PSAUME XLIX

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EXPLICATION DU PSAUME XLIX. LE DIEU DES DIEUX, LE SEIGNEUR A PARLÉ, ET IL APPELLE LA TERRE DEPUIS L'ORIENT JUSQU'A L'OCCIDENT.

 

ANALYSE.

 

1. Des diverses acceptions du mot Dieu dans la sainte Ecriture. — Ce psaume semble au commentateur une suite du précédent. Il a été aussi compose pour confondre les pécheurs. — Dans le précédent, le Prophète avait invité la terre à venir l'entendre, dans celui-ci, il adresse son appel aux éléments.

2. et 3. — Des deux avènements du Fils de Dieu, l'un simple et humble, l'autre terrible et éclatant.

4. Comment l'on doit adorer Dieu : Pourquoi les sacrifices ont été permis aux Juifs.

5. Quel est le sacrifice qui plait à Dieu.

6. Comparaison des afflictions de la vie avec les maux de la vie future.

7. et 8. Louer le vice est un péché : il faut s'indigner contre ces pécheurs.

9. C'est un devoir de s'occuper du salut du prochain.

10. Que les réprimandes soient faites en particulier et jamais en public.

 

1. Le même Psalmiste a dit ailleurs: « Dieu a pris séance dans l'assemblée des dieux; » et un peu plus loin : « J'ai dit, vous êtes des dieux. » (Ps. LXXXI, 1 et 6.) Et saint Paul : « Car encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux, et qu'il y ait plusieurs seigneurs. » (I Cor. VIII, 5.) Et Moïse : « Tu ne parleras point mal des dieux. » (Exod. XXII, 28.) — Et ailleurs : « Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. » (Gen. VI, 2.) Le même Moïse a dit encore : « Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché, celui qui se servira du nom du Seigneur, sera lapidé. » (Lévit. XXIV, 15, 16.) Il a été dit ailleurs :  « Que les dieux qui n'ont point fait le ciel et la terre périssent sous le ciel. » (Jér. X,19 .) Quel sens faut-il donner à ce mot dans ces différentes citations, et de quels dieux s'agit-il ici ? On veut parler des princes. Aussi après ces mois: « Tu ne parleras point mal des dieux, » Moïse ajoute-t-il aussitôt « et tu ne médiras point de Celui qui commande à ton peuple. » (Exod XXII, 28.) Il s'agit des descendants d'un homme vertueux. Car Enos, pour avoir montré une (84) grande vertu, fut appelé du nom de Dieu : ses descendants et ceux de son frère s'unirent par des mariages. Le Prophète appelle enfants de Dieu les enfants de l'homme vertueux. « Ils commencèrent, » dit-il, « à être appelés du nom de bien. » (Gen. IV, 26.) Il désigne aussi le peuple juif, qu'il honore de cette appellation, dans la phrase suivante : « Je l'ai dit: vous êtes des dieux, et vous êtes les fils du Très-Haut. » (Ps. LXXXI, 6.) Il appelait ainsi ce peuple par suite de l'affection particulière qu'il avait pour lui. C'est ainsi que s'expliquent encore ces mots: « Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché, » ce qui revient à dire : celui qui médira du prince, commettra un péché. « Celui qui se servira du nom du Seigneur sera lapidé, » c'est-à-dire celui qui donnera le nom du vrai Dieu aux dieux qui n'existent pas. La preuve, c'est que ce péché est considéré comme indigne de tout pardon, et qu'on inflige la peine la plus terrible à celui qui s'en rend coupable. On appelle encore dieux, les dieux des gentils, mais ce n'est ni pour les honorer, ni par déférence, c'est pour signaler l'erreur de ceux qui les appelaient ainsi. Voilà pourquoi saint Paul a dit : « Car encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux ( I Cor. VIII, 5), » pour montrer qu'il n'admet ni leur existence, ni l'honneur qu'on leur fait en leur donnant ce nom. De qui donc le Psalmiste, dont nous expliquons en ce moment les paroles, parle-t-il, quand il dit : « Le Dieu des dieux? » Il me semble qu'il désigne les dieux des païens, non parce qu'ils existent, mais parce que les peuples voués à l'erreur se sont imaginé qu'ils existaient. Comme les Juifs étaient encore trop grossiers, qu'ils n'avaient pas coin piétement rompu avec leurs habitudes d'idolâtrie, que les idoles leur en imposaient toujours, et qu'il y avait chez eux beaucoup de restes de l'ancienne iniquité, il en profite pour purger leur esprit de ces erreurs, en leur montrant que Dieu est le maître même de ces faux dieux. Dieu est aussi le maître des démons, mais il n'est leur maître qu'en ce qui concerne leur substance même, car leurs pensées et leur perversité tout entière leur appartiennent en propre. Il me semble que ces paroles du prophète sont une suite du psaume précédent. Car celui-ci également a été écrit pour confondre et pour accuser les pécheurs : dans l'autre, le Prophète invite la terre entière à venir l'entendre, dans celui-ci il adresse son appel aux éléments mêmes répandus sur toute la terre. Voici un autre théâtre, et un autre auditoire : là nous avons vu comparaître les nations, les enfants de la terre, le pauvre et, le riche : ici c'est la terre et le ciel, c'est Dieu lui-même qui se présente à nous pour être jugé, Dieu qui prononce sa défense devant le peuple des Juifs. Aussi notre attention doit-elle redoubler. Un autre prophète a fait de même, il nous montre Dieu se soumettant à un jugement, et il place au rang des juges les abîmes et les fondements de la terre. « Écoutez, » dit-il, « abîmes et fondement, de la terre, car Dieu va débattre son procès contre son peuple et avec son peuple.» (Mich. VI, 2.) On lit ailleurs : « Il plaidera  contre vous et contre vos pères. » (Jér. II, 9.) On peut voir cette figure répétée en beaucoup d'endroits de l'Écriture, elle est vraiment imposante et digne de l'affection de Dieu pour les hommes. Elle nous montre son inexprimable bonté, en nous le faisant voir qui s'abaisse jusqu'à venir se soumettre au jugement des hommes. — « C'est de Sion qu'il fera briller la splendeur de sa gloire (2). » Expression qui se ressent de l'enthousiasme prophétique, mais qui est d'accord aussi avec la vérité de l'histoire. C'est là en effet que. même du temps de l'ancienne loi, brilla la gloire de Dieu. Car c'est là que s'élevait le temple et le saint des saints, que s'observaient les cérémonies religieuses et les lois politiques établies par l'Ancien Testament, que se réunissait la foule des prêtres, que se faisaient les sacrifices et les holocaustes, que se chantaient les hymnes sacrés et les psaumes; tout était là, et c'est encore là que furent écrites les prophéties qui annonçaient les événements de l'avenir. Et quand parut enfin la vérité, c'est là qu'elle prit naissance. C'est de là due la croix resplendit sur le monde, c'est là que s'accomplirent les innombrables triomphes de la religion nouvelle. Ce qui faisait dire à Isaïe, lorsqu'il parla dans ses prophéties de la loi du Nouveau Testament: « C'est de Sion que viendra la loi, et le Verbe du Seigneur viendra « de Jérusalem, et il rendra ses jugements au « milieu des nations. » (Is. II, 3, 4.) par Sion il désigne ici tout le territoire avoisinant,ainsi que la ville qui s'étendait à ses pieds, Jérusalem, la capitale des Juifs. C'est de là que, comme de la barrière d'un hyppodrome, les apôtres, ces coursiers aux jambes agiles, (85) s'élancèrent à la conquête du monde : c'est là qu'ils commencèrent à donner des signes de leur mission : là, eurent lieu la résurrection et l'ascension ; là, fut l'exorde et le commencement de notre salut: c'est là que l'on commença à prêcher les saints mystères. Là pour la première fois le Père se révéla, le Fils unique se fit connaître, l'Esprit répandit sa grâce sur les hommes. C'est là que les apôtres parlèrent des aloses incorporelles, des grâces, des puissances, et des biens qui nous étaient promis pour l'avenir. Le Prophète songeait à tout cela quand il appelait Sion la splendeur de Dieu. Car ce qui fait la beauté et la splendeur de Dieu, c'est sa bonté, son amour pour les hommes, sa bienveillance répandue sur tous. « Dieu, notre Dieu, viendra manifestement, et il ne gardera pas le silence (3.) »

Voyez-vous comme le langage du Prophète devient de plus en plus clair, comme il nous découvre le trésor de ses secrets, et comme il darde des rayons plus brillants quand il prononce ces mots : « Dieu viendra manifestement? » Quand donc est-ce qu'il n'est pas venu manifestement? Quand ? La première fois qu'il vint ici-bas, car il vint sans bruit alors, sans être vu du plus grand nombre et pendant longtemps sans en être reconnu. Que dis-je, du plus grand nombre? La vierge même qui l'enfanta ignorait le secret du mystère(1), ses frères mêmes ne croyaient pas en lui, celui qui paraissait être son père ne se doutait nullement de sa grandeur.

