COHABITATIONS II

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TRAITÉ DES COHABITATIONS ILLICITES.

LIVRE DEUXIÈME. LES VIERGES VOUÉES A DIEU NE DOIVENT PAS COHABITER AVEC DES HOMMES.

 

 

ANALYSE. Ici, ce n'est pas une plume que tient notre saint Docteur , c'est une verge qu'il porte pour mieux venger la morale chrétienne outragée par l'étrange abus de la cohabitation des  clercs et des vierges consacrées à Dieu. — Dans le livre précédent, il s'adressait aux hommes ; dans celui-ci, c'est aux femmes qu'il s'en prend particulièrement sans laisser de flageller aussi leurs complices avec elles. — Il débute par une lamentation imitée de Jérémie. — Il déplore la décadence de la virginité autrefois l'honneur, maintenant la honte du nom chrétien. — En quoi différez-vous des femmes perdues ? — Il est vrai, vous ne provoquez pas les passants de la voix, mais vous les provoquez par votre mise recherchée, par votre démarche pleine de volupté, par vos regards. — Les hommes que vous rendez adultères par les désirs empoisonnés dont vous leur lancez les traits seraient punis, et vous ne le seriez pas? — Il y a encore, je le sais , des vierges dignes de ce nom , il est inutile de dire que mes reproches ne les atteignent pas. — Mais ces reproches, d'un caractère général, ne sont rien : venons à une accusation plus précise, mettons le doigt sur la plaie de notre époque. — Certaines femmes qui se sont vouées à Dieu et qui se disent vierges logent des hommes dans leur maison. — A quels bruits scandaleux, et quelquefois à quels crimes cela ne donne-t-il pas lieu ? — On devrait les traiter comme Phinées traita la Madianite : mais il vaut mieux pleurer sur elles pour les corriger, s'il est possible. — Notre-Seigneur Jésus-Christ a pleuré sur Jérusalem, saint Paul sur la perte des Juifs, ses frères. — Dieu veut que nous pleurions le malheur des coupables que sa justice est obligée de punir; deux exemples tirés, l'un d'Ezéchiel, l'autre de Michée, le prouvent. — Nouvelle lamentation. — Objections des accusées et réfutation de ces objections : 1° Notre corps est intact. — Votre cœur l'est-il? — L'honneur de Dieu et du christianisme l'est-il ? — Si vous vouliez vivre dans la société des hommes, il fallait entrer dans l'état, non de la virginité, mais du mariage. — Voyez donc à quel point votre virginité mal observée vous dégrade : qui êtes-vous ? quel nom vous donner ? — Vous n'en avez pas qui soit écrit dans les lois : mais quel est celui que l'on vous donne dans les conversations ? — Je n'ose pas le répéter. — 2° Nous n'avons pas d'enfants. — Les prostituées non plus n'en ont pas. — 3° Nous n'arrêtons pas les hommes au passage. — Vous les tenez continuellement enfermés dans vos demeures. — 4° Nos chambres sont séparées. — Je l'admets , le scandale n'en subsiste pas moins. — 5° Mais ces hommes nous rendent. des services. — A les entendre, c'est vous au contraire qui les servez. — Une femme vous servirait mieux. — Digression sur la dégradation d'un homme qui se réduit à servir des femmes comme un vil esclave. — Retour au sujet. — Le scandale. — On ne doit pas mépriser la médisance quand on y a donné lieu ; il faut même la faire cesser sans qu'on y ait donné lieu, quand on le peut. — Cette malheureuse cohabitation vous sépare de Jésus-Christ. — Je crois que c'est la vaine gloire qui vous attache surtout à cette déplorable habitude. — Vous vous éloignez de votre but; en recherchant la gloire, vous rencontrez l'ignominie. —  L'homme qui entre chez vous laisse dehors ce qu'il pouvait avoir de mérite et de bonne réputation. — Il n'est pas convenable à vous de gouverner un homme, puisque cela ne convient même pas à une épouse. — Tenez-vous à l'estime des hommes, n'ayez rien de commun avec eux. — Comment l'on exalte dans le monde les vierges dignes de cette sainte profession; comment l'on vilipende au contraire celles qui cohabitent avec des hommes. — Vos adorateurs eux-mêmes vous méprisent au fond de leurs coeurs. — Les vierges coupables au jugement dernier. —Admirable portrait de la vierge chrétienne. — Le vêtement a été donné à l'homme pour couvrir sa nudité, et non comme une parure. — Il doit nous humilier et non nous donner de l'orgueil. — Ridicule de la cohabitation démontré par une description pittoresque. — Exhortation animée et pathétique sur ce texte de David : Audi filia et vide. (Ps. XLIV, 12.)

 

1. Oh ! malheur, ô mon âme ! c'est bien ici le cas de pousser ce cri avec le Prophète, de répéter cette parole, de la répéter encore et à chaque instant, oh ! malheur, ô mon âme ! quelle chose déplorable ! quel oubli de toute sagesse !

La virginité est couverte d'opprobres. Le voile qui la séparait du mariage n'existe plus, des mains criminelles n'ont pas craint de le mettre en pièces. Le saint des saints est profané. Le sanctuaire vénérable et terrible de la virginité n'est plus qu'un lieu public, ouvert à tous les indignes qui veulent le fouler de leurs pieds impurs. Un état plus parfait que le (110) mariage a été tellement dégradé et avili, qu'au lieu de dire comme autrefois : Heureuses les vierges, il faut s'écrier : Heureuses les personnes mariées ! Comparé au mariage, le célibat avait toujours eu la priorité de dignité et d'honneur; mais aujourd'hui il n'est pas même digne d'occuper le second rang, il a été rejeté à la dernière place, bien loin après le mariage; ce qu'il y a de plus malheureux dans cette profanation , c'est qu'elle vient non des ennemis et des détracteurs de la virginité, mais de celles qui s'étaient spécialement vouées à son culte : oui, celles qui nous donnaient autrefois le droit d'être fiers en face des infidèles et de les défier hardiment, sont aujourd'hui celles qui nous ferment la bouche et nous couvrent de confusion.

Chez les Grecs, quelques hommes, un très-petit nombre, ont été assez sages pour mépriser les richesses et vaincre la colère; mais jamais la fleur de la virginité n'a brillé au milieu d'eux; sous ce rapport, ils nous l'ont toujours cédé, avouant que cette vertu était au-dessus, absolument au-dessus de la nature humaine aussi notre religion était pour eux un objet d'admiration; hélas ! il n'en est pas de même aujourd'hui; ils n'ont plus pour nous que des railleries et des sarcasmes.

Le démon n'a si violemment soufflé sa rage contre cette partie du troupeau , que parce qu'il a reconnu dans cette phalange des vierges le bataillon sacré du Christ; il a réussi à rendre la virginité assez méprisable pour nous faire souhaiter qu'il n'y ait plus de vierges, s'il` faut qu'elles soient ce que nous les voyons. La cause .de tous ces malheurs, c'est que la virginité n'est plus qu'un nom; tout consiste dans une appellation, ce qui est certainement la partie la moins importante de cette vertu. Quant aux conditions essentielles, on les néglige, on néglige jusqu'aux marques extérieures qui caractérisent cet état. On fait profession de virginité, et l'on n'a nul souci de ce qui sied aux vierges, ni de la décence du vêtement intérieur et extérieur, ni du recueillement, ni de l'esprit de componction, ni des autres qualités qui leur sont propres. On se plaît aux conversations les plus futiles, on se livre à une joie déplacée, on vit dans la dissipation, et on se plonge dans les délices plus que les femmes qui s'étalent dans les lieux de prostitution; des femmes qui se disent vierges usent de toutes sortes d'artifices pour attirer les

regards des hommes; elles se jettent dans les turpitudes des courtisanes, comme si elles luttaient avec elles à qui remportera la palme de la honte ! Car enfin, répondez-moi, où trouver quelque chose qui sépare des courtisanes une vierge qui se conduit comme les courtisanes; qui attire dans le piège le coeur des jeunes gens; qui est folâtre , sans retenue , qui présente les mêmes poisons, offre la même coupe et prépare le même breuvage mortel? — Elle ne dit pas, il est vrai : Viens, livrons-nous à l'amour; ni : J'ai parfumé ma demeure de safran, ma couche de cinnamome (Prov. I, 17,18) ; plût au ciel qu'elles eussent embaumé leur demeure et leur couche, et non leurs vêtements et leurs corps l Les prostituées cachent leurs séductions dans leurs maisons, mais toi, vierge indigne de ce nom, tu jettes partout ton filet; portée sur les ailes de la volupté, tu rôdes impudemment sur les places publiques. Non, tu n'as pas articulé ces paroles de la courtisane : Viens, livrons-nous à l'amour. Non, tu ne les a pas dites par la langue, mais tout ton extérieur les proclame; ta bouche a été muette, mais ta démarche parle; ta voix n'a pas invité, mais tes yeux provoquent plus clairement que ta voix. Diras-tu que si tu as provoqué, tu ne t'es pas livrée; tu n'es pas exempte de péché pour cela; cette conduite. est une fornication d'un autre genre. Tu es restée pure de toute flétrissure dans ton corps, mais non dans ton âme. 1'u as commis le péché pleinement, sinon par l'acte charnel, du moins par le regard.

