PHILIPPIENS II

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HOMÉLIE II. CAR DIEU M'EST TÉMOIN AVEC QUELLE TENDRESSE JE VOUS AIME TOUS DANS LES ENTRAILLES DE JÉSUS-CHRIST. — ET CE QUE JE LUI DEMANDE, C'EST QUE VOTRE CHARITÉ CROISSE DE PLUS EN PLUS EN LUMIÈRE ET EN TOUTE INTELLIGENCE; AFIN QUE VOUS SACHIEZ DISCERNER CE QUI EST MEILLEUR, ET QUE VOUS SOYEZ INNOCENTS ET SANS TACHE JUSQU'AU JOUR DE JÉSUS-CHRIST, REMPLIS DE TOUS LES FRUITS DE JUSTICE, POUR LA GLOIRE ET LA LOUANGE DE DIEU. (CH. I, 8 - 11 JUSQU'À 19.)

 

Analyse.

 

1. Saint Paul exprime aux Philippiens l'ardente charité qu'il a pour eux. —Il prie pour que la charité dont ils ont fait preuve eux-mêmes croisse de plus en plus, pour qu'ils soient trouvés purs de tout péché et chargés        des fruits de la justice, etc.

2. Saint Paul se réjouit de ce que sa captivité et les artifices mêmes de ses ennemis tournent au bien de l'Evangile.

3. Que les hérétiques travaillent en vain.

4 et 5. Unir à la vertu la pureté d'intention. — Crime et folie des envieux. — Malheur d'être riche et bonheur d'être pauvre.

 

1. « Dieu m'est témoin ». S'il invoque le témoignage de Dieu, ce n'est pas comme les  soupçonnant de ne pas croire au sien propre; c'est l'affection même qui lui dicte cet appel à Dieu, il veut avoir leur pleine et entière confiance. Il venait de parler des soulagements  (12) qu'il avait reçus d'eux. Craignant de laisser croire que ce motif intéressé soit la cause de son affection, et qu'il ne les aime pas pour eux-mêmes, il ajoute : « Je vous aime dans les entrailles de Jésus-Christ ». Qu'est-ce à dire? entendez : selon Jésus-Christ, parce que vous êtes vrais fidèles; parce que vous l'aimez, je vous aime de l'amour de Jésus-Christ. Encore ne dit-il pas « amour », mais ce qui est plus ardent, « entrailles de Jésus », comme s'il disait les entrailles, le sein de celui qui est devenu votre père, selon cette parenté mystique que nous avons en Jésus-Christ. C'est là comme une génération qui nous communique de nouvelles entrailles, un coeur plein de feu et de saintes flammes : c'est, en effet, un don de Dieu à ses serviteurs, que des entrailles semblables. Ainsi, dans ces entrailles, moi Paul, je vous aime, et non plus seulement selon celles de ma nature, mais dans ces entrailles bien autrement enflammées, celles de Jésus-Christ.

« Avec quelle tendresse je vous aime tous ». Je vous aime tous, car vous êtes tous tels que je viens de dire; et comme le langage humain ne peut exprimer l'ardeur de mon affection, dans cette sainte impossibilité, je laisse à Dieu de me comprendre, puisqu'il sonde les coeurs. Si l'apôtre eût voulu les flatter, il n'aurait pas pris ainsi Dieu à témoin : cet appel suprême devenait un péril.

« Et ce que je lui demande, c'est que votre charité croisse de plus en plus ». Bien dit ! car l'amour est insatiable. Vous voyez que, si fort aimé déjà, il désire l'être plus encore. Quand on aime comme il aimait, on veut être payé tellement de retour par la personne aimée, qu'on ne lui permette jamais de s'arrêter à tel degré d'affection. Cette vertu ne connaît point de limites; aussi saint Paul veut qu'on la doive toujours. « Ne devez rien à personne », dit-il, « si ce n'est de vous aimer les uns les autres ». La mesure de la charité est de progresser toujours : « Que votre charité », dit-il, « croisse de plus en plus ». Mais faites attention à l'ordre des paroles. « Qu'elle croisse de plus en plus », dit-il, « en lumière et en toute intelligence ». Ce n'est pas simplement l'amitié qu'il admire, ce n'est pas simplement toute charité ; mais celle qui vient « de la lumière » et de la science; car nous ne devons pas avoir pour tous la même affection : ce ne serait plus charité, mais indifférence. Qu'est-ce à dire : « en lumière? » avec jugement, avec réflexion, avec discernement. Il est des gens qui donnent leur amitié sans raison , sans y regarder et comme il se trouve : aussi de pareilles liaisons ne peuvent tenir longtemps.

