II TIMOTHÉE I

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
PRÉFACE
I TIMOTHÉE I
I TIMOTHÉE II
I TIMOTHÉE III
I TIMOTHÉE IV
I TIMOTHÉE V
I TIMOTHÉE VI
I TIMOTHÉE VII
I TIMOTHÉE VIII
I TIMOTHÉE IX
I TIMOTHÉE X
I TIMOTHÉE XI
I TIMOTHÉE XII
I TIMOTHÉE XIII
I TIMOTHÉE XIV
I TIMOTHÉE XV
I TIMOTHÉE XVI
I TIMOTHÉE XVII
I TIMOTHÉE XVIII
II TIMOTHÉE I
II TIMOTHÉE II
II TIMOTHÉE III
II TIMOTHÉE IV
II TIMOTHÉE V
II TIMOTHÉE VI
II TIMOTHÉE VII
II TIMOTHÉE VIII
II TIMOTHÉE IX
II TIMOTHÉE X

COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPITRE A TIMOTHÉE.

 

HOMÉLIE PREMIÈRE. PAUL, APOTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, SELON LA PROMESSE DE LA VIE QUE NOUS AVONS EN JÉSUS-CHRIST : A TIMOTHÉE, SON FILS BIEN-AIMÉ, GRACE, MISÉRICORDE ET PAIX DE LA PART DE DIEU LE PÈRE ET DE JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (I, 1-2 JUSQU'À 7.)

 

Analyse.

 

1. Tendresse de saint Paul pour son disciple Timothée.

2. Foi héréditaire dans la famille de Timothée. — La grâce est en nous comme un feu qu'il dépend de nous de laisser s'éteindre ou de ranimer.

3 et 4. Que l'homme n'est jamais exempt de peines et de soucis.

 

1. Pourquoi cette seconde lettre à Timothée ? L'apôtre avait dit : « J'espère aller vous trouver «bientôt». (l Tim. III, 14.) C'est qu'il ne put le faire. Il le console donc par ses lettres, ne pouvant pas le consoler par sa présence. Timothée était peut-être affligé de l'absence de son maître, et aussi de ce qu'il lui avait fallu se charger du gouvernement des âmes. Si grand et si capable que l'on soit, dès qu'on met la main au timon pour gouverner le vaisseau de l'Église, on éprouve un embarras étrange à la vue des difficultés qui se soulèvent de toutes parts comme les flots de la mer. Il devait surtout en être ainsi alors que l'on n'était qu'au début de la prédication, alors que tout était encore à faire, alors que l'on ne rencontrait qu'hostilités et périls. Ce n'est pas tout, les hérésies commençaient à se montrer, produites par les docteurs du judaïsme; saint Paul le dit : expressément dans sa première épître. Ici il -ne console pas seulement son disciple par sa lettre, mais encore il l'appelle près de lui « Hâtez-vous », lui dit-il, « devenir me trouver promptement » ; et : « En venant, apportez mes livres et surtout mes papiers». (II Tim. IV, 8, 13.) Je crois qu'il a écrit cette lettre vers la fin de sa vie: «Je suis», dit-il, «comme une victime qui a déjà reçu l'aspersion »; et encore : « Dès la première fois que j'ai défendu ma cause, personne ne m'a assisté ». (II Tim. IV, 6, 16.) Mais il trouve un remède à tout cela, et c'est de ses épreuves elles-mêmes qu'il tire la consolation, et il dit : « Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, selon la promesse de la vie qui est en Jésus-Christ». Dès les premiers mots de sa lettre il relève l'âme de son disciple. C'est comme s'il disait: Ne me parlez pas des dangers d'ici-bas; ils ne font (352) que  nous procurer la vie éternelle qui ne connaît pas les maux, d'où sont bannis la peine, le chagrin et les larmes. Dieu ne nous a pas faits apôtres seulement afin que nous courions des dangers, mais afin que nous mourions après avoir souffert. Raconter ses maux tout au long, t'eût été ajouter au chagrin de Timothée, loin de le consoler; aussi commence-t-il sa lettre par des paroles de consolation : « Selon la promesse de vie qui est en Jésus-Christ ».

