II  — VERTUS
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LIVRE SECOND — VERTUS DE S. THOMAS D'AQUIN

 

CHAPITRE PREMIER. PRINCIPES ET MAXIMES SUR LA VIE SPIRITUELLE.

CHAPITRE II. ESPRIT DE PRIÈRE

CHAPITRE III. DÉVOTION ENVERS JÉSUS-CHRIST, LA SAINTE VIERGE, LES SAINTS

CHAPITRE IV. HUMILITÉ, OBÉISSANCE ET PARFAIT DÉTACHEMENT

CHAPITRE V. CHARITÉ ET DOUCEUR

CHAPITRE VI. ANGÉLIQUE PURETÉ

CHAPITRE VII. SCIENCE MIRACULEUSE — SANCTIFICATION DE L'ÉTUDE

CHAPITRE VIII. ZÈLE APOSTOLIQUE

CHAPITRE IX. SAINTES AFFECTIONS DE LA FAMILLE PORTRAIT ET CARACTÉRE DE SAINT THOMAS.

 

 

CHAPITRE PREMIER. PRINCIPES ET MAXIMES SUR LA VIE SPIRITUELLE.

 

Sitis perfecti in eodem sensu et eadem sententia. I Cor., I, 10.

Soyez parfaits en adoptant les mêmes sentiments et les mêmes maximes.

 

 

GUILLAUME de Tocco raconte d'un religieux, qui n'est autre que lui-même, la vision suivante : « Un Frère très dévot à saint Thomas songeait avec anxiété à la manière dont il retracerait une vie que rehaussaient tant de miracles, que recommandait l'éclat d'un si juste renom. Il conjura Dieu, par l'intercession du bienheureux Thomas, de lui accorder les qualités nécessaires pour raconter avec fruit l'heureuse naissance du Saint, les événements de sa vie, ses progrès dans la science et sa précieuse mort. Après avoir prié, il (196) s'endormit vers l'aurore, et vit en songe un tissu aux mailles d'argent, enrichies de pierres précieuses. Ces pierres étaient enchâssées dans chaque noeud avec une variété admirable. Comprenant que ce réseau si richement orné signifiait spécialement la vie et les vertus du saint Docteur, le Frère se demandait à quelles vertus correspondaient les pierreries diversement nuancées. Ayant joui longtemps de cette vision, il se réveilla, et reprit sans peine le travail commencé.

« De cette apparition il ressort manifestement que ,la vie tout entière de saint Thomas mérite d'être comparée à l'argent : elle en a la blancheur par la pureté des intentions; la netteté, par la simplicité des actions ; la sonorité, par le retentissement de la doctrine. Cette vie ressemble de plus à un réseau, par suite de l'enchaînement fidèle des actes et de l'enseignement. Quant aux pierres précieuses, elles désignent les vertus infuses que Dieu déposa dans cette âme comblée de tous les dons du ciel. »

Ainsi parle dans sa naïveté le pieux chroniqueur.

 

Avant d'étudier cette trame mystique des vertus de saint Thomas, une exposition sommaire de ses PRINCIPES ET MAXIMES SUR LA VIE SPIRITUELLE nous paraît logique.

D'après l'oracle, de la Vérité même, la bouche parle de l'abondance du coeur. Les paroles recueillies sur les lèvres du Docteur angélique révèlent, on n'en saurait douter, le trésor amassé au fond de son coeur dès l'âge le plus tendre. Ces paroles, c'es maximes, ces réflexions ne sont, il est vrai, qu'un atome, en regard des pages où l'Ange de l'école développe magistralement les principes de la vie spirituelle. Mais un simple atome; quand il s'agit du prince des théologiens, est un monde de richesses.

 

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Touchant la vie religieuse — nous pouvons appliquer cette remarque à toute vie chrétienne — saint Thomas avait pour maxime qu'il ne faut jamais rien retrancher de ses premières pratiques, mais y ajouter plutôt, chaque jour.

Il demandait sans cesse dans ses prières la ferveur croissante, estimant comme indigne d'un esprit sérieux et d'un coeur généreux cette déplorable pente au relâchement, qui porte à d'égoïstes calculs une âme rachetée par le sang d'un Dieu !

Pour éviter ce malheur, en même temps que .pour entretenir le désir allumé dans son âme à l'époque de ses premiers engagements, Thomas étudiait avec grande avidité les Vies des Pères du désert, et spécialement l'ouvrage connu sous le nom, de Conférences de Cassien.

Cet ouvrage, dans lequel le fondateur de l'abbaye de Saint-Victor, ,à Marseille, raconte ses entretiens avec les saints anachorètes d'Egypte et de Palestine, visités par, lui, fut, durant le moyen âge, l'aliment spirituel le plus goûté des moines de l'Occident. Saint Benoît le recommandait instamment à ses religieux. L'usage s'était introduit d'en lire quelques lignes à haute voix, pendant que les moines prenaient sur le soir l'adoucissement au jeûne, qui, du titre même du livre, en latin Collationes, reçut, le nom de collation.

En cherchant par cette lecture à raviver sa ferveur, saint Thomas ne faisait qu'imiter son bienheureux Père, saint Dominique.

Les auteurs rapportent que, malgré sa prodigieuse mémoire, à laquelle suffisait habituellement une première lecture, notre Saint ne laissait pas de lire et de relire son livre préféré. On lui demanda, un jour, pourquoi il y consacrait un temps précieux, qu'il aurait pu employer à la (198) contemplation. Sa réponse fait entendre quel fruit on doit retirer de la lecture spirituelle, tant recommandée aux personnes vraiment désireuses de progresser dans la vertu.

« De cette lecture, dit-il, je recueille la dévotion : mon esprit en a besoin pour s'élever plus haut, mon cœur pour s'enflammer davantage. »

Utile leçon, donnée à tant d'esprits volages, qui parcourent plusieurs livres de spiritualité, sans retirer d'aucun le miel de la vraie dévotion !

Du reste, c'était un autre principe de saint Thomas, pour l'avancement spirituel comme pour le progrès dans les sciences, de s'en tenir à un bon auteur, un seul, choisi après mûr examen, ou d'après le conseil d'un guide éclairé. Il réprouvait là multiplicité des livres et l'inconstance de l'esprit porté à tout effleurer sans rien approfondir. Aussi quelqu'un lui ayant demandé le moyen de devenir savant, il répondit : C'est de ne lire qu'un livre.

Il protestait hautement qu'une âme qui ne prie pas ne fait aucun progrès dans la vertu, et qu'un religieux sans oraison est un soldat sans armes. D'où cette maxime : Quiconque aspire à la perfection doit, sous peine de ne point avancer, s'adonner fortement et sérieusement à l'oraison. Et comme le succès d'une bonne oraison dépend du recueillement en Dieu durant le cours des actions ordinaires, il estimait qu'une personne vraiment chrétienne doit être non moins attentive à la présence de Dieu, que zélée pour l'exercice de la méditation; il allait jusqu'à s'étonner qu'un religieux pût jamais penser à autre chose qu'à Dieu.

On lui demandait à quel signe on pouvait reconnaître un homme vraiment parfait dans les voies spirituelles. Voici la belle réponse qu'il donna : « Lorsque vous verrez (199) quelqu'un se permettre, en conversation, des propos burlesques, et se montrer piqué d'être compté pour rien, celui-là, quand bien même il ferait des miracles, ne le tenez point pour parfait; sa vertu manque de base, et qui ne sait rien souffrir est bien prêt de tomber. » Il ajoutait : « Quiconque ne parle que de bagatelles est une paille emportée par le vent. » Aussi, dès sa jeunesse, lorsque la conversation, après avoir roulé sur des sujets édifiants et instructifs, descendait à des frivolités, avait-il coutume de se retirer discrètement.

Ce n'est pas que saint Thomas entendit bannir l'entrain, la gaieté, les joyeusetés de bon aloi, condiment nécessaire d'une récréation utile et honnête : bien au contraire. Mais il condamnait la dissipation, le sans-gêne, à plus forte raison ces plaisanteries fades oui grossières, que le grand Apôtre défendait à ses disciples d'Ephèse, et que réprouve la bonne éducation, à défaut même du sens chrétien.

Il aimait à dire que l'oisiveté sert d'hameçon au diable pour prendre les âmes et les attirer dans le péché. Le péché comme notre Docteur en avait compris la malice, les, redoutables conséquences! Ce penseur sans rival, qui avait, scruté tant de mystères, approfondi tant de questions, avouait pourtant ne, pas comprendre une chose : Comment un homme, avec la conscience chargée d'un seul péché mortel, pouvait manger, dormir et se livrer à la joie !

Au sujet de la chasteté, voici l'une de ses gracieuses comparaisons. L'artiste, pour faire son tableau, commence par étendre sur la toile une couche légère d'un blanc très pur : « De même, disait-il, la chasteté est comme un fond de, neige, sur lequel le Seigneur aime à dessiner l'une ou l'autre de ses grâces; mais cette vertu, sans l'accompagnement de la charité, n'est qu'une lampe sans huile, (200) incapable de répandre autour d'elle la lumière , l'éclat, l'attrait. »

Parlant de la pauvreté volontaire, dont certains font parade tout en se montrant impatients dans les privations, saint Thomas répétait que la pauvreté du moine qui ne veut endurer la moindre chose est argent perdu et dépense inutile.

Quant à l'obéissance, elle a retrouvé, disait-il, la clef du Paradis que la désobéissance avait perdue.

Une différence notable entre l'impie et l'homme juste, c'est que soumis l'un et l'autre au feu de la tribulation, le premier se consume comme de la paille, le second resplendit comme un or affiné.

Au soldat du Christ, qui a une guerre perpétuelle à soutenir contre ses défauts, est nécessaire, disait-il encore, le bouclier de la patience, vertu qui est un gage certain d'amour pour Dieu. Le triomphe de la patience, ajoutait-il, est supérieur à celui de la force; car il est moins aisé de se vaincre soi-même que de mettre en fuite toute une armée. Le moyen le plus efficace d'acquérir la patience, c'est d'avoir le regard constamment fixé sur la Croix.

Autre maxime du Saint: ne point laisser les vieux amis pour courir après de nouveaux; agir autrement, c'est aimer pour soi-même comme on aime des fleurs, que l'on s'empresse de rejeter dès qu'elles ont perdu leur fraîcheur première.

Estimant la sagesse un des plus grands dons de Dieu, saint Thomas enseignait que l'homme était incapable de l'acquérir par les seules forces de son travail personnel ; aussi la science sans la vertu lui parut toujours suspecte.

C'était encore une de ses sentences habituelles, que celui qui veut se faire tout à tous, suivant le conseil de l'Apôtre, (201) ne doit point, dans son zèle, s'exclure lui-même de cette première charité : savoir s'appartenir était, à ses yeux, d'un prix inestimable; l'une des principales causes du peu de lumière dans le monde provenait, à son avis, du manque de réflexion de l'homme sur lui-même.

Pour encourager les autres à marcher joyeusement dans la voie des observances religieuses, il aimait à parler des avantages que ces observances apportent à l'âme et au corps, tels que santé, prolongement des années, sauvegarde de la vie surnaturelle : le démon, vaincu de ce côté n'ose plus exciter les révoltes de la chair, tandis que l'excès dans le boire et le manger ouvre la porte à ses tentations et lui promet un triomphe facile. — A ces premiers avantages, il ne manquait pas d'ajouter, celui de l'intelligence de la science divine, apportant l'exemple des trois jeunes Hébreux, estimés plus savants,que tous les satrapes de Babylone, grâce à leur sobriété; car, au dire du texte sacré, ils refusaient les mets délicats de la table royale pour se contenter d'une nourriture simple et frugale, et ne buvaient même que de l'eau.

Un jour, la comtesse de San-Severino, sa soeur, lui demanda de quelle manière elle pourrait devenir une sainte. Thomas lui répondit : En le voulant! Parole profonde, qui s'entend d'une volonté ferme et efficace, et non de ces velléités, de ces demi-vouloirs avec lesquels tant d'âmes vont cri enfer ! Qui plus que notre Saint possédait cette énergie de volonté? N'en avait-il pas donné la preuve lorsque à l'âge des illusions et des plaisirs, à dix-sept ans, il avait su résister aux entraînements de la chair et du sang, braver même les ennuis d'une longue réclusion, pour suivre la voie qui lui semblait l'unique voie du salut ?

La même comtesse l'interrogea de nouveau sur ce qu'il (202) y a de plus souhaitable en cette vie. Il lui repartit : C'est de bien mourir.

Poursuivant ses demandes, elle le pria de lui dire ce qu'est le Paradis, Il répondit que jamais elle ne pourrait le savoir qu'elle ne l'eût mérité. C'était faire entendre que la possession seule de ce bonheur parfait peut nous en révéler la nature. Autrement nul n'en saurait parler. Car ici-bas l’oeil de l'homme n'a point vu, son oreille n'a point entendu, son coeur n'a jamais  soupçonné ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment (1). Il en est du Paradis comme de celui qui en est le maître et souverain monarque : il faut premièrement goûter, pour juger ensuite combien il est doux. (2)

 

Les pages qui précèdent résument ce que les historiens nous ont appris des maximes et des principes de  saint Thomas sur la vie spirituelle (3).

De tels sentiments, de si admirables dispositions nous montrent à quel degré sublime le saint Docteur possédait les quatre grandes vertus qui forment les assises de la vie morale.

La prudence éclate dans les précautions qu'il prend pour ne jamais déchoir de sa première ferveur ;

La justice, dans sa fidélité envers Dieu, ses égards et sa déférence pour le prochain, et dans l'abnégation de lui-même;

La force, dans sa constance à vouloir, mais tout de bon, arriver au salut et à la sainteté;

La tempérance enfin, dans ces principes de réserve, de retenue et de mortification que nous avons cités.

 

(1) I Cor., II, 9.

(2) PS. XXXIII, 9.

(3) Cf. CASTILLO, Histoire de Saint Dominique et de son Ordre. — FRIGERIO, Vie de Saint Thomas. — MARCHESE, Diario Domenicano.

 

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Après cela, nous croirons sans peine au témoignage d'un contemporain, Frère Conrad de Suessa, qui ayant vécu plusieurs années dans le même couvent que saint Thomas, à Orvieto, à Rome et à Naples, déposa, sous la foi du serment, qu'il l'avait. toujours vu progresser dans la perfection, et avancer de vertu en vertu.

 

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CHAPITRE II. ESPRIT DE PRIÈRE

Apud me oratio Deo vites meae. Ps. XLI, 9.

Je priais au dedans de moi-même le Dieu qui est ma vie.

 

COMME une cire tendre et immaculée, l'âme de l'enfant, dans sa candeur native, conserve ordinairement la première empreinte qu'elle a subie. Si cette empreinte est celle du doigt divin, quelle grâce insigne !

Cette grâce, saint Thomas la reçut aux premières lueurs de sa raison. Sitôt qu'il put former quelques paroles, il exprima son amour pour Dieu, le désir dei connaître ses perfections adorables. Frappé d'une pensée — pensée bien digne du futur prince de la théologie — à six ans, au Mont-Cassin, déjà il posait gravement cette question: Dieu, qu'est-ce que Dieu ?... A mesure qu'il connut davantage l’Etre infini, cette Bonté qui, sourit à toute la nature, mais qui pour l'homme se montre remplie de prévenances délicates, plus délicates que celles d'une mère à l'égard du fruit de sa tendresse, l'enfant se mit avec ardeur à la poursuite de la Vérité sans ombre, de la Beauté sans tache.

Le Seigneur va au-devant de ceux qui le cherchent ; il (206)  repose avec complaisance son regard sur ceux qui interrogent le sien. Notre grand Docteur éprouva merveilleusement les effets de cette grâce qui prévient, qui soulève, qui rapproche de plus en plus une âme de son centre. Pour employer les termes d'un historien, le Dieu de bonté l'éleva jusqu'au troisième ciel de la plus sublime oraison ; il l'y conduisit doucement, comme par la main, et enfin lui dressa une magnifique tente sur, ce Thabor, cette montagne de lumières, séjour des âmes spécialement chéries de l'Eternel.

Saint Thomas vivait de Dieu par une application parfaite à la prière, et par l'offrande assidue de toutes ses actions. Cent fois le jour, il décochait vers le ciel ces flèches embrasées que l'on nomme oraisons jaculatoires. En avançant en âge, il augmenta le nombre de ses prières et de ses méditations ; devenu religieux, il suivit scrupuleusement les exercices de la communauté, et parvint à une union pour ainsi dire perpétuelle avec Dieu.