« En lumière », continue-t-il, « en toute intelligence, afin que vous sachiez discerner ce qui est meilleur ». — « Meilleur», ici, veut dire utile » pour vous-mêmes : carte n'est pas pour moi que je parle, mais bien pour vous. Il est à craindre, en effet, qu'on ne se laisse corrompre par l'affection des hérétiques. Les paroles qui précèdent font déjà entendre ce sens, mais voici qui le détermine plus clairement : « Pour que vous soyez sincères et purs» . ainsi je ne parle pas dans mon intérêt, mais dans le vôtre; je crains que, sous prétexte de charité, vous n'admettiez quelque doctrine illégitime. — Vous me demandez comment l'apôtre a pu dire ailleurs : « S'il se peut, ayez la paix avec tous les hommes ? » (Rom. XII, 18.) Je réponds qu'il n'a pu vous recommander une paix qui vous fût nuisible; au contraire, Jésus-Christ a dit : « Si votre oeil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le loin de vous ». (Matth. V, 29.) Mais de manière que vous soyez sincères » devant Dieu, « sans reproches devant les hommes ». Trop souvent les liaisons de l'amitié ont compromis la foi. Quand la vôtre n'aurait rien à en craindre, votre frère pourrait s'en scandaliser, et vous ne seriez pas «sans reproche ». — «Jusqu'au jour de Jésus-Christ » : c'est-à-dire pour qu'à cette heure suprême vous soyez trouvés purs, n'ayant scandalisé personne.

« Remplis des fruits de justice, par Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu» c'est-à-dire ayant la vie aussi droite que les croyances. Et il ne suffit pas qu'elle soit simplement droite, il la faut remplie « des fruits de justice » ; car il y a une certaine justice qui n'est pas selon Jésus-Christ, une certaine honnêteté selon le monde. Je demande celle qui l'est « selon Jésus-Christ à la gloire et louange de Dieu ». Vous voyez donc qu'en rien je ne cherche ma gloire, mais celle de Dieu.— Souvent il appelle l'aumône justice. Ainsi donc ayez la paix avec tout le monde; mais toutefois que votre charité n'aille pas vous nuire et vous faire oublier vos intérêts; et que l'amitié pour un homme, quel qu'il soit, ne vous fasse pas faire un faux pas. Oui, je désire que votre charité grandisse, mais non jusqu'à vous (13) devenir dommageable. Je ne veux pas que vous soyez surpris par votre simplicité même; mais quand la réflexion vous aura prouvé que nos paroles sont vraies. Il ne dit pas : Préférez mes vues; mais. . « Faites l'épreuve ». Une prononce pas ouvertement: Gardez-vous de telle liaison ! mais : Je désire que votre charité soit utile, et que vous ne vous fixiez pas sans discernement. Vous seriez déraisonnables, en effet, de faire des oeuvres de justice autrement que pour Jésus-Christ, et par Jésus-Christ. Vous entendez cette formule fréquente : « Par lui ». Est-ce à dire qu'il se serve de Dieu comme d'un aide travaillant sous ses ordres? Arrière ce blasphème. Au contraire, dit-il, si je parle ainsi, loin de chercher ma gloire, je ne veux que celle de Dieu.