Pourquoi appelles-tu les passants? pourquoi allumes-tu le feu ? comment te crois-tu exempte d'un péché dont tu es la première cause? cet époux, séduit par ton extérieur immodeste, devient adultère, et toi tu ne le serais pas? que serais-tu donc, lorsque tes oeuvres sont des oeuvres d'adultère? Car la folle passion de ce malheureux est ton ouvrage. Puisque tu pousses à l'adultère, tu n'échapperas en aucune façon au- supplice réservé à ce crime. Tu as aiguisé le glaive, tu en as armé . ta main; cette main armée, tu l'as poussée contre cette âme infortunée : comment donc pourras-tu échapper au supplice de l'homicide? Dis-moi, quels sont ceux que nous détestons, que nous repoussons avec horreur? quels sont ceux que punissent les législateurs, les juges? Est-ce celui qui boit un poison mortel, ou celui qui apprête le breuvage, prépare la coupe et perd les autres par ses criminels artifices ? (111) Celui qui boit le poison, n'en prenons-nous pas pitié comme d'une victime malheureuse? Mais les empoisonneurs, ne les accablons-nous pas du poids unanime de toutes nos condamnations? Il ne suffit pas à ceux-ci de dire pour s'excuser; je ne me suis point fait de mal à moi-même, j'en ai seulement fait à un autre. C'est précisément ce qui vous expose à un plus rigoureux châtiment.

Toi, malheureuse, toi, misérable, tu as préparé la coupe mortelle, tu as présenté, tu as donné le poison; et quand le poison est bu, quand il a causé la mort, tu te crois en sûreté parce que, n'ayant pas bu toi-même, tu n'as fait que le donner à un autre ! Eh bien ! toi et tes semblables, vous subirez un châtiment plus rigoureux que les empoisonneurs publics, d'autant plus que la mort que vous donnez est plus terrible ; car, ce n'est pas le corps seulement, mais l'âme que vous frappez à mort. Ces empoisonneurs agissent souvent par fureur ou par colère ou poussés par la misère, pour vous, vous ne pouvez vous retrancher derrière aucun de ces prétextes. Vous n'avez pas d'injure à venger, ni d'ennemis à frapper, ni de misère à repousser; c'est par un simple motif de coquetterie que vous vous jouez du salut des âmes : vous mettez votre jouissance dans leur mort.

2. Mais je ne sais comment j'ai été entraîné à cette digression; il faut revenir au point de départ. Comme si ces désordres ne suffisaient pas pour couvrir de honte tout ce qu'il y a de femmes au monde, ces malheureuses ont encore imaginé quelque chose de plus; je ne parle pas ainsi de toutes indistinctement, je ne suis pas assez misérable pour mêler, pour confondre le bien avec le mal. Ce que j'ai dit et ce que je dirai ne regarde que les coupables.

Je le disais donc, comme si ce que je viens de leur reprocher ne suffisait pas pour produire tout le scandale auquel elles aspirent, elles admettent des hommes qui ne leur sont rien à partager leur demeure, elles s'enferment et passent leur vie avec eux; on dirait qu'elles tiennent à prouver, par ce fait et par ceux que nous avons signalés plus haut, qu'elles n'ont embrassé la virginité que malgré elles, que c'est par contrainte qu'elles ont subi ce joug, et qu'elles ont à cœur de se venger de la violence qu'on leur a faite. Est-ce tout encore? N'entendons-nous pas dire, sur le compte de celles qui donnent ces sortes de scandales, des choses encore plus graves? Et ceux qui les connaissent ont-ils tort , quand ils s'écrient qu'on ne devrait pas les laisser vivre, respirer; qu'il faudrait plutôt les couper en morceaux ou les enterrer vivantes avec leurs complices. Car, voilà ce que disent d'elles ceux qui savent ce qui se passe dans leur intimité.

Du reste, on voit tous les jours des sages-femmes accourir dans les maisons des vierges, comme s'il s'agissait d'un accouchement; tel n'est pas cependant, à part quelques cas où cela arrive, le motif de leur visite. Elles sont appelées pour voir et examiner, comme cela se pratique à l'égard des esclaves que l'on achète, quelles sont celles qui sont vierges encore, quelles sont celles qui ne le sont plus. L'une se soumet sans peine à cet examen; l'autre s'y refuse, et se voit par ce seul fait condamnée, fût-elle innocente; l'une a été jugée coupable, l'autre non, mais cette dernière n'est pas moins couverte de honte que la première, puisque ses moeurs ne peuvent pas, par elles-mêmes, témoigner en sa faveur, mais qu'il faut recourir aux preuves matérielles. Qui pleurera ces désordres, qui les punira comme ils méritent de l'être? Il faudrait avoir la dureté et l'insensibilité du marbre pour ne pas se sentir brûlé du zèle d'un Phinées. Oui, si cet homme avait été témoin d'une pareille infamie, il n'aurait pas épargné les coupables; il les aurait traités comme il traita la Madianite. (Nom. XXV, 14.) Pour nous, il ne nous est pas permis de prendre le glaive, ni de percer avec la lance ceux qui commettent ces abominations, mais nous éprouvons les mêmes sentiments que ce saint personnage; Dieu ne nous ayant pas confié sa vengeance, nous soulageons notre douleur autrement, c'est-à-dire par des pleurs et des lamentations.

Venez donc, pleurez et gémissez avec nous, vous qu'une si honteuse contagion n'a pas atteintes; ces infortunées, ces misérables sont peut-être tellement plongées dans leur misère, qu'elles ne s'aperçoivent plus du mal affreux qui les ronge. Mais vous qui avez embrassé cette sainte profession de tout votre coeur, vous qui vous êtes rendues dignes des chastes embrassements du céleste Epoux, vous qui portez des lampes toutes brillantes et qui êtes plus ornées de la glorieuse couronne de la virginité que du diadème des rois, pleurez avec nous; poussez d'amers gémissements, vos larmes ne sont pas un remède de peu d'efficacité (112) et pour la guérison de ces malades désespérées et pour la consolation de ceux qu'affligent leur vie coupable: C'est ce que fit quelquefois votre Époux céleste. Voyant Jérusalem se précipiter vers sa ruine, et refuser le salut qu'il lui apportait, il se prit à pleurer sur le sort de cette malheureuse cité. (Luc. XIX, 41.) A l'égard de Bethsaïde, il n'a recours ni aux avertissements, ni aux miracles; sa commisération, voilà tout ce qu'il accorde à cette ville coupable , ainsi qu'aux autres qui sont ensuite nommées, s'écriant sur chacune d'elles : malheur à toi ! malheur à toi !

Le bienheureux Paul suivit l'exemple de son Maître: pendant toute sa vie il ne cessa de pleurer ceux qui, une fois tombés, restaient par terre, sans vouloir se relever, et il pleurait avec une amertume dont ses paroles aux Romains sont une preuve évidente. Ma tristesse est grande, et c'est une douleur continuelle pour mon coeur. Car moi-même je désirais d'être frappé d'anathème par le Christ, pour mes frères qui sont mes proches selon la chair, les Israélites. (Rom. IX, 2-4.) Quelle énergie dans ces paroles, comme elles expriment les cruelles angoisses du coeur ! De plus, il pleure sur les fidèles qui chancèlent et que les tempêtes sont sur le point de submerger, comme si lui-même éprouvait le même malheur : Qui de vous, dit-il, est faible sans que je sois faible aussi ? Qui est scandalisé, sans que je sois brûlé moi-même? (II Cor. II, 29.) Il ne dit pas: « contristé »,mais: « brûlé », voulant exprimer parce mot une douleur insupportable, insurmontable. Imitons nous aussi et Notre-Seigneur et son serviteur. Car nous serons largement récompensés de tous nos gémissements et de nos larmes, comme aussi le Seigneur traitera bien sévèrement ceux qui ne portent pas d'intérêt à leur prochain et ne font nulle attention aux maux qu'il souffre. On voit des exemples frappants de cette conduite de Dieu dans Ézéchiel, si sublime par sa patience, et dans le bienheureux Michée. Le premier raconte que les Juifs, s'étant livrés à tous les crimes possibles, et souillés par l'adoration volontaire des idoles, Dieu ordonna de marquer d'un signe le visage de ceux qui gémissaient et se lamentaient sur les crimes qu'ils voyaient commettre (car il ne suffisait pas de gémir en secret, il fallait encore faire éclater publiquement sa douleur). Ainsi quoique ces Juifs n'eussent rien dit ni rien fait pour corriger les coupables; par cela seul qu'ils avaient apporté le tribut de leur douleur, ils méritèrent de recevoir du, Dieu des miséricordes cette rare distinction avec une grande sécurité pour l'avenir et une grande gloire. Michée, à tous les autres reproches relatifs aux excès de table, à l'ivrognerie et à l'usage des parfums, ajoute le manque de compassion : Ils ne compatissaient pas, dit-il, aux malheurs de Joseph. (Amos, VI, 6.) Il adresse encore le même reproche aux habitants de la ville d'Anan, en disant : Qu'ils ne sont point sortis pour pleurer sur la maison de leurs voisins. (Mich. I, 11.) Si Dieu, dans sa colère, reprend l'homme qui ne pleure pas sur le sort de ceux qui subissent un juste châtiment, de quelle indulgence sera digne celui qui ne s'attriste pas au sujet d'un homme tombé dans le péché?

