PSAUME IX

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
PSAUME III
PSAUME IV
PSAUME V
PSAUME VI
PSAUME VII
PSAUME VIII
PSAUME IX
PSAUME X
PSAUME XI
PSAUME XII
PSAUME XLI
PSAUME XLIII
PSAUME XLIV
PSAUME XLV
PSAUME XLVI
PSAUME XLVII
PSAUME XLVIII
PSAUME XLIX
PSAUME CVIII
PSAUME CIX
PSAUME CX
PSAUME CXI
PSAUME CXII
PSAUME CXIII
PSAUME CXIV
PSAUME CXV
PSAUME CXVI
PSAUME CXVII
PSAUME CXIX
PSAUME CXX
PSAUME CXXI
PSAUME CXXII
PSAUME CXXIII
PSAUME CXXIV
PSAUME CXXV
PSAUME CXXVI
PSAUME CXXVII
PSAUME CXXVIII
PSAUME CXXIX
PSAUME CXXX
PSAUME CXXXI
PSAUME CXXXII
PSAUME CXXXIII
PSAUME CXXXIV
PSAUME CXXXV
PSAUME CXXXVI
PSAUME CXXXVII
PSAUME CXXXVIII
PSAUME CXXXIX
PSAUME CXL
PSAUME CXLI
PSAUME CXLII
PSAUME CXLIII
PSAUME CXLIV
PSAUME CXLV
PSAUME CXLVI
PSAUME CXLVII
PSAUME CXLVIII
PSAUME CXLIX
PSAUME CL

EXPLICATION DU PSAUME IX. POUR  LA FIN , POUR LES SECRETS DU FILS, PSAUME POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : HYMNE TRIOMPHAL POUR LA MORT DU FILS, CHANT POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : DE LA JEUNESSE DU FILS.

«JE VOUS RENDRAI HOMMAGE, SEIGNEUR, DANS TOUT MON COEUR; JE RACONTERAI TOUTES VOS MERVEILLES. »

 

ANALYSE.

 

1. Qu'il faut rendre grâces même dans l'adversité. — Qu'on s'affranchit. par là des pensées coupables.

2. Merveilles de la terre. — Bonheur d'aimer Dieu et de chanter ses louanges.

3. Puissance de Dieu. — Sa justice.

4. Deux manières d'interpréter les textes : selon la lettre et selon l'esprit. — Deux jugements : l'un particulier ici-bas, l'autre général dans l'autre monde.

5. Conditions de l'assistance divine. — De l'espoir en Dieu.

6. Ce que c'est que rechercher Dieu. — Que la prière doit être humble. — Que la miséricorde de Dieu ne nous est jamais plus nécessaire que dans la prospérité.

7. Contre les sortilèges. — Inutilité de la persécution exercée par les Juifs contre les apôtres. — Qu'on ne peut être vertueux par nécessité.

8. Récompense et châtiment. — De la patience du pauvre.

9. De l'aveuglement produit par le péché.

10. Qu'il faut songer au malheur dans la prospérité.

11. Que le pécheur doit être puni tôt ou tard.

 

1. Ce psaume est long : à ceci même reconnaissez la sagesse de l'Esprit. Au lieu de donner à tous la même étendue, grande ou petite, il a mis dans ce recueil cette variété même qui naît de l'inégalité, la longueur qui stimule la paresse, à côté de la brièveté qui soulage la fatigue. «Je vous rendrai hommage, Seigneur, dans tout mon coeur; je raconterai toutes vos merveilles. » Il y a deux manières de rendre hommage : en condamnant ses fautes, ou en remerciant Dieu. Il s'agit ici d'un hommage de reconnaissance. — Mais que veut dire (590) ceci : « Dans tout mon coeur? » Cela signifie avec tout mon zèle, toute mon ardeur : non-seulement pour mes prospérités, ruais encore pour mes revers. En effet, ce qui distingue entre toutes choses une âme reconnaissante et sage, c'est de rendre grâces jusque dans l'adversité, c'est de louer Dieu eu toute occasion, non-seulement pour ses bienfaits, mais encore pour ses châtiments. C'est le moyen d'obtenir une plus ample récompense. Remercier Dieu des biens qu'il nous octroie, c'est acquitter une dette : le remercier quand il nous frappe, c'est devenir ses créanciers. — L'obligé qui témoigne sa reconnaissance, se décharge d'une obligation. L'affligé qui rend hommage crée une obligation à son profit. Aussi Dieu reconnaît-il par mille grâces une pareille reconnaissance, et dans l'autre monde et même sur-le-champ : de telle sorte que nous perdons jusqu'au sentiment de nos épreuves. Personne ne ressent des maux dont il remercie Dieu : nous retirons donc de là un second avantage, celui d'échapper au chagrin. Si vous perdez de l'argent et que vous rendiez grâces, le regret du dommage éprouvé est effacé par la joie qui accompagne le remerciement. C'est là pour le diable un coup mortel; c'est le moyen de parvenir à la sagesse, le moyen de porter un jugement sain sur les choses présentes. Un bon nombre d'hommes jugent mal des choses d'ici-bas, aussi tombent-ils dans le découragement. — C'est ainsi que les fous s'effrayent de ce qui n'a rien d'effrayant, redoutent des choses qui souvent n'existent point et prennent la fuite devant des ombres. C'est leur ressembler que de craindre une perte d'argent.

Cette crainte, en effet, n'est pas imputable à la nature, mais à la volonté. S'il y avait là un vrai sujet d'affliction, tous ceux qui font des pertes devraient être malheureux : mais si la même mésaventure ne produit pas chez nous tous la même affliction, il s'ensuit que le principe de l'affliction n'est point dans la nature des choses, mais dans la grossièreté de nos pensées. De même que dans l'obscurité on s'effraye souvent à la vue d'une corde, croyant apercevoir un serpent, de même qu'alors on voit tout avec défiance, on prend ses amis pour des ennemis : de même ceux qui vivent dans les ténèbres de la déraison ne reconnaissent plus la vraie nature des choses, ils se roulent dans l'ordure, et le fumier cesse de leur paraître du fumier; possédés par l'avarice, ils sont insensibles à la mauvaise odeur qu'elle exhale : qu'ils s'éloignent, ils la sentiront. — Les amants de la richesse sont comme ceux qui aiment une femme laide et commenceront à s'apercevoir de sa difformité, quand ils seront guéris de leur maladie. Et comment faire, dira-t-on, pour chasser loin de moi cette passion ? Je recourrai encore au même exemple. L'homme épris d'une femme laide, s'il ne cesse de la fréquenter, attise sa propre ardeur : mais pour peu qu'il la délaisse, il sent son amour s'évanouir peu à peu : de même, éloignez-vous quelque peu, faites trêve un moment, et ce moment mettra un grand intervalle entre vous et votre maladie. Il ne s'agit que d'entrer dans la bonne voie. Vous avez une maison qui vous est superflue : vendez-la, donnez-en le prix à ceux qui ont besoin, et ne croyez point par là vous en défaire; loin de là, vous ne faites que vous en assurer la propriété. Ne regardez pas â la dépense, mais au profit; ne songez point que vous en serez privés ici-bas, mais bien que vous en jouirez là-haut. De la sorte, il vous sera donné de raconter à jamais les merveilles de Dieu. Car c'est ainsi que débute notre psaume. L'avare n'a guère de temps à consacrer à cette occupation : il ne rêve qu'intérêts, actes, contrats, ventes, testaments, estimations de maisons ou de terres, profits, trafics : voilà ses pensées, ses soucis perpétuels. Où est le trésor de l'homme, là est son coeur. — Voilà les sujets de ses discours, de ses pensées : il pense aux affaires du Seigneur comme un esclave à celles de son maître. Quel ordre a-t-il donné? Qu'est-ce qui est fait? Qu'est-ce qui reste à faire ? Je vous exhorte donc à vous dérober aux soins qui vous assiégent pour vous appliquer à ces récits dont parle le prophète, pour raconter chaque jour les merveilles opérées par Dieu soit en particulier, soit en général, dans l'intérêt de tous ou dans celui de chacun. Le monde est plein de pareils sujets de récits, et quel que soit celui que vous choisiriez pour commencer, la pompe ne manquera pas à votre début : le ciel, la terre, l'air, les animaux, les graines, les plantes; les anciens bienfaits, ceux qui ont précédé la loi, ceux qui l'ont suivie, ceux qui datent de la grâce, ceux qui nous sont réservés après notre départ d'ici-bas et jusque dans la mort, voilà de quoi vous occuper. — Combien nous serions insensés, si, en présence de pareils sujets, aussi charmants que profitables à l'âme, (591) nous allions traîner nos pensées dans la fange, et parler le langage de l'avarice et de l'injuste cupidité!