2. « Or, je veux bien que vous sachiez, mes frères, que ce qui m'est arrivé a servi beaucoup aux progrès de l'Evangile, en sorte que mes liens sont devenus célèbres, à la gloire de Jésus-Christ, dans tout le prétoire, et parmi tous les habitants de Rome (12,13) ». Il est vraisemblable qu'ils gémissaient, apprenant ses liens, et qu'ils pensaient que la prédication apostolique était interrompue. Que fait-il donc? Il leur en ôte l'idée, et leur déclare que les événements qui l'ont frappé ont même servi aux progrès .de l'Evangile. C'est encore une parole inspirée par l'affection que celle qui leur fait connaître ainsi son état présent, objet de leur inquiétude. Mais, ô Paul, que dites-vous? Vous êtes dans les fers, dans les entraves, et, l'Evangile fait des progrès! Comment donc? Ah ! répond-il, « mes liens sont devenus célèbres, à la gloire de Jésus-Christ, dans « tout le prétoire ». Mes chaînes, loin de fermer la bouche, aux autres prédicateurs, loin de leur inspirer de la terreur, n'ont fait que les rendre plus confiants. Or, si jusqu'au milieu du danger, ceux-ci, loin de s'affaiblir, ont redoublé de courage, bien plus devez-vous reprendre confiance. Si l'apôtre enchaîné se fût laissé abattre par la persécution, s'il eût gardé le silence, il est vraisemblable que ses collaborateurs auraient partagé son abattement. Mais comme dans les liens il parlait avec encore plus de liberté qu'auparavant, il leur communiquait plus, de confiance que s'il n'eût pas été dans les fers. Mais comment les chaînes ont-elles contribué aux progrès de l'Evangile? Dieu l'a voulu, dit-il, en permettant que mes liens en .Jésus-Christ et par Jésus-Christ, fussent connus « dans tout le prétoire» (c'était alors le nom du palais impérial), et non-seulement dans le prétoire, mais dans toute la capitale.

« Et que plusieurs de nos frères en Notre-Seigneur, se rassurant par mes liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte (14) ». Ces paroles démontrent que déjà auparavant ils avaient parlé avec confiance et en toute liberté, mais qu'à l'heure présente, ils s'encourageaient bien plus encore. Si .donc mes chaînes ont doublé l'énergie des autres, n'aurai-je point moi-même gagné plus que personne? Si je leur ai valu une force nouvelle, ne l'ai-je donc pas conquise plus grande aussi? « Plusieurs de nos frères dans le Seigneur ...» Comme il semblait hardi d'attribuer à ses chaînes le redoublement d'énergie de ses frères, il prévient le reproche d'orgueil en ajoutant : « Dans le Seigneur ». Voyez comme forcé de parler de lui-même avec éloge, il n'oublie cependant point la sainte modestie ! «... Osèrent plus que jamais », dit-il; « sans crainte aucune annoncer la parole ». —  «Plus que jamais », c'est donc que depuis longtemps ils avaient commencé.

«Il est vrai que quelques-uns prêchent Jésus-Christ par un esprit d'envie et de contention, et que les autres le font par une  bonne volonté (15) ». Ce passage vaut la peine d'être expliqué. Pendant cette détention de Paul, bon nombre d'infidèles voulant exciter l'empereur à lui faire une guerre sans pitié, se mirent à annoncer eux-mêmes Jésus-Christ, afin d'allumer plus encore la colère du souverain à la vue de cette prédication semée quand même, et de faire retomber sur la tête de Paul tout ce poids de fureur. Deux lignes de conduite furent donc le double effet de cette incarcération. Elle redoubla le courage des uns; dans les autres elle réveilla l'espérance de perdre l'apôtre en prêchant, eux aussi, Jésus-Christ. « Quelques- uns par jalousie », c'est-à-dire envieux de ma gloire et d'un début heureux , désirant ma perte, et combattant contre moi, semblent continuer mes travaux; peut-être aussi l'ambition les entraîne, et ils croient dérober quelque chose à ma gloire. « Plusieurs toutefois agissent par une bonne volonté, c'est-à-dire sans hypocrisie et de grand coeur ».