La nuit, levé avant tous les autres, il priait longtemps dans l'église, et dès que la cloche allait sonner Matines, il regagnait sa cellule pour en redescendre aussitôt, et donner ainsi à penser qu'il ne faisait rien d'extraordinaire. Le jour, il assistait habituellement à tous les offices, sans user des légitimes dispenses auxquelles lui donnaient droit ses études continuelles, ses leçons, la composition de si nombreux ouvrages, les visites de tant de personnes avides de ses conseils. La divine psalmodie terminée,, il vaquait encore à l'oraison mentale.

Son âme entrait alors dans un commerce intime avec Dieu. Son corps devenait immobile, ses larmes coulaient en abondance, et maintes fois on le vit élevé de terre: de plusieurs coudées. C'était le moment où saint Thomas, (207) acquérait les plus hautes connaissances, trouvait infailliblement la solution de ses difficultés, l'intelligence des textes de l'Ecriture, et les décisions théologiques dont il avait besoin. Lui-même en fit la confidence à Frère Réginald, son confesseur, avouant qu'il avait plus appris par ses méditations, à l'église, devant le Saint Sacrement, ou dans sa cellule au pied du Crucifix, que dans tous les livres qu'il avait consultés.

Eminemment contemplatif, disent les Actes de sa vie, tout appliqué aux choses de Dieu, le saint Docteur était le plus souvent ravi hors de lui-même. C'était merveille d'observer cet homme dans les actions qui ont coutume de distraire les sens : repas, conversations, visites. Tout à coup il s'élevait vers les régions célestes, laissant, pour ainsi dire, la place qu'occupait son corps, pour suivre l'élan de son esprit.

Un jour, racontent divers auteurs, on servit au réfectoire des olives salées à tel point que personne n'en put manger. Saint Thomas seul acheva sa portion ; on s'en aperçut trop tard pour l'arrêter. Après le repas, un Frère lui dit : « Maître, comment avez-vous pu goûter seulement à ces olives ? — Pourquoi donc n'en aurais-je pas mangé? répondit Thomas. —  Elles étaient horriblement salées. Le Saint réfléchit un instant, et, voulant couvrir son recueillement en Dieu, il repartit avec un sourire : « Pour dessécher une masse de chair comme la mienne, ne faut-il pas beaucoup de sel ? »

Pareille abstraction le prit, on s'en souvient, à la table de saint Louis, lorsque, moins attentif à la grandeur des rois de la terre qu'à l'honneur du Roi du ciel, il s'écria en frappant du poing : « Argument péremptoire contre les Manichéens! »

 

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Frère Raymond Stephani, religieux napolitain, citait un fait du même genre, qui prouve que pour saint Thomas contemplation et étude étaient une seule et même chose.

« Un cardinal, revêtu alors de la qualité de légat en Sicile, ayant ouï les merveilles qu'on racontait de Frère Thomas d'Aquin, pria l'archevêque de Capoue de lui procurer un entretien avec ce Maure. Ils se rendent au. couvent de Saint-Dominique; on appelle le Docteur, qui descend de sa chambre de travail, tout en demeurant dans une abstraction complète des sens. Les visiteurs attendaient depuis plusieurs minutes qu'il, revînt à lui, lorsque tout à coup, son visage prenant, une expression radieuse, il s'écria: « J'ai maintenant ce que je, cherchais. » Comme le saint Docteur ne donnait aux deux prélats aucune marque de révérence, le cardinal commençait à concevoir intérieurement quelque mépris et laissait percer son désappointement. L'archevêque s'en aperçut et dit aussitôt: « Monseigneur, ne vous étonnez pas de ce que vous voyez : le Maître est souvent dans ces abstractions, au point de ne pouvoir adresser la parole, quelles que soient les personnes avec lesquelles il se trouve. » Puis il tira vivement Thomas par sa chape. Le Saint, revenant de sa contemplation comme d'un sommeil, et se voyant en face de si grands personnages, s'inclina respectueusement, demanda pardon à l'éminent cardinal, et engagea fort courtoisement la conversation. On voulut savoir pourquoi, quelques instants plus tôt, il avait montré un visage si joyeux. Il répondit : « Je viens de trouver un bel argument sur une question qui m'a longtemps arrêté ; le contentement intérieur que j'en ai ressenti s'est manifesté par la joie qui a paru sur mes traits. »

 

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Chose non moins merveilleuse, attestée par des auteurs parfaitement dignes de foi : tel était l'empire que, par l'habitude de la contemplation, saint Thomas avait acquis sur les puissances de son âme et de son corps, qu'il pouvait à son gré provoquer ces ravissements, au point de perdre toute sensibilité. En voici plusieurs exemples.

Les médecins avaient conseillé de lui cautériser la jambe. Il dit à son compagnon : « Quand on viendra m'appliquer le feu, prévenez-moi d'avance. » Sa recommandation fut suivie. Le Saint aussitôt, se mettant au lit, entra dans une extase qui le rendit insensible à toute  douleur; les assistants purent s'en convaincre à l'immobilité du membre, malade, tandis que le chirurgien brûlait les chairs.

Une autrefois, à Paris, on dut lui faire, une saignée. Saint Thomas, à cause de l'extrême délicatesse de son organisme physique, redoutait toute opération chirurgicale. Grâce à son moyen ordinaire, le ravissement en Dieu, il n'éprouva pas la moindre sensation.

Une nuit qu'il dictait dans sa cellule sur la Sainte Trinité. il eut besoin de recourir à l'oraison pour obtenir l'intelligence d'un texte fort obscur. Il s'agenouilla, prit un cierge et dit à son secrétaire : « Quoi que vous voyiez en moi, gardez-vous d'appeler.» Puis il entra dans sa contemplation. Au bout d'une heure, le cierge s'était consumé presque en entier. Notre Saint demeura insensible aux ardeurs de la flamme qui lavait atteint ses doigts.

L'oraison, qui absorbait si totalement l'homme de Dieu et lui enlevait toute sensibilité physique, n'endormait cependant pas toujours sa connaissance touchant les choses du dehors, même les plus secrètes. Un jour, à Naples, Dieu lui accorda de lire dans la pensée d'autrui.

 

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Thomas était au chœur, assistant avec grande piété à la messe conventuelle, lorsque le portier du couvent vint appeler un Frère auquel on apportait une pâtisserie. Le Frère sortit, et rentra bientôt après, l'âme fort agitée. Le Saint, en ayant révélation, dit tout bas au religieux

« Mon Frère, veillez sur vos pensées et ne cédez pas au tentateur. — Maître, répondit le Frère, je m'efforce de bien entendre la messe que l'on célèbre en ce moment. — Dites-moi, reprit Thomas, pour quel motif vous avez quitté le choeur. » Le Frère, comprenant à cette question que son secret était connu, avoua la tentation qui l'obsédait. Thomas ajouta: . « J'ai vu le démon danser devant vous, en vous présentant votre pâtisserie. Gardez-vous bien de la manger tout seul ; mais partagez charitablement avec vos Frères. » Le religieux, plein d'admiration, rendit grâces à Dieu d'abord, puis à Frère Thomas, qui lui avait donné un avertissement si salutaire.

La bonté divine se plaisait à exaucer les demandes de son fidèle serviteur, même en des sujets de l'ordre purement temporel.

A l'époque où saint Thomas enseignait à Paris, il devait, un jour, devant tous les membres de l'Université, conclure une question qui avait été discutée la veille. En se levant, pour prier, au milieu de la nuit, selon sa coutume, il sent tout à coup dans sa bouche une excroissance fort gênante pour la parole. Grande est sa perplexité, parce que l'heure ne lui permet plus de mander un chirurgien. Le Frère qui couchait près de sa cellule s'efforce de le rassurer, en lui représentant qu'il sera facile le lendemain matin de donner contre-ordre, en faisant connaître l'accident inopinément survenu. Mais le saint Docteur, considérant d'un côté la déception des maîtres et des étudiants, et de l'autre le (213) danger qui pourra résulter pour lui d'une opération difficile, répond avec confiance : « Je ne vois d'autre ressource que de m'abandonner à la providence de Dieu. » Tombant à genoux, il conjure longtemps le Seigneur de l'assister. Tandis qu'il redouble de supplications, la tumeur disparaît : Thomas se trouve entièrement soulagé.

Deux grâces étaient l'objet assidu de ses prières : l'une, de savoir si son enseignement et ses actes plaisaient à Dieu; l'autre de persévérer toujours dans ses premières résolutions et de mourir simple religieux. Après la mort de ses frères, victimes de la vengeance impériale, il en ajouta une troisième : celle de connaître leur sort éternel.

Ces demandes lui furent toutes trois accordées. Il apprit le salut de ses frères, de la manière que nous verrons plus loin; Dieu permit qu'il n'exerçât, jamais ni supériorité dans son Ordre, ni dignité dans l'Eglise; enfin il fut assuré de la bonne disposition de son âme par une vision, « non pas, imaginaire mais corporelle », que Guillaume de Tocco rapporte ainsi qu'il suit :

« Frère Thomas priait à Naples, dans l'église du couvent, lorsque lui apparut Frère Romain, maître en théologie son successeur au collège de Saint-Jacques. Frère Thomas, se trouvant en face de ce religieux, lui dit : « Soyez le bienvenu. Quand donc êtes-vous arrivé? » Celui-ci répondit : « Je suis sorti de ce monde, et il m'a été permis de vous apparaître à cause de vos mérites. » Le saint Docteur, que cette vision soudaine avait fortement ému, recueillant ses esprits, poursuivit. en ces termes : « Puisque Dieu le veut, je vous adjure de sa part de répondre à mes questions. Qu'en est-il de moi, je vous prie? mes oeuvres plaisent-elles à Dieu? » Frère Romain répondit: « Votre âme est en bon état, et vos oeuvres sont agréables (214) à Dieu. » Le Docteur continua : « Et pour vous, qu'en est-il? » Il répondit : « Je suis dans la vie éternelle; mais j'ai passé seize jours en purgatoire, pour une négligence coupable à faire exécuter un testament dont l'évêque de Paris m'avait confié le soin. » Le Saint ajouta : « Parlez-moi, je vous prie, de cette fameuse question que nous avons agitée; tant de fois : les habitudes acquises en cette vie demeurent-elles dans la patrie ? — Frère Thomas, répondit le visiteur, je vois Dieu, ne m'en demandez pas davantage. » Notre Docteur insista cependant : «Depuis que voies voyez Dieu, ,dites-moi, le voyez-vous sans aucun milieu, ou au moyen de quelque similitude? » L'envoyé céleste répondit par ce verset du Psaume quarante-septième : Comme nous avons entendu dire, ainsi avons-nous vu dans la cité du Seigneur des vertus, et la vision s'évanouit. L'homme de Dieu demeura dans l'étonnement d'une apparition si merveilleuse et si inattendue, mais sa joie fut extrême de la consolante réponse qui lui avait été donnée sur le bon état de son âme. »

 

Qu'admirer le plus ? L'amour du Saint pour l'oraison, son recours à la prière en tout temps, en tout lieu, en toute circonstance; ou la fidélité du Dieu très bon à rémunérer la foi de son serviteur par des extases, des apparitions, la connaissance des cœurs, l'assurance que tous ses désirs sont exaucés ?

De part et d'autre, il y a matière à notre admiration et à notre instruction.

Nous apprenons d'abord que la prière humble, confiante, persévérante est le grand secours du chrétien dans toutes les nécessités de la vie, et la source de ses plus douces consolations. Nous voyons ensuite de quelle manière agit (215) le Tout-Puissant envers ceux qui l'aiment et qui l'appellent. Comme l'aigle provoque ses aiglons à voler, et étend ses ailes pour leur servir de support (1), ainsi le Seigneur va-t-il chercher, dans le désert de ce monde, les âmes sincèrement désireuses de s'unir à Lui! Il les prend, les instruit, les transporte sur les plus hautes cimes de la contemplation, et les plaçant tout près du soleil de sa divinité, leur permet d'en fixer quelques rayons.

Tel fut le vol de l'Ange de l'école. En peu de temps, il parvint à ce degré sublime d'oraison où les parfaits n'en sont plus à chercher Dieu, jouissant de lui comme par un avant-goût de la vision béatifique. C'est à cette jouissance de Dieu dès ici-bas que tous nous devons tendre, dit le saint Docteur (2).

Puisse-t-il, par son crédit au ciel, obtenir cette grâce à tous ceux qui s'honorent de l'avoir pour PATRON!

 

(1) Deut., XXXII, 15.

(2) 2a, 2ae. q. 182, a. 2.

 

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CHAPITRE III. DÉVOTION ENVERS JÉSUS-CHRIST, LA SAINTE VIERGE, LES SAINTS

 

Altaria tua, Domine virtutum. Ps. LXXXIII, 4.

A moi vos autels, ô Dieu des vertus.

 

SAINT Thomas eut donc, à un degré éminent, l'esprit de prière. Cherchons à quelles sources i s'alimentait cet esprit, vie et force de l'âme. Ouvrons de nouveau le livre qui nous a déjà plusieurs fois instruits: ouvrons, lisons, édifions-nous.

« Frère Thomas avait une dévotion singulière pour le très saint Sacrement. De même qu'il lui avait été accordé d'écrire avec plus de profondeur sur ce mystère, il lui fût donné aussi de le célébrer avec une piété plus tendre.

« Chaque jour, il disait la messe, en entendait une autre, qu'il servait souvent, avant même d'avoir déposé tous les ornements sacerdotaux. Si, pour cause d'infirmité ou quelque autre motif, il n'avait pu offrir le saint sacrifice, il assistait à deux messes consécutives.

 

218

 

« Pendant qu'il célébrait, le saint Docteur éprouvait fréquemment de tels transports, que son visage était tout inondé de larmes ; c'est alors que son âme puisait avec abondance aux lumières et aux grâces dont cet auguste sacrement est la source.

« Un dimanche de la Passion, au couvent de Naples, Frère Thomas semblait dire la messe avec plus de dévotion encore que de coutume. Tout à coup, les assistants, parmi lesquels se trouvaient plusieurs officiers de l'armée, le virent absorbé par la sublimité des mystères de l’autel. On eût dit qu'il assistait à la scène du Calvaire, et ressentait en lui-même les souffrances de l'Homme-Dieu. C'est ce que démontraient le ravissement de son esprit et les l'armes qui couvraient ses joues. Comme cet état se prolongeait, quelques Frères s'approchèrent de lui, pour l'inviter à poursuivre le saint sacrifice, et, le tirant par ses habits, ils parvinrent à le, faire revenir de son extase.

« Après la messe, plusieurs religieux, et les officiers ses amis, le prièrent de leur dire ce qu'il avait éprouvé dans ce ravissement; mais le Saint refusa de les satisfaire, confus d'avoir à révéler les divins secrets. »

 

Depuis que, pour parler le langage des Ecritures, l'abîme , de la misère humaine appelle l'abîme de la clémence infinie, et que, le Très-Haut, joignant les extrêmes, s'est incarné dans le sein d'une Vierge pour habiter parmi nous, la religion, lien sacré qui unit la créature au Créateur, a pris une forme nouvelle et sublime. Le fondement du culte chrétien, c'est Jésus-Christ, Homme-Dieu, régnant au ciel; mais en même temps réellement et substantiellement présent au Sacrement de son. amour.

 

219

 

L'Eucharistie est le centre vers lequel tout converge ; et la Messe, dans laquelle Jésus-Christ, Prêtre invisible, offre comme victime à la majesté de son Père, est l'acte solennel, l'agité par excellence de la religion.

Au regard de la foi, rien n'égale ici-bas le ministère du prêtre exerçant les fonctions de son sacerdoce. Mais, après l'honneur réservé au ministre sacré, en est-il un qui approche de celui du clerc servant à l'autel ?

Comme le prêtre, il est au milieu des anges, spectateurs invisibles de l'oblation très pure et, grâce au concours immédiat qu'il prête à la célébration, des divins mystères, il en recueille des fruits plus abondants que les fidèles simplement adorateurs

Vérités oubliées ou trop peu connues ! Saint Thomas d'Aquin, par son exemple, non moins que par sa doctrine, les enseigne à tous, mais plus spécialement aux jeunes enfants chargés, d'après l'usage, d'une fonction dont les Séraphins, eux-mêmes ne s'acquitteraient qu'en tremblant.

