PSAUME CVIII

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EXPLICATION DU PSAUME CVIII. « 2. O DIEU, NE TAISEZ PAS MA LOUANGE, PARCE QUE LA BOUCHE DU PÉCHEUR, LA BOUCHE DU FOURBE S'EST OUVERTE CONTRE MOI. 3. ILS ONT PARLÉ CONTRE MOI AVEC UNE LANGUE PERFIDE, ILS M'ONT INVESTI DE PAROLES DE HAINE, ILS M'ONT COMBATTU SANS MOTIF. 4. AU LIEU DE M'AIMER, ILS SE SONT. FAITS MES DÉTRACTEURS ET MOI JE VOUS INVOQUAIS. 5. ILS M'ONT RENDU LE MAL POUR LE BIEN ET LA HAINE POUR L'AMOUR, 6. ÉTABLISSEZ L'IMPIE SUR MON ENNEMI ET QUE LE DIABLE SE TIENNE A SA DROITE. 7. LORSQU'ON LE JUGERA, QU'IL SORTE CONDAMNÉ ET QUE SA PRIÈRE MÊME DEVIENNE UN CRIME. 8. QUE SES JOURS SOIENT ABRÉGÉS ET QU'UN AUTRE REÇOIVE SA MISSION. 9. QUE SES ENFANTS DEVIENNENT ORPHELINS, QUE SA FEMME DEVIENNE VEUVE. 10. QUE SES ENFANTS NE CONNAISSENT PLUS LE REPOS, QU'ILS SOIENT VAGABONDS, MENDIANT LEUR PAIN, QU'ILS SOIENT CHASSÉS DE LA DEMEURE QUI LEUR APPARTIENT. 11. QUE « L'USURIER DÉVORE TOUTE SA FORTUNE ET QUE DES ÉTRANGERS S'EMPARENT DU FRUIT DE SES TRAVAUX. »

 

ANALYSE.

 

1. et 2. Le psaume CVIII est une prophétie sous forme d'imprécation, à la persécution que les Juifs devaient faire souffrir à Jésus-Christ et de la punition terrible du peuple déicide. — Le Prophète y prédit aussi la trahison de Judas. — Ces prophéties, sous forme d'imprécation, ne sont pas rares dans l'Écriture. — Il ne faut pas s'insurger contre ces prêtres de Dieu. — Le nom de Fils est souvent employé dans l'Écriture pour exprimer une parenté morale.

3. Les péchés de malice et de propos délibéré offensent beaucoup plus Dieu que ne le font les péchés de faiblesse.

4. Les méchants qui persécutent les justes non-seulement ne se rendent pas lorsqu'ils voient ces justes ne leur opposer que la piété, mais même ils se moquent d'eux en les insultant avec outrage.

 

