SAINTE MARCELLA
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VIRGINITÉ

VIE DE SAINTE MARCELLA, VEUVE.

 

 

AVANT-PROPOS. Où il est parlé de la grandeur de la naissance de sainte Marcella.

CHAPITRE I. Sainte Marcella, étant demeurée veuve, ne veut point se remarier et refuse le plus grand de Rome.

CHAPITRE II. L'admirable vertu de sainte Marcella la mit au-dessus de la médisance.

CHAPITRE III. Amour de sainte Marcella pour l'Ecriture sainte. Son excellente conduite. hale fut la première dans Rome qui embrassa une vie retirée et solitaire.

CHAPITRE IV. Des louanges des femmes. Sainte Marcella se préparait toujours à la mort.

CHAPITRE V. Saint Jérôme, étant allé à Rome, fit amitié avec sainte Marcella. Combien cette sainte était savante dans les saintes Ecritures, et de sa vie solitaire et retirée.

CHAPITRE VI. Services rendus à l’Eglise contre les hérétiques par sainte Marcella.

CHAPITRE VII. Rome prise et saccagée par les Goths. Mort de sainte Marcella.

 

AVANT-PROPOS. Où il est parlé de la grandeur de la naissance de sainte Marcella.

 

A LA VIERGE PRINCIPIA.

 

Vous désirez de moi avec instance et me demandez sans cesse, ô vierge de Jésus-Christ, illustre Principia, de renouveler par mes écrits la mémoire d'une femme aussi sainte qu'était Marcella, et de faire par ce moyen connaître aux autres et leur donner sujet d'imiter les vertus dont nous avons joui si longtemps, et certes je me plains de ce que vous m'excitez de la sorte à entrer dans une carrière où je cours si volontiers de moi-même, et de ce que vous croyez que j'aie besoin en cela d'être prié, moi qui ne vous cède nullement en l'affection que vous lui portiez, et qui sais que je recevrai beaucoup plus d'avantage que je n'en procurerai aux autres en représentant. par ce discours les admirables qualités de celle dont j'entreprends de parler. Or mon silence de deux ans ne doit pas être attribué à négligence, comme vous m'en accusez injustement, mais à mon incroyable affliction, qui m'abattait l'esprit de telle sorte que jusqu'ici j'ai jugé plus à propos de lue taire que de ne rien dire qui fût digne de son mérite.

Ayant donc à louer votre Marcella, ou plutôt la mienne, et, pour parler encore plus véritablement, la nôtre et celle de tous ceux qui font profession d'être à Dieu, et qui a été un si grand ornement de Rome, je n'observerai point les règles des orateurs en représentant la noblesse de sa race, la longue suite de ses aïeux et les statues de ses ancêtres, qui, de siècle en siècle et jusqu'à notre temps, ont été honorés des charges de gouverneurs de provinces et de préfets du palais de l'empereur; mais je louerai seulement en elle ce qui lui est propre, et d'autant plus admirable qu'ayant méprisé ses richesses et sa noblesse, elle s'est encore rendue plus illustre par sa pauvreté et par son humilité.

 

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CHAPITRE I. Sainte Marcella, étant demeurée veuve, ne veut point se remarier et refuse le plus grand de Rome.

 

Marcella ayant perdu son père et étant demeurée veuve sept mois après avoir été mariée, sa jeunesse, la splendeur de sa maison, la douceur de son esprit, et, ce qui touche d'ordinaire davantage les hommes, son excellente beauté portèrent Cereal, dont le nom est si célèbre entre les consuls, à désirer avec ardeur de l'épouser; et, étant déjà fort vieux, il lui promettait de la rendre héritière de ses grands biens, voulant par une telle donation la traiter comme si elle eût été sa fille et non pas sa femme. Albina, sa mère, souhaitait fort un si puissant appui pour sa maison qui en était alors destituée; mais Marcella dit que, quand elle n'aurait point résolu de faire un voeu de chasteté, si elle eût voulu se marier elle aurait cherché un mari et non pas une succession. Sur quoi Cereal lui ayant mandé que les vieux peuvent vivre longtemps et les jeunes mourir bientôt, elle répondit de fort bonne grâce: « Il est vrai qu'une jeune personne peut mourir bientôt, mais un vieillard ne saurait vivre longtemps. » Ainsi, avant eu son congé, nul autre n'osa plus prétendre de l'épouser.