 

Si la Messe est l'acte par excellence du culte catholique, la Communion est la plus riche des pratiques chrétiennes. Mais, pour être vraiment la source de tous les biens, elle requiert, avec la pureté de conscience, une sérieuse préparation et une fervente action de grâces. Nul ne comprit mieux ce devoir que le Docteur eucharistique : aussi, mettant sa science, au service de sa foi, composa-t-il un certain nombre de prières très pieuses que l'Eglise a recueillies, et qu'elle propose à ses ministres, lorsqu'ils sont sur le point de monter à l'autel où qu'ils en descendent.

 

220     

 

A saint Thomas, d'après la tradition dominicaine, appartient la dévote prière

 

Ame de Jésus, sanctifiez-moi ! (1)

 

L'Adoro te, cette hymne dont chaque strophe exhale un parfum si suave d'adoration et d'amour, autre chef-d’oeuvre du Docteur angélique :

 

O Dieu vraiment caché sous cette Hostie,

Je vous adore, et je tombe à genoux

A votre aspect, mon âme anéantie

Sans hésiter se soumet toute à vous.

 

Les hymnes de l'office du très saint Sacrement peuvent être regardées aussi comme d'admirables formules d'actes avant ou après la communion.

Saint Thomas avait quantité d'autres prières composées par lui, pour chacun de ses exercices : confession, prédication, étude, et autres actions de la journée.

Avant l'étude, il récitait la prière suivante, à laquelle S. S. Léon XIII a attaché. 300 jours d'indulgence, afin, de la rendre plus recommandable aux écoliers chrétiens.

« Dieu de miséricorde, accordez-moi la grâce de désirer avec ardeur, de rechercher avec prudence, de reconnaître avec vérité, et d'accomplir avec perfection ce qui vous est

 

(1) Cf. Béringer, S. J. Les Indulgences, tome I, p. 152. Consulter aussi Les Heures d'York, ouvrage anglais, de l'an 1517 ; la prière Ame de Jésus s'y trouve en entier, avec addition d'une invocation bien digne de saint Thomas: « Splendor vultus Christi, illumina me. — Splendeur de la sainte Face de Jésus-Christ, illuminez-moi. »

 

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agréable, pour la louange et la gloire de votre nom. Ainsi soit-il (1). »

Souvent aussi, l'angélique Docteur recourait aux versets de l'Ecriture ou de la sainte liturgie. Quand il entendait la messe, il avait coutume, à l'Elévation, de dire avec une dévotion profonde: C'est vous, le Roi de gloire, ô Jésus! Vous, le Fils éternel du Père, et les autres paroles du Te Deum, auquel ces versets sont empruntés.

En temps de Carême, à Complies, les Frères Prêcheurs, dans leur rite particulier, chantent une belle antienne qui commence par ces mots: Media vita in morte sumus; « au milieu de la vie, nous sommes dans la mort. » On y adresse à Dieu cette prière touchante: « Ne nous rejetez pas au temps de la vieillesse; quand notre force viendra à défaillir, Seigneur, ne nous abandonnez pas.- » A ces paroles, le Docteur angélique était d'ordinaire comme ravi et absorbé dans la prière, et il ne pouvait retenir ses larmes. (2)

 

L'Eucharistie est le divin mémorial de la passion du Sauveur, et la Croix en est le royal attribut.

Thomas d'Aquin avait une dévotion marquée pour la croix. Il aimait à en tracer le signe auguste sur sa personne, toutes les fois notamment que retentissaient les roulements du tonnerre ; alors il ajoutait : Verbum caro factum est, le Verbe s'est fait chair, — Dieu est mort pour nous.

On montre à Anagni une salle souterraine où le Saint alla plus d'une fois chercher abri contre les orages. Un

 

(1) ORATIO S. THOMAS AD DEUM ANTE LECTIONEM AUT ETUDIUM RECITANDA. Concede mihi, misericors Deus, quae tibi placita sunt ardenter concupiscere, prudenter investigare, veraciter agnoscere, et perfecte adimplere ad laudem et gloriam nominis tui. Amen. (Indulg. 300 dier. Rescript. Leonis XIII, 21 Junii 1879). — Raccolta, 1886, p. 63.

(2) Année Dominicaine.

 

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jour, il traça sur la muraille une croix en grandes lettres onciales superposées, dont la réunion forme le distique suivant, attribué à saint Fortunat, évêque de Poitiers :

Crux mihi certa salus, Crux est quam semper adoro ;

Crux Domini mecum, Crux mihi refugium.

 

O Croix, de mon salut l'espérance assurée,

Croix sainte, sois toujours de mon coeur adorée !

Croix du Seigneur, reste avec moi ;

O Croix, mon refuge est en toi !

 

Pour comprendre l'ingénieuse disposition des lettres et, y lire le distique proposé, il faut chercher au centre l'initiale du mot Crux; en remontant la ligne médiane, on trouve Crux mihi certa salus, et en descendant : Crux est quam semper adoro. Puis, en allant du centre vers la gauche, en suivant la médiane horizontale, on a : Crux domini mecum; enfin à droite : Crux mihi refugium.

Cette croix s'est répandue dans le monde chrétien sous le nom de Croix angélique, ou Croix de saint Thomas. Les habitants d'Anagni en ont un fac-similé dans leur maisons pour se préserver contre le feu du ciel, et Pie IX, de sainte mémoire, a daigné accorder 300 jours d'indulgence à quiconque réciterait pieusement les aspirations formant le distique.

 

L'Église catholique ne sépare pas la bienheureuse Vierge de sors, divin Fils; et quiconque, l'histoire à la main, parcourt les saintes Vies des serviteurs de Dieu, remarque chez tous une dévotion spéciale à la Mère de Jésus.

Dire qu'en saint Thomas le culte de Marie a prévenu la raison, ce n'est assurément pas une hyperbole. Nous, l'avons vu, sur les genoux de sa nourrice, serrer dans sa (225) main et mettre dans sa bouche une feuille de papier portant ces mots : Ave Maria. Cette même main devait plus tard écrire un savant traité sur la Salutation angélique, et cette même bouche publier éloquemment les grandeurs de l'Ave Maria. Tout un carême, à Naples, on entendit le grand Docteur prêcher sur ces seules paroles : Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous.

Les élèves de nos collèges chrétiens, qui ont adopté l'usage de mettre des initiales pieuses en tête de leurs devoirs scolaires, se. doutent-ils qu'ils ont pour devancier dans cette louable pratique le Docteur de l'Eglise, Thomas d'Aquin ? Les précieuses pages d'un manuscrit autographe récemment découvert portent en marge, et de la même écriture que le texte, ces mots souvent répétés : Ave Maria, ave Maria !

L'Eglise, interprète infaillible des Livres saints, applique à la Mère de Dieu ces, paroles dites de la Sagesse incréée : Pour moi, je,chéris ceux qui m'aiment... Ceux qui contribuent à ma gloire auront la, vie éternelle (1). Saint Thomas en fit la douce expérience. Marie se montra sa mère dès le berceau; elle inclina lés affections de son coeur vers cet Ordre qu'elle-même appelait Mon Ordre, et auquel, en la personne du saint fondateur, Dominique, elle confiait la plus belle des dévotions établies en son honneur : le Rosaire. Marie fut polir saint Thomas l'étoile qui éclaira le frêle esquif de son innocence, dans la tempête si capable de l'engloutir. Enfin, cette science. tenant du,miracle, qui osera dire que notre Docteur ne la dut pas à l'intervention de Celle qui est justement appelée le Siège de la Sagesse?

Il y a plus : saint Vincent Ferrier et saint Antonin nous

 

(1) Prov., VIII, 17. Eccli., XXIV, 31.

 

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déclarent que la bienheureuse Vierge honorait Thomas de ses visites. En ces circonstances, le grand Docteur, tel qu'un enfant qui questionne sa mère, interrogeait la Reine du ciel, et lui demandait l'explication des difficultés qui l'avaient arrêté dans l'étude des saintes Lettres. Alors Marie, avec un doux sourire, s'adressait à Jésus, qu'elle tenait dans ses bras, et le priait de donner l'explication attendue.

Frère Réginald, sur l'aveu que lui fit le Saint lui-même, peu de jours avant sa mort, affirme que cette aimable souveraine lui était apparue, et lui avait donné pleine sécurité sur. sa vie, sa doctrine et sa persévérance finale. L'historien qui rapporte le fait poursuit ainsi : « Cette tendre Mère, la plus généreuse des femmes, ne se mêle pas seulement aux rangs des habitants de la gloire; elle daigne aussi une pas refuser la consolation de sa présence à ceux qui sont encore voyageurs sur la terre. Sans quitter son trône royal du ciel, elle aimes toujours à regarder le lieu d'où elle y est montée... C'est elle, nous le croyons pieusement, qui avait obtenu de son Fils pour son Docteur cet immense trésor de science, en récompense du lis qu'il avait offert à, Dieu, et qu'il a conservé, dans toute sa blancheur. » (1)

Ces réflexions suggèrent à un autre serviteur de Marie, le cardinal Pie, d'illustre mémoire, les paroles suivantes, dans une homélie prononcée à l'occasion du sixième centenaire de la mort de saint Thomas : « O Vierge puissante, ô la plus généreuse des Mères, daignez demander aussi pour nous la pureté de l'âme et du corps; la blancheur du lis, avec l’abondance de la doctrine ! Daignez nous rassurer avant le passage suprême avant la fin de notre exil, et nous

 

(1) Boll., VII,  668.

 

227

 

donner votre certificat concernant notre science et notre vie : ipsum certificavit de vita sua et scientia. » (1)

Il n'est aucun de nos lecteurs très certainement qui ne souscrive du fond du cœur à ce langage.

 

En commerce habituel avec les prophètes, es apôtres et les Pères de l'Eglise, dont il interprétait les écrits dans ses savants ouvrages, notre Saint avait conçu pour eux, comme tout naturellement, une dévotion singulière; et avec cette simplicité qui n'est pas le moindre charme de son caractère, il leur demandait à eux-mêmes des éclaircissements. Souvent sa confiance fut récompensée par de célestes apparitions. Les exemples trouveront place dans le chapitre consacré à la science du saint Docteur.

Dévot à la personne des saints, il l'était pareillement à leurs images et à leurs reliques.

Vers la fin de l'été 1272, Thomas, se rendant à Naples pour ouvrir son cours, s'arrêta au château de la Molaria, qui se trouvait sur sa route, afin de saluer son ami, le cardinal Richard Annibaldi. Frère Réginald et Frère Tholomée de Lucques l'accompagnaient. A peine arrivé, il fut saisi de la fièvre avec Frère Réginald. Le Bienheureux se rétablit promptement; il n'en fut pas ainsi de son compagnon, dont l'état inspira même de vives inquiétudes. « Thomas, écrit Guillaume de Tocco, venait à, sa chambre pour le consoler et le réconforter dans le Seigneur. Après l'avoir exhorté à la patience, il lui conseilla de s'adresser à sainte Agnès, avec espoir certain d'en recevoir le bienfait de la santé. Lui-même implora les mérites de la vierge martyre auprès de Dieu. Prenant ensuite des reliques de la sainte, lesquelles par dévotion il portait toujours suspendues

 

(1) Oeuvres complètes, VIII.

 

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à son cou, il les déposa sur la poitrine du malade, et redoubla ses supplications. A l'instant, Frère Réginald se leva joyeux et plein de santé. Ce miracle fut attribué par les uns à la piété du Maître, par les autres à l'intervention de sainte Agnès. Mieux vaudrait dire qu'il fut l'oeuvre de l'un et de l'autre : les prières de l'illustre martyre s'unirent aux instances du saint Docteur, pour obtenir de Dieu la grâce désirée. »

Large dans les effusions de sa piété, saint Thomas ne pouvait oublier les saints de sa famille religieuse, et principalement le bienheureux Dominique, son Père. Nous l'avons vu, à Bologne, assister à une translation des restes du saint patriarche, et par des veilles et des prières sur son tombeau, préluder à l'enseignement qu'il allait distribuer aux écoliers de l'Université bolonaise. Les mémoires du temps nous apprennent que l'angélique Docteur ne passait presque aucun jour sans étudier la vie de saint Dominique, afin de reproduire ses vertus. En agissant de la sorte, il était mû par cette pensée que tout Fondateur lègue à sa descendance spirituelle un esprit qui en formera toujours le caractère distinctif, de même que le chef d'une famille dans l'ordre naturel communique, avec son sang et ses biens, des principes d'honneur dont ses enfants et petits enfants ne sauraient s'écarter sans forfaiture.

Saint Thomas professait encore une dévotion particulière envers saint Augustin, dans lequel il voyait non pas seulement un maître pour la doctrine, mais un ancêtre religieux, auquel les Prêcheurs sont redevables de la règle qui fait la base de leur législation. Aussi, en témoignage de sa piété, composa-t-il, d'après le texte même du grand évêque d'Hippone, un office propre, encore en usage dans l'Ordre des Frères Prêcheurs.

 

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Enfin, un troisième culte de famille avait place dans le coeur de Thomas d'Aquin. L'an 1266, il lui fut donné de vénérer, à Milan, dans l'église de Saint-Eustorge, la tombe du martyr Pierre de Vérone, son Frère en Religion. Les Milanais érigeaient en ce moment un somptueux mausolée à leur nouveau protecteur céleste. Saint Thomas apporta à cette oeuvre l'appoint de son génie. Il composa en hexamètres rimés la belle épitaphe que voici :

 

PRAECO, LVCERNA, PVGIL CHRISTI, POPVLI FIDEIQVE,

HIC SILET, HIC TEGITVR, JACET HIC, MACTATVS INIQUE.

VOX OVIBVS DVLCIS, GRATISSIMA LVX ANIMORVM,

ET VERBI GLADIVS, GLADIO CECIDIT CATHARORVM.

CHRISTVS MIRIFICAT, POPVLVS DEVOTVS ADORAT,

MARTYRIOQVE FIDES SANCTVM SERVATA DECORAT.

SED CHRISTVS NOVA SIGNA LOQVI FACIT, AC NOVA TVRBAE

LEX DATVR, ATQUE FIDES VVLGATA REFVLGET IN VRBE.

 

Le héraut, le flambeau, le champion du Christ, du peuple et de la foi,

Ici se tait, ici est caché, ici repose, victime de l'iniquité.

Voix suave aux brebis, lumière très douce aux âmes,

Et glaive du Verbe, il tomba sous le glaive des Cathares.

Le Christ le glorifie, le peuple dévot le révère,

Et la foi conservée par son martyre rend honneur au saint.

Mais le Christ fait parler de nouvelles merveilles, de nouveau à la foule

La loi est proposée, et la foi divulguée brille dans la cité.

 

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CHAPITRE IV. HUMILITÉ, OBÉISSANCE ET PARFAIT DÉTACHEMENT

 

Vas auri solidum, ornatum omni lapide pretioso. ECCLI., L, 10.

Il était comme un vase d'or, enrichi de toutes sortes de pierres précieuses.        

 

Nous savons que Thomas veut dire abîme. Notre Saint a justifié son nom par sa science, sans doute, mais encore, et surtout, par son humilité.

A cet égard, le P. Feuillet fait une judicieuse remarque « Il est bien facile à une personne qui n'a que des qualités médiocres d'éprouver de bas sentiments d'elle-même, c'est plutôt,une justice qu'elle se rend que l'effet d'une humilité véritable. Mais ne perdre jamais de vue ses misères et son néant, dans l'éclat d'une naissance illustre, au milieu de lumières qui font pénétrer les mystères les plus cachés, quand on est l'objet, de louanges et d'acclamations universelles: voilà une humilité très particulière à saint Thomas d'Aquin. Il passait pour l’oracle de la théologie; les papes Urbain IV et Clément IV l'honoraient de leur amitié; saint Louis, roi de France., l'avait en vénération ; les cardinaux, les archevêques, lés évêques, les universités, en un mot, tout ce qu'il y a de grand dans l'Eglise et dans l'Etat, le considéraient comme un homme extraordinaire. Lui seul (232) s'estimait un néant, le plus imparfait des religieux de son Ordre. Un jeune emporté lui reprocha un jour de n'être pas si savant qu'on le croyait : « Vous avez raison, mon cher enfant, répondit le Saint; et c'est pour détromper le monde de la fausse opinion qu'il a de moi que j'étudie sans cesse. »

Au confident intime de ses pensées, lui-même disait, quelques jours avant de mourir :

 « Grâce à Dieu, jamais ma science, mon titre de docteur, ni aucune victoire scolastique n'a fait naître en moi une impression de vaine gloire, capable de détrôner en mon âme la vertu d'humilité. Si parfois quelque premier mouvement s'est élevé en prévenant la raison, celle-ci est survenue aussitôt pour le réprimer. » Un auteur ajoute qu'en pareille circonstance, Thomas faisait extérieurement un petit signe de croix sur son coeur, afin de se prémunir contre les atteintes de l'amour-propre, et de lui fermer les avenues.