2. Si vous le voulez, nous laisserons de côté les choses du ciel, et nous nous entretiendrons de la terre, de sa grandeur, de sa position, de son usage, de sa nature , de ses enfantements perpétuels, de ses productions diverses, des graines, des plantes, des arbres, des fleurs, des prairies, des jardins. Mettons à part maintenant la forme de chaque arbre, son port, sa hauteur, l'odeur qu'il exhale, ses fruits, la saison où il produit, les soins qu'il réclame, et le reste; la fertilité de certains territoires, la stérilité qu'on remarque ailleurs: car il n'y a rien d'inutile sur la terre. Ici elle produit le fer, ou l'airain , ou l'or, ou l'argent: là les aromates, ou des médicaments de toute espèce. Que dire maintenant des services que nous rendent les eaux, soit potables, soit salées, les richesses des montagnes, la variété de leurs marbres, les fontaines qui en découlent , les arbres qu'elles produisent pour la construction des maisons ? Autant de fruits du désert, ajoutez-y les animaux, les bêtes sauvages qu'il nourrit. Que dire des lacs, des fontaines, des fleuves? De même que les femmes qui viennent d'accoucheront en elles une source de lait pour abreuver leurs nourrissons: ainsi la terre a des mamelles d'où jaillissent des fontaines et des rivières pour arroser jardins et vergers. Et encore, il faut que l'enfant s'approche pour boire au sein de sa mère : tandis que la terre d'elle-même présente la mamelle, et son lait découle de toutes les hauteurs.

Voici encore un autre usage du désert. C'e§t là que le corps se maintient le mieux en santé, qu'il respire l'air le plus pur: c'est là que l'on contemple de haut tout l'univers; qu'on se plonge dans la philosophie de la solitude, qu'on devient étranger à tous les soucis du monde. Que dire de la voix mélodieuse des oiseaux, des animaux que l'on prend à la chasse? autre bienfait: le désert est comme un rempart pour certains pays, grâce aux montagnes élevées, aux ravins, aux précipices, dont il les environne. Parlerai-je des plantes qui y viennent, productions si utiles aux corps attaqués par la maladie ? que si telle est l'utilité des déserts et des montagnes, tels sont les services qu'ils nous rendent, dès que nous arrivons aux terres labourables et aux plaines, songez quelle carrière nouvelle va s'ouvrir à nos récits. Ainsi que dans notre corps on distingue des os, des nerfs, des chairs enfin : de même la terre offre des montagnes, des ravins, de gras territoires, et tout cela est utile. Et pourquoi parler de la terre, cet immense élément? Prenez seulement un arbre: si vous entreprenez d'en décrire la forme, l'usage, le fruit, les feuilles, la saison, et le reste, vous aurez une tâche considérable. Prenez pour texte la situation des montagnes et tout ce qui les concerne, ou bien l'homme lui-même et la configuration de son corps voilà encore une source inépuisable de récits. Appliquons-nous donc à tous ces objets: nous y trouverons un charme infini avec beaucoup d'avantages et une incomparable sagesse. Aussi David poursuit-il, afin d'indiquer cela : « Je me réjouirai et tressaillerai d'allégresse en vous. » Suivant un autre. «Et je me glorifierai, je chanterai votre nom, Très-Haut. » (3.) Ce n'est pas une faible marque de sagesse, que de se réjouir en Dieu. Celui qui se réjouit en Dieu. Comme il faut, écarte de lui toute joie mondaine. Mais qu'est-ce à dire : « Je me réjouirai en vous? » Avoir un tel maître, veut-il dire, voilà mon bonheur, voilà ma joie. Si quelqu'un connaît cette joie comme il faut la connaître, il devient insensible à toute autre. Car c'est cela qui est proprement la joie : tout le reste n'en a que le nom, et manque de réalité. C'est elle qui ravit l'homme, elle qui affranchit l'âme de l'esclavage du corps, elle qui lui donne des ailes pour s'envoler au ciel, elle qui l'élève au-dessus du monde, elle qui la délivre du vice : et rien de plus naturel. En effet, si ceux qui s'éprennent des corps séduisants, ne s'aperçoivent pas de ce qui se passe autour d'eux et sont tout entiers à la pensée de l'objet aimé : ainsi celui qui aime Dieu comme il convient de l'aimer devient insensible à tout ce qu'il y a de bonheur et de peine en ce monde: il est au-dessus de tout : ses délices sont éternelles comme l'objet de son amour. Ceux qui placent ailleurs leur affection s'endorment bientôt dans un oubli involontaire, quand ceux qu'ils aimaient ont perdu leurs charmes : tandis que l'amour dont je parle est infini , impérissable ; les joies en sont plus vives; le profit en est plus grand : et le plus puissant attrait qu'il offre à l'amant, c'est qu'il ne saurait jamais finir. « Je chanterai votre nom, Très-Haut. » C'est l'usage de ceux qui aiment. Les amants chantent des chansons en l'honneur de leur bien-aimée et ils se consolent ainsi de leur absence. Ainsi fait le Prophète: ne pouvant (592) jouir de la vue de Dieu, il compose des chansons à sa gloire; en le célébrant, il croit se rapprocher de lui, il ravive sa propre flamme, il s'imagine le voir: ou plutôt en le chantant, en le célébrant, il communique à bien d'autres son ardeur. Car si les amants disent les louanges de leur bien-aimée , et vont colportant son nom, le Prophète à leur exemple, s'écrie: « Je chanterai votre nom, Très-Haut. »

3. Voyez comment il s'élève au-dessus de la terre, comment il suspend, pour ainsi dire, tout son être à l'Etre éternel, et se consacre à Dieu. Voilà pourquoi il fait revenir si souvent ce même nom: c'est la coutume des amants.(4.) « Lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière, ils affaibliront et périront devant votre face. » Suivant un autre : « Quand mes ennemis se seront retournés en arrière, auront échoué et péri devant votre face.» Ceci encore est une grande marque d'amour, que d'énumérer sans cesse les bienfaits qu'on a reçus et de s'y complaire : C'est l'affection qui produit cela, et l'affection même en est redoublée. On ne se tromperait pas en disant qu'il s'agit ici d'ennemis invisibles. Ceux-là, en effet, entrent eux-mêmes en déroute, quand ils ont trouvé une âme courageuse. Un javelot qui tombe sur un bouclier, le brise, s'il est faible, reste impuissant et s'émousse si la surface est dure et résistante. Il en est ainsi de l'âme. Si les traits du diable la trouvent faible et incapable de résistance, ils pénètrent jusqu'au fond. Si au contraire elle est dure et solide, l'assaillant se retire sans avoir rien fait, sans que l'âme ait éprouvé aucun dommage : De là deux, ou plutôt trois avantages : l'âme n'a point pâti, elle s'est même fortifiée : enfin le diable s'est affaibli. Considérez maintenant comment le Psalmiste proclame la puissance de Dieu. « Ils  s'affaibliront, » dit-il, « et périront devant votre face... » Ici encore, que ce mot visage ne vous représente rien de corporel. David n'entend parler que de l'action, de la manifestation divine, et de la facilité avec laquelle elles s'opèrent. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : « Celui qui regarde sur la terre et qui la fait trembler. » Son regard suffit à lui seul pour la perte des méchants. En effet, si la présence des saints affaiblit l'empire des démons, il doit en être de même, à plus forte raison, de la présence de Dieu... Si son éclair en brillant répand partout la terreur, songez comment bon éternelle puissance doit épouvanter, perdre les méchants. Voyez-vous le caractère de ces hymnes ? Voyez-vous la nature de ces hommages, et comment David raconte la puissance de Dieu ? Un dogme important est renfermé jusque dans ces mots : « Je chanterai  votre nom, Très-Haut, lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière. » Qu'est-ce donc que cela prouve ? Que David était sage non-seulement dans la détresse, mais encore dans la tranquillité... L'humiliation que causent les maux a pour effet de rendre beaucoup d'hommes plus vertueux. Le bonheur au contraire les rend plus négligents et plus mous : Voyez ce qu'il dit plus loin des Juifs : « Lorsqu'il les tuait, c'est alors qu'ils le cherchaient. » (Ps. LXXVII, 34.) II n'en est pas ainsi de notre juste: même dans la prospérité il reste sage et vigilant, Ce qui n'est pas sans importance poux la religion. « Car vous m'avez rendu justice.» (5. ) Suivant un autre : « Vous avez jugé en ma faveur. Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. (6.) « Vous avez repris les nations, et l'impie a péri. » Un autre dit : « Vous avez fait périr, vous avez effacé son nom pour les siècles des siècles.» Admirez encore la sagesse de David : Il ne se venge pas lui-même de ses ennemis, il se repose sur Dieu du soin de faire justice, conformément au précepte apostolique : « Ne se vengeant pas les uns des autres.» (Rom. XII, 19.) Mais il y a autre chose encore à remarquer : c'est qu'il était victime d'une injustice. En effet, s'il n'y avait pas eu d'injustice, Dieu n'aurait point puni. « Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice.» Il emploie ici le langage humain : de là ces mots: trône et s'asseoir. Quand à cette expression : « Vous qui jugez selon la justice, » elle indique la coutume de Dieu et le privilège de son essence. En parlant des hommes ce langage serait déplacé. Quelque justes qu'ils puissent être, ils ne jugent pas selon la justice, tantôt par ignorance , tantôt parce qu'ils négligent de rechercher ce qui est juste. Mais Dieu, qui est exempt de toutes ces imperfections, Dieu qui connaît la justice et veut l'accomplir, juge selon la justice. Par ces mots : « Vous vous êtes assis sur votre trône, » entendez : Vous avez jugé, vous avez puni, vengé. « Vous avez repris les nations, et l'impie a péri. » Vous voyez que Dieu n'a pas besoin d'armes, d'épée, de flèches, de traits : toutes ces expressions qu'on a vues plus haut sont (593) empruntées au langage humain : il suffit à Dieu de reprendre, et les coupables qui doivent être punis périssent. — Ce qui suit est propre encore à vous faire comprendre sa puissance : Vous avez effacé leur nom pour les siècles des siècles. Vous les avez exterminés, ruinés de fond en comble, anéantis de telle sorte que leur souvenir même a disparu. « Les épées de l'ennemi ont perdu leur force pour toujours. » Un autre dit : « Les ruines. » Le texte hébreu porte « Arboth. » Et « vous avez détruit leurs villes. » Qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire qu'après avoir frappé d'impuissance leurs projets et leurs machinations, vous leur avez enlevé jusqu'à leurs propres armes Voilà ce que c'est que la colère de Dieu : Elle fait disparaître et détruit tout. Ou encore, selon un autre interprète : « Les déserts. » C'est-à-dire : vous n'avez pas seulement ruiné les villes , vous avez anéanti jusqu'aux déserts. C'est ainsi que notre juste faisait la guerre : il ne tuait pas ses ennemis avec des armes, avec des javelots : Il n'avait d'autre arme que la protection divine. Aussi cette guerre le couvrit-elle de gloire, aussi la victoire couronna-t-elle ses efforts. « Sa mémoire a péri avec bruit. » Un autre dit : « Avec eux; » le texte hébreux est « Em. » Que signifie cela : « Avec bruit. » Il veut indiquer soit une extermination générale, soit les cris de douleur des victimes. — Et c'est encore une marque de la sollicitude divine, de ne pas faire ces choses en secret, de telle sorte que le malheur des uns corrige les autres. Le Psalmiste a donc en vue la notoriété de ce désastre.

