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AVANTAGES DE LA PATIENCE 1° Excellence de cette vertu; 2° Sa nécessité; 3° Exemples; 4° Ses avantages; 5° Manière de lacquérir; 6° Récompense. Aujourdhui, mes frères bien-aimés, jai à vous parler de la patience : je dois vous faire connaître le mérite et les avantages de cette vertu. Puis-je mieux commencer mon discours, quen vous faisant remarquer que, même en ce moment, la patience vous est nécessaire, car, sans elle, vous ne pouvez ni mécouter, ni profiter de mes leçons? En effet, linstruction ne peut être efficace quautant quon lécoute avec patience. Dans la loi chrétienne, mes frères bien-aimés, plusieurs routes souvrent devant nous pour nous conduire au salut; mais je ne trouve rien de plus utile pour la vie présente, rien de plus méritoire pour le Ciel, que de sattacher avec crainte et amour aux préceptes du Seigneur et de supporter avec une patience inaltérable tous les événements de cette vie. Les philosophes aussi se vantent de pratiquer cette vertu; mais leur patience est aussi fausse que leur sagesse. Comment, en effet, être sage et patient, si on ne connaît la sagesse et la patience de Dieu? Il (357) nous dit lui-même: Je perdrai la sagesse des sages et je réprouverai la prudence des prudents (Is., XX .). Saint Paul, loracle de lEsprit-Saint et lapôtre des nations, nous enseigne la même vérité : Prenez garde, dit-il, de vous laisser séduire par une philosophie vaine et trompeuse, fondée sur les traditions, sur la science mondaine et non sur le Christ, en qui réside la plénitude de la divinité (Coloss., II.). Et ailleurs : Ne vous y trompez pas, si quelquun dentre vous veut être sage, quil devienne insensé pour le monde. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit : Je confondrai les sages dans leur sa gesse. Et au livre des Psaumes : Le Seigneur connaît les pensées des sages; il sait quelles ne sont que folie (Ps., IX.). Si, dans le monde, il ny a pas de véritable sagesse, il ny a pas non plus de véritable patience. Le sage est humble et doux; or, rien ne manque plus aux philosophes que la sagesse et la douceur : ils se, complaisent beaucoup en eux-mêmes, et par suite ils déplaisent à Dieu. Mais la vraie patience ne peut pas résider dans ces hommes qui découvrent impudemment leur poitrine et affectent une insolente liberté. Pour nous, mes frères, dont la philosophie réside non dans les paroles mais dans les actions, qui possédons la vraie sagesse sans lafficher sur nos vêtements, qui faisons consister la vertu dans la conscience. et dans la conduite et non dans une vaine jactance dextérieur et de langage, nous, dis-je, véritables serviteurs de Dieu, exerçons-nous à cette patience qui nous fut enseignée par Jésus-Christ. 1° La patience nous est commune avec Dieu; cest en Dieu quelle prend son origine, sa grandeur, sa dignité, son éclat. Nous devons aimer ce que Dieu aime; sa majesté infinie nous (357) en fait un devoir. Sil est pour nous un maître et un père, imitons sa patience; car les serviteurs doivent obéir et les fils marcher sur les traces de leurs pères. Or, voulez-vous avoir une idée de la patience de Dieu? On insulte sa majesté infinie par des temples profanes, par des idoles impures, par des cérémonies sacrilèges; et il le souffre, et il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et, quand il envoie sa pluie sur la terre, les justes et les pécheurs jouissent également de ses bienfaits. Toujours avec la même patience, il comble de ses faveurs les coupables et les innocents, les hommes religieux et les impies, les coeurs reconnaissants et les coeurs ingrats. Tous ont à leur service les saisons, les éléments, les vents, les sources. Les moissons grandissent pour tout le monde; pour tous mûrissent les raisins; pour tous nous voyons les arbres se couvrir de fruits, les bois de feuillage, les prés de fleurs. Irrité par de