« D'autres annoncent Jésus-Christ avec un (14) esprit de contradiction, sans bonne foi (16)», c'est-à-dire sans pureté d'intention, et non pour l'honneur même de la religion. Pour quel motif donc? « dans la pensée d'appesantir encore mes chaînes » ; ils ne veulent qu'aggraver mes périls et faire peser sur moi souffrance sur souffrance. O cruauté ! ô énergie de démon ! Ils le voyaient enchaîné, jeté dans un cachot, et ils le jalousaient encore, heureux s'ils ajoutaient à ses peines, s'ils l'exposaient à un redoublement de fureur. « Dans la pensée » est une expression fort juste; car les événements trompèrent leur calcul. lis croyaient, par cette conduite, me combler de chagrin, tandis que je me réjouissais du progrès de l'Evangile. Ainsi arrive-t-il parfois, quand on fait une bonne oeuvre, mais avec une intention mauvaise : on n'obtient pas la récompense promise, on doit même en attendre le châtiment. Ces faux apôtres prêchaient Jésus-Christ dans le dessein formel d'attirer sur le prédicateur de Jésus de plus grands dangers aussi loin de recevoir aucune récompense, ils n'obtiendront que le supplice, la peine trop bien méritée.

« Plusieurs cependant prêchent par charité, sachant que j'ai été établi pour la défense de l'Evangile (17) ». Qu'est-ce à dire : « J'ai été établi pour la défense de l'Evangile » , sinon , ils prêchent, pour me rendre plus facile le compte que je dois à Dieu , et ils m'aident à subir son jugement. En effet , j'ai reçu l'ordre d'en-haut de prêcher, je dois rendre mes comptes, et préparer pour ce Juge suprême mon apologie au sujet de ce grand devoir. Ils me viennent donc en aide pour me faciliter ma défense , qui vraiment me sera bien aisée, s'il se trouve un jour que de nombreux prosélytes ont reçu l'instruction et accepté la foi.

« Qu'importe après tout, pourvu qu'en définitive et de toute manière, soit par occasion soit par véritable zèle, Jésus-Christ, soit annoncé? (18) » Admirez la sainte philosophie de ce grand homme. Loin d'invectiver contre personne, il dit simplement le fait. Que m'importe après tout, que le Seigneur soit annoncé de telle manière ou de telle autre , s'il l'est, d'ailleurs, de toute façon, par occasion ou par vrai zèle? Il ne dit pas : « Qu'il a soit annoncé ! » il n'emploie pas ce ton impératif ; il se borne à raconter l'événement. Eût-il d'ailleurs parlé avec le sens d'un ordre formel, qu'il n'aurait pas pour cela ouvert le champ aux hérésies.

3. C'est, si vous le voulez , un point à examiner, cependant : il faut comprendre que, quand même saint Paul leur aurait commandé de prêcher ainsi, il n'aurait pas pour cela donné carrière à l'hérésie. Pourquoi? C'est qu'après tout, ces prédicateurs annonçaient la sainte doctrine; et que, malgré la perversité de leur but et de leur intention , la prédication était donnée en son intégrité : de toute nécessité même, ils étaient forcés à la donner pure de toute erreur. Pourquoi? c'est que s'ils avaient autrement prêché, enseigné autrement que Paul , ils n'auraient pas augmenté la colère de l'empereur. Au contraire, par le seul fait de propager la doctrine même de l'apôtre, de répéter les mêmes enseignements, de faire des prosélytes semblables aux siens, ils devaient réussir à courroucer Néron, témoin oculaire de cette multitude de conquêtes. Mais, sur ce passage de l'épître apostolique , il va se produire peut-être une objection misérable et inintelligente. Les ennemis de Paul, dira-t-on, pour lui causer une douleur cuisante, auraient dû suivre une toute autre conduite. Loin de grossir le nombre des fidèles, ils auraient dû détourner ceux qui avaient déjà embrassé la foi ! Que répondrons-nous? Que leur but unique étant de redoubler les périls dont Paul était environné, et d'empêcher qu'on ne lui fît grâce de son cachot, ces gens prenaient, à leur avis, le plus sûr moyen de lui faire plus de mal encore et de détruire l'Evangile. Agissant différemment, ils auraient apaisé la colère de l'empereur, et permis à Paul de retrouver, avec la liberté, le droit de prêcher la foi. Au reste , ce n'était pas le grand nombre des ennemis du bien qui poussaient jusque-là leur calcul infernal , mais seulement quelques hommes remplis à la fois de haine et de perversité.

