PHILIPPIENS XV

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HOMÉLIE XV. AU RESTE, J'AI REÇU UNE GRANDE JOIE EN NOTRE-SEIGNEUR, DE CE QU'ENFIN VOUS AVEZ RENOUVELÉ LES SENTIMENTS QUE VOUS AVIEZ POUR MOI. (CHAP. IV, 10 ET LE RESTE.)

 

Analyse.

 

1. Le mérite de l'aumône : pourquoi et comment saint Paul l'acceptait.

2. Saint Paul savait vivre dans l'abondance comme dans la disette ; s'il souffrait qu'on lui donnât, c'est qu'il voulait associer les néophytes à ses travaux et à ses récompenses.

3. Ce n'est pas que l'argent puisse acheter le ciel; l'intention du donateur fait tout le mérite de la donation. Par suite, celle des Philippiens était précieuse devant Dieu.

4. Paul, comme les mendiants, remercie celui qui donne, et leur souhaite toute sorte de biens, de sa part et de la part de ses frères dans l'apostolat et dans la souffrance. —Transition à l'exhortation sur les souffrances.

5 et 6. Les souffrances sont nécessaires et inévitables, pour la formation du chrétien. — Exemples vivants de souffrances, à la cour même des empereurs de Constantinople; exemples chez les rois juifs. — Les souffrances sont une pénitence utile, et la préparation au bonheur de l'autre vie.

 

1. Je l'ai souvent répété, l'aumône a été commandée dans l'intérêt non de ceux qui la reçoivent, mais de ceux qui la donnent. Ceux-ci en recueillent surtout le fruit. Paul nous enseigne clairement ici cette Vérité. Comment? Rappelons - nous qu'après s'être fait longtemps attendre, les Philippiens lui avaient envoyé une aumône, et qu'Epaphrodite avait été chargé de la lui porter. Sur le point de renvoyer celui-ci avec cette épître, il les loue, comme vous voyez, et leur montre que leur bienfait a rejailli, sur eux-mêmes bien plus que sur ceux qui l'ont reçu. Il procède ainsi pour deux raisons : il craint d'abord que les bienfaiteurs ne s'enorgueillissent, et veut au contraire les rendre plus empressés à se montrer encore généreux, puisqu'ils sont au fond les obligés; en second lieu il empêche que ceux qui reçoivent n'encourent le jugement de Dieu paru n empressement exagéré, éhonté même à recevoir toujours; en effet, il est dit ailleurs « qu'il est plus heureux de donner « que de recevoir ». (Act, XX, 35.)

Quelle est donc sa pensée en écrivant : « J'ai reçu une. grande joie dans le Seigneur? » Je me suis réjoui, dit-il, non d'une joie mondaine, non pas même d'une joie purement humaine , mais dans le Seigneur, à cause de vos progrès dans la vertu, et non pas pour le soulagement temporel que j'ai éprouvé. Oui, votre vertu fait ma consolation ; et il ajoute même ma consolation et ma « grande joie » ; ce bonheur, en effet, n'avait rien de matériel; il n'était pas même inspiré par la reconnaissance pour un secours nécessaire, mais par l'idée de leur progrès dans le bien. Et remarquez encore . après un doux reproche pour le passé, il s'empresse de voiler, ce blâme, en les instruisant à l'exercice continuel et non interrompu de la charité. « Enfin une fois... », dit-il, pour rappeler un long intervalle de stérilité : « Vous avez refleuri », figure empruntée aux arbres qui bourgeonnent et puis sèchent pour pousser ensuite des fleurs nouvelles. Il leur fait donc entendre qu'après avoir donné la preuve d'une charité florissante et s'être ensuite desséchés, ils ont repris sève et vigueur. Ainsi (93) l'expression ; « Vous avez refleuri », contient à la fois un blâme et un éloge. Il n'est pas sans mérite, en effet, de refleurir après avoir été desséché; mais aussi la négligence a été pour eux l'unique cause de ce malheur. « Jusqu'à reprendre pour moi les sentiments que vous aviez autrefois » : il montre qu'ils ont eu la sainte habitude de se montrer généreux en pareils cas, de là ces mots : « Que vous aviez autrefois ». Encore pour ne pas laisser croire qu'après avoir été si charitables, ils se soient tout à coup entièrement desséchés, il montre que sur un point seulement ils se sont oubliés, et s'attache à le déclarer ainsi avec une extrême précaution : « Vous avez enfin refleuri pour moi », comme s'il ne faisait porter l'avis que sur ce point seul; « enfin », car (c'est du moins mon interprétation), dans les autres cas, vous n'avez pas cessé d'être bienfaisants.

Mais quelqu'un pourrait ici opposer l'apôtre à lui-même. Il a déclaré, objecterait-on, « qu'il a plus de bonheur à donner qu'à recevoir; mes mains », ajoutait-il, « ont travaillé pour mes besoins personnels et pour ceux de mes compagnons d'apostolat; j'aime mieux mourir », écrivait-il aux Corinthiens, « que de souffrir que quelqu'un me fasse perdre cette gloire ». (I Cor. IX, 15.) Aujourd'hui, au contraire, il n'a aucun souci de perdre cette gloire et de la voir s'anéantir. Et comment? En acceptant l'aumône. S'il a pu dire : Ma gloire est de ne rien recevoir, pourquoi l'abdiquer aujourd'hui? Comment répondre à cette objection ?