La liturgie dominicaine renferme cette juste exclamation:

 

O don de la vertu céleste,

De la grâce ô pouvoir vainqueur!

Jamais la vanité funeste

De Thomas n'effleura le coeur.

 

Ce n'est pas que le Docteur angélique n'eût conscience des lumières vraiment extraordinaires dont Dieu avait favorisé son esprit ; mais il les rapportait à l'Auteur de tout don, s'appliquant ces paroles de l'Apôtre : Qu'as-tu que tu n'aies recu ? Si donc tu as reçu ce que tu possèdes, pourquoi te glorifier comme situ ne l'avais pas reçu ? (1)

Cette humilité le rendait fort modéré dans les discussions

 

(1) I Cor., IV, 7.

 

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théologiques, et quoiqu'il pressât d'arguments son adversaire, c'était néanmoins avec tant de retenue qu'alors son humilité paraissait autant que la vivacité de son intelligence.

On peut attribuer également à cette vertu la pureté d'intention qui régnait en tous ses actes, et aussi cette frayeur salutaire qui le faisait trembler de n'être pas dans l'amitié de son Dieu. Telle est la disposition du juste bien que sa conscience ne lui reproche rien, il ne se croit pas néanmoins justifié ; il a de lui-même une défiance profonde, et vit dans l'appréhension continuelle que Celui qui sonde les cœurs et les reins ne le trouve coupable aux yeux de sa justice

L'humilité de saint Thomas avait en horreur les plus imperceptibles retours sur soi-même ; sans nul doute, cette vertu est la clef qui tient renfermés, et cachés à nos yeux, jusqu'au grand jour des manifestations, les riches trésors amassés dans cette âme, grâce aux largesses du Maître et à la fidélité du serviteur. Ennemi de l'estime des hommes, il voilait avec le plus grand soin les faveurs dont il était comblé du ciel; s'il en découvrait quelque chose à son confesseur, c'était non moins par humilité, dans la crainte d'être le jouet de l'illusion, que par simplicité et obéissance. Encore scellait-il cette déclaration d'un acte d'humilité, défendant; à son compagnon d'en rien découvrir, si, ce n'est après sa mort, et pourvu qu'il le jugeât expédient à la gloire de Dieu.

De l'humilité à l'obéissance il n'y a qu'un pas; pour mieux dire, l'obéissance n'est autre chose que l'humilité mise en pratique par l'acquiescement de la volonté propre à la volonté d'autrui. C'est pourquoi nos auteurs (234) rapportent indifféremment à l'une ou à l'autre de ces vertus divers traits fort édifiants de la vie de saint Thomas.

Bien différent de ceux qui ne veulent jamais recevoir de conseil, ou qui ne tiennent aucun compte des salutaires observations que leur adressent des hommes ayant qualité pour cela, le saint Docteur était entièrement soumis à la correction de qui que ce fût; tous étaient bien venus à le reprendre.

Un jour qu'il faisait la lecture au réfectoire, le correcteur de table l'arrêta pour avoir donné à un mot une accentuation qui pourtant était la vraie. Le Saint accentua sans hésitation au gré du correcteur. Après le repas, quelqu'un lui dit : « Frère, vous avez eu tort de vous reprendre; le père correcteur s'était manifestement trompé. » Thomas répondit : « Il importe peu de prononcer une syllabe longue ou brève, mais c'est beaucoup d'être humble et obéissant. »

Non moins admirable est le fait arrivé à Bologne, pendant que saint Thomas y exerçait la fonction de régent des études.

Il se promenait sous le cloître, seul et contemplatif, selon sa coutume, lorsqu'il est abordé par un Frère étranger, lequel, devant aller en ville, avait l'autorisation de prendre pour compagnon le premier religieux qu'il rencontrerait. « Mon Frère, dit l'étranger, le Père prieur vous commande de sortir avec moi. » Frère Thomas incline la tête en signe d'adhésion, et se met à le suivre. Mais comme, souffrant des jambes, il ne pouvait aller aussi vite que son compagnon, celui-ci lui en faisait de fréquents reproches. Thomas s'excusait humblement et s'efforçait de hâter sa marche. Cependant des citoyens de Bologne furent étonnés de voir le grand Docteur s'attacher aux pas d'un religieux inconnu. Soupçonnant quelque méprise, ils firent connaître (235) à l'étranger la qualité de celui qu'il admonestait ainsi. Le pauvre Frère tout confus se tourne vers Thomas, et lui demande pardon de son erreur. Les témoins de la scène, s'adressant alors au Maître, l'interrogèrent respectueusement sur sa condescendance aveugle aux volontés de ce Frère. Thomas leur fit cette admirable réponse : « Toute vie religieuse à sa perfection dans l'obéissance ; c'est par elle que l'homme se soumet à l'homme pour l'amour de Dieu, de même que Dieu a daigné obéir à l'homme pour l'amour de l'homme. »

Par ce seul fait se trouve justifié ce mot d'un historien l'obéissance était pour le Docteur angélique sa boussole et son étoile polaire.

A partir du jour où, devenant profès solennel, il abdiqua, de son plein gré, toute volonté propre entre les mains du prieur de Naples, l'obéissance marque chaque étape de son voyage terrestre.

C'est par obéissance que, surmontant les répugnances de son humilité, il consentit à recevoir les grades de bachelier, licencié, maître en théologie ; c'est par obéissance qu'il transporta tour à tour son enseignement à Cologne, Paris, Rome, Orvieto, Pérouse, Bologne, Naples. Enfin, c'est par obéissance au premier de tous ses supérieurs, le Vicaire de Jésus-Christ, qu'il quitta Naples; malade et épuisé, et vint mourir dans un monastère étranger à son Ordre, en se rendant au concile de Lyon.

Sans doute, l'obéissance du religieux, comme la fidélité du soldat à sa consigne, doit être aveugle et aller jusqu'à la soumission du jugement. Cependant, elle est un hommage raisonnable, comme parle saint Paul : aussi, est-il parfois licite au religieux d'exposer avec simplicité et respect des motifs qui rendraient son acte d'obéissance (236) difficile ou pénible au delà de l'intention formelle du supérieur. Quant à saint Thomas, a-t-il jamais fait valoir quelque cause de dispense?... Le trait de Bologne répond à cette question. — Quel exemple pour tous ceux que leur âge ou leur condition vouent à la plus exacte soumission, en toute-chose!

 

Un autre fruit de l'humilité en saint Thomas d'Aquin fut son parfait détachement. Ouvrons de nouveau les annales de l'Ordre.

« Issu de noble lignée, il eût pu convoiter l'abondance des richesses et la pompe des honneurs; il mit sa richesse et sa gloire à imiter Jésus-Christ pauvre et humble, plutôt qu'à regorger de biens temporels et à monter au faîte des, grandeurs mondaines. Un jour, accompagné de ses étudiants, il revenait de l'abbaye de Saint-Denys, où il était allé vénérer les précieuses reliques qu'on y conserve.. Quand les Frères furent arrivés à une hauteur d'où l'on découvrait tout Paris, ils s'arrêtèrent un instant : « Maître, dit l'un d'eux, voyez donc la belle cité! —  Très belle assurément, répondit Thomas. — Ne voudriez-vous pas en être le souverain? — Qu'en ferais-je? répondit en souriant le saint Docteur. — Vous la vendriez au roi de France, et avec les bons écus sonnants qui en reviendraient, vous bâtiriez tous les couvents des Frères Prêcheurs. » Or l'étudiant parlait ainsi, pensant bien provoquer quelque mot d'édification. Le Maître reprit en effet : « Si cette ville était à moi, le souci de son gouvernement m'arracherait à la contemplation et m'enlèverait la jouissance de l'âme; en vérité, j'aimerais bien mieux avoir les homélies de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu.»

« Il le savait, le pieux Docteur, tout homme appartenant (237) à la milice de Jésus-Christ ne s'embarrasse pas dans les affaires du siècle, afin de plaire à Celui qu'il a promis de servir. Aussi, quand le bienheureux pape Clément IV, qui l'avait en grande affection, lui offrit plusieurs dignités et revenus, refusa-t-il revenus et dignités, content de vivre humble et pauvre. Les membres de son illustre famille eurent à subir, en Campanie, la persécution de l'empereur Frédéric, pour la cause de l'Église. Frère Thomas pouvait, du consentement du souverain pontife, les assister avec les biens ecclésiastiques; l'affection naturelle, plus encore la charité et la gratitude dues à d'aussi nobles victimes de la cause religieuse semblaient l'y inviter; mais comme, par amour pour Dieu, il avait été insensible à ses propres nécessités, ainsi ferma-t-il les yeux sur celles de ses proches.

« Un pareil motif de détachement lui fit refuser les amples bénéfices attachés au monastère de Saint-Pierre à l'autel, construit à l'endroit où, selon la tradition, le prince des apôtres, se rendant Rome pour la première fois, offrit le saint sacrifice sur un autel consacré par lui. »

Un dernier trait, car il faut se borner, nous sera fourni par Antoine de Brescia, religieux du couvent de Naples :

« J'ai entendu Frère Nicolas de Marsiliaco, ancien conseiller et chapelain du roi de Chypre, disciple de Frère Thomas, et homme de grande science et sainteté, me dire les larmes aux yeux : « Frère Antoine, j'ai vécu avec Frère Thomas a Paris, et j'atteste devant Dieu n'avoir jamais rencontré d'homme plus ami de la pureté et de la pauvreté. Dans le temps qu'il composait sa Somme contre les Gentils, il ne se servait pas des cahiers en usage, mais il écrivait sur de toutes petites feuilles ; non qu'il lui fût impossible de s'en procurer de grandes, mais c'est qu'il n'avait nul souci des choses temporelles. »

 

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CHAPITRE V. CHARITÉ ET DOUCEUR

 

Crevit mecum miseratio. JOB., XXXI, 18.

Cum his qui oderunt pacem eram pacificus.                Ps. CXIX, 7.

La commisération agrandi avec moi...

Et j'étais pacifique avec ceux qui n'aimaient point la paix.

 

Une âme vraiment humble est, par là même, pleine de charité. Pénétrée de la connaissance de ses misères, croyant, ne mériter que rebut et mépris, elle conçoit une haute opinion du prochain, le traite avec respect, s'abstient d'en mal juger, supporte ses défauts, excuse ses intentions lorsque les actes sont manifestement blâmables, et lui rend enfin toute sorte de bons offices.

Tel était notre saint Docteur. En lui, la charité fut toujours, comme la décrit saint Paul, généreuse, douce, patiente, sans amertume, sans jalousie,, sans orgueil, sans le moindre égoïsme, etc., etc... (1).

La tradition rapporte une anecdocte charmante, dont il fut le héros n'ayant encore que dix ans.

C'était pendant les vacances qui suivirent son séjour au Mont-Cassin; la famille d'Aquin habitait alors le château

 

(1) I Cor., XIII.

 

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de Lorette. Une affreuse disette désolait le pays; les récoltes avaient manqué, et chaque jour une foule de malheureux affamés assiégeaient les portes de la demeure seigneuriale. Le jeune Thomas, qui dès sa plus tendre enfance avait ouvert son coeur à la charité, se fit, en cette circonstance, le distributeur des aumônes paternelles. Bientôt même il devint l'intercesseur des pauvres auprès de ses parents, et son éloquence persuasive, jointe aux charmes de sa personne, obtenait sans peine tout ce qu'il voulait.

Cependant la souffrance des indigents augmentait toujours, et, bien que le petit comte en vînt à ,se priver d'une partie des mets qui lui étaient servis, il ne put subvenir à tant de besoins. Après l'avoir rendu généreux, éloquent, inventif, la charité le rendit audacieux, et même, — le dirons-nous ? — un peu coupable!... Mais y eut-il vraiment faute? La bonne foi, le consentement tacite d'un père et d'une mère très secourables, n'est-ce pas assez pour le justifier? D'ailleurs, une telle faute compte à coup sûr parmi celles dont on peut dire : felix culpa, heureuse faute! Oui, heureuse vraiment, puisqu'elle appela... un miracle!

Le jeune Thomas se glissait donc clandestinement dans les offices, enlevait avec adresse les aliments qui lui tombaient sous la main et allait les porter aux pauvres. Quelques domestiques se plaignirent au seigneur d'Aquin des prodigalités de son fils. Le comte ne comprit pas d'abord, ou feignit de ne pas comprendre; mais enfin, sur de nouveaux griefs du majordome alarmé, il résolut d'intervenir et de saisir le petit voleur en flagrant délit.

Un jour que Thomas s'en allait furtivement à travers les corridors de l'antique château de Lorette, emportant dans un pli de son manteau le doux butin de la charité, il (241) fut tout à coup arrêté par la rencontre inopinée de son redouté seigneur et père. Celui-ci, barrant le passage, lui commanda de découvrir ce qu'il cachait avec tant de soin. Troublé par le regard et la voix du comte, Thomas laisse retomber le pan replié de son vêtement : il ne s'y trouve que de belles et odorantes fleurs, qui, au grand étonnement de l'un et de l'autre, couvrent les pieds de l'enfant et ceux du vieillard. A la vue d'une telle justification, Landolphe, ému jusqu'aux larmes, embrasse, son, fils avec transport, et lui permet: de suivre désormais l'inspiration de sa charité, tant qu'il restera une obole ou un morceau de pain dans le vieux manoir des Sommacle. » (1)

Job, le saint patriarche de l'Idumée, disait à ses amis La commisération a grandi avec moi depuis mon enfance. Thomas d'Aquin eût pu tenir le même langage. Aux jours de sa vie religieuse, « plein de compassion pour les pauvres, il leur donnait jusqu'à ses tuniques et autres objets à son usage, ne consultant dans ses largesses que les élans de son coeur. Il ne se réservait aucun superflu, sachant que tout superflu doit, par l'ordre du Seigneur, être employé au soulagement de l'indigence. Il ne songeait même pas au lendemain, quand il s'agissait de secourir un de ses semblables réduit à la nécessité. » (2).

 

La charité qui, appliquée à l'aumône, s'appelle bienfaisance, revêt une autre forme dans les relations de la vie sociale, et prend le nom de bénignité, douceur.

Ici encore nous trouverons à nous édifier, en feuilletant les anciens mémoires.

 

(1) Bareille, Histoire de saint Thomas d'Aquin, ch. III. — Cf. Malvenda, Feuillet, Touron.

(2) Boll., VII, 669.

 

242

 

« Ce Docteur était admirable de bénignité, tout suave en paroles et libéral en ses actes, montrant à tous quel esprit habitait son âme, et s'épanchait sur ses lèvres en une incomparable douceur. A voir le tour de sa conversation, on pouvait lire la sainteté de son intérieur. Lui qui ne savait pas pécher s'insurgeait avec vigueur contre le péché, et, par amour pour la justice et pour le salut du prochain., voulait que tout homme en charge se posât en adversaire du mal. Tout ensemble, persécuteur de la faute et libérateur du coupable, il faisait en sorte que la faute eût sa répression immédiate, et que le coupable ne pérît pas. Estimant l'innocence et les dons naturels des autres à l'égal, au-dessus même, de ses propres qualités, Thomas croyait difficilement aux défauts du prochain. Toutefois, s'il était , constant que la faiblesse humaine eût amené quelque chute, il pleurait la faute, comme s'il l'eût commise. Jamais il ne contrista personne par une parole d'emportement ou de mépris. » (1)

Bel éloge ! Car, dans les joutes de l'école, au fort de la discussion, lorsque, en possession de la vérité, on se voit aux prises avec un contradicteur présomptueux et opiniâtre, qu'il est aisé de s'échapper en termes vifs et mordants! Saint Thomas se tint toujours très éloigné de cet écueil; jamais il ne se prévalut de la supériorité de sa science pour en imposer à un antagoniste. « Dans les disputes scolastiques, dit saint Antonin, il répondait sans emphase, estimant beaucoup ce qui lui était proposé, donnant son  avis et marquant son sentiment avec toute la déférence imaginable. »

Ses écrits témoignent d'une modération admirable et des

 

(1) Boll., VII, 699.