4. « Et le Seigneur subsiste éternellement. » (8.) Suivant un autre : « Sera assis. » Souvent on désigne ainsi sa permanence : de même Jérémie: « Vous qui êtes assis pour l'éternité. » (Baruch, III, 3.) Le texte hébreu donne ici «Jéseb. » Le Prophète revient toujours sur cette idée à propos des hommes qui périssent : il montre par là que l'essence de Dieu est éternelle, que si l'espèce humaine est éphémère, Dieu et sa grandeur sont impérissables. Il agit ainsi afin de nous alarmer, de nous inspirer, pour ainsi dire, un double effroi, en nous représentant d'une part la grandeur de la gloire divine, de l'autre l'imperfection de notre propre nature, devant celui qui ne meurt pas, et dont la justice est formidable. Que si nous trouvons ici quelque figure, il ne faut pas nous refuser à la voir. Il y a des textes qui appellent la méditation;. il y en a d'autres qu'il ne faut pas prendre autrement qu'à la lettre, par exemple: « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. ».D'autres répugnent à l’interprétation littérale, comme celui-ci. « Que la biche de votre amitié et le poulain de vos bonnes grâces vivent familièrement; avec vous. » (Prov. V, 19.) Et encore : « Que ce que vous avez soit à vous seul , et qu'aucun étranger ne le partage avec vous. Que la source de votre eau soit à vous seul. » (Ibid. 17-18.) Si en examinant ce texte, vous ne fuyez pas la lettre, pour vous attacher à l'esprit, ce n'est plus qu'un précepte d'inhumanité, une recommandation de ne donner d'eau à personne :mais il s'agit ici de l'épouse : l'écrivain sacré nous prescrit de vivre chastement avec notre femme : et ces noms de source et de biche font allusion à la pureté de l'union conjugale. Voilà pour ce qui regarde ce passage : ailleurs. il faut tenir compte et de la lettre et de l'esprit. Exemple : « Comme Moïse a élevé le serpent. » (Jean, III, 14.) En effet, il faut voir dans ce passage à la fois l'expression d'un fait qui arriva réellement, et un emblème pour désigner le Christ. De même ici l'on ne se tromperait pas en appliquant aux Juifs les paroles du Psalmiste : « Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. Vous avez repris les nations, et l'impie a péri vous avez effacé son nom pour l'éternité, et pour les siècles des siècles. Les épées de l'ennemi ont perdu leurs forces pour toujours; et vous avez détruit leurs villes. Leur mémoire a péri avec bruit. » Car ceux qui ont crucifié le Christ ont vu eux-mêmes leur malheur divulgué par toute la terre, leurs villes ont été détruites, les artifices du diable ont perdu leur force, déjoués par la sollicitude du Christ. Mais laissons les esprits studieux compléter ce rapprochement, et poursuivons notre sujet. « Il a préparé son trône dans le jugement. » (8) Un autre dit : « Il a assis pour le jugement. » (9) « Et lui-même jugera le monde avec justice, jugera les peuples avec droiture. » Voyez-vous comment son langage s'élève peu à peu ? Après avoir fait mention du trône, il en fait connaîtra la nature : ce n'est pas un trône de planches, ni de toute autre matière; c'est un trône de justice, fondé sur la justice. « Il jugera le monde avec justice. » Il parle à la fois pour le présent et pour l'avenir. Le jugement général est réservé pour l'autre (594) monde; mais le jugement particulier commence ici même. Il porte dans le présent même de nombreux effets, afin que les insensés ne puissent révoquer en doute l'existence d'une Providence. Que si tous ne reçoivent pas ici-bas leurs couronnes, ne vous en étonnez pas. Car Dieu « a préparé un jour, dans lequel il doit juger la terre. » (Act. XVII, 31.) Ce monde-ci n'est que le stade, la carrière, l'arène. Voilà pourquoi tous ne sont pas rétribués selon leur mérite, pourquoi les récompenses , les supplices attendent là-haut le mérite et la faute ici-bas, support et longanimité, afin que nous puissions expier nos péchés par le repentir mais là-haut, il n'en est pas de même ; tant qu'un meurtrier est libre de ses démarches, il est maître de s'amender et de se dérober au châtiment; mais une fois qu'il est tombé sous la sentence du juge, c'est le tour du glaive , du bourreau, du gouffre fatal. Il en est de même ici. Tant que nous sommes dans la vie présente, il nous est possible d'échapper au châtiment par la conversion : mais une fois partis pour l'autre séjour, nos gémissements seront inutiles : « Il a préparé son trône dans le jugement. » On peut, sans faire erreur, prendre à la lettre cette expression : « Il a préparé : » en effet tout est préparé, et les supplices , et les couronnes, et la sentence. Il n'y a ni retard, ni répit, ni délai auprès de Dieu, puisque les vivants ne devanceront pas ceux qui sont endormis : « Nous les vivants, » dit Paul , « nous qui restons pour la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui seront endormis. » (I Thess. I, 16.) Considérez la sagesse du Prophète : voyez comment il parle à la fois de l'avenir et du présent. Du présent : « Vous avez repris les nations et l'impie a péri. » De l'avenir : « Il a préparé son trône dans le jugement. Et lui-même jugera le monde avec justice. » C'est afin de convaincre par le présent ceux qui ne croient pas aux choses de l'autre vie (10.) « Et le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre.» Suivant un autre: « pour l'opprimé; » suivant un autre: « pour l'affligé. » Il ne cesse de s'appeler pauvre et mendiant bien qu'il habite un palais. De même ailleurs : « Je suis pauvre et mendiant. » (Ps. XXXIX, 18.) II savait, en effet, il savait bien que les choses humaines ont moins de consistance qu'une ombre, et rien ne nous appartient en propre autant que la vertu , que tout le reste ressemble aux feuilles, et n'est qu'extérieur. Que la vertu est une chose qui nous est propre, en voici la preuve. De quelque côté que nous portions nos pas, elle nous suit : il n'en est pas ainsi des autres biens. La vertu, voilà donc notre vraie propriété; le reste ne nous touche pas d'aussi près. — De même que nous appelons intime l'ami qui ne nous quitte point: de même nous nommons la vertu un bien plus intime que les richesses, en tant qu'elle ne s'éloigne jamais de nous.