Ne vous étonnez pas que nous soyons tenus de compatir aux maux de ceux mêmes que Dieu punit; car Dieu qui punit voudrait bien ne pas punir : Ma volonté, dit-il, ne veut pas la mort du pécheur. (Ezéch. XVIII, 23.) Si donc celui, qui exerce la vengeance voudrait ne pas l'exercer, à plus forte raison devons-nous pleurer sur ceux qui sont punis; peut-être, par ce moyen, les retirerons-nous du précipice, peut-être les regagnerons-nous à Dieu.

Quand même nos malheureuses soeurs seraient perdues sans ressources , faisons encore tout ce qui dépend de nous; pleurons et gémissons, ne rassemblons pas des choeurs de pleureuses, mais que chacun, loin des coupables, verse des larmes en secret. Si vous le voulez, je commencerai moi-même ce cantique de deuil : je n'ai point honte de l'entonner avec Jérémie, Isaïe, Paul, et avant tout avec Notre-Seigneur. Commençons donc et disons comme le Christ : Malheur à toi, âme infortunée ! A quelle haute dignité t'appelait la bonté et la miséricorde de Dieu ! A quelle infamie descendras-tu par ta lâcheté ! Malheur à toi ! L'Époux céleste lui-même t'invitait à une union divine, et toi, tu as préféré te soustraire violemment à cet honneur, tu t'es précipitée dans le feu du démon et condamnée aux supplices les plus affreux : là seront les pleurs et les grincements de dents, là point de, consolateur, personne qui te tende une main secourable, tout sera ténèbres, angoisse, trouble, là des malheurs sans adoucissement, sans fin. Tels sont les maux enfantés par (113) l'amour du monde, voilà ce qui t'attend pour avoir préféré la terre au ciel et pour n'avoir pas voulu entendre la voix de l'Epoux qui sans cesse t'avertissait de rompre tout commerce avec le siècle. Malheureuse, qui pourra désormais avoir compassion de toi? C'est en vain que tu invoquerais Noé qui, dans le déluge universel, sauva toute sa famille dont il fut le protecteur dans ce jour de colère, c'est en vain que tu appellerais à ton secours Job, Daniel, et avec eux Moïse et Samuel et le patriarche Abraham, aucun ne te tendra la main; tu tiendrais à ces grands hommes par la race, tu serais leur fille, tu serais leur sueur, tu redoublerais tes supplications comme le mauvais riche de l'Evangile, efforts inutiles, avantages superflus. Comment es-tu tombée du ciel, toi qui n'es pas Lucifer (Isaïe, XIV, 12), ni l'étoile du matin, mais qui pouvais briller d'un éclat plus vif que les rayons du soleil? Comment es-tu là assise à l'écart, abandonnée? Non, ces lamentations faites pour Jérusalem, on n'exagérerait pas en les appliquant à l'âme captive d'une captivité plus dure que celle qui pesait sur la capitale des Juifs.

3. Mais, assez de lamentations, assez, dis-je, pour l'étendue de cet écrit; pour déplorer comme il convient le sort d'une âme accablée de tant de malheurs une vie tout entière ne suffirait pas. Que faudrait-il déplorer avant tout? Est-ce le vénérable, le saint, le grand nom de Dieu blasphémé à cause de vous au milieu des nations et sa gloire profanée? Est-ce une profession, par elle-même si vénérable et si grande, calomniée? Est-ce le malheur de tant d'âmes perdues par vos scandales? La gloire de votre saint ordre, honteusement ternie? Le feu inextinguible réservé à vous et à ceux qui habitent avec vous? Toutes ces menaces, dira-t-on, sont vaines, puisque nous pouvons prouver que notre corps n'est ni altéré, ni souillé. Nous saurons ce qu'il en est au grand jour des manifestations. La sage-femme, en effet, peut bien, par son art et sa science, voir si le commerce avec un homme a détruit l'intégrité de votre corps; mais avez-vous évité les attouchements déshonnêtes ? l'adultère, ne l'avez-vous pas commis par les baisers et les embrassements? Avez-vous évité toute souillure ? c'est ce que manifestera ce grand jour, lorsque le Verbe vivant de Dieu, qui dévoile les pensées cachées de l'homme et qui voit ce qui se passe dans le secret, placera toutes choses sous les yeux du monde entier à nu et à découvert; alors nous saurons si vous avez conservé votre corps parfaitement pur et intact.

Pourtant, ne soyons pas si minutieux et ne disputons pas; admettons que, triomphant de tous les pièges du démon, le corps soit resté pur et n'ait subi aucune flétrissure et que, vierge, vous soyiez restée vierge. En quoi cela affaiblit-il la force de nos paroles? En rien, et c'est là le plus grand de vos malheurs, celui qui mérite le plus d'être pleuré. Voilà donc à quoi viennent aboutir tant de combats livrés, tant de précautions prises contre le dernier degré de séduction; à faire blasphémer le nom de. Jésus Christ ! vos résistances ont sauvé l'honneur de votre chair, ont-elles sauvé l'honneur du christianisme? Tous vos efforts n'ont eu pour but que de préserver votre corps, et vous n'avez pris aucune peine pour épargner à Dieu les outrages et les dédains des hommes. Je voudrais que vous eussiez un peu moins travaillé à ternir la gloire de votre Dieu. Et comment l'ai-je ternie? répondez-vous : je vous l'ai déjà dit : en recevant des hommes dans votre maison, en vivant familièrement avec eux. Si vous désiriez la société des hommes, il ne fallait pas embrasser la virginité, mais vivre dans le mariage; il eût mieux valu vous marier que de vous dire vierge, en vivant comme vous faites.

En effet, Dieu ne condamne pas le mariage et les hommes l'estiment; c'est une union honnête, qui n'offense personne, ne blesse personne; tandis que la virginité qui ne sait pas se passer de la société des hommes, se fait réprouver de tout le monde, perd son rang et sa dignité propre, et tombe plus bas que la prostitution même. On ne saurait compter au nombre des vierges celle qui ne s'occupe pas des choses de Dieu et qui rend beaucoup d'hommes adultères; on ne la mettrait pas non plus au nombre des femmes mariées. L'épouse n'a le souci de plaire qu'à un seul homme; vous, c'est à une foule d'hommes que vous voulez être agréable, et cela sans qu'un mariage légitime vous unisse publiquement à aucun : ce qui existe entre eux et vous, c'est je ne sais quel lien honteux, cause de scandale pour tous ; et objet de la réprobation générale. C'est pourquoi je crains que, n'ayant la dignité ni de la vierge ni de l'épouse, vous ne soyez réduite à l'état humiliant des femmes dont le (114) déshonneur est public. Si quelqu'un voulait juger de l'état dans lequel vous vivez parle nom qu'il porte dans le monde, vous ne pourriez rien répondre. Toutes les fois que vous paraissez en public, toutes les fois qu'en particulier on s'entretient de ces absurdes liaisons, quel nom donne-t-on à la femme? On ne dit pas, c'est la mère d'un tel ; car elle ne l'a pas enfanté: ni, c'est sa sueur; les mêmes entrailles ne les ont pas portés : ni, c'est son épouse; la loi du mariage n'a pas sanctionné leur union. En un mot, aucun des noms de parenté écrits dans la loi et autorisés par elle ne convient à cette singulière union. Il ne reste plus qu'une appellation honteuse et méprisante que je ne voudrais pas prononcer, tant je l'ai en horreur, tant je la repousse : je préfère encore la dénomination de cohabitation.

Mais, direz-vous, je ne suis pas devenue mère, je n'ai pas connu les douleurs de l'enfantement? Quoi de plus misérable que cette défense? et quoi de plus honteux que de vouloir se donner comme vierge en recourant à des preuves que pourraient employer des femmes de mauvaise vie? Mais ces femmes , répliquez-vous, on peut, par d'autres indices les convaincre de leur commerce infâme. Quels indices; dites-moi? sont-ce leurs vêtements, leurs regards, leur démarche, les amants qu'elles attirent? Voilà bien, je l'avoue, les marques d'une prostituée. Mais, prenez bien garde qu'on ne vous reconnaisse d'abord vous-même dans le portrait que vous venez de tracer. Ne vous voit-on pas vous aussi, entourée d'une foule d'adorateurs, que vous séduisez par les mêmes appâts, que vous prenez dans les mêmes filets? Vous n'appelez pas les passants dans votre maison, soit, mais, ce qui est bien plus grave, vous tenez vos amants toujours renfermés chez vous, et cela pour une seule raison, pour je ne sais quelle satisfaction que vous goûtez l'un et l'autre à demeurer ensemble. Je ne parle pas de l'union charnelle, puisque vous n'allez pas jusque-là; mais qu'importe, si vous commettez le même péché par le commerce des .regards. S'il n'en n'était pas ainsi et si vous ne commettiez pas l'adultère par le regard, pourquoi garder cet homme dans votre maison? Quel motif légitime, raisonnable, pourrez-vous alléguer ? Une épouse dira : « le mariage; » une prostituée : « le libertinage; » mais vous, vierge, quelle cause juste et digne d'être mise en avant pourrez-vous alléguer?