 

243

 

plus grands égards pour ceux-là mêmes dont il combat les erreurs avec une inflexible fermeté. Et quand il rapporte les opinions des écrivains ecclésiastiques, surtout des Pères de l'Eglise, avec quel respect il le fait! « Si quelqu'une de leurs affirmations paraît prêter le flanc à la critique, il s'efforce de. lui trouver un sens bon, admissible, qui l'exempte du reproche d'erreur. Si cela même n'est pas possible, il dira simplement: l'auteur a excédé. » (1)

Le dimanche des Rameaux 1259, Thomas prêchait en l'église de Saint-Jacques, à Paris, lorsqu'un certain Guillot, bedeau de la Faculté des arts, fendit la. foule, et, se plaçant en face de la chaire,! commanda au prédicateur de faire silence, afin qu'il pût donner lecture d'un avertissement rédigé par ses maîtres. Le Saint se tut, et lui laissa le temps de débiter une satire sanglante, remplie des calomnies et d'injures contre l'état religieux; Après que cet homme eut achevé, l'orateur reprit son discours, au point où il l'avait laissé, et continua avec une humilité et une patience qui édifièrent autant les fidèles que les avait scandalisés l'a lecture du libelle diffamatoire.

Les auteurs font une mention particulière du. calme inaltérable que garda notre Saint durant la furieuse tempête soulevée par les clercs séculiers  contre les religieux mendiants. Il  gémissait en secret, il priait et pleurait devant son crucifix; et si, par ordre de ses supérieurs, quittant les hautes et pacifiques régions où il. se tenait d'ordinaire, l'Ange de l'école descendait , dans l'arène, pour venger la justice et la vérité, toujours il combattait avec des armes courtoises. L'ennemi terrassé, le vainqueur lui tendait généreusement la main.

 

(1) Année dominicaine, Mars.

 

244

 

Un jour, étant à Paris, saint Thomas discutait avec Jean de Peckam, des Frères Mineurs, dans la suite archevêque de Cantorbéry. Ce religieux s'emporta en paroles aigres et méprisantes, capables d'exaspérer un homme moins patient que Thomas. Mais le Saint ne se départit point de sa douceur et répondit avec charité. Ainsi agissait-il en toute discussion, quel qu'en fût le caractère passionné.

Autre fait du même genre; laissons-lui sa forme antique.

« Un religieux passait l'examen pour la licence devant le chancelier de Paris, et devait, selon l'usage, répondre dans l'après-midi à différentes objections. Il émit une opinion contraire à une vérité que le saint Docteur avait précédemment établie dans son cours, et la défendit avec un esprit altier et suffisant, comme s'il eût voulez braver son maître. L'homme de Dieu, plein de patience, n'estima point qu'il y eût préjudice à son autorité dans la contradiction d'un théologien novice encore; en homme vraiment humble et magnanime, sans avoir souci de l'injure personnelle, il revint au couvent aussi calme à l'extérieur qu'il l'était dans le fond;de son âme. Mais ses disciples et ses compagnons, justement indignés, ne purent retenir une respectueuse observation et Maître, dirent-ils, nous avons été gravement. offensés en votre personne ; il n'était pas permis à ce religieux de parler ainsi contre votre opinion, et vous, Maître, vous ne deviez pas supporter devant tous les docteurs de Paris pareille attaque à la vérité. » Frère Thomas répondit : « Mes fils, il m'a semblé qu'il fallait épargner ce débutants et rie pas le ouvrir de confusion en pleine assemblée. Quant à ma doctrine, je ne crois pas qu’elle puisse souffrir contradiction, car avec l'aide de Dieu, je l'ai appuyée des autorités des saints, et de toutes (245) les preuves fournies par le raisonnement. Si néanmoins les Frères le jugent utile, je pourrai suppléer demain à l'omission d'aujourd'hui. »

« Le lendemain, en effet, on se réunit de nouveau dans le palais de l'évêque, et Frère Thomas s'y trouva avec les mêmes auditeurs et ses étudiants. Le licencié répéta ses propositions de la veillé sans atténuation aucune. Frère Thomas dit alors avec tout le ménagement possible : « Maître, l'opinion que vous défendez ne, peut être soutenue sans erreur, parce qu'elle est contraire à tel concile ; il faut donc parler autrement. » L'argumentateur se mit à présenter sa thèse sous une autre forme, sans la modifier quant au fond. Frère Thomas le pressa derechef, lui opposant toujours les paroles du concile. Il finit par le contraindre à confesser son erreur, et à demander humblement d'être éclairé. « C'est bien », dit alors Frère Thomas, et il lui expliqua clairement ce qu'il fallait tenir pour vrai. Tous les maîtres admirèrent la tranquillité d'âme et la modération de langage du saint Docteur, reprenant un adversaire comme il eût instruit un disciple. » (1)

L'Esprit-Saint a dit: Mon fils, conservez votre âme dans la douceur (2). Fidèle à cette recommandation, saint Thomas jouit abondamment de tous les avantages que procure la vertu de douceur, avantages qu'il énumère dans ses écrits.

« La douceur chrétienne, issue de la charité, nous prépare à la connaissance de Dieu, parce qu'elle rend notre âme maîtresse d'elle-même, et, lui faisant réprimer la colère,, l'empêche de résister à la vérité. Elle nous rend ensuite agréables à Dieu et aux hommes; à Dieu qui réside avec

 

(1) Boll., VII, 666.

(2) Eccli., X, 36.

 

246

 

complaisance dans une âme remplie de la mansuétude de Jésus-Christ, aux hommes qui se laissent gagner sans peine par les prévenances de la charité. » (1)

Bienheureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre, c'est-à-dire, d'après les commentateurs autorisés, les coeurs de leurs semblables. L'influence réelle du Docteur angélique sur tous ceux qui l'approchèrent, n'avait-elle pas en grande partie pour cause la douceur dont toute sa personne exhalait le parfum? Nous le croyons sans peine.

Pour terminer enfin par un témoignage dont personne ne suspectera la valeur, saint François de Sales, ce type admirable de la douceur chrétienne, appelle Thomas d'Aquin « la plus humble et la plus douce âme qu'on saurait dire » (2).

 

(1) 2a 2ae, q. 157, a. 4.

(2) Lettres spirituelles, 180e, Vivès, 1874.

 

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CHAPITRE VI. ANGÉLIQUE PURETÉ

 

Pulchritudinem candoris ejus admirabitur oculus.    ECCLI., XLIII, 20.

L’oeil ne se lasse pas d'admirer l'éclat de sa blancheur.

 

Oh! combien est belle, éclatante, la génération chaste ! Sa mémoire immortelle est en honneur devant Dieu et devant les hommes.

A cette exclamation du Sage répondent, dans la vision apocalyptique de l'apôtre saint: Jean, les cantiques des âmes vierges, qui forment au ciel le cortège de l'Agneau.

Le Patron des écoles catholiques brille au premier rang de cette génération sainte.  Ce n'est pas en vain qu'il est appelé Docteur angélique. Homme vraiment céleste, innocent dans son enfance, pur en son adolescence, athlète de la chasteté, honoré de la visite des anges, ceint par eux d'un mystérieux cordon, déclaré leur égal, et confirmé, pour ainsi dire, dans la virginité, il mérite à tous égards d'être proposé à l'imitation des jeunes chrétiens, avec les. Louis de Gonzague et les Stanislas Kostka, qui se faisaient gloire eux-mêmes de suivre ses traces.

Mais il faut au lecteur autre chose que des affirmations ; (248) consultons les monuments de l'histoire sur l'admirable pureté de Thomas d'Aquin.

« Le saint Docteur avait lu que la Sagesse n'entrera point dans une âme affectionnée au mal, et n'habitera jamais dans un corps asservi au péché (1). Aussi s'efforça-t-il constamment de posséder la pureté de l'esprit et du corps; et comme il savait que l'homme,ne peut l'obtenir en vertu de son mérite, il pria Dieu de la lui accorder par un effet de sa libéralité infinie. Il est certain que le don de virginité lui fut conféré, ainsi que le prouve la vision qu'il eut dans sa prison, lorsque deux anges lui apparurent. Cette pureté admirable est attestée par Frère Raymond Sévère, lequel déclara par serment, à diverses reprises, qu'étant à Paris; dans le couvent d'études, avec Frère Thomas, il ne sic rappelait pas, durant les sept années qu'il avait passées avec lui dans la plus étroite liaison, l'avoir entendu s'accuser au saint tribunal d'aucune pensée contraire à l'aimable vertu. Or, ces deux religieux se communiquaient les secrets de leur conscience, et, par la fréquente absolution, se préparaient l'un l'autre à la célébration des saints mystères.

« A ce témoignage s'ajoute l'affirmation de son dernier confesseur, Frère Réginald de Piperno, qui mérita d'être le compagnon et le témoin de toute sa vie. Ce religieux déclara plusieurs fois et à diverses personnes que la dernière confession du Bienheureux ressemblait à celle d'un enfant de cinq ans, dépourvu de toute malice. » (2)

Nos lecteurs se garderont bien de voir, dans la révélation faite par les confesseurs de saint Thomas, une rupture du sceau sacramentel. Ce sceau est assurément inviolable, sans réserve aucune, en ce qui concerne les péchés avoués au

 

(1) Sap., I, 4

(2) Boll., VII, 667

 

249

 

tribunal de la réconciliation. Mais quant aux vertus intimes des serviteurs de Dieu, quant aux merveilles de grâce opérées dans leurs âmes par la droite du Très-Haut, aucune loi ne défend au ministre de la Pénitence de les proclamer, après leur trépas, à l'honneur du Tout-Puissant et pour l'édification des fidèles. L'archange Raphaël a dissipé l'objection qu'on pourrait opposer ici, quand, avant de quitter Tobie et son fils pour, remonter au ciel, il,' leur dit, en se faisant connaître : Il est bon de cacher le secret du roi ; mais révéler et confesser les oeuvres de Dieu est chose digne d'éloge.

La merveilleuse pureté du Docteur angélique fut en outre dévoilée au Frère qui eut la vision du tissu d'argent.

« Comme ce Frère retournait à la cour pontificale pour presser la canonisation du serviteur de Dieu, il fut retenti par une furieuse tempête dans le port d'Astura. Pour se consoler du retard, il demanda au saint 'Docteur quelque révélation touchant les secrets de son admirable vie. Après avoir prié dévotement et avec larmes, il s'endormit vers l'aurore, et le bienheureux Thomas lui apparut. Il portait les traits de l'âge viril. Près de lui se tenait un autre religieux, jadis entré dans l'Ordre sur les conseils du Saint, et, lui aussi, sorti prématurément de cet exil terrestre. S'adressant à ce dernier pour lui exprimer sa surprise : « Frère Thomas, dit-il, paraît plus jeune que vous ! » Le Docteur prenant la parole, répondit : « Tels sont les saints, tous jeunes. » Désirant l'interroger sur, l'histoire qu'il composait, le Frère reprit : « Maître, j'ai, écrit toute votre vie; un point me paraît merveilleux, dites-moi s'il est tel que je l'ai rapporté: Est-i1 vrai que vous soyez mort aussi pur et vierge qu'après votre baptême, ainsi que me l'a certifié Frère Pierre de Sezza ? » Le Docteur se retournant (250) comme pour cacher la rougeur que lui causait cette louange, répondit : « Oui, il en est ainsi; mais ce n'est pas Frère Pierre qui l'a déclaré, c'est mon compagnon Réginald. » Le Frère voulait le questionner encore pour savoir si l'histoire qu'il écrivait contenait la pleine vérité sur tous les autres points. Trois globes de lumière, égaux en splendeur, mais dont l'un surmontait les deux autres, apparurent, subitement à ses yeux. Se rappelant alors ce qu'il avait lu touchant le triple mode de connaître Dieu, et pensant que ce triple mode était figuré par ces globes lumineux, il dit; au Docteur: « Maître, vous avez enseigné et écrit que les, saints auront une triple connaissance de Dieu; l'une par les sens , l'autre par l'imagination; la troisième par l'intellect : en est-il ainsi ? — Oui, assurément », répondit Thomas, et la vision disparut. » (1)

Ce n'est pas à dire qu'après la résurrection, les bienheureux verront de leurs yeux corporels l'essence divine sans doute, ils verront ainsi la très sainte Humanité: de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais Dieu, étant pur esprit, est par là-même inaccessible aux sens. Toutefois, ses perfections rayonneront avec une telle splendeur dans la création renouvelée, que le divin éclatera en quelque sorte à tous les regards. Déjà, au témoignage de saint Paul, l'invisible divin se rend en quelque manière visible: dans les magnifiques spectacles du ciel et de la terre, invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur (2).

 

Il ne faudrait pas croire que la,pureté tout angélique du' saint Docteur ne lui coûtât aucun effort, et qu'affermi par une grâces exceptionnelle contre les mauvais penchants, il

 

(1) Boll., VII, 667.

 

251

 

demeurât oisif possesseur d'un don si précieux: Les auteurs ont soin de nous dire qu'il conserva sa pureté par une continuelle prière et un emploi scrupuleux de son temps. A cette double précaution, saint Thomas en joignit deux autres, également nécessaires pour maintenir dans une âme le précieux trésor de la chasteté : une sévère retenue dans ses relations, et une mortification parfaite des sens.

Avait-il à converser avec les personnes d'un autre sexe, jamais il ne les regardait en face ; il les entretenait, brièvement, satisfaisait à leur direction d'une manière fort sérieuse, et mettait fin à la visite par quelques paroles édifiantes.

Rapprochons de cette conduite la pratique d'un saint Louis de Gonzague, qui tenait toujours les yeux baissés, sans les lever même sur sa propre mère, et admirons les précautions que l'esprit de Dieu sait inspirer aux saints pour la garde de leur innocence.

La conservation de la pureté demande, de plus, la mortification des sens c'est une vérité passée à l'état de maxime, que le lis de la virginité ne croît que parmi les épines.

La mortification! Par ce mot entendons-nous des austérités excessives, telles que l'histoire de quelques saints nous en offre le tableau ?

L'Esprit souffle où il veut; il lui appartient, à lui seul, de diriger dans les voies les plus ardues de la pénitence; des âmes particulièrement appelées à reproduire l'état, d'expiation du Sauveur Jésus. Mais il suffit d'avoir parcouru les Vies des saints; pour savoir que le Guide divin des âmes inspire habituellement l'attrait des grandes austérités à d'autres qu'à ceux qui ont pour mission d'éclairer l'Eglise par la splendeur de leur doctrine et l'excellence de leurs écrits. Toutefois, dans tous les grands docteurs on trouve (252)  un esprit remarquable de sobriété, de tempérance et de mortification. Tant il est vrai que, pour prendre son essor vers les hauteurs qu'habite l'éternelle Vérité, l'âme doit être dégagée du poids du corps, et de tout ce qui l'incline vers la terre !

Les biographes de saint Thomas n'ont pas eu la prétention de tout dire sur ses vertus ; le peu qu'ils nous ont transmis sur sa mortification suffit pour nous édifier pleinement.

Outre l'abstinence de chair qu'il a gardée inviolablement jusqu'à la mort, et les sept mois de jeûne ordonnés par les constitutions dominicaines, l'homme de Dieu, se livrait à des pénitences extraordinaires, quand il rencontrait des difficultés que sans une lumière nouvelle il ne pouvait résoudre.

Ce n'est pas la seule occasion où il affligeât son corps. Que de fois, en feuilletant l'histoire de notre Saint, on rencontre ces mots, ou autres expressions équivalentes : Thomas redoublait ses prières et ses pénitences!... C'était principalement lorsqu'il se voyait en danger d'être promu aux honneurs que cet ami du silence et de l'obscurité offrait ses larmes et son sang, priait et jeûnait. On pourrait même dire que saint Thomas jeûnait sans cesse ; car Jean de Blaise, qui avait été son familier pendant plus de cinq années, déclare, sous la foi du serment, que le saint Docteur était d'une sobriété extrême, ne mangeant qu'une fois le jour, et au réfectoire commun.

Le vin et les plaisirs, au rapport des saints Livres, rendent l'homme le plus sage apostat de son Dieu. Quiconque veut mener une vie pure et chaste doit, dès l'enfance, prendre ces habitudes de sobriété et de tempérance, que recommande l'hygiène non moins que la mortification. (253) Il doit, en outre, veiller sur tous les sens, en particulier sur ses yeux, portes ordinaires par lesquelles le péché pénètre dans l'âme.