5. Contemplez maintenant la gratitude et la sagesse de David. Il a des chevaux, des armées, des moyens de défense innombrables : mais il oublie tout cela et ne s'occupe que d'attirer sur lui la grâce d'en-haut, et c'est à Dieu qu'il fait honneur de son propre salut. Il ne dit pas: mes armées, mes trésors, mes remparts ont été mon refuge, mais bien : « le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre. » C'est lui qui m'a mis en sûreté: car rien n'égale un pareil recours, ni pour la facilité; ni pour les garanties qu'on y trouve. Les autres refuges peuvent nous être ravis par la ruse, nous ne sommes pas sûrs de les trouver à notre portée; le temps, le lieu, mille circonstances peuvent nous en fermer l'accès : mais celui-là est tout près de nous; il suffit de le chercher avec diligence. « Quand vous parlerez encore, je dirai: me voici. » (Isaïe, LVIII, 9.) « C'est Dieu, c'est moi qui arrive : Dieu n'est plus éloigné. » (Jér. XXIII, 23.) Nous n'avons donc pas besoin de courir ou de nous absenter . sans quitter notre demeure, il ne tient qu'à nous de nous procurer ce refuge. Et tantôt il nous sauve du péril; tantôt il ajoute à notre gloire, il nous rend plus puissants que nos ennemis, et tout cela au moment opportun. Car, lorsque ceux qui en sont favorisés savent rester dans la modération, ces deux grâces sont octroyées. Si au contraire ce mérite reste imparfait en eux, la faveur n'est pas doublée.; car autrement ils tomberaient dans l'orgueil. Pour vous citer un des nombreux exemples de cet enivrement, Ezéchias s'y laissa emporter : Dieu néanmoins ne l'abandonna pas : mais lorsque son Heureuse victoire eut enflé son coeur, Dieu le corrigea au moyen de la maladie. « Secourable dans les bons moments, dans les tribulations. » Qu'est-ce à dire « dans les bons moments? » C'est-à-dire dans les moments opportuns. En cela il considère deux choses: le secours donné par Dieu et l'opportunité de ce (395) secours. Car « bons moments » signifie ici les moments d'affliction. Comment expliquer cela? C'est que l'affliction est la mère de la sagesse, qu'elle sauvera l'homme de la mort et que rien n'est plus propre à attirer la grâce de Dieu. Elle guérit de la mollesse et du relâchement; elle rend les prières plus ferventes. Et de même que l'hiver est une bonne saison pour labourer la terre, de même l'affliction est propice pour la culture de l'âme. En effet, si nous avons toujours besoin du secours de Dieu, même au sein des prospérités ; nous en avons besoin surtout, lorsque nous sommes dans l'affliction. « Secourable. » Dans ce mot est impliquée encore une autre idée. C'est que nous devons, nous aussi, prendre de la peine. On ne secourt que ceux qui travaillent eux-mêmes. Il ne faut donc pas nous laisser abattre, mais prier, répandre l'aumône, faire en un mot tout ce qui dépend de nous. En guerre aussi on ne porte secours qu'à ceux qui combattent, et non aux lâches et aux fainéants. Par conséquent, si vous voulez obtenir l'assistance de Dieu, ne trahissez jamais votre devoir. C'est de cette façon que Job obtint du secours, en restant debout, en luttant. De même les apôtres, en déployant de l'activité. « Et qu'ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom. » (11.) Suivant un autre : « Et ils se fieront à vous. » Telle est la marche constante du Prophète; de la prière il passe à l'exhortation ; comme le Précepteur commun de l'univers, il ouvre à tous le trésor de la sagesse. Il dit bien : « qu'ils espèrent, ceux qui connaissent votre nom. » Ceux qui vous connaissent veut-il dire, ceux qui savent ce que vaut votre assistance, ceux-là s'attachent à l'espoir en vous comme à une ancre solide. En vous, dis-je, allié tout puissant, inexpugnable à tous; à vous, qui non-seulement leur promettez la guérison de leurs maux, mais ne permettez pas même qu'ils soient troublés de leurs épreuves actuelles. Car celui qui est affranchi des pensées humaines, celui qui place là-haut toutes ses espérances, celui là non-seulement appelle sur lui une prompte délivrance, mais jusqu'au sein du malheur, il n'est ni troublé, ni déconcerté, parce qu'il trouve un secours dans sa confiance en cette ancre éternelle. C'est ainsi que les trois enfants, non-seulement furent tirés de la fournaise, mais dans la fournaise même ne sentirent aucun trouble, car ils étaient assurés de la protection divine. De là cette variante « Et ils se fieront en vous, » c'est-à-dire, ils auront confiance.

En effet, la sécurité qu'inspire une pareille espérance est bien plus forte que la tyrannie des souffrances. Car ce sont là des choses humaines, tandis que l'espoir en Dieu est un secours divin et irrésistible. Après avoir dit que Dieu est venu à notre secours, qu'il a été notre refuge, le Psalmiste montre comment cela se fait. Comment donc alors fait-il? C'est quand nous persévérons dans notre espérance en Dieu. Que s'il ne fait pas cesser sur-le-champ vos maux, c'est afin de vous éprouver. De même qu'il pourrait ne pas souffrir les attaques de vos ennemis, et qu'il les soutire néanmoins, afin de vous fortifier : de même, pouvant vous délivrer tout d'abord, il remet, il diffère, afin d'accroître votre fermeté, d'exercer votre espérance, de rendre plus fort votre attachement à son égard; il ne permet pas que nous soyons toujours affligés, car nous nous lasserions; ni toujours en repos, car nous tomberions dans le relâchement. « Parce que vous n'avez pas abandonné ceux qui vous cherchent, Seigneur.» Suivant un autre : « Car vous n'avez pas abandonné. » Un autre dit pareillement : « Considérez les anciennes générations et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu; ou qui l'a invoqué: et a été abandonné de lui? » (Eccli. II, 11-12.) Et comment, dira-t-on, chercher Dieu qui est partout ? Par le zèle, l'ardeur, le détachement de toutes les choses mondaines. Souvent nous croyons éloigné ce qui est sous nos yeux, entre nos mains, et nous cherchons par tout ce que nous tenons, pour que notre esprit soit distrait.