2. Et pourquoi parlé-je des hommes? Il ne fut même pas reconnu du diable, car s'il avait su qui il était, il ne lui aurait pas dit sur la montagne : « Si tu es le Fils de Dieu, » et ces paroles il les prononça une et deux et trois fois. (Matth. IV, 3, 6.) Aussi Jésus lui-même dit-il à Jean qui commençait à découvrir ce qu'il était : « Cesse immédiatement ( Matth. III , 15) ; » c'est-à-dire, tais-toi maintenant, le moment n'est pas encore venu de découvrir le secret de mon incarnation, je veux continuer d'échapper aux regards du diable; tais-toi donc, dit-il : « Car il nous convient qu'il en soit ainsi. » Et en descendant de la montagne il recommandait à ses disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ. (Matth. XVII, 9.) Car il allait alors comme le pasteur qui cherche sa brebis errante et qui tend des piéges à la bête

 

1 Il y a lieu de s'étonner de ce que dit ici saint Chysostome, la Vierge connaissait le mystère puisque l'ange le lui avait révélé.

 

indocile pour s'en emparer ; aussi s'enveloppait-il des ombres du mystère. Comme le médecin qui évite tout d'abord d'effrayer le malade, il ne voulut pas se manifester dès le début, mais insensiblement et peu à peu. Ce qui fait dire plus loin au même prophète, quand il veut taire allusion au peu de bruit de son arrivée : « Il descendra comme la pluie sur la toison et comme la goutte d'eau sur le sol.» (Ps. LXXl , 6.) Il est venu sans bruit, sans troubler, sans agiter la terre, sans lancer d'éclairs, sans ébranler le ciel, sans se faire accompagner du peuple des anges, sans briser le firmament parle milieu pour descendre eusuite porté par les nuages. Non, il est venu en silence, conçu par une vierge, porté neuf mois dans son sein, il naît dans une étable comme le fils d'un simple artisan, dans ses humbles langes il est exposé aux complots, il fuit avec sa mère en Egypte. Ensuite il revient, après la mort de celui qui avait commis toutes ces impiétés et il continue d'aller et de venir sous l'apparence d'un homme du peuple; humbles étaient ses vêtements, plus humble était sa table, il marchait, il marchait sans cesse au point d'en être fatigué. Mais au jour marqué par le Prophète, il ne viendra pas ainsi, il viendra si manifestement qu'il n'aura pas besoin d'un héraut pour annoncer sa venue. Aussi, pour faire comprendre l'éclat de sa présence, disait-il lui-même : « Si l'on vous dit : Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, n'y entrez point. Si l'on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez point pour y aller. Car, comme un éclair qui sort de l'Orient et paraît tout d'un coup jusqu'à l'Occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme.» (Matth. XXIV, 26, 27.) Il se montrera et s'annoncera lui-même. C'est ce qui a lieu quand l'éclair paraît et nous n'avons pas besoin qu'on nous l'annonce. Au moment même où il se montre il est vu de tous et de tous à la fois. C'est ainsi que saint Paul dit : « Car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel. » (I Thess. IV, 15.) Le Prophète le voyait ainsi porté par les nues, avec le torrent qui roule devant lui, avec le terrible tribunal où chacun doit rendre de sa vie un compte inévitable. C'est alors, alors que viendra l'heure du jugement et des débats, aussi apparaîtra-t-il non plus comme un médecin, mais comme un juge. Aussi Daniel (86) voit-il son trône, le torrent qui roule au pied de son tribunal et tout lui apparaît en feu, et le char et les roues. (Dan. VII, 9, 10.) Mais au commencement et quand il parut pour la première fois il ne découvrit aux regards ni le feu, ni le torrent, ni rien de tout cela : on ne vit qu'une étable , une auberge, une chaumière, une mère dans la pauvreté. Par là, Daniel nous montre son inflexibilité et son immutabilité. Car après avoir dit que celui qui était assis sur leur trône avait les cheveux blancs comme de la laine et que ses vêtements étaient éclatants comme la neige, non pour nous faire croire qu'il s'agisse en réalité de cheveux et de vêtements, mais pour nous montrer rayonnant partout un feu pur et éclatant, il ajoute : « Le feu brûlera sur sa face et au« tour de lui tourbillonnera une tempête violente. » (Dan. VII, 9.) Par ces images il nous fait comprendre que le Seigneur ne change pas, qu'il est inflexible, qu'il brille comme la lumière et qu'il est inaccessible. Il ne s'en tient lias au feu, mais pour montrer l'impétuosité de sa vengeance, il ajoute ces mots : « une tempête violente. » Par ce mot kataigis ( tempête ) nous entendons soit une masse énorme de neige qui en tombant entraîne et renverse tout sur son passage, soit un tourbillon, une trombe qui produit les mêmes ravages et à laquelle rien ne résiste. C'est donc pour nous figurer l'irrésistible impétuosité de la colère divine qu'il s'est servi de ces images. — « Il appellera les cieux et la terre pour juger son peuple (4). »

Il parle encore des éléments, source de tant de biens pour la race humaine, non-seulement en ce qui concerne la vie du corps et sa formation, mais encore en ce qui concerne la connaissance de Dieu. Car la beauté et la grandeur de la création, la manière dont elle a été conçue, les substances d'où se sont formés les éléments et ce que les éléments ont produit et produisent à leur tour, soit de tout temps et en général, soit de temps en temps et en particulier, tout cela nourrit et entretient le corps, et nous amène à reconnaître Celui qui a tout fait. C'est ce qui fait dire à saint Paul : « Car les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, sont devenus visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent. » (Rom. I, 20.) Et ailleurs : « Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l'avait point connu dans les ouvrages de la sagesse divine (I Cor. 1, 21) ; » c'est-à-dire n'avait tu as reconnu la sagesse qui éclate dans la création, ce qui cependant n'est pas un petit, mais un très-grand et très-intelligible enseignement. Et les résultats de cette même création qui se produisent tous les jours, bien que paraissant n'être qu'une conséquence des lois de la nature, proclament aussi l'existence du Créateur. Car le Créateur est le maître de la nature.

3. Ne vous étonnez pas s'il s'adresse spécialement aux Juifs, en parlant du jugement universel. C'est de la même manière que saint Paul a dit: « La fureur et la colère, l'affliction et le désespoir se répandront sur l'âme de tout homme qui fait le mal : du juif premièrement et puis du gentil. » (Rom. II, 8, 9.) Et ailleurs: « Et ainsi tous ceux qui ont péché sans avoir reçu la loi , périront aussi sans être jugés par la loi : et tous ceux qui ont péché étant sous la loi seront jugés par la loi. » (Ibid. 12.) « Rassemblez autour de lui ses saints, tous ceux qui ont contracté avec lui une alliance scellée par le sacrifice (5). » Pourquoi donc, ceux qu'il va mettre en accusation, qu'il va condamner, les appelle-t-il ici des saints? C'est pour donner plus de force à l'accusation , pour rendre la punition plus éclatante par les honneurs rendus à l'accusé. De même nous, quand nous voyons quelques personnes qui ont fait le mal, et que nous voulons leur rendre nos reproches plus sensibles , nous les appelons par leurs qualités, rie manière à donner plus de poids à l'accusation, disant: appelle le diacre, ou bien, appelle le prêtre, puisqu'ils avaient le titre de prêtres du Roi des rois, de peuple privilégié, et qu'ils en étaient fiers, il prend pied là-dessus pour donner plus d'étendue à ses reproches. « Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par le sacrifice. » Comme après avoir osé mille et mille infamies, fait le mal de toutes les manières, après avoir dérobé, cherché à s'approprier le bien d'autrui , après avoir tué, commis l'adultère, répandu des flots de sang, ils pensaient s'être bien conduits, et ne s'être pas écartés de la loi et de l'alliance jurée, pourvu qu'ils sacrifiassent des brebis et des veaux, il prend acte de toutcela pour leur lancer l'outrage et la raillerie en disant: « Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par les sacrifices, » c'est-à-dire ceux qui croient (87) qu'il suffit pour leur salut de sacrifier quelques animaux. — « Et les cieux annonceront sa justice (6). »