Aux graves enseignements qu'on vient de lire sur le prix de la chasteté, et les précautions indispensables à sa conservation, ajoutons le conseil de ne pas s'abandonner à une présomptueuse confiance. Si persévérants qu'aient été les efforts déployés pour l'acquisition de cette vertu, à quelque degré de sainteté que l'on soit, parvenu, fût-on même un saint Paul, ravi au troisième ciel, on peut, par la permission de Dieu, être exposé à ce que l'Apôtre appelle le « soufflet,de Satan ». La vigilance est donc toujours nécessaire.

Prêtons de nouveau l'oreille à la voix de l'antiquité : « Bien que le Docteur Thomas eût, dans sa prison, remporté sur l'ennemi de son âme un triomphe dû à sa prière, cet esprit audacieux, une première fois vaincu par l'adolescent, eut l'impudence de se mesurer plus tard avec le Maître.

« Jean de Blaise, jeune homme dévoué aux Frères, et tout spécialement à Frère Thomas, vit un jour, à Naples, le démon sous la forme d'un Ethiopien vêtu de noir, entrer dans la chambre du Docteur, et s'approcher de lui. Aussitôt Frère Thomas lui opposa le signe de la croix, et courant sur lui le poing levé: « Comment peux-tu venir encore me tenter ? » s'écria-t-il. A l'instant même, le démon disparut. » (1)

Comment peux-tu venir encore ?... « C'est qu'en effet, poursuit l'historien, le saint Docteur, devenu invincible par la vertu divine, était fort éloigné des trois voies qui

 

(1) Boll., VII, 674.

 

254

 

donnent accès à l'ennemi pour combattre le genre humain la concupiscence de la chair, anéantie en lui par la chaste étreinte du cordon angélique; la concupiscence des yeux, qu'avait étouffée l'attrait des divines contemplations, et l'orgueil de la vie, auquel le rendait insensible une profonde humilité. »

 

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CHAPITRE VII. SCIENCE MIRACULEUSE — SANCTIFICATION DE L'ÉTUDE

 

Dedi tibi cor sapiens et intelligens, in tantum ut nullus ante te similis tui fuerit, nec post te surrecturus sit. III REG., III, 12.

Je t'ai donné un cœur plein de sagesse et d'intelligence, au point que, dans le passé, nul ne t'égale, et que, dans l'avenir, personne ne s'élève à ta hauteur.

 

 

L’office de saint Thomas, en usage dans l'Ordre des Frères Prêcheurs, contient l'antienne suivante, qui est tout ensemble un hommage au Docteur angélique et l'énoncé d'une loi qui ne souffre guère d'exceptions :

 

La belle fleur de l'innocence,

Le lis de la virginité,

Préparèrent à la science

Le chantre de la vérité.

 

Un corps assujetti au péché enchaîne l'âme et comprime son élan vers la science, aussi bien que vers la vertu; d'autre part, la fumée de l'orgueil obscurcit l'intelligence et aveugle le jugement.

Tout au contraire, la pureté du coeur, la mortification (256) des passions et le dégagement des choses terrestres disposent l'esprit aux grandes et nobles conceptions ; comme aussi, là où réside l'humilité, là se trouve la sagesse (1). Par sagesse on peut entendre la prudence consommée, ou l'ensemble des connaissances divines et humaines : double acception que donnent à ce mot les livres inspirés.

 

Mais s'il est rigoureusement vrai que la pureté, et sa soeur l'humilité, aient frayé à l'Ange de l'école la voie de la sagesse, il est également certain que sa science fut plutôt miraculeuse que naturelle, plutôt infuse qu'acquise.

Dieu, s'étant plu à réunir dans ce génie les connaissances jusqu'alors réparties, entre un grand nombre d'esprits supérieurs, l'avait doué des plus riches et des plus brillantes facultés : mémoire prodigieuse, où se gravait pour toujours chaque chose lue ou entendue ; vivacité d'intelligence, qui pénétrait jusqu'au plus intime des questions ; fermeté de jugement, qui n'avait point à revenir sur une solution précédemment donnée; présence d'esprit et fécondité de pensées telles que parfois quatre secrétaires suffisaient à peine au Maître,dictant sur les matières les plus opposées; liaison si naturelle dans les idées, qu'elles formaient un tissu admirable dans les écrits du Saint ; bref, une connaissance si universelle, que rien ne manquait à son enseignement.

Mais suivons le grand Docteur dans le détail de sa laborieuse journée.

Après un léger tribut payé à la nature, écrit un religieux érudit de notre temps (2), Thomas d'Aquin se plongeait dans ces nuits lumineuses, auxquelles on doit tant de

 

(1) Prov., XI, 2.

(2) P. Danzas, Etudes sur les temps primitifs, T- I, p. 79.

 

257

 

chefs-d'oeuvre, élaborés à l'aide de, la prière et de la méditation. L'office de Matines interrompait pendant une heure ou deux ces doctes veilles, que le Saint reprenait ensuite jusqu'à l'aube du jour. Alors, le premier des Frères, il offrait le saint sacrifice, entendait une messe d'action de grâces, et, après avoir satisfait sa piété, montait en chaire pour enseigner la théologie. Le cours terminé, le saint Docteur se mettait à écrire ou à dicter.

Au signal du repas, il quittait sa cellule; mais non ses pensées. Tout en mangeant, il poursuivait l'étude des questions qui l'occupaient ; l'on pouvait placer devant lui ou retirer les assiettes sans qu'il y prît garde, et il ne distinguait point la saveur, des mets. Thomas prenait ensuite quelques minutes de récréation mais parfois, qu'an d ses Frères invitaient à les suivre au jardin, il s'oubliait et remontait involontairement à sa cellule, s'y  appliquant à lire la sainte Ecriture ou les Pères, jusqu'au moment du repos de l'après-midi. Ce repos, il le prenait fort court, et se remettait au travail. L'assistance aux Complies fermait le cercle de cette journée, dont tous les instants avaient été ordonnés par rapport à Dieu, et s'étaient déroulés d'anneaux en anneaux dans la contemplation, la psalmodie chorale, l'enseignement et la composition de merveilleux ouvrages.

Ce genre de vie, le Docteur angélique le conserva jusqu'à la fin, comme l'attestent divers témoins qui l'avaient connu à Naples.

La maladie n'apportait pas ordinairement trêve à ces labeurs. On peut le conjecturer en lisant le prologue du traité sur les Substances séparées :

« Privé d'assister aux solennités des Anges, nous ne devons pas laisser inoccupé un temps consacré à la (258) dévotion, mais compenser par l'étude les moments qu'il nous faut dérober à la psalmodie des divins offices. Voulant donc expliquer l'excellence de la nature angélique; nous rechercherons ce que les anciens ont écrit sur ces esprits célestes d'après les seules lumières naturelles,:afin de, profiter de ce que leur doctrine a de conforme à lai foi, et de rejeter tout ce qui serait contraire au dogme chrétien. »

L'un des secrétaires de saint Thomas, Even Garwith, Breton, du diocèse de Tréguier, racontait une chose vraiment surprenante. Quelquefois, après avoir longtemps dicté, le Saint, éprouvant de la fatigue, se laissait insensiblement gagner par le sommeil. Même en cet état, il continuait à dicter, poursuivant de point en point la matière commencée. Je dors, mais mon cour veille, s'écrie l'épouse du Cantique; ainsi pouvait parler le saint Docteur. Le sommeil dominait ses sens; quant à son âme, comme si elle eût rompu tout rapport avec la chair, elle veillait avec Dieu, dans le doux repos de la contemplation.

Pour composer sa Chaîne d'or, Thomas dut voyager en divers monastères, afin de compulser les manuscrits que recépaient les bibliothèques. « Or, dit Guillaume de Tocco, il confia en grande partie à sa mémoire les textes des saints Pères, et s'en servit dans la suite comme s'il avait eu les ouvragés sous les yeux. Lui-même, conversant familièrement avec ses écoliers, leur dit, non par vaine gloire, mais à la louange de la grâce divine, qu'il n'avait jamais lu de livre sans en avoir, avec le secours de l'Esprit saint, pénétré toute la doctrine. »

Sur la solidité de son jugement, le même auteur donne l'appréciation suivante :

« Grâce à une disposition secrète de la Providence, les oeuvres de saint Thomas, ayant été l'objet d'un examen (261) jaloux de la part de quelques docteurs de Paris, reçurent de cet examen un plus grand poids. Cédant à l'envie, ces docteurs cherchaient matière à critique; oiseaux de nuit, ils voulaient juger la lumière elle-même; tuais la lumière les éblouit. Un maître ès arts, Frère Gilles, Ermite de Saint Augustin et plus tard archevêque de Bourges, qui, pendant treize ans, avait suivi les leçons de Frère Thomas, dit en se moquant de l'insuffisance de ces détracteurs : « Une preuve manifeste de la pénétration d'esprit et de la solidité de jugement de Frère Thomas d'Aquin, c'est que, devenu Maître, il n'eut point à revenir, de vive voix ou par écrit, sur les opinions et les sentiments qu'il avait soutenus n'étant que bachelier. Pour nous, en avançant en âge, nous sommes convaincus de la faiblesse de notre jugement ;  maintes fois un argument nous oblige à changer les opinions que nous avons défendues jadis. D'où il résulte que ceux qui mettent dans leurs balancés les écrits de l'illustre Docteur, ne comprenant pas ce qu'ils jugent, cèdent uniquement à l'envie, semblables, à ces moucherons qui, pour, s'approcher trop de la lumière, y brûlent leurs ailes. L'Eglise peut donc, à bon droit, se plaindre de ces envieux, et, leur appliquer le passage du psalmiste : Des montagnes éternelles vous versez des torrents de lumière, et le trouble. a saisi tous les insensés. Elle semble demander que, par un juste jugement, Dieu aveugle ces hommes jaloux de la. vérité, tandis que resplendit la doctrine divinement inspirée de l'incomparable Docteur. » (1)

Pour concevoir l'universalité de la science de saint Thomas, les contemporains la comparent à celle de Salomon, duquel il est écrit : Dieu lui avait donné un esprit vaste

 

(1) Boll., VII, 670.

 

262

 

comme l'océan; il discourut sur toutes choses, depuis le cèdre du Liban, jusqu'à l'hysope qui sort du rocher (1). On peut dire des livres de saint Thomas qu'ils sont la condensation de tout ce qu'il y a de plus relevé dans la sainte Ecriture, de plus savant chez les Pères, de plus solide dans les écrits des docteurs, et de plus subtil chez tous les philosophes, tant sacrés que profanes; ce qui a donné lieu à ce mot si juste: « Thomas rassemble tous les esprits dans le sien. » (2) Et quand on songe à l'emploi que le Saint faisait de son temps; assistant à l'office de jour et de nuit, consacrant à l'oraison de longues heures, donnant audience à ceux qui venaient le consulter, enseignant presque tous les jours, prêchant en maintes occasions, on ne conçoit pas qu'il ait pu, sans miracle, composer tant de savants ouvrages, et cela en moins de temps qu'il n'en faut à un homme, même de grand talent et de sérieuse application, pour les lire et les étudier à fond.

Saint Thomas n'a écrit qu'en latin; il y a lieu de croire cependant qu'il parlait avec facilité le français et l'allemand, outre l'italien, sa langue maternelle. Certains auteurs pensent qu'il n'ignorait pas le grec, langue qui n'entrait pas alors dans l'enseignement classique. Erasme est de ce sentiment; et il, en donne pour raison que les versions des oeuvres d'Aristote étaient si imparfaites au mule siècle qu'il serait surprenant que saint Thomas eût si bien saisi le sens de ce philosophe, si lui-même n'eût compris le grec. Le

 

(1) III Reg., IV, 29, 33.

(2) Card. CAJÉTAN, in 2a 2ae. Q. 148. — Dans la Somme théologique seulement, on trouve, citées des sentences de quarante-six auteurs profanes, tant philosophes qu'orateurs, historiens, poètes; des décisions, de quarante-et-un souverains pontifes; des décrets de dix-neuf conciles, généraux ou particuliers; des réflexions. de cinquante et un docteurs ou auteurs sacrés. —  La Chaîne d'or est une suite de citations de vingt-huit écrivains ecclésiastiques.

 

 

263

 

saint Docteur, du reste, en parlant des livres d'Aristote sur les Substances séparées, fait cette observation significative : « ouvrages que nous avions étudiés, avant même qu'on les eût traduits en notre langue. »

Chose digne de remarque ! cette science, qui tenait vraiment du miracle, le Père des lumières, ne la dispensait encore qu'avec mesure à son serviteur, comme si un homme d'une semblable humilité eût pu éprouver les surprises de la vaine gloire, et eût besoin d'être maintenu constamment sous la dépendance du Maître des maîtres.

Tel que Moïse au désert, saint Thomas devait frapper le rocher pour faire jaillir les eaux de la Sagesse. La verge dont il se servait était l'oraison.

Nous ne voudrions pas tomber dans des redites ; toutefois, pour ne pas tronquer un texte qui va droit à notre but, qu'on nous pardonne de rappeler un témoignage déjà entendu du moins en partie.

Après que l'astre de l'école se fut éteint à Fossa-Nuova, Frère Réginald revint à Naples reprendre ses cours. La première fois qu'il reparut en chaire, il dit à ses auditeurs avec beaucoup de larmes : « Mes Frères, tant qu'il vécut, mon maître nie défendit de rien publier des : merveilles dont je, fus le témoin. De ce nombre est cette science admirable dont il fut doué préférablement à tout autre docteur, et qu'il devait moins à la puissance de son génie qu'à l'efficacité de sa prière. Toutes les fois, en effet, qu'il voulait enseigner, écrire ou dicter, il commençait par se retirer dans le secret,de l'oraison, et il priait avec larmes, afin d'obtenir de Dieu l'intelligence de ses mystères. Il s'était approché de l'oracle divin sous le poids du doute, de l'incertitude; il en revenait avec des vues claires et certaines. »

 

264

 

Le même compagnon du Docteur angélique a révélé un prodige plus merveilleux encore.

Dans le temps que Frère Thomas écrivait son Exposition sur Isaïe, il parvint à un texte sur lequel il ne rencontrait pas de sens littéral qui le satisfit. Il recourut à la prière et au jeûne, pour, obtenir la lumière.

Or, à la suite d'une journée sanctifiée par une plus austère pénitence, son compagnon l'entendit, pendant la nuit, parler et répondre à haute voix, sans pouvoir deviner quels étaient ses interlocuteurs. L’entretien ayant pris fin, le Saint l'appela : « Réginald, mon fils, levez-vous; allumez la lampe, prenez le cahier que vous avez commencé sur Isaïe, et préparez-vous à écrire de nouveau. » Le disciple obéit, et la dictée se prolongeait; le saint Docteur proférait ses paroles avec autant de facilité que s'il avait lu dans un livre. Enfin, il s'arrêta et dit au Frère : « Allez, mon fils, vous reposer, il reste du temps encore pour dormir. » Frère Réginald, très désireux de savoir le secret de cette conversation mystérieuse, se jeta aux pieds du Maître, en disant : « Je ne me lèverai pas de cette place, que vous ne m'ayez appris avec qui vous avez conversé si longtemps.  » Et il se mit à l'en conjurer avec force, par le nom du Seigneur. Frère Thomas refusa une première, une seconde fois : « Mon fils, disait-il, quel besoin avez-vous. de le savoir ? » Mais craignant de paraître mépriser le nom du Seigneur par, lequel son compagnon avait osé l'adjurer; il dit enfin : « Cher fils, ces jours, derniers, vous avez vu mon affliction; j'avais un doute que je ne pouvais éclaircir sur un texte d'Isaïe; vous savez avec quelles larmes j'ai supplié Dieu de m'en donner le sens. Eh bien, cette nuit, le Seigneur a eu pitié de moi, et m'a envoyé les bienheureux apôtres Pierre et Paul, par l'intercession desquels (265) je l'avais imploré, et ils m'ont pleinement instruit. Mais, de la part de Dieu, je vous commande de ne pas divulguer ce secret de mon vivant. »

L'historien ajoute à son récit,les réflexions suivantes, qui méritent vraiment attention : « O conduite surprenante de la Providence, qui cache, pour un temps l'intelligence des Ecritures, et la dévoile dans un autre avec une admirable bonté ! Elle nous montre ainsi combien l'esprit de l'homme est infirme, impuissant par lui-même à s'élever jusqu'aux mystères divins; elle nous excite à demander l'esprit de sagesse à Celui auquel il appartient de découvrir ses secrets ; elle nous apprend à garder sous le voile de l'humilité les diamants célestes, cherchés et trouvés avec tant de peine. Mais aussi, heureux Docteur à qui le porte-clefs du Paradis daigna ouvrir les saintes, Ecritures, et que l'admirable Paul introduisit au troisième ciel de la vérité ! O  doctrine de saint Thomas certifiée vraie, digne de toute confiance, approuvée d'en haut, reçue par révélation divine, et suggérée par les docteurs du ciel !»

Touchant les Commentaires du Docteur angélique sur saint Paul, un savant auteur s'exprime ainsi : « Dans son exposition des saintes Lettres, saint Thomas est si fécond que le champ des divines Ecritures semble avoir été ouvert tout entier à son âme bienheureuse. » (1).

 

Après tout ce que nous venons de dire sur la science vraiment miraculeuse de l'Ange de l'école ; comment ne pas souscrire à la déclaration suivante de Jacques de Viterbe, archevêque de Naples ?

« Je crois fermement, et sur ma conscience, que notre Sauveur, pour instruire les fidèles, pour éclairer le monde

 

(1) Cf. Ant. Possevin, Appar. sacr., t II, p. 477 et seq

 

266

 

et l'Eglise universelle, a envoyé d'abord saint Paul, ensuite saint Augustin, enfin, de nos jours, Thomas d'Aquin, après lequel je ne crois pas qu'il vienne de semblable docteur jusqu'à la fin des siècles. » (1)

 

Mais, ne l'oublions pas, saint Thomas est un modèle, c'est à lui qu'il faut demander la manière de sanctifier l'étude : voilà pour nous le côté pratique.

L'étude, en effet, quoique très noble et très utile en elle-même, sera inévitablement préjudiciable au salut, si on la sépare de l'humilité et de la simplicité du cœur, et si l’on n'a soin de la faire précéder et de l'accompagner de la prière. Car, en supposant qu'elle ne précipite pas toujours dans des erreurs contraires à la foi, elle nourrit au moins l'orgueil; et produit cette sécheresse de coeur qui traîne à sa suite le dégoût des exercices de piété. Cette remarque s'applique à l'étude des sciences religieuses comme à celle des sciences purement profanes. L'expérience ne prouve que trop cette vérité. Quiconque veut étudier en chrétien doit se proposer sans cesse l'exemple du Docteur angélique, c'est-à-dire qu'il doit se défier de ses propres lumières, ne se mettre au travail qu'après avoir imploré le secours d'en haut, se tenir constamment en présence de Dieu, élever de temps en temps son coeur vers lui par des aspirations enflammées, lui demander avec ferveur l'éclaircissement de ses doutes et la solution de ses difficultés. S'il est fidèle à cette pratique, il éprouvera bientôt, comme saint Thomas, qu'on apprend plus aux pieds du Crucifix que dans tous les livres du monde. Alors les connaissances qu'il acquerra tourneront toutes à l'avantage de son âme; elles deviendront

 

(1) Boll., VII, 712.

 

267

 

pour lui un nouveau motif de reconnaître son néant, de s'attacher à Dieu, de l'aimer, de le servir.

Le Saint, d'ailleurs, va lui-même nous découvrir sa pensée dans une lettre adressée à un jeune religieux, nommé Jean, et dont tous les étudiants et élèves chrétiens peuvent tirer profit.

 

Très cher fils en Jésus-Christ, vous m'avez demandé la manière d'étudier pour, acquérir le trésor de la science. Voici les conseils que je vous donne à ce sujet :

D'abord n'essayez pas d'entrer tout d'un coup dans la mer, mais tâchez d'y parvenir en suivant les petits ruisseaux ; c'est-à-dire allez par degrés des choses faciles aux questions plus difficiles. Retenez bien cet avis.

Je veux que vous soyez lent à parler, et que vous ne répondiez pas avec précipitation.

Conservez avec soin la pureté de conscience. Ne cessez pas de vous adonner à l'oraison. Aimez la cellule, si vous voulez être introduit dans le cellier de l'Epoux ».

Montrez-vous aimable envers tout le monde .

Toutefois, ne vous familiarisez avec personne, car la trop grande familiarité engendre le mépris, et distrait de l'application nécessaire à l'étude.

Point de recherches sur les actions d'autrui.

Ne vous mêlez, aucunement de ce qui se dit et se fait dans le siècle.

Evitez par-dessus tout le va-et-vient sans but. N'omettez pas de suivre les exemples des hommes de bien et des saints personnages.

Confiez à votre mémoire tout ce qui se dit de bon, de quelque part que vienne la vérité.

 

268

 

Dans ce que vous lisez et ce que vous entendez, faites en sorte de ne rien laisser passer sans le comprendre.

Ne manquez jamais d'éclaircir vos doutes.

Toutes les connaissances que vous pourrez acquérir, mettez une sainte activité à les renfermer dans les compartiments de votre mémoire, comme on tâche de remplir un vase jusqu'aux bords.

Ne cherchez pas à pénétrer ce qui sera toujours au-dessus de vous:

En suivant cette marche, vous porterez dans la,vigne du Seigneur des armées un épais feuillage et des fruits utiles, toute la durée de votre vie. En même temps vous pourrez atteindre le terme de vos désirs : la vraie science.

Adieu.

 

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CHAPITRE VIII. ZÈLE APOSTOLIQUE

 

Vena vitae os justi. Prov., X, 2.

Les lèvres du juste distillent la vie.

 

Providentiellement amené dans le Languedoc, en 1205, pour y travailler à la conversion des Albigeois, saint Dominique, au milieu des labeurs, de son ministère, eut l'inspiration de fonder, un Ordre de religieux spécialement appliqués à la prédication. C'est en déclarant ce but qu'il soumit son projet à l'approbation, du Saint-Siège ; et, par une permission de Dieu, le pape donna au nouvel institut un nom qui est un perpétuel témoignage de sa fin.

Etienne de Salanhac, raconte comme il suit cet épisode :

« Innocent III, ayant occasion d'écrire au bienheureux Dominique, appela un secrétaire, et lui dit : « Asseyez-vous et écrivez sur telles choses à Frère Dominique et à ses compagnons; » et s'arrêtant un peu : « N'écrivez pas ainsi, dit-il, mais en cette manière : A Frère Dominique et à ceux qui prêchent avec lui dans le pays de Toulouse. » Réfléchissant (270) de nouveau, il dit : « Ecrivez de la sorte : A Maître Dominique et aux FRERES PRÊCHEURS. »

Si donc la prédication fut le but avoué du fondateur de l'Ordre de la vérité, il s'ensuit que l'esprit de zèle doit entrer comme élément essentiel dans les vertus d'un véritable enfant de saint Dominique. Quelle est sous ce rapport la physionomie du plus illustre fils de ce grand patriarche, la physionomie de; l'angélique Docteur?

A d'autres qu'à lui, sans doute, appartiennent dans son Ordre les plus belles palmes de l'apostolat : cependant, bien loin de rester étranger, comme on pourrait le croire, au ministère de la parole évangélique, saint Thomas fut, dans la force du terme, Frère Prêcheur, et Dieu bénit son zèle, non seulement par des fruits merveilleux dans les âmes, mais encore, nous le raconterons plus loin, par un éclatant miracle.

Le tome XXIXe d'une édition récente des œuvres de saint Thomas (I) nous offre un recueil de cent quarante-deux sermons pour tous les dimanches de l'année sur l'épître et l'évangile, et de quatre-vingt-trois panégyriques de saints.

Ce ne sont, il est vrai, que des canevas tracés à l'avance par l'orateur, ou des analyses recueillies au courant de la plume par de pieux sténographes, disciples du Saint, et soumises à la correction du Maître avant d'être classées parmi ses oeuvres .

Quoi qu'il en soit, voilà deux cent vingt-cinq plans de sermons, avec des divisions et subdivisions, simples et claires, comme tout ce qui sort de la plume du Docteur angélique, appuyées de textes de l'Écriture ou des Pères.

 

(1) Vivès, 1876.

 

271

 

Quelle mine pour de jeunes prédicateurs! mine d'autant plus précieuse qu'elle est moins exploitée! Combien peu la connaissent, combien peu y vont puiser!

On pourra juger de la richesse du filon par une citation, prise, pour ainsi dire, au hasard.

 

Sermon sur l'évangile du second dimanche après Pâques : Le bon pasteur donne sa vie pour ses; brebis.

« Dans ces paroles, dit saint Thomas, il y a trois choses à noter : premièrement, la grande bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ : il est le bon pasteur; secondement, sa grande charité : il donne sa vie; troisièmement, la sainteté ou la bonté de ses élus : ils sont ses brebis.

« Sur le premier point, il faut savoir que Jésus-Christ est appelé le bon pasteur pour trois raisons: Trois devoirs sont le propre d'un bon pasteur. Le premier est de défendre ses brebis ; le second, de les tenir et de les faire paître en de gras pâturages; le troisième, de rechercher les brebis errantes.

« Notre-Seigneur Jésus-Christ commence par défendre ses brebis des lions, c'est-à-dire des démons; des loups, c'est-à-dire des tyrans , des ours, c'est-à-dire des hérétiques. On lit dans Ezéchiel : Mes troupeaux ont été livrés en proie, et mes brebis exposées à la dent des bêtes sauvages, XXXIV, 8: Plus loin : Je délivrerai mon troupeau, ibid., 10. En saint Jean : Mes brebis ne périront pas à jamais, personne ne les arrachera de mes mains, X, 28. Secondement, le divin Pasteur, fait paître ses brebis dans les prairies de l'Écriture, de la grâce et de la gloire: Ezéchiel dit encore : Je les mènerai dans les pâturages les plus fertiles; les hautes montagnes d'Israël fourniront leur pâture, XXXIV, 14. — Il recherche avec sollicitude les brebis (272) errantes : Quel est celui d'entre vous qui, ayant cent brebis et venant à en perdre une, ne laisse aussitôt les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, pour courir après celle qui s'est égarée, jusqu'à ce qu'il la retrouve ? Ainsi parle-t-il en saint Luc, XV, 4; et dans Ezéchiel : J'irai moi-même chercher mes brebis.

« Sur le second point, il faut remarquer trois doris que nous a faits Jésus-Christ, et dans lesquels apparaît sa grande charité. Il a donné d'abord son corps en nourriture : Prenez et mangez, ceci est mon corps ; puis son sang en breuvage : Recevez et buvez en tous, ceci est mon sang ; enfin, son âme pour notre rançon. En cela, dit saint Jean, nous avons connu la charité de Dieu, c'est qu'il a donné son âme pour nous; et ailleurs : Je sacrifie mon âme pour mes brebis, Ire Epître, III, 16.

« Sur le troisième point, la bonté des élus il faut noter; trois actes de bonté. Le premier est de ne nuire à personne : Ne donnez à personne aucun sujet d'offense, 2e Epître aux  Corinthiens, VII. — Le second, de souffrir patiemment les injures : Ne rendez pas le mal pour le mal, S. Paul aux Romains, XI. — Le troisième, de céder volontiers à tous sa personne et ses, biens. Denys l'Aréopagite a dit : Le bien cherche à se communiquer ; et saint Jean : Nous aussi, nous devons exposer notre vie pour nos frères, Ire Epître, III, 16.

« Pour ces trois raisons, les brebis représentent les élus. Car, premièrement, elles ne font injure à personnes; secondement, elles souffrent les maux avec mansuétude; troisièmement, elles abandonnent à l'usage des hommes et leur chair et leur toison. Ceux qui sont ainsi les brebis de Jésus-Christ parviendront sans aucun doute à son bercail, c'est-à-dire au royaume des cieux. Ecoutez : Il placera les (273) I, etc. ; et ensuite : Venez, les bénis de mon Père, possèdez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde, S. Matthieu, XXV, 34. Daigne sa grâce nous y conduire. Amen. »

 

Dans le XXXIIe volume, nous trouvons, parmi d'autres recueils, cinquante-cinq sermons ou conférences d'une plus grande étendue, et dont plusieurs portent des titres spéciaux :

Sermon pour le premier dimanche de l'Avent, en présence de l'Université de Paris.

Sermon prêché au couvent des Frères Prêcheurs de Bologne, devant l'Université.

Sermon à Milan, en présence du clergé et du peuple. Enfin, un très beau sermon prononcé en plein consistoire, sur la fête du Corpus Christi — Fête-Dieu.

Et il va sans dire que nous sommes loin de posséder, même dans ces courts abrégés, le résumé des oeuvres oratoires du Docteur angélique. Les contemporains de saint Thomas nous apprennent qu'il prêchait en maintes circonstances, parfois même des carêmes entiers.

 

Mais quel était le caractère de sa prédication ?

Par l'extrait donné plus haut, on peut se convaincre que sa parole était tout apostolique, comme saint Dominique l'entendait et en laissa la tradition à sa descendance religieuse; comme l'entendait le grand Apôtre, qui ne prêchait que Jésus, et Jésus crucifié.

Au reste, l'antiquité peut encore nous instruire à cet égard.

« L'admirable Docteur, constamment appliqué aux choses célestes, et animé pour le prochain d'une charité qui ne (274) cherchait qu'à se répandre, dirigeait ses prédications de manière à plaire à Dieu, et à être utile au peuple. Il ne s'égarait point dans les périodes élégantes de la rhétorique, mais s'attachait à l'esprit et à la vertu de la parole divine, évitant ces vaines prolixités de langage qui font le compte de la curiosité plutôt que de l'édification. Il parlait dans l'idiome propre à son sol natal, n'ayant pu le changer à cause du continuel ravissement de son esprit, et il proposait aux fidèles ce qui leur était profitable, laissant les questions subtiles à la discussion de l'école. Aussi était-il écouté avec autant de vénération que si sa prédication fût venue du Christ lui-même. Et ce qu'il enseignait de bouche, il l'accomplissait en ses oeuvres; il n'eût pas osé dire ce que Dieu ne lui eût pas donné de pratiquer. » (1)

L'une des années qu'il passa dans la Ville éternelle, à son retour de Paris, saint Thomas fut chargé de prêcher le carême à Saint-Pierre. Il le fit avec un fruit immense : au témoignage des auteurs il transforma, pour ainsi dire, jusqu'à la cour romaine. Le sermon du Vendredi saint fut pathétique à un tel point que l'auditoire fondit en larmes; l'orateur dut s'arrêter, pour laisser aux fidèles la liberté de se frapper la poitrine et de produire des actes de contrition.

Pareillement, le jour de Pâques, le saint prédicateur parla avec tant d'éloquence de la gloire de la résurrection, et de la joie qu'éprouva Marie du triomphe de son Fils, que, sans le respect dû à la majesté du temple, des cris d'allégresse et des acclamations eussent éclaté de toute part.

Comme il descendait de chaire, une femme qui depuis

 

(1) Boll., VII, 673.

 

 

 

longtemps souffrait d'une perte de sang, et avait eu vainement recours à toute sorte de remèdes, s'approcha de lui, toucha le bord de sa chape, et se sentit guérie instantanément. A l'exemple de cette infirme de Galilée, gratifiée d'une pareille faveur à l'attouchement de la robe de Jésus-Christ, elle proclama, pour la gloire de Dieu, le bienfait de sa guérison, et accompagna son libérateur jusqu'au couvent de Sainte-Sabine. Elle fit connaître le miracle dans tous ses détails à Frère Réginald, qui le rapporta en plusieurs circonstances et à plusieurs religieux.

Un autre témoin, que nous connaissons, Jean de Blaise, familier de la princesse Marie, reine de Sicile, avait assisté, à Naples, aux prédications du carême sur l'Ave Maria, et il remarqua que, pendant ses sermons, le Saint tenait habituellement les yeux fermés, mais la tête levée vers le ciel, où se dirigeait le regard de son esprit.

Le zèle apostolique de saint Thomas ne se déployait pas seulement dans la sphère d'un nombreux et brillant auditoire; il s'exerçait encore auprès de ceux qui avaient besoin d'être instruits ou exhortés en secret. Avec la même charité qu'il mettait à exposer dans ses conférences publiques le dogme ou la morale évangélique, il discutait en des entretiens privés avec quelques personnes éloignées de la foi ou de la pratique chrétienne.