nombreuses ou plutôt par de continuelles injures, Dieu modère son indignation et attend avec patience le jour du jugement. La vengeance est dans sa main; il préfère la patience. Il souffre, et il attend que la malice humaine, fatiguée delle-même, revienne à des sentiments meilleurs; que lhomme, après avoir erré longtemps dans un dédale derreurs et de crimes, se convertisse enfin. Dailleurs, il ne cesse de ly exhorter : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais quil se convertisse et quil vive. Revenez au Seigneur votre Dieu, dit le prophète Joël, car il est plein de miséricorde, de pitié, de patience; il a compassion de vous et il vous invite à fléchir sa colère (Joël, II.). Cest à peu près le langage de lapôtre saint Paul: Est-ce que vous méprisez les trésors de bonté, de patience, de longanimité de ce Dieu qui, en vous attendant, vous invite au repentir? Par votre dureté et votre impénitence, vous amassez contre vous un trésor de colère pour le jour de la manifestation, où le juste juge rendra à chacun selon ses oeuvres (Rom., VIII.). Le juge est appelé juste, (359) parce que son arrêt ne sera porté quà la fin du monde, afin de laisser à lhomme le temps de se convertir. Le châtiment ne frappera le pécheur que lorsque le repentir sera pour lui sans utilité. Pour mieux nous faire comprendre que la patience est une vertu toute divine et que lhomme doux et miséricordieux est limitateur de Dieu le père, Jésus parle ainsi dans son Evangile: Vous savez quil a été dit : Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi; mais moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin dêtre les fils de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et sur les pécheurs. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense obtiendrez-vous? Est-ce que les publicains ne le font pas? si vous saluez seulement vos frères, que faites vous de plus que les païens? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (Matt., V.). Ainsi, daprès la parole divine, les fils de Dieu deviennent parfaits, en sappropriant la patience de leur père, en imprimant sur leurs actes ce cachet divin quAdam avait perdu par son péché. Quelle gloire dêtre semblable à Dieu! Quel bonheur de posséder des vertus qui nous font participer aux perfections divines 2° Jésus-Christ, mes frères bien-aimés, ne sest pas contenté de, nous prêcher la patience; il la pratiquée toute sa vie. Descendu parmi nous, comme il le dit lui-même, pour faire la volonté de son Père, il a manifesté sa divinité par dadmirables vertus; mais la patience est cel1e qui brille du plus vif éclat; celle qui donne à tous ses actes un caractère divin. Il quitte les splendeurs du Ciel pour habiter la terre, et lui, le fils de Dieu, ne craint pas de revêtir notre humanité. Il est linnocence même, et il prend sur ses épaules le fardeau de nos iniquités. Il se (361) dépouille de son immortalité, et victime innocente, il subit la mort pour le salut des pécheurs. Maître de lunivers, il est baptisé par un esclave; il ne dédaigne pas de plonger son corps dans les eaux de la pénitence, alors quil vient nous apporter le pardon de nos péchés. Il jeûne quarante jours, lui qui nourrit le genre humain. Il souffre la faim, lui qui vient distribuer le pain céleste aux âmes affamées de la parole et de la grâce divine. Il repousse les tentations du démon, et, content de la victoire, il épargne son ennemi. Il fut pour ses disciples non un maître sévère, mais un frère et un ami. Il daigna laver les pieds de ses apôtres, pour nous montrer, par son exemple, nos devoirs envers nos frères. Faut-il sétonner quil ait ainsi traité ses disciples fidèles, lui dont la patience inaltérable supporta jusquà la fin le traître Judas, qui mangeait avec lui, qui connaissait ses projets criminels sans les dévoiler, qui souffrit de sa part jusquà un baiser? Avec quelle douceur, avec quelle patience, il