6. Comment donc peut-on chercher Dieu? Il suffit de tenir notre pensée dirigée vers le ciel, et d'être détaché des choses mondaines. Celui qui cherche, après avoir chassé toute autre préoccupation de son âme, arrive auprès de ce qu'il cherche. — Et ce n'est pas assez de chercher, il faut encore rechercher. L'homme qui recherche ne se borne pas à chercher lui-même, il a recours à l'assistance d'autrui, afin de trouver ce qu'il cherche. Mais quand il s'agit de choses mondaines, nous cherchons souvent sans trouver : cela n'est pas possible, quand il s'agit de choses spirituelles : il est alors de toute nécessité de trouver, dès que l'on cherche. Pour peu que nous nous mettions (596) en quête, Dieu ne permet point que nous nous fatiguions: c'est pourquoi il dit: « Quiconque cherche trouve. » (Matth. VII, 8.) « Chantez le Dieu qui habite Sion. » (12.) Un autre dit : « Qui siège. Annoncez parmi les nations ses conseils. » Suivant un autre : « Parmi les peuples ses actes. » Qu'est-ce à dire ? Celui qui a pour trône le ciel, et la terre pour escabeau, celui qui tient dans sa main les confins de la terre, celui-là habite Sion. Oui; car ici habiter n'implique point l'idée d'être renfermé, (la grandeur de Dieu est illimitée), mais la prédilection du Seigneur pour cet endroit, et la résidence qu'il y fait d'ordinaire afin de s'attacher les Juifs par cette condescendance ; de même nous appelons habitation l'endroit où nous séjournons de préférence. Et si l'on dit que Dieu habite parmi nous, ce n'est pas à dire qu'il soit enfermé dans cette enceinte, c'est indiquer seulement l'attachement particulier qui l'unit à nous. Sion est ici une figure de l'Eglise. « Car vous êtes venus vers la montagne de Sion et l'Eglise des premiers-nés. » (Hébr. XII, 22, 23.) Et en effet, c'est bien une montagne que l'Eglise si l'on considère sa durée, sa solidité inébranlable. Car il n'est pas plus possible d'ébranler une montagne que l'Eglise de Dieu. « Annoncez parmi les nations ses conseils. » Il veut que nous soyons les hérauts des bienfaits de Dieu et que jamais nous ne laissions ses grâces dans l'ombre. Et voilà ce qu'il cherche partout, tant dans l'intérêt de ceux qui prendront la parole que dans celui de leurs auditeurs. Car les premiers y trouveront leur avantage, et les seconds aussi, s'ils prêtent attention. « Parce que celui qui venge les meurtres s'est souvenu d'eux. » (13.) — Voyez-vous de quels conseils il parle? De conseils bienfaisants. De plus, il y a ici une allusion à un dogme important : c'est que le meurtre n'est jamais commis impunément; que de toute façon il est puni ; ce qui résulte déjà de ces paroles de Moïse dans la Genèse : « Je vengerai votre sang. » (Gen. IX, 5.) C'est une marque de l'infinie Providence, de son infatigable sollicitude. — Si elle ne venge point le crime sur-le-champ, ne vous en étonnez pas; c'est afin de donner aux coupables le moyen de se repentir. «Il n'a pas oublié le cri des pauvres.» (Rom. II, 4.) — Encore les pauvres en honneur. D'ailleurs il ne s'agit point ici des pauvres absolument, mais de ces pauvres d'esprit dont parle le Christ. — En effet, ceux dont la prière est le mieux exaucée, ce sont les humbles de coeur, ceux qui sont contrits. — Il y a deux choses ici: la prière et l'humilité. « Sur qui porterai-je mes regards, » est-il écrit, « sinon sur l'humble, sur l'homme de paix, sur celui qui  tremble devant mes paroles?» (Is. LXVI, 2.) Et partout on voit que l'humilité est comme un véhicule pour la prière. Car le Christ est près de ceux qui ont le coeur contrit. — L'orgueil est donc ce que doit fuir avant tout l'homme qui prie, suivant la recommandation de Paul : « Sans colère et sans discussion. » (I Tim. II, 8.) — David le dit bien : « Le cri des pauvres. » Ce cri n'est pas une élévation de la voix, pois bien une disposition de l'âme. En disant : « il n'a pas oublié, » le Psalmiste fait voir que les prières étaient continuelles, et qu'elles n'avaient pas été exaucées tout d'abord. Le sens est donc celui-ci :N'allez pas croire que Dieu vous a oubliés et que c'est polir ce motif qu'il ne vous a pas vengés: car il lui appartient de rechercher les choses de cette sorte, même avant qu'on l'en prie: à plus forte raison, quand on l'en prie, et que la prière est humble. « Ayez pitié de moi, Seigneur, voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. » (Ib. 11.) « Vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je proclame vos louanges aux portes de la fille de Sion. » Un autre traduit: « Votre glorification. » Un autre : « Vos éloges. » — Voyez comme il est constamment fidèle à la prière. Délivré de ses épreuves, en sûreté désormais, il ne cesse point pour cela de prier, de dire : « Ayez pitié de moi, » d'invoquer Dieu pour l'avenir. En effet, nous avons toujours besoin de la Providence, et plus que jamais à la fin de nos maux. Car alors commence une nouvelle guerre plus terrible que la première, celle que nous livrent la paresse et l'orgueil : et le diable souffle alors avec plus de violence. C'est donc principalement quand nos maux sont finis que nous avons besoin de l'assistance divine, afin de supporter comme il faut la prospérité. Délivrés des Egyptiens, les Juifs eurent à lutter contre deux ennemis redoutables, l'orgueil et la nonchalance. C'est alors surtout que la mort les décima, parce qu'ils ne savaient pas se diriger dans leur marche. Incapables de résister à la gourmandise, aux convoitises vulgaires, imitateurs des passions des Egyptiens, ils se perdirent par là. De même David, une fois délivré des maux que lui avaient causés Saül et (597) ses autres ennemis, une fois en repos, eut à soutenir une autre guerre plus rude contre la concupiscence, qui fut pour lui un bourreau encore plus cruel. — Ainsi donc nous ne devons jamais éprouver autant de crainte, qu'une fois délivrés de nos maux.

7. Une bête féroce ne nous cause pas autant d'effroi quand elle est attachée, que lorsqu'elle est en liberté; de même, ce n'est pas dans l'affliction que nous devons principalement craindre le vice; car alors il est enchaîné par la douleur et d'autres liens encore; c'est après la délivrance que notre crainte doit être le plus vive. Aussi verrez-vous souvent les prospérités engendrer de plus grands maux que l'adversité même. Le trophée d'Ezéchias ne fut que le signal de sa perte. Voilà pourquoi David dit ailleurs : « C'est un bonheur pour moi que vous m'ayez humilié. » (Ps. CXVIII, 71.) Même après la délivrance il sollicite encore la miséricorde, et se fait de ses maux passés un titre à la compassion. « Voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. » Voici maintenant un autre titre : « Vous qui me relevez des portes de la mort. » Je me réfugie auprès de mon maître, de mon patron, de celui qui ne cesse de me tendre la main. Voyez-vous comme, en priant pour l'avenir, il se montre reconnaissant du passé, insiste sur le double bienfait qu'il a reçu. Car il ne se borne pas à dire: Vous qui me délivrez des portes de la mort, mais « Vous qui me relevez. » Le bienfait de Dieu ne se bornait pas à une délivrance; ceux qu'il avait sauvés devenaient admirables, glorieux, illustres. S'il ne dit pas: de la porte, mais « Des portes, » c'est pour montrer l'étendue du danger. « Afin que je proclame toutes vos louanges aux portes de la fille de Sion. » Ce qu'il a prescrit aux autres de faire, il le fait lui-même : « Annoncez, » dit-il plus haut, « parmi les nations ses conseils. » C'est ce que je vais faire à présent, et je ne me bornerai pas à le faire en présence d'une, de deux, de trois personnes, mais publiquement. « Je serai transporté d'allégresse, à cause du salut que vous m'avez procuré. » (16.) Voilà ma couronne, voilà mon diadème ; être vainqueur par vous, par vous sauvé. A son exemple ne cherchons pas à être sauvés d'une façon quelconque, à être tirés de danger par le premier moyen venu; demandons à Dieu d'être notre libérateur. J'insiste là-dessus, à cause des incantations auxquelles recourent quelques personnes contre les maladies , aux sortilèges dont elles font usage pour soulager leurs infirmités. Ce n'est pas là se sauver, mais se perdre. Le vrai salut ne procède que de Dieu. « Les nations sont restées prises au piège de perdition qu'elles avaient tendu. » Un autre dit : Se sont enfoncées. Par ce mot perdition, il entend le vice; car il n'y a point un pareil principe de perte. Rien n'est plus faible que le méchant. Il périt par ses propres armes, comme le fer par la rouille et la laine par la teigne. Ainsi donc, avant que Dieu lui-même ait frappé, l'artisan d'iniquité est déjà puni par son injustice même. Après s'être étendu sur la justice d'en-haut et le secours divin, attendu que ce secours n'arrive pas sur-le-champ, mais tarde souvent à se manifester, et que ce retard produit chez beaucoup d'hommes de la négligence, le Psalmiste montre que le châtiment n'est pas loin, et que les méchants le subissent de la façon qu'indique Paul en disant : « Et recevant en eux-mêmes la rétribution due à leur égarement. » (Rom. I, 27.) Considérez la justesse des expressions. « Elles sont restées prises; » c'est-à-dire elles ont été arrêtées par la force; elles sont tombées dans un piège d'où elles ne sauraient s'échapper. Et ensuite : « Leur pied est demeuré captif dans le filet qu'elles avaient caché. » Les méchants sont pris dans des chaînes qu'ils ne peuvent briser. C'est ce qu'on a vu se réaliser pour les apôtres et les Juifs. Quand les Juifs faisaient la guerre aux apôtres, ils ne leur causaient aucun dommage, tandis qu'ils attiraient sur leur propre tête des maux innombrables, l'exil, l'esclavage, la perte de tous leurs biens la prédication ne faisait que se répandre, tandis que les conspirateurs succombaient. Ceux qui jetèrent les trois enfants dans la fournaise de Babylone y furent enfermés à leur tour; et la même chose arriva pour Daniel. Mais pour Daniel cela se conçoit, car c'étaient eux qui l'avaient mis dans la fournaise. Mais comment expliquer, en ce qui regarde les trois enfants, victimes du roi seul, que ceux qui se tenaient debout devant la fournaise aient été punis de la sorte? C'est parce que ces malheureux avaient obéi à l'ordre du tyran, et adoré la statue d'or. « Dans le filet qu'elles avaient caché. » Voyez comment il montre tout ce que leur conduite avait d'odieux. Leur action étant infâme, ils la cachent, ils essayent d'échapper aux regards. « On connaît le Seigneur, quand (598) il exerce ses jugements. » (Ibid. 17.) Suivant un autre : « On a connu quand il eut exercé : » en d'autres termes quand il punit, venge, châtie. Autre bienfait attaché à la punition. Non-seulement elle rend meilleurs ceux qui la subissent, mais encore elle fait briller la lumière de la doctrine, et rien n'est plus propre à convaincre les hommes que Dieu s'occupe de leurs intérêts. Quand Jésus permit que le troupeau de porcs fût précipité et englouti dans la mer, l'admiration fut plus grande que jamais. Il en est de même pour les Juifs de l'Ancien Testament. « Lorsqu'il les faisait périr, c'est alors qu'ils le recherchaient (Ps. LXXVII, 34),» pour parler comme le Prophète. Et pourquoi donc Dieu n'a-t-il pas recours plus souvent à ce moyen? Parce qu'il veut que la vertu soit un fruit du libre arbitre plutôt que de la contrainte, des bienfaits plutôt que des punitions. Mais ne vaut-il pas mieux, dira-t-on, être bon par nécessité que méchant par un libre choix? Il n'est pas possible d'être bon par nécessité. Celui qui est honnête parce qu'il est enchaîné, ne sera pas toujours honnête; une fois mis en liberté, il retournera à ses habitudes perverses; au contraire, celui qu'une bonne éducation a rendu honnête, demeure inébranlable. « Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. » Non pas des mains de Dieu, de celles du pécheur.