« Une année, raconte Guillaume de Tocco, se trouvant au château de la Molaria, chez le cardinal Richard, le Bienheureux y demeura pour la fête de Noël. En même temps arrivèrent deux riches et savants Juifs, fort considérés parmi leurs coreligionnaires ; ils avaient coutume de venir à cette époque au château. Le seigneur cardinal pria le saint Docteur de traiter avec ces Juifs l'affaire de leur conversion.

 

276

 

« Après les avoir entretenus longuement sur la loi ancienne et leur avoir démontré parles textes des prophètes l'avènement du Sauveur, Frère Thomas fixa le lendemain pour répondre aux objections qu'ils pourraient avoir à lui présenter. Dans l'intervalle, il supplia le divin Messie, par la joie de sa Nativité, de changer les coeurs de ces deux enfants d'Israël. Or, à l'heure fixée, les Juifs susdits abordent l'homme de Dieu. A peine a-t-il ouvert la bouche que l'un et l'autre se trouvent changés, avouant qu'ils ne peuvent résister à l'esprit de sagesse qui parle en lui, et qu'ils n'ont rien à objecter à ses exhortations franches et simples. Comme on le pense, il y eut grande joie au château, et l'éminent cardinal célébra avec un redoublement d'allégresse la solennité de la Naissance du Sauveur. Quant à Frère Thomas, lui-même avait coutume chaque année, en cette fête, de recevoir du Fils de Dieu et de la glorieuse Vierge quelque révélation nouvelle, qui apportait la joie à son esprit, et comblait les désirs de son coeur. »

L'homme apostolique achève son ministère au tribunal de la Pénitence. C'est là qu'appliquant les principes de la morale chrétienne, exposés dans la chaire de vérité, il engendre vraiment à Jésus-Christ les âmes que sa parole a initiées à la vie de la foi. C'est là que, condescendant aux faiblesses de l'humanité et compatissant à toute douleur, il fait couler sur les plaies les plus invétérées le baume sacré du Calvaire. Il eût donc été d'un grand intérêt de considérer notre sublime Docteur dans l'exercice du ministère de la réconciliation; mais le silence plane sur ce point important de sa vie sacerdotale. Toutefois, à parcourir ce qu'il a écrit sur la confession, dans le cours de ses ouvrages, notamment au traité de la Pénitence, son chant du cygne, (277) on ne peut s'empêcher d'accorder à saint Thomas une connaissance approfondie du cœur humain. Quand on se rappelle, par ailleurs, l'empire qu'il exerça sur la jeunesse de son époque, et son zèle pour l'instruire, soit dans la chaire de théologie, soit dans la chaire évangélique, il n'est pas téméraire de croire que le saint prêtre avait souvent reçu les confidences de bien des âmes. L'amour immense dont son coeur brûlait pour Dieu débordait alors, polir communiquer cette paix de la conscience, qu'on ne retrouve pleinement qu'aux pieds du prêtre, quand on a eu le malheur de la perdre par le péché.

 

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CHAPITRE IX. SAINTES AFFECTIONS DE LA FAMILLE PORTRAIT ET CARACTÉRE DE SAINT THOMAS.

 

In dilectione sua redemit eos. ISAI., LXIII, Q.

Dans sa constante affection il délivra les siens.

 

EST-IL vrai, comme on l'entend dire dans le monde, que la vie religieuse soit le sépulcre des affections de la famille, et que, renfermé dans sa clôture, le religieux oublie à tout jamais les personnes aimées avec lesquelles il a passé les jours bénis de son enfance et de sa jeunesse ?... Contre pareille accusation protestent des milliers d'exemples, empruntés à la vie des saints.

Loin d'étouffer les sentiments affectueux d'un noble coeur, la profession religieuse les épure, les élève, leur communique quelque chose de divin. L'âme qui a choisi Jésus-Christ pour Epoux craint sans doute de partager avec la créature l'amour parfait qu'elle doit à son Dieu. Elle cesse d'aimer d'un amour intéressé, égoïste ou simplement naturel ; mais, en conservant à des proches, à des amis, l'affection dont elle les entourait autrefois, elle les aime désormais en Dieu, elle les aime pour leurs intérêts spirituels ; et cette affection devenue plus puissante se (280) traduit par de ferventes prières, par de secrètes immolations, quelquefois aussi par de judicieux conseils, puisés auprès du Tabernacle, enfin presque toujours par une influence latente, mais réelle, qui émane de la' pratique cachée de sublimes vertus.

Ce n'est pas dire assez. Que de fois l'héroïsme d'une affection toute surnaturelle pour un être ardemment chéri fut le motif déterminant d'une vocation religieuse !

Le siècle de Voltaire vit une fille de France quitter les splendeurs de Versailles pour l'obscurité d'un Carmel. En posant le pied sur le seuil du monastère, l'auguste princesse brisa-t-elle dans son âme les fibres de la piété filiale et des légitimes affections de famille? Assurément non. Victime volontaire pour les péchés de la cour et du royaume, offrant jour et nuit ses oraisons et ses larmes, elle arrêtait le bras de la divine justice; même, par intervalles, à travers les grilles de sa sombre retraite, elle versait dans le cour de son royal père les seules gouttes de consolation vraiment capables de lui procurer quelque joie.

De nos jours encore, combien de cloîtres, s'ils pouvaient parler, nous révèleraient de semblables secrets !...

Quand Thomas d'Aquin entrait à dix-sept ans dans l'Ordre de Saint-Dominique, sa famille, en le perdant, pour parler selon le monde, faisait en réalité un gain immense. Nous avons vu comment il fut pour ses soeurs l'instrument providentiel de leur salut et de leur sainteté. Les deux comtes, ses frères, virent leur existence rompue, par une, fin prématurée. Pourrait-on soutenir qu'à aucun titre ils ne durent aux prières de leur saint frère les sentiments chrétiens qui rendirent leur mort précieuse aux regards de l'Eternel ?

Pour la comtesse Théodora, son nom disparaît de (281) l'histoire, peu après la sortie de notre héros du fort San-Giovanni; tout porte à croire qu'elle précéda ses enfants dans la tombe. Elle aussi, revenue, à de meilleurs sentiments, dut bénir maintes fois la vocation de son fils.

Saint Thomas supporta avec un calme inaltérable les malheurs domestiques par lesquels il plut à Dieu d'éprouver la maison d'Aquin. Ce calme l'accompagnait sans cesse, même quand lui parvenait la nouvelle d'un deuil de famille. « Alors, selon la déposition de Barthélemy de Capoue, il ne changeait ni de visage, ni de regard, ne donnait aucun signe de douleur en parole ou en acte, mais, conservant la sérénité et la quiétude de ses traits, se contentait de demander des messes et des prières pour ses neveux ou autres défunts, et lui-même priait pour eux. »

Cette impassibilité apparente, qu'on aurait tort d'attribuer à l'indifférence, provenait uniquement de ce que l'âme. de saint Thomas habitait ces hauteurs où parviennent seulement, comme des échos lointains, les gémissements de la terre et l'explosion des douleurs humaines.

Et, en effet, la tristesse du chrétien, en face d'une tombe fraîchement ouverte, n'a rien qui ressemble à la désolation de ceux qui n'ont plus d'espérance.

Nous pleurons nos morts, soit : c'est un soulagement que nous accordons à la nature, soulagement que le Christ a lui-même consacré par ses divines larmes sur le tombeau de Lazare. Mais nous nous consolons dans l'espoir de retrouver un jour au sein de Dieu ces âmes que nous avons aimées ; et, à proprement parler, le seul véritable sujet de larmes, c'est la crainte, — si malheureusement elle est fondée ! — que des êtres chéris n'aient comparu devant le souverain Juge en état de péché mortel.

Or, telle était l'anxiété de notre Saint, après le trépas de (282) ses infortunés frères. Leur vie s'était écoulée dans la dangereuse profession des armes et la vanité des jouissances du siècle; leur conduite à son égard, quand, jeune novice, il les avait vus tendre un piège infâme à sa vertu, lui faisait craindre que leurs âmes ne fussent restées attachées à la fange. Sans doute, des revers terribles avaient fondu sur leurs têtes, et avaient pu leur ouvrir les voies de l'expiation.. L'aîné, Landolphe, banni de ses domaines et dépouillé de ses biens, était mort en exil; le second, Raynald, avait succombé dans sa prison, aux tortures de la faim. Tout en espérant, tout en priant pour eux, Thomas désirait ardemment connaître le sort de leurs âmes, et sollicitait du ciel la faveur d'en être instruit par quelque lumière surnaturelle. Le Dieu de toute consolation l'exauça au delà de sa demande.

« Un jour, raconte le premier biographe, Frère Thomas, à Paris, était plongé dans la méditation, quand lui apparut, en vision imaginaire, sa sœur, l'abbesse de Sainte-Marie de Capoue. Elle déclare qu'elle est en purgatoire, et demande à son frère un certain nombre de messes pour sa délivrance. Le Bienheureux appelle aussitôt ses étudiants, et les conjure d'offrir pour l'âme de sa soeur des messes et des prières. Quelque temps après, comme il était à Rome, la défunte se montra de nouveau. Elle lui apprit qu'elle était délivrée du purgatoire et jouissait de la gloire céleste, grâce aux messes célébrées par ses soins. Le Saint lui demanda en quel état lui-même se trouvait devant Dieu : «Mon frère, répondit l'âme bienheureuse, vous êtes en bon état, et bientôt vous viendrez nous rejoindre. Il vous est réservé une plus grande gloire qu'à nous tous; tenez bien ce que vous avez. » Thomas l'interrogea sur le sort de leur frère Landolphe : « Il est en purgatoire, » répondit-elle. « Et Raynald ? — En paradis. »

 

283

 

« La joie causée à l'homme de Dieu par cette révélation s'affermit dans une autre vision non moins consolante. Un ange lui apparut, tenant en mains un grand livre, sur lequel étaient écrits des noms d'élus en lettres d'or et d'azur. Dans les lignes d'or destinées aux martyrs, Thomas distingua le nom de son frère Raynald, dont la mort, courageusement acceptée pour la liberté de l'Eglise, avait eu devant Dieu le mérite du martyre. » (1)

Remarquons ces dernières paroles, pour en tirer une conclusion favorable à la gloire éternelle de ces jeunes héros qui, en mourant pour le pouvoir temporel du Saint-Siège, à Castelfidardo, à Mentana, à la porte Pia..., ont écrit, de leur sang, une des plus belles pages de l'histoire de l'Eglise au XIXe siècle.

 

Pour compléter la physionomie de notre saint patron, il faut au tableau de ses vertus joindre le portrait que les contemporains nous ont laissé de sa personne et de son caractère.

Saint Thomas d'Aquin était de haute stature, la tête droite, le port noble et majestueux, attitude qui correspondait parfaitement à l'élévation de son esprit. Bien proportionné dans tous ses membres, d'une complexion délicate, d'une corpulence assez notable, il jouissait d'une vigueur ordinaire.

Il avait le crâne très développé, le front large, la tête un peu chauve, le teint brun, les yeux doux et pénétrants, le visage assez beau: ensemble de qualités physiques en harmonie parfaite avec une intelligence supérieure et des vertus hors ligne. Il était, en outre, fort grave dans tous ses mouvements.

 

(1) Boll., VII, 672.

 

284

 

La vigueur de son corps était admirablement soutenue, dans les occasions difficiles, par une énergie de volonté peu commune : de cette énergie procédait la tranquillité d'âme qui l'accompagnait partout. On en cite un trait remarquable.

Comme il retournait à Paris, après la condamnation du livre des Périls des derniers temps, une effroyable tempête s'éleva sur la mer ; les nautoniers éperdus croyaient périr, et ne savaient plus à quoi se résoudre. Lui seul conserva un sang-froid imperturbable au plus fort du danger.

Entre autres fréquents malaises de nature à le rendre sombre et triste, l'angélique Docteur souffrait souvent de l'estomac, soit à cause de ses abstinences et de ses jeûnes, soit à cause de sa continuelle application à l'étude. Souvent aussi, par suite du vol habituel de son esprit, il éprouvait, comme nous l'avons vu, des abstractions qui le rendaient complètement étranger à tout ce qui se faisait ou disait autour de lui. Il fallait qu'un Frère, comme une mère attentive, veillât à prévenir ou à écarter ce qui aurait pu lui être nuisible.

Malgré cet état de souffrance et ces habitudes de contemplation, le caractère de notre Saint n'offrait rien de mélancolique et de concentré, mais se prêtait à l'ouverture simple et naïve, voire même à d'agréables saillies.

On lui demanda, un jour, pourquoi à Cologne il était resté si longtemps sans dire mot sous maître Albert.

« C'est, répondit-il, que je n'avais pas encore appris à parler devant un tel Maître. »

Comme, un autre jour, on voulut lui remettre quelques deniers, il refusa et dit en souriant : « Je ne suis point chargé de garder; la bourse de Judas. » (1)

 

(1) Castillo. — Frigerio.

 

287

 

Sa récréation habituelle était de se promener solitaire sous le cloître du couvent, la tête dirigée vers le ciel. Une seule fois, à Naples, Barthélemy de Capoue le vit sortir à la campagne, sur le soir; une autre fois, il le rencontra à travers les rues de Capoue, à une époque où le roi tenait sa cour dans cette ville. Thomas était venu pour arranger une affaire malheureuse arrivée à son neveu, le comte de Fondi. En cette circonstance, on le voit, le serviteur de Dieu n'avait pas hésité à sacrifier ses goûts personnels pour répondre à un appel de la charité.

Terminons par deux témoignages sur l'aménité de saint Thomas d'Aquin.

« Son seul aspect, écrit Guillaume de Tocco, révélait la bonté de son âme, et personne ne pouvait le regarder, ni lui parler, sans ressentir une consolation particulière. Aussi Frère Eufranon de Salerne, qui jouit dans tout l'Ordre d'une grande réputation, répétait-il souvent que chaque fois qu'il considérait ou entretenait le saint Docteur, il retirait de sa vue ou de sa conversation une grâce de joie toute spirituelle, attestant la présence de l'Esprit saint en lui. »

Barthélemy de Capoue dit de son côté : « C'était une opinion commune et accréditée parmi les plus graves religieux, que l'âme de Frère Thomas était le radieux tabernacle du Saint-Esprit, parce qu'on voyait toujours resplendir sur ses traits la joie, la douceur, la suavité. » (1)

 

Ce résumé rapide des Vertus de saint Thomas d'Aquin contribuera, nous n'en doutons point, à l'édification de nos lecteurs, et inspirera aux étudiants le désir de marcher sur les traces de leur glorieux Patron.

 

(1) Boll., VII, 669 et 710.

 

288

 

Pour peu qu'on y réfléchisse, en écartant toutefois la partie miraculeuse de son histoire, on reconnaîtra qu'en notre Saint les actes des vertus se déroulent dans les conditions ordinaires. L'imitation est donc à la portée de tous.

Tous, comme Thomas d'Aquin, peuvent pratiquer l'humilité et l'obéissance, la charité et la douceur; tous peuvent s'attacher aux pas de cet ange de pureté, et chercher un refuge, comme lui, au pied des autels et sous le manteau de la Vierge immaculée; tous peuvent compatir aux misères des pauvres et les assister avec le même zèle ; tous peuvent sanctifier l'étude, à son exemple, et se rendre capables des luttes de l'apostolat par la parole ou par l'action. Saines connaissances et action éclairée : tels sont, en effet, les fruits qui doivent résulter d'une éducation vraiment sérieuse et profondément chrétienne.

Le Ier mai 1887, à l'ouverture du Congrès de l'Association de la jeunesse catholique, Mgr Freppel faisait devant un nombreux et sympathique auditoire la constatation suivante :

« On comprend de mieux en mieux que, pour servir efficacement les intérêts du pays, il nous faut des hommes d'étude et des hommes d'action. Et je suis plus touché que je ne saurais. le dire de voir dans chaque ville nos jeunes gens catholiques, ici organisant des conférences scientifiques et littéraires, là se faisant les catéchistes,des petits enfants, plus loin visitant et assistant les pauvres, prêtant partout leur concours aux cercles d'ouvriers, aux associations professionnelles, et préparant ainsi à toutes nos oeuvres des membres actifs et des serviteurs dévoués... »

 

Mettons fin par ces paroles du grand évêque d'Angers aux enseignements recueillis dans les chapitres qui (289) précèdent; et ouvrons le Livre troisième, consacré à la glorification du Docteur angélique. Nous verrons comment se vérifie dès ici-bas l'oracle du Roi des humbles : Quiconque s'abaisse sera élevé.

 

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