supporta les persécutions des Juifs! Il attirait par la persuasion les incrédules à la foi; il touchait les ingrats par ses bienfaits; il répondait avec douceur à la contradiction; il supportait lorgueil; cétait humblement à la persécution. Jusquà la croix, il sefforça de réunir autour de lui ce peuple qui tuait les prophètes et qui était toujours en révolte contre Dieu. Mais, avant de répandre son sang jusquà la dernière goutte, que dinjures, que doutrages, que dinsultes supportées avec patience! Il reçut des crachats sur son visage auguste, lui dont la salive guérissait les aveugles; il fut déchiré à coups de verges, lui dont les disciples, dune seule parole, flagellent et chassent les démons; il fut couronné dépines, lui qui tresse aux martyrs une couronne éternelle; il subit lignominie des soufflets, lui qui donne aux vainqueurs les honneurs du triomphe; il fut dépouillé de ses vêtements, lui qui nous revêt dimmortalité; il fut nourri de fiel, lui qui donne la nourriture céleste; il fut abreuvé de vinaigre, lui qui nous présente la coupe du salut. Lui, linnocent, le juste, que dis-je, linnocence et la justice mêmes, est confondu (363) avec les scélérats; la vérité est étouffée sous des témoignages menteurs; le juge suprême est traduit en jugement, et le Verbe divin marche au supplice en gardant le silence. En présence de la croix de Jésus-Christ, les astres sont confondus, les éléments se troublent, la terre tremble, le jour se change en nuit; pour ne pas éclairer le forfait des Juifs, le soleil se cache, il voile ses rayons... et Jésus se tait: pas un mouvement qui, au milieu de ses souffrances, trahisse sa majesté divine; il supporte tout jusquà la fin, afin de nous montrer, dans son éclat et dans sa perfection, la véritable patience. Ce nest pas assez : quand ses meurtriers reviennent à lui, il les accueille. Plein de bonté et de miséricorde, il ne ferme son Église à personne. Ces ennemis qui le blasphèment et proscrivent jusquà son nom, sils font pénitence, sils reconnaissent leur forfait, obtiennent, avec leur pardon, une place au royaume céleste. La patience et la bonté peuvent-elles sélever plus haut? Celui qui a répandu le sang du Christ est vivifié par ce même sang. Sil nen était pas ainsi, lÉglise compterait-elle parmi ses fondateurs lapôtre saint Paul? Pour nous, mes frères bien-aimés, nous sommes dans le Christ; nous nous sommes revêtus de lui comme dun vêtement; il est devenu pour nous le chemin du salut; marchons donc sur ses traces, et imitons ses exemples. Cest le conseil de lapôtre saint Jean : Celui qui se flatte de demeurer dans le Christ doit suivre la route quil a suivie lui-même (I Joan., II.). Pierre, ce fondement inébranlable de lEglise, nous donne la même leçon : Le Christ a souffert pour nous et il nous a donné lexemple afin que vous marchions sur ses pas. Il na pas commis de péché; le mensonge na jamais souillé ses lèvres; il naccueillait pas la malédiction par la malédiction, la souffrance par la menace. Il se livrait au juge inique qui devait le condamner (I Pet., II.). Les patriarches, les (365) prophètes, tous les justes qui, dans lancienne loi, furent la figure du Christ, pratiquèrent surtout la patience, et cest là leur plus beau titre de gloire. Ainsi Abel, le premier dentre les martyrs, ne résiste pas à«n frère, il ne lutte pas contre lui; mais il meurt en conservant jusquà la fin son humilité, sa douceur, sa patience. Abraham, si fidèle à son Dieu, Abraham, qui nous montra le premier que la foi doit être le fondement et la racine de tous nos mérites, est soumis à une épreuve : Dieu lui réclame son fils; le patriarche nhésite pas, et sa patience lui donne assez de force pour obéir aux ordres divins. Isaac, cette figure ,si touchante du sacrifice de la croix, était patient et résigné quand son père se préparait à limmoler. Jacob, chassé par son frère, sortit patiemment de son