1. Pour bien comprendre ce psaume, il nous faut faire appel à toute notre sagacité. Car ces paroles, à ne les considérer que comme on les entend prononcer tout d'abord, jettent le trouble dans l'âme de ceux qui écoutent et ne réfléchissent pas. Ce psaume n'est rempli que d'imprécations, et d'un bout à l'autre c'est le même style: on y sent bouillonner, brûler la colère, et celui qui parle nt s'arrête pas à la personne de l'ennemi dont il a à se plaindre , mais il poursuit de sa vengeance et ses enfants, et son père et sa mère : il ne se contente pas d'une seule victime, il les entasse les unes sur les autres. Voyez que de souhaits de vengeance : « Etablissez l'impie sur mon ennemi, et que le diable se tienne à sa droite. » C'est-à-dire, qu'il soit accusé, accablé par des hommes pervers et acharnés à sa perte, et qu'il ne puisse triompher d'eux, souhait qui se retrouve dans ces paroles : « Lorsqu'on le jurera qu'il sorte condamné.» Cette vengeance ne lui suffit pas; après qu'on l'aura condamné, il désire qu'un autre lui succède dans sa charge et dans ses honneurs: « Qu'un autre, » dit-il, « reçoive sa mission. » Il ne s'en tient même pas là, mais pour lui fumier le seul port qui lui restât, il demande qu'il ne puisse obtenir la bienveillance de Dieu, et il dit: « Et que sa (99) prière même devienne un crime. » Et cependant il demande aussi qu'il meure avant l'âge: « Que ses jours soient abrégés.» Il ne s'en tient même pas là, et cependant rien que ces malédictions auraient dû lui suffire. Il y ajouts encore, ce qui est la marque d'une âme profondément irritée. Un ou deux châtiments , ce  n'est pas assez pour lui, voilà pourquoi il en demande un si grand nombre. Ce qui suit est encore pire, car il souhaite aux enfants d'être orphelins, à la mère d'être veuve. Et pourtant il est nécessaire que tout cela leur arrive du moment que le chef de la famille s'éloigne pour toujours. Néanmoins , dans le feu de sa colère, il formule une imprécation pour chacune de ces conséquences inévitables. Ce n'est iras assez pour lui que les enfants de son ennemi deviennent orphelins; même après avoir accumulé sur eux tant de malheurs il va plus loin, et rend leur infortune plus terrible, en souhaitant qu'ils soient réduits à errer et à faire le métier de vagabonds. « Que ses enfants ne connaissent plus le repos, » dit-il, « qu'ils soient vagabonds, qu'ils demandent l'aumône. » C'est-à-dire qu'ils errent sans jamais s'arrêter, qu'ils ne puissent se procurer le nécessaire, qu'ils ne cessent de changer de lieu, chassés, poursuivis sur toute la terre, et sans trouver nulle part une place où s'arrêter. Avec cela il souhaite qu'ils soient dans la pauvreté, dans une pauvreté extrême et intolérable, au l'oint de ne pas obtenir l'aide de leurs parents, qu'ils aillent çà et là quêtant l'assistance des étrangers et des inconnus. Écoutez en quels ternies il fait connaître sa pensée; après avoir dit: « Que ses fils soient vagabonds et qu'ils mendient, » il ajoute : « Qu'ils soient chassés de la demeure qui leur appartient; que l'usurier dévore toute sa fortune , et que des étrangers s'emparent du fruit de ses travaux.» Voilà que sa vengeance se présente sous une autre forme: il livre leurs biens à la rapacité des étrangers, il les expose aux empiètements de l'usure, il les accable de dommages de toute sorte et, ce qu'il y a de plus terrible, il les laisse sans protecteur au milieu de tant de maux. Tel est en effet le voeu qu'il fait entendre : « Que nul ne lui vienne en aide (12). »

Ces malheurs par eux-mêmes sont accablants, combien plus encore pour ceux qui ne trouvent personne pour les protéger ! « Que nul n’ait pitié de ses orphelins. » O ciel ! quel excès de colère ! mais quoi! il ne se (99) contente pas de priver ces enfants, devenus orphelins avant le temps, des douceurs de la compassion, que dis-je de la compassion? Il les précipite dans la misère la plus profonde. « Que ses enfants, » dit-il en effet, « soient voués à l'extermination. Que son nom soit effacé en mue seule génération (13). » Voyez-vous la colère qui déborde dans ses paroles et qui ne s'arrête nulle part? Il souhaite qu'ils vivent en proie à toutes sortes de misères, qu'ils soient livrés à l'extermination, et qu'ils périssent sans que leur nom leur survive. Et comme si le malheur des enfants ne lui suffisait pas, il ajoute encore : « Que l'iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point effacé (14). Que leurs péchés soient « toujours devant le Seigneur, et que leur sou« venir disparaisse de dessus la terre (15).» Voilà bien le fait d'un homme profondément irrité, d'appeler d'abord sur la tête de son ennemi tous les malheurs à la fois, puis de les citer en détail et d'y revenir avec insistance. « Que l'iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur, » et il ajoute, « et qu'elle ne soit pas effacée, » ce qui revient au même, mais la colère l'emporte et le fait se servir des deux expressions à la fois. Ce qu'il veut dire, le voici : Seigneur, tuez-le, égorgez-le, faites-le disparaître. Que de malédictions ! Mais, si vous le voulez bien, je vais revenir sur mes pas et les énumérer de nouveau. Qu'il tombe au milieu d'hommes pervers, dit-il, qu'il soit accusé, qu'il soit vaincu par eux, qu'il soit condamné, qu'il meure avant l'âge, qu'il soit dépouillé de ses honneurs, qu'il les voie transmis non pas à ses descendants, mais à d'autres, que sa femme périsse, que ses enfants soient pauvres, orphelins, que leur vie soit celle des mendiants, qu'ils soient condamnés, qu'ils soient chassés de partout, que nul ne vienne à leur aide, qu'ils cessent même d'avoir part à la bienveillance de Dieu, qu'il n'y ait pour eux ni port, ni asile où ils puissent se réfugier, que son nom soit effacé de dessus la terre, qu'il périsse et que son nom ne lui survive pas, que son père, que sa mère soient punis pour tes péchés qu'ils ont commis, après cela qu'ils périssent, qu'ils disparaissent complètement et sans laisser de traces.