4. Mais pourquoi, dites-vous, cette enquête si minutieuse et si acharnée? Ne vous suffit-il pas de savoir que ces hommes ne partagent pas le même lit avec nous, qu'il n'existe entre eux et nous aucun commerce charnel comme il en existe entre les femmes de mauvaise vie et leurs amants.? — Plusieurs pourtant affirment positivement le contraire. — Eh bien ! répliquez-vous, que cette calomnie retombe sur eux. — Si cette accusation né doit retomber que sur eux, c'est ce que nous verrons plus tard. Nous avons déjà démontré dans le dis, cours que nous avons adressé aux hommes vos complices, qu'en cette circonstance la même culpabilité pèse et sur ceux qui médisent et sur qui ceux donnent lieu à la médisance. Néanmoins nous le démontrerons encore une fois. En attendant, si je vous demande pourquoi vous habitez avec un homme, vous ne pourrez absolument rien me répondre. Mais, dites-vous, je suis faible, je suis femme, et seule je ne puis me suffire. Pourtant, quand j'ai fait les mêmes représentations à ces hommes qui habitent avec vous, ils m'ont répondu au contraire, qu'ils vous conservaient près d'eux pour que vous les servissiez. Quand il s'agit de servir des hommes, vous trouvez en vous une surabondance de forces, et pour vous rendre ces services mutuels entre femmes, les forces vous manqueraient au point de vous obliger à appeler à vous des aides d'un autre sexe! Comment cela se fait-il? Non, il est plus avantageux et plus convenable que l'homme habite avec l'homme, et la femme avec la femme; les hommes trouvent votre service préférable à celui des hommes, les personnes de votre sexe devront penser de même, à plus forte raison.

En quoi, je vous le demande , là compagnie d'un homme peut-elle vous être nécessaire? Quelle fonction peut-il remplir à l'égard d'une femme, qu'une femme elle-même ne puisse remplir ? est-ce qu'il pourra mieux qu'une femme filer la laine et faire de la toile? c'est le contraire, il n'y réussirait pas avec la meilleure volonté du monde, à moins que vous ne lui apprissiez ce métier qui est exclusivement un métier de femmes. Saura-t-il laver les vêtements, allumer le feu, faire bouillir la marmite? encore moins; une femme fait mieux tout cela qu'un homme.

En quoi donc, je le répète, un homme, peut- il vous être utile? est-ce quand il s'agit de vendre ou d'acheter? ici encore la femme n'est (115) pas douée de moins d'aptitude que l'homme ; allez sur la place publique: par qui se fait le commerce des étoffes? par des femmes. Si vous dites que c'est une honte pour une vierge, et c'en est une en effet, de rester sur une place pour faire du commerce, je vous demanderai s'il n'est pas plus honteux encore d'habiter avec un homme? Evitez, je le veux bien, je vous y engage même, une occupation peu convenable à votre état, laissez le soin de vendre et d'acheter à la jeune fille qui sert comme domestique, ou aux personnes âgées qui sont propres à ces sortes de choses; mais évitez à plus forte raison une honteuse cohabitation.; De tout ce qui vient d'être dit, je conclus que ces raisons ne sont que de vains prétextes, et comme des voiles qui cachent une grande misère. Quelle misère, dites-vous, quels voiles ? Si je voulais un époux, si je désirais le mariage, qui pourrait m'empêcher d'embrasser cet état? ne saurais-je pas le faire sans que Dieu fût offensé, et sans que les hommes eussent des reproches à m'adresser? c'est précisément ce que je dis, et ces paroles sont moins les vôtres que les nôtres. Mais il reste toujours à nous dire en quoi un homme vous est si nécessaire , et si vous ne pouvez nous le dire, il faut chasser celui qui habite avec vous au scandale de tous, c'est le seul moyen que vous ayez de détourner de vous le déshonneur; car, encore une fois, ce que vous venez de dire se tourne contre vous; c'est précisément le langage que tiennent ceux qui gémissent de votre honte. Quand même le ministère d'un homme vous eût été très-avantageux, il ne fallait pas vous en servir au risque de vous déshonorer; là où la gloire de Dieu souffre préjudice, il ne peut exister de motif pour dispenser de tenir compte d'un si grand mal. Que dis-je? quand il faudrait mourir mille fois par jour pour éviter un tel malheur, on devrait le faire avec la plus grande joie, à plus forte raison ne doit-on pas s'y exposer pour un peu de repos, pour quelque soulagement à procurer à son corps. Ecoutez avec quel tremblement saint Paul redoutait de porter atteinte à la gloire de Dieu. J'aime mieux mourir, dit-il, que de voir quelqu'un me ravir ce qui fait ma gloire. (I Cor. IX, 15.) Oui, pour ne pas perdre ce qui faisait sa gloire, il eût préféré la mort, et nous, pour faire disparaître un scandale, nous ne mettons pas de côté un tout petit avantage? se laisser ravir ce qui fait sa gloire et sa réputation, et persister dans le crime, quelle différence ! Et comment serons-nous sauvés? En consentant à ce qu'on voulait de lui, saint Paul n'aurait point offensé Dieu , car Dieu lui-même avait déclaré qu'il avait le droit de vivre de l'Evangile, et pourtant il aurait mieux aimé mourir que de renoncer à la généreuse résolution qu'il avait prise de se suffire à lui-même; et nous , au mépris de l'ordre établi partout , nonobstant les jugements de Dieu, nous ne voulons pas rompre avec une misérable habitude, une habitude qui choque toutes les bienséances. Où est notre excuse pour compter sur l'indulgence du souverain Juge? quand même un homme paraîtrait nécessaire pour rendre certains services, comme déjà je l'ai dit, il vaudrait mieux, à cause des graves scandales qui en résultent, choisir la mort que de s'exposer à de tels inconvénients; mais, puisqu'une femme peut vous rendre tous les services dont vous avez besoin, et plus convenablement, et plus facilement, quel pardon pouvez-vous espérer pour toutes ces sensualités que vous ne craignez pas d'acheter au prix de votre honneur et de votre salut?

Dites-moi encore ceci : aux services que cet homme vous rend, ne répondez-vous pas par des services réciproques? Personne n'en doute. — Combien donc ne vaudrait-il pas mieux ne recevoir aucun service pour n'en pas avoir à rendre, et profiter pour vous du temps que vous employez à ménager le repos d'un autre? A cela vous gagneriez doublement : vous auriez moins de peine, et vous ne perdriez pas votre réputation.

Vous ne lui rendez aucun service, direz-vous? Le voilà donc obligé d'être lui-même son propre serviteur. Arranger son lit, allumer le feu, préparer les aliments et se livrer à toutes les occupations de ce genre. Un serviteur ne voudrait pas faire une pareille besogne sans recevoir un salaire. Cet homme, dites-vous, la fait, lui, par des motifs de piété et à cause de la récompense qui en couronnera les fatigues; il nous saura gré des services que nous exigeons de sa docilité, bien loin de demander aucun salaire. — Comment donc fermerons-nous la bouche à ces effrontées qui ne sont jamais à court d'objections? — Si sa piété est aussi éminente que vous prétendez, s'il craint Dieu et respecte ses commandements au point de s'abaisser, pour ce motif, au-dessous du dernier des esclaves et de vous rendre tous (116) les services imaginables sans recevoir aucune récompense, avant tout ne devrait-il pas s'intéresser à l'honneur et à la gloire de Dieu? Comment expliquer de la part de la même âme et dans le même moment, tant de soumission et tant de mépris pour les commandements de Dieu? Comment concilier une si entière et si craintive docilité aux lois divines, avec l'outrage que l'on jette si hardiment au législateur divin lui-même ?Vous le supposez invulnérable aux traits de la volupté, supérieur aux faiblesses de la nature humaine; il s'humilie, se mortifie, se condamne à toutes sortes de travaux, pour procurer du soulagement aux autres. Voilà, je l'avoue, une vertu sublime, une charité héroïque. Mais pourquoi néglige-t-il les devoirs les plus ordinaires, ceux que l'on voit remplir aux hommes de la vertu la plus commune : s'abstenir de flétrir la gloire de Dieu, ne rien se permettre qui puisse provoquer les blasphèmes de l'impiété? Comment donc croirons-nous que vous fassiez uniquement pour Dieu, et par pur esprit de pénitence, des choses qui demandent, qui supposent une âme grande et généreuse, lorsque vous n'avez pas la force de pratiquer le devoir le plus simple, le plus élémentaire? Vous qui êtes si parfait, comment se fait-il que vous refusiez de sacrifier une liaison qui outrage Dieu, que vous persistiez dans un état qui lui déplaît au risque de vous perdre vous-mêmes corps et âme? A qui pourra-t-on faire croire de pareilles choses ? — Mais je ne sais pourquoi j'ai laissé de côté les vierges pour parler de ceux qui habitent avec elles: je reviens à mon sujet.