pays; il y revint plus patiemment encore, et, par ses supplications et ses présents, il obligea son persécuteur à faire la paix avec lui. Joseph, vendu et exilé par ses frères, supporte tout avec patience; il pardonne, que dis-je? il leur livre gratuitement le blé dont ils avaient besoin, lin peuple ingrat et perfide poursuit M6ise de ses mépris; il ose presque le lapider, et Moïse, toujours doux et patient, prie le Seigneur pour ce peuple. Et David, qui fut un des ancêtres du Messie selon la chair, nest-il pas pour nous, chrétiens, un exemple admirable de patience? Souvent il eut sous sa main Saül, son persécuteur et son ennemi, Saül qui en voulait à sa vie; et pourtant il préféra le sauver, et, au lieu duser de représailles, il vengea son trépas. Que de prophètes ont été assassinés! que de martyrs ont subi une mort glorieuse! Sils sont arrivés à la couronne céleste, ils le doivent à leur patience. On ne peut, en effet, recevoir la récompense de ses douleurs et de ses épreuves, si elles nont été sanctifiées par cette vertu. Pour mieux vous faire comprendre, mes frères bien-aimés, les avantages et la nécessité de la patience, je vous rappellerai (367) la sentence qui, dès lorigine du monde, fut portée contre Adam, devenu prévaricateur. Nous verrons par là combien nous devons être patients, nous qui naissons pour être en butte à tant dépreuves et de combats. Parce que tu as écouté la voix de ton épouse, lui dit le Seigneur, et que tu as mangé du fruit de larbre auquel je tavais défendu de toucher, la terre que tu cultiveras sera maudite. Tu recueilleras ses fruits, tous les jours de ta vie, avec tristesse et gémissements. Elle te produira des ronces et des épines. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusquà ce que tu retournes dans la terre doù tu as été tiré; car tu es poussière et tu retourneras en poussière (Gen., III). Tous, nous subissons le poids de cette sentence, jusquà ce que, vainqueurs de la mort, nous quittions cette vie. Toute notre existence doit sécouler dans la tristesse et les gémissements. Notre. pain devient le prix de nos travaux et de nos sueurs. Cest pour cela que lenfant, sortant du sein maternel, inaugure par des larmes son entrée dans ce monde. Tout lui est alors inconnu, excepté les pleurs. Un instinct naturel lui fait pressentir les épreuves de la vie; et, sur le point daffronter les fatigues et les orages, cette âme, encore neuve, sabandonne aux larmes et aux gémissements. Cette vie nest quune longue suite dépreuves; or, dans lépreuve, le remède le plus efficace cest la patience. Dans ce monde, elle est nécessaire à tous; mais à nous principalement qui avons à lutter davantage contre les tentations du démon et à repousser les assauts dun ennemi aussi artificieux quhabile; à nous qui, outre les combats ordinaires, avons encore à subir lépreuve de la persécution. Abandonner notre patrimoine, subir la prison, porter des chaînes, sacrifier sa vie, affronter le glaive, les bêtes, les bûchers, les croix, en un mot, tons les genres de supplice, voilà notre devoir; mais, pour le remplir, (369) il nous faut la foi et la patience. Aussi le Seigneur nous dit : Je vous ai parlé de ces choses pour que vous ayez la paix en moi. Vous trouverez beaucoup dépreuves dans le monde; mais ayez confiance, jai vaincu le monde (Joan., XVI.). En renonçant au démon et au monde, nous nous sommes fait du monde et du démon des ennemis irréconciliables: nous avons donc particulièrement besoin de patience pour résister à leurs attaques incessantes. Écoutez encore la parole du Maître : Celui qui supportera jusquà la fin sera sauvé. Si vous persévérez dans ma parole, dit-il encore, vous serez véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera (Joan., VIII.). Il faut persévérer, mes frères bien-aimés, il tant supporter toutes les épreuves, pour arriver à cette vérité et à cette liberté que nous poursuivons de tous nos voeux. Si nous sommes chrétiens, cest loeuvre de la foi et de lespérance; mais ces vertus ne peuvent porter leurs fruits sans la patience. En effet, ce nest pas la gloire dici-bas que nous poursuivons, cest la gloire future. Écoutez lapôtre : Nous avons été sauvés par lespérance; or lespérance qui se voit nest plus lespérance; on ne peut espérer ce que lon voit. Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous lattendons par la patience (Rom., VIII). La patience est donc nécessaire pour couronner loeuvre de notre perfection èt pour atteindre, avec laide de Dieu, lobjet de notre espérance et de notre foi. Lapôtre donne le même conseil aux justes, pour les exhorter à multiplier leurs uvres et à se préparer des trésors dans le ciel : Donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout aux fidèles. Ninterrompons jamais nos bonnes oeuvres, car, à lépoque fixée, nous en recueillerons le fruit ( Gal. 6,10). (371) Lapôtre nous avertit par là de nous défendre contre limpatience qui interromprait nos oeuvres et contre les tentations qui nous arrêteraient sur le chemin de la gloire. On perd tous ses mérites, quand on cesse de tendre vers la perfection. Il est écrit : La sainteté du juste ne le délivrera pas, sil sécarte du droit chemin (Ezech., XXXIII.); et dans lApocalypse : Gardez bien ce que vous avez, de peur que votre couronne ne soit donnée à un autre (Apoc., III.). Ces paroles nous engagent à persévérer, afin dobtenir par la patience la couronne où tendent nos efforts. La patience, mes frères bien-aimés, nest pas seulement la sauvegarde de nos vertus: elle repousse les attaques des puissances ennemies. Elle favorise en nous le développement de la grâce; elle nous enrichit des biens célestes et divins; mais, en même temps, elle nous fait uni rempart des, vertus quelle inspire, pour émousser les traits de la chair qui donnent la mort à lâme. Citons quelques exemples. Ladultère, la fraude, lhomicide sont des fautes mortelles; mais, que la patience règne dans le coeur de lhomme, alors il évitera et ladultère qui souille un corps devenu le temple de Dieu, et la fraude qui porte la corruption dans une âme innocente, et le meurtre qui rougit de sang une main où reposa lEucharistie. La charité est le lien qui unit les frères; elle est le fondement de la paix, le ciment de lunité; elle est supérieure à lespérance et à la foi, plus élevée que les bonnes oeuvres et le martyre; elle régnera toujours avec nous auprès de Dieu dans le royaume céleste. Enlevez-lui la patience, enlevez-lui cette force secrète qui la rend capable de tout soutenir et de tout supporter, dès lors elle na plus de racines, plus de force, et elle périt misérablement. Aussi lapôtre, en parlant de la charité, na pas manqué de lui adjoindre la patience. La charité, dit-il, est magnanime et bienveillante; elle nest pas envieuse, elle ne senfle pas, (372) (1) ne sirrite pas, ne pense pas au mal; elle aime tout, croit tout, espère tout, supporte tout (I Corint., XIII). En nous disant que la charité sait tout supporter, lapôtre nous montre quelle est capable de toujours persévérer. Ailleurs, il explique plus clairement sa pensée : Supportez-vous les uns les autres avec charité; efforcez-vous de conserver lunité de lesprit dans le lien de la paix (Eph., IV.). On voit, par ces paroles , que les frères ne peuvent conserver lunité et la paix quen se supportant les uns les autres et en maintenant à laide de la patience la concorde qui les unit. Ce nest pas tout: lÉvangile nous interdit le parjure et la malédiction; il nous défend de réclamer ce quon nous enlève; il nous ordonne, quand on nous frappe sur une joue,, de présenter lautre; de pardonner à notre frère toutes ses offenses, non-seulement soixante-dix fois sept fois, muais toujours; daimer nos ennemis, de prier pour ceux qui nous persécutent et nous calomnient ; or, pourrez-vous accomplir ces préceptes, si vous navez lesprit de patience? Cet esprit, nous le trouvons dans Étienne qui, lapidé par les Juifs, priait Dieu, non de le venger, mais de faire grâce à ses ennemis : Seigneur, sécriait-il, ne les rendez pas responsables de ma mort (Act., VII.). Ainsi, il convenait que le premier dentre les martyrs fût non-seulement le prédicateur de la Passion du Christ, mais encore limitateur de sa patience et de sa douceur. Parlerai-je de la colère, de la discorde, de la haine, de toutes ces passions qui ne doivent pas trouver place dans un coeur chrétien? Elles ne peuvent vivre là où règne la patience. Si elles essaient de sy introduire, elles sont aussitôt bannies, et le sanctuaire reste libre pour abriter le Dieu de paix. Ne contristez pas lEsprit-Saint, nous dit lApôtre, lEsprit dont vous portez le caractère sacré pour le jour de la Rédemption. Quil (375) ny ait parmi vous ni amertume, ni. colère, ni indignation., ni clameurs, ni blasphèmes (Eph., IV.). Le chrétien, à labri des fureurs et des dissensions du siècle qui, semblables aux flots soulevés, mugissent autour de lui, repose tranquille dans le sein du Christ. Il ne peut donc ouvrir à la colère et à la discorde un coeur à qui il nest permis ni de haïr ni de rendre le mal pour le mal. La patience est encore nécessaire pour supporter les incommodités de la chair, les maladies, les souffrances corporelles qui viennent chaque jour nous éprouver. En transgressant les ordres du Créateur, Adam perdit, avec son immortalité, une partie de ses forces; il devint sujet à linfirmité et à la mort, et t~e nest quen recouvrant limmortalité quil reprendra son ancienne vigueur. Faibles et fragiles, nous avons donc à lutter chaque jour: or, sans la patience, nous serons infailliblement vaincus dans le combat. Que dépreuves, en effet, que de douleurs, que de tentations viennent nous visiter! Nous avons à supporter et la perte de nos biens, et des fièvres dévorantes, et des blessures cruelles, et la mort de ceux qui nous sont chers. Aussi ce qui distingue le plus les justes des pécheurs, cest leur conduite dans la tribulation : pendant que le pécheur se plaint et blasphème, le juste supporte patiemment lépreuve. Soyez ferme dans la douleur, nous dit le livre de lEcclésiastique, soyez humble et patient , car le feu éprouve largent et lor (Ecclés., II.). Ainsi Job fut soumis à lépreuve, et sa patience léleva au sommet de la gloire. Le démon laccable de ses traits; toutes les douleurs lassaillent en même temps : il perd à la fois ses biens et ses nombreux enfants; et lui, riche de ses revenus, plus riche encore de sa postérité, nest plus ni maître ni pères Ce (377) nest pas assez, une plaie immense couvre son corps; ses membres tombent en dissolution et deviennent la proie des vers. Pour mettre le comble à lépreuve, le démon excite contre lui son épouse. Cest chez lui une vieille tactique il espère toujours, comme au commencement du monde, perdre lhomme par la femme. Mais Job demeure ferme dans le combat, et, soutenu par sa patience victorieuse, il ne cesse au milieu de ses angoisses de bénir le Seigneur. Tobie, après tant doeuvres de miséricorde et de justice, est éprouvé par la perte de ses yeux; mais il supporte son infirmité avec patience, et mérite de jouir de Dieu. Pour mieux faire ressortir les avantages de la patience, examinons les inconvénients du vice opposé. Si la patience est un bienfait du Christ, limpatience, au contraire, est un fléau du démon. Celui en qui le Christ réside est patient; celui dont lesprit est possédé par la malice du démon se livre à des impatiences continuelles. Remontons à lorigine des choses. Le démon ne peut supporter de voir lhomme créé à limage de Dieu : aussi, après sêtre perdu lui-même, il perdit lhomme. Adam se révolte contre le précepte divin qui lui interdisait une nourriture mortelle, et il devient sujet à la mort, parce quil ne sait pas conserver, à laide de la patience, la grâce quil tenait de Dieu. Caïn porta sur son frère une main homicide, parce quil ne put supporter ses sacrifices. Esaü perdit son droit daînesse, parce quil ne put souffrir la faim. Que dire des Juifs, qui payèrent toujours dingratitude les bienfaits du Créateur? Nest-ce pas limpatience qui les éloigna de Dieu? Pendant que Moïse conversait avec lui, ce peuple ne put supporter son absence; il osa demander dautres divinités et choisit un veau dor pour le guider dans le désert. Dailleurs cet esprit de révolte ne labandonna jamais. Sourd aux avertissements divins, il mit à mort les prophètes et les justes; il osa porter la main sur le Christ et lattacher à une croix. (379)
Ce même esprit anime, les hérétiques qui, à lexemple des Juifs, se révoltent contre la paix et la charité du Christ et poursuivent lÉglise de leurs inimitiés, de leurs fureurs, de leurs haines. Pour nous borner dans cette énumération, je dirai que cet édifice de bonnes oeuvres que la patience élève pour notre gloire, limpatience le détruit et cause par là notre ruine éternelle. Donc, mes frères bien-aimés, après avoir fait la balance des avantages de la patience et des maux causés par le vice contraire, pratiquons cette vertu qui nous unit au Christ et par là nous conduit à Dieu le père. Les effets de la patience sétendent au loin. La source est unique, mais il en sort une eau abondante et féconde qui sécoule par une multitude de canaux et fait germer toutes les gloires. Nous chercherions en vain à nous élever vers la perfection, si nous navons cette vertu pour point dappui. Cest la patience qui nous rend agréables à Dieu et nous conserve dans sa grâce. Cest elle qui tempère la colère, refrène la langue, gouverne lintelligence, maintient la paix, règle les moeurs, amortit les passions, comprime lorgueil, éteint la haine, modère la richesse et soulage la pauvreté. Cest elle qui conserve dans les jeunes filles la virginité, dans les veuves la chasteté, dans les personnes mariées lindivisible charité. Elle nous rend humbles dans la prospérité, forts dans ladversité. Elle nous apprend à supporter avec douceur les injures et les affronts, à pardonner les offenses, à prier beaucoup et longtemps si nous tombons dans le péché. Elle résiste à la tentation, supporte les persécutions, assure la couronne à la souffrance et au martyre. Cest elle qui donne à lespérance son sublime accroissement ; cest elle qui dirige nos actes, pour nous faire marcher sur les traces du Christ; cest par elle que nous persévérons dans notre dignité denfants de Dieu, en imitant la patience de notre Père. (381) 5° Je sais, mes frères bien-aimés, que beaucoup dentre tous, par suite des injures et des persécutions quil ont à subir, soupirent après la vengeance, et ne veulent pas attendre le dernier jour pour voir les méchants punis. Je vous en prie, armez-vous de patience. Placés au milieu des tourbillons de ce monde, en butte aux persécutions des Juifs, des idolâtres, des hérétiques, attendons patiemment le jour de la justice, et nen hâtons pas larrivée par des voeux indiscrets. Attendez-moi, dit le Seigneur, au jour de la manifestation, je vous rendrai témoignage; car je jugerai les peuples; je citerai les rois devant mon tribunal, et je ferai tomber sur eux le poids de ma colère (Soph., III.). Tel est lordre du Seigneur, et cet ordre il le renouvelle dans lApocalypse : Ne scelle pas la prophétie renfermée dans ce livre, car le temps est proche. Que ceux qui veulent nuire nuisent encore, que ceux qui sont souillés se souillent encore; mais que le juste devienne plus juste, que le saint devienne plus saint. Je vais apparaître, et je porte avec moi la récompense, pour rendre à chacun selon ses oeuvres (Apoc., XXII.). Aussi lorsque les martyrs, pressés par la douleur, soupirent après la vengeance, lEsprit-Saint leur ordonne dattendre