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Explication

EXPLICATION DE  LA PROPHÉTIE D'ISAIE
SUR L'ENFANTEMENT DE LA SAINTE VIERGE

Isaïe  chapitre  VII, verset   14.

 

EXPLICATION DE  LA PROPHÉTIE D'ISAIE  SUR L'ENFANTEMENT DE LA SAINTE VIERGE

DIFFICULTÉ.

RÉPONSE.

PREMIERE LETTRE.

SECONDE LETTRE.

TROISIEME LETTRE.

 

On expose la difficulté, et on y répond que c'était un des caractères du Messie, de naître d'un vierge, et qu'il devait être connu en son temps; que le Sauveur des hommes est le vrai Emmanuel.

 

Voici d'abord la difficulté telle qu'elle me fol proposée dans une lettre du 17 septembre 103, à l'occasion de ma Dissertation sur Grotius, où je découvre en particulier les erreurs de ce critique contre les prophètes qui ont prédit Jésus-Christ.

 

DIFFICULTÉ.

 

Ecce virgo concipiet, et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emmanuel: « Une Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. » Isa. VII, 14; Matth., I, 23.

 

Cette prophétie n'a pu donner aux Juifs aucune lumière pour connaître que Jésus-Christ fût le Messie ; au contraire, elle a dû leur faire croire qu'il ne l'était pas.

Donc saint Matthieu n'a pas dû l'alléguer comme prophétie : donc ce n'en est pas une.

Je prouve ma proposition.

Selon la prophétie, le Messie doit naître d'une vierge : les Juifs voient Jésus-Christ fils d'une femme mariée, sans avoir aucun moyen de juger qu'elle est vierge.

Le Messie doit s'appeler Emmanuel : Jésus-Christ a un autre nom.

Donc les Juifs ont eu raison de croire, aux termes de cette prophétie, que Jésus-Christ, fils de Marie, femme de Joseph, n'était pas le Messie.

 

244

 

RÉPONSE.

PREMIERE LETTRE.

 

Quand on dit que la virginité de la sainte Vierge est donnée en signe prophétique aux Juifs, on voit bien que l'intention n'est pas de dire que ce doit être une preuve dans le moment, et que tous les Juifs fussent obligés de reconnaître d'abord, ni qu'on put jamais connaître par aucune marque extérieure et sensible qu'elle eût conçu étant vierge, ou à la manière ordinaire : un sentiment si grossier ne peut pas entrer dans l'esprit d'un homme. Le dessein d'Isaïe est de marquer en général par la propriété du terme dont il se sert, qu'un des caractères du Messie, c'est d'être fils d'une vierge : ce qui est si particulier à Jésus-Christ, que jamais autre que lui ne s'est donné cette gloire. Car de qui a-t-on jamais prêché qu'il ait été conçu du Saint-Esprit, et qu'il soit né d'une vierge? Qui est-ce qui s'est jamais glorifié qu'un ange ait annoncé cette naissance virginale, ni qu'une vierge, en consentant à ce mystère, ait été remplie du Saint-Esprit et couverte de la vertu du Très-Haut? On n'avait pas même encore seulement imaginé une si grande merveille.

Les preuves indicatives de la venue du Messie devaient être distribuées de manière qu'elles fussent connues chacune en leur temps. Celle-ci a été révélée quand et à qui il a fallu : la sainte Vierge l'a sue d'abord: quelque temps après, saint Joseph son mari l'a apprise du ciel et l'a crue, lui qui y avait le plus d'intérêt : saint Matthieu la rapporte comme une vérité déjà révélée à toute l'Eglise : et maintenant, après la prédication de  l’évangile, Jésus-Christ demeure le seul honoré de ce titre de fils d'une vierge, sans que ses plus grands ennemis, tel qu'était un Mahomet, aient osé seulement le contester.

C'est donc ainsi que la virginité de Marie, en tant qu'elle a été prêchée et reconnue par tout l'univers, est un signe qui ne doit laisser aux Juifs aucun doute du Christ : c'est d'elle que devait naître le vrai Emmanuel, Dieu avec nous, vrai Dieu et vrai

 

245

 

homme, qui nous a éternellement réunis à Dieu : et c'est la vraie signification du nom de Jésus, c'est-à-dire du Sauveur, venu au monde pour ôter le péché, qui seul nous séparait d'avec Dieu.