Nous lisons dans l'évangile de saint Luc (282) qu'Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser, prophétisait, et était extrêmement âgée ; qu'elle avait vécu sept ans avec son mari ; qu'elle avait quatre-vingt-quatre ans; qu'elle ne bougeait du temple, et passait les jours et les nuits en jeûnes et en oraisons, employant ainsi toute sa vie au service de Dieu; ce qui fait que l'on ne doit pas trouver étrange qu'elle ait vu son Sauveur, puisqu'elle le cherchait avec tant de soins et tant de peines. Comparons sept ans avec sept mois : espérer la venue de Jésus-Christ et le posséder ; le confesser après sa naissance et croire en lui après sa mort; ne le méconnaître pas étant enfant, et se réjouir de ce qu'étant homme parfait il règne à jamais dans le ciel

je ne vois pas que l'un doive faire différence entre ces saintes femmes, ainsi que quelques-uns en mettent d'ordinaire si mal à propos entre les hommes les plus saints et les princes mêmes de l'Eglise. Ce que je dis seulement pour faire connaître qu'ayant travaillé toutes deux également , elles jouissent maintenant de la même récompense.

 

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CHAPITRE II. L'admirable vertu de sainte Marcella la mit au-dessus de la médisance.

 

Il est fort difficile dans une ville aussi médisante que Il orne, dont. le peuple était autrefois composé de toutes les nations du monde et où les vices triomphent, de ne recevoir pas quelque attaque par les impostures des bruits malicieux inventés et semés par ces personnes qui prennent plaisir à blâmer les choses les plus innocentes et la vouloir découvrir des taches en celles qui sont les plus pures; ce qui fait que le prophète souhaite plutôt qu'il n'estime qu'on puisse trouver une chose aussi difficile et presque aussi impossible à rencontrer qu'est celle-ci, lorsqu'il dit : «  Bienheureux sont ceux qui marchent dans la voie du Seigneur, et qui ne rencontrent rien en leur chemin qui leur puisse imprimer la moindre tache! » Il dit que ceux-là sont sans tache dans la voie de ce siècle qui n'ont point été infectés de l'air de ces bruits malicieux, et à qui l'on n'a point fait d'injure. Notre Sauveur dit dans l'Évangile : « Ayez une opinion favorable de votre adversaire lorsque vous êtes en chemin avec lui.» Or, qui a jamais entendu publier quelque chose de désavantageux de la personne dont je parle et y a ajouté créance? ou qui est celui qui l'a cru sans s'accuser lui-même de malice et de lâcheté? Marcella a été la première qui a confondu le paganisme en faisant voir à tout le monde quelle doit être cette vertu d'une veuve chrétienne qu'elle portait dans le coeur, et qui paraissait en ses habits ; car les veuves païennes ont coutume de se peindre le visage de blanc et de rouge, d'être très richement vêtues, d'éclater de pierreries, de tresser leurs cheveux avec de l'or, de porter à leurs oreilles des perles sans prix, d'être parfumées, et de pleurer de telle sorte la mort de leurs maris qu'elles ne peuvent ensuite cacher leur joie d'être affranchies de leur domination, ainsi qu'il parait lorsqu'on les voit en chercher d'autres, non pas pour leur être assujetties comme Dieu l'ordonne., mais au contraire pour leur commander; ce qui fait qu'elles en choisissent de pauvres, afin que, portant seulement le nom de maris, ils souffrent avec patience d'avoir des rivaux, et soient aussitôt répudiés s'ils osent seulement ouvrir la bouche pour s'en plaindre. La sainte veuve dont je parle portait des robes pour se défendre seulement du froid, et non pas pour montrer seulement à découvert une partie de son corps; elle ne garda rien qui fût d'or, non pas même son cachet, aimant mieux employer toutes ces superfluités à nourrir les pauvres que de les enfermer dans ses coffres; elle n'allait jamais sans sa mère. Les diverses rencontres d'une aussi grande maison qu'était la sienne y faisant quelquefois venir des ecclésiastiques et des solitaires, elle ne les voyait qu'en compagnie, et elle avait toujours avec elfe des vierges et des veuves de grande vertu, sachant qu'on juge souvent des maîtresses par l'humeur trop libre des filles qui sont à elles, et que chacun se plait en la compagnie des personnes qui lui ressemblent.