C'est que, dans le premier cas, il avait une excellente raison de refuser; il combattait les faux apôtres qui voulaient paraître tout à fait semblables aux vrais ministres de Dieu, et trouver en cela sujet de « se vanter ». Il ne dit pas qu'en cela ces misérables montraient ce qu'ils étaient, mais qu'ils se vantaient, montrant ainsi que ces gens savaient bien recevoir, mais en secret; et c'est pourquoi il écrit : Qu'ils se vantaient de leur désintéressement. (II Cor. XI, 12.) — Mais néanmoins saint Paul acceptait les présents des fidèles, sinon à Corinthe, du moins ailleurs. C'est pourquoi il disait non pas absolument et simplement : « Je ne me laisserai pas ravir cette gloire », mais avec restriction : On ne me la ravira pas « dans toute l'Achaïe », après avoir écrit quelques lignes auparavant : « J'ai dépouillé les autres églises, en recevant d'elles l'assistance dont j'avais besoin pour vous servir ». (II Cor. VIII et seq.) Il déclare donc lui-même qu'il avait coutume d'accepter.

D'ailleurs Paul avait bien le droit de recevoir, pendant qu'il s'imposait un si rude travail; mais des ouvriers qui ne font rien, comment auraient-ils ce même droit? — Mais , dira l'un d'entre eux, je donne mes prières ! Ce n'est pas un travail, puisque tout en travaillant vous pouvez prier. — Mais je jeûne ! Ce n'est pas encore là travailler. Notre bienheureux, vous le verrez en maints passages, unissait le travail à la prédication.

« Vous n'aviez pas l'occasion », ajoute-t-il. Qu'est-ce à dire? Ce n'était pas négligence chez vous, c'était une impossibilité, puisque vous n'aviez rien de disponible, vous n'aviez pas de superflu; c'est le sens de ces mots : « Vous n'aviez pas l'occasion ». Paul emploie ici une manière commune de parler. Car c'est ce que disent la plupart des gens quand la fortune leur manque et qu'ils sont dans la gêne.

« Ce n'est pas le besoin qui me fait parler ». Si j'ai dit : « Qu'enfin une fois encore » vous avez été généreux; si je vous ai fait un reproche, ce n'était pas pour pourvoir à mes intérêts ni pour soulager ma détresse; non, tel n'était pas mon but. — Cependant, ô apôtre, votre langage ici ne respire-t-il pas l'amour-propre ? — Non, car déjà aux Corinthiens il disait: « Nous ne vous écrivons rien que vous n'ayez lu ou que vous n'ayez connu par vous-mêmes ». (II Cor. I, 13.) Croyez donc qu'aux Philippiens non plus, il ne tenait pas un langage qu'on aurait pu facilement réfuter. Il ne leur parlerait pas ainsi, assurément, s'il voulait se vanter; car sa lettre arrivait à des gens qui le connaissaient, et le blâme lui serait arrivé de leur part plus éclatant et plus ignominieux. Aussi à ceux-ci même il pouvait dire : « J'ai appris à me contenter de l'état où je me trouve ». — « Il a appris », parce que c'est une vertu qui s'acquiert uniquement par l'exercice, l'étude et la ferme volonté. Loin d'être aisée à conquérir, elle est très-difficile et très-laborieuse : J'ai appris à me suffire « dans l'état où je suis. Je sais vivre pauvrement, je sais vivre dans l'abondance ; je suis fait à tout »; c'est-à-dire, je sais me contenter de peu , supporter la faim et la disette, l'abondance comme les privations. — Soit, dira (94) quelqu'un; mais il n'est pas besoin de science ni de vertu pour vivre dans l'abondance. — Au contraire, ce point réclame beaucoup de vertu, et non moins que son opposé. Comment? C'est que si la faim conseille beaucoup de crimes, l'abondance n'a pas moins de mauvaises inspirations. Plusieurs, en effet, quand ils sont arrivés à l'opulence, deviennent paresseux et ne savent porter le poids de la fortune. Plusieurs ont trouvé dans la richesse le prétexte d'une fainéantise absolue. Tel n'était pas l'apôtre. Quand il recevait, il savait faire la part, et très-large, de son prochain. Voilà bien user de ce qu'on possède. Il ne ralentissait point son zèle , il ne se réjouissait pas de l'affluence des biens de la terre; mais il se montrait toujours le même dans la disette comme dans l'abondance , sans jamais être accablé par l'une, ni enflé par l'autre.

2. « Je sais être rassasié ou être affamé », disait-il; « je sais porter l'abondance ou la pénurie ». Il en est plus d'un qui ne savent pas être rassasiés sans danger, comme ces Israélites qui mangeaient et aussitôt se révoltaient; pour moi, dit-il, je garde en toute occasion la même modération. Il montre ainsi qu'il n'a pas plus de plaisir aujourd'hui qu'il n'a éprouvé de douleur auparavant; et que, s'il a accepté, c'était plus pour eux que pour lui-même : car, pour lui, il savait ne point éprouver le moindre changement d'humeur. « Partout, en effet, à tout événement je suis prêt et formé », c'est-à-dire, de longue date j'ai fait de toutes choses la complète expérience, et toutes choses me vont également bien. Et parce qu'une telle affirmation sentait la vanterie, voyez comme saint Paul se hâte de la corriger : « Je puis tout », dit-il, « en Jésus-Christ qui me fortifie »; c'est-à-dire, ce que je fais de bien, ce n'est pas moi qui le fais, mais celui qui m'en donne la force.

