suivre sa passion, mais seulement de celles qui la devaient précéder. Il marque cela formellement lorsqu’il dit: « Je vous dis en vérité que vous n’aurez pas achevé de parcourir toutes les villes d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. » Il semble qu’il les veuille prévenir et les empêcher de dire : Mais si, lorsque nous aurons fui d’une ville dans une autre, nos persécuteurs nous y viennent encore chercher, que devrons-nous faire? Il les délivre de cette crainte en les assurant qu’ils n’auraient point achevé de parcourir toutes les villes de la Judée « avant que le Fils de l’homme soit venu. »

Il est remarquable aussi que Jésus-Christ ne veut point dispenser ses disciples de souffrir, mais qu’il leur promet seulement de les assister dans leurs périls et dans leurs travaux, Il ne leur dit pas : Je vous retirerai de toutes ces persécutions, mais: « Vous n’aurez u point achevé de parcourir toutes les villes « d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. »Je viendrai, leur dit-il, parce que sa seule vue leur suffisait pour les consoler de toutes leurs peines.

Considérez aussi comment il ne laisse pas tout faire à sa grâce; mais qu’il veut que ses apôtres travaillent, et qu’ils contribuent de leur part. Si vous craignez, leur dit-il, fuyez et ne craignez plus. Il ne leur commande pas de fuir les premiers et de leur propre mouvement, mais d’attendre qu’on les y force, et de se retirer lorsqu’on les y oblige. Il ne leur donne pas même une grande étendue de terre pour y chercher leur sûreté, mais seulement les pays de la Judée.

Il les excite ensuite à pratiquer encore une autre vertu. Après les avoir dégagés du soin de la nourriture; après les avoir délivrés de la crainte des périls, il les fortifie maintenant contre les médisances et les calomnies. Il les a dégagés de tous les soins qu’apporte la nourriture, en leur disant : « Celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse, » en les assurant que plusieurs les recevraient chez eux. Il leur (280) a ôté la crainte des périls lorsqu’il leur a dit : « Ne vous mettez point en peine de ce que vous direz ou comment vous répondrez; » et en les assurant que « celui-là sera sauvé «qui persévérera jusqu’à la fin. » Mais parce qu’il prévoyait qu’ils passeraient ‘pour des méchants et des séducteurs, ce qui paraît à quelques-uns la chose du monde la plus insupportable, il les fortifie contre cette crainte par son exemple, en les faisant ressouvenir de ce qu’on avait dit contre lui, ce qui était la plus grande consolation que ce divin Maître pût laisser à ses disciples. Ainsi comme lorsqu’il leur avait dit auparavant: « Tout le monde  vous haïra, » il ajoute aussitôt : « à cause de « mon nom; » il les console ici de même, mais en ajoutant une nouvelle raison. Voici ce qu’il dit : « Le disciple n’est pas plus que le maître, ni l’esclave plus que son seigneur (24). C’est assez pour un disciple d’être comme son maître, et pour un esclave d’être comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plutôt traiteront-ils de même ceux de sa maison (25)? » Il fait voir clairement dans ces paroles qu’il est Dieu, et Créateur de toutes choses. Quoi donc! me direz-vous, n’y a-t-il jamais de disciple qui soit plus grand que son maître, ni d’esclave qui soit plus estimable-que son seigneur? Non, le disciple en tant que disciple, l’esclave en tant qu’esclave n’est jamais plus grand que son maître selon l’ordre naturel des choses. Ne me citez pas ici quelques exceptions fort rares, raisonnez d’après la règle générale.