 

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CHAPITRE III. Amour de sainte Marcella pour l'Ecriture sainte. Son excellente conduite. hale fut la première dans Rome qui embrassa une vie retirée et solitaire.

 

Son amour pour l'Écriture sainte était incroyable, et elle chantait toujours : «J'ai caché et consacré vos paroles dans mon cœur,afin de ne vous point offenser; » et cet autre verset (283) où David, parlant de l'homme parfait, dit : « Il n'a point d'autre volonté que la loi de son Seigneur, laquelle il médite jour et nuit, » entendant par cette méditation de la loi, non pas de répéter souvent les paroles de l'Ecriture ainsi que faisaient les pharisiens, mais de les pratiquer selon ce que l'Apôtre nous l'enseigne lorsqu'il dit: « Soit que vous buviez, que vous mangiez ou que vous vous occupiez à quelque autre chose, faites toutes ces actions pour la gloire de Dieu; , à quoi se rapportent ces paroles du Prophète royal : « L'exécution de vos commandements m'a donné intelligence, pour témoigner par là qu'il ne pouvait mériter d'entendre l’Ecriture sainte qu'après qu'il aurait accompli les commandements de Dieu. Nous lisons aussi la même chose dans les Actes, où il est porté que Jésus « commença à agir et à enseigner ; » car il n'y a point de doctrine, si relevée qu'elle soit, qui nous puisse empêcher de rougir de honte lorsque notre propre conscience nous reproche que nos actions ne sont pas conformes à nos connaissances; et en vain. celui qui est enflé d'orgueil à cause qu'il est aussi riche qu'un Crésus, et qui par avarice étant couvert d'un méchant manteau, ne travaille qu'à empêcher que les vers ne mangent les riches habillements dont ses coffres sont remplis, prêche aux autres la pauvreté et les exhorte à faire l'aumône.

Les jeûnes de Marcella étaient modérés. Elle ne mangeait point de chair, et, la faiblesse de son estomac et ses fréquentes infirmités l'obligeant de prendre un peu de vin, elle se contentait le plus souvent de le sentir au lieu de le goûter. Elle sortait peu en public et évitait particulièrement d'aller chez les dames de condition, de peur d'y voir ce qu'elle avait méprisé. Elle allait en secret faire ses prières dans les églises des apôtres et des martyrs, et évitait de s'y trouver aux heures qu'il y avait grande multitude de peuple. Elle était si obéissante à sa mère que cela la faisait agir quelquefois contre ce qu'elle aurait désiré; car Albina. aimant extrêmement ses proches et se voyant sans fils et sans petit-fils, voulait tout donner à ses neveux, et Marcella au contraire eût beaucoup mieux aimé le donner aux pauvres; mais, ne pouvant se résoudre à la contredire, elle donna ses pierreries et tous ses meubles à ses parents, qui, étant fort riches, n'en avaient point besoin; ce qui était comme les dissiper et les perdre, aimant mieux faire cette perte que de déplaire à sa mère.

Il n'y avait point alors à Rome de femme de condition qui sût quelle était la vie des solitaires, ni qui en osât prendre le nom, à cause que cela était si nouveau qu'il passait pour vil et pour méprisable dans l'esprit des peuples. Marcella apprit premièrement par des prêtres d'Alexandrie, et puis par l'évêque Athanase, et enfin par Pierre (qui, fuyant la persécution des hérétiques ariens, étaient venus se réfugier à Rome comme à un port assuré de la foi catholique) la vie du bienheureux Antoine, qui n'était lias encore mort, la manière de vivre des monastères de saint Pacôme en la Thébaïde, et dos vierges et des veuves. Alors elle n'eut point de liante de faire profession de ce qu'elle connut être agréable à Jésus-Christ, et plusieurs années après elle fut imitée par Sophronia et par d'autres. L'admirable Paula eut le bonheur de jouir de son amitié, et Eustochia, la gloire des vierges, fut nourrie en sa chambre, d'où il est aisé de juger quelle devait être la maîtresse qui eut de telles disciples.

 

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CHAPITRE IV. Des louanges des femmes. Sainte Marcella se préparait toujours à la mort.