Toutefois les plus généreux bienfaiteurs se ralentissent, s'ils voient que leur obligé n'est pas vivement touché, et qu'il dédaigne même ce qu'on lui. donne. On est volontiers charitable, quand on croit faire un heureux, soulager un besoin. Paul donc, en méprisant les secours qu'on lui offrait, aurait rendu nécessairement les néophytes plus négligents. Or, voyez comme il s'empresse de prévenir ce malheur. Ses avis précédents réprimaient en eux l'orgueil satisfait; les paroles qui suivent animent et enflamment leur saint dévouement : « Vous avez bien fait néanmoins », dit-il, « de prendre part à l'affliction où je suis ». Voyez comme tour à tour il s'élève et s'abaisse, s'isole et se rapproche, et reconnaissez à ce double trait son amitié pour eux à la fois vive et chrétienne. Je pouvais me passer, dit-il, mais n'allez pas croire que pour cela je n'éprouvasse aucun besoin : j'ai besoin , pour vous être utile. Et comment participaient-ils à ses souffrances ? Par leur charité secourable. Il leur dit la même chose touchant ses chaînes : « Vous êtes tous associés à ma grâce », leur dit-il; c'est une grâce, en effet, de souffrir pour Jésus-Christ, et l'apôtre leur avait déjà dit : « Dieu vous a fait cette grâce, non-seulement de croire en lui, mais de souffrir pour lui ». (Philip. I, 29.) En s'arrêtant court après ses premières paroles, il aurait pu les affliger. Aussi veut-il les embrasser dans un tendre amour et leur adresser un éloge, quoique modéré. Il ne dit pas: Vous avez bien fait de me « donner... » ; mais, de « prendre part » à mes afflictions; montrant qu'eux-mêmes ont gagné, puisqu'ils ont acquis le droit de partager la récompense. Il ne dit pas non plus : Vous avez allégé mes souffrances ; mais : « Vous avez pris part à mes tribulations », ce qui était certainement plus glorieux.

Comprenez-vous maintenant l'humilité de saint Paul? Voyez-vous aussi sa magnanimité? Il a commencé par déclarer qu'il n'a aucun besoin de leur argent; mais aussitôt il ne craint pas d'user des plus humbles expressions, s'abaissant même au langage des mendiants qui vous disent : Donnez, selon votre habitude charitable! Car l'apôtre ne recule devant aucune parole, ni devant aucune action pour arriver pleinement à son noble but. Et quel est ce but? Vous n'accuserez pas, leur dit-il, l'arrogance de mon langage, bien que je vous aie blâmé, bien que je vous aie écrit : « Enfin, une fois encore, vous avez refleuri ». Vous ne m'accuserez pas non plus de parler sous l'empire de la nécessité. Non, je ne vous ai pas écrit sous l'influence du besoin. Quel fut donc mon mobile? Une pleine confiance en vous, et vous-mêmes êtes la cause et les auteurs de cette confiance. Voyez comme il gagne leur coeur. Vous êtes cause de ma confiance, leur dit-il; vous accourez les premiers à notre aide; vous nous donnez le droit de (95) vous rappeler vos bienfaits. — Maintenant, après l'humilité de Paul, voyez la dignité de l'apôtre : tant que les Philippiens ne lui envoient rien, il ne leur adresse aucun blâme, de peur de paraître plaider sa propre cause; dès qu'ils ont envoyé, il les blâme aussitôt pour le passé, et eux-mêmes acceptent chrétiennement ce blâme, parce qu'en effet, saint Paul, en parlant avec cette liberté, ne pouvait être soupçonné d'agir pour son intérêt personnel.

« Or vous savez, mes frères de Philippes, qu'après avoir commencé à vous prêcher l'Evangile , ayant depuis quitté la Macédoine, nulle autre Eglise n'a communiqué avec moi par l'échange de dons reçus et rendus, vous seuls exceptés ». Dieu ! quel magnifique éloge ! La charité des Corinthiens et des Romains avait été provoquée par l'exemple des autres et la parole de saint Paul, mais les Philippiens entrèrent d'eux-mêmes dans cette voie, avant qu'aucune autre Eglise leur eût montré l'exemple, « et, au début même de l'Evangile », dit l'apôtre, ils montrèrent pour le saint prédicateur un tel amour, un dévouement si spontané, qu'ils furent les premiers à porter de tels fruits de charité. Et l'on ne peut pas dire qu'ils agissaient ainsi parce que Paul les honorait de son séjour, et que c'était une manière de prouver leur reconnaissance pour des bienfaits reçus ; car saint Paul l'a dit : « Quand je suis parti de la Macédoine, nulle autre Eglise n'a communiqué « avec moi par l'échange de biens rendus et a reçus, vous seuls exceptés ». — Que signifie cette parole : « Biens reçus et rendus », et cette autre : « N'a communiqué? » Pourquoi ne dit-il pas simplement: Aucune Eglise ne m'a rien donné, mais plutôt: «Aucune n'a communiqué avec moi, par l'échange de biens a reçus et rendus ? » C'est qu'ici il y avait , en effet, échange et communauté. « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels », écrivait-il ailleurs, « est-ce une grande chose a que nous recueillions un peu de vos biens temporels? » (I Cor. IX, 11.) Et dans un autre passage : « Que votre abondance supplée à leur indigence». (II Cor. VIII, 14.) Vous voyez l'échange: ils donnent d'une part, de l'autre ils reçoivent; biens temporels pour biens spirituels. Ainsi que font échange les vendeurs et les acheteurs, recevant l'un de l'autre et se donnant l'un à l'autre, car c'est là l'échange même, ainsi arrive-t-il au cas présent. Rien, en effet, rien n'est plus lucratif que ce commerce et ce saint négoce ; il commence sur la terre, il s'achève et se parfait au ciel. L'acheteur habite cette basse région ; mais contre une valeur terrestre , il achète par contrat les biens célestes.

