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LETTRE V.

 

Ecrite, à ce que l'on croit, l'an 406.

 

Saint Chrysostome félicite Olympiade de sa patience. — Il l'exhorte à ne point perdre courage. — Le juste est puissant et heureux, même au sein des persécutions. — Le méchant est faible et malheureux, même au temps de ses succès. — Abel et Caïn en sont la preuve.

 

A LA MÊME.

 

1. Votre affliction s'est accrue ! Le stade s'ouvre plus profond devant vous, vous avez une longue course à fournir; la colère de vos ennemis s'enflamme de plus en plus. Cependant ne vous troublez point, ne vous découragez point; réjouissez-vous plutôt, tressaillez d'allégresse , couronnez vos têtes et formez des choeurs. Si vous n'aviez déjà porté au démon des coups mortels, le monstre n'aurait pas accru sa fureur; il n'aurait osé s'avancer plus loin. C'est donc une preuve de votre courage, un gage de triomphe, et une marque de sa défaite, s'il s'élance, s'il se précipite aujourd'hui sur vous avec rage, s'il redouble d'impudence, s'il répand son venin avec plus d'abondance. Quand Job, après avoir perdu ses biens et ses enfants, eut triomphé de ses attaques, le démon ne dévoilait-il pas ses propres blessures, en l'accablant du plus horrible de tous les maux, en assiégeant sa chair, en y faisant pulluler les vers, en la couvrant de mille ulcères? Ces ulcères, c'était comme un choeur, comme une couronne, comme un essaim d'innombrables victoires. Là ne se borna pas sa cruauté : il avait mis en mouvement, il est vrai, sa meilleure machine de guerre (c'était en effet un mal dont l'horreur ne pouvait être surpassée), mais il lui en restait d'autres encore : il arma l'épouse de Job, il excita ses amis contre lui, il remplit ses serviteurs de colère, en un mot, il n'omit rien pour irriter encore ses blessures. Le démon est toujours le même mais tous ses coups retombent sur sa tête: au contraire chaque jour augmente l'éclat de votre gloire, l'étendue de vos richesses et de vos ressources, chaque jour multiplie pour vous les couronnes. Votre courage s'accroît avec les dangers; les attaques de vos ennemis sont comme t'huile qui fortifie votre patience. Telle est en effet la nature de l'affliction; elle élève au-dessus des dangers ceux qui la supportent avec résignation et avec générosité, elle les rend inaccessibles aux traits du démon, et leur fait mépriser toutes ses attaques. Voyez les arbres! s'ils grandissent à l'ombre, ils s'amollissent et ne peuvent produire de fruits; mais s'ils subissent les variations de l'atmosphère, s'ils résistent à l'impétuosité des vents, s'ils reçoivent les ardeurs du soleil, ils prennent plus de force, ils se couvrent de feuillage et de fruits. Il en est de même de ceux qui voyagent sur mer, Est-ce la première fois qu'ils s'embarquent? malgré tout leur courage, ils se troublent, ils s'effrayent, ils sont pris de vertige. Mais s'ils ont souvent parcouru les mers, s'ils ont essuyé de fréquentes tempêtes , s'ils ont rencontré des écueils cachés sous les flots, des rochers, des monstres marins, s'ils ont été attaqués par les pirates , désormais ils ont plus d'assurance que s'ils voyageaient sur le continent, ils s'asseyent, non pas seulement à l'intérieur du navire, sur la carène, mais aussi sur les flancs eux-mêmes; et ils se tiennent debout, soit à la proue, soit à la poupe , sans éprouver la moindre frayeur. Ces marins, que l'on voyait naguère transis d'effroi, une fois qu'ils ont été longtemps exposés à la tempête, on les voit tirer les cordages, déployer les voiles, prendre en main les rames, et courir çà et là sur le vaisseau. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux qui fondent sur vous. Nos ennemis, bien malgré eux, sans doute, nous ont réduits à ne pouvoir plus être maltraités, puisqu'ils ont épuisé sur nous tous leurs traits; et tout ce qu'ils ont gagné, ç'a été de se couvrir de honte, de se faire mépriser, d'être regardés comme les ennemis du monde entier. Voilà les récompenses de leurs attaques, voilà le terme de la guerre qu'ils vous font. Oh ! que la vertu est une grande chose, puisqu'elle nous fait mépriser les maux de cette vie ! Les attaques lui sont avantageuses, ses ennemis lui (431) tressent des couronnes, ceux qui la maltraitent augmentent son éclat. Chercher à renverser les hommes vertueux, c'est les rendre plus fermes, plias sublimes, invincibles, inexpugnables; et pour se défendre ils n'ont besoin ni de lances, ni de murailles, ni de retranchements, ni de tours, ni d'argent, ni d'armées, il leur suffit d'une volonté ferme et d'une âme énergique. La vertu, en un mot, triomphe de toutes les attaques des hommes.