 

Quelque lecteur sans pitié. se rira peut-être de ce que je m'arrête si longtemps à louer des femmes; mais s'il se souvenait de celles qui ont accompagné notre Sauveur et l'ont assisté de leur bien, s'il se souvenait de ces trois Maries qui demeurèrent debout au pied de sa croix, et particulièrement de cette Marie-Madeleine qui, à cause de sa vigilance et de l'ardeur de sa foi, a été nommée une tour inébranlable et s'est rendue digne de voir, autant même qu'aucun des apôtres, Jésus-Christ ressuscité, il s'accuserait plutôt de présomption qu'il iîe m'accuserait d'extravagance, lorsque je juge des vertus non pas par le sexe, mais parles qualités de l'âme, et que j'estime qu'il n'y en a point qui méritent tant de gloire que ceux qui pour l'amour de Dieu méprisent leur noblesse et leurs richesses; ce qui lit que Jésus-Christ eut une si grande affection pour saint Jean l'évangéliste, lequel, étant si connu du pontife parce qu'il était de bonne famille, ne put (284) néanmoins être retenu par la crainte qu'il avait de la malice des Juifs de faire entrer saint Pierre chez Caïphe, de demeurer seul de tous les apôtres au pied de la croix, et de prendre pour mère celle: de notre Sauveur, afin qu'un fils vierge recût une mère-vierge comme la succession de son maître-vierge.

Marcella passa donc plusieurs années de telle sorte qu'elle connut plutôt qu'elle vieillissait. qu'elle ne se souvint d'avoir été jeune, et elle estimait fort cette belle pensée de Platon, que la philosophie n'est autre chose qu'une méditation de la mort; ce qui fait aussi dire à l'Apôtre : « Je meurs tous les jours pour votre salut, » et à notre Seigneur, selon les anciens exemplaires : «Nul ne peut être mon disciple s'il ne porte tous les jours sa croix et ne me suit. » et longtemps auparavant à David inspiré du Saint-Esprit: « Nous sommes à toute heure condamnés à la mort à cause de vous, et traités comme des brebis destinées à la boucherie ; ,et depuis longtemps l'Ecclésiastique nous apprend cette belle sentence : « Souviens-toi toujours de l'heure de ta mort, et tu ne pécheras jamais; » et nous lisons aussi dans un éloquent ,tuteur, qui a écrit des satires pour l'instruction des moeurs, cet avertissement si utile :

 

Grave la mort dans la pensée.

Le temps vole en fuyant toujours;

Et tu le vois par ce discours,

Car cette parole est passée.

 

Marcella, ainsi que je commençais de dire, a donc passé sa vie comme croyant toujours mourir, et. a été vêtue comme ayant toujours son tombeau devant les ceux, s'offrant continuellement a Dieu comme une hostie vivante, raisonnable, et agréable à sa divine majesté.

 

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CHAPITRE V. Saint Jérôme, étant allé à Rome, fit amitié avec sainte Marcella. Combien cette sainte était savante dans les saintes Ecritures, et de sa vie solitaire et retirée.

 

Lorsque les affaires de l'Eglise m'obligèrent d'aller à home avec les saints prélats Paulin et Epiphane, dont l'un était évêque d'Antioche en Syrie, l'autre de Salamine en Chypre, et que j'évitais par modestie de voir des dames de condition, elle se conduisit de telle sorte, selon le précepte de l'Apôtre, en me pressant en toutes rencontres de lui parler, qu'enfin elle surmonta ma retenue par ses instances et son adresse. Et d'autant que j'étais en quelque réputation touchant l'intelligence de l'Écriture sainte, elle ne me voyait jamais sans m'en demander quelque chose, et au lieu de se rendre soudain à ce que je lui disais, elle me faisait des questions, non pas à dessein de contester, mais afin d'apprendre par ces doutes les réponses aux difficultés qu'elle savait que l'on y pouvait former.

J'appréhende de dire ce que j'ai reconnu de sa vertu,de son esprit,de sa pureté et de sa sainteté, de peur qu'il ne semble que j'aille au-delà de tout ce que l'on en saurait croire, et de crainte d'augmenter votre douleur en vous faisant ressouvenir de quel bien vous êtes privée ; je dirai seulement que, n'ayant écouté que comme en passant tout ce que j'avais pu acquérir de connaissance de l'Ecriture sainte par une fort longue étude, et qui m'était devenu une autre nature par une méditation continuelle, elle l'apprit et le posséda de telle sorte que, lorsqu'après filon départ il arrivait quelque contestation touchant des passages de l'Écriture, on l'en prenait pour juge. Mais comme elle était extrêmement prudente et savait parfaitement les règles de ce que les philosophes nomment bienséance, elle répondait avec tant de modestie aux questions qu'on lui faisait qu'elle rapportait comme l'ayant appris de moi ou de quelque autre les choses qui venaient purement d'elle, afin de passer pour disciple en cela même où elle était une fort grande maîtresse ; car elle savait que l'Epître a dit: « Je ne permets pas aux femmes d'enseigner, » et elle ne voulait pas qu'il pût sembler qu'elle fit tort aux hommes et même aux prêtres qui la consultaient quelquefois sur des choses obscures et douteuses.