Saint Paul poursuit : « De tout cela je me réjouis; et même je me réjouirai toujours». Qu'est-ce à dire : « Je me réjouirai?» Ma joie, dit-il, sera de plus en plus grande, quand même mes ennemis devraient persévérer. Malgré eux, ils secondent mon oeuvre; et ces travaux qu'ils s'imposent, en leur apportant le juste châtiment du ciel, nie vaudront une récompensé , sans que j'y mette la main. Est-il malice comparable à celle du démon, qui fait gagner ainsi le supplice éternel par (15) l'entreprise la plus sainte, celle de l'apostolat, et qui entraîne à leur perte des gens qui ont eu le malheur de suivre ses inspirations? De quels traits atroces n'accable-t-il pas ses adeptes les plus dévoués? Et il leur forge ces traits et ce supplice avec la prédication elle-même , avec toutes les fatigues d'un saint combat. Quel autre ennemi , quel autre bourreau aurait ainsi préparé pour leur ruine tous les instruments du salut? — Comprenez, en outre, qu'on ne peut aucunement aboutir, quanti on fait la guerre contre la vérité. Bien plutôt alors on se blesse, comme celui qui regimbe contre l'aiguillon.

« Car je sais que l'événement m'en sera salutaire, par vos prières et par l'infusion de l'esprit de Jésus-Christ (19) ». Rien de plus détestable que le démon. Il accable, il écrase ses tristes amis sous le poids de fatigues stériles ; et non content de les empêcher de conquérir la récompense, il sait leur faire mériter les châtiments, leur imposant non pas seulement la prédication, mais des jeûnes, mais une virginité qui seront privés de récompense, et prépareront même, à ceux qui les auront pratiqués , un affreux malheur. Tels sont les hommes qu'il stigmatise ailleurs comme « ayant leur conscience cautérisée ».

Remercions donc le Seigneur, je vous en prie, de ce qu'il a bien voulu nous alléger le travail et nous augmenter la récompense. Il est tel salaire, en effet, que recevront parmi nous de simples chrétiens par le chaste usage du mariage, et que ne pourront jamais gagner, chez certains autres, ceux mêmes qui auront gardé la virginité : oui , chez les hérétiques , ces hommes de virginité fidèlement pratiquée subiront la même peine que les fornicateurs. Pourquoi ? C'est qu'ils ne font rien avec droiture de volonté et d'intention , mais que leur but est d'accuser les oeuvres de Dieu et son immense sagesse (1). Dieu pour empêcher la paresse nous a imposé des travaux modérés, et qui ne sont point pénibles. Craignons néanmoins de les dédaigner. Car si les hérétiques se mortifient par d'inutiles travaux , quelle excuse aurons-nous de ne point subir des fatigues beaucoup moindres que doit couronner une si grande récompense? Qu'y a-t-il donc de si lourd, de si accablant dans les commandements

 

1 Les Manichéens, en effet, et avant eux les prohibentes nubere dont parle saint Paul à Timothée, professaient et ces maximes et ces pratiques.

 

de Jésus-Christ? Ne pouvez-vous vivre dans la virginité? Le mariage vous est permis. Ne pouvez-vous vous dépouiller de tous vos biens? Il vous est permis de n'en verser qu'une partie par l'aumône. « Que votre abondance », vous dit l'apôtre, « supplée à leur disette ». Il se peut que vous regardiez comme grand et difficile le mépris des richesses, l'empire absolu sur votre chaire : mais pour les autres vertus moindres, vous n'avez besoin ni de dépense, ni d'une violence excessive sur vous-mêmes. Quelle violence, en effet, faut-il s'imposer pour ne pas médire, pour ne pas accuser témérairement, pour ne pas envier les biens du prochain, pour résister aux entraînements de l'ambition? Il faut de la force pour endurer les tourments sans fléchir; il en faut pour se contenir en vrai sage, pour supporter la pauvreté, pour lutter contre la faim et la soif. Mais si de pareils combats vous sont épargnés; si vous pouvez, autant qu'il est permis à un chrétien, jouir de vos biens, vous faut-il un si grand effort pour vous abstenir d'envier ceux des autres? Cette misérable passion de l'envie, ou, pour mieux dire, tous nos maux et nos crimes n'ont qu'une source : c'est notre attachement aux biens présents. Si vous regardiez comme pur néant les richesses et la gloire de ce inonde, vous n'auriez pas ce regard envieux contre ceux qui les possèdent.