Remarquez aussi qu’il ne dit pas: « S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plus traiteront-ils de même » ses esclaves? mais ceux de sa maison, usant de ce terme pour montrer l’affection qu’il avait pour eux; comme il fait encore ailleurs en leur disant:

« Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous ai commandé; » et: « Je ne vous donnerai plus le nom d’esclaves, mais d’amis. » (Jean, XV, 14, 15.) Il ne leur dit pas en général qu’on a outragé le père de famille, mais il marque en particulier l’injure, en disant qu’on l’a appelé Béelzébub. Il joint à cela une troisième consolation plus grande que les deux premières; parce que, comme ils n’étaient pas encore élevés à une haute vertu, il avait besoin de les exciter par des considérations plus sensibles. C’est ce qu’il fait ici par une sentence qui semble générale et universelle, mais qu’il ne faut entendre néanmoins que du sujet auquel Jésus-Christ l’applique.

« Ne les craignez donc point. Car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu (26). »Il leur dit par là: Il vous doit suffire pour votre consolation que moi, qui suis votre Maître et votre Seigneur, j’ai bien voulu passer le premier, par les mêmes outrages que vous aurez à souffrir. Si cela ne vous, suffit pas pour adoucir votre douleur, considérez au moins que dans peu de temps vous serez délivrés de ces faux soupçons. Car de quoi vous affligez-vous? Est-ce de ce qu’on vous appelle des séducteurs et des imposteurs? mais attendez un peu, et vous verrez tout le monde reconnaître et publier hautement que vous êtes les sauveurs de toute la terre.

Le temps découvre enfin ce qui est le plus caché. Il fera connaître un jour votre innocence, et la malice de ceux qui vous calomnient; Quand on verra par vos actions que vous êtes la lumière du monde, que vous comblez de grâces tous les hommes, et que vous éclaterez en toutes sortes de vertus, on ne s’arrêtera plus alors aux discours de vos calomniateurs; mais on jugera de vous selon la vérité. Vos ennemis passeront publiquement pour des imposteurs, pour des médisants, pour des âmes noires et malignes, et votre vertu sera plus éclatante que le soleil. Votre réputation se répandra et se publiera dans toute la terre, et tous les hommes seront les témoins de vos grandes actions. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux que je vous prédis maintenant, mais fortifiez-vous par l’espérance des biens à venir. Car remplissant la mission à laquelle je vous destine, il est impossible que vous demeuriez éternellement dans l’obscurité.

2. Après donc que Jésus-Christ a délivre ses apôtres de toute crainte et de toute inquiétude, et qu’il les a élevés au-dessus de la calomnie, il les porte maintenant à témoigner une grande liberté dans la prédication de l’Evangile.

« Dites dans la lumière ce que je vous dis dans l’obscurité; et prêchez sur le haut des maisons ce qui vous aura été dit à l’oreille (27). » Quoique Jésus-Christ ne dît point ceci aux apôtres dans les ténèbres, et qu’il ne leur parlât point à l’oreille, il use néanmoins de (281) cette expression par une espèce d’hyperbole. Comme il leur parlait à eux seuls, et dans un petit coin de la Judée, il dit qu’il leur parlait dans l’obscurité et à l’oreille, en comparaison de cette liberté qu’il leur devait donner un jour dans la prédication de sa parole. Car tous n’annoncerez pas, dit-il, mon Evangile à une, à deux ou trois villes seulement, mais généralement à toutes les parties du monde; vous traverserez les terres et les mers, les pays habités et inhabités; vous prêcherez devant les rois et devant les peuples; vous enseignerez les philosophes et les orateurs, et vous leur parlerez avec une fermeté et une assurance qui leur donnera de la terreur. Il se sert de ces mots : « Qu’ils prêcheront sur le haut des maisons, et dans la lumière, » pour marquer cette hardiesse sainte avec laquelle ils devaient parler.

Mais ne suffisait-il pas de leur dire : « Prêchez sur le haut des maisons et dans la lumière?» Pourquoi ajoute-t-il: « Ce que je vous ai dit à l’oreille et dans les ténèbres, » sinon pour leur élever l’esprit, et les rendre capables de ses grands desseins? C’est ainsi qu’il leur dit dans saint Jean: « Celui qui croit en moi fera les mêmes oeuvres que je fais, et en fera même de plus grandes. » (Jean, XIV, 1.) Il montre ici de la même manière qu’il ferait tout par eux, et plus encore qu’il n’avait fait par lui-même. J’ai commencé, leur dit-il, j’ai marqué la première trace, et j’ai comme ébauché les choses; mais je veux par vous achever le reste.