Dans ce passage encore, voulant nous faire sentir combien sa justice est éclatante, combien elle est brillante, évidente, indiscutable, combien elle est reconnue de tous, il nous la montre proclamée par les éléments insensibles, employant ainsi la même figure qu'auparavant. « Car Dieu est juge, » il veut dire que Dieu détermine avec justice ce qui revient à chacun. Il n'a pas voulu par là nous apprendre simplement que Dieu exerce les fonctions de juge, mais bien nous faire entendre qu'il est juste , et qu'il se montre tel envers tous. Ce mot de « juge, » en parlant de Dieu, est synonyme de juste, et saint Paul s'en estservi clans le même sens quand il a dit. « Car comment Dieu jugera-t-il le monde ? » (Rom. III, 6.) Ce qui fait un vrai jugement, ce qui fait le vrai juge ce n'est pas simplement de prononcer un arrêt, mais de le prononcer avec équité. Les Juifs seront jugés, et les Juifs d'alors , et ceux qui venus après eux, et contemporains du Nouveau Testament, se seront livrés au péché. Ceux-là auront à répondre de leurs infractions aux lois de la nature et à la loi de Dieu, ceux-là verront en outre s'élever contre eux les bienfaits mêmes de Jésus-Christ. Que pourront-ils dire, quel motif, pourront-ils donner pour excuser leur incrédulité? Mais, je vous en prie, méditez avec soin ces paroles, afin de pouvoir vous en servir pour fermer la bouche à ceux qui soutiendraient le contraire. Car il vaut mieux qu'ils soient vaincus par nous et qu'ils reviennent de leur erreur, que de leur laisser croire qu'ils sont victorieux et que de les laisser partir ainsi pour l'autre vie où ils se verraient condamner par le commun Juge de la terre. Que pourraient répondre les Juifs? Pourquoi ont-ils fait périr le Christ? Quel reproche, grave ou non, avaient-ils à lui faire ? — Il se faisait passer pour Dieu, dira-t-on. — Cependant ce n'était pas leur langage au moment où ils le mettaient en croix; il était tout autre. Car ils ne disaient pas, celui qui se fait passer pour Dieu , mais : « Celui qui se fait passer pour roi, n'est pas ami de César. » (Jean, XIX,12.) Souvent on voulut le proclamer roi , mais il fuyait cet honneur. — Mais auparavant, dira-t-on, on lui reprochait de se faire passer pour Dieu. Eh bien ! que signifie cette objection? Si c'était une prétention injuste et mensongère, et sans rien de fondé, ce reproche aurait une raison d'être : mais si elle était légitime, il fallait l'adorer et non le mettre en croix. Voyons donc s'il se faisait passer pour Dieu, sans l'être réellement, c'est-à-dire s'il montrait, s'il manifestait sa divinité. A quoi recourir pour le savoir? Aux événements qui se passèrent alors? à ceux qui se passent aujourd'hui. Aux circonstances qui accompagnèrent son enfantement? Qui donc est jamais né d'une vierge? Qui fit paraître comme lui une étoile dans le Ciel? Qui fit faire à des mages une route aussi longue, et cela non par force ni contrainte, mais par persuasion et par le simple effet de la révélation? Voyez-vous la création qui tout entière reconnaît son maître? La nature cède la première, ne résiste point et ne dit pas: Je ne veux pas laisser l'enfantement s'accomplir, je n'ai pas appris à faire naître un enfant d'une mère restée vierge, je ne sais pas rendre une femme mère sans union charnelle. Elle fut déconcertée et se laissa écarter de ses limites propres, car elle avait reconnu son maître. Après sa naissance les anges apparurent pour indiquer que celui qui habite dans les cieux était sur la terre, et la terre devint le ciel, puisque le Roi avait établi sa demeure ici-bas, et les mages, venus de si loin, se prosternèrent devant lui. Cet enfant gisait sur une crèche en Palestine, et ces hommes appartenant à une terre étrangère , le comblaient d'autant d'honneurs et d'hommages qu'on en doit à Dieu. (Matth. II, 2.) Mais peut-être n'admettra-t-on pas ces preuves et en demandera-t-on d'autres que la génération présente puisse vérifier par elle-même. Nous ne serons pas embarrassés pour en trouver. Telle est la nature de la vérité, qu'elle ne manque jamais de moyens de justification. Et, dans le cas présent, nos contradicteurs n'ont pas même l'ombre d'une objection à mettre en avant. Car si vous n'étiez pas présent lorsque Jésus-Christ est né d'une vierge , il fallait vous en rapporter au Prophète qui disait: « Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel. » (Isaïe, VII, 14.) Si vous n'étiez pas présent lorsqu'il allait et venait sur terre sous la forme humaine, et qu'on voyait le Maître vivre au milieu de ses esclaves, consultez Jérémie qui vous répondra ces paroles: « C'est lui qui est notre Dieu, et nul autre ne sera devant lui. C'est lui qui a trouvé toutes les voies de la sagesse, et qui les a découvertes à Jacob son serviteur, à Israël (88) son bien-aimé. Après cela, il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. » (Baruch, III, 36. 37, 38.)

4. Quant aux autres preuves vous verrez que les Prophètes dont vous avez feuilleté et fatigué inutilement les livres jusqu'à ce jour, proclament bien haut tout ce qui peut rendre certaine cette conjecture. Bien souvent déjà nous avons soutenu de pareilles discussions contre ces contradicteurs, et nous en soutiendrons bien souvent encore: mais en attendant restons attachés à notre sujet. «Et les cieux annonceront sa justice, parce que Dieu est juge. » Il me semble qu'ici le Prophète désigne par ce mot de justice son infatigable bienveillance, son affection pour nous, son active prévoyance qui s'adresse à tous les hommes sous tant de formes et de tant de manières, et qui se manifeste par l'oeuvre même de la création, par l'établissement de sa loi, par le don de sa grâce, par tout ce que nous voyons comme par ce que nous ne voyons pas, par les prophètes, par les anges, par les apôtres, par les châtiments dont il nous frappe, par ses bienfaits, par ses menaces, par ses promesses, par l'ordre même des temps. « Ecoute, mon peuple, et je parlerai; Israël, je te rendrai témoignage (7). »

Voyez dès le début quelle complaisance et quelle douceur. De même qu'un homme dirait à un autre homme. qui le troublerait et ferait du bruit : si tu veux m'entendre , je parlerai si tu veux m'écouter, je t'adresserai la parole, — de même notre Maître dit à nous, ses esclaves : si vous voulez m'entendre, je vous parlerai. Car ils n'avaient plus ni ressort, ni énergie, et ils ne pouvaient même pour un instant écouter avec recueillement la lecture de la loi.. C'est à cela que faisait allusion le prophète qui se trouvant en Perse disait: « Je serai pour eux comme la voix de l'harmonieux, psaltérion. » (Ezéch. XXXIII, 32.) Ils ne cessaient de recommander aux prophètes de ne plus prophétiser (III Rois, XIX, 10), bien plus ils les repoussaient comme s'ils eussent été importunés par eux. (Zach. VII, 11.) Nous voyons même un roi faire des menaces à un prophète et lui enjoindre de ne plus l'importuner. (Amos, VII, 13.) «Je suis le Dieu, ton Dieu. » Ce n'est pas sans raison que le Prophète se sert deux fois de la même expression. Comme il s'adressait à des gens insensibles, endurcis et peu disposés à l'écouter, il se mit à parler de la souveraineté de Dieu, trouvant ainsi un exorde excellent pour l'explication qui allait suivre, et faisant comprendre à ses auditeurs qu'ils doivent à Dieu leur liberté, et qu'il serait juste qu'ils lui fussent attachés comme l'esclave à son maître, comme la créature au Créateur, eux qui ont reçu tant de bienfaits, qui ont reçu tant d'honneurs. « Je ne t'accuserai point sur tes sacrifices et sur tes holocaustes; ils sont toujours présents à mes yeux (8). »

C'est là le reproche que les autres prophètes adressent aux Juifs qui, négligeant ce qu'il y avait de plus important dans la vertu, mettaient leur espoir de salut dans ces holocaustes, et étaient toujours prêts à dire pour leur défense : nous offrons des sacrifices, nous offrons des holocaustes. Mais je ne suis pas venu pour vous juger là-dessus, répond le Seigneur, ni pour vous reprocher d'avoir négligé les sacrifices. Isaïe les atteint plus directement quand il dit : « Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes? J'en suis rassasié. Je ne veux plus de vos holocaustes, de la graisse de vos animaux, du sang de vos génisses, des agneaux et des boucs. Qui vous a demandé d'apporter ces offrandes? » (Isaïe, I, 11,12.) Certes Dieu leur avait parlé souvent de sacrifices, mais, s'il en était question dans la loi qu'il leur donnait, ce n'était pas qu'il y tînt essentiellement, c'était pour condescendre à leur faiblesse. Jérémie dit aussi : « Pourquoi « m'apportez-vous l'encens de Saba et les par« fums des terres les plus éloignées? (Jér. VI, 20.) Et tous les prophètes, pour ainsi dire, affirment que c'est là une chose de peu d'importance. Aussi le Seigneur commence-t-il en ces termes : « Je suis le Dieu , ton Dieu, » montrant par là que cette manière de l'adorer n'est pas digne de lui. Il faut adorer Dieu non en faisant fumer l'encens ou brûler la chair des victimes, mais par une vie vertueuse, par une vie tonte selon l'esprit et non selon le corps. Les démons qu'adorent les nations étrangères ne veulent pas de ce culte et préfèrent l'autre. Nous en trouvons le témoignage dans ces paroles d'un poète grec : To gar lakhomen geras emeis. Telle est la part que le destin nous a faite. (Iliade Alpha, v. 49, Oméga, v. 98.)