4. C'est parce que vous êtes épris de ces biens jusqu'à la folie, jusqu'à l'hallucination , que l'envie, que l'ambition vous entraîne et vous agite ; oui , de là vient tout le mal, de cette admiration d'une vie éphémère et des biens qui s'y rattachent. Vous porterez envie à cet homme, parce qu'il s'enrichit? Hélas ! il mérite bien plus votre pitié et vos larmes. Vous me répondez aussitôt en riant : c'est moi qui mérite les pleurs et non pas luit Ah ! oui, l'on vous doit aussi les larmes, non parce que vous êtes pauvre, mais parce que vous vous croyez misérable. Car enfin certaines gens qui n'ont aucun mal réel,et dont l'imagination seule est malade , obtiennent cependant nos larmes sincères, non pour leur mauvaise santé, puisqu'ils n'ont aucune maladie , mais pour l'idée qu'ils se sont faite. Ainsi , dites-moi , voici un homme sans fièvre et qui néanmoins se désole, bien portant et qui garde le lit et se laisse porter; ne méritera-t-il pas , ce malheureux , qu'on pleure sur lui , plutôt que sur de véritables fiévreux, non certes à cause de sa fièvre, mais pour l'idée qu'il se forge d'un mal purement imaginaire? Ainsi nos larmes vous sont dues, parce que vous allez vous croire misérable, et non pas à cause de votre pauvreté; car comme pauvre vous êtes très-heureux.

Eh quoi ! le riche vous fait-il donc envie parce qu'il s'est voué plus que vous aux chagrins? parce qu'il s'est condamné à un plus dur esclavage? parce que, semblable au dogue enchaîné, il traîne les mille anneaux de ses écus innombrables? Le crépuscule arrive, il se fait nuit; mais pour lui , le temps du repos devient l'heure du trouble , du chagrin , de la crainte, de l'inquiétude. Vienne un bruit léger... il est déjà sur pied ! Qu'un vol se commette : lui qui n'a point pâti, souffre plus d'ennui que celui qui a été victime du vol. Une fois dépouillé, celui-ci cesse de craindre l'autre nourrit une crainte perpétuelle.

La nuit arrive, port où finit le mal, consolation de toutes nos misères, remède de nos blessures. Voyez plutôt l'homme en proie à quelque grand chagrin : amis, parents, alliés, père ou mère même veulent en vain le consoler; loin d'écouter, loin de se rendre à leur voix, la colère lui monte, rien qu'à les entendre : car il n'y a pas de flamme qui fasse autant souffrir qu'une amère douleur; cependant que le sommeil lui commande le repos, il n'aura plus même la force d'ouvrir les yeux pour résister.

Tels encore nos membres brûlés, dévorés parles rayons d'un soleil ardent, cherchent et acceptent l'abri qui se présente , et lui trouvent les délices de mille fontaines d'eau vive et des plus doux zéphyrs : telle notre âme subit le bienfaisant empire des ombres et du sommeil; ou plutôt ni le sommeil ni la nuit n'apportent ces bienfaits; tout ce calme vient de Dieu , qui sait la condition misérable du genre humain.

Mais nous, nous sommes sans pitié pour nous-mêmes; ennemis de notre bonheur, nous avons inventé une tyrannie qui l'emporte sur la nécessité naturelle du repos, l'insomnie que cause le souci des richesses. « Le souci des richesses éloigne le sommeil », dit le sage. (Ecclés. XXXI, 1.)

Et pourtant admirez la divine Providence cette consolation, ce repos, n'a pas été remis à notre libre arbitre ni à notre choix ; l'usage du sommeil n'est pas soumis à notre volonté; une invincible nécessité de notre nature nous enchaîne sous ses lois, dont, malgré nous le bienfait s'impose. Dormir est un besoin de nature. Mais bourreaux de nous-mêmes, nous nous tourmentons comme nous ferions des étrangers, et des ennemis, nous avons su nous imposer une tyrannie plus forte qu'un besoin physique, celle de l'avare !  Le jour brille, l'avare redoute les fripons; la nuit tombe, il craint les voleurs; la mort menace, et c'est moins la mort qui le désole que l'idée de laisser aux autres tout son bien. A-t-il un jeune enfant? Ses désirs cupides grandissent, il se croit indigent. N'en a-t-il pas? son chagrin est encore pire.