3. Ici toutefois que nul ne perde espoir ; les biens éternels ne nous sont point offerts à prix d'argent; non, telle n'est point la monnaie du ciel; le ciel s'achète par notre libre volonté, par le courage viril qui nous fait jeter l'argent même, par la sagesse, par le mépris des choses de la terre, par l'humanité, par l'aumône. Si l'argent payait de tels biens, la veuve qui laissait tomber deux oboles dans le tronc n'aurait pas reçu beaucoup ; mais comme le bon vouloir est la grande puissance et qu'elle apportait tout le désir de son coeur, elle a tout reçu. Ne disons donc jamais que l'or achète le céleste royaume; ce n'est pas l'or, non, mais l'intention, mais la bonne volonté qui se traduit par ce sacrifice d'argent. Mais, direz-vous, encore faut-il être riche? Non, non, la richesse n'est point nécessaire, la bonne volonté suffit. Ayez-la, et avec deux oboles vous pourrez acheter un trône ; sinon, deux mille talents d'or n'auraient pas la vertu de deux oboles. Pourquoi? C'est qu'ayant beaucoup, vous donnez bien peu; l'aumône que vous faites n'atteint pas celle de la pauvre veuve. Moins que la veuve vous avez apporté l'empressement et le bon coeur qui donne. Cette femme s'est dépouillée de tout; que dis-je? non, elle ne s'est pas dépouillée de tout, elle s'est tout donné. Dieu a mis le ciel à prix, non pour vos talents d'or, mais pour une somme de bon vouloir; non pas même pour votre vie, mais pour une généreuse intention. Donner une vie, en effet, qu'est-ce après tout? Ce n'est qu'un homme; et un homme, c'est encore un prix bien inférieur.

« Vous m'avez envoyé deux fois à Thessalonique de quoi satisfaire aux besoins ». Nouvel et grand éloge des Philippiens dont la pauvre cité le nourrissait même pendant son séjour dans la capitale de la province. Remarquez cependant ses paroles. Comme en témoignant toujours qu'il était hors de besoin, il craignait (je l'ai dit déjà) de les rendre moins zélés, après leur avoir montré de tant de manières que personnellement il ne manquait de rien, il a soin de leur rendre ce fait, plus (96 évident encore par un seul mot: « Aux besoins», écrit-il, et. non « à mes besoins », sauvant ainsi la dignité et les bienséances. Et, non content de ce trait, il va poursuivre dans le même sens; il va corriger ce que ses éloges pourraient avoir de trop vil et de trop abaissé.