Il n'en est pas de même de notre Dieu. Les démons altérés du sang des hommes, et (89) voulant les amener peu à peu à souiller leurs mains par le carnage, exigeaient constamment d'eux ce genre de sacrifices. Dieu au contraire désirant leur faire perdre peu à peu l'habitude d'immoler les animaux a cru y arriver par cette condescendance, et il leur a permis les sacrifices pour les supprimer un jour. « Je n'accepterai point les veaux de la maison, ni les boucs de tes troupeaux (9). Car toutes les bêtes des forêts sont à moi, et celles de la montagne , et les boeufs ( 10). Je connais tous les oiseaux du ciel, et ce qui fait la beauté des champs m'appartient (11 ). »

Voyez-vous comme peu à peu il les écarte de ces préoccupations grossières, comme il entr'ouvre l'enveloppe durcie où leur esprit s'est enfermé, et comme il leur montre que s'il leur a enjoint de lui offrir des sacrifices, ce n'est pas qu'il en eût besoin, et que s'il ratifie cet usage dans la loi qu'il leur adonnée, ce n'est pas qu'il l'approuve. Si je tenais à être adoré, de la sorte, dit-il, moi qui possède tout ce qui est. sous le soleil, et qui suis le Créateur de toutes choses, je pourrais me procurer d'abondants sacrifices. Ensuite mêlant l’ironie au reproche afin de les frapper davantage , il ajoute : « Si j'avais faim je n'irais pas te le dire, car toute la  terre est à moi avec ce qu'elle renferme (12).» Comme il ne leur avait fait cette concession que pour les amener peu à peu à laisser tomber ces sacrifices en désuétude, et qu'ils ont persisté à suivre cette déplorable coutume sans tirer aucun profit de sa condescendance, il leur parle en termes plus vulgaires comme ferait un homme s'entretenant avec un autre homme: « Si j'avais faim, je n'irais pas te le dire, » c'est-à-dire, je n'ai pas faim ( car Dieu ne peut connaître ni la faim, ni aucun besoin physique), et si je voulais d'un culte semblable, je ne serais pas embarrassé en fait de sacrifices et d'holocaustes. J'ai tout à ma disposition, et je puis en user largement. Je suis le Seigneur et Maître de toutes choses, et cependant je veux bien recevoir de toi ce qui m'appartient, afin de t'amener par ce moyen à m'aimer et à renoncer à ces vaines habitudes.

5. Puis ramenant l'homme à des sentiments plus élevés il dit : « Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs (13)?» « Non-seulement, dit-il, je n'ai pas prescrit aux hommes une pareille coutume, mais même j'ai prononcé de très-forts châtiments contre ceux qui se nourrissent de sang. Comment donc aurais-je besoin du sang versé, moi qui détourne mes esclaves de cette nourriture ! — Après avoir rejeté tout cela, et montré que c'était indigne de lui, et mêlé beaucoup d'ironie à ses reproches, il ne s'en est point tenu là, il leur indique un autre genre de sacrifice. C'est là le fait d'un très-habile médecin, qui non content d'écarter les remèdes inutiles, applique sur la plaie ceux qui peuvent être efficaces. Après avoir réglé ce point-là, il dit : « Offre à Dieu un sacrifice (14). » Et quel sacrifice? dira-t-on. — Un sacrifice non sanglant : c'est le sacrifice qui convient le mieux à Dieu. Aussi, après ces. mots, « offre à Dieu un sacrifice, » ajoute-t-il « un sacrifice de louanges, » c'est-à-dire un sacrifice d'actions de grâces, d'hymnes sacrés, de glorifications par les actes. Son langage revient à ceci : Vis de manière à glorifier ton maître. C'est aussi ce que le Christ nous enseignait par ces paroles : « Que votre lumière luise devant les hommes , afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matth. V, 16.) Louer quelqu'un n'est pas autre chose que faire son éloge, le glorifier et le célébrer. Que votre vie soit donc telle que votre maître en soit glorifié, et vous aurez offert un sacrifice parfait. C'est aussi le sacrifice qu'exige saint Paul : « Offrez à Dieu vos corps, » dit-il, « comme une  hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. » (Rom. XII, 1.) Ailleurs le même Psalmiste s'exprime en ces termes : « Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai dans mes louanges : ce sacrifice sera plus agréable au Seigneur que l'immolation des jeunes taureaux dont la corne commence à paraître et dont le sabot s'élargit. » (Ps. LXVIII, 31, 32.)

Voilà le sacrifice offert par Job, quand après le coup terrible et extraordinaire qui l'avait frappé, il rendait des actions de grâces au Seigneur et prononçait ces paroles : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a retiré : comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles. « Et offre au très-Haut les prières que tu lui dois. » (Job, I, 21.) Il parle ici des supplications, et nous conseille de prier sans relâche, et de nous empresser de tenir nos engagements. Et il a eu raison de dire : « Offre ce que tu dois. » Car après avoir promis il ne (90) reste plus qu'à tenir. C'est ainsi qu'Anne livra son fils, considérant cela comme une dette essentielle. (I Rois, I, 28.) Vous aussi, si vous vous êtes engagé soit à faire l'aumône, soit à mener une vie chaste, soit à quelque autre chose de semblable, hâtez-vous de payer cette dette. Bien plus, à y regarder de près, on doit payer à Dieu la dette de la vertu, quand même on ne s'y serait pas engagé. C'est à quoi faisait allusion le Christ en disant, « ce que nous devions faire, nous l'avons fait. » (Luc, XVII, 10.) Puis il racontait la pan;1ole de l'esclave à qui on donnait l'ordre peu pénible d'aller faire son service avant de se mettre à table. Ailleurs nous lisons ces mots : « Ne tarde pas à payer la dette de ton voeu. » (Ecclésiaste, V, 3.) Tu as promis, paie, de peur que la mort ne survienne et ne t'arrête brusquement. En quoi cela me regarde-t-il ? dira quelqu'un : je ne suis pas le maître de mon existence. Raison de plus pour ne pas tarder, puisque tu reconnais que tu ignores le moment précis où tu partiras, puisque tu n'es pas maître de ton existence, et que l'heure de ton départ ne dépend pas de toi. Ainsi ce que tu prenais pour un argument en ta faveur se retourne contre toi, et si tu n'as pas payé, ce n'est pas la faute de la mort, mais la faute de ta lenteur et de tes hésitations. — « Et invoque-moi au jour de ton affliction, et je te délivrerai, et tu me glorifieras (15). »

Voyez-vous comme il récompense généreusement nos hommages? Où trouver rien qui égale une si grande bonté, car il ne se contente pas d'accorder des récompenses à notre vertu, récompenses bien au-dessus de nos travaux et qu'il nous donne au moment le plus opportun. — Mais pourquoi dit-il : « Invoque-moi ? » Pourquoi attend-il d'être invoqué par nous? — Il veut se rapprocher de nous plus intimement et rendre plus vive notre affection pour lui en nous comblant de ses présents, en recevant les nôtres, en se laissant invoquer. La vertu nous fait vivre dans l'intimité de Dieu; la fidélité à tenir nos engagements envers lui produit le même résultat, et la prière à son tour affermit cette intimité. Voilà pourquoi il dit: « Donne-moi et je te donnerai. » (Matth. XIX, 13.) Et en réalité tout en donnant c'est toi qui reçois, car lui-même n'a nullement besoin de ces choses-là. Sois doux, sois modeste et sois chaste, tu n'ajoutes rien à Dieu, mais tu t'honores toi-même et tu te rends meilleur. Et cependant c'est cela même qu'il récompense en toi avec tant de générosité, comme s'il t'en avait quelque obligation. Avant de recevoir cette récompense tu jouis d'un plaisir bien doux, tu as conscience; d'avoir bien fait, et tu as bon espoir pour l'avenir. Par ces mots « dans le jour de ton affliction » il ne veut parler ni du jour des malheurs, ni du jour des revers, il veut dire que si le péché vous fait la guerre, si le diable assiége votre âme en lui inspirant de mauvais désirs, vous trouverez en lui un allié puissant et dévoué. « Et je t'en tirerai, et tu me glorifieras. » Il nous montre encore une fois qu'il n'a pas besoin d'être glorifié par nous (et quel besoin en pourrait-il avoir étant le Dieu de gloire?) S'il y tient c'est pour que l'hymne d'actions de grâces nous soit une occasion de nous rappeler ses bienfaits et de nous attacher davantage à lui, et avant tout de rendre notre vie sainte et heureuse.