Puisqu'il s'agit d'une promesse de vie, attendez-en l'effet non ici-bas, mais pour plus tard. «Une espérance qui se verrait ne serait plus une espérance ». (Rom. VIII, 24.) — « A Timothée, son fils bien-aimé ». Non-seulement « à son fils » mais « à son fils bien-aimé ». On peut être un fils et n'être pas un fils bien-aimé. Mais tel n'est pas Timothée, et Paul ne l'appelle pas seulement son fils, mais son fils bien-aimé. Aux Galates aussi il donne le nom de fils, et néanmoins il s'afflige sur leur compte. «Mes petits enfants », leur dit-il, « que j'enfante de nouveau ». (Galat. IV, 19.) L'apôtre rend donc un grand témoignage à la vertu de Timothée en l'appelant son bien-aimé. C'est que la tendresse, lorsqu'elle ne vient pas de la nature, vient de la vertu. Ceux qui nous doivent la vie ne sont pas seulement nos bien-aimés par leur vertu, mais encore par l'impulsion de la nature. Mais nos fils selon la foi ne sont pas nos bien-aimés autrement que par la vertu. D'où pourrait venir en effet notre tendresse pour eux ailleurs que de là? Cela est surtout vrai de saint Paul qui ne faisait rien par pure inclination. Ce mot, « mon fils bien-aimé », montre encore que si saint Paul n'a pas été voir son disciple, ce n'est pas qu'il soit fâché contre lui, ni qu'il le méprise, ni qu'il le blâme.

«Grâce, miséricorde, paix de la part de Dieu et de la part de Jésus-Christ Notre-Seigneur». C'est le même souhait qu'il avait déjà fait auparavant. Ces mots l'excusent de ce qu'il n'est pas venu voir Timothée. Car en lui disant dans sa première lettre (I Tim. IV, 13 et III, 14), « en attendant que je vienne», et: « Je me hâte d’aller à vous promptement», il lui avait donné l'assurance qu'il viendrait bientôt. C'est donc à ce sujet qu'il s'excuse tout d'abord. Quant à la cause qui l'a empêché de partir, il ne l'indique pas aussitôt pour ne pas trop affliger Timothée : cette cause, c'était qu'il était retenu captif par César. Il ne l'a dit qu'à la fin de sa lettre lorsqu'il appelle son disciple auprès de lui. Il se garde de l'affliger dès le début, il lui laisse même espérer qu'il le verra. « Je désire vous voir », dit-il en commençant, et il dit en finissant : « Hâtez-vous de venir vers moi a promptement». Dès le début donc il le relève de sa profonde tristesse, et il continue par des compliments. « Je rends grâces à Dieu que je sers depuis mes ancêtres avec une conscience pure, de ce que sans cesse je fais mémoire de vous dans mes prières de nuit et de jour, désirant de vous voir, me souvenant de vos larmes, afin que je sois rempli de joie».

Je rends grâces à Dieu de ce que je me souviens de vous, dit-il, tant je vous aime, C'est aimer extrêmement que d'aimer jusqu'à se faire honneur de son amitié. — «Je rends grâces», dit-il, «au Dieu que je sers». Comment? « Avec une conscience pure depuis mes ancêtres». Sa conscience était toujours restée sans atteinte. Il veut parler ici de sa vie; chez lui le terme de conscience se dit toujours de la vie bonne ou mauvaise. Ou bien encore il veut dire : Nul motif humain ne m'a jamais fait trahir rien de ce que j'ai regardé et désiré comme un bien, même lorsque j'étais persécuteur. C'est dans le même sens qu'il dit: «Mais j'ai obtenu miséricorde parce que j'ai agi en état d'ignorance et d'incrédulité», (I Tim. I,13.) C'est presque dire: Ne soupçonnez rien de malicieux dans ma conduite: grande recommandation pour son caractère, et quine permettra pas qu'on se défie le moindrement de son amitié. C'est comme s'il disait: Je ne mens pas, je ne suis pas autrement que je ne dis. Il fait ici son propre éloge parce qu'il y est forcé, comme quelque part dans le livre des Actes. Comme on l'accusait d'être un factieux et un novateur, il parle ainsi : « Et Ananie me dit : le Dieu de nos pères t'a choisi d'avance pour connaître sa volonté, et pour voir le Juste, et entendre la voix de sa bouche, parce que tu seras son témoin devant tous les hommes, des choses que tu as vues et entendues ». (Act. II, 14.) De même ici c'est avec raison que, pour ne point passer pour un homme sans amitié comme sans conscience, il fait son propre éloge et qu'il dit: « Sans cesse je fais mémoire de vous», et non pas simplement, mais, «dans mes prières». C'est-à-dire, la prière est mon occupation, j'y consacre tout mon temps. Il le déclare en disant : La nuit et le jour j'invoquais Dieu à ce sujet, «je (353) désirais vous voir » : Voyez-vous quel ardent désir ! quel excès de tendresse l Voyez-vous aussi l'humilité de l'apôtre, qui s'excuse auprès de son disciple? Il montre ensuite qu'il n'agit pas sans raison ni au hasard; il l’a déjà montré, et il le montre encore ici, car il dit : « Me souvenant de vos larmes». Il est vraisemblable que, séparé de son ami, il pleurait; il gémissait plus qu'un enfant que l'on sépare de la mamelle de sa nourrice et que l'on sèvre de son lait. — «Afin que je sois comblé de joie; je désire vous voir ». Je ne me serais donc pas privé moi-même d'un tel plaisir. Quand je serais un être insensible, cruel, une bête féroce, le souvenir de vos larmes m'aurait encore fléchi. Mais je ne suis pas tel, au contraire, je sers Dieu avec une conscience pure. Bien des motifs donc me poussaient vers vous. Et alors il pleurait. Il énonce encore une autre raison qui emporte avec soi la consolation : «En me rappelant», dit-il, «votre foi qui est si sincère ».