Voudrez-vous donc estimer heureux, celui qui ne peut goûter un instant dé joie ? Regarderez-vous d'un oeil d'envie cet homme jouet des vagues et des flots, vous qui reposez dans votre pauvreté comme en un port tranquille? C'est vraiment une infirmité de notre nature, que de ne pas accepter généreusement une position féconde en tout bien, et d'outrager même la source qui nous les procure.

Voilà pour ce monde. Mais quand nous serons passés dans l'autre, écoutez le cri de ce riche, du possesseur de ces biens que vous estimez tant, et que je déclare, moi, n'être pas des biens, mais des choses indifférentes. « Père Abraham, envoyez Lazare pour qu'il trempe dans l'eau le bout de son doigt, et qu'il rafraîchisse ma langue; parce que je souffre dans cette flamme». (Luc, XVI, 24.) Ce riche, cependant, n'avait subi aucun des ennuis que je signalai tout à l'heure; libre de tout chagrin et dé tout souci, il avait passé toute une vie tranquille... mais, que dis-je? toute une vie ! pour désigner ce moment si rapide, car notre vie n'est qu'un bien court instant, comparée à l'éternité... Enfin, tout avait marché au gré de ses désirs, et néanmoins son témoignage ou plutôt la cruelle expérience ne le montre-t-elle pas misérable?... Est-ce donc bien toi, malheureux, dont la table se couvrait de vins exquis, et maintenant, à l'heure du plus pressant besoin, tu ne peux même disposer d'une goutte d'eau ! Est-ce bien toi qui regardais de si haut l'indigent Lazare et ses affreux ulcères? Et maintenant tu voudrais le voir un instant, et ne peux l'obtenir ! Gisant hier à la porte de ton palais, il repose aujourd'hui dans le sein d'Abraham ; et toi qui couchais sous de pompeux lambris, désormais tu prends ton lit dans l'éternelle flamme !

 

17

Riches, entendez ! ou plutôt hommes sans richesse, puisque. vous êtes sans humanité, comprenez ! Ce damné est puni non comme riche, mais comme sans pitié. L'opulence, en effet, conduite par la sainte pitié des pauvres, peut conquérir les biens infinis. Ce méchant, du sein des tortures, n'a vu qu'un homme, le Lazare, afin que son aspect lui rappelât sa cruelle conduite et qu'il comprît mieux la justice du châtiment. Le ciel ne pouvait-il lui présenter, par milliers, des pauvres couronnés? Oui, sans doute : mais celui qui gisait à sa porte, se montre seul pour l'instruire et nous avec lui, du grand bonheur qu'on trouve à ne pas se fier aux richesses. A celui-ci, en effet, la pauvreté ne fut point un obstacle pour gagner le ciel; à celui-là les richesses ne servirent pas même à lui épargner l'enfer.

Jusqu'à quand donc dirons-nous : malheur aux pauvres ! malheur aux mendiants ! Non, non, le pauvre ce n'est pas l'homme qui n'a rien; c'est l'homme qui a de trop vastes désirs ! Le riche n'est pas celui qui possède beaucoup, mais plutôt celui qui ne manque de rien. A quoi sert de posséder l'univers entier, si l'on est plus dans la tristesse que l'indigent? La volonté et le parti pris font les vrais riches ou les vrais pauvres, et non pas l'abondance ou le besoin. Pauvre, voulez-vous vous enrichir? Si vous le voulez, c'est chose facile, et personne au monde ne peut vous en empêcher : méprisez les richesses du monde; regardez-les pour ce qu'elles sont, pour rien ! chassez de votre coeur les désirs cupides, et vous êtes riche !

Qui ne veut pas s'enrichir, a fait déjà fortune; qui ne veut pas s'appauvrir, est déjà ruiné. Languir en pleine santé, c'est être plus véritablement malade que ne l'est un homme courageux, qui supporte avec une égale facilité la santé et la maladie : ainsi ne pouvoir subir l'indigence même en perspective, et se croire pauvre au sein des richesses, c'est être vraiment pauvre, comme ne l'est pas celui qui, acceptant de grand coeur son indigence réelle, vit avec une joie inconnue à l'opulence. Oui, celui-ci est vraiment bien plus riche.