6. On ne s'écarterait pas d'une interprétation légitime en disant que par le jour de l'affliction le Prophète a eu aussi en vue la vie future, car ce jour-là commence l'ère de l'éternelle affliction. Ici-bas en effet la mort qui survient met fin à nos malheurs, les amis nous consolent, ainsi que l'idée que cela doit finir un jour; souvent on espère un revirement de fortune, souvent le temps adoucit nos souffrances, le temps, et la vue des malheurs d'autrui. Car bien des personnes se consolent presque de leurs malheurs en apprenant qu'elles ont des compagnons d'infortune, et en voyant beaucoup d'exemples de ce qui leur arrive. Là-bas rien de pareil: les coupables ne trouveront personne pour les consoler, et ils seront tous dépourvus d'amis. Le temps n'adoucira point leurs souffrances (comment cela se pourrait-il puisqu'ils seront consumés sans relâche par les flammes?) ils ne pourront espérer d'y échapper, car leur supplice durera autant que l'éternité ; ils ne pourront compter sur la mort, car leur châtiment sera immortel, et leur corps sera immortel aussi pour le subir toujours. Ils n'auront pas même , ce qui pour beaucoup est une consolation, la satisfaction de voir les autres châtiés comme eux. Et d'abord, ils ne pourront voir le supplice de leurs compagnons, au milieu des ténèbres qui arrêteront leurs regards, comme un rempart impénétrable, ensuite l'excès de leur souffrance ne leur permettrait pas de jouir de cette espèce de consolation. Le riche n'y pourra rien (91) trouver qui puisse le consoler, pas plus que ceux qui grincent des dents. — « Dieu a dit au pécheur : pourquoi te mêles-tu de publier mes décrets? »

Avez-vous remarqué la suite et l'accord des pensées ? Ne dirait-on pas une lyre , une cithare très-bien faite et qui habilement maniée produit différents sons qui forment un accord parfait? Cette pensée, on peut la retrouver chez les apôtres et chez les autres prophètes. C'est aussi ce que dit saint Paul quand il démontre qu'il ne sert de rien d'instruire les autres, quand on n'a pas commencé par s'instruire le premier. Comme les Juifs, outre qu'ils tiraient vanité de leurs sacrifices, étaient fiers de leur loi, et de leur titre d'instituteurs des nations, il leur prouvait qu'ils ne gagnaient pas grand chose à tout cela, puisqu'ils ne s'instruisaient pas eux-mêmes, et il les attaquait très-vivement en ces termes : « Et cependant vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Vous qui publiez qu'on ne doit point voler, vous volez. Vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges. Vous qui vous glorifiez dans la foi, vous déshonorez Dieu par le violement de la loi. » (Rom. II, 21-23.) Aussi dit-il ailleurs en parlant de lui-même : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même. » (I Cor. IX, 27.) Voilà comme il rabat l'orgueil de ceux qui sont fiers d'instruire les autres, et qui eux-mêmes ne pratiquent pas la vertu. C'est le même raisonnement, présenté sous une autre forme, qu'il emploie contre les Juifs quand il dit : « Lors donc que les Gentils qui n'ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande; n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi. » (Rom. II, 14.) Et, plus haut . « Car ce ne sont point ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu; mais ce sont ceux qui gardent la loi qui seront justifiés. » (Ibid. V, 43.) Le Prophète dit aussi : « Ceux qui tenaient la loi dans leurs mains ne m'ont pas connu. » (Jérém. II, 8.) Et ailleurs . « La main menteuse des scribes a gravé le mensonge. » (Ibid. VII, 8.) Et pourquoi? — « Parce que la  tourterelle et l'hirondelle et le moineau des champs ont connu le temps de leur passage,  et que mon peuple n'a point connu mes jugements. » (Ibid. 7.) Or celui qui parle ainsi déclare que, non-seulement celui qui ne  recherche pas la vertu, ne gagne rien à enseigner les autres, mais qu'il se rend par cela même indigne de ces nobles fonctions. Si dans les tribunaux du monde on punit et on flétrit celui qui a mal agi en le privant de la parole, comment permettre à celui qui aura à rendre compte de ses péchés de prendre la parole dans l'enceinte où l'on instruit le peuple, dans celle enceinte encore plus respectable que les tribunaux profanes? Là les coupables subissent les châtiments qu'on leur a infligés; ici tout est disposé en vue non de punir les coupables, mais d'effacer leurs fautes par le repentir. Dans la cour des rois on ne saurait être admis à l'honneur d'interpréter la parole royale si l'on était convaincu d'avoir une mauvaise vie. Pourquoi publies-tu mes décrets et les enseignes-tu aux autres, tandis que tu fais le contraire de ce qu'ils commandent, que ta vie n'est pas d'accord avec tes paroles, et que tu détournes de toi ceux qui étaient disposés à te prêter leur attention? Tes paroles ne les instruisent pas autant que tes actions les détournent. Aussi le Christ nous vante-t-il le maître dont l'enseignement est parfait, parce qu'il s'appuie sur les paroles et sur les actes. « Celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. » (Matth. V, 19.)

Que la vie ait donc une voix retentissante qui enseigne les mêmes choses que ta bouche, et quand même tu la tiendrais fermée , tu surpasseras les sons éclatants de la trompette, tu seras entendu et de ceux qui sont près do toi, et de ceux qui sont au loin. C'est ainsi que les cieux racontent, la gloire de Dieu. Ils n'ont ni bouche ni langue pour parler, ni poitrine pour respirer, mais ils sont beaux et en les voyant l'homme s'émerveille et songe à la puissance du Créateur. Que la vertu soit pour ton âme, ce qu'est là-haut pour le ciel le beau spectacle qu'il nous offre. Mais si tout souillé de crimes, en butte à mille accusations et surtout aux accusations de ta propre conscience, tu t'efforces de prendre possession de la chaire du Maître, en faisant le procès aux vices, c'est toi-même que fui accuses tout autant que les autres hommes. « Et pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance? » C'est avec raison que le Prophète a dit « ta bouche, » car le coeur de l'impie n'a point goûté le fruit de la, parole de Dieu, et ses lèvres s'agitent en vain, et seulement pour l'accuser pendant,qu'il parle. Et à bien examiner cette pensée, on verrait crue Dieu (92) traite comme un ennemi celui qui ne met pas les actes d'accord avec ses paroles. — « Tu hais l'ordre et tu as rejeté ma parole derrière toi (17). » Par l'ordre, il veut ici parler de la discipline établie par la loi qui met l'âme dans un juste équilibre, qui chasse le vice, qui fait mûrir les germes de vertu. Comment donc se fait-il que tu la manies, cette discipline, que tu la distribues aux autres, sans en rien garder pour ta conduite ? « C'est que tu as rejeté, » dit-il, « ma parole derrière toi. »