Au reste, Monsieur, ce n'était pas le dessein de l'ouvrage dont vous m'écrivez, d'expliquer le fond des prophéties, puisque même je me suis assez étendu sur cette matière dans la seconde partie du Discours sur l'Histoire universelle, où j'ai déduit dans un ordre historique toutes les preuves de fait qui démontrent que les Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament sont vraiment un livre prophétique, principalement en ce qui regarde la venue actuelle du Christ, dont toutes les circonstances et le temps même de leur accomplissement sont si évidemment marqués tant de siècles auparavant qu'il ait paru sur la terre.

Vous n'avez qu'à lire à votre loisir mes commentaires sur les Psaumes, et en particulier ce que j'ai écrit à la suite des livres de Salomon, dans la dissertation qui a pour titre : Supplenda in Psalmos (1), pour y apprendre que David est un véritable évangéliste, qui a vu manifestement toutes les merveilles de Jésus-Christ, c'est-à-dire sa divinité, sa génération éternelle, son sacerdoce, et jusqu'aux moindres circonstances de sa passion et de sa résurrection. La vocation des Gentils et la réprobation des Juifs sont choses si publiques et si authentiques, qu'il faut être aveugle pour ne les voir pas comme les marques infaillibles du Messie actuellement venu au monde.

Et quand il s'en faudrait tenir à mon dernier ouvrage, Grotius n'y est-il pas convaincu d'avoir falsifié les prophéties, en disant que ce qui se trouve clairement écrit dans le livre de la Sagesse sur la passion du Sauveur (2), a été ajouté après coup par les chrétiens, comme aussi ce qui est dit dans l’Ecclésiastique, qui regarde manifestement la personne du Fils de Dieu : Invocavi Dominum patrem Domini mei : «J'ai invoqué le Seigneur, père de mon Seigneur (3) ; » ce que le même Grotius ose encore rejeter comme supposé par les chrétiens, quoiqu'il n'appuie pas ces deux prétendues

 

1 Liber Psalmorum, etc., cum notis Jac. Ben. Bossuet, Episcopi Meldensis. —Libri Salomonis, etc., cum notis ejusdem. — 2 Sap., II, 12, 13, 14. — 3 Eccli., LI, 14.

 

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suppositions de la moindre conjecture ; ce qui montre plus clair que le jour un esprit ennemi des prophéties, et qui ne tend qu'à secouer le joug- de la vérité (1).

Voilà ce que Dieu m'a donné pour vous, sur votre dernière lettre : je vous en fais part, quoique je sache que votre foi n'a pas besoin de cette instruction; mais je ne puis m'empêcher de déplorer avec vous cet esprit d'incrédulité qui se trouve en effet dans les chrétiens, vous exhortant de tout mon cœur à inspirer à tout le monde, dans l'occasion, le désir d'apprendre ce qui en effet est pour eux la vie éternelle.

 

Signé + J. Bénigne, év. de Meaux.

 

A Paris, le 1er octobre 1763.

 

 

SECONDE LETTRE.

SUR   LA  MÊME  DIFFICULTÉ,

 

Et sur quelques réflexions dont on la soutient : où il est prouvé que Jésus-Christ a d'abord autorisé sa mission par ses miracles : que la plupart des prophéties n'étaient pas connues durant sa vie : que celle de l'enfantement virginal est de ce nombre : que plusieurs de ses disciples l'ont ignorée, et qu'il ne s'est pas pressé de les instruire sur ce point, non plus que sur beaucoup d'autres : qu'il était du conseil de Dieu que ce mystère s'accomplit sous le voile du mariage : quelle sont été les dispositions de la divine Providence pour préparer le monde à un si grand mystère.