2. L'auditeur qui entend ces paroles n'est-il pas frappé d'épouvante ? Ne désirez-vous pas savoir quel est celui qui est l'objet de telles (100) imprécations ? Quand nous entendons un homme en accabler un autre d'injures, nous ne manquons pas de demander aux assistants quel est celui qu'on insulte. Quand donc nous entendons le Psalmiste proférer ces malédictions, nous devons bien plus encore demander, et demander avec terreur, avec une âme toute contristée, quel est celui qui s'est attiré une colère si terrible, quel est celui qui a offensé le Saint-Esprit, au point de s'exposer à tant de si redoutables représailles. Els bien ! s'il vous plaît, reprenons le psaume et donnons-y beaucoup d'attentions. Que nul ne se trouble. Je déduirai mes explications avec toute l'exactitude désirable, du moins autant que je le puis. Car il n'est pas sans importance l'objet de nos recherches. Une chose en premier lieu mérite explication : pourquoi les enfants du pécheur, de cet homme si décrié, pourquoi ses enfants, pourquoi sa femme, pourquoi ses parents sont-ils châtiés avec lui? En second lieu, quel est-il ce maudit? En troisième lieu, comment le prince des apôtres prouve-t-il que ce psaume s'adresse à Judas Iscariote, ou plutôt non pas le psaume tout entier, mais une partie du psaume? « Car, » dit-il, « il est écrit dans le livre des Psaumes: Que sa demeure devienne déserte : qu'il n'y ait personne qui l'habite. » (Act. I, 20.) Mais voilà qui nous donne un autre sujet de recherches, car ces deux phrases ne se trouvent pas dans ce psaume. Aussi n'a-t-il pas indiqué celui-ci, il a parlé du livre des Psaumes en général. L'expression: « Que sa demeure devienne déserte » se lit dans un autre psaume, et cette expression : « Qu'un autre reçoive sa mission » est tirée du psaume que nous lisons en ce moment. Mais l'apôtre Pierre les a réunies toutes deux pour en former un seul témoignage. C'est ce que saint Paul fait en toute occasion, comme quand il dit: « Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l'impiété de Jacob. (Rom. XI, 26 ; Isaïe, LIX, 20.) Et ceci sera pour eux mon testament, quand je retrancherai leurs péchés.» (Isaïe, XXVII, 9.)

Mais comment qualifier ces paroles? Est-ce une prophétie, ou une imprécation? C'est une prophétie sous forme d'imprécation. Nous trouverons cela autre part encore ; Jacob s'est, lui aussi, servi du même procédé. Comme il faut que les auditeurs fassent leur profit des malheurs qui ont frappé d'autres hommes, il arrive que les prophètes adoptent pour énoncer leurs prédictions, des figures de style telles, que les enseignements qu'elles contiennent nous trouvent plus respectueux et plus craintif. Car ce n'est pas la même chose que de dire: tel ou tel sera puni, ou de proférer les mêmes menaces avec le ton de la colère et de l'indignation. Et pour prouver que ce ne sont pas là des explications irréfléchies, je vais vous citer les paroles mêmes des prophètes. Jacob, sur son lit de mort, dit à ses fils : « Venez ici et je vais vous dire ce qui doit vous arriver dans les derniers jours. » (Gen. XLIX, 1.) Et le voilà gui, au moment de prophétiser, se laisse emporter, pour ainsi dire, par le bouillonnement de sa colère, et qui, dès les premiers mots, éclate en imprécations : « Ruben, « mon premier-né, toi qui es dur à supporter, « dur et intraitable, tu m'as outragé, puisses« tu ne pas croître comme l'eau.» (Gen. XLIX, 3.) Il prophétise sa ruine sous forure de malédiction. Par contre, lorsqu'il annonce d'heureux événements, c'est sous forme de souhait : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre. » (Ibid. XXVII, 28.) Ces paroles contiennent encore une prophétie. Il est évident que ce n'est pas là l'expression de la colère d'un homme, car à l'égard de Chanaan, son père fait de même et dit: « Chanaan sera ton esclave (Ibid. IX, 25), » afin que vous sachiez que Dieu se tient devant ceux qui sont en butte aux outrages, et qu'il marche contre leurs agresseurs. Le Christ use aussi du même procédé, il prophétise, quand il dit avec l'accent de la douleur et du regret : « Malheur à toi, Chorozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïda ! » (Luc, X, 13.) Ou bien encore, quand il s'écrie : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes ! » Quel est donc l'objet de ce psaume? Il concerne en partie Judas, car le Saint-Esprit prophétisait par la bouche de David, et, pour le reste, il s'adresse à d'autres. Ceci encore est une manière d'agir familière aux prophètes. Nous la trouverons employée plus d'une fois

Le début s'adresse à une personne, le reste à une autre. Et pour vous en assurer une seconde fois, vous remarquerez que, après l'entrée des Juifs dans la terre promise, le fils de Navé reçoit de Dieu l'ordre de diviser les douze tribus en douze parties différentes, et de le faire en bénissant les unes, en maudissant les autres. Ces bénédictions et ces malédictions n'étaient que l'annonce de ce qui devait arriver. Il disait : « Sois maudit dans la ville, sois (101) maudit dans tes champs. » (Deut. XXVIII, 16). Et ces nombreuses malédictions adressées aux tribus forment une très-longue tirade.

Ce que nous pouvons dire du présent psaume, c'est que la malédiction cache une prophétie, qu'elle annonce, qu'elle proclame à l'avance les malheurs qui doivent frapper Judas, ensuite elle retombe sur d'autres personnes et s'adresse à certains hommes qui s'étaient révoltés contre l'autorité sacerdotale. C'est pour nous apprendre combien il est mal de résister aux prêtres de Dieu, et d'employer contre eux la ruse et l'iniquité. Car le psaume ne fait pas autre chose que de nous instruire des châtiments destinés à ceux qui maltraitent le prochain, à ceux qui, pleins de ruse et de corruption, se lèvent contre les hommes qui ne leur ont fait aucun mal. S'il demande que les enfants soient punis, n'en soyez point trop étonné, mon cher frère: par les enfants du pécheur il entend ceux qui ont partagé son crime. Car l'Écriture reconnaît une filiation du vice comme une filiation du sang, et même, en l'absence de tout lien naturel, elle emploie cette expression de fils, comme lorsqu'elle dit : « Vous, vous êtes les fils du diable. » (Jean, VIII, 44.) Comment des êtres de chair pourraient-ils être les fils d'un être incorporel ! Mais la parenté du vice a remplacé pour eux les liens du sang. C'est ainsi que Jésus les rejette encore du sein d'Abraham, en disant Si vous étiez les enfants d'Abraham, vous feriez ce qu'a fait Abraham. » (Jean, VIII, 39.) Que le fils ne doit pas être puni pour les fautes du père, pas plus que le père pour celles du fils, cela ne fait de doute pour personne. C'est aussi ce que déclare la loi, il n'y a d'exception que dans le cas où le père aurait mal élevé son fils : même alors il n'est pas puni pour son fils, mais pour sa propre faiblesse. Héli en est un exemple. (I Rois, III, 13.)

3. Si vous le jugez convenable, reprenons le psaume : « O Dieu, ne taisez pas ma louange.» Ce qu'un autre interprète ainsi : « O Dieu, ne soyez pas sourd pour mon éloge, » et un autre : « Ne gardez pas le silence, » c'est-à-dire, ne négligez pas de me venger, réprimez le crime. Car c'est vous qui êtes le Dieu glorieux, le Dieu grand, et vous pouvez arrêter ces excès. « Parce que la bouche du pécheur, la bouche du fourbe s'est ouverte contre moi. Ils ont parlé contre moi avec une langue perfide, ils m'ont investi de paroles de haine, ils m'ont combattu sans motif. Au lieu de m'aimer, ils se sont faits mes détracteurs, et moi je vous invoquais. »

Voyez-vous cet excès de perversité ? cet accord pour le mal ? cette préparation au crime? C'est là ce qui irrite le plus Dieu, quand ceux qui cherchent à faire le mal y apportent de la réflexion, de la préméditation et s'y exercent à l'avance. Autre chose est de se laisser aller au vice par entraînement et par séduction, autre chose de le pratiquer, autre chose encore, et c'est le cas le plus grave, de se montrer méchant à l'égard de celui qui ne l'est pas. Ces paroles, « au lieu de m'aimer, ils se sont faits mes détracteurs, » prouvent que les méchants dont il est question avaient affaire à un bienfaiteur, à un homme digne d'être aimé, digne d'être payé de ses bons services, et qu'ils ne lui ont témoigné que de l'ingratitude. « Et moi je vous invoquais. » Voyez-vous sa sagesse, sa modération, sa douceur ? Voyez-vous sa piété ? Je n'ai pas pris les armes, dit-il, je ne les ai pas combattus, mais je me suis réfugié auprès de vous: j'ai invoqué votre alliance, votre intervention, et votre irrésistible protection, qui était mon aune la plus redoutable. Ensuite, après avoir dit ce qui concerne Judas, comment il se condamna lui-même, comment il porta contre lui-même un arrêt de mort, comment il se pendit, comment son apostolat fut confié à un antre, il revient à son premier objet. C'est encore là une des formes de la prophétie, s'interrompre, introduire un épisode, le développer, puis, après cela, revenir à ce qui a été dit au début. C'est l'inintelligence des Juifs qui forçait le prophète à envelopper sa pensée.

Il fait allusion, comme je l'ai déjà dit, à certain personnage qui, vers l'époque où les Juifs revinrent de la captivité de Babylone, forma de mauvais desseins contre l'autorité sacerdotale. C'est un fait connu des hommes studieux qui ont lu l'histoire. Il lui prophétise de grands malheurs, et qu'il sera privé de tout appui. Il demande qu'on lui ferme tout refuge, qu'il n'obtienne de Dieu ni délai, ni bienveillance, ni pardon. Ceci, comme je l'ai dit plus haut, et comme je ne cesserai de le dire, semble être une imprécation et ce n'est qu'une prophétie qui nous montre combien Dieu s'irrite quand on forme de mauvais desseins contre l'autorité sacerdotale. Ensuite il entre dans le détail des châtiments qu'il (102) souhaite à son ennemi et dit : « Parce qu'il ne s'est pas souvenu de faire miséricorde (16), et qu'il a poursuivi un homme pauvre, mendiant, au coeur contrit et mortifié (17). » Former de mauvais desseins et surtout les former contre l'homme qui devrait, au contraire, exciter notre compassion et notre sympathie, voilà le dernier degré de la cruauté, le comble de l'inhumanité. Un tel homme a pris les sentiments de la bêle féroce, ou plutôt il est devenu plus cruel encore que la bête féroce , chez qui la férocité est un instinct, tandis que lui, qui a eu l'honneur de recevoir la raison en partage. a prostitué au vice sa noble nature. La bête féroce montre une certaine affection, une certaine douceur pour celles qui sont de son espèce et de sa famille, mais ces gens-là, loin de respecter cette loi commune établie par la nature, attaquent et renversent celui dont ils devraient avoir pitié, qu'ils devraient aider et redresser. « Et il a aimé la malédiction, et elle le frappera, et il n'a pas recherché la bénédiction, et elle s'éloignera de lui (18). » Après lui avoir souhaité beaucoup de malheurs, il montre qu'il faut en rapporter la cause première non pas à lui-même, mais à son ennemi, à celui qui, par ses actions, s'est privé de la faveur de Dieu et s'est exposé aux coups de sa vengeance. « Et il s'est revêtu de la malédiction comme d'un vêtement, et elle a pénétré dans ses entrailles comme de l'eau, elle a pénétré dans ses os comme de l'huile. » Le Prophète s'exprime ainsi pour nous faire comprendre que le pécheur sera frappé d'un coup terrible et qu'il s'expose à d'éternels châtiments, et il nous fait voir que tous les hommes doivent leurs malheurs à eux-mêmes et à leur propre volonté, puisque par leurs actions et leur conduite ils éloignent d'eux les biens qui les attendaient, pour attirer sur leur tête la vengeance de Dieu. « Qu'elle soit comme le vêtement dont il se couvre, et qu'elle soit a comme une ceinture dont il sera toujours enveloppé (19). »