« Ce n'est pas »,continue-t-il, « que je désire vos dons », suivant l'idée déjà exprimée autrement par lui quand il disait : « Je ne parle pas sous l'empire du besoin ». Ceci est moins fort toutefois que la première manière d'écrire. Autre chose est ne pas chercher ni désirer, quand on est dans le besoin ; autre chose est ne pas même se croire dans le besoin quand réellement on s'y trouve. « Ce n'est pas que je désire vos dons; mais je désire qu'il en revienne, pour votre compte et non pour le mien, un profit considérable ». Voyez-vous comme l'aumône leur amasse des fruits? Je ne parle pas ici, dit-il, dans mon intérêt, mais dans le vôtre et pour votre salut. Je ne gagne rien, moi, en recevant; tout le bien est pour ceux. qui donnent, et non pour ceux qui reçoivent; les premiers ont en réserve une récompense infinie ; les seconds consomment ce qui leur est ainsi donné. Nouvel éloge, mais non sans quelque aveu d'un besoin; car s'il adit: « Je ne désire pas », craignant qu'ils ne se ralentissent, il ajoute : « Maintenant j'ai tout reçu et je suis dans l'abondance », c'est-à-dire, votre aumône a réparé même les oublis précédents. C'est encore une manière certaine d'exciter leur zèle charitable. Il remercie : or, tout bienfaiteur, quand il a fait des progrès dans la sagesse chrétienne, désire d'autant plus trouver chez l'obligé la reconnaissance. « J'ai tout reçu, j'abonde ». C'est comme s'il disait: Non-seulement vous avez réparé les oublis du passé, mais vous avez même comblé la mesure et au delà. Mais ne vont-ils pas voir ici un reproche? Il le prévient parles sages précautions de tout ce passage. En effet, il avait dit : « Ce n'est pas que je désire vos dons », et plus haut : « Enfin, un jour vous avez refleuri », leur montrant ainsi qu'ils acquittaient une dette en retard ; le terme « j'ai reçu » de cette phrase même, rappelle qu'il a touché comme le montant d'une rente, comme les fruits d'un champ. Mais aussitôt il déclare qu'ils ont donné bien au-delà de leur dette : « J'ai tout reçu, j'abonde, je suis rempli de vos biens »; et ce n'est pas à l'aventure, ce n'est pas par excès de tendresse que j'en fais l'aveu; quoi donc? «C'est que j'ai reçu par Epaphrodite ce que vous m'avez envoyé comme une obligation d'agréable odeur, comme une hostie que Dieu accepte volontiers et qui lui est agréable ». Mon Dieu ! à quelle hauteur il élève leur aumône! Ce n'est pas moi qui ai reçu, dit-il, c'est Dieu par moi; aussi quand je n'aurais aucun besoin, n'y regardez pas; Dieu n'avait pas besoin assurément, et pourtant il a reçu; à ce point que la sainte Ecriture n'a pas craint de dire : « Le Seigneur a « respiré in parfum agréable» (Gen. VIII , 2) ; ce qui indique évidemment une joie de Dieu. Vous savez, oh ! vous savez comme notre âme est délicieusement impressionnée par un suave parfum, quelle douceur et quelle volupté elle y trouve. Eh bien ! l'Ecriture sainte n'a pas fait difficulté d'attribuer à Dieu une expression aussi humaine, aussi abaissée, pour faire comprendre aux hommes comment il recevait leurs présents. Car ce n'étaient sans doute ni l'odeur, ni la fumée qui rendaient un sacrifice agréable; mais bien le coeur qui l'offrait; sinon, les dons mêmes de Caïn auraient été agréés. Et toutefois, l'Ecriture atteste cette joie de Dieu; et comment s'expliquer cette joie ? C'est que les hommes ne savent pas comprendre d'autre langage. Aussi l'Etre bienheureux, qui est au-dessus de tout besoin, témoigne de sa joie, de peur que les hommes, sous prétexte que Dieu n'a pas besoin, s'attiédissent dans le devoir. Mais comme dans la suite des temps, oubliant toutes les autres vertus et obligations, ils n'avaient de confiance qu'en ces victimes immolées, Dieu les reprenait sévèrement en ces termes : « Est-ce que je mangerai la chair des taureaux; est-ce que je boirai le sang des boucs? » (Ps. XLIX, 13.) C'est le sens de saint Paul quand il dit : « Je ne cherche pas vos dons ».

4. « Je souhaite que mon Dieu comble tous vos besoins selon les richesses de sa gloire par Jésus-Christ ». Remarquez que Paul, à l'exemple des pauvres mendiants, remercie et bénit. Que si Paul bénit ainsi ses bienfaiteurs, combien moins devons-nous rougir d'en faire autant nous-mêmes quand nous recevons; ou plutôt, ne recevons pas en nous félicitant d'échapper au besoin, ne nous réjouissons pas pour nous-mêmes, mais pour ceux qui donnent. Ainsi nous serons récompensés, nous aussi qui recevons, puisque nous serons (97) heureux de leur vertu; ainsi ne serons-nous point fâché contre eux s'ils nous refusent, mais plutôt nous plaindrons leur sort; ainsi deviendrons-nous plus dignes et plus saints, si nous prouvons que notre intérêt propre n'est jamais notre guide.

« Que mon Dieu », dit saint Paul, « comble tous vos besoins». Au lieu de Khreian besoin, faut-il lire Kharin ou Kharan, grâce ou joie ? Si vous lisez « grâce », le sens est : Que Dieu bénisse non-seulement votre aumône présente, mais toutes vos bonnes oeuvres ! Si vous lisez « besoin », et telle est, je crois, la vraie leçon, voici la pensée de l'apôtre : il avait dit « Les ressources vous manquaient », il se hâte d'ajouter l'équivalent de ce qu'il dit déjà aux Corinthiens : « Puisse Celui qui fournit la semence au semeur, vous donner aussi le pain de chaque jour, multiplier votre semence, et faire croître les germes des fruits de votre sagesse ». (II Cor. IX, 10.) II demande donc aussi pour les Philippiens que Dieu leur donne l'abondance, la semence pour la répandre encore. Il prie Dieu non de leur accorder une abondance quelconque, mais celle qui est « selon les richesses de sa bonté ».

Remarquez, toutefois, la prudence et la modération de saint Paul. Il n'aurait pas ainsi prié Dieu de combler « tous les besoins » de ses néophytes, s'ils avaient été d'autres Pauls par la sagesse, par le crucifiement au monde. Mais il voyait en eux des artisans, des pauvres, des gens mariés, chargés d'enfants; pères de famille, ils avaient pris l'aumône sur leur indigence même, et ils n'étaient pas sans quelque désir des biens de ce monde. La prière de l'apôtre s'abaisse à leur portée. A des personnes de cette condition, il aurait pu , sans être déraisonnable , souhaiter le suffisant , l'abondance même. Voyez toutefois ce qu'il demande pour eux. Il ne dit pas : Que Dieu vous enrichisse, qu'il vous accorde l'opulence; mais quoi? « Qu'il comble tous vos besoins », que vous n'ayez pas la misère, que tout le nécessaire vous arrive. Jésus-Christ même, quand il nous enseigna une formule de prière, y ajouta cette demande et nous apprit à dire : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour ».