 

J'ai, Monsieur, reçu votre lettre du 11 d'octobre, et j'ai vu celle de même date que vous écrivez à M.*** (a), où vous le priez de me proposer une nouvelle difficulté, si toutefois elle est nouvelle; car pour moi, je crois y avoir déjà satisfait dans ma lettre précédente, en vous faisant observer que les preuves indicatives de la venue du Messie devaient être distribuées de sorte qu'elles soient déclarées chacune en son temps : ainsi qu'il ne faut pas trouver étrange qu'elles ne pussent d'abord être toutes remarquées par les Juifs. L'on ne doit pas croire pour cela qu'il leur fut permis de tenir leur esprit en suspens sur la mission de Jésus-Christ, puisqu'outre

 

1 Voyez Dissertat, sur Grotius, n. 5, dans la seconde Instruction sur le Nouveau Test, de Trévoux, ci-après, vol. III.

(a) L'abbé Ledieu.

 

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d'autres prophéties plus claires que le soleil qu'ils avaient devant les yeux, le Sauveur leur confirmait sa venue par tant de miracles, qu'on ne pouvait lui refuser sa créance sans une manifeste infidélité, comme il dit lui-même en ces termes : « Si je n'étais pas venu, si je ne leur avais point parlé, et que je n'eusse pas fait en leur présence des prodiges que nul autre n'a faits avant moi, ils n'auraient point de péché; mais maintenant leur incrédulité n'a point d'excuse (1). » Ils devaient donc commencer par croire, et demeurer persuadés que le particulier des prophéties se découvrirent en son temps.

Par exemple, c'était une marque pour connaître le Christ, qu'il devait convertir les Gentils : mais encore que Notre-Seigneur défendit à ses apôtres « d'entrer dans la voie des Gentils et de prêcher dans les villes de Samarie (2), » il ne fallait pas pour cela refuser de croire cette belle marque de sa venue ; et au contraire il fallait croire avec une ferme foi que tout ce qui était prédit de Jésus-Christ s'accomplirait l'un après l'autre, au temps et par les moyens destinés de Dieu. Jésus-Christ lui-même avait déclaré qu'il donnerait aux Juifs, dans sa résurrection, le signe du prophète Jonas (3). S'ensuit-il de là qu'ils dussent demeurer en suspens, jusqu'à ce qu'ils eussent vu l'accomplissement de ses paroles? Point du tout, puisqu'ils devaient tenir pour certain que celui qui commandait à la mer et aux tempêtes, qui guérissait les aveugles-nés, qui avait la clef de l'enfer et de la mort, tirant les morts du tombeau quatre jours après leur sépulture, lorsque déjà ils sentaient mauvais, et qui enfin se montrait le maître de toute la nature, était assez puissant pour accomplir tout ce qu'il avait promis.  Il était prédit bien clairement que te  Christ  naîtrait à Bethléem; plusieurs Juifs ne savaient pas que Jésus-Christ y fût né; Philippe même, un de ses apôtres, semble l'avoir ignoré, lorsque l'indiquant à Nathanaël comme te Messie, il lui dit : « Nous avons trouvé Jésus, fils de Joseph de Nazareth»; » et Nathanaël lui ayant fait l'objection en ces termes : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? » Philippe ne lui répond autre chose,

 

1 Joan., XV, 22-24. — 2 Matth., X, 5. — 3. Matth., XII, 39, 40. — 4 Joan., I, 45 et 46.

 

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sinon : « Venez, et voyez, » c'était à dire reconnaissez par vous-même les merveilles qui vous convaincront qu'il est le Messie. Ainsi Jésus-Christ même ne se pressait pas de les éclairer sur ce point. Et quand les pharisiens disaient à Nicodème, un des leurs : « Approfondissez les Ecritures, et reconnaissez que le Prophète (que nous attendons) ne doit point venir de Galilée (1), » nous ne voyons pas que ce pharisien, quoique d'ailleurs affectionné à Jésus-Christ, eût rien à leur répondre, content de savoir en général, que « nul homme ne pouvait faire les prodiges qu'il faisait, si Dieu n'était avec lui (2). » Bien plus, Jésus-Christ lui-même ne répondait rien à ceux qui disaient « que le Christ devait sortir de David et de la ville de Bethléem (3). » Rien ne pressait; et Jésus-Christ ayant par avance montré sa venue par les signes les plus authentiques, qui étaient les œuvres de son Père, c'est-à-dire par le témoignage le plus éminent et le plus sublime que le ciel eût jamais pu donner à la terre, il avait suffisamment fondé la foi qu'on devait avoir à ses paroles, encore qu'on n'entendit pas quelques prophéties particulières; car c'était assez qu'on vît clairement que les merveilles qu'il opérait, étaient une preuve certaine et plus que démonstrative de sa mission.