8. Voyez-vous comment il varie son discours en faisant intervenir tantôt la vindicte céleste, tantôt le châtiment infligé par le vice lui-même. D'abord la vindicte céleste : « On connaît le Seigneur quand il exerce ses jugements. » Ensuite le châtiment infligé par le vice : « Les nations sont restées prises dans le piège de perdition qu'elles avaient tendu. » Et voici qui regarde encore la punition de la perversité par elle-même : « Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. » N'allez donc pas croire que vous préparez la ruine du prochain quand vous complotez contre lui c'est pour vous-mêmes que vous tressez vos filets. « Chant, hommage perpétuel. » Suivant d'autres : « Cri perpétuel, mélodie sans fin. » En hébreu : « Eggaon sel. » Que les pécheurs « soient précipités dans l'enfer, et toutes les nations qui oublient Dieu. » (IX, 18.) Suivant un autre : « S'en iront. » Il insiste sur le même sujet, continuant à montrer que le châtiment est étroitement uni au vice, que l'impiété engendre la mort, et le péché, les périls. « Parce que le pauvre ne sera pas oublié jusqu'à la fin : la patience des pauvres ne périra pas pour toujours. » (Ibid. 19.) Un autre interprète dit : « Car l'attente des hommes de paix ne sera pas oubliée jusqu'à la fin. » Remarquez cette expression : « Jusqu'à la fin » elle nous montre qu'on ne reste pas toujours en quête du repos. Que deviendrait la patience, si l'on devait demeurer dans un repos continuel ? Voici le sens de ses paroles : Les méchants seront punis et subiront les peines les plus rigoureuses. Car Dieu ne souffrira pas que les opprimés soient toujours en butte aux persécutions. Par là, il console les uns, il fait peur aux autres: il fait voir la bonté de Dieu manifestée jusque dans ce retard qui éprouve les uns et provoque les autres à la pénitence. — Nouvel honneur pour les pauvres : non pas les pauvres, au sens propre du mot, mais les hommes qui ont le coeur contrit. Car ce sont eux qui sont le plus capables de résignation. Ou plutôt ces deux choses se prêtent une mutuelle assistance ; l'humilité confirme la patience, la patience confirme l'humilité. Que si l'on vient nous dire : Et comment l'humilité est-elle une espèce de pauvreté? nous répondrons : en tant qu'elle offre plus de facilité pour être vertueux. Le riche s'étourdit, perd le sang-froid. Le pauvre supporte toutes les épreuves sans se plaindre, comme un athlète exercé depuis longtemps dans 1e gymnase de la pauvreté. Aussi le Christ disait-il, qu'il est malaisé à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Qu'est-ce à dire : « La patience des pauvres ne sera point perdue jusqu'à la fin? » C'est-à-dire, que jamais elle ne périra, que de toute manière elle recueillera le fruit qui lui appartient. Il n'en est pas ainsi dans les choses mondaines, souvent le résultat nous trompe, et nos peines sont perdues. Le laboureur attend, le marchand de même ruais souvent les intempéries frustrent l'un et l'autre du fruit de ses travaux. En Dieu, rien de pareil : le résultat est toujours assuré. Et ce n'est pas un faible motif de consolation que cette confiance inébranlable dans l'issue. « Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne se fortifie pas. » Un autre dit : « Ne s'enhardisse pas. Que les nations soient jugées en votre présence. » Suivant un autre : « Devant votre face. » Il a parlé de la méchanceté qui possède la plupart des hommes, il a fait connaître leur perversité, leurs rapines, leurs (599) injustices, leurs homicides. Maintenant il invoque Dieu au secours des opprimés. Tel est le coeur des saints. Ils ne songent pas seulement à eux-mêmes : comme si le monde entier n'était qu'une maison, et le genre humain qu'une seule personne, ils ne cessent d'invoquer Dieu pour tous. «Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne se fortifie pas. » Qu'est-ce à dire: « Levez-vous, Seigneur? » Vengez, secourez, punissez les persécuteurs. La simplicité des expressions est remarquable ici : « Levez-vous, que l'homme ne se fortifie pas. » C'est pour indiquer le peu que nous sommes, créatures de boue, cendre et poussière. » Que les nations soient jugées « en votre présence.» C'est-à-dire qu'elles soient punies de leurs péchés. La longanimité ne les a point corrigées : demandez-leur compte de leurs iniquités. « Etablissez, Seigneur, un juge sur eux; que les nations connaissent qu'ils sont hommes. » « Chant prolongé. » ( 21.) Suivant un autre : « Toujours. » Qu'est-ce à dire: « Etablissez un juge sur eux ? » Puisqu'ils agissent comme des hommes sans loi, qu'ils ne veulent pas expier, punissez-les, châtiez-les désormais au lieu de les avertir. C'est ce qu'un autre exprime en disant : Mettez, Seigneur, un sujet d'effroi parmi eux. Considérez comment ce n'est pas leur punition qu'il cherche, mais leur correction, leur amendement, la fin de leurs iniquités. Ils seront châtiés, dit le Psalmiste, au lieu d'être avertis.; ce n'est pas seulement dans leur intérêt, c'est encore pour les autres. Et pour que vous entendiez quel avantage et quel remède il en résulte, écoutez la suite : « Que les nations connaissent qu'ils sont hommes. » Le sens est celui-ci. Beaucoup d'hommes perdent jusqu'à la conscience de leur nature, tombent dans le délire, se méconnaissent eux-mêmes. Et c'est bien à propos qu'il ajoute : « Toujours, » afin de montrer que ce n'est pas seulement dans les infortunes, mais encore,dans les prospérités. Riais si vous les châtiez maintenant, en proie à de vives alarmes, et pleins du souvenir de leur peine, ils conserveront désormais la conscience de leur nature jusqu'au sein de la prospérité.