2. Il ajoute ensuite un autre éloge, savoir que Timothée ne sort pas du milieu des païens, ni des infidèles, mais d'une famille qui sert depuis longtemps le Seigneur. «Foi»; dit-il, «qui a été premièrement en Loïde, votre aïeule, et Eunice, votre mère ». Timothée était fils d'une juive fidèle. Comment juive? comment fidèle? Elle n'était pas de la race des gentils. Ce fut à cause de son père qui était gentil et à cause des juifs qui étaient en ces lieux, que Paul le prit et qu'il le circoncit. Voyez-vous comme la loi de Moïse commençait à n'être plus observée, puisque ces unions entre juifs et gentils avaient lieu? Remarquez aussi comme saint Paul prouve surabondamment à son disciple qu'il n'a eu pour lui aucun mépris Je sers Dieu, j'ai une conscience droite, vos larmes me touchent, etc. Ce n'est pas seulement à cause de vos larmes que je désire vous voir, mais encore à cause de votre foi; parce que vous êtes un ouvrier de vérité, et qu'il n'y a pas de fraude en vous. Lors donc que vous vous montrez si digne d'être aimé, étant vous-même si aimant, étant un si sincère disciple de Jésus-Christ, lorsque je ne suis pas moi-même du nombre des insensibles, mais du nombre de ceux qui aiment la vérité, qu'est-ce qui m'aurait empêché de vous aller voir? — «Foi que je suis très-persuadé que vous avez aussi ». Cette foi est chez vous un bien héréditaire, vous la tenez de vos ancêtres et vous la gardez dans toute sa pureté: Les avantages de n'os' ancêtres sont' les nôtres, lorsque nous partageons leurs vertus, si non, ils sont nuls pour nous ou plutôt ils servent à notre condamnation. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute ces mots : « J'ai la certitude que cette foi est aussi en vous ». Ce n'est pas de ma part une conjecture, mais j'en ai la persuasion et la certitude. Si donc il n'y a rien d'humain dans votre foi, rien non plus ne pourra l'ébranler.

« C'est pourquoi je vous avertis de rallumer ce feu de la grâce de Dieu que vous avez reçue par l'imposition de mes mains». Ces paroles montrent que celui à qui elles s'adressent est dans un grand l’abattement et dans une affliction extrême. C'est presque dire : Ne croyez pas que je vous aie méprisé. Sachez bien au contraire que je ne vous ai ni condamné ni oublié. Songez seulement à votre aïeule et à votre mère. Parce que je sais que vous avez une foi sincère, je vous avertis et je vous dis : Vous avez besoin de zèle pour rallumer le feu de la grâce de Dieu. Comme le feu a besoin de bois pour l'alimenter, de même la grâce a besoin de notre zèle pour ne pas s'éteindre. — « Je vous avertis de rallumer ce feu de la grâce de Dieu que vous avez reçue par l'imposition de mes mains », c'est-à-dire la grâce du Saint-Esprit que vous avez reçue pour le gouvernement de l'Eglise, pour les signes miraculeux et pour tout le service de Dieu. Car il dépend de nous d'allumer comme d'éteindre ce feu. Aussi l'apôtre dit-il dans un autre endroit : «N'éteignez pas l'Esprit». (I Thés. V, 19.) Il s'éteint par la nonchalance et la lâcheté, et il s'embrase de plus en plus par la vigilance et l'attention. Il est en vous ce feu, mais il vous appartient de le rendre plus vif; c'est-à-dire alimentez-le avec la confiance, la joie et l'allégresse. Résistez courageusement.

« Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité; mais un esprit de courage, d'amour et de sagesse». C'est-à-dire, nous n'avons pas reçu l'Esprit pour vivre contractés par la peur, mais pour parler avec hardiesse. Car il donne à beaucoup l'esprit de la peur, comme il est dit dans les livres des Rois à propos des guerres. « Et l'esprit de terreur », est-il dit « tomba sur eux ». (Exod. XV,16.) C'est-à-dire, il leur inspira de la terreur. Mais vous, au contraire, il vous adonné l'esprit de force et d'amour pour lui. C'est donc là un effet de la grâce, mais non de la grâce seule; il faut que (354) nous commencions par faire ce qui dépend de nous. Cet Esprit qui fait que nous crions « Abba, notre Père », nous inspire aussi l'amour pour lui, et l'amour pour le prochain, afin que nous nous aimions les uns les autres. Car de la force et de l'intrépidité naît la charité. Rien ne dissout l'amitié comme la timidité et l'appréhension de trahison. — « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais un esprit d'amour, de force et de sagesse ». Il entend par sagesse le bon état de la pensée et de l'âme, ou encore il veut dire que l'Esprit nous rend sages, et qu'il nous maintient dans la sagesse, quoiqu'il arrive et qu'il retranche le superflu. Soyons donc sans douleur dans les maux qui nous arrivent, c'est en quoi consiste la sagesse. « Ne vous hâtez point », est-il dit, «au temps de l'obscurité». (Eccl. II, 2.) Beaucoup trouvent le chagrin sans sortir de leur maison. Nous avons cela de commun que nous sommes tous dans le chagrin, mais nous différons parles causes de nos douleurs. La peine vient à celui-ci de sa femme, à celui-là de son enfant, à un autre d'un serviteur, à un autre d'un ami, à un autre d'un ennemi, à un autre d'un voisin, à un autre enfin d'une perte qu'il a faite. Les causes de nos peines sont nombreuses et diverses. Il est complètement impossible de trouver quelqu'un qui soit exempt de peine et d'ennui; l'un en a plus, l'autre moins. Ne nous révoltons donc point, et soyons persuadés que nous ne sommes pas seuls dans la peine.

3. Il n'est pas possible, quand on est homme et que l'on est encore dans cette vie fugitive d'ici-bas, que l'on soit sans chagrin. Si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain, si ce n'est pas demain, ce sera plus tard que viendra le chagrin. De même que l'on ne peut être sans crainte lorsqu'on navigue sur une grande mer, de même il est impossible, tant qu'on est dans cette vie, de ne pas éprouver de dégoût et de peine; je n'excepte pas le riche. Car puisqu'il est riche, nécessairement beaucoup d'occasions sollicitent sa concupiscence. Je n'excepte pas le roi. Car lui-même subit la domination de beaucoup de choses; il ne mène pas tout à son gré; que de choses contrarient sa volonté ! C'est l'homme du monde qui fait le moins ce qu'il voudrait. Pourquoi? Parce que beaucoup veulent prendre part à ce qu'il fait. Or, songez dans quel abattement il est lorsqu'il veut faire quelque chose et qu'il ne le peut par crainte, par méfiance, à cause des ennemis, à cause des amis. Souvent, lorsqu'il entreprend quel. que chose qui lui plait, il perd tout le plaisir qu'il y trouve par le grand nombre de ceux qui lui font de l'opposition.