Etant retournés en Bethléem, nous apprîmes aussitôt que vous vous étiez tellement unie avec elle que vous ne la perdiez jamais de vue, que vous n'aviez qu'une même maison et un même lit, et que toute la ville savait que vous aviez trouvé une mère et elle une fille. Le jardin qu'elle avait aux faubourgs vous servit de monastère, et une maison qu'elle choisit à la campagne de solitude, et vous vécûtes longtemps de telle sorte que l'imitation de votre vertu ayant été cause de la conversion de plusieurs personnes, nous nous réjouissions de ce que home était devenue une autre Jérusalem : on v vit tant de monastères de vierges et un si (285) grand nombre de solitaires que la multitude de ceux qui servaient Dieu avec une telle pureté rendit honorable cette sorte de vie, qui était auparavant si méprisée. Cependant nous nous consolions Marcella et moi dans notre absence en nous écrivant fort souvent, suppléant ainsi par l'esprit à la présence, et étant dans une sainte contestation à qui se préviendrait par ses lettres, à qui se rendrait le plus de devoirs, et à qui manderait le plus soigneusement de ses nouvelles ; et nos lettres nous rapprochant de la sorte, nous ne sentions pas tant cet éloignement.

 

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CHAPITRE VI. Services rendus à l’Eglise contre les hérétiques par sainte Marcella.

 

Lorsque nous jouissions de ce repos et ne pensions qu'à servir Dieu, une tempête excitée par les hérétiques s'éleva dans ces provinces, laquelle mit tout en trouble. Leur fureur était portée à un tel point qu'ils ne pardonnaient ni à eux-mêmes ni à un seul de tout ce qu'il y avait de plus gens de bien ; et, ne se contentant pas d’avoir tout mis ici sens dessus dessous, ils envoyèrent jusque dans le port de Home un vaisseau plein de personnes qui vomissaient des blasphèmes contre la vérité. Il se trouva aussitôt des gens disposés à embrasser leurs erreurs, et leurs pieds tout bourbeux remplirent de fange la source très pure de la foi de l'Église romaine. Mais il ne faut pas s'étonner si ce taux prophète abusait les simples, vu qu'une doctrine si abominable et si empoisonnée a trouvé dans Home des gens qui s'en sont laissé persuader. Ce fut alors qu'on vit cette infâme traduction des livres d'Origènes intitulés Périarchon, ou Des principes; ce fut alors qu'ils eurent pour disciple Macaire, lequel eût été véritablement digne de porter ce nom, qui signifie : bienheureux, s'il ne fût point tombé entre les mains d'un tel maître ; ce fut alors que les évêques, qui sont nos maîtres, s'opposèrent à ce ravage et troublèrent toute l'école des pharisiens; et ce fut alors que sainte Marcella, après avoir demeuré longtemps dans le silence de crainte qu'il ne semblât qu'elle ne fit quelque chose par vanité, voyant que cette foi, si louée par la bouche de l'Apôtre, se corrompait

de telle sorte dans les esprits de la plupart de ses concitoyens que les prêtres même et quelques solitaires, mais principalement les hommes engagés dans le siècle, se portaient à embrasser l'erreur et se moquaient de la simplicité du pape, qui jugeait de l'esprit des autres par le sien, elle s'y opposa publiquement, aimant beaucoup mieux plaire à Dieu qu'aux hommes.

Notre Sauveur loue dans l'Evangile ce mauvais maître-d'hôtel qui, ayant agi infidèlement envers son maître, s'était conduit si prudemment dans ses propres intérêts : les hérétiques voyant qu'une petite étincelle était capable de produire un très grand embrasement, que le feu qu'ils avaient allumé était déjà arrivé au comble de la maison du Seigneur, et que les artifices dont ils avaient usé pour en surprendre plusieurs ne pouvaient demeurer plus longtemps cachés, ils demandèrent et obtinrent des lettres ecclésiastiques, afin qu'il parût qu'en partant de Rouie ils étaient dans la communion de l'Église.