9. Voyez-vous comment il prie pour eux, pour la guérison de leur folie? En effet, s'ignorer soi-même, c'est la pire des folies, et des frénésies. Ce dernier mal ne provient que de la nécessité : mais l'autre est le fait d'une volonté corrompue. « Pourquoi, Seigneur, vous  êtes-vous retiré au loin, et me négligez-vous dans le temps de mon besoin et de mon  affliction? » (1.) Ainsi parle le Prophète il supplie Dieu et l'invoque au nom des affligés ; ce n'est pas un reproche , à Dieu ne plaise ! Beaucoup d'affligés demandent le jugement avant que l'heure en soit arrivée c'est ainsi que ceux qu'on ampute, avant que l'opération soit terminée, conjurent le médecin de retirer le fer : prière que leur arrache, contre leur intérêt, l'impossibilité d'endurer plus longtemps leurs souffrances. Souvent on les entend crier au médecin : vous me torturez, vous me tuez, vous me faites mourir. Mais ce n'est pas l'intelligence qui parle ainsi, c'est la douleur. Ainsi parlent dans les afflictions beaucoup d'hommes pusillanimes, incapables de supporter la douleur. Sophonias touche ce point quelque part. Mais c'est dans le. Nouveau Testament, et alors les épreuves étaient modérées : la sagesse est encore loin de ce qu'elle devait être clans le Nouveau. « Tandis que l'impie s'enfle d'orgueil, le pauvre se consume; ils sont trompés dans les pensées dont leur esprit est occupé (qu'ils soient trompés, suivant un autre). Car le pécheur est loué dans « les désirs de son âme et le méchant est béni. Le pécheur a irrité le Seigneur. » (2.) Le Prophète qui a pris la posture d'un suppliant, qui prie Dieu pour les opprimés, indique aussi les souffrances causées par la faiblesse humaine: jusqu'au châtiment, jusqu'au supplice, l'opprimé souffre, ne pouvant se résigner au bonheur du méchant. Et ceci même est un douloureux supplice. Il demande donc que les méchants soient punis, que leurs complots se retournent contre eux et il fait mention d'une intolérable espèce de vice : « Le pécheur est loué dans les désirs de  son âme. » Des choses dont on devrait rougir, devant lesquelles il faudrait se voiler la face, leur attirent des éloges, de l'admiration. Et quel moyen de guérison reste-t-il désormais, dès que le vice est comblé de louanges? Nous voyons la même chose autour de nous. On vante l'une à cause de sa puissance; un aulne à cause de la vengeance qu'il tire de ses ennemis; un autre pour l'habileté avec laquelle il sait s'enrichir aux dépens de tout le monde. Quand il se perd, on dit qu'il s'y retrouve. Les éloges ne manquent à aucun talent de ce genre : mais des qualités spirituelles, il n'eu est pas question. Nulle part (600) vous n'entendrez louer avec empressement l'homme désintéressé, le pauvre volontaire on exaltera au contraire l'homme d'argent, l'usurier, le courtisan, celui qui s'abaisse à des emplois serviles pour un lucre méprisable. Voilà ce qui fait gémir le Prophète: c'est que le vice triomphe au point de s'étaler, d'avoir son franc parler, et, ce qui est pis, de ne pas rougir : que dis-je? Ce n'est pas lui seulement qui se vante de ses démarches : il trouve encore des flatteurs autour de lui. Quelle plus détestable folie? « Le pécheur a irrité le Seigneur. » Suivant un autre : « Parce que l'homme injuste s'étant félicité des désirs de son cœur, et l'avare les ayant bénis, ont irrité le Seigneur. Quand sa colère s'est élevée, il ne recherche plus. » Un autre dit : « Parce qu'il a chanté dans la passion de son  âme, et que l'avare ayant béni, a offensé le Seigneur. Un impie dans l'enivrement de son coeur ne recherche plus. » Les Septante traduisent : « Le pécheur a irrité le Seigneur dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas. » Voyez-vous à quel excès en est venue leur perversité? Pourquoi parler de l'affliction que cela cause aux pauvres? Dieu même en est irrité. « Et dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas : » entendez « Dieu. » Un autre croit qu'il s'agit ici de l'impie « dans son enivrement, » c'est-à-dire, son orgueil, sa présomption. Voyez quel excès de démence, quelle perdition? Le voilà ennemi de tous les siens, brouillé avec la vertu, amant et panégyriste du vice. Un autre dit admirablement : « Dieu n'est pas dans toutes ses pensées, » indiquant par là qu'il ne recherche pas Dieu, parce que son esprit est plein de ténèbres, parce qu'il n'a pas la crainte de ce saint nom devant les yeux. De même que la chassie trouble la prunelle, de même le vice obscurcit l'intelligence et la pousse à sa perte. « Dieu n'est pas en sa présente. » (5.) D'après un autre : « Dans toutes ses pensées. Ses voies sont profanées en tout temps, vos jugements sont ôtés de devant sa vue. » Un autre dit : « Votre jugement a « été enlevé. »

Voyez-vous quel est le fruit du vice? La lumière s'éteint chez le coupable, son  esprit s'aveugle, il est livré comme un captif à la méchanceté. De même qu'on voit souvent un aveugle tomber dans un abîme, ainsi le pécheur, quand il n'a plus la crainte de Dieu devant les yeux, reste constamment dans l'iniquité ; ce n'est plus une alternative de vice et de vertu, c'est le vice tout pur; il oublie la géhenne, le jugement futur, les comptes à venir; il rejette tous ces secours comme autant de freins importuns; le voilà comme une barque sans lest, abandonnée à la fureur des vents et des flots, sans guide pour remettre sa pensée dans la voie. Voyez-vous comment le coupable trouve sa punition dans son vice même? En effet, quoi de plus malheureux qu'un cheval sans frein, qu'une barque sans lest, qu'un homme atteint de cécité !

10. Eh bien ! il est encore plus à plaindre l'homme qui vit dans l'iniquité, qui a éteint en lui la crainte de Dieu, qui n'est plus qu'un malheureux captif. — « Il triomphera de tous ses ennemis. Car il a dit dans son coeur : Je ne serai point ébranlé: de génération en génération je resterai à l'abri du mal. » (6.) D'après un autre : « Il dissipe d'un souffle tous ses ennemis, disant dans son coeur je ne serai pas ruiné dans la suite des générations. Car je ne serai pas dans l'affliction. » Voyez quel orgueil ! quelle affreuse perdition ! quel acheminement à la mort ! Voilà pourtant ce qu'admire la sottise : un abîme d'infortune. Vous savez maintenant comment se fait le naufrage. Le coupable est loué dans ses péchés, béni dans ses iniquités. Voilà le premier abîme, bien suffisant pour tuer celui qui n'y prend pas garde.

Nous devons donc accueillir avec plus de gratitude les reproches et les réprimandes que les éloges, que de pernicieuses flatteries. Voilà ce qui perd les sots et les pousse à de plus graves fautes, comme en inspirant l'orgueil à ce pécheur, on lui enseigna la démence. Aussi Paul dit-il aux Corinthiens en parlant du fornicateur : « Et vous êtes enflés, et vous n'avez pas gémi plutôt ? » (I Cor. V, 2.) Il faut gémir, gémir encore sur le pécheur, et non pas le louer. Vous avez vu cette méchanceté qui arrive à l'excès parce qu'au lieu de la gourmander, on lui donne des louanges. Aussi égaré à la fois par son propre délire et par ces éloges le pécheur redouble de perversité, il oublie Dieu et ses jugements; il oublie jusqu'à sa propre nature. En effet celui qui oublie les jugements de Dieu finit avec le temps par s'oublier lui-même. Voyez comment il raisonne. « Je ne serai pas ébranlé dans la suite des générations, et je serai à l'abri du mal. » Quel (601) excès de démence? Etre homme. mortel, entouré de choses périssables, exposé à mille vicissitudes, et concevoir une pareille illusion? D'où lui vient-elle ! De la déraison. En effet, lorsqu'un homme déraisonnable, jouit d'une parfaite prospérité, qu'il triomphe de ses ennemis, qu'il se voit loué, admiré, il devient le plus malheureux des hommes. Faute de s'attendre aux changements de fortune, faute de porter sagement sa félicité, pour peu qu'il vienne à tomber dans l'adversité, il se trouble. se déconcerte, parce qu'il n'y était point préparé. Il n'en fut pas ainsi de Job : jusque dans la félicité, il se préoccupait chaque jour du malheur : c'est pourquoi il dit : « La crainte que j'éprouvais m'est venue; celle que j'aurais ressentie s'est réalisée pour moi. Je n'ai pas été en paix, en repos, je ne me suis point relâché: cependant la colère est venue pour moi. » (Job, III, 25-26.) C'est pourquoi un autre encore a dit : « Souviens-toi du temps de disette au temps d'abondance, de la pauvreté et du besoin au jour de la richesse » (Eccli. XVIII, 25.) Mais le pécheur dont il s'agit ici, une fois perverti, ne songe plus à la fragilité humaine, il croit que sa bonne fortune lui assure une félicité invariable : ce qui est un principe de folie, de perdition complète, une cause de ruine. N'allez donc point vanter le bonheur des riches, de ceux qui triomphent de leurs ennemis, de ceux qu'on félicite au sujet de ces prospérités. Autant de gouffres, de précipices profonds pour ceux qui ne prennent pas garde, c'est par là qu'on tombe jusqu'au fond de l'impiété. « Sa bouche est pleine de malédiction, d'amertume et de tromperie. Le travail et la douleur sont sous sa langue. (Ps. IX, 7.) » Un autre dit : « Inutilement, il se tient assis en embuscade avec des riches dans les lieux cachés, afin de tuer l'innocent. » (8.) Suivant un autre: « En embuscade auprès du palais, ses yeux regardent vers l'innocent. Il est en embuscade dans un lieu retiré comme un lion dans sa tanière. » (9.) D'après un autre : « Dans son fort, il complote d'enlever le pauvre, d'enlever le pauvre en l'attirant. » (10.) « Il l'humiliera dans son piège. » Un autre traduit « Dans son filet, il se penchera et tombera lorsqu'il sera devenu maître du pauvre. » Suivant un autre. « L'affligé sera courbé, lorsque celui-ci sera tombé avec ses forts sur les faibles. »

Voyez-vous que ce n'est plus qu'une bête féroce ? On dirait que le Prophète décrit un animal de ce genre, à voir comme il parle de ses ruses, de ses embuscades, de ses artifices. Et quoi de plus malheureux, de plus pauvre que cet homme réduit à convoiter le bien du pauvre? L'appellerons-nous encore un riche, dites-moi ? Appelons donc ainsi les voleurs et les brigands. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Mais quoi ! s'il ne force pas les portes, s'il n'attaque pas pendant la nuit, n'emploie-t-il pas la ruse pour éteindre le flambeau du juge? S'il ne choisit pas le moment où l'on dort, s'il opère l'iniquité sous les yeux de tous, n'en est-il pas que plus audacieux? Les lois ne punissent-elles pas le vol du jour plus sévèrement que le vol de nuit?