Dites-moi, en effet, pourquoi craindre la pauvreté? Pourquoi la redouter? Appréhendez-vous d'avoir faim, d'avoir soif, d'avoir froid, de subir enfin quelque fléau de ce genre? Mais personne, personne, entendez-le, n'a jamais été réduit à de telles extrémités : « Consultez plutôt les générations écoulées, et voyez. Qui donc a cru en Dieu, et se vit délaissé? Qui espéra en lui, et fut confondu?» (Ecclés. II, 11.) Et ailleurs: « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni n'amassent point dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit». (Matth. VI, 26.) II n'est pas facile de citer quelqu'un qui soit mort ou de faim ou de froid. Pourquoi donc craignez-vous la pauvreté? Vous ne pouvez répondre. Oui , pourquoi la craindre, si vous avez le nécessaire ? Serait-ce parce que vous n'avez pas une multitude de serviteurs? Mais quel malheur, en vérité, de n'être pas ainsi embarrassé d'une foule de maîtres, de jouir d'un bonheur continuel, d'être affranchi de souci, d'être libre enfin ! — Serait-ce parce que vous n'avez pas ce mobilier, ces lits, cette vaisselle d'argent? Mais, pour la vraie jouissance, le propriétaire de ces bagatelles est-il plus heureux que vous? Non, car, pour l'usage de la vie, que la matière soit plus ou moins précieuse, un meuble n'a. que son emploi. — Serait-ce parce que vous ne commandez pas la crainte à la multitude? A Dieu ne plaise que cela vous arrive jamais ! Où est le plaisir à vous faire craindre, à vous faire trembler? — Est-ce parce que, pauvre, vous craignez vous-même ? Mais ne craignez pas, cela vous est permis ! « Voulez-vous ne pas craindre les puissances (de la terre)? Faites toujours bien, et vous obtiendrez même leurs louanges ». (Rom. XIII, 3.)

Mais, m'objectez-vous, on nous méprise si facilement l on nous accable si volontiers t C'est beaucoup moins ta pauvreté que le crime, qui attire ces fléaux. Bien des pauvres, en effet, passent leur vie sans encombre; tandis que bien des princes opulents et des souverains ont été plus maltraités par le sort que des criminels, des brigands, des profanateurs de sépulture. Le mal que peut vous faire la pauvreté, ils l'ont rencontré dans leurs richesses mêmes. Un malfaiteur vous attaque par mépris; il s'en prend au riche par envie et colère, et il le fait sur lui avec plus de rage que sur vous; car il est poussé à lui faire du mal par un motif plus violent. L'envieux, en effet, dépense, pour agir, toute la force et toutes les ressources de la passion : mais l'ambitieux, qui vous dédaigne souvent, prend en pitié l'objet de son dédain; et la cause de votre salut aura été votre pauvreté même, votre faiblesse (18) profonde. Quand un puissant veut écraser un faible, n'avons-nous pas coutume de dire Vous ferez, en vérité, une noble action en détruisant ce malheureux, en le tuant ! vous y gagnerez gloire et profit ! Et cette réflexion suffit pour calmer sa colère. Contre les riches, au contraire, l'envie se lève, et poursuit son oeuvre sans paix ni trêve jusqu'à l'accomplissement de tous ses désirs, jusqu'à l'effusion de tout son venin.

Voyez-vous comme le bonheur ne se trouve ni dans la pauvreté, ni dans les richesses, mais dans notre coeur et dans ses désirs? Sachons seulement le dominer; formons-le aux leçons de la sagesse,. S'il est bien disposé, ni les richesses ne pourront nous exclure du céleste royaume, ni la pauvreté ne nous amoindrira: notre courage à la supporter empêchera qu'elle ne puisse nous nuire soit dans la conquête des biens futurs, soit même dans ceux de la vie présente. Celle-ci ne sera pas sans jouissance, et la possession des éternelles joies nous sera garantie. Puissions-nous en devenir dignes, etc.

 

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