5. Il circule sur leur compte des bruits injurieux que je voudrais arrêter. — Ne vous en mettez pas en peine, me dit-on. — Est-ce là le fait d'une âme qui craint Dieu? Ne nous inquiétons pas des médisants, lorsque nous ne donnons pas lieu à la médisance, soit; — et encore devons-nous, même alors, leur fermer la bouche, si nous le pouvons; mais si la faute vient de nous, attendons-nous à voir retomber sur notre tête tout le feu qu'elle allumera dans l'enfer : Si vous péchez contre vos frères, dit l'Apôtre, et si vous blessez la conscience de ceux qui sont faibles, c'est contre le Christ que vous péchez. (I Cor. VIII, 12.) Il savait et savait très-bien que nous ne trouverions pas une excuse dans la faiblesse de ceux qui se scandalisent, mais que cette faiblesse serait précisément la cause de notre condamnation. Oui, plus nous sommes innocents du scandale, plus il est digne de nous de ménager la faiblesse de ceux qui en souffrent. Je ne soutiens pas encore qu'on a raison de se scandaliser de votre conduite ; je suppose au contraire qu'on se scandalise à tort : même dans ce cas il faut tenir compte de la faiblesse du prochain. Cette doctrine est celle de saint Paul dans son Epître aux Romains: N'allez pas, dit-il, sous prétexte de prendre votre nourriture, détruire l'œuvre de Dieu. (Rom. XIV, 20.) Ceux dont parle l'Apôtre se scandalisaient à tort, pourtant ses reproches tombent non sur ceux qui sont scandalisés, mais sur celui qui scandalise. Car, je le répète, c'est seulement lorsque l'avantage surpasse le dommage qu'il ne faut pas tenir compte de ceux qui se scandalisent. Si l'unique résultat de votre conduite est la ruine des faibles, quand même ils auraient mille fois tort, il faudrait les épargner. Dieu appliquera la sentence. portée par lui et punira ceux qui poussent les autres vers leur ruine : parce que nuire gratuitement à autrui, suppose un coeur très-méchant. Quand nous voyons un homme que sa mauvaise santé rend morose, nous renvoyons de la maison ceux qui le fatiguent, sans trop nous inquiéter s'ils ont tort ou non; nous n'écoutons même pas leurs justifications; nous pardonnons tout au malade à cause de son état; et quand même son irritation serait injuste , nous lui donnons droit par pitié. Si donc nous usons de ces précautions en faveur de nos serviteurs et de nos enfants, si nous allons jusqu'à punir un fils pour cette faute, à plus forte raison, Dieu agira-t-il de la sorte, lui si bon, si clément, si juste?

N'objectez donc plus la faiblesse de celui que vous scandalisez. S'il est faible, c'est une raison pour l'épargner et non pour le blesser : Est-il blessé ? n'aigrissons pas sa plaie, pansonsla. Forme-t-il des soupçons injustes et téméraires? nous devons les faire disparaître et non les fortifier. C'est pécher contre le Christ que de contester cette doctrine. N'entendez-vous pas dans l'Ancien Testament Moïse dire souvent: Dieu est un Dieu jaloux (Exod. XX, 5) ; et encore : Je suis jaloux de Jérusalem (Zach. I, 14) ; et dans le Nouveau, Paul qui s'écrie : Mon amour pour vous me rend jaloux, mais jaloux selon Dieu? (II Cor. XI, 2.) Ce motif, quand il serait seul, devrait suffire pour ramener une (117) âme quine serait pas très-malade et très-pervertie. Si terrible qu'elle soit, cette jalousie de Dieu est encore plus douce que terrible. La jalousie ne va pas sans un grand amour, sans une charité ardente, lajalousie de Dieu est donc la preuve de la charité ardente, de l'immense amour de Dieu pour nous. La jalousie de Dieu n'est pas de la passion: mais Dieu voulant nous faire comprendre en une certaine façon la grandeur de son amour s'est souvent servi pour cela de cette expression. Et pourtant nous, insensés que nous sommes ! nous nous rabaissons aux affections humaines, nous outrageons Celui qui nous aime à ce point, et ceux qui ne peuvent être pour nous d'aucune utilité, nous avons pour eux toutes sortes d'égards et de tendresses.

Dites-moi, infortunée que vous êtes, quelle utilité retirez-vous de ce commerce misérable, en compensation des grands biens dont il vous prive? Voyez, je vous prie, il vous éloigne du ciel, il vous chasse de la chambre nuptiale du Fiancé céleste, il vous arrache à ses chastes embrassements , il vous prépare ici-bas des douleurs continuelles et vous montre dans l'avenir des tourments sans fin ! Quand même, celui qui habite avec vous, vous donnerait en retour de l'or en abondance, quand même il serait plus attentif que le plus fidèle des serviteurs , quand même il vous élèverait en honneur et en dignité comme une reine glorieuse, ne devriez-vous pas le repousser, l'avoir en horreur comme un ennemi, un fléau, un être odieux qui vous ravit plus qu'il ne vous donne? Votre devoir serait de vous appliquer aux biens célestes, au royaume futur, à la vie immortelle, à une gloire ineffable, et vous, vous ne parlez que d'affaires temporelles et vous honorez comme votre seigneur et maître celui que vous croyez utile à l'administration de ces biens, et vous ne vous cachez pas , et vous ne dites pas à la terre de vous engloutir pour vous dérober à la honte ! Mais voilà que vous mettez en avant la faiblesse de la femme, le maniement des choses temporelles, la tranquillité de votre maison : imagination que tout cela, prétextes vains ! vous ne tromperez pas les personnes clairvoyantes. Non, non, point de repos au prix d'une telle honte ! une femme, si elle veut, peut non-seulement se suffire à elle-même; mais encore être utile à beaucoup d'autres, puisque dès l'origine des choses l'homme a dû se charger de l'administration des affaires civiles et politiques, et que la femme a eu en partage le soin et le maniement des affaires domestiques. Ce n'est donc pas pour votre tranquillité que vous entraînez des hommes dans l'intérieur devos maisons. Pour quel motif est-ce donc? pour satisfaire des passions honteuses ? je ne le dis pas: arrière un tel langage , je reprends même sans cesse ceux qui parlent ainsi : fasse le ciel que je les persuade ! Voulez-vous que je vous dise, moi, quel est votre motif ? c'est l'amour de la vaine gloire. La cohabitation procure aux hommes un plaisir insipide, une jouissance misérable, et les femmes la désirent par amour de la vaine gloire et pour satisfaire leur vanité.

6. Le genre humain, presque tout entier, est avide de vaine gloire ; cela est vrai surtout pour les femmes. Cette cohabitation n'ayant pour objet ni l'utilité, je l'ai démontré, ni le plaisir des sens, il est évident qu'on ne peut plus supposer qu'un seul motif pour expliquer une telle conduite. Voilà donc la racine du mal, la vaine gloire : Laissons tout le reste de côté, seulement cherchons à leur prouver (et puissions-nous réussir) que leur sort est le même que celui des hommes. Les hommes, en habitant avec des vierges, paraissent, à la vérité, jouir d'un certain plaisir; mais, au fond, leur vie n'est qu'un supplice perpétuel: la pure et véritable satisfaction n'arrivera qu'avec la séparation et la retraite. De leur côté, les vierges s'imaginent que cette cohabitation fera rejaillir sur elles un certain éclat; mais pour l'oeil observateur, de combien de ridicule, de honte, d'opprobre et d'ignominie n'est-elle pas la source? J'ai déjà dit un mot là-dessus en commençant, parlons-en encore. Je suppose que l'homme qui habite avec vous rie soit pas vil et méprisable, mais qu'il soit revêtu d'une grande dignité dans l'Eglise, et que par l'éclat de sa naissance, son savoir et sa piété, il fasse l'admiration de tous , étant vraiment remarquable sous tout rapport, eh bien ! cet homme, même dans de pareilles conditions, ne pourra vous rendre illustre et recommandable. Quand nous voulons tirer gloire de l'amitié de quelqu'un, nous devons d'abord sauvegarder l'honneur de cette personne, car si elle perd son honneur, comment le partagera-t-elle avec nous? ou plutôt comment son déshonneur ne deviendra-t-il pas le nôtre? Ainsi, quand une source est empoisonnée, le courant formé par elle est empoisonné lui-même; quand la racine d'un (118) arbre est gâtée, les fruits n'en sont pas sains quand l'homme qui doit illustrer une vierge du reflet de sa gloire devient lui-même ridicule et méprisable, précisément parce qu'il habite avec elle, cette vierge tombe elle-même dans le ridicule et le mépris avant lui et avec lui. Ainsi, une femme jouissait d'une bonne réputation, mais voilà qu'un homme met-le pied chez elle, loin d'apporter une nouvelle gloire dans la maison, il en chasse la bonne réputation. Il en est de même pour l'homme s'il jouit de l'estime générale, elle le quitte aussitôt qu'il entre chez vous. Cette cohabitation ne vous procure donc pas une bonne renommée , loin de là , elle vous enlève celle dont vous jouissiez et vous en apporte une mauvaise que vous n'aviez pas; et l'on peut dire ici ce que le Prophète disait des Juifs : Si jamais l'éthiopien perd sa couleur, le léopard changera aussi sa robe tachetée (Jér. XIII, 23), et l'on verra aussi les vierges qui habitent avec des hommes se laver de la tache qui les déshonore. C'est comme un chancre qui ronge leur réputation, et dévore leurs vertus.

Peut-être s'imaginent-elles qu'il est glorieux de commander à des hommes : vanité ridicule, qui convient bien et qui ne convient qu'aux courtisanes. Des femmes honnêtes et chastes ne mettront jamais leurs jouissances à tendre ainsi des piéges , d'autant plus que je trouve encore là une nouvelle ignominie, plus elles exercent d'empire sur les hommes, plus elles leur imposent de lourds fardeaux et plus elles s'ensevelissent avec eux dans une honte profonde. La femme que tous honorent, la femme vraiment considérée, n'est pas celle qui fait de l'homme un esclave, ruais celle qui le respecte. Au reste, si elles ne peuvent supporter nos paroles, la parole de Dieu est là pour les réduire au silence : C'est vers ton époux que tu dois porter ton cœur, et lui aura l'empire sur toi, car le chef de la femme, c'est l'homme. (Gen. III, 16; 1 Cor, II, 3.) Dans une foule de passages vous pouvez vérifier les prescriptions de la loi : tel est l'ordre établi dès l'origine aussi est-ce un désordre hideux que de voir en haut ce qui doit être en bas, la tête en bas et le corps en haut. Si un tel renversement est honteux dans l'état du mariage, il le deviendra bien davantage encore dans cette cohabitation, où la gravité du péché vient de ce que non-seulement la loi divine est violée, mais de ce que la flétrissure d'une mauvaise réputation est imprimée au front et de l'homme et de la femme. Habiter avec un homme, c'est une honte; le dominer est une honte plus grande encore. La gloire ne consiste pas à commander en tout et partout, il peut fort bien arriver que la gloire soit du côté de celui qui obéit, et la honte le partage de celui qui commande.