7. Non-seulement tu n'as rien pris pour toi de la discipline de la loi, mais encore tu as mutilé ce que la nature t'en avait donné. Car nous faisons naturellement la distinction de ce qu'il faut et de ce qu'il ne faut pas faire. Mais toi tu as rejeté ces préceptes de la nature, et tu n'en as plus gardé le souvenir. — « Quand tu voyais un voleur tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l'adultère avec le séducteur (18). » Il n'est pas possible de trouver un homme pur de tout péché, ce qui a fait dire à quelqu'un : « Qui se vantera d'avoir le coeur pur, ou quel homme osera affirmer qu'il est exempt de tout péché? » (Prov. XX, 9.) Et à saint Paul : « Ma conscience ne me reproche rien, mais, » ajoute-t-il, « je n'en suis pas plus justifié par cela. » (I Cor. IV, 4.) « Le juste, dès qu'il parle, commence par s'accuser lui- même (Prov. XVIII, 17) , » c'est-à-dire par accuser ses propres péchés; or, afin qu'on ne puisse dire : si tous sont en état de péché et que Dieu défende au pécheur de publier ses décrets, qui les publiera? Pour prévenir cette objection, le Prophète énumère les différentes sortes de péchés. « Il y a le péché « mortel (Jean, v, 16), » comme celui que signale Héli : « Lorsqu'un homme offensera un homme, le prêtre priera pour lui; mais s'il offense Dieu, qui priera pour lui ? » (I Rois, II, 25.) Aux yeux de la loi, certains péchés étaient irrémissibles et entraînaient la mort, d'autres étaient faciles à réparer. Par exemple, le Christ dit, dans le Nouveau Testament: « Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute en particulier entre vous et lui. S'il ne vous écoute point, prenez encore avec vous deux personnes. S'il ne les écoute pas plus que vous, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain. » (Matth. XVIII,15.) Cependant Pierre a dit ailleurs: «Combien de fois, si mon frère pèche envers moi, lui remettrai-je son péché? » Et il lui est répondu : « Jusqu'à soixante-dix fois sept fois (Ibid. XXI), » tandis que dans le passage précédent on dit de s'arrêter après deux tentatives de réconciliation, parce que le péché, passé ce délai, est grave, et qu'on n'est plus obligé de persister dans les avances qu'on a faites. Quoi! il y a donc contradiction? Non, non; mais il a été dit: «Jusqu'à soixante-dix fois sept fois,» c'est avec cette restriction, pourvu qu'il se repente. Comment remettre un péché à celui qui ne veut ni le confesser, ni s'en repentir? Au moins, quand nous demandons des remèdes au médecin, nous lui montrons nos plaies. Quel est donc le pécheur dont il est question dans ce passage de l'Ecriture? Ecoutons scrupuleusement, car elle nous le dépeint par ce qui suit : « Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l'adultère avec le séducteur. Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies (19). Tranquillement a assis tu parlais contre ton frère: tu couvrais d'opprobre le fils de ta mère (20). » Voyez-vous, comme dans un tableau, la peinture du vice, et comme le vice a fait du méchant une brute, et comme il lui a fait perdre les nobles sentiments qu'il tenait de la nature? Mais ne tiens contentons pas de passer devant ce tableau, examinons-le au contraire avec soin et dans tous ses détails. « Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui. »

Voilà la cause de tous nos maux : voici surtout ce qui nous éloigne de la vertu, ce qui chez le plus grand nombre détruit l'amour du bien, lorsque, loin de blâmer ceux qui font mal, on se réjouit avec eux. Et cette complaisance est aussi coupable que le péché lui-même. Ecoutez ce que dit saint Paul : « Non-seulement ils font ces choses, mais encore ils approuvent ceux qui les font. » (Rom. I, 32.) Ce n'est pas un péché sans grièveté que de se réjouir avec ceux qui font le mal, quand même on ne le ferait pas soi-même. Celui qui a péché peut prétexter la nécessité, rejeter ses torts sur sa pauvreté, excuses mal fondées du reste; mais toi, d'où vient que tu approuves son action, toi qui n'en retires ni plaisir, ni profit? Lui se repentira peut-être : mais toi, tu te fermes cette porte, tu te prives de ce remède, tu obstrues de tes propres mains la voie qui pourrait te conduire au port du repentir. Quand il te verra, toi qui ne pèches pas et qui devais lui faire des reproches, non-seulement (93) ne pas lui en faire, mais encore le protéger de ton silence, et non-seulement le protéger de ton silence, mais encore te faire son complice, que pensera-t-il de lui-même? de son péché? La plupart du temps, la plupart des hommes ne s'inspirent pas seulement de leur propre pensée pour décider ce qu'ils doivent faire, mais ils se laissent corrompre par les préférences des autres hommes. Si le pécheur voit tous les hommes se détourner de lui, il pensera qu'il a commis une très-mauvaise action. Niais s'il voit que loin de nous indigner et de lui témoigner notre mécontentement, nous nous montrons doux et bien disposés pour lui, le tribunal de sa conscience achèvera de le corrompre, puisque sa propre corruption trouvera un stimulant de plus dans l'approbation du plus grand nombre, et alors que n'osera-t-il pas? Quand se condamnera-t-il lui-même et cessera-t-il de pécher sans scrupule? Aussi ou doit quand on fait mal se condamner soi-même, car c'est le moyen de rompre avec le mal, et, quand on ne fait pas ce qui est bien, on doit louer ce qui est bien, car le zèle est un acheminement à l'action. Dans le cas présent, comme celui dont nous parlons approuve ce qui se fait, il est naturel que le Prophète le flétrisse de toutes ses forces. Car si le vice, tout omis qu'il est, est si puissant, et si la vertu, malgré les éloges dont on l’honore, décide si peu de personnes à endurer les fatigues qu'elle leur offre, qu'arrivera-t-il si cet état de choses vient à changer? Et cependant voilà ce qu'on peut voir souvent dans le corps des prêtres. Or si cela est mal chez le disciple, combien plus chez le maître !

8. O homme, que fais-tu? La loi a été violée, la chasteté méprisée, et tous ces crimes sont le fait de quelqu'un de ceux qui occupent les fonctions sacerdotales, en un mot c'est un véritable chaos, et tu ne frémis pas? Le Prophète s'adresse même aux éléments insensibles pour qu'ils déplorent avec lui la corruption générale: « Le Ciel a été dans la stupeur, » dit-il, « et la terre a frissonné d'horreur. » (Jér. II, 12.) Et ailleurs il est dit: « On verra le Carmel s'attrister, le vin s'attrister, et s'attrister la vigne. » (Isaïe, XXIV, 7.) Ce qui est sans vie s'afflige, gémit et, s'indigne avec le souverain Maître, et toi, l'être doué de raison, tu n'éprouves aucune douleur? Bien loin d'éclater eu reproches, de te constituer le vengeur terrible des lois de Dieu, tu partages le crime ! Et quel espoir de pardon peux-tu avoir? — Dieu a-t-il donc besoin qu'on lui prête main-forte? Lui faut-il des aides? — Non, mais il veut. taire de toi !'exécuteur de sa justice, afin que tu ne tombes point dans la même faute, que tu deviennes meilleur en t'indignant contre les vices d'autrui, et que ce soit pour toi une occasion de lui témoigner ton amour. Quand tu passes à côté de celui qui fait mal sans le blâmer, sans montrer ton chagrin, tu diminues la vigueur de ton âme, tu l'exposes à tomber, et spécialement à tomber dans les mêmes fautes que tu ne songes pas à reprendre. Et par ton indulgence déplacée, tu ne nuis pas peu à cet homme en chargeant le compte qu'il aura à rendre un jour, et en l'affaiblissant pour les luttes de cette vie. Ces paroles n'ont pas trait seulement au vol, mais encore à toute sorte de péchés : le Prophète a cité d'abord ce péché le moindre de tous, pour que vous sachiez que si celui qui le commet n'obtient pas son pardon, il sera bien plus difficile de l'obtenir pour tout autre péché. Ecoutez donc ce qu'il dit aussitôt après : « Et tu partageais l'adultère avec le séducteur, » passant à un péché plus grand encore, car le vol est de beaucoup moins grave que l'adultère. L'examen et la comparaison de ces péchés a suggéré la réflexion suivante : « Il n'est pas  étonnant qu'un homme ait été pris à voler, car il vole pour rassasier son âme qui a faim. » (Prov. VI, 20.) Si donc ce péché est indigne de pardon, l'adultère le sera bien plus encore. Ici le Prophète, par l'adultère, entend la fornication. Si donc vous voyez l'un de ceux qui sont réunis avec vous se livrer à la fornication, et s'approcher des sacrements, dites à celui qui les administre : Un tel est indigne des sacrements, arrête ses mains profanes. Car s'il n'est pas même digne de publier les décrets de Dieu, songe jusqu'où ira la vengeance de Dieu sur lui; lorsqu'il aura touché la sainte table, et non-seulement sur lui, mais encore sur celui qui l'a protégé de son silence. Car le Prophète n'a pas dit : Et tu commettais l'adultère, mais, « tu partageais l'adultère avec le séducteur. » Hélas ! quel péché c'est donc que de cacher la pourriture des autres, puisqu'on nous dit qu'en agissant ainsi nous mériterons de partager la veine réservée au péché lui-même et cela tout autant que celui qui l'a commis. Lui peut du moins alléguer l'emportement de la passion, quoique ce soit une (94) excuse sans valeur, comme le voleur peut alléguer la faim; mais toi tu n'as pas même cette ressource. Pourquoi donc, si tu ne retires du péché aucun avantage, prendre la part du châtiment? C'est ainsi que les juges punissent non-seulement ceux qui ont osé commettre l'adultère, mais aussi les serviteurs qu'ils savent avoir eu connaissance du fait, et volontiers leurs maîtres, en les livrant à la justice, boiraient leur sang et mangeraient de leur chair, car ils les rendent responsables de l'accomplissement de l'adultère, tout autant que la femme infidèle. En n'écartant pas les voiles qui cachaient le couple adultère, ils lui ont rendu le crime plus facile : ils se sont mal conduits à l'égard de la femme coupable et du mari déshonoré, à l'égard du séducteur lui-même. S'ils avaient dénoncé, dévoilé ce qui se passait, ils auraient prévenu toute tentative de ce genre. De même que celui-là surtout attire le gibier dans les filets qui, tranquillement assis à côté, les cache à ceux qui vont s'y faire prendre, emploie tous les moyens pour qu'ils ne s'aperçoivent pas de la ruse, et ne fait aucun bruit ni rien qui puisse faire fuir sa proie: de même, si vous restez tranquillement assis à côté des filets tendus par le diable, et que, sachant que l'adultère va tomber, vous ne cherchiez pas à lui faire peur par vos cris, c'est vous surtout qui serez l'auteur de sa perte.

Ne me répondez point par ces paroles qui ne respirent que l'égoïsme et l'apathie : qu'est-ce que cela me fait? Je ne me soucie que de ce qui me regarde. Mais c'est précisément vous occuper de vos intérêts que de vous occuper de ceux de votre prochain. Ce qui faisait dire à saint Paul : « Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres. » (I Cor. X, 21.) Si tu veux trouver ton propre bien, dit-il, cherche celui des autres. « Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies. Tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d'opprobre le fils de la mère.» N'allez pas dire : ce que j'en fais, c'est par pure affection. Par pure affection, quand vous ne voulez ni arrêter, ni retenir celui qui va tomber dans l'abîme? quand vous vous montrez indulgent pour des plaisirs défendus? quand vous voyez d'un oeil indifférent le malheureux qui boit le poison? Non, non, vous ne sauriez dire cela . Car ce qui proue que ce n'est pas là de l'affection, mais de l'apathie, de la négligence et du manque de coeur..... comment se fait-il que, laissant là celui qui vous a fait du tort, vous médisiez de votre frère qui ne vous en a fiait aucun? Comment se tait-il que vous ayez de mauvais desseins contre celui qui ne vous a fait aucun tort et qui ne vous a manqué en rien? Voyez jusqu'où, de chaque côté, peut aller le vice celui qu'enivre la passion, vous ne cherchez pas à le réveiller de son ivresse pour lui rendre son bon sens, et celui qui ne vous a fait aucun tort, vous le frappez. « Car, tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d'opprobre le fils de ta mère. »

9. Voyez comme ce reproche devient plus accablant à mesure qu'on l'examine. Celui qui a causé les mêmes douleurs à la mère qui vous a enfanté, dit le Prophète, celui qui a été porté dans le même sein que vous, celui qui s'est assis à la même table et qui a vécu dans la même maison, celui qui est une des tiges du même tronc qui vous a porté, celui qui a grandi avec vous, vous en faites l'objet de vos médisances. Puis, non-content de cela, vous formez de mauvais desseins et vous les exécutez, car tel est le sens de ces paroles « tu le couvrais d'opprobre. » Si vous ne devez pas médire de celui qui est votre frère selon la nature, combien plus ne devez-vous pas médire de votre frère en Jésus-Christ? Ne laissez donc p;as tomber dans le péché celui qui va le commettre, et ne calomniez ni n'injuriez celui qui ne vous a fait aucun tort : d'un côté, ce serait pécher par envie, de l'autre, par apathie : oui, c'est de l'apathie que de ne pas retenir celui qui va tomber, c'est de l'envie que de chercher à faire tomber celui qui se tient droit. Et voyez comme le Prophète ne se contente pas de faire simplement allusion à celui qui dit du mal des autres, mais bien à celui qui n'agit ainsi que par ruse et par animosité « Tranquillement assis, dit-il, tu parlais contre a ton frère. » Caïn du moins, quand il tua son fière, ne priva qu'un seul homme de la vie d'ici-bas, mais ceux-là, avec leurs médisances, en perdent des milliers, et eux-mêmes tout d'abord. Car ils ne nuisent pas seulement à celui dont ils médisent, mais à d'autres encore, ou plutôt ils ne nuisent qu'à ceux qui les écoutent. En effet, celui qui est l'objet de médisances quai ne reposent que sur le mensonge, non-seulement n'éprouve aucun tort, mais encore a droit aux plus grandes (95) récompenses. Ce n'est pas celui qui supporte, mais c'est celui qui tait le mal, c'est celui-là qui mérite d'être puni; il en est de même de celui qui inédit et de celui de qui on médit, pourvu que ce dernier n'ait pas donné sérieusement prise à la médisance. Ne nous préoccupons donc pas d'éviter la médisance, c'est impossible, et c'était ce que pensait le Christ, lorsqu'il disait : « Malheur à vous, lorsque les hommes diront du bien de vous! » (Luc, VI, 26), mais préoccupons-nous de ne pas lui donner prise. Celui qui veut que tout le monde dise du bien de lui s'expose à perdre souvent son âme parce qu'il aime la gloire humaine, qu'il s'entremêle de choses qu'il devrait laisser de côté, qu'il cherche à plaire là où il ne le faut pas, afin de s'attirer la bienveillance de l'un et de l'antre. Celui qui prend le contre-pied et dédaigne de s'acquérir une bonne réputation, se perd lui aussi. De même qu'il est impossible que l'homme vertueux jouisse de l'approbation universelle, de même il est impossible que l'on ne finisse point par être l'objet de la médisance universelle à force de lui prêter le flanc. Si tout en vivant de manière à n'offenser personne, vous vous trouvez en butte aux attaques des médisants, la récompense qui vous est destinée n'en sera que plus belle.

C'est ce qui arriva du temps des apôtres et du temps de ces généreux martyrs. Il faut bien que nous sachions que, si l'on nous critique pour une action que notre conscience ne nous reproche pas, nous ne devons pas pour cela faire fi du médisant, à cause du mal qu'il fait, mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, sans toutefois compromettre notre salut, pour lui ôter tout prétexte même mal fondé. C'est pour cela que saint Paul faisait distribuer l'argent des aumônes aux pauvres par beaucoup de personnes, il donne la raison de sa conduite en ces termes : « Et notre dessein en cela a été d'éviter que personne ne nous puisse rien reprocher sur le sujet de cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. » (II Cor. VIII, 20.) Il vit qu'on allait peut-être se scandaliser, et, quoique ce fût à tort, il ne négligea ni ne méprisa ces symptômes, mais comme il ne tenait qu'à lui d'arrêter le scandale, il se préoccupa de ceux-là même, de ceux qui se scandalisaient. Ailleurs il dit : « Si donc ce que je mange scandalise mon frère , je ne mangerai plutôt jamais de chair de toute ma vie, pour ne pas scandaliser mon frère. » (I Cor. VIII, 13.) Ces choses n'ont aucune importance, mais du moment qu'elles occasionnent du scandale, dit il, quand bien même il n'en résulterait pour moi aucun dommage, je ne fais pas fi du salut de ceux qui se scandalisent. Mais si le dommage qu'il te cause avait plus d'importance que son salut, fais fi de celui qui se scandalise ; dans le cas contraire, n'en fais pas fi. Telle devait être notre règle générale de conduite, savoir quand il faut mépriser ceux qui se scandalisent et quand il ne faut pas les mépriser. Par exemple, les Juifs se scandalisaient de ce que saint Paul n'observait pas leur loi, il en résultait que des milliers de personnes abandonnaient la loi de Dieu et n'avaient plus qu'une foi douteuse. Que fait-il donc? Voulant remédier au scandale (car le salut de tant de personnes l'emportait sur toute autre considération), voulant aussi rétablir la foi ébranlée et chancelante, il ne se pressa point de faire savoir qu'il n'observait pas la loi, et il réussit, ce qui était le point le plus important. Ils se scandalisaient encore de ce qu'il prêchait au nom du Crucifié, mais dans cette circonstance, il ne tint aucun compte de ceux qui se scandalisaient, car les avantages qu'il retirait de cette prédication étaient plus importants que tout le reste. (I Cor. I, 23.) C'est ainsi qu'agit le Christ. Comme il s'entretenait avec les mêmes Juifs de leur genre de nourriture et qu'ils se scandalisaient de ce qu'il avait dit : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais c'est ce qui sort de la bouche de l'homme qui le souille (Matth. XV, 11), » il répondit : « Laissez-les, toute plante que mon Père céleste n'a point plantée sera arrachée. » (Ibid. 13.) Une autre fois comme ils lui demandaient de payer le tribut , quoiqu'il sût qu'il ne devait pas le payer, il pensa que la circonstance n'exigeait pas qu'il révélât sa majesté et dit : « Afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetez votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l'eau, prenez-le et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez une pièce d'argent de quatre drachmes que vous prendrez et que vous leur donnerez pour moi et pour vous. » (Matth. XVII, 26.) Comme il apportait aux Juifs sa loi si pleine de sagesse et qu'il les voyait livrés à un aveuglement incurable, il cessa naturellement de se préoccuper d'eux, et viola leur loi pour y substituer la sienne. D'un autre côté comme ils n'étaient pas encore en état de comprendre la grandeur de sa mission, il était naturel qu'il se mît à leur niveau et qu'il dissimulât sa divinité en consentant à payer le tribut. «Tranquillement assis tu parlais contre ton frère. » Mais c'était pour le corriger, diras-tu.