Mais quoi ! pensez-vous que du moins ceux qui mènent une vie inoccupée soient exempts de soucis? Il n'en est pas ainsi. L'homme ne peut pas plus être exempt de chagrin qu'exempt de mourir. Combien de désagréments ils endurent nécessairement, que notre discours ne peut vous dévoiler, mais que leur expérience leur fait si bien connaître ! Combien ont souhaité la mort au sein même des richesses et des délices ! Car les délices ne mettent pas toujours à l'abri de la douleur. Ou plutôt les délices produisent mille peines, des maladies, des dégoûts. Et même sans cela le chagrin naît de lui-même et sans cause. L'âme en cet état se sent chagrine sans savoir pourquoi. Les médecins disent qu'un estomac malade cause des chagrins hors de propos. N'est-ce pas là ce qui nous arrive lorsque nous sommes chagrins sans que nous en sachions le motif? En un mot vous ne trouverez personne qui soit sans chagrin. L'homme qui a moins sujet de se chagriner que nous, s'imagine encore avoir raison de s'affliger autant que nous; parce que ce qui nous touche nous affecte plus que ce qui nous est étranger. Ceux qui souffrent en quelque partie de leur corps se croient toujours les plus affligés du monde; celui quia mal aux yeux par exemple croit bien qu'il n'y a pas de douleur comparable aux mal d'yeux. A son tour celui qui souffre de l'estomac regarde ce mal comme le plus cruel de tous. Enfin chacun tient pour le pire des maux celui dont il est affligé. Il en est de même du chagrin; le plus cruel, au jugement de chacun, est toujours le sien propre. On en juge par son expérience personnelle.

Celui qui n'a pas d'enfant ne voit rien de plus malheureux que de n'avoir pas d'enfant. Celui au contraire qui en a beaucoup et qui est pauvre ne trouve rien de pénible comme d'avoir une famille nombreuse, celui même qui n'en a qu'un dira qu'il n'est rien de pire que de n'en avoir qu'un; parce qu'il devient paresseux et qu'il cause à son père un continuel chagrin; parce qu'on l'aime à l'excès et que c'est rare s'il tourne bien. Celui qui a une belle femme dit qu'il n'est rien de pire que d'avoir une belle femme. C'est une source de (355) défiance et de périls. Celui qui en a une laide dit que rien n'est pire que d'avoir une laide femme, c'est un objet de dégoût. Le simple particulier ne trouve rien de plus inutile et de plus insipide que sa vie. Le soldat ne voit rien au monde de plus fatiguant et de plus périlleux que le service militaire. Il vaudrait mieux, à l'entendre, vivre au pain et à l'eau que d'avoir tant de rudes travaux à supporter. Celui qui est au pouvoir trouve que ce qu'il y a de plus fâcheux c°est d'avoir à s'occuper des intérêts des autres. Le sujet regarde comme une intolérable servitude la soumission où il se trouve à l'égard du prince.

L'homme marié ne voit rien de pire qu'une femme et que le souci qu'elle donne. Celui qui ne l'est pas ne voit rien de plus triste pour un homme comme il faut que de n'avoir ni femme, ni maison, ni intérieur. Le marchand trouve heureux le laboureur dans sa sécurité; le laboureur trouve heureux le marchand qui s'enrichit. En somme, l'espèce humaine n'est jamais satisfaite, toujours elle se plaint, toujours elle se chagrine. Entendez chaque individu accuser la condition humaine et dire : Ce n'est rien que l'homme, l'homme est un animal condamné au travail et à la peine. Combien envient la vieillesse ? Combien d'autres ne voient rien d'heureux que la jeunesse? Tan il y a de tristesse en chaque âge! Lorsqu'on nous trouve trop jeunes, nous disons : Hélas ! pourquoi ne sommes-nous pas plus âgés? Et puis, quand notre tête blanchit, on nous entend dire: Où donc la jeunesse s'est-elle envolée? En un mot nous avons mille sujets de chagrins. Il n'existe qu'une seule voie où ces anomalies ne se rencontrent pas, c'est celle de la vertu. Ou plutôt celle-là aussi a ses chagrins, mais chagrins utiles, avantageux, féconds. Ou bien l'on a péché, et touché de componction, on efface ses péchés par 'ses larmes. Ou bien on compatit à la chute d'un frère, et en le faisant on obtient une récompense considérable. Car Dieu réserve une grande récompense à ceux qui compatissent aux maux de leurs frères.