Ce qu'il dit est pour nous montrer l'indicible colère de Dieu s'attachant à de tels hommes, et peut se ramener à ces termes : le malheur s'en emparera si bien qu'ils ne pourront pas même changer leur condition, il les pénétrera profondément, il y demeurera indestructible. Ensuite, afin de nous prouver que c'est la méchanceté qu'il châtie et le vice qu'il redresse, et que ce n'est pas seulement contre l'homme dont il a à se plaindre, mais encore contre ceux qui ont à rendre compte de semblables méfaits, que sera portée cette condamnation : il ajoute : « Tel est le salaire réservé à ceux qui se font mes détracteurs par-devant le Seigneur (20). » C'est-à-dire, voilà le châtiment, voilà la condamnation réservée à ceux qui s'élèvent contre moi, à ceux qui me tendent des embûches, à ceux qui me combattent comme un ennemi, « et à ceux qui blasphèment contre mon âme. » Les paroles sont donc punies, et punies très-rigoureusement.

4. Après avoir terminé ce qu'il avait à dire sur son ennemi, il se réfugie de nouveau auprès de Dieu pour invoquer sa protection. Il ne se contente pas d'indiquer le châtiment destiné à ceux qui le poursuivent de leurs mauvais desseins; il montre aussi que les victimes des méchants ont un vengeur et qu'une protection puissante leur est assurée, et il ajoute . « Et vous, Seigneur, agissez pour moi à cause de votre nom (21). » Voyez sa pitié et sa reconnaissance, voyez son humilité. Et cependant il avait dans ses souffrances un motif légitime à taire valoir pour obtenir l'assistance divine : en effet, on peut voir en plusieurs endroits de l'Ecriture que ceux qui ont été injustement maltraités par les hommes ont plus de droits à réclamer la protection de Dieu. Mais lui néglige cet avantage, n'a recours qu'à la bonté de Dieu, et dit : « Agissez pour moi, à cause de votre nom. » C'est presque comme s'il disait : non pas parce que je le mérite, mais à cause de vous-même. parce que vous êtes clément et miséricordieux. C'est pourquoi il ajoute : « Parce que  votre miséricorde est pleine de douceur. » Il n'en est pas souvent ainsi de la miséricorde des hommes : il arrive parfois qu'elle nuit à ceux qui en sont l'objet et qu'elle est la cause de leur perte. La miséricorde de Dieu, au contraire, s'exerce toujours à notre avantage. « Délivrez-moi, car je suis pauvre et mendiant, et mon coeur est troublé au dedans de moi (22). » Le voyez-vous encore qui demande à être sauvé, non parce qu'il en est digne, non parce que c'est juste, mais parce qu'il est tout à fait abattu, qu'il est accablé, qu'il a eu mille et mille maux à supporter? « Et mon coeur est troublé au dedans de moi. » Telle est la puissance du malheur non-seulement il a prise sur notre corps, mais encore il porte le trouble dans notre (103) âme. — « Comme l'ombre, qui décline, j'ai passé; j'ai été agité comme les sauterelles (23). » Il parle de la violence de ses persécuteurs, de leur inexprimable perversité, et de sa piété toujours forme au milieu des malheurs. — « Mes genoux sont affaiblis par le jeûne, et ma chair, privée de nourriture, s'est desséchée (24). » Voyez-vous quelles armes puissantes il a su se procurer pour repousser les embûches et le mauvais