Peu de temps après Anastase l'ut élevé au saint-siège : c'était un homme admirable, et home n'en jouit pas longtemps, parce qu'il n'y aurait point eu d'apparence que cette ville impératrice, qui était le chef de tout le monde, fût misérablement ruinée sous un si grand pape; ou plutôt il fut enlevé d'entre les hommes et porté dans le ciel, de peur qu'il ne s'efforçât de fléchir par ses prières l'arrêt que Dieu avait déjà prononcé contre cette malheureuse ville, ainsi qu'il se voit dans l'Ecriture disant à Jérémie : « Ne me prie point pour ce peuple, et ne tâche point de me fléchir afin que je leur fasse miséricorde ; car quand ils jeûneraient je n'écouterais pas leurs prières, et quand ils m'offriraient des sacrifices je ne les recevrais pas; mais je les détruirai par la guerre, par la famine et par la peste.»

On me dira peut-être : Quel rapport a tout ceci avec les louanges de Marcella ? Je réponds qu'il y en a un très grand puisqu'elle l'ut cause de la condamnation de ces hérétiques, car elle produisit des témoins qui, ayant été instruits par eux, avaient depuis renoncé à leur erreur; elle fit voir une grande multitude de personnes qu'ils avaient trompées de la même sorte; elle représenta divers exemplaires de ce livre impie de Périarchon, corrigé de la propre  main de ce dangereux scorpion qui en faisait (286) glisser le venin dedans les âmes, et elle écrivit grand nombre de lettres pour presser ces hérétiques de se venir défendre; ce qu'ils n'osèrent jamais faire, leur conscience les bourrelant de telle sorte qu'ils aimèrent mieux se laisser condamner en leur absence que d'être convaincus en se présentant. Marcella a été la première cause d'une si glorieuse victoire ; et vous, mon Dieu, qui en êtes le chef et la souveraine origine, vous savez que je ne dis rien que de véritable, et que je ne rapporte que la moindre partie de ses grandes et admirables actions, de peur d'ennuyer le lecteur en m'étendant davantage sur ce sujet, et afin qu'il ne semble pas à mes ennemis que sous prétexte de la louer je veuille me venger d'eux. Mais il faut venir au reste.

Cette tempête étant passée d'Occident en Orient, elle menaçait plusieurs personnes d'un grand naufrage. Ce fut alors qu'on vit accomplir cette parole de l'Écriture : «  Croyez-vous que le lits de l’homme, revenant au monde, trouve de la foi parmi les hommes? » La charité de la plupart étant refroidie, ce peu qui aimait la vérité de la foi se joignait à moi : on m attaquait publiquement comme leur chef, et on les persécutait aussi de telle sorte que Barnabé même, pour user des termes de saint Paul, se porta dans cette dissimulation, ou plutôt dans un parricide manifeste qu'il exécuta, sinon d'effet, au moins de volonté. Mais par le souffle procédant de la bouche de Dieu toute cette tempête fut dissipée; et alors ou vit l'effet de cette prédiction du prophète . « Vous retirerez d'eux votre esprit, et aussitôt ils tomberont et retourneront dans la poussière dont ils ont été formés, et en ce même moment tous leurs desseins s'évanouiront; »  comme aussi de cet autre endroit de l'Évangile : « Insensé que tu es! je séparerai cette nuit ton âme d'avec ton corps; et qui possédera alors tous ces grands biens que tu as amassés avec tant de son?»

 

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CHAPITRE VII. Rome prise et saccagée par les Goths. Mort de sainte Marcella.

 

Comme ces choses se passaient en Jérusalem, on nous apporta d'Occident une épouvantable nouvelle, que Rome avait été assiégée, et que ses citoyens, s'étant rachetés en donnant ce qu'ils avaient d'or et d'argent, on les avait encore assiégés de nouveau afin de leur faire perdre aussi la vie après les avoir dépouillés de leurs richesses. Ma langue demeure attachée à mon palais et mes sanglots interrompent mes paroles : cette ville qui avait conquis tout le monde se trouve conquise, ou pour mieux dire elle périt par la faim avant que de périr par l'épée; et il n'y resta quasi plus personne que l'on pût réduire en servitude. La rage qu'inspirait la faim les avait portés jusqu'à manger des viandes abominables; ils se déchiraient les uns les autres pour se nourrir, et il se trouva des mères qui ne pardonnèrent pas même aux enfants qui pendaient à leurs mamelles, faisant ainsi rentrer dans leur sein ceux qu'elles en avaient mis dehors peu de temps auparavant. Moab fut prise de nuit et ses murailles tombèrent la nuit. « Seigneur, les nations idolâtres sont entrées dans votre héritage; elles ont violé la sainteté de votre temple, saccagé Jérusalem, donné les corps morts de vos saints en pâture aux oiseaux du ciel et leur chair à dévorer aux animaux de la terre; elles ont répandu leur sang comme de l'eau tout autour de la sainte cité, et il ne se trouvait personne pour les enterrer.»