Au surplus, non-seulement l'accomplissement des prophéties, mais encore leur intelligence avait son temps : souvent elles s'accomplissaient aux yeux et entre les mains des apôtres mêmes, sans qu'il; s'en aperçussent, comme il est expressément marqué en deux endroits de saint Jean, c'est-à-dire au chapitre II, verset 22, et au chapitre XII, verset 10, dans lequel il est marqué que les apôtres n'entendaient pas les prophéties qu'ils accomplissaient eux-mêmes.

Quand donc on dira que le signe de l'enfantement de la Vierge était un de ceux qui devaient être révélés les derniers, et que le commun du peuple, pour y faire l'attention convenable, avait besoin d'être averti, comme il le fut par l'évangile de saint Matthieu, il n'y aura rien là d'extraordinaire, ni qui affaiblisse la preuve de la venue du Christ.

En effet nous ne voyons pas dans tout l'Evangile que les Juifs

 

1 Joan., VII, 50, 52.— 2 Joan., III, 2. — 3 Joan., VII, 42.

 

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eussent la moindre attention à l'oracle d'Isaïe. Ils objectaient au Sauveur la prophétie de Michée sur la naissance du Christ en Bethléem ; mais ils ne lui disent jamais un seul mot sur ce qu'il devait naître d'une vierge, et il ne faut pas s'en étonner.

Car si les apôtres, après avoir conversé trois ans avec leur maître, eurent besoin qu'il « leur ouvrît le sens des Ecritures » pour être capables de l'entendre, comme il est porté dans saint Luc (chap. XXIV, verset 45), combien plus le commun du peuple avait-il besoin qu'on lui montrât comme au doigt le sens de certaines prophéties plus enveloppées, que de lui-même il n'eût pas pu démêler dans les endroits où elles étaient insérées : et on doit toujours se souvenir que cette naissance virginale ne pouvant être connue par aucune marque sensible, ni autrement que par un témoignage divin, il fallait rendre ce témoignage authentique et irréprochable par une longue suite de tant de merveilles, que tous les esprits demeurassent convaincus de cette naissance, comme d'un caractère spécial et digne de la personne seule du Messie.

Mais, dites-vous, ce n'est pas là votre peine : le fond de votre objection n'est pas seulement que la prophétie d'Isaïe n'éclaircissait point les Juifs, mais encore qu'elle les aveuglait et leur fournissait un argument contre Jésus-Christ, auquel ils ne pouvaient trouver aucune réplique, puisqu'étant né d'une femme mariée, ils ne pouvaient croire raisonnablement autre chose, sinon qu'il était le fruit de ce mariage; et par conséquent, dites-vous, ils ne pouvaient reconnaître Notre-Seigneur pour Messie sans démentir le prophète : ce sont vos propres paroles.

Permettez-moi ici de vous demander si vous trouvez quelque part dans l'Evangile, que le peuple ou les pharisiens aient fuit ou insinué parle moindre mot cette objection à Jésus-Christ. Vous croyez la trouver en quelque façon dans un passage de saint Jean ; mais nous démontrerons bientôt que ce passage n'a point de rapport à notre sujet, et je conclurai en attendant que vous ne devez pas attribuer aux Juifs une objection dont ils ne se sont jamais avisés.