« Selon ses richesses ». Qu'est-ce à dire? Selon sa bonté habituelle, qu'on sait être si facile et si, prompte à donner. Et comme en demandant «pour leur besoin », l'apôtre ne veut pas qu'ils entendent ce mot dans le sens de misère, il ajoute : « Selon les richesses de sa gloire par Jésus-Christ ». Vous aurez de toutes choses une telle abondance, que vous croirez être déjà dans la gloire de Dieu. Peut-être aussi veut-il simplement leur prédire qu'ils seront au-dessus du besoin; « car la grâce était grande dans tous les fidèles », nous disent les Actes (Act. IV, 33) ; « il n'y avait même aucun pauvre parmi eux ». Peut-être enfin veut-il qu'ils fassent tout pour la gloire de Dieu ; comme s'il leur disait : Usez des biens de Dieu pour sa gloire. « Gloire soit à Dieu notre Père dans tous les siècles des siècles. Amen ». La gloire de Dieu n'appartient pas seulement au Fils, mais aussi au Père. Quand on l'attribue au Fils, on l'attribue aussi au Père. L'apôtre venait de parler d'une gloire de Dieu en Jésus-Christ; de peur qu'on ne la reporte à celui-ci seulement, il ajoute : « Mais à Dieu aussi et à notre Père, gloire ! » Cette gloire, en effet, a été donnée au Fils.

« Saluez de ma part tous les saints en Jésus-Christ ». Encore un précieux témoignage en leur faveur; c'est une grande amitié de sa part que de les saluer même par lettres. « Les frères qui sont avec moi vous saluent ». Comment disiez-vous de Timothée : Je n'ai personne qui me soit aussi intime, ni qui vous porte une aussi tendre sollicitude? Et comment dites-vous aujourd'hui : « Les frères qui sont avec moi? » Il appelle frères ceux qui sont avec lui, soit parce que les paroles : « Je n'ai personne qui me soit aussi intime », ne se rapportent pas à ceux qui étaient dans Rome ; car quelle nécessité pouvaient avoir ceux-ci de se charger des affaires de l'apôtre? — Soit même parce qu'il consent bénévolement à leur donner ce nom de frères.

« Tous les saints vous saluent, surtout ceux qui sont de la maison de César. Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous ». Il relève leur courage en leur montrant que la sainte prédication est arrivée jusque dans le palais impérial. Si les heureux du siècle, qui habitent la cour des princes, ont tout méprisé pour le royaume des cieux, à plus forte raison devaient-ils, eux aussi, marcher dans cette voie. C'était encore une preuve de la charité de Paul, que de raconter des Philippiens tant et de si belles choses, que, de si loin et sans les avoir jamais vus, les (98) habitués du palais leur adressaient ainsi un salut d'amitié. A cette époque surtout, où les fidèles étaient persécutés, la charité avait tout soit empire; et comment ? C'est que, malgré les distances fort grandes qui les séparaient, ils gardaient entre eux cependant la plus étroite union; et les plus éloignés eux-mêmes, tout comme s'ils avaient été voisins, s'envoyaient mutuellement le salut; tous s'entr'aimaient; le pauvre aimait le riche, le riche aimait le pauvre, autant que chacun aime ses propres membres ; on ne connaissait point de préséance, parce que tous étaient enveloppés également dans la haine publique, tous rejetés et bannis pour la même cause. Et tels que des prisonniers de guerre arrachés de pays différents, se portent un même et mutuel intérêt quand ils ont la même ville pour prison, parce que leur misère commune en fait des frères; tels alors les chrétiens, réunis par la communauté de bonheur ou de disgrâce, se témoignaient réciproquement une grande charité.

5. La tristesse et les tribulations forment, en effet, entre ceux qui souffrent, un indestructible lien, augmentent la charité, redoublent la piété et la componction. Ecoutez David : « Il m'a été bon que vous m'ayez humilié, Seigneur; j'ai appris ainsi votre justice et vos lois ». (Ps. CXVIII, 71.) Entendez un autre prophète : « Il est bon à l'homme de porter le joug du Seigneur dès son adolescence ». (Jérémie, III, 27.) Et ailleurs : « Bienheureux  l'homme que vous instruirez par l'épreuve, Seigneur ». (Ps. XCIII, 12.) Un autre nous a dit : « Ne méprisez pas les rudes leçons du Seigneur » (Prov. III,11); et encore: « Si vous voulez arriver à la hauteur du service de Dieu, préparez votre âme à la tentation». (Ecclés. II, 1.) Jésus-Christ à son tour avertissait ses disciples : « Vous trouverez l'oppression et la peine en ce monde, mais ayez confiance. Vous pleurerez », ajoute-t-il, « vous gémirez vous autres, et le monde sera dans la joie » (Jean, XVI, 20, 33) ; car il nous en prévient aussi : « La voie est étroite et rude ». (Matth. VII, 14.) Voyez-vous comment partout la tribulation nous est proposée avec éloges, avec instances, comme une nécessité de premier ordre? En effet, si dans les luttes du cirque et de l'arène, personne ne peut sans peine emporter la couronne; s'il faut la mériter en se formant par les travaux, par les abstinences, par un sévère régime de vie, par les veilles, par mille exercices gênants, combien plus le faut-il pour le ciel ! Eh ! quel homme au monde est exempt de peines? M'opposerez-vous l'empereur? Ah! pas plus que personne il ne mène une vie affranchie de soucis, mais au contraire sa carrière est remplie d'ennuis et d'angoisses. Regardez, non pas le diadème, mais ce déluge d'inquiétudes, qui fait constamment autour de lui gronder la tempête; voyez, non la pourpre de son manteau, mais son âme, son âme plus assombrie que cette pourpre sombre: la couronne lui ceint le front beaucoup moins que l'inquiétude ne lui serre le coeur. Contemplez, non pas le nombre de ses gardes, mais la multitude de ses chagrins; aucune maison de simples sujets n'abrite, autant que le palais des rois, une multitude de tristes soucis. La mort les menace sans cesse, ils redoutent même leurs proches; il semble que toutes les tables soient couvertes de sang. On croit en voir lorsqu'on entre à table et lorsqu'on en sort. Que de nuits pleines d'horreur où les visions et les rêves arrachent de leur couche les princes tremblants ! Voilà les soucis en pleine paix; mais que la guerre s'allume, leurs inquiétudes vont redoubler. Se peut-il imaginer une vie plus misérable?

Et que ne leur font pas endurer ceux-mêmes qui les touchent de plus près, ceux sur qui pèse plus immédiatement leur empire? Hélas ! le pavé de leur palais est souvent inondé d'un sang qui leur est cher. Faut-il vous raconter quelques traits de ce genre? Peut-être suffiront-ils pour vous faire comprendre que telle est bien la triste vérité. Plus volontiers je vous rappellerai des faits anciens, bien qu'ils soient assez contemporains, toutefois, pour n'être pas effacés de la mémoire publique.

Ainsi l'on raconte qu'un souverain, soupçonnant la vertu de son épouse, la fit enchaîner dans les montagnes, et livrer toute nue aux lions dévorants, bien que déjà elle lui eût donné de son sein plusieurs princes et rois (1). Imaginez dès lors une vie plus triste que la sienne ! Quel dut être le bouleversement de ce noble coeur, pour arriver à commander une si terrible expiation! Ce souverain fit aussi mourir son propre fils; et le frère de celui-ci se donna la mort ainsi qu'à tous ses enfants (2). On raconte encore que ce même

 

1-2 Les faits auxquels le saint orateur fait allusion ne sont pu tous égaiement certaine; il en raconte plus d'un d'après la rumeur publique, et d'ailleurs le texte de ce discours est altéré en plusieurs endroits. Disons cependant: 1° L'impératrice exposée aux lions est probablement une fable ; 2° Le fils condamné à mourir, par son père, est Crispus, l'aîné du grand Constantin, et le fait n'est que trop vrai ; 3° Le frère de Crispus et son histoire sont controuvés, on plutôt le tarte est altéré ; 4° Les princes qui meurent par suicide, l'impératrice empoisonnée par imprudence, l'héritier du trône auquel on arracha les yeux, sont autant de problèmes historiques; 5° Mais l'histoire nous montre Valens dans l'empereur brûlé vif après une bataille, et Arcadius dans le souverain si malheureux qui régnait à l'époque où parlait saint Jean Chrysostome.

 

 

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empereur, déjà malheureux par sa femme et par son fils, frappa aussi de mort son propre frère. On vit tel prince se tuer, pour échapper aux mains d'un tyran; tel autre tuer son propre cousin-germain, après l'avoir volontairement associé à sa couronne. Un troisième vit mourir sa femme empoisonnée par des médicaments, qu'elle avait pris pour conjurer sa stérilité; une créature misérable et coupable (car il faut être l'un et l'autre pour vouloir procurer, par des moyens humains, une fécondité que Dieu seul peut donner), osa fournir à l'impératrice ses drogues dangereuses ; elle en fit sa victime et périt avec elle. Un quatrième prince bientôt fut empoisonné aussi, et, croyant prendre un breuvage, but la mort à pleine coupe. Le fils de ce malheureux, dont la santé était une menace pour l'avenir, se vit arracher les yeux, sans avoir mérité ce supplice. Un cinquième a péri plus affreusement encore, et la décence ne permet de dire ni pour quelle raison, ni de quelle façon lamentable il dut perdre la vie. Deux princes lui succédèrent. Or, l'un subit un supplice réservé aux derniers, aux plus misérables des hommes, puisqu'il fut brûlé vif dans un affreux pêle-mêle de chevaux, de poutres, de débris de tout genre, laissant son épouse dans un triste veuvage, et terminant une triste vie dont on ne saurait peindre les tribulations surtout depuis l'époque ou il avait pris les armes. Et l'autre prince, qui maintenant règne encore, n'a-t-il pas eu à subir, depuis qu'il porte le diadème, un perpétuel enchaînement de peines, de dangers, d'ennuis, de chagrins, de malheurs, de complots ?

Le royaume des cieux n'a rien de semblable : dès qu'on y parvient, on acquiert la paix, la vie, la joie, l'allégresse. Au reste, je l'ai dit, aucune existence sur la terre n'est à l'abri des souffrances. Car si dans le gouvernement des Etats la condition des souverains, de toutes la plus heureuse en apparence, est inondée d'un déluge de malheurs, que ne doivent pas souffrir les particuliers, les familles? Au reste, la multitude des peines de tout genre qu'on rencontre sous la pourpre surpasse toute description. C'est sur ce thème qu'ont été inventées tant de fables lugubres; puisque toués les tragédies et les drames qui se jouent sur nos théâtres sont tissus de royales infortunes; la plupart des faits qu'on représente sur la scène sont empruntés à l'histoire et ont un fond de vérité. Ainsi on nous amuse par les affreux banquets de Thyeste et par les péripéties douloureuses des malheurs qui ont anéanti cette illustre maison.

6. Je vous accorde que les livres des gentils nous ont légué ces histoires. Mais voulez-vous que les saintes Ecritures elles-mêmes nous en retracent de semblables ? Saül fut le premier roi ; vous savez qu'après mille traverses douloureuses, il périt malheureusement. Après lui, David, Salomon, Abias, Ezéchias, Josias furent aussi l'objet de tribulations sans nombre.

Concluez donc que la vie présente ne peut aller sans travaux, peines ni chagrins. Pour nous, ne nous affligeons pas pour les mêmes choses que les rois. Affligeons-nous pour d'autres sujets qui rendront notre tristesse avantageuse; « car la tristesse qui est selon Dieu  opère une pénitence certaine pour le salut». (II Cor. VII, 10.) Voilà comment il nous faudrait verser des pleurs, gémir, être pénétré de douleur! Ainsi Paul se désolait, ainsi pleurait-il pour les pécheurs : « Je vous ai écrit », dit-il aux Corinthiens, « le coeur souffrant, l'âme navrée, à travers bien des larmes ». (II Cor. II, 4.) N'ayant pas à pleurer sur ses péchés, il gémissait sur ceux d'autrui; je dis mieux, par la pénitence et la douleur, il savait se les approprier. Personne ne pouvait succomber au scandale, sans que Paul ne fût brûlé ; la langueur des autres l'accablait de langueur. Bonne et sainte tristesse que celle-là, et préférable à toute joie mondaine ! L'homme qui sait ainsi pleurer, je le préfère à tous les hommes; le Seigneur même proclame bienheureux ceux qui adoptent comme personnelle à eux la douleur de leurs frères. J'admire Paul beaucoup moins pour les dangers qu'il a courus volontairement; ou plutôt non, je ne l'admire pas moins pour ces périls où chaque jour il trouvait la mort; mais sa charité me charme et me transporte. J'y (100) reconnais une âme tendre et passionnée pour Dieu; j'y découvre cet amour que demandait Jésus-Christ, une piété fraternelle, un paternel dévouement, quelque chose de supérieur encore. Ainsi doit-on accepter la douleur et verser des larmes. Les pleurs ainsi répandues surabondent de joie; une tristesse de ce genre est une source d'allégresse.

Et ne me dites pas : Quel avantage produisent donc mes larmes, à ceux pour qui je les répands? Dussent-elles ne leur point servir, à coup sûr elles nous servent à nous-mêmes. Pleurer ainsi sur les péchés d'autrui, c'est avoir dans l'avenir des pleurs aussi pour ses propres péchés; oui, celui qui gémit sur les fautes des autres, s'engage à ne pas laisser passer sans de grandes larmes ses vices et ses fautes personnels; il y a plus, un tel homme sera moins prompt à offenser Dieu. Mais chose déplorable entre toutes ! On nous commande de pleurer les péchés d'autrui, et nous ne donnons pas même signe de repentir pour les nôtres; au contraire, nous tombons sans aucun regret, et nos péchés sont, de toutes choses au monde, ce qui nous donne le moins de souci, le moins de crainte ! Aussi nous nous livrons à la joie mondaine, inutile, bientôt effacée et grosse de mille chagrins.

Ah ! plutôt, embrassons une tristesse mère de la joie, et renonçons à une joie qu'enfante l'amertume. Cherchons l'affliction qui porte en elle-même la paix, et fuyons les délices qui engendrent misère et douleur. Travaillons pour un temps bien court sur cette terre, pour nous réjouir à jamais dans les cieux. Mortifions-nous pendant une vie fragile, afin de gagner le repos dans une vie sans fin; ne nous prodiguons pas en vain dans cette existence éphémère, pour n'être pas réduits aux sanglots dans l'éternité. Ne voyez-vous pas que, même pour des nécessités temporelles, bien des hommes ici-bas subissent la douleur? Supposez que vous êtes de leur nombre, et supportez les peines et les souffrances, en vous nourrissant de l'espérance du bien à venir. Vous n'êtes pas meilleur que Paul, meilleur que Pierre, à qui le repos ne fut jamais accordé, qui ont passé toute leur vie dans la faim, la soif, la nudité. Si vous aspirez au même but, pourquoi vous placer sur un autre chemin? Si vous voulez parvenir à la cité qu'ils ont si dignement gagnée, embrassez jusqu'au bout la voie qui vous y mène ! La voie qui aboutit à ce bonheur n'est pas celle de l'inertie, mais bien celle de la souffrance: L'une est la voie large, l'autre est l'étroite. Passons par celle-ci pour conquérir la vie éternelle en Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. l'abbé COLLERY.

 

 

FIN DU COMMENTAIRE SUR L'ÉPITRE AUX PHILIPPIENS.

 

 

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