 

Quels cris et quels sanglots par leur triste langage

Pourraient de cette nuit raconter le carnage?

Et qui, changeant ses yeux en des sources de pleurs,

Pourrait de tant de maux égaler les douleurs?

Cette ville superbe et si longtemps régnante

Tombe et nomme en tombant la fortune inconstante;

Elle nage en son sang, et la rigueur du sort

Y montre eu cent façons l'image de la mort.

 

En cette horrible confusion les victorieux, tout couverts de sang, entrèrent aussi dans la maison de Marcella. Ne me sera-t-il pas permis de dire ici ce que j'ai entendu, ou plutôt de raconter des choses qui ont été vues par des hommes pleins de sainteté qui se trouvèrent présents lorsqu'elles se passèrent, et qui témoignent, ô sage Principia, que, l'accompagnant dans ce péril, vous ne courûtes pas moins de danger. Ils assurent donc qu'elle reçut sans s'étonner et d'un visage ferme ces furieux, lesquels lui demandant de l'argent, elle leur répondit qu'une personne qui portait une aussi méchante robe qu'était la sienne n'était. pas pour avoir caché des trésors dans la terre. Cette pauvreté volontaire dont elle faisait profession ne fut pas capable de leur faire ajouter foi à ses paroles; mais ils la fouettèrent cruellement, et (287) elle, se jetant à leurs pieds comme si elle eût été insensible à ses douleurs, ne leur demandait autre grâce sinon qu'ils ne vous séparassent point d'avec elle, tant elle avait peur que votre jeunesse vous fit recevoir des outrages et des violences qu'elle n'avait point sujet de craindre pour elle-même à cause de sa vieillesse. Jésus-Christ amollit la dureté du coeur de ces barbares : la compassion trouva place entre leurs épées teintes de sang; et vous ayant menées toutes deux dans l'église de saint Paul, pour vous assurer de votre vie si vous leur donniez de l'argent ou pour vous y faire trouver un sépulcre, on dit qu'elle fut comblée d'une telle joie qu'elle commença de rendre grâces à Dieu de ce qu'ayant conservé votre virginité, il vous réservait à finir votre vie pour son service; de ce que la captivité l'avait trouvée, mais non pas rendue pauvre; de ce qu'il n’avait point de jour que, pour être nourrie, elle n'eût besoin qu'on lui fit quelque charité; de ce qu'étant rassasiée de son Sauveur, elle ne sentait pas la faim, et de ce que l'état où elle était réduite pouvait, aussi bien que sa langue, lui faire dire : « Je suis sortie toute nue du ventre de ma mère, et j'entrerai toute nue dans le tombeau. La volonté de Dieu a été accomplie son saint nom soit béni! »

Quelques jours après, son corps étant sain et plein de vigueur, elle s'endormit du sommeil des justes, vous laissant héritière du peu qu'elle avait dans sa pauvreté, ou, pour mieux dire, en laissant les pauvres héritiers par vous. Vous lui fermâtes les yeux ; elle rendit l'esprit entre les baisers que vous lui donniez, et, trempée de vos larmes, elle souriait, tant était grand le repos que la manière dont elle avait vécu donnait à sa conscience, et tant elle était contente d'aller jouir des récompenses qui l'attendaient dans le ciel.

Voilà, bienheureuse Marcella que je ne saurais trop révérer, voilà, ô Principia, sa chère fille, ce que j'ai dicté en une nuit pour m'acquitter de ce que je vous dois à toutes deux. Vous n'y trouverez point de beauté de style, mais une volonté pleine de reconnaissance envers l'une et envers l'autre, et un désir de plaire à Dieu et à ceux qui le liront.

 

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