Si donc vous voulez jouir d'une véritable gloire auprès des hommes, qu'il n'y ait rien de commun entre eux et vous; arrière toute fréquentation, tout regard, toute cohabitation alors et les femmes et les hommes vous admireront et respecteront en vous une vierge assise près de l'Epoux, comme une compagne inséparable : alors non-seulement les chrétiens nos frères, mais même les païens et les juifs, et tous les hommes approuveront votre conduite. Aimez-vous la gloire? suivez cette route, rien que cette route : alors on dira que vous appartenez non à tel ou tel, mais au Christ; est-il pour vous un honneur comparable à celui-là? Dites-le-moi , quelles louanges plus dignes d'envie que celles qui retentissent sur le forum, dans les maisons, ici et même dans les autres villes : « Telle jeune personne dans la fleur de l'âge et dans tout l'éclat de la beauté n'avait qu'à vouloir, et de brillants partis assuraient son sort; elle n'a pas voulu elle a mieux aimé tout endurer, tout souffrir que de renoncer à l'amour du Christ et de voir se ternir la fleur de sa virginité. Ah! qu'elle est heureuse, oui mille et mille fois heureuse ! Quels biens sont mis en réserve pour elle, que sa couronne sera brillante, quelle grande récompense elle recevra, elle qui le dispute pour la pureté avec les purs esprits! » Voilà ce que l'on dira et davantage encore, et les mères la proposeront pour modèle à leurs filles. Quand on voudra encourager celles qui vivent dans la chasteté et ramener dans le sentier de la vertu celles qui s'en écartent, on répétera ces éloges, on les répétera toutes les fois qu'on parlera de la virginité, et elle sera louée par ceux qui vivent dans la chasteté comme par ceux qui ont fait tous leurs efforts pour obtenir sa main et qui ont été dédaignés et refusés.

Telle et mille fois plus belle sera sa gloire. Mais il en arrivera tout autrement pour celle qui demeure avec des hommes. D'abord lorsque, dans les cercles des hommes débauchés, (119) on censure la virginité, on parle nécessaire ment de ces deux sortes de -vierges; et la première prête des armes à ceux qui défendent la vertu et la seconde à ceux qui l'attaquent. De plus, quand il s'agit de corriger une personne et de l'amener à conformer sa conduite à la règle de la bienséance, la première est citée comme un remède opposé aux mauvaises passions et comme un préservatif contre la corruption du vice : son nom est le plus bel ornement des discours de celui qui prêche la vertu. Mais la seconde est pour ainsi dire placée sur la sellette avec la personne qui reçoit la réprimande : bien qu'éloignée pour le moment, on lui reproche sa honte et son déshonneur. A-t-on une chute à déplorer, il faut qu'elle en partage l'accusation et la honte avec celle qui a failli. Chaque fois qu'une conversation s'engage sur cette matière, autant le bonheur de l'une est porté aux nues, autant la misère de l'autre est traînée dans la boue. Tout le monde fait l'éloge et célèbre la vertu de la première, ceux qui la connaissent, comme les étrangers qu'elle n'a jamais édifiés par le spectacle de sa vie sainte. C'est le contraire pour l'autre : qu'on la connaisse ou qu'on ne la connaisse pas; qu'on ait eu à s'en plaindre ou non , partout on la flétrit , partout on la condamne. La louange et l'admiration ne manquent jamais à ceux qui vivent bien : elles leur sont prodiguées par leurs amis, par les étrangers et même par leurs ennemis. Mais les méchants, les gens corrompus, leurs amis les condamnent eux-mêmes.

Admirable disposition de la divine Providence ! La vertu nous charme et le vice nous fait horreur. La vertu, tous l'approuvent, l'admirent, ceux même qui ne la pratiquent pas, et le vice est maudit aussi bien par les mauvais que par les bons. Il est donc bien évident que celles dont je parle, personnes lâches qui trahissent la vertu, sont méprisées non-seulement par leurs. connaissances, mais même par les étrangers et surtout par ceux qui habitent avec elles. Peut-être disent-ils qu'ils vous aiment et vous admirent, qu'ils sont charmés et de vos services et du plaisir que vous leur procurez : n'importe, dans leur coeur, quand parlera la voix de la conscience, ils vous haïront aussitôt qu'ils réfléchiront et qu'ils verront le filet dans lequel ils auront été pris. Le mal est quelque chose de si odieux, que vous serez condamnées surtout par ceux que vous aurez entourés de plus de soins; comme ils vous connaissent mieux que les autres, étant admis dans votre intimité, votre diffamation ne viendra que d'eux. Et la preuve qu'ils vous haïssent, la voici : souvent ils ont souhaité d'être guéris de cette plaie honteuse, délivrés de cette accablante infirmité; mais la force de l'habitude les retient et aussi un certain plaisir qu'ils croient trouver; cet état d'indécision est pénible, on voudrait s'affranchir, on le voudrait; et cependant l'on trouve un certain charme à rester comme l'on est. Si misérable que l'on soit, on n'est cependant jamais assez privé de bon sens , assez partisan de son propre déshonneur pour vouloir passer toute sa vie dans l'ignominie, être la fable du monde, l'objet de la réprobation, de la risée universelle, devenir le point de mire des plaisanteries, des sarcasmes et des injures de la foule, servir de plastron à la populace sur la place publique; être hué et montré au doigt avec ignominie ! quelle amertume dans cette pensée qui tourmente jour et nuit la conscience et qui, comme un, ver attaché à sa proie, ronge sans cesse le coeur !

Si donc ce déshonneur dont on se couvre devant les hommes, bien qu'ils ne disent rien en public et se contentent de désapprouver en secret cause une si grande douleur, que sera-ce, quand nous irons trouver le céleste Epoux outragé par nous , quand les choses cachées seront mises au grand jour et les coeurs dévoilés; quand on connaîtra tout, parole, attitude, regard, pensée (je ne parle pas de choses plus honteuses) ; quand tout sera démasqué; quand la réalité apparaîtra nue et sans voile aux yeux de l'univers entier ! Quels regrets alors ! quels supplices ! quel tourment ! Toute aine qui ne se présentera pas brillante de vertu comme il convient à une âme unie à l'Epoux des vierges, qui ne sera pas pure de toute tache, de toute ride, de toute souillure, sera perdue et subira les plus terribles châtiments. Si une seule tache peut l'exclure du séjour du bonheur, qui pourra la soustraire aux châtiments, l'arracher au supplice quand les souillures seront ajoutées aux souillures, et que de ses nombreuses blessures s'exhalera une odeur infecte? Méprisée ici-bas, passant sa vie au milieu des plus grandes amertumes, au point qu'elle inspire de L'horreur à tous, amis et ennemis, comment pourra-t-elle s'envoler (120) vers les célestes demeures, couverte de la boue de tant d'iniquités?

Voyez si, dans la maison d'un simple particulier, on laisse entrer un pourceau qui vient de se rouler dans la fange; s'il se présentait, on le chasserait, on le repousserait bien loin, on fermerait sur lui la porte avec dégoût. Si donc les hommes ne peuvent souffrir dans l'intérieur de leurs maisons un animal de ce genre, nourri dans la boue, comment une âme souillée pourra-t-elle entrer dans la céleste Jérusalem où brillent tant de clartés, où tout est resplendissant, abîme immense de lumière dans lequel se plongent les vierges dont l'éclat surpasse tout ce que l'on peut imaginer?

Celles qui n'avaient pas d'huile ont vu se fermer devant elles l'appartement de l'Epoux, et vous, vous osez espérer que le ciel vous sera ouvert l Cependant votre crime surpasse de beaucoup le leur. Celles-là avaient négligé de, soulager les pauvres, et vous, vous perdez une foule d'âmes, quelle différence ! Elles n'avaient point maltraité les pauvres, non, elles furent punies pour n'avoir pas soulagé leurs misères en prenant sur leurs biens. Mais vous, vous maltraitez, vous ruinez; non-seulement vous êtes inutiles, mais vous êtes nuisibles, vous êtes des fléaux pour la religion. Si donc celles qui n'ont pas été nuisibles ont été punies si sévèrement, surtout si l'on considère qu'elles ont gardé la virginité, quel ne sera pas le châtiment infligé à celles qui font beaucoup plus que d'être inutiles, qui se nuisent à elles-mêmes, qui nuisent à ceux qui vivent avec elles, et qui nuisent enfin à tous ceux qu'une telle vie scandalise et qui surtout couvrent d'opprobres le nom du céleste Epoux?

