Matthieu 10,34-42

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HOMÉLIE XXXV

«  NE PENSEZ PAS QUE JE SOIS VENU POUR APPORTER LA PAIX SUR LA TERRE ; JE NE SUIS PAS VENU POUR Y APPORTER LA PAIX, MAIS L’ÉPÉE. CAR JE SUIS VENU POUR SEPARER L’HOMME D’AVEC SON PERE, ET LA FILLE D’AVEC SA MÈRE, ET LA BELLE-FILLE D’AVEC SA BELLE-MERE. ET L’HOMME AURA POUR ENNEMIS CEUX DE SA PROPRE MAISON. » (CHAP. X, 31, 35, 36, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE

1. Mieux vaut la douceur des effets que celle des paroles. Défense de l’Ancien Testament contre les Manichéens.

2. Des grands avantages promis à ceux qui reçoivent les apôtres.

3-5. Contre les riches qui, au lieu d’assister tes pauvres, les rejettent avec mépris et avec injure, les accusent de paresse et se plaignent de leurs importunités.


 

1. Jésus-Christ recommence encore à donner ici des préceptes sévères et pénibles, et il parle avec une grande autorité. Il prévient de lui-même ses apôtres qui, entendant des prédictions si terribles, lui pouvaient dire : Quoi donc! Seigneur, êtes-vous venu au monde pour nous perdre, et avec nous ceux qui ajouteront foi à nos paroles, et pour remplir la terre de divisions et de troubles? Il leur répond par avance et leur déclare: « Qu’il n’est pas venu au monde pour y apporter la paix. »

Comment donc a-t-il commandé à ses apôtres, lorsqu’ils entreraient dans une maison, d’y donner la paix? Comment les anges ont-ils dit à sa naissance: « Gloire à Dieu dans le u ciel, et paix aux hommes sur la terre (Luc, II, 26)? » et comment enfin tous les prophètes ont-ils prédit que Dieu donnerait un jour la paix aux hommes? C’est parce que c’est donner la paix que de retrancher la partie qui gâte les autres, et de séparer ce qui peut causer la division. C’est ainsi que le ciel se peut réconcilier avec la terre. Un médecin a donné au corps la santé qui en est la paix, en coupant un membre malade qu’il est impossible de guérir. Un général apaise toutes ses troupes lorsque, pour étouffer une conspiration, il divise les factieux les uns contre les autres.

C’est ce qui se fit autrefois dans cette fameuse tour. Une division salutaire rompit une union très-pernicieuse, et la confusion produisit la paix. C’est ainsi que saint Paul divisa ceux qui s’étaient unis pour le perdre. Et au sujet de Naboth, l’accord qui se fit produisit une paix plus cruelle que la plus cruelle guerre. La paix n’est pas toujours un bien, puisque les voleurs et les scélérats ont la paix entre eux. Mais cette guerre dont Jésus-Christ parle ne (287) vient pas tant de son premier dessein, que de la malice des hommes. Il souhaiterait qu’ils fussent tous liés ensemble par un même esprit de piété; mais parce qu’ils se divisent les uns contre les autres, ces divisions produisent nécessairement la guerre. Lors donc qu’il dit ces paroles « Je ne suis point venu pour apporter la paix sur la terre, » il les dit pour consoler ses apôtres, comme s’il leur disait Ne croyez pas que ce soit vous qui soyez cause de toutes ces divisions. C’est par mon ordre et par ma volonté qu’elles doivent arriver; parce que je connais quelle sera pour lors la. disposition des hommes. Ne vous troublez donc point alors, comme s’il vous arrivait quelque chose que vous n’eussiez pas prévu; c’est moi-même qui le veux; c’est moi qui vous assure que je suis venu « pour apporter la guerre au « monde. » Ainsi ne vous étonnez point que, toute la terre s’arme et se soulève contre vous. Quand, par ces combats, ce qu’il y a de corrompu dans le monde en aura été retranché, le ciel se réconciliera avec la terre.

Jésus-Christ leur parle de la sorte pour les fortifier contre les opinions peu avantageuses que plusieurs devaient avoir d’eux. Il ne leur dit pas même : « Je suis venu apporter » la guerre, mais ce qui est plus effrayant : « Je suis venu apporter l’épée sur la terre. » Et ne vous étonnez pas qu’il se serve de paroles qui semblent si dures. Il a voulu les accoutumer d’abord à ces expressions fortes, afin qu’ils ne fussent pas surpris, lorsqu’ils se trouveraient dans l’occasion. Il voulait empêcher qu’on ne pût dire qu’il eût trompé la simplicité de ses apôtres par des paroles douces et flatteuses en leur cachant le mal qu’ils devaient souffrir un jour. Il affecte même de leur parler de ces choses en des termes plus durs que ne sont ceux dont on devrait naturellement user pour exprimer ce qu’il dit, parce qu’il vaut mieux témoigner sa douceur par des effets que par des paroles.