Votre objection porte que c'eût été démentir la prophétie, de

 

 

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reconnaître pour vierge la mère du Suiveur, que l'on voyait dans le mariage. Cela serait vrai, s'il n'y avait point de milieu entre être maria; et n'être pas vierge : car si, selon le prophète, Dieu pouvait faire enfanter une vierge, qui empêchait qu'il n'opérât un si grand mystère sous le voile sacré du mariage? C'était au contraire ce que demandait la convenance des conseils de Dieu et l'ordre de sa sagesse aussi douce qu'efficace. Et après tout, s'il en faut venir à celte discussion, eût-ce été une œuvre convenable à Dieu, de donner en spectacle aux hommes une fille avec son enfant, pour être le scandale de toute la terre, le sujet de ses dérisions et l'objet inévitable de ses calomnies? Quand elle aurait assuré qu'elle était vierge, sa parole particulière n'eût pas été un témoignage suffisant pour l'affermissement de la foi : il fallait que la révélation d'un si grand mystère fût préparée par tous les miracles de Jésus-Christ et de ses apôtres, avant qu'elle fût reçue avec une autorité digne de créance : ainsi c'était un conseil digne de Dieu, de faire naître dans le mariage le fils de la Vierge, afin que sa naissance parût du moins honnête, jusqu'à ce que le temps fût venu de la faire paraître surnaturelle et divine.

Ce n'était donc pas, comme porte votre objection, démentir la prophétie, de reconnaître que Notre-Seigneur fils d'une mère mariée fût le Christ, Isaïe ayant bien dit que la mère du Christ serait vierge, mais n'ayant dit nulle part que cette vierge ne serait point mariée.

Dieu a dit précisément ce qu'il voulait dire, et ce qui devait arriver selon l'ordre de ses conseils éternels. C'est aussi ce qui convenait à sa prescience : ainsi on ne saurait trop remarquer qu'il a prononcé par son prophète que cette mère serait vierge, parce que c'était là ce qu'il voulait et ce qui en effet devait arriver : mais parla même raison il n'a pas dit qu'elle ne serait pas mariée, parce que ce n'était pas en cette manière qu'il avait disposé les choses. D'où il s'ensuit qu'on aurait tort de regarder comme incompatibles ces deux paroles, vierge et mariée, puisqu'au contraire, quelle que pût être cette vierge-mère, et dans quelque temps qu'elle pût venir, la convenance des conseils divins demandait

 

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que ce mystère fût enveloppé sous la sainteté du mariage.

En effet nous ne lisons pas que la sainte Vierge voulût passer pour autre chose que pour une femme du commun, à qui rien n'était arrivé d'extraordinaire : elle-même elle appelait saint Joseph père de Jésus-Christ ; ce qu'aussi il était en un certain sens par le soin qu'il en prenait comme de son fils; c'est ce qui paraît dans ces paroles : «Votre père et moi affligés, vous cherchions parmi les troupes (1), » pour montrer que saint Joseph, son époux, partageait avec elle les inquiétudes que l'enfant leur avait causées, en se dérobant d'avec eux comme il avait fait. Jésus-Christ lui-même avait, pour ainsi parler, les oreilles rebattues de ce reproche : « N'est-ce pas là le fils de Joseph, cet artisan que nous connaissons ; et comment ose-t-il dire qu'il est descendu du ciel (2) ?» Nous ne voyons pas que le Sauveur se soit mis en peine de les désabuser, ni de leur dire comment il était venu au monde : ce n'est pas qu'il ne le fit assez entendre toutes les fois qu'il disait qu'il venait de Dieu, qu'il était descendu du ciel, et qu'il ne reconnaissait d'autre père que Dieu même : mais pour dire en termes exprès qu'il était fils d'une vierge, et que Joseph n'était pas son père, il ne l'a pas voulu faire, parce qu'il fallait qu'une vérité que le monde n'aurait pu porter, fût précédée par l'entière prédication de son Evangile.

Votre objection porte encore que le mariage de la sainte Vierge, était aux Juifs un argument auquel ils ne pouvaient trouver de réponse : vous en pourriez dire autant de la résurrection de Notre-Seigneur. Quand un homme est mort, il demeure mort; et l'on ne doit pas croire naturellement qu'il ressuscite, sans savoir d'ailleurs par des témoignages certains qu'il est sorti du tombeau. Ainsi naturellement on doit croire que tout enfant a un père comme une mère, à moins que Dieu ne révèle expressément le contraire ; ce qu'il peut faire également, soit que la mère soit mariée, soit qu'elle ne le soit pas : ainsi vous voyez que le mariage n'y fait rien, et que votre objection est vaine.