Ignorez-vous donc quelle grande affaire vous avez entreprise? Dans quelle lutte vous êtes engagées7quel poste vous devez défendre au milieu du combat? c'est près du général, que dis-je, c'est à côté du roi lui-même que se trouve votre place, c'est là que vous devez combattre l Dans la guerre, chacun n'occupe pas indifféremment n'importe quel poste; les uns sont vers les ailes, les autres au milieu, ceux-ci à l'arrière-garde, ceux-là sur le front de la phalange; d'autres sont pour le roi comme une escorte d'honneur, et vont partout avec lui : telle est la sainte phalange des vierges, je parle de celles qui méritent vraiment ce nom, c'est là leur place , vers le roi des rois, pas ailleurs; et encore la comparaison est faible, et la vue de ces hommes tout brillants d'or, montés sur des coursiers richement caparaçonnés, couverts de cuirasses étincelantes d'or et de pierres précieuses indique moins la présence du roi que les vierges n'indiquent celle du Christ l Les premiers sont seulement autour du char royal, mais les secondes sont le char royal lui-même, comme les chérubins; elles servent d'escorte comme les séraphins.

7. Lorsque la vierge se montre en public, il faut qu'on voie en elle le modèle accompli de toutes les vertus, elle doit exciter l'admiration universelle comme si tout à coup un ange descendait du ciel; si un chérubin apparaissait sur la terre, tous les hommes porteraient sur lui leurs regards, ainsi une vierge paraissant en public doit frapper d'étonnement et exciter l'admiration. Quand elle paraît en public, qu'elle soit comme dans un désert; qu'à l'église, elle soit recueillie et dans le plus profond silence; que ses regards ne se fixent sur personne, homme ou femme, mais qu'ils soient attachés sur l'Epoux céleste que la foi lui rend présent; que, rentrée dans sa maison, elle lui parle par la prière; qu'en lisant la sainte Ecriture elle n'entende que sa voix; que dans sa solitude elle pense uniquement à cet objet divin de ses désirs et de son amour; qu'elle soit ici-bas comme étrangère et voyageuse; qu'elle ne fasse nullement attention aux choses de ce monde; qu'elle fuie le regard des hommes; qu'elle évite même la conversation des femmes du. monde; qu'elle ne donne à san corps que le nécessaire et sacrifie tout au salut de son âme, et vous verrez de quelle admiration l'entourera le monde. Qui ne serait saisi d'étonnement en voyant une faible femme vivre ainsi de la vie même des anges? qui oserait s'approcher d'elle ? quel mortel se hasarderait à effleurer cette âme entourée des flammes de l'amour de Dieu? Bon gré, mal gré, tous s'éloigneront, tous seront remplis d'étonnement, comme à la vue d'un or étincelant au milieu d'un brasier. L'or, de lui-même, est très-brillant, mais quand il réfléchit l'éclat du feu, on peut à peine en soutenir les rayons. Si cela est vrai d'une vile matière, quel admirable spectacle, quel spectacle digne des hommes et des anges eux-mêmes, qu'une âme toute d'or par ses vertus?

Ah? pourquoi donc recherchez-vous la parure des habits, quand vous en trouvez une si (121) belle dans cette flamme divine qui vous entoure. Les habits ne nous ont pas été donnés comme ornements, mais pour couvrir la honte de notre nudité; n'ayez donc pas d'habits plus honteux que la nudité même. C'est pourquoi Dieu a donné des vêtements de peau à Adam et à son épouse. S'il l'eût voulu, il aurait pu le couvrir de superbes habits; il ne l'a pas fait pour nous montrer dès le commencement du monde que le temps présent n'est pas un temps de délices, mais de gémissements et de larmes. Si le besoin que nous avons de vêtements vient du péché, si c'est pour nous une preuve de notre ignominie et un souvenir de notre condamnation, pourquoi tant mettre en relief le signe de notre honte? Ces vêtements dont nous ne pouvons nous passer ne prouvent-ils pas assez notre chute? Pourquoi étaler comme à plaisir ce qui nous accuse, en excédant ce qui est nécessaire? Il faudrait plutôt, comme saint Paul , pousser des gémissements, nous lamenter, châtier notre corps : mais , bien loin de là nous perdons notre temps à fabriquer avec tout l'artifice possible des habits que nous rehaussons encore de mille ornements. Nous faisons comme un homme qui, forcé de mettre un bandeau sur ses yeux malades s'aviserait d'orner ce bandeau pour en tirer vanité. Voilà pourquoi Elie, voilà pourquoi Jean-Baptiste, n'ayant pour tout vêtement que des tuniques de peaux de bêtes, soupiraient si ardemment après le glorieux vêtement de l'immortalité.

Vous, au contraire, vous portez des habits plus recherchés que ceux des femmes de théâtre, et vous vous en servez pour séduire les jeunes gens élégants et frivoles. Ce n'est pas par de telles parures et de tels ajustements que l'Epoux veut que vous cherchiez à lui plaire; mais c'est dans votre coeur qu'il veut que réside toute sa gloire. Pour vous, vous la négligez, vous embellissez de mille ornements la boue et la cendre, vous attirez à vous les coeurs souillés, vous faites commettre l'adultère, pour ainsi dire, à tous ceux qui vous voient ! Que par cette conduite vous accumuliez sur votre tête des charbons ardents, vous ne songez pas à le nier, je pense : il me reste à vous démontrer que vous vous couvrez d'ignominie, c'est une preuve que je vais vous faire donner par vos adorateurs eux-mêmes.

En effet, celle qui orne son coeur, se fait une beauté dont Dieu lui-même est épris. Mais vous, qu'avez-vous pour amant? des hommes, que dis-je ! des hommes? des animaux immondes, les êtres- les plus dégradés : car il faut être au niveau de la brute, pour vous croire plus belle que celles que Dieu lui-même aime et recherche à cause de leur beauté tout intérieure? Ainsi, plus vous vous adonnez à la coquetterie, plus vous vous rendez abominable. Vous éloignez Dieu de vous, pour attirer ces hommes dégradés, de là votre honte, votre abaissement. Comment ne seriez-vous pas un objet de dégoût, puisque vous ne pouvez plaire à Dieu? Si celle qui se pare est . méprisable à ce point, que dire de celle qui habite avec un homme !

8. Mais, si vous le trouvez bon, ne nous bornons plus seulement à prononcer le mot de cohabitation, examinons la chose elle-même, afin qu'elle se montre à nous dans toute sa turpitude. Elles ne craignent pas l'œil de Dieu, qui est toujours ouvert, elles ne redoutent que l'œil de l'homme. Enlevons-leur donc la consolation qui leur reste; révélons au grand jour les secrets que cachent les parois de leurs maisons, ouvrons la porte à ceux qui veulent voir, faisons-les sortir du lit on se cache leur infamie. Voyons d'abord ce qui se passe dans leurs maisons; supposons que des murailles les séparent et qu'ils couchent dans des lits différents : car je ne pense pas, quelle que soit leur dépravation , qu'ils avouent partager la même couche. Ils sont donc dans des appartements séparés. Et qu'est-ce que cela fait? ils ne sont pas pour cela à l'abri du soupçon, quand même il y aurait plusieurs personnes de service, que dis-je? nous voilà sur la trace d'une nouvelle ignominie.

Souvent ils se lèvent en même temps, non pour de pieuses veilles (il ne faut rien attendre de semblable de leur part), mais pour se rapprocher l'un de l'autre, et pour s'entretenir pendant la nuit. Quoi de plus honteux ? Qu'une indisposition survienne tout à coup, le mur de séparation devient inutile. Vite, l'homme qui dort sous le même toit se lève, et, devançant toutes les personnes de service, il entre dans la chambre de la jeune fille qu'il trouve au lit; et, prenant la maladie pour prétexte, à défaut des servantes souvent en retard, il s'établit garde-malade et rend des services qu'une femme seule peut rendre et encore à peine l Pour elle, elle n'en rougit pas, elle en tire (122) vanité ; lui de son côté, loin d'en être humilié, s'en réjouit et cela d'autant plus que les services qu'il rend sont plus bas. Ici se réalise la parole de l'Apôtre : Ils mettent leur gloire dans leur propre déshonneur. (Philipp. III, 19.) Mais voici les servantes qui se sont levées : la scène va être plus humiliante encore. Ces femmes arrivent la tête nue, vêtues d'une simple tunique, les bras découverts, en un mot, dans tout le désordre d'un sommeil interrompu; elles courent ça et là, comme lé requiert le devoir de leur charge, et pendant ce temps-là, notre homme est au milieu d'elles courant et s'agitant aussi? Peut-on se figurer quelque chose de plus révoltant. La sage-femme viendrait qu'il ne rougirait pas davantage. Des vierges étrangères se présentent-elles pour visiter la malade, leur présence ne le déconcerte pas, elle ne fait que l'encourager. Une seule chose le préoccupe, faire valoir ses services auprès de la malade, oubliant que plus il en rend, plus il se déshonore lui-même en même temps qu'elle. Et faut-il s'étonner qu'il ne rougisse pas, quand la sage-femme est présente? Souvent au milieu de la nuit, faisant l'office de la dernière des servantes, il court sans difficulté chercher la sage-femme? Voilà la sage-femme arrivée : quelquefois on le chasse malgré lui, quelle que soit son effronterie; ensuite on lui permet de rentrer et de s'asseoir dans l'appartement. Pourquoi le renvoyez-vous? vous feriez plus encore qu'il ne rougirait pas ; il en fait lui-même bien davantage.