vouloir de ses ennemis? « Je suis devenu pour eux un opprobre; ils m'ont regardé, et ils ont secoué la tête (25). » Voilà bien le caractère du méchant : non-seulement il ne cède point, quand il voit le juste lui opposer sa piété, mais encore il l’outrage, il le raille, il l'attaque. Que fait le juste alors? Il a recours à l'alliance irrésistible, à la protection toujours victorieuse, et dit : « Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, et sauvez-moi selon votre miséricorde (26) ! Et qu'ils sachent que votre main est. , et que c'est vous, Seigneur, qui m'avez délivré (27). » Que signifient ces mots : « Qu'ils sachent que votre main est là? » C'est-à-dire, qu'ils sachent que c'est vous qui combattez pour moi, que c'est vous qui me protégez. Je ne veux pas seulement être sauvé, je veux encore qu'ils sachent par qui je l'ai été, afin de doubler le prix de ma victoire, de doubler le prix de ma couronne, et d'augmenter ma gloire. « Ils me maudiront, et vous, vous me bénirez. Que mes ennemis soient confondus,  tandis que votre serviteur sera dans l'allégresse (28). » Il y a là, pour l'auditeur, un enseignement philosophique. Le Prophète lui prouve que, fût-il en butte à toutes sortes de malédictions, il n'en éprouvera aucun dommage, si Dieu le bénit , et que la honte et l'insulte retomberont non sur lui, mais sur ceux qui voulaient l'en accabler. « Tandis que votre (103) serviteur sera dans l'allégresse à cause de vous. » Ce n'est pas sans raison qu'il ajoute ces mots « à cause de vous, » montrant que c'est de Dieu que lui vient son allégresse , puisque c'est Dieu qui lui a dispensé ces biens. Désormais aucun événement fâcheux ne saurait me troubler; mon allégresse venant de vous restera toujours entière. — « Que mes ennemis soient revêtus d'ignominie, que leur honte les recouvre comme un manteau (29). » Voyez encore comme il appelle sur eux non-seulement le châtiment. mais encore la honte et l'ignominie, afin qu'ils y puisent un enseignement pour venir à résipiscence, et qu'ils en prennent occasion pour changer et devenir meilleurs. — « Ma bouche rendra au Seigneur de solennelles actions de  grâces, et je chanterai ses louanges au milieu d'une assemblée nombreuse (30). « Parce qu'il s'est assis à la droite du pauvre, pour sauver mon âme de la main de ses persécuteurs (31). » Pour remercier Dieu de tous ces biens, il le chante dans ses hymnes, il lui rend des actions de grâces, il célèbre ses louanges, il annonce à tous son intervention victorieuse, il s'avance comme au milieu d'un théâtre, et se fait le héraut de ses bienfaits. Voilà le sacrifice, voilà les présents qui conviennent à Dieu; il faut garder de ses bienfaits un souvenir éternel, il faut les graver dans sa pensée, les avoir toujours sur les lèvres, et les raconter à de nombreux auditeurs. De la sorte, celui qui a profité du bienfait, sera payé de sa gratitude, et augmentera encore l'affection que Dieu lui porte : et puis, ceux qui en seront informés deviendront plus pieux au souvenir de ce qui est arrivé à d'autres, et la vue des bienfaits accordés au prochain ne fera que stimuler leur zèle pour la vertu.

 

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