Il est vrai qu'on présume qu'un enfant qui est né dans le mariage en est sorti : mais si Dieu en a disposé autrement, et qu'il

 

1 Luc., II, 48. — 2 Matth., XIII, 54, 55 ; Marc., VI, 3; Joan., VI, 42.

 

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veuille faire prévenir par son Saint-Esprit tout ce qui a coutume d'arriver parmi les hommes, qu'ont-ils à dire contre sa puissance? Saint Paul disait autrefois au conseil des Juifs : « Vous semble-t-il incroyable que Dieu ressuscite les morts (1) ? » pourquoi celui qui a donné une fois la vie, ne pourra-t-il pas la rendre à ceux qui l'auront perdue? On pourrait dire de même : Vous semble-t-il incroyable que Dieu fasse concevoir une vierge? ne tient-il pas réunie dans sa puissance toute la fécondité qu'il a distribuée entre les deux sexes? et ne peut-il pas suppléer par son Saint-Esprit, tout ce qui aurait manqué aux forces de la nature? C'est ce qu'on ne peut nier sans erreur, quoiqu'on puisse bien l'ignorer, et même ne le pas croire, quand le temps n'est pas arrivé où Dieu le veut révéler expressément : ce qui paraît même dans l'apôtre saint Philippe qui, comme nous avons vu, appelle Jésus-Christ tout court le fils de Joseph (2), quoiqu'en même temps il le reconnaisse hautement pour le Messie.

Vous croyez apercevoir votre objection dans ces paroles des Juifs en saint Jean, chapitre vu, verset 27, où il est parlé de cette sorte : « Lorsque le Messie viendra, on ne saura d'où il est venu; mais pour celui-là, nous savons d'où il vient : » mais il est visible que cette peine des Juifs a un autre objet. Jésus-Christ devait avoir deux naissances, l'une divine et éternelle, et l'autre humaine et dans le temps : cette première naissance devait être inconnue aux hommes : de là s'était répandu le bruit qu'on ne saurait pas d'où le Messie devait venir, ce qui donna lieu à l'objection des Juifs sur l'incertitude de l'origine du Messie. Mais pour concilier toutes choses, Jésus-Christ s'écria à haute voix : « Et vous savez qui je suis, et vous savez d'où je viens, et je ne suis pas venu de moi-même : mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez pas (3). » Ainsi d'un coté vous me connaissez, et vous savez d'où je dois venir, puisqu'il vous a été révélé que je dois sortir du sang de David, et de Bethléem qui était sa ville; mais je vous suis inconnu en un autre sens, puisque, comme il dit ailleurs : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père (4). »

Il est vrai que les Juifs se trompaient encore en croyant Jésus-Christ

 

1 Act., XXVI, 8. — 2 Joan., I, 45. — 3 Joan., VII, 28. —  4 Joan., VIII, 19.

 

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le fils de Joseph, pour conclure de là que c'était un homme sans littérature et sans aucun talent extraordinaire, qui aussi ne devait pas se dire descendu du ciel (1) : mais pour ce qui est d'induire que sa mère ne put être vierge, parce qu'elle était mariée nous avons déjà remarqué qu'il ne leur est jamais arrivé de faire ce raisonnement, ni de tourner en ce sens l'oracle d'Isaïe qui n'a voit point parlé de cette sorte.

Concluons donc que le mariage de la sainte Vierge ne pouvait être une preuve contre sa virginité, Dieu ayant révélé le contraire en cette occasion par des témoignages certains. Nous pourrions dire que le premier témoin était Marie elle-même, dont la pudeur et la vertu reconnues parlaient pour son innocence. Afin d'accomplir la prédiction d'Isaïe, la première chose que Dieu devait faire, était d'inspirer à celle qu'il avait choisie, l'amour jusqu'alors inconnu de la virginité et la volonté déterminée de la consacrer à Dieu : Marie avait déjà reçu ce don de Dieu quand l'ange lui vint annoncer qu'elle serait la mère du Fils du Très-Haut. Pour opérer en elle ce miracle, Dieu n'avait pas besoin de son consentement : mais outre les autres raisons qu'il eut de le demander, s'il n'avait envoyé son ange pour le recevoir, nous n'aurions jamais su cette haute résolution de la sainte Vierge, de ne se laisser approcher par aucun homme. Il lui fait donc proposer ce qu'il souhaitait d'elle, et il juge digne d'être la mère de son Fils incarné celle qui la première de toutes les femmes avait conçu le dessein et formé le vœu d'être vierge perpétuelle.