10. Il ne fallait pas le critiquer en te cachant de lui, mais, comme le voulait le Christ, le prendre en particulier et le corriger. Les reproches publics ne font souvent que rendre les coupables plus éhontés, souvent les pécheurs, quand ils voient qu'ils peuvent le faire sans attirer l'attention , se décident facilement à rentrer dans la bonne voie, mais quelquefois aussi, quand ils savent qu'ils ont perdu l'estime générale, ils tombent dans le désespoir et se laissent aller à l'effronterie. Sans doute il t'avait fait quelque tort. Et pourquoi donc t'en faire à toi-même? Car celui qui se venge se frappe de la même épée que sa victime. Si tu veux te rendre service à toi-même et te venger en même temps de celui qui t'a fait quelque tort, dis du bien de lui. En agissant ainsi tu lui créeras une foule d'accusateurs qui sauront bien remplir ta place, et tu recevras plus tard une belle récompense, tandis que si tu médis de lui, on ne te croira pas, on te soupçonnera d'y mettre de l'animosité , et de cette manière ton désir de vengeance se retournera contre toi. En voulant détruire sa réputation tu provoques précisément un résultat contraire, car on atteint le but que tu poursuis par la modération dans les paroles et non par la médisance. Je te le répète, faire autrement c'est arriver à un résultat tout à fait contraire : tu te couvres encore plus de honte, sans pouvoir atteindre ton rival des traits que tu lui décoches. Quand ceux qui nous entendent comprennent que c'est la haine qui nous fait parler, ils cessent d'être attentifs à ce que nous leur disons, et il se passe alors la même chose que dans les tribunaux quand se présente ce que les légistes appellent le cas d'exception : alors toute l'affaire reste suspendue. Il en est de même dans la circonstance présente, on te soupçonne de vouloir satisfaire une rancune personnelle, et ce soupçon empêche la justice de suivre son cours. Ne va donc pas dire du mal d'autrui, pour ne pas te souiller toi-même, ne salis pas tes mains à manier la boue, l'argile et la brique; tresse plutôt des couronnes avec la rose, la violette et d'autres fleurs ; ne porte pas l'ordure dans ta bouche, comme fait l'escarbot (c'est aussi ce que font les médisants qui sont les premiers victimes de leur propre infection) , portes-y plutôt des fleurs, comme l'abeille, et tires-en du miel, et sois doux et affable pour tout 1e monde. Tous se détournent du médisant comme d'une bête immonde et infecte, et parce qu'à l'exemple de la sangsue qui se gorge de sang, et de l'escarbot (1) qui se repaît d'ordure, il se nourrit des maux d'autrui, tandis que celui dont la bouche ne prononce que de bonnes paroles se voit accueilli de tous comme un membre de la famille commune, comme un véritable frère, comme un fils, comme un père. Et pourquoi parler des choses présentes et des opinions des hommes? Songe au jour redoutable, au tribunal incorruptible, songe que si tu mens tu combleras la mesure de tes péchés. « Je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu'ils auront dite. » (Matth. XII, 36.) Et quand même ces paroles inutiles ne seraient pas mensongères, dit. le Sauveur, même dans ce cas, vous n'échapperiez pas à la condamnation , pour avoir publié les misères de votre prochain et l'avoir couvert d'opprobre. Pensez au pharisien. Il n'était pas publicain, et cependant il devint plus coupable plue le publicain, pour avoir médit du publicain. Le publicain n'était pas pharisien , et cependant il devint plus vertueux que le pharisien , parce qu'il avait reconnu ses péchés. — « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ! ton iniquité « m'a jugé semblable à toi: je t'accuserai, je te mettrai face à face avec tes péchés (21). »

41. Voyez-vous l'ineffable bienveillance du Seigneur? voyez-vous son infinie bonté? Voyez-vous quel inépuisable trésor de patience? Car silence est ici synonyme de patience. Après tous les crimes que tu as osé commettre, dit-il, je ne t'ai point puni , j'ai tout supporté , tout enduré et je t'ai donné le temps de revenir à résipiscence. Et toi , loin de profiter du répit que je t'accordais, tu es devenu encore plus pervers. Non-seulement tu n'as pas changé, non-seulement tu n'as pas rougi, non-seulement tu ne t'es pas condamné toi-même pour les péchés que tu avais commis, mais encore tu as cru que moi qui ai montré tant de longanimité , tarit de patience , moi qui me suis tu , qui ai supporté tous tes méfaits, tu as cru que j'en agissais ainsi avec toi non par patience

 

 1 escarbot : Nom donné à divers coléoptères, tels que bousier, cétoine, hanneton, ténébrion.

 

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et dans un esprit de douceur, ruais parce que je ne voulais pas te reprendre et que je ne trouvais rien à redire à tes actions. — « Comprenez maintenant, vous qui oubliez le Seigneur (22). »

Que devons-nous comprendre? — Ce que je viens de dire, répond le Prophète. Que signifie ce mot: « comprenez? » — C'est comme s'il y avait « méditez. » Mais qu'y a-t-il d'obscur dans ces paroles? Est-il besoin de les creuser longtemps? Ce qu'il y a de plus saillant, c'est que la manière même de son enseignement nous prépare à un changement qui doit s'opérer dans la religion. Parle peu de cas qu'il fait des sacrifices il se fait l'introducteur de la loi évangélique. D'ailleurs voyant les hommes engloutis par l'impur amas de leurs péchés, et voulant, pour ainsi dire, les retirer des fanges du vice, et écarter d'eux l'habitude de suivre cette route qui les conduisait au mal, comme on écarte la chassie des yeux malades , il cherche à réveiller chez eux la mémoire de leurs méfaits, afin qu'ils n'aillent pas les laisser tomber dans l'oubli et perdre ainsi le fruit de l'expérience. C'est que l'habitude du péché rend notre âme aveugle, fait de nous des insensés, et obscurcit le regard pénétrant de notre intelligence. « De peur qu'il ne vous saisisse, et qu'il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses étreintes (22). » O bienveillance ineffable ! C'est là le langage d'une mère affectueuse ou plutôt c'est le langage d'une bonté infiniment supérieure à l'affection maternelle. Celui qui a dressé la liste si longue de nos péchés, celui qui a montré tant de courroux cherche à nous en préserver. Celui qui a dit : « Je t'accuserai, et je te mettrai face à face avec tes péchés, » et qui a prononcé notre condamnation, le voilà qui, revenant sur sa décision, ne veut plus nous livrer aux vengeances de sa justice, et qui nous traite comme s'il devait nous ramener au bien à force de conseils et d'exhortations , en nous rendant sages par la peur du châtiment, et en disant « de peur qu'il rie vous saisi se comme un lion dévorant, et qu'il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses  étreintes. — Le sacrifice de louange et le culte qui m'honore , c'est la voie que j'indiquerai à l'homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu (23). »

Après nous avoir témoigné sa bienveillance, après avoir eu recours aux exhortations, aux conseils , aux menaces, après avoir employé la crainte, suspendu sur nos têtes les supplices dans toute leur horreur , après s'être encore remis à nous donner des conseils, il nous indique aussi de quelle manière nous pouvons effacer nos fautes, en disant: « Le sacrifice de louange est le culte qui m'honore, » c'est-à-dire , non-seulement le sacrifice de louange dissipera ma colère et effacera votre condamnation, mais encore je le considérerai comme un culte qui m'honore. Voyez quelle grande chose c'est que de revenir au bien, puisque Dieu lui-même s'en tient pour honoré. « C'est la voie que j'indiquerai à l'homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu.» O récompense ineffable ! O bienveillance infinie ! Il promet de montrer à ceux qui font le bien la voie qui mène à Dieu, la voie qu'il faut suivre pour être réellement sauvés en Dieu ! Croyons donc en ses promesses, et glorifions le Seigneur par la pureté de notre vie, et par le sacrifice de louanges, puisque ce genre de sacrifice est la voie qui nous conduit au salut. Et puissions-nous tous y arriver , par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, car c'est à lui qu'appartient la gloire et la puissance , et maintenant , et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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