la fin des temps et la consommation du nombre des élus. Lorsque lange du Seigneur eut ouvert le cinquième sceau, je vis, sous lautel, les âmes de ceux qui furent mis à mort pour la parole de Dieu et pour lui rendre témoignage, et elles crièrent disant Quand donc, ô vous qui êtes la sainteté et la vérité mêmes, vengerez-vous notre sang sur les habitants de la terre? Et on donna à chacune delles une étole blanche, et on leur dit dattendre un peu de temps, jusquà ce que le nombre de leurs frères qui, à leur exemple, devaient être mis à mort, eut atteint son complément (Apoc., VI). (383) Si nous voulons savoir quand le sang des justes sera vengé, lEsprit-Saint nous le déclare par la bouche de Malachie: Voici le jour du Seigneur; il arrive ardent comme une fournaise; les impies et les méchants seront comme la paille, et le jour du Seigneur les consumera (Mal., IV.). Les Psaumes nous parlent du même avènement: Le Seigneur se manifeste; il cesse de garder le silence. Le feu marche devant lui; la tempête lenvironne. Il appelle le ciel et la terre pour faire le discernement de son peuple. Que les justes, que ceux qui ont conservé son alliance, en lui offrant des sacrifices, se réunissent autour de lui. Et les cieux publieront sa justice, car Dieu est le juge suprême (Ps., XLIV.). Écoutez Isaïe : Le Seigneur viendra comme le feu; son char ressemble à la tempête; il vient punir ses ennemis; il les consume avec la flamme; il les frappe de son glaive. Et plus loin : Le Seigneur, le Dieu des vertus, se montrera; il déclarera la guerre à ses ennemis et leur criera avec force: Je me suis tu, est-ce que je me tairai toujours (Is., XLII)? Quel est donc celui qui sest tu et ne se taira pas toujours? cest Celui qui, semblable à la brebis, fut conduit au supplice, et qui nouvrit pas la bouche, comme lagneau devant celui qui enlève sa toison. Cest Celui qui ne proféra aucune plainte, dont la voix ne fut pas entendue sur les places publiques; Celui qui ne résista pas à la violence, qui présenta ses épaules aux fouets, ses joues aux soufflets, sa face aux crachats; Celui qui, accusé par les prêtres et les vieillards, ne répondit rien et étonna Pilate pas lhéroïsme de son silence. Mais, après avoir gardé le silence pendant sa Passion, il parlera au jour de la vengeance. Il apparaîtra une seconde fois, lui, notre Dieu: non pas le Dieu de tons; mais le Dieu des fidèles et des croyants, et, après sêtre voilé de son humilité, il se manifestera avec tout lappareil de sa puissance. (385) 6°Attendons, mes frères bien-aimés, ce juge suprême : en se vengeant lui-même, il vengera son Église, ainsi que tous les justes persécutés depuis lorigine du monde. Que celui qui désire trop la vengeance considère, que notre vengeur ne sest pas encore vengé lui-même. Le Père veut quon adore son Fils, et lapôtre saint Paul, interprète de la volonté divine, nous dit : Dieu la exalté et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, en sorte que, au nom de Jésus, tout genou doit fléchir dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (Phil., I.). Dans lApocalypse, lange soppose à Jean qui voulait se prosterner devant lui et lui dit: Nagis pas ainsi, car je suis ton frère et ton compagnon de servitude; adore le Seigneur Jésus (Apoc., XIX.). Quel est donc ce Seigneur Jésus? quelle est donc sa patience pour quil nie se venge pas encore sur la terre, lui qui est adoré dans le Ciel? Méditons cette patience, mes frères bien-aimés, dans nos persécutions et dans nos souffrances. Attendons son avènement avec résignation. Ne nous laissons pas entraîner par de téméraires désirs de vengeance; mais plutôt veillons de tout notre coeur, observons les préceptes divins, afin que, lorsque le jour de la justice arrivera, nous ne soyons pas punis . avec les impies et les pécheurs, mais couronnés avec les justes. (387)
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