Voyez-vous combien il est pauvre? Voyez-vous combien il est inhumain ? Pauvre, parce qu'il convoite le bien du pauvre. Inhumain , parce que le malheur ne peut le fléchir, et qu'au lieu de prendre en compassion la misère et de la secourir, il l'opprime. Mais tant de crimes ne restent pas impunis: quand il est victorieux, qu'il croit triompher, qu'il se flatte d'être invincible, c'est le moment de sa perte : afin qu'en cela éclate la puissance de Dieu, la patience du pauvre, l'obstination du pécheur et la longanimité divine. Voilà pourquoi le châtiment n'est pas instantané : Dieu, par sa patience, invite le coupable à la pénitence : mais quand ce délai demeure inutile, c'est par le châtiment que désormais il l'avertit. Quant aux opprimés, ils n'ont subi aucun dommage : ils sont devenus meilleurs et plus glorieux grâce à leurs tribulations. Dieu, de son côté, a déployé sa longanimité, sa patience, et du même coup, sa force, sa sagesse: car c'est quand le pécheur était au faîte de sa puissance qu'il en a triomphé. Pour l'incorrigible, il subit le plus rigoureux des châtiments, et c'est là un avertissement qui n'est pas d'une médiocre utilité pour les heureux.

11. Gardez- vous donc, s'il vous est donné de vaincre vos ennemis, si vous voyez toutes choses aller selon vos voeux, gardez-vous de vous abandonner avec confiance à l'iniquité ne soyez au contraire que plus circonspects. Car, si vous restez méchants, en même temps que votre perversité s'accroît, votre justification devient plus difficile, vos titres au pardon s'effacent. « Il a dit en son coeur : Dieu a oublié ; il a détourné son visage, pour ne plus voir jusqu'à la fin. » (11.) Voyez dans quel abîme (602) de perdition le voilà tombé; quelles opinions il se forme, opinions qu'à la vérité il n'ose exprimer tout haut, mais qu'il roule en lui-même, dans ses efforts, pour lutter contre la vérité, pour répandre les ténèbres de son propre aveuglement sur des choses plus claires que le soleil. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu ! que votre main s'élève ! N'oubliez pas les pauvres. (12.) Pourquoi l'impie a-t-il irrité Dieu? c'est qu'il dit dans son coeur: il ne recherchera pas. (13.) Vous voyez que vous êtes témoin de la peine et de la colère pour le livrer entre vos mains; »un autre dit: «Vous avez vu que vous considéreriez.» (14.)

L'impie, l'avare, le spoliateur parlent ainsi, croyant échapper au châtiment; mais le prophète le tire d'erreur, complétant par là ce qui a été dit de la longanimité. Le pécheur a dit : « Il a détourné son visage pour ne pas voir jusqu'à la fin. » Le Prophète dit, au contraire : Vous voyez, vous savez et vous patientez, jusqu'à ce qu'ils tombent entre vos mains? Qu'est-ce à dire : « Le livrer entre vos mains. » C'est le langage des hommes. Le sens est celui-ci : Vous patientez, vous attendez qu'ils soient livrés à l'excès de la méchanceté. Du premier coup vous pourriez les faire périr : mais. l'océan de votre mansuétude est sans bornes; vous les voyez et ne les poursuivez pas, vous attendez qu'ils se repentent. S'ils refusent, alors vous les punissez, voyant que votre longanimité n'a produit aucun fruit pour eux. La suite fait voir à quel point Dieu s'inquiète du sort des opprimés : « Le pauvre vous a été confié, vous a été un protecteur pour l'orphelin. » Un autre dit : « Vous êtes devenu; un autre : « Vous serez. » Il veut dire : voilà votre office, votre prérogative.

En effet, Dieu ne saurait délaisser son oeuvre, manquer à sa tâche. De même qu'il appartient à un maçon de bâtir, à un pilote de diriger les vaisseaux, au soleil de luire : ainsi il appartient à Dieu de protéger les orphelins, de tendre la main aux pauvres. Ils n'ont d'autre patron que lui,seul. — Voilà le sens de ce mot « a été confié; » personne, si ce n'est vous, ne protège les orphelins et les pauvres. « Broyez le bras du pécheur et du méchant. « Son péché sera recherché et ne sera pas trouvé de lui-même. » (15.) D'après un autre : « Que son impiété soit recherchée , afin qu'il ne soit pas trouvé lui-même. » Ce n'est point précisément le pécheur qu'il désire voir broyer, c'est sa force, sa puissance, c'est la méchanceté qui le dévore. Ensuite, il prie qu'il lui soit demandé compte de ses actes, et afin de montrer la grandeur de son iniquité, il dit: Si cela se fait, il ne pourra se tenir debout, ni se montrer; il périra, disparaîtra, sera complètement anéanti, pendant qu'on examinera sa conduite. — Ainsi donc que personne ne gémisse de se voir orphelin ou pauvre. Le secours donné par Dieu est proportionné à l'étendue de ces maux. Que personne en se voyant puissant ne conçoive ni orgueil, ni présomption. Car la grandeur est un séjour dangereux, d'où l'on est facilement précipité, quand on n’y prend pas garde. « Le Seigneur régnera dans l'éternité et dans les siècles des siècles. » (13.)  Il répond ici à ceux qui sont ébranlés en voyant que les coupables ne sont pas punis sur-le-champ : Que craignez-vous? dit-il ; que redoutez-vous? Avons-nous affaire à un juge mortel ? Sa royauté doit-elle finir? Si le châtiment n'est pas venu, il viendra. Car Celui qui demande les comptes est toujours là-haut, et son règne est éternel... « Vous périrez, nations , de dessus sa terre. Vous avez entendu le désir des pauvres, Seigneur ! Votre oreille a ouï la préparation de leurs coeurs. » (17.) Un autre dit : « La disposition. » Un autre : « Vous préparez leurs coeurs, de façon que votre oreille les entende. Jugez l’orphelin et l'humble, afin que l'homme n'entreprenne plus de se glorifier sur la terre. » (18.) D'après un autre : « L'orphelin et l'affligé. »

Voyez-vous comment le Prophète s'occupe spécialement des soins que réclament les méchants ? En effet, leur malheur est le pire de tous. L'opprimé perd de l'argent; le pécheur est en butte au plus grand des périls. Que sera-ce, s'il ignore le degré de sa maladie? Ainsi s'accroît leur démence , et c'est par là surtout qu'ils sont à plaindre; ainsi ils se confirment dans leur ignorance. Les enfants ne s'effrayent nullement de ce qui est à craindre, ils vont jusqu'à approcher leurs mains du feu; en revanche, ils tremblent, ils frissonnent à la vue d'un simple masque. C'est l'image de ces avares qui redoutent la pauvreté, laquelle n'a rien d'effrayant, qui est au contraire un principe de sûreté et mettent au-dessus de toute une richesse mal acquise, possession bien autrement redoutable que le feu. La cupidité, voilà. ce qui est absolument un mal. Aussi le (603) Prophète s'efforce-t-il constamment de nous en corriger, en nous menaçant, en nous faisant peur, en priant Dieu de se lever pour punir une pareille insensibilité. Et voilà pourquoi il ajoute : « Vous périrez, nations, de dessus sa terre. » Par là il menace les avares d'extermination, il prie Dieu de secourir et de venger les opprimés, de leur apporter le soulagement et la correction à leurs persécuteurs. Que personne ne s'avise, par conséquent, de convoiter des richesses superflues. De là naissent; si l'on n'y prend garde, bien des maux; orgueil, paresse, envie, vanité, et bien d'autres. Voulez-vous y échapper? coupez-en la racine; si vous l'ôtez, vous ne verrez point croître ces rejetons de malheur. Et ce langage n'est pas destiné seulement à frapper nos oreilles, mais encore à nous corriger, à nous rendre vertueux en Jésus-Christ, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

FIN DU CINQUIÈME VOLUME.

 

 

Haut du document

 

Précédente Accueil Remonter Suivante