4. Ecoutez toutes les sages paroles de l'Ecriture au sujet de Job. Ecoutez aussi saint Paul « Pleurer », dit-il, « avec ceux qui pleurent », et: « Condescendre à la faiblesse ». (Rom.XII, 15,16.) Partager les chagrins des autres c'est un bon moyen d'y remédier. Quand un homme porte un pesant fardeau, si vous l'aidez vous le soulagez d'autant; il en est de même des fardeaux de l'âme. Quand nous perdons quelqu'un des nôtres, nous ne manquons pas de gens qui nous consolent. Qu'une bête de somme vienne à tomber, nous la relevons, et quand ce sont les âmes de nos frères qui tombent, nous passons avec indifférence. Si nous voyons notre prochain entrer dans un mauvais lieu, nous ne lui barrons point le passage. Si nous le voyons s'enivrer, ou faire n'importe quelle autre action déshonnête, nous ne l’empêchons pas, au contraire, nous faisons comme lui. « Non-seulement », dit saint Paul, « ils font les mêmes choses, mais encore ils approuvent ceux qui les font ». On s'associe pour boire et s'enivrer. Associez-vous, ô hommes, mais que ce soit pour proscrire la folie de l'ivresse. Associez-vous pour secourir les captifs et les infortunés. Saint Paul recommandait la même chose aux Corinthiens, en leur disant de faire des collectes pour les pauvres. (I Cor. XVI, 2.) Mais aujourd'hui nous faisons tout en commun pour l'ivresse, les délices et la volupté, lit commun, table commune, vin commun, dépense commune : mais l'aumône, personne ne s'associe pour la faire. C'est ce qu'on aimait à faire au temps des apôtres , les fidèles mettaient en commun tout ce qu'ils possédaient. Je ne vous commande pas de tout mettre en commun ce que vous avez, mais seulement une portion. « Que chacun », dit l'apôtre, « mette de côté, le dimanche, ce qu'il pourra donner ». (Ibid.) C'est-à-dire, que chacun paie comme un tribut, pour les sept jours de la semaine, et donne l'aumône plus ou moins généreusement. Car en agissant de la sorte « vous ne paraîtrez pas les mains vides devant le Seigneur ». (Exod. XXIII, 15.) Si l'on recommandait cela aux juifs, à plus forte raison doit-on le recommander aux chrétiens. Des pauvres se tiennent à l'entrée- de nos églises afin que personne n'y entre les mains vides, mais pleines d'aumônes distribuées. Vous entrez ici pour obtenir la pitié , ayez d'abord pitié vous-même de votre prochain. Qui entre plus tard doit davantage. Lorsque nous aurons commencé à nous acquitter, celui qui se présentera ensuite aura davantage à donner. Faites de Dieu votre débiteur; puis ensuite priez-le. Prêtez d'abord, puis réclamez et vous recevrez capital et intérêts. C'est là ce que Dieu désire, loin qu'il s'y refuse. Si vous l'implorez par l'aumône il vous en (356) sait gré. Faire l'aumône, c'est prêter à intérêt. Faites ainsi, je vous y exhorte. Il nie suffit, pas de tendre ses mains pour être exaucé. Tendez vos mains, mais vers:les mains de vos frères plutôt encore que vers le ciel. En tendant votre main vers les mains des, pauvres, vous atteignez au plus haut du ciel: Car c'est celui qui trôné là-haut qui reçoit l'aumône. Tendre ses mains vides, c'est les tendre inutilement. Dites-moi, si le roi s'approchant de vous revêtu de la pourpre , vous demandait quelque chose, ne, lui donneriez-vous pas aussitôt tout ce que vous possédez? Maintenant ce n'est pas un rai de la terre, mais le roi du ciel qui vous implore par la voix des pauvres, et vous, l'accueillez par le dédain, et tout au moins vous hésitez à donner ! Quel châtiment ne méritez-vous pas ? Il ne dépend pas de l'élévation de nos mains ni de la multitude de nos paroles que,nous soyons. exaucés, mais de nos bonnes oeuvres. Ecoutez, le Prophète vous dire : « Lorsque vous élèverez vos mains, je détournerai de vous mes yeux, et si vous multipliez vos prières, je ne vous écouterai point ». (Isaïe, I,. 15.) Au lieu, de se. taire et de ne pas même oser regarder le ciel, le pécheur parle souvent avec beaucoup de confiance et longuement. « Mais » dit Dieu parle même prophète, « jugez en faveur de l'orphelin et de l'opprime, faites justice à la veuve, et apprenez à faire le bien ». C'est ainsi que, nous pourrons être exaucés sans avoir même besoin d'élever nos mains, de rien dire, de rien demander. Efforçons-nous donc d'agir ainsi, afin que nous obtenions les  biens qui nous sont promis. Ainsi soit-il.

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante