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A SA GRANDEUR

MONSEIGNEUR SERGENT,

ÉVÊQUE DE QUIMPER.

 

Monseigneur,

Il y a trois ans à peine, quand Votre Grandeur daignait bénir la première pierre de mon humble maison, mon cœur attendri se rappelait avec une profonde reconnaissance que la main Épiscopale qui répandait l'eau sainte s'était constamment rencontrée sur les divers chemins de ma laborieuse existence pour guider mes pas et encourager mes efforts. Dès lors j'eus la pensée de placer mes principales publications sous le patronage du nom illustre qui avait protégé le modeste éditeur.

Déjà Votre Grandeur m'a permis de lui dédier l'édition des Œuvres complètes de Suarez, le plus grand théologien qu'ait eu l'Église depuis l'ange de l'École, saint Thomas d'Aquin. Le succès de cette entreprise a dépassé mes espérances, et m'a prouvé une fois de plus que la bénédiction du Ciel est attachée à votre nom.

Aujourd'hui je viens offrir à Votre Grandeur les œuvres immortelles du plus beau génie catholique de notre France, et du plus illustre de nos évêques; je viens déposer à vos pieds la première édition authentique de Bossuet.

II

C'est une lamentable histoire, Monseigneur, que celle des mutilations et des surcharges, des suppressions calculées et des perfides additions infligées jusqu'ici à l'œuvre et à la mémoire de l'Aigle de Meaux. Les manuscrits de Bossuet devinrent, après sa mort, la propriété d'un neveu dont le caractère sacré, en retenant sous ma plume toute expression flétrissante ne, saurait pourtant m'empêcher de signaler l'incroyable audace. C'est sa main qui donna à l'Europe, contre des vœux qui devaient être sacrés pour lui, la fameuse Defensio Cleri Gallicani. Depuis 1743 jusqu'à la révolution, la secte de Port-Royal, survivant comme à ses propres ruines, édita seule une portion considérable des manuscrits du grand homme. Alors disparurent pour jamais des cahiers écrits en entier de la main de Bossuet ; un janséniste ardent, Lequeux, abbé de Saint-Yves, les livra aux flammes, en ajoutant à ce crime l'impudence de s'en vanter. Une Lettre aux Religieuses de Port-Royal, échappée par miracle à ce vandalisme de sectaire, et que j'ai le bonheur de publier dans le volume des Œuvres inédites de Bossuet, permettra enfin de venger sa mémoire d'un reproche trop accrédité jusqu'ici, celui d'avoir secrètement favorisé le jansénisme. Les Lettres du grand Évêque ne furent pas mieux traitées. Au moyen d'habiles retranchements et d'additions insidieuses, on défigura la physionomie de l'auteur, et on supprima la partie intime qui aurait révélé dans Bossuet un cœur aussi noble que son génie. Après l'avoir ainsi outragé dans sa doctrine comme évêque, dans sa foi comme chrétien, dans sa correspondance comme homme, il ne restait plus à rabaisser dans Bossuet que sa réputation d'orateur, et à dénaturer cette éloquence qui tint sous le charme les plus grands esprits du siècle de Louis XIV. Cette dernière injure ne lui fut pas épargnée. En 1772, un petit-neveu de Bossuet donnait les sermons de l'illustre orateur aux

III

Bénédictins des Blancs-Manteaux de Paris. Ce don précieux tombait encore aux mains du jansénisme, dont ces religieux étaient alors les plus fougueux partisans. Ils trouvèrent dans ce legs une occasion favorable pour annoncer au public une édition complète des Œuvres de Bossuet : dom Déforis, avec d'autres de ces religieux, fut chargé de la préparer. Jamais on n'associa aux ailes du génie un esprit plus lourd, plus étroit et plus présomptueux. Les Sermons en particulier subirent sa fatale empreinte. On est stupéfait en présence des insipides commentaires , des corrections et des surcharges dans lesquelles le véritable texte de Bossuet se trouve noyé. Substituer une telle plume au burin puissant du maître, cela ressemble à un sacrilège. Ce fut pourtant le travail de dom Déforis qui resta définitif ; il survécut aux révolutions, et s'imposa désormais aux éditions successives des Œuvres de Bossuet, si nombreuses dans toutes les langues.

Jamais peut-être une telle obstination dans l'abaissement n'a poursuivi une mémoire. Combien de fois, Monseigneur, ne l'avez-vous pas déploré vous-même devant moi ! Mais, pour faire revivre dans sa splendeur première l'immortelle figure de l'Évêque de Meaux, que de sacrifices, que de recherches et de labeurs ! Les sacrifices, tout considérables qu'ils dussent être, se trouvèrent pour moi la partie la plus facile de ma tâche. Je commençai par briser le cliché d'une édition complète dont j'étais propriétaire (c'était une fortune renversée à mes pieds), trop heureux de mériter à ce prix l'honneur de ressusciter une des plus belles gloires de notre patrie ! La Providence me fit ensuite rencontrer un homme dont le consciencieux respect pour la mémoire de l'Évêque de Meaux est un véritable culte, dont les investigations laborieuses et patientes n'ont reculé devant aucune fatigue, et qui estime un texte de Bossuet rétabli

IV

dans son intégrité à l'égal d'une victoire. Votre Grandeur a bien voulu reconnaître, dans un écrit rendu public, les qualités du traducteur de saint Thomas d'Aquin, et qui va joindre désormais à ce titre celui d'éditeur littéraire de Bossuet. L'Europe entière s'est intéressée à cette grande œuvre, les bibliothèques publiques et particulières se sont ouvertes pour la compléter ; que Votre Grandeur daigne en accepter l'hommage, et attirer sur elle les faveurs et les bénédictions célestes.

Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, De Votre Grandeur

Le très-humble et très-obéissant serviteur.

L. VIVÈS.

Paris, 17 octobre 1862.

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