2. Voilà, ô très-pieuse Olympiade, ce due vous devez sans cesse vous redire à vous-même et redire à celles qui soutiennent avec vous ce généreux combat. Ranimez ainsi leur courage, rangez votre armée en bataille, et méritez par là une double, une triple couronne, un grand nombre de couronnes, d'abord pour avoir souffert vous-même avec patience, ensuite pour avoir exhorté les autres à vous imiter, à tout endurer sans se plaindre, à mépriser de vains fantômes, des songes trompeurs, à fouler aux pieds cet amas de boue, à ne faire aucun compte de cette fumée, à ne pas regarder comme un péril ces toiles d'araignées, et à ne pas s'attacher à cette herbe sujette à se faner et à se corrompre. Ce sont autant d'images de la vaine félicité d'ici-bas. Elle a moins de prix encore, et je ne sais à quoi l'on pourrait l'assimiler. Ce n'est pas seulement au néant : elle est très-funeste à ceux qui soupirent après elle, non-seulement dans le siècle futur, mais aussi dans la vie présente, dans le temps même où elle semble le plus féconde en délices. Si la vertu tressaille, fleurit, brille du plus vif éclat, lors même qu'on lui fait la guerre; le vice, à son tour, même entouré d'honneurs et de flatteries , montre toute sa faiblesse, provoque le rire, et paraît plus ridicule que ne le sont les personnages de comédie. Qu'y a-t-il de plus misérable que Caïn, au moment même où il semblait triompher de son frère, où il semblait avoir assouvi ce courroux, cette injuste et exécrable colère? Qu'y a-t-il de plus affreux que cette main, chargée, ce semble, des palmes de la victoire, cette main qui vient de frapper le coup mortel et accomplir le fratricide ? Qu'y a-t-il de plus hideux que cette langue, après cet abominable artifice qu'elle vient d'imaginer, après ces piéges qu'elle vient de tendre ? Et que dire des membres qui ont exécuté le meurtre ! Il était tourmenté dans tout son être, en proie à de perpétuels gémissements, à une perpétuelle frayeur. O spectacle inouï, victoire étrange, trophée d'un genre tout nouveau ! Celui qui venait d'être égorgé, celui qui était là gisant, se voyait couronner et célébrer comme un vainqueur; celui qui avait triomphé, qui s'était retiré victorieux, non-seulement se voyait privé de la couronne, mais encore sa victoire même lui causait d'horribles tourments et le condamnait à d'insupportables supplices. Celui qui pouvait se mouvoir, celui qui était plein de vie , était accusé par sa victime plongée dans la mort; celui qui pouvait parler trouvait un accusateur dans sa victime réduite au silence. Que dis-je? ce n'était point le mort lui-même, c'était son sang, son sang séparé de son corps, qui se chargeait de ce rôle. Telle est donc la puissance des justes, même après leur mort ! Tel est donc le malheur des méchants, même durant leur vie ! Si telles sont les palmes décernées pendant la lutte, quelle ne sera point la récompense après le combat, alors que la piété sera récompensée, et recevra ce bonheur qui est au-dessus de toute expression? Les afflictions, quelles qu'elles soient, viennent des hommes, et elles en ont la faiblesse. Les dons et les récompenses viennent de Dieu, et ils sont dignes de l'ineffable munificence qui les distribue. Réjouissez-vous donc, et tressaillez d'allégresse; ornez votre front d'une couronne, et formez des choeurs; foulez aux pieds les aiguillons de vos ennemis avec plus d'aisance que les autres ne foulent aux pieds la boue. Rassurez-nous le plus souvent possible au sujet de votre santé, afin de répandre la joie dans notre cœur. Ce sera, vous n'en doutez pas, un grand sujet de consolation pour nous, au milieu de la solitude où nous vivons, que d'apprendre souvent que vous vous portez bien. Adieu.

 

 

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