C’est pourquoi il ne se contente pas de cette proposition générale. Il s’étend même sur les circonstances de cette nouvelle sorte de guerre qu’il apporte au monde, et il en fait une peinture qui surpasse tout ce qu’il y a d’horreur dans les plus cruelles guerres civiles.

« Car je suis venu pour séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère (35).» On ne verra pas seulement les citoyens s’élever contre les citoyens, et les amis contre les amis; mais les plus proches et ceux qui étaient le plus étroitement liés se feront une plus cruelle guerre. La nature se déclarera contre elle-même. Le fils se séparera de son père, et la fille de sa mère. Ce ne seront plus seulement ceux de la même maison qui se feront la guerre, mais ceux qui étaient le plus unis par tous les liens du sang. Rien ne pouvait mieux marquer la toute-puissance de Jésus-Christ que de voir les apôtres entendre ces prédictions effroyables, et les croire sans s’étonner, et pouvoir même les persuader aux autres.

Mais il faut toujours se souvenir que ce n’était pas Dieu qui était l’auteur de ces sanglantes divisions, et qu’elles n’étaient que l’effet de la malice des hommes. Cependant il parle comme s’il en était l’auteur, car c’est la coutume de l’Ecriture de s’exprimer de la sorte, comme elle dit ailleurs : «Dieu leur a donné des yeux afin qu’ils rie voient point. » (lsaïe, XII, 2.) Et Jésus-Christ le fait en cette rencontre, afin, comme nous avons dit, que lorsqu’ils seraient dans l’occasion, et qu’on les attaquerait avec toutes sortes d’outrages et d’injures, ils ne se trouvassent point surpris après qu’il leur avait prédit et représenté toutes choses d’une manière si forte.

Que si quelqu’un s’étonne que des divisions si étranges aient pu arriver à l’occasion de l’Evangile, qu’il se souvienne de l’Ancien Testament. On y a vu des histoires aussi sanglantes que celle que prédit Jésus-Christ, et qui font voir une liaison admirable de l’une et de l’autre loi; et que Celui qui parle ici à ses apôtres était le même qui présidait alors à tous ces événements. Qu’il se souvienne que du temps de Moïse la colère de Dieu ne put être apaisée qu’après que les frères eurent tué leurs propres frères pour venger Dieu qui avait été outragé par le culte impie et idolâtre qu’on avait rendu au veau d’or et à Belphégor. (Exod. XXXII, 27.)

Où sont donc ceux qui disent: le Dieu de l’Ancien Testament est un Dieu méchant, mais le Dieu du Nouveau est un Dieu doux et plein de bonté? Qu’ils considèrent que Jésus-Christ, parlant de son Evangile, dit que les proches répandront le sang de leurs proches. Et nous soutenons que cela même est un effet de la douceur de Dieu, et une grande miséricorde. Aussi Jésus-Christ voulant montrer qu’il était le même qui avait agréé dans l’ancienne loi (288) ces victimes sanglantes, veut bien rapporter l’endroit d’un prophète, qui bien qu’il n’ait pas été dit pour ce sujet, ne laisse pas de l’exprimer parfaitement.

« L’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. » (Mich. VII, 3.) Voyant que les Juifs étaient divisés, qu’il y avait de vrais et. de faux prophètes , et que toutes les familles étaient partagées à leur sujet, les uns voulant suivre les véritables, et les autres s’attachant aux faux, le prophète Michée avertissait le peuple de se tenir sur ses gardes «N’ayez point, » disait-il, « de confiance dans vos amis, ni d’espérance dans vos chefs. Gardez-vous même de votre propre femme, et ne lui confiez rien, parce que l’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. » Le prophète tâche par ces paroles d’élever celui qui les croirait au-dessus de tout. Car ce n’est pas un mal que de mourir; mais c’est un mal que de mourir mal.

Jésus-Christ dit aussi : « Je suis venu apporter le feu sur la terre. » Il marque par là combien grand doit être l’amour qu’il nous demande. Il nous a aimés avec excès, il veut que nous l’aimions de même. C’est pourquoi il fortifiait ses disciples par ces paroles, et il voulait les mettre au-dessus de tous les maux. Il semble qu’il leur dise : Si ceux que vous allez enseigner doivent renoncer à leurs femmes, à leurs enfants et à leurs pères, jugez ce que vous devez faire, vous autres qui serez leurs maîtres. Car tous les maux que je vous prédis ne se termineront pas à vous., mais ils passeront encore à ceux que vous convertirez, et qui embrasseront mon Evangile. Je suis venu apporter aux hommes des biens ineffables je redemande aussi d’eux une grande obéissance et un grand amour.

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi; et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi (37). » Remarquez ici, mes frères, l’autorité de Celui qui parle. Voyez comment il se déclare Fils unique de son Père, en commandant de renoncer à tout, et de préférer son amour à tout le reste. Je ne vous commande pas seulement, dit-il, de me préférer à vos amis et à vos proches. Mais je vous dis de plus, que si vous préférez votre propre vie à l’amour que vous me devez, vous êtes bien éloignés d’être du nombre de mes disciples.

Quoi donc! Ces paroles ne sont-elles pas opposées au commandement que Dieu fait dans l’ancienne loi d’honorer son père et sa mère? — Au contraire, le rapport est, sur ce point, parfait entre l’une et l’autre loi. Ainsi dans l’ancienne, Dieu commande non-seulement de haïr les idolâtres, mais même de les lapider. Et le Prophète admire dans le Deutéronome ceux de qui il dit: « Celui qui dit à son père et à sa mère : Je ne vous connais point; et à ses frères: Vous m’êtes étrangers; et à ses enfants : Je ne sais qui vous êtes, celui-là, Seigneur, garde votre parole. » (Deut. VII, 13.) Que si saint Paul recommande avec tant de soin aux enfants d’être obéissants à leurs pères, ne vous en étonnez pas. Car il ne leur commande de leur obéir qu’en ce qui ne blesse point la piété. C’est une chose qui de soi est très-juste et très-sainte de leur rendre toute sorte d’honneur et de déférence. Mais s’ils exigent de nous ce qui ne leur est point dû, il ne faut point leur obéir contre l’obéissance qui est due à Dieu. C’est pourquoi saint Luc dit : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sa vie même, il ne peut être mon disciple.» (Luc, XIV, 27.) Dieu ne vous dit pas d’une manière absolue: Haïssez vos parents et vos proches, mais seulement lorsqu’ils voudront que vous les aimiez plus que moi ne craignez point alors de les haïr, puisque cet amour si déraisonnable que vous auriez pour eux ne servirait qu’à perdre et celui qui aime et ceux qui seraient aimés.

2. Ainsi par un même commandement Jésus-Christ rend les enfants plus hardis et plus courageux lorsqu’il s’agit de la piété, et les pères qui les en voudraient détourner, plus raisonnables et plus doux. Car voyant que Dieu est assez puissant pour attacher leurs enfants à lui, et les séparer de leurs pères, ils ne tenteront pas de les lui ôter, comprenant bien que tous leurs efforts pour cela seraient inutiles. C’est pourquoi Jésus-Christ en cet endroit ne s’adresse qu’aux enfants. Il ne parle point aux pères ; mais il les avertit suffisamment de ne point tenter l’impossible en voulant lui arracher leurs enfants.

Mais afin que les pères ne se fâchent point de ce commandement qu’il fait aux enfants, considérez jusqu’où il porte ce renoncement qu’il nous ordonne. Après avoir dit: « Celui «qui ne hait pas son père et sa mère, » il ajoute aussitôt : «et sa vie même. » Croyez-vous(289), dit-il, que je ne vous commande que de renoncer à vos parents, à vos enfants et à vos femmes? Il n’y a rien de plus ‘uni à l’homme que son âme; or si ce renoncement ne va jusqu’à l’abandonner elle-même et à la haïr, je vous traiterai non comme mes amis, mais comme mes ennemis. Et il ne commande pas seulement de la haïr, mais il veut que ce soit jusqu’à l’exposer à tous les combats et à tous les périls, et à ne rien craindre de tout ce qui peut nous ôter la vie.

« Et celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi (38). » Il veut que nous soyons toujours prêts non-seulement à la mort, mais à une mort sanglante, et même la plus honteuse de toutes les morts. Il ne leur parle point encore de sa passion, mais de choses cependant qui devaient les rendre plus susceptibles d’en entendre parler.

Mais ne devons-nous pas admirer, mes frères, comment les apôtres, après des prédictions si effroyables, non-seulement n’ont pas été saisis de crainte, mais ne sont pas morts effectivement de frayeur, puisqu’ils ne voyaient pour eux que des maux présents, et que tout le bien qu’ils attendaient n’était qu’en promesse et en espérance? Comment donc ne se sont-ils pas abattus? commuent sont-ils demeurés fermes? Nous n’en pouvons trouver d’autre cause que la grandeur de la puissance du Maître et de la charité des disciples. C’est pourquoi se voyant exposés à souffrir des choses beaucoup plus dures et plus fâcheuses que ces grands hommes, Moïse et Jérémie, n’en avaient souffertes, ils n’en ont point été surpris et ils se sont soumis à tout sans rien répliquer.

« Celui qui conserve sa vie la perdra, et celui qui perd sa vie pour l’amour de moi, la conservera (39). » Considérez ici, mes frères, ce que perdent ceux qui ont trop d’amour pour leur vie, et ce que gagnent ceux qui savent la haïr et la perdre quand il le faut Comme Jésus-Christ commandait à ses apôtres des choses si difficiles, de renoncer à père, mère, femme et enfants, à toute la terre, et à leur vie même, il leur montre en même temps la grande récompense qu’ils en doivent retirer. Ces maux, leur dit-il, non-seulement ne vous nuiront pas, mais ils vous seront même très avantageux, et ce serait pour vous le plus grand des maux que de ne vouloir pas vous y exposer. Il fait encore ici ce qu’il a accoutumé de faire : il se sert de ce qu’ils désirent pour leur persuader ce qu’il leur dit. Car pourquoi, leur dit-il, ne voulez-vous point abandonner votre vie? n’est-ce pas à cause que vous l’aimez? Si donc vous l’aimez, méprisez-la. C’est l’aimer que de la perdre, puisque vous la gagnez en la perdant.

Et remarquez la sagesse ineffable de Jésus-Christ! Parlant du détachement des pères et des mères, il y joint aussitôt le détachement de sa propre vie, pour faire comprendre que s’ils sauvent leur vie en la méprisant, ils serviront aussi très-utilement leurs pères en leur désobéissant. Tout ceci était capable de persuader les hommes de recevoir chez eux les apôtres qui leur pouvaient procurer de si grands biens. Car qui n’aurait reçu avec joie des hommes si généreux, qui allaient comme des lions par toute la terre, et qui méprisaient leur propre vie pour sauver les autres?

Mais il ‘leur propose encore une autre récompense, qui fait voir qu’il ne s’intéresse pas moins à ceux qui recevront qu’à ceux qui seront reçus. Il commence par montrer d’abord quel honneur les hommes retireraient en recevant chez eux les apôtres. « Celui qui vous reçoit, me reçoit; et Celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé (40). » Peut-on souhaiter une plus grande gloire que de recevoir, chez soi Jésus-Christ et son Père même? II promet encore ensuite une autre récompense en disant: « Celui qui reçoit le prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète ; et celui qui reçoit le juste en qualité de juste, recevra la récompense du juste (41). » Il avait fait auparavant de grandes menaces contre ceux qui ne recevraient pas ses apôtres; et il promet ici le comble des biens à ceux qui les recevront. Et pour marquer expressément qu’il avait en cela plus de soin de ceux qui traiteraient bien ses disciples que de ses disciples même, il ne dit pas simplement : « Celui qui recevra un prophète, ou un juste ; » mais il ajoute: « en qualité de prophète; et en qualité de  juste » ce qui retranche toutes les considérations d’intérêts, et suppose qu’on ne reçoit ce prophète et ce juste que parce qu’il est juste et prophète. Il recevra, dit Jésus-Christ, la récompense du prophète et du juste, c’est-à-dire la récompense que mérite raisonnablement celui qui reçoit un juste ou un prophète; ou bien la récompense que ce prophète (290) et ce juste recevront de Dieu C’est ce que disait saint Paul: « Afin que votre abondance supplée à leurs besoins et que leur abondance aussi supplée à ce qui vous manque.» (I Cor. VIII, 14.) Et pour empêcher qu’on ne s’excuse sur la pauvreté, il dit: « Quiconque donnera seulement à boire un verre d’eau froide à l’un de ces plus petits parce qu’il est de mes disciples, je vous dis en vérité qu’il ne sera point privé de sa récompense (42). » Un verre d’eau froide ne vous coûte rien; et néanmoins je vous récompenserai. Parce que, lorsque je vous envoie mes disciples, je le fais pour votre avantage et non pour le leur.

3. Considérez, mes frères, combien de raisons Jésus-Christ apporte pour persuader aux hommes de recevoir ses apôtres, et comme il ouvre à ceux-ci les maisons de toute la terre, en leur faisant voir combien tous les hommes leur seront redevables. Nous pourrions compter jusqu’à neuf raisons : La première est que « celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse. » La seconde, qu’il les envoie sans rien, et presque tout nus. La troisième, qu’il les expose à des combats et à de grands périls pour le bien de ceux qui les recevraient. La quatrième, qu’il leur donne le pouvoir de faire de grands miracles. La cinquième, qu’à leur seule parole, cette paix qui est le comble de tous les biens devait entrer dans la maison où ils auraient été reçus. La sixième, qu’il menace de punir ceux qui ne les recevraient pas, plus sévèrement que Sodome et que Gomorrhe. La septième, qu’il assure qu’en recevant ses disciples, on le recevrait lui-même et Dieu son Père. La huitième, qu’il promet à ceux qui les recevront la récompense qui est due au juste et au prophète. Et enfin la neuvième, c’est qu’il promet de récompenser jusqu’à un verre d’eau froide qu’on leur donnera.

Il ne faudrait qu’une seule de ces considérations pour persuader aux chrétiens de recevoir avec grande joie dans leurs maisons les ministres de Jésus-Christ. Car, qui serait assez dur pour voir un général d’armée, qui revient du combat, chargé de dépouilles, et en même temps percé de coups et couvert de sang, et qui ne s’estimerait pas heureux de lui ouvrir toutes ses portes, et d’honorer sa maison en l’y recevant?

Vous me direz peut-être: Mais qui ressemble aujourd’hui aux apôtres, pour mériter qu’on le reçoive de la sorte? Jésus-Christ répond à cette pensée en ajoutant ces paroles avec tant de soin : « Celui qui reçoit mon disciple en qualité de juste, de prophète et de disciple, » pour marquer qu’il récompenserait cette charité, non selon le mérite, de celui que l’on reçoit, mais selon le zèle de celui qui l’aurait reçu.

Souvenez-vous donc, mes frères, que si Jésus-Christ nous exhorte ici à recevoir les apôtres, les prophètes, les justes et ses disciples, il nous commande ailleurs de le recevoir lui-même en la personne des pauvres et de ceux qui paraissent lés derniers des hommes, et qu’il menace des plus grands supplices ceux qui refuseraient de les recevoir : « Autant de fois, » dit-il, « que vous avez rendu ces devoirs de charité aux moindres de mes frères, c’est à moi-même que vous les avez rendus. Et autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances aux moindres de ces petits, vous avez manqué de me les rendre à moi-même. » (Matth. XXV, 40.) Quoique celui qui implore votre charité n’ait rien de grand ni d’estimable, il ne laisse pas d’être homme comme vous, d’être dans le même monde, de voir le même soleil, d’avoir une âme semblable à la vôtre, d’adorer le même Dieu, de participer aux mêmes mystères , d’être appelé au même royaume, et d’y avoir même plus d’entrée et plus de droit que vous par le mérite de sa pauvreté.

Je vous vois souvent combler de dons ces importuns qui viennent au fond de l’hiver vous réveiller au son des trompettes et des instruments de musique. Vous ne refusez pas votre argent à des bouffons, à des gens qui se noircissent le visage pour avoir la liberté d’offenser tout le monde impunément; et si un pauvre, qui n’a pas un morceau de pain, vous va demander l’aumône, vous vous emportez contre lui, vous lui dites cent injures, vous l’accusez de paresse, et vous vous répandez en insultes et en invectives. Vous ne considérez pas que vous êtes vous-mêmes mille fois plus paresseux que ce pauvre que vous outragez, et que néanmoins Dieu ne laisse pas de vous combler de ses biens.

Et ne me dites point que vous travaillez beaucoup. Il n’est pas question de savoir si vous faites quelque chose, mais si vous faites ce qu’il serait nécessaire que vous fissiez. Si vous ne me parlez que de votre trafic, de vos usures et (291) de vos adresses pour amasser de l’argent, je vous réponds que ce n’est point là un travail ni des actions de chrétien. Les oeuvres d’un chrétien sont les aumônes, la prière, la défense des pauvres, la protection des opprimés, et tout ce qui a du rapport à ces actions. Quoi que vous fassiez, en ne vous occupant point à ces choses, votre vie n’est qu’une oisiveté et une paresse. Cependant, Dieu ne vous dit pas

Puisque vous êtes paresseux, je ne ferai plus luire sur vous mon soleil, je couvrirai la lune de ténèbres, je vous rendrai toute la terre stérile, et je tarirai toutes les sources, je sécherai tous les fleuves et tous les étangs, j’anéantirai tout l’air, et je retiendrai toutes les pluies. Dieu, dis-je, n’agit point de la sorte, mais il verse sans cesse avec une grande abondance toutes tes richesses de sa bonté. Il fait luire son soleil et il répand ses pluies, non-seulement sur des lâches et des paresseux, mais sur des méchants et des scélérats.

Souvent, lorsque vous voyez un pauvre, vous vous écriez : Ce misérable me met en colère, il est jeune, il est sain et robuste, il peut travailler et il ne le fait pas, et après cela il veut qu’on lui donne de quoi nourrir sa paresse. C’est un vagabond qui s’est enfui et qui s’est dérobé lui-même à son maître. Voilà les reproches que vous faites à ce pauvre. Mais vous devriez vous les faire à vous-même; ou plutôt si vous lui en aviez donné la liberté, vous devriez trouver bon qu’il vous les fit, et qu’il dît de vous plus justement que vous n’avez dit de lui : Cet homme me met en colère; il est sain, il est fort et robuste, et cependant il est lâche, et il ne fait rien de ce que Dieu lui commande; c’est un serviteur désobéissant et rebelle; c’est un fugitif qui s’est dérobé à son maître et qui est maintenant vagabond dans une terre étrangère, c’est-à-dire plongé dans toutes sortes de crimes: dans l’ivrognerie, dans la gourmandise,. dans les larcins et les vols. Il me reproche ma paresse et moi j’aurais à lui reprocher ses crimes, ses fourberies, ses parjures, ses mensonges, ses rapines, et mille autres dérèglements.

4. Je dis ceci, mes frères, non pour autoriser la paresse, Dieu me garde de cette pensée I Je souhaite avec ardeur que tout le monde travaille, car l’oisiveté est la mère et la maîtresse de tous les maux. Mais je vous conjure en même temps de n’être pas durs, sans compassion et miséricorde. Saint Paul a fait de grands reproches contre les lâches: « Si quelqu’un,» dit-il, « ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus (II Thess. III, 1);» mais il ne laisse pas de dire aussitôt: « Pour vous, mes frères, ne vous lassez pas de faire le bien. » Il semble qu’il y ait de la contradiction dans ces paroles:

Si vous défendez aux paresseux de manger, comment nous commandez-vous de leur donner à manger? Il est vrai, nous répond ce grand apôtre, que j’ai commandé qu’on se séparât en quelque sorte d’eux, et qu’on n’eût avec eux aucun commerce; mais je vous ordonne aussi de ne les point regarder comme des ennemis, et au contraire d’avoir grand soin d’eux. Je ne me contredis point, et tout cela s’accorde parfaitement. Si vous êtes prompts à faire l’aumône, votre charité apprendra à travailler à celui qui la reçoit, et vous bannirez en même temps la paresse de son coeur et la dureté du vôtre.

Mais ce pauvre, me direz-vous, invente tous les jours cent mensonges. Et voilà précisément ce qui le rend plus digne de compassion! la nécessité où il est réduit le jette dans cette extrémité et lui fait perdre la honte, après avoir perdu tout le reste. Cependant non-seulement nous ne sommes point touchés de cette misère, mais nous leur disons même des paroles outrageantes : Ne t’ai-je pas déjà donné hier? ne t’ai-je pas encore donné avant-hier? Quoi! mes frères, ce pauvre, pour avoir vécu hier et avant-hier, ne doit-il pas vivre aujourd’hui?

Vous imposez-vous cette loi à vous-mêmes? vous dites-vous: j’ai bien mangé hier, j’ai bien mangé avant-hier, je ne mangerai donc point aujourd’hui? Vous ne laissez pas, après ces festins des jours précédents, de bien manger encore aujourd’hui, et vous ne donnez pas ce peu que vous demande ce pauvre, dont vous devriez avoir d’autant plus de compassion qu’il est contraint de vous demander chaque jour de quoi pouvoir vivre. Cela seul devrait vous toucher, puisqu’il n’a recours si souvent à vous, que parce qu’il y est contraint par l’extrémité où il se trouve réduit. Si vous n’êtes point sensible à son état, vous le devriez être au moins à cette dure nécessité qui l’oblige d’essuyer tous vos reproches, et de perdre la honte en vous importunant encore, parce que la misère le presse et l’accable. Et cependant au lieu de lui faire la charité vous lui faites outrage; et au lieu que Dieu vous commande (292) de lui donner en secret, vous le confondez devant tout le monde, et vous lui insultez pour les raisons mêmes qui devraient vous porter à le secourir.

Si vous ne lui voulez rien donner, pourquoi le tourmentez-vous, et pourquoi ajoutez-vous cette nouvelle affliction à tant d’autres qui l’accablent? Il vient à vous comme un homme qui a fait naufrage, il vous tend es mains. Et au lieu de lui servir de port et d’asile, vous le rejetez dans la mer et dans la tempête. Pourquoi lui reprochez-vous l’état où il est? Croyez-vous qu’il se fût jamais adressé à vous, s’il en eût attendu ce traitement ? Et si connaissant votre dureté il n’a pas laissé de venir à vous, n’est-ce pas ce qui le rend plus digne de compassion, et qui vous devrait faire rougir de votre cruauté, puisqu’une si épouvantable misère ne peut amollir la dureté de votre coeur?

Ne croyez-vous pas que cette violence de la faim qui le presse est une excuse assez légitime de l’importunité qu’il vous donne? Vous l’accusez d’être un impudent, vous qui l’êtes si souvent dans des choses qui devraient vous couvrir de honte? La misère du pauvre excuse son peu de pudeur; mais qui peut nous excuser, nous autres, lorsque nous faisons volontairement et sans rougir des actions honteuses et criminelles? Et après cela, au lieu de nous confondre de nos excès, nous insultons aux misérables, et au lieu de guérir leurs maux, nous leur faisons de nouvelles plaies.

Si vous ne voulez rien donner, à ce pauvre, pourquoi le frappez-vous? Si vous ne voulez point le secourir, pourquoi l’outragez-vous? Vous me direz qu’il ne s’en va point si on ne le traite de la sorte. Mais suivez-vous en cela l’avis que le Sage nous a donné quand il nous a dit: « Répondez au pauvre paisiblement et avec douceur? » Ce n’est que malgré lui qu’il est importun, et qu’il a si peu de honte. Il n’y a point d’homme qui veuille être impudent s’il n’y est contraint; et l’on ne me fera jamais croire que celui qui pourrait ne pas mendier puisse se résoudre à le faire.

Ainsi, mes frères, que personne ne vous trompe par de faux raisonnements. Que si saint Paul dit: « Que celui qui ne veut point  travailler ne doit point manger (II Thess. III, 1), » c’est pour les pauvres qu’il le dit mais pour nous il nous dit le contraire : « Ne cessez point, » nous dit-il, « de faire du bien. »

Nous agissons ainsi tous les jours dans nos maisons. Quand deux personnes disputent l’une contre l’autre, nous les prenons séparément, et nous les mettons chacune dans son tort.

Moïse a autrefois gardé cette conduite. Car il dit à Dieu, lorsqu’il lui parle en particulier:

« Seigneur, si vous pardonnez ce péché à ce peuple, pardonnez-le; sinon effacez-moi, et « faites-moi périr avec eux (Exod. XXXII) ; » et parlant ensuite aux Hébreux, il commande de tuer ceux qui étaient tombés dans l’idolâtrie, et de ne pas même épargner leurs plus proches parents. Ces deux choses, semblaient se contredire en apparence, mais elles s’accordaient en effet et n’avaient qu’un même but. Dieu s’est servi aussi de cette même conduite. Il dit à Moïse pour intimider les Juifs : « Laissez-moi faire et je perdrai ce peuple. » (Ibid. 32.) Car quoique les Juifs ne fussent point présents, lorsque Dieu parlait de la sorte, Moïse néanmoins leur devait rapporter cette parole. Mais lorsque Dieu s’entretient en particulier avec Moïse, il lui parle d’une manière tout opposée, et il l’exhorte à supporter son peuple. C’est pourquoi ce même prophète s’écrie ailleurs: « Seigneur, les ai-je conçus dans, mes entrailles, vous qui me dites: Portez-les dans votre sein, comme une nourrice porte le nourrisson qu’elle allaite? » (Num. XI, 12.)

C’est encore ce qui arrive tous les jours dans vos familles. Souvent un père voyant le précepteur de son fils le traiter durement, l’avertit en secret, et le prie de n’être pas si sévère, et il exhorte au contraire son fils en particulier à souffrir ce traitement de son maître, quand même il serait injuste, et ainsi il établit l’union entre eux, en leur parlant d’une manière qui semble opposée. Saint Paul fait ici la même chose : il dit à ceux qui sont forts et qui mendiant pour vivre: « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange « point, » parce qu’il voulait les encourager au travail. Mais il dit à ceux qui les peuvent secourir : « Pour vous ne vous lassez point de faire du bien, » afin de les exciter aux oeuvres de miséricorde. Ce même apôtre écrivant aux Romains use encore de la même prudence dans cette comparaison qu’il apporte de l’olivier franc et de l’olivier sauvage. Car lorsqu’il parle aux Juifs, il leur apprend à ne point s’élever au-dessus des gentils; et lorsqu’il parle aux gentils, il leur apprend à avoir du respect pour le peuple juif. (293)

Ayons donc de la charité, mes frères, et ne soyons pas durs et inhumains. Ecoutons saint Paul qui nous dit: « Pour vous ne vous lassez point de faire le bien. » Ecoutons Jésus-Christ même qui nous dit: « Donnez à tous ceux qui vous demandent. » Et ailleurs: « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » (Matth. V, 42; Luc, VI, 36.) Quoiqu’il ait donné beaucoup d’autres avis dans ce sermon sur la montagne, il ne nous exhorte néanmoins à imiter Dieu que dans ce qui regarde la charité et la miséricorde. Car il n’y a rien qui nous rende plus semblables à Dieu que de faire du bien à tout le monde.

Mais, direz-vous, rien n’est plus insupportable qu’un pauvre. Mais qu’est-ce qui le rend si insupportable? Il va de tous côtés, dites-vous, et il crie après tout le monde. Voulez-vous que je vous montré combien nous sommes plus impudents et plus insupportables que ce pauvre? Combien de fois vous est-il arrivé qu’en un jour de jeûne, lorsque l’heure du soir était venue, et que le couvert était mis, voyant que vos gens tardaient un peu à servir, vous les avez outragés en paroles, et même battus? Combien de fois, dis-je, vous êtes-vous mis en colère, quoique vous sussiez que dans un moment vous alliez apaiser cette faim qui vous rendait de si mauvaise humeur? Cependant vous ne vous appelez point insolent et insupportable, vous qui, dans ces occasions, êtes plus semblable à une bête farouche qu’à un homme. Et lorsqu’un pauvre est en danger non de manger un peu plus tard, mais de ne point manger du tout, vous le chargez d’injures, et vous croyez ,que son importunité est insupportable. Après cela avez-vous de la honte, vous qui reprochez aux autres de n’en avoir point? Mais nous ne faisons jamais réflexion sur nous-mêmes. Nous accusons les pauvres, et nous les condamnons comme impudents et fâcheux, quoiqu’en nous comparant avec eux, nous soyons en ce point plus coupables qu’ils ne le sont. Ne soyez donc point si dur et si inhumain dans vos jugements. Quand vous seriez le plus innocent du monde, la loi de Dieu ne vous permettrait pas d’examiner et de juger si sévèrement votre frère. Si l’Evangile nous assure que cette faute perdit le pharisien, quelle excuse nous restera-t-il en la commettant? S’il est défendu aux innocents mêmes de censurer les autres avec trop de rigueur, combien l’est-il plus aux pécheurs ?

Cessons donc, mes frères, d’être si cruels envers les pauvres, cessons d’être sans compassion et sans miséricorde. Car je sais que quelques-uns ont témoigné tant de dureté, que voyant des personnes qui mouraient de faim, ils les laissaient en cet état pour s’épargner une peine très-légère. Je n’ai point ici mes gens, leur disaient-ils, ma maison est loin et je n’ai ici personne de connaissance à qui je puisse emprunter de l’argent. O cruauté plus digne des bêtes que des hommes! Vous laisserez donc un pauvre mourir de faim, pour vous épargner la peine de faire trois pas! O négligence barbare! ô mépris insolent et insupportable! Quand vous auriez eu une demi-lieue à faire, auriez-vous dû appréhender ce chemin? Ne pensez-vous pas que plus vous avez de peine, plus vous en serez récompensé? Quand vous donnez de votre bien, Dieu vous en tient compte; mais si vous y joignez votre travail, vous en recevrez une double récompense.

N’est-ce pas ce que nous admirons avec sujet dans ce grand patriarche Abraham? il avait trois cent dix-huit serviteurs, et il ne s’en servit point pour exercer la charité par leurs mains, mais il alla lui-même au troupeau pour y prendre de quoi donner à manger aux hôtes qui l’étaient venu trouver; et nous voyons aujourd’hui des personnes assez superbes pour ne faire leurs charités que par leurs valets.

Mais si je fais ces aumônes par moi-même, dites-vous, ne semblera-t-il pas que je recherche la vaine gloire? Mais c’est par une autre vaine gloire que vous agissez ainsi, vous qui rougissez qu’on vous voie parler à un pauvre. Ce n’est pas néanmoins ce que je veux examiner ici ; donnez seulement l’aumône soit par vous, soit par les autres, et- ne querellez point les pauvres, ne les frappez plus, et ne leur dites plus d’injures. Ce pauvre qui s’adresse à vous a besoin d’être guéri et non d’être blessé; il a besoin de pain et non pas de coups. Si un homme avait reçu un coup de pierre à la tête, et que vous choisissant entre tous les autres, il vint 5e jeter à vos genoux, tout couvert de sang, seriez-vous assez cruel pour le frapper de nouveau, et pour lui faire une seconde blessure? Je ne vous crois pas assez durs, et je m’assure au contraire que vous tâcheriez de (294) guérir sa première plaie. Pourquoi donc agissez-vous autrement à l’égard du pauvre?

Ne savez-vous pas quelle impression fait sur un esprit une parole douce ou sévère? N’est-il pas écrit « que la parole douce vaut mieux que le don?» (Proverb. XXVI.) Ne voyez-vous pas que vous tournez votre propre épée contre vous-même, et que vous vous blessez plus que vous ne blessez ce pauvre, lorsque vous l’obligez par vos traitements injurieux à gémir en secret et à répandre des larmes? N’était-ce pas Dieu qui vous envoyait ce pauvre? Considérez donc sur qui retourne cette injure, puisque Dieu vous envoyant ce pauvre, et vous commandant de l’assister, non seulement vous ne lui donnez pas l’aumône, mais vous osez même l’outrager.

Si vous ne comprenez pas encore l’excès que vous commettez en cela, jugez-en par ce qui se passe entre les hommes, et vous comprendrez alors la grandeur de votre faute. Que diriez-vous si vous aviez donné ordre à un de vos domestiques de redemander à un autre qui serait aussi à vous l’argent que vous lui auriez donné, et que celui qui serait dépositaire de cet argent, non-seulement ne le rendit pas, mais traitât même avec toute sorte d’outrages celui qui le lui redemanderait votre part? Comment puniriez-vous ce serviteur dont vous croiriez avoir été si cruellement offensé? Et cependant vous traitez Dieu comme vous vous plaindriez alors d’avoir été traité de ce serviteur. C’est lui qui vous envoie ce pauvre, et il vous commande de lui donner ce qu’il vous a donné, et ce qui est plus à Dieu qu’à vous. Que si au lieu de lui faire l’aumône, nous le traitions avec outrage, jugez comment nous mériterions d’être punis, comment nous mériterions d’être foudroyés.

Pensons donc, mes frères, à toutes ces choses. Ne déshonorons plus notre bouche par ces injures, ni notre coeur par cette inhumanité, et consacrons nos mains en les employant aux oeuvres de miséricorde. Assistons les pauvres de notre argent, et consolons-les par nos paroles. Ainsi nous éviterons les supplice dont Dieu menace ceux qui disent des injures à leurs frères, et nous obtiendrons la couronne qu’il promet à ceux qui les assistent, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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