Quand la nuit est passée, il s'agit de se lever .alors on s'épie, on s'observe; elle, c'est à peine si elle ose sortir de sa chambre; elle se hasarde pourtant. Quel est le premier objet qui frappe les yeux de cette vierge? un homme qui n'est pas encore vêtu. Celui-ci, qui s'en doute, annonce quelquefois sa présence; d'autres fois il se laisse surprendre, et c'est une scène honteuse, ridicule. Je ne veux rien dire de plus à la vérité, ces choses sont légères en elles-mêmes, mais ordinairement elles soufflent 1'in1pureté dans les coeurs et y allument un grand incendie. Voilà ce qui se passe à la maison et pis encore.

Mais quelle honte plus grande encore quand cet homme sort, par hasard, et qu'en rentrant sans se faire annoncer, comme il en userait chez lui , il trouve , avec la vierge , d'autres femmes qui sont venues pendant qu'il était sorti; quel embarras et quelle confusion pour la malheureuse ! La même chose lui arrive à lui en pareille circonstance. Femme, elle ne peut sans honte recevoir des femmes, ni lui, homme , des hommes. Ils ne rougissent pas d'habiter ensemble et ils se gardent bien de recevoir chacun des personnes de leur sexe. Que peut-on supposer de plus détestable ? Souvent on le trouve assis auprès de cette femme qui tient le dévidoir ou la quenouille. Qu'est-il besoin de parler dés disputes et des querelles de chaque jour ? Il est impossible que cela n'arrive pas , quelle que soit l'amitié qui les unisse l'un à l'autre. J'ai appris que quelques-uns étaient dévorés de jalousie. Là, en effet, où n'est pas l'amour selon Dieu, nécessairement se trouve la jalousie : de là mille aventures, des séductions, le dévergondage et l'effronterie dans les vierges. Leur corps peut être pur, leurs moeurs sont mauvaises; car, quand on s'habitue à parler librement avec un homme, à s'asseoir familièrement à côté de lui , à le regarder avec complaisance, à badiner avec lui et à se permettre mille autres indécences, le voile de la virginité tombe, sa fleur est fanée , foulée aux pieds! quand une fois elles en sont venues là, il n'est rien qu'elles n'entreprennent, elles ne reculent devant rien , elles s'occupent de négocier des alliances , de faire le commerce pour les autres, elles détournent de leur pieux dessein celles qui voudraient rester veuves, pensant trouver là une excuse de leur conduite; mais tout le monde les méprise, et les personnes mariées, en se comparant à ces vierges, se glorifient de leur état, et elles n'ont pas tort; car mieux vaudrait contracter un premier mariage, voire même un second, que de mener un tel genre de vie. On se fait passer pour une entremetteuse; qui s'abstient des douceurs du mariage pour en porter le fardeau. Quel fardeau plus grand que d'avoir un homme à soigner et d'avoir toujours le souci de ce qui le concerne. Dieu vous a délivrée de cette inquiétude exprimée par ces paroles : Tu t'occuperas de ton mari et lui-même sera ton maître. (Gen. III, 16.) Vous en êtes affranchie par votre condition de vierge, pourquoi vous soumettre de nouveau au joug ? le Christ vous a rendue libre; pourquoi vous forger de nouvelles chaînes ? il vous a exemptée de toute sollicitude, et vous inventez mille soucis pour vous tourmenter !

9. Mais, puisque j'ai parlé de sollicitude, ce (123) mot me fournit l'occasion de répéter une parole de l'Apôtre; si la cohabitation des hommes avec les femmes et des femmes avec les hommes faisait disparaître ces soucis, saint Paul n'aurait pas dit, en exhortant à la continence Or, je veux que vous soyez sans sollicitude. (I Cor. VII, 32.) C'est comme s'il disait : que voulez-vous? le repos et la liberté? mais ne voyez-vous pas qu'en habitant avec des hommes, vous prenez pour partage la servitude, les peines et des misères de toutes sortes? il arrive souvent que des femmes, après avoir perdu leur époux, ne se marient plus afin de ne pas subir le joug une seconde fois. Si vous êtes pauvre , sans patrimoine , soyez un modèle de vertu, n'ayez rien de commun avec les hommes. Vivez en union avec des femmes vertueuses , vous ne perdrez pas votre couronne et vous jouirez de l'abondance et de la paix. Cela vous paraît difficile : cherchez avec soin, vous trouverez certainement : que dis-je, est-il nécessaire de chercher beaucoup? De même que nous sommes tous attirés vers la lumière, ainsi, quand votre vertu rayonnera au loin, toutes les femmes pieuses vous rechercheront à l'envi; elles se disputeront l'honneur et l'avantage de vous servir et de pourvoir à vos besoins; vous serez regardée par elles comme le soutien de leurs maisons, l'ornement, la couronne de leur vie, selon la parole de Jésus-Christ; car il a dit: Cherchez le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît (Matth. VI, 33), et nous pouvons vous dire, en toute assurance, que la félicité temporelle ne nous est refusée que parce que nous négligeons les choses du ciel; quand je dis nous , je ne parle pas seulement des hommes, mais aussi de vous, et de vous plus encore que des hommes. Dès le commencement du monde la femme fut punie plus sévèrement parce qu'elle contribua davantage à la fauté; Dieu imposa un châtiment plus sévère à celle qui séduisit qu'à celui qui fut séduit tremblez donc pour vous si vous ne voulez pas vous corriger et recouvrer votre première dignité. Lorsque la femme fut reprise pour avoir présenté du fruit défendu, elle n'osa pas se justifier en disant que l'homme, vu sa dignité n'aurait pas dû se laisser persuader et induire en erreur, elle laissa de côté cette misérable défense; elle recourut à une autre, misérable elle aussi, mais qui avait plus d'apparence de raison. Par là on voit qu'il est plus permis à ceux qui sont séduits de rejeter la faute sur ceux qui les séduisent qu'à ceux-ci d'accuser ceux-là.

Une femme de mauvaise vie attire chez elle celui qui déshonore son corps, et après avoir dormi avec lui, elle le renvoie ; mais vous, après avoir appelé celui qui déshonore et souille votre âme, vous l'enfermez dans votre maison, vous ne lui permettez pas de sortir, vous l'enchaînez par la flatterie, par les caresses, liens difficiles à dénouer, et, travaillant à satisfaire votre vaine gloire, vous vous couvrez de honte.

Ah ! dites-moi , vous ne réfléchissez donc pas à la vie présente? Qu'elle est courte! n'estce pas un songe, une fleur qui se fane, une ombre qui passe? pourquoi voulez-vous vous réjouir maintenant dans l'illusion d'un songe pour être punie un jour dans la terreur de la réalité? Mais que parlé-je de se réjouir? quelle joie pourriez-vous rencontrer là où vous trouvez votre condamnation , et les reproches, et les injures, et les scandales? et quand même il y aurait une certaine jouissance, qu'est-ce qu'une goutte d'eau auprès d'un océan sans bornes? Ecoutez, ma fille, et voyez; prêtez l'oreille, et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera votre beauté. (Psal. XLIV, 11 , 12.) Telles sont les paroles que David adressait à toutes les âmes entraînées par des affections coupables. Voilà ce que nous vous dirons en introduisant un léger changement dans les paroles du Prophète : Ecoutez, ma fille, et voyez, prêtez l'oreille et laissez de côté votre mauvaise habitude, oubliez ceux qui font votre malheur en habitant avec vous, et alors le roi désirera votre beauté. Que peut-on désirer de plus grand? que peut-on même comparer à la gloire d'avoir pour partage et pour ami le Maître de la terre, le Roi des anges et des archanges, le Souverain du ciel et des Vertus des cieux? quoi de plus heureux pour vous que d'être complètement délivrée des vils compagnons de votre servitude qui avilissent votre dignité ! Nous ne saurions mieux faire que de terminer ici ce discours tout ce que nous ajouterions serait faible à côté de cette gloire qui vous est promise. Celle qui épouse un roi de la terre se croit au comblé du bonheur, et vous, vous aurez non un roi de la terre, non un homme ordinaire; mais celui qui règne dans le ciel, qui est élevé au-dessus de toute principauté , de toute puissance, de toute vertu, de tout ce (124) qui a un nom dans l'univers entier, celui qui repose sur les chérubins, qui ébranle la terre, qui déroule le ciel comme un pavillon, celui que les chérubins eux-mêmes et les séraphins n'abordent et ne contemplent qu'en tremblant, vous l'aurez pour époux, vous l'aurez pour amant, amant beaucoup plus passionné qu'aucun homme ne peut l'être; comment pour en jouir ne quittez-vous pas tout ce qu'il y a sur la terre, fallût-il sacrifier votre vie?

Cette parole du Prophète doit suffire pour corriger notre mauvaise habitude, et fussions-nous plus lourds que le plomb, pour nous soulever jusqu'au ciel; aussi nous finissons et nous vous prions de chanter ce divin cantique à la maison, dans les rues, le jour, la nuit; en voyage et sur votre lit de repos, parlez à votre âme et de bouche et de coeur en répétant

a Ecoute, ô mon âme, et vois, prête l'oreille et oublie cette détestable habitude, et le roi désirera ta beauté. » Bien pénétrée de cette parole, vous rendrez votre âme plus pure que l'or. Cette parole, plus brûlante, plus active que le feu, aura assez de vertu pour dissiper vos pensées criminelles et pour purifier votre cœur de toutes ses taches, par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

(Traduit par l'abbé P. J***.)

 

 

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