Cette parole au reste n’est pas seulement un commandement, c’est encore une prédiction; c’est la parole d’un homme sûr que ce qu’il dit s’accomplira, et qui affirme aux apôtres qu’ils triompheront de toutes les difficultés, et qui, en leur montrant le succès, détruit doucement mais sûrement l’angoisse que leur causait la prévision des calomnies auxquelles ils seraient en butte. Il semble qu’il leur disait : Comme la prédication de l’Evangile, qui jusqu’ici a été cachée et secrète, remplira néanmoins toute la terre; de même ces calomnies que vos ennemis publieront de toutes parts contre vous, se dissiperont bientôt et s’évanouiront comme des songes. Après les avoir ainsi fortifiés, il leur prédit encore de plus grands périls. Mais il leur inspire en même temps un si grand courage, qu’il met leur âme au-dessus de tous les maux.

« Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer (28). » Considérez, mes frères, combien Jésus-Christ élève ses disciples, non-seulement au-dessus des soins, des inquiétudes, des périls et des pièges, des médisances et des calomnies, mais au-dessus de la mort même, qui est la chose de toutes la plus terrible, et non-seulement de la mort, mais de la mort la plus sanglante et la plus cruelle. Il ne leur dit point: On vous tuera. Il use d’une expression plus douce et moins effrayante : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme, mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer. »

Il use souvent de cette conduite, et il ménage tellement la pensée des hommes, qu’il leur fait conclure tout le contraire de ce qu’ils croyaient. Vous craignez la mort, leur dit-il, et cette crainte vous fait appréhender de prêcher mon Evangile. Mais c’est au contraire, parce que vous craignez la mort, que vous devez prêcher hardiment, puisqu’il n’y a que cette hardiesse sainte qui vous puisse délivrer de la véritable mort. Vos ennemis vous peuvent tuer, mais quelques efforts qu’ils fassent, ils ne peuvent vous toucher dans la plus noble partie de vous-mêmes. C’est pourquoi il ne dit pas seulement de ces ennemis qu’ils ne tuent point l’âme, mais « qu’ils ne la peuvent tuer, » pour montrer que quand ils le voudraient ils ne le pourraient pas. Si donc vous craignez les tourments des hommes, craignez encore plus ceux dont Dieu vous menace dans l’enfer.

Vous voyez encore ici que Jésus-Christ ne promet point à ses disciples de les délivrer de la mort, et qu’il les abandonne à la violence des hommes; mais qu’il leur promet une grâce plus grande que la délivrance même de la mort, puisque c’est beaucoup plus de persuader à un homme de mépriser la mort, que de le délivrer de la mort. Ainsi Jésus-Christ n’abandonne pas ses apôtres aux périls, mais il leur donne un courage plus grand que tous les périls.

Il établit ici en passant la vérité de l’immortalité de l’âme; et il imprime par ce peu de paroles dans l’esprit de ses disciples une doctrine salutaire qui les devait fortifier contre (282) tous les maux. Mais pour les consoler d’une autre manière, et pour les empêcher de se croire abandonnés de Dieu, en se voyant dans les périls, dans les tourments et dans la mort même, il les instruit encore et les assure de sa providence dans la suite.

« N’est-il pas vrai qu’on a deux passereaux « pour une obole? et néanmoins aucun d’eux « ne tombe sur la terre sans la volonté de « votre père (29). Les cheveux mêmes de votre « tête sont tous comptés (30).» Qu’y a-t-il de plus vil « que ces petits passereaux ? » leur dit-il, et cependant on n’en prend pas un sans que Dieu le sache. II ne dit pas que c’est Dieu qui les fait tomber sur la terre : cela serait trop indigne de la majesté divine; mais il déclare seulement que cela ne se fait point sans sa connaissance. Que si Dieu n’ignore rien de tout ce qui arrive; et s’il vous aime avec encore plus de tendresse que les pères n’aiment leurs enfants, et jusqu’à tenir compte de tous vos cheveux, que devez-vous craindre? Jésus-Christ parle de la sorte, non que Dieu compte effectivement le nombre de leurs cheveux; mais seulement pour faire voir jusqu’où va son soin et sa vigilance sur ceux qui le servent. Puis donc qu’il connaît tout, et qu’il peut et veut vous sauver, lorsque vous souffrirez quelque chose, ne croyez point que ce soit parce qu’il vous abandonne. Car son dessein n’est pas de vous délivrer des maux du corps, mais de vous apprendre à les mépriser, parce que ce ne sont plus des maux quand on les méprise.

3. « Et ainsi ne craignez point: vous valez beaucoup mieux qu’un grand nombre de passereaux (31). » Vous voyez, mes frères, comme il arrête leur crainte. Car il pénétrait le secret de leurs pensées. C’est pourquoi il dit : « Ne les craignez donc point. » S’ils ont quelque avantage sur vous, ce ne sera que sur la plus faible et sur la plus vile partie de vous-mêmes, sur le corps, qui mourrait de lui-même par une mort toute naturelle, si on ne la prévenait par une autre plus glorieuse. Ainsi ce ne seront point proprement vos ennemis qui vous feront mourir : ce sera plutôt la nature qui leur cédera son pouvoir. Que si vous craignez un homme qui a cette puissance, combien devez-vous plus craindre celui qui peut perdre l’âme et le corps, en les jetant dans l’enfer? Il ne dit pas clairement que ce soit lui qui ait cette puissance de perdre l’âme et le corps en les jetant dans l’enfer, mais il est aisé de tirer cette conséquence par ce qui précède, puisqu’il déclare qu’il est le juge du monde.

Cependant, mes frères, nous faisons le contraire de ce que Jésus-Christ nous commande. Nous ne craignons point celui qui peut perdre nos âmes, et nous craignons beaucoup ceux qui peuvent perdre nos corps, quoique Dieu puisse perdre en même temps et l’âme et le corps, et que les hommes soient si éloignés de nuire à l’âme, qu’ils n’ont pas même le pouvoir de punir le corps. Car ils ont beau le déchirer et le mettre en pièces, ils l’honorent au lieu de le punir, et toutes ses peines deviennent sa gloire. C’est ainsi que Jésus-Christ adoucit les travaux auxquels il les destinait. Car la mort leur paraissait encore bien terrible, et elle faisait une grande impression sur leurs esprits, parce que jusqu’alors on ne nous avait point appris à la vaincre, et que ceux qui la devaient mépriser n’avaient pas encore reçu la grâce et l’effusion du Saint-Esprit.

Mais après avoir banni cette frayeur qui les abattait, il les encourage encore dans la suite. Il chasse une crainte par une autre crainte, et il y joint l’espérance d’une grande récompense. Il allie ainsi les menaces avec les promesses, et il se sert de ces moyens opposés pour les encourager à prêcher la vérité avec une liberté apostolique. « Quiconque donc me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (32). Et « quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (33). » Il n’exhorte pas seulement ses disciples par l’espérance des biens futurs, mais encore par la terreur de ses jugements. L’Evangile ne dit pas proprement Quiconque me confessera; mais « quiconque confessera en moi, » c’est-à-dire, en mon nom, en ma puissance, pour marquer que celui qui fait cette confession ne la fait point par sa propre force, mais par le secours et par la grâce de celui qui confesse. Il dit au contraire de celui qui renonce « Celui qui me renoncera,» et non pas « qui renoncera en moi, » parce qu’il ne renonce qu’étant privé du secours de la grâce.

Vous me direz, peut-être: Pourquoi donc accuse-t-on celui qui renonce Jésus-Christ, (283) puisqu’il ne le fait qu’étant abandonné du secours de Dieu ? C’est parce qu’il n’a été abandonné de Dieu que par sa faute.

Mais pourquoi, me direz-vous, Jésus-Christ ne se contente-t-il pas de la seule foi du coeur?

pourquoi exige-t-il encore cette confession de la bouche? Jésus-Christ le fait pour nous exciter à être courageux et intrépides. Il veut que par cette confession généreuse nous témoignions l’ardeur .de notre charité, et que nous nous élevions au-dessus de tout. C’est pourquoi il parle en général à tout le monde, et il n’adresse point ici son discours seulement à ses apôtres. II ne se contente pas de les rendre généreux, mais il veut que cette même générosité passe dans tous leurs disciples. Aussi celui qui considère bien ces paroles de Jésus-Christ, non-seulement publiera hardiment la vérité, mais il souffrira même de grand coeur tous les maux qui lui en pourront arriver.

C’est la confiance dans ces paroles de Jésus-Christ qui a donné aux apôtres ‘un grand nombre de disciples. Car elles nous font voir que le supplice de ceux qui auront renoncé Jésus-Christ sera effroyable.; comme la récompense de ceux qui l’auront confessé devant les hommes, sera incompréhensible. Plus les souffrances du juste se seront prolongées dans cette confession de Jésus-Christ, plus s’accroîtra pour l’éternité la somme de son bonheur; au contraire le pécheur qui se flatte en ce monde du retard de sa peine, n’y gagnera rien, sinon de la trouver un jour augmentée d’autant plus qu’elle aura été plus retardée. Vous m’avez confessé avec courage, dira Jésus-Christ à l’un, et moi je vous promets aussi une récompense infiniment au-dessus de vos mérites. Car « je vous confesserai devant mon Père. » Et vous qui m’avez renoncé, « je vous renoncerai aussi devant les anges de Dieu. »

Vous voyez donc que c’est pour l’autre vie que Jésus-Christ réserve la dispensation des biens et des maux. Après cela pourquoi vous hâtez-vous? pourquoi vous précipitez-vous? pourquoi cherchez-vous ici votre récompense, vous qui selon saint Paul « êtes sauvé par l’espérance? » (Rom. VIII, 30.) Si vous faites quelque bien dont vous ne receviez ici aucune récompense, ne vous troublez pas, mais réjouissez-vous plutôt de ce qu’on vous en réserve une infiniment plus grande. Si au contraire vous commettez de grands crimes sans en être puni dans cette vie, ne croyez pas pour cela qu’ils demeurent impunis, puisque Dieu vous en châtiera un jour d’une manière terrible, si vous ne prévenez ici sa justice par une patience sincère et par le changement de votre vie.

Si vous ne croyez pas ce que je vous dis, jugez de l’avenir parce que vous voyez tous les jours. Car si la ‘gloire de ceux qui confessent Jésus-Christ est si grande dans ce temps même qui est le temps du combat, quelle pensez. vous qu’elle doive être, lorsque Dieu même les couronnera ? Si dès cette vie même vos ennemis sont contraints de vous huer, combien Dieu vous relèverait-il encore davantage, lui qui vous aime avec plus de tendresse que les meilleurs pères n’aiment leurs infants, lorsque le temps de récompenser les bons et de punir les méchants sera venu? Ceux au contraire qui, renoncent Jésus-Christ en seront punis terriblement dans l’autre monde, et ils le sont déjà dans celui-ci. Ils sont continuellement déchirés par les remords de leur conscience. Pour avoir craint une seule mort, ils meurent cent fois; et au lieu des supplices qui auraient passé en un moment, ils se précipitent dans les éternels.

Mais ceux qui meurent en confessant Jésus-Christ sont heureux en ce monde et en l’autre. Leur mort est un gain puisqu’ils en achètent l’immortalité ; et après s’être acquis ici-bas une gloire qui est plus grande que celle de tous les hommes , ils jouissent dans le ciel d’une félicité qui est ineffable. Car Dieu est toujours prêt à récompenser comme à punir, et il est encore. plus, porté à faire du bien qu’à rendre le mal. Vous me demanderez peut-être

pourquoi Jésus-Christ parle ici deux fois de l’enfer, quoiqu’il ne parle qu’une fois du paradis., Il le fait parce qu’il sait que la crainte des peines arrête bien plus les hommes que l’espérance des biens. C’est pourquoi, après avoir dit: « Craignez celui qui peut perdre le corps et l’âme en les jetant dans l’enfer », il dit encore: « Je le renoncerai devant mon Père. » C’est la conduite que saint Paul a gardée en parlant continuellement des supplices de l’enfer.

Vous voyez, mes frères, comme Jésus-Christ se sert de tout pour fortifier ses disciples. Il leur ouvre le ciel, il les fait descendre jusqu’aux enfers. Il leur représente ce tribunal terrible, cette assemblée redoutable de tous les (284) anges, et cette publique distribution des couronnes immortelles, pour les exciter par ces grands objets, à s’acquitter avec ferveur du ministère de la prédication de sa parole. Et pour empêcher que leur timidité n’arrêtât le progrès de l’Evangile, lorsqu’il se présenterait des maux à souffrir, il veut qu’ils soient -prêts à s’exposer à la mort la plus cruelle, persuadés que leurs travaux auront leur récompense, et que ceux qui les persécutent seront punis, s’ils ne reviennent de leurs égarements.

4. Méprisons donc la mort, mes frères, quoiqu’il ne se présenta pas encore d’occasion de la souffrir, puisqu’elle n’est à notre égard qu’un passage à une meilleure vie. — Mais le corps, dans le tombeau, se réduit en poudre ?— Raison de plus pour se réjouir de. ce que la mort est détruite, de ce que la mortalité, et non la substance de notre corps est anéantie. Quand vous voyez jeter dans la fournaise une statue pour la refondre, vous ne tenez pas le fait pour une destruction, mais pour une restauration avantageuse.

Jugez de même de la destruction de votre corps, et cessez de vous affliger. Si le corps devait toujours demeurer dans cet état pénible où la juste punition de Dieu l’a réduit en cette vie, ce serait alors qu’il faudrait pleurer.

Mais ne serait-il pas plus avantageux, me direz-vous, que nos corps passassent à cette, immortalité sans passer par la corruption et la pourriture? Je ne vois pas, si cela était, quelle utilité en pourraient retirer n les vivants ni les morts. Jusques à quand donc, idolâtres de votre corps, jusques à quand serez-vous ainsi attachés à. la terre? jusques à quand aimerez-vous l’ombre et les ténèbres d’ici-bas ? Car que vous servirait-il que vos corps demeurassent toujours entiers, ou quel désavantage au contraire n’en résulterait pas pour vous?

Si nos corps n’étaient point réduits à cet anéantissement, il s’ensuivrait le plus grand des maux, l’orgueil chez un grand-nombre. Que s’il s’en est trouvé qui ont voulu passer pour des dieux, quoique leurs corps fussent mangés dés vers et consumés de pourriture, que n’auraient-ils point fait s’ils eussent été incorruptibles? D’ailleurs les hommes n’eussent pu croire qu’ils n’eussent été qu’un peu de terre. Nous le voyons maintenant et nous avons peine à le concevoir; combien donc en aurions-nous douté davantage si nous n’en avions pas ce témoignage de nos propres yeux? En troisième lieu les hommes auraient eu une attache bien plus grande pour les corps, et en seraient devenus bien plus charnels et bien plus grossiers. Car s’il s’en trouve encore aujourd’hui qui veulent bien souffrir la puanteur des sépulcres pour se. tenir auprès des personnes qui leur ont été chères durant leur vie, que n’auraient-ils point, fait, si les corps fussent demeurés entiers et incorruptibles après la mort? De plus, si nous n’avions été réduits à cet anéantissement dans cette vie, nous aurions moins désiré la félicité de l’autre. Ceux qui croient aussi que le monde est éternel se seraient servis de l’incorruptibilité de nos corps pour appuyer leur erreur, et pour en conclure que le monde n’aurait point été créé. Nous pouvons ajouter encore que, si le corps n’était entièrement détruit après la mort, nous n’aurions pas assez compris quelle est la vertu de l’âme, et comment c’est elle qui fait tout dans notre corps.

Enfin, si Dieu n’avait disposé les choses de cette manière, il se serait trouvé des personnes tellement possédées de passion pour leurs proches qui seraient morts, qu’abandonnant les villes, ils seraient venus demeurer auprès de leurs tombeaux, pour jouir de la présence de leurs corps, et pour s’entretenir avec eux autant qu’ils pourraient. Car si, maintenant que les corps périssent et se réduisent en cendre, quoi qu’on puisse faire pour les conserver, il y en a néanmoins qui s’attachent tellement à un portrait, et à la seule figure morte de ceux qu’ils aimaient, qu’ils passent leur vie à la regarder; que ne feraient-ils point- s’ils pouvaient conserver et voir devant eux leurs corps tout entiers? Pour moi, je me persuade aisément qu’il s’en serait trouvé qui auraient bâti des temples à ces corps morts, et que, l’art de la magie se mêlant à cette passion furieuse, se serait servi du démon pour faire parler ces morts, comme s’ils eussent été encore vivants, puisque nous voyons aujourd’hui que ceux qu’on appelle nécromanciens entreprennent des choses semblables, et même encore plus criminelles, quoique les corps, après la mort, soient réduits en cendre et en poussière. Et ainsi il ne pourrait naître de cette conservation de nos corps qu’une source d’impiété et d’idolâtrie.

C’est donc pour prévenir tous ces abus et tous ces désordres, c’est pour nous détacher de la terre et pour nous élever au ciel, que Dieu a voulu que nos corps se détruisent et disparaissent (285) aux yeux des hommes. Si celui qui est passionné pour la beauté d’une jeune fille ne peut pas se laisser persuader à la raison, et reconnaître la vanité de ce qu’il estime tant, Dieu veut qu’il en soit convaincu par ses yeux. Il veut qu’il voie tous les jours des femmes du même âge, mieux faites et plus riches que celle qu~il aime, disparaître tout d’un coup, et exhaler une grande puanteur un ou deux jours après leur mort, et être livrées à la corruption, à la pourriture et aux vers. Jugez donc par là, leur dit-il, quelle est cette beauté que vous aimez, et combien est insensée cette passion qui vous possède.

On n’aurait point compris si sensiblement toutes ces choses si l’on n’avait vu les corps se corrompre. Et comme les démons courent aux sépulcres et y font leur demeure ordinaire; ainsi ceux qui auraient été si passionnés pour les corps lorsqu’ils vivaient, les auraient toujours voulu voir après leur mort. Ils auraient habité dans les sépulcres comme les possédés, et devenus bientôt eux-mêmes les sépulcres des démons, ils auraient enfin perdu la vie aussi bien que la raison par une manie si honteuse et si détestable.

5. Outre les autres raisons qui nous peuvent détacher des morts, celle-ci est très-importante, savoir, que la disparition de l’objet aimé et de son image entraîne insensiblement l’oubli de la passion et son extinction complète. Que si le corps ne périssait de la sorte, on verrait aujourd’hui, au lieu de sépulcres et de mausolées, des villes entières pleines non pas de statues, mais de corps morts, chacun désirant de voir celui de la personne qui lui aurait été chère. Il naîtrait de là une horrible confusion. On n’aurait plus aucun soin de l’âme des morts, et on ne voudrait plus même entendre parler de l’immortalité de nos âmes. On verrait de plus beaucoup de désordres encore plus grands que ceux-ci, qu’il est plus utile d’ensevelir dans le silence.

Dieu veut donc que le corps soit détruit en un moment, afin qu’on voie plus clairement la beauté de l’âme. Car si elle a la force de donner toute la vie, et toute la beauté à notre corps, combien doit-elle être et plus vivante et plus belle que le corps? et si elle peut conserver cette chair si fragile et si corrompue, combien plus se conservera-t-elle elle-même? Car le corps n’est beau que par la disposition et par le mouvement de tous ses membres, et par cette couleur vive qui l’anime et qui l’embellit, et c’est l’âme seule qui lui donne cet avantage. Aimez donc votre âme, puisque c’est elle seule qui embellit ce corps que vous aimez tant.

Mais pourquoi me mets-je en peine de vous faire comprendre ce que le corps reçoit de l’âme, par la vue de l’état où il se trouve après la mort, puisque vous le pouvez voir si aisément par ce qui se passe même durant cette vie? Si l’âme est dans la joie, elle la répand aussitôt sur le visage par cette couleur vermeille qui y paraît. Si elle est triste, elle efface cet éclat du teint, et elle défigure tout le visage. Lorsque l’âme est contente et n’a point de soin, le corps est dans une parfaite santé; et lorsqu’elle est inquiète et mélancolique, le corps devient tout sec et tout languissant. Si l’âme est agitée de colère, elle répand un feu sur tout le visage; si elle est dans la paix, elle rend l’oeil doux et serein. Si l’âme est jalouse et envieuse, le visage en devient tout pâle et tout maigre ; si elle a de la bonté et de l’affection, on le voit par l’ouverture même et par la candeur du visage.

C’est pourquoi il est arrivé souvent que des personnes qui n’étaient point belles de figure l’étaient néanmoins par la beauté de leur âme, et que d’autres au contraire qui avaient de beaux traits sont devenues difformes par le déréglement de leurs passions.

Ainsi lorsque la pudeur fait rougir une personne modeste, cette rougeur donne à son visage beaucoup de grâce. Et au contraire lorsque l’impudence empêche une personne de rougir, elle devient laide, quelque agréable qu’elle puisse être, et elle ressemble plus aux bêtes, qu’aux hommes. Tant il est vrai que rien n’est plus beau ni plus attrayant que la pureté de l’âme ! Il n’y a que de la douleur et de l’infamie dans l’amour des corps : il n’y a que de la joie, et qu’une joie toute pure dans l’amour de l’âme. L’âme est la reine, et le corps l’esclave. Pourquoi abandonnez-vous celle qui commande pour admirer celui qui lui obéit? Pourquoi quittez-vous celle qui possède la lumière et la sagesse, pour vous asservir au corps et aux sens qui ne sont que ses organes? Si les yeux d’une personne vous paraissent beaux, considérez l’âme qui, les gouverne. Si cette âme est difforme et déréglée, méprisez ses yeux comme elle-même. Si vous voyiez une personne fort laide couverte d’un (286) voile extrêmement beau, vous ne seriez point touché de la beauté de ce voile. Et si une personne dont on estimerait la beauté était tellement voilée qu’on ne la pût voir, vous souhaiteriez qu’on ôtât ce voile, et qu’on vous permît de la voir. Faites donc la même chose à l’égard de l’âme, qui est couverte du corps comme d’un voile. Quand le corps est difforme, il demeure toujours ce qu’il est; mais l’âme la plus laide peut devenir belle si elle le veut. Elle aurait les yeux difformes, durs et repoussants, qu’elle pourrait en un moment les changer en d’autres, qui seront doux, sereins, paisibles et agréables. Cherchons donc, mes frères, cette beauté intérieure et invisible, afin que nous rendant agréables à Dieu, elle nous ouvre l’entrée en son éternelle gloire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus- Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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