Mais il y a un second témoin de la pureté de Marie, qui est sans reproche, et c'est saint Joseph, que Dieu lui avait donné pour mari, pour être non-seulement le gardien, mais encore le témoin non suspect d'une si grande merveille. Quand il s'aperçut qu'elle était enceinte, nous savons qu'il fut frappé de l'état où il la trouva, et qu'il avait pris des résolutions convenables à un homme sage : mais après tout, quoi que la vertu de sa sainte épouse lui put dire en sa faveur pour modérer ses soupçons, il ne céda qu'à un avertissement du ciel ; et le tendre amour qu'il montra toujours pour la mère et pour l'enfant, fut la preuve incontestable de la parfaite

 

1 Matth., XIII, 54, 55, 56; Joan., VI, 41, 42; VII, 15.

 

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fidélité que la Vierge lui avait gardée, dont aussi Dieu même lui

était garant.

S'il faut ici rapporter les autres premiers témoins de la virginité de Marie, nous pouvons compter sainte Elisabeth, lorsqu'elle dit à la sainte Vierge : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru, et tout ce qui vous a été dit de la part de Dieu s'accomplira (1) : » une femme stérile qui avait conçu par miracle, était un digne témoin d'une naissance virginale. Jean-Baptiste sentit l'effet de la présence de cette vierge-mère, et il était convenable que le fils de la stérile rendit hommage au fds de la Vierge.

Je donnerai encore pour témoin le saint vieillard Siméon , qui tenant l'enfant entre ses bras au jour qu'il fut présenté au temple (2), n'attribua qu'à Marie seule le coup de l'épée qui la devait percer un jour, et la douleur maternelle qu'elle devait sentir au pied de la croix.

Mais encore que Jésus-Christ attendant le temps convenable, comme nous l'avons remarqué , n'ait pas voulu exprimer en termes formels toute la merveille de sa naissance, il y préparait les esprits toutes les fois qu'il disait qu'il était descendu du ciel, qu'il était né et sorti de Dieu, et ainsi du reste : ce qu'il n'aurait jamais fait, s'il était venu au monde à la façon ordinaire : de sorte que tous les miracles qu'il a opérés pour montrer que Dieu seul était son père, dans le fond sont confirmatifs de cette vérité, que Joseph ne le pouvait être, et qu'il était né d'une vierge.

C'est ainsi que Dieu allait disposant le monde à la claire intelligence de l'oracle d'Isaïe, qui est demeuré si propre à Jésus-Christ , que jamais il n'a été attribué à autre qu'à lui, et ne le peut jamais être , étant le seul dont on a dit « qu'il a été conçu du Saint-Esprit, et né d'une vierge (3). »

Il me resterait à vous avertir qu'il serait facile de vous prouver parles Pères, et surtout par saint Chrysostome, principalement dans ses homélies de l'Obscurité des prophéties (4), et par saint Jérôme en divers endroits, la doctrine avancée dans cette lettre ; mais je ne crois pas ce travail nécessaire , puisque la chose est si

 

1 Luc., I, 45. — 2 Luc, II, 34, 35. — 3 Luc, I, 31, 35. — 4 Chrysost. opera, edit. Bened., tom. VI ; et tom. VII in Matth., Homil. IV et V.

 

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constante par les Ecritures. Au surplus ne croyez pas, je vous prie, que cette réponse m'ait peiné dans l'obligation où je suis de ménager mes forces : au contraire , elle m'a donné une particulière consolation ; et j'avoue que je suis bien aise de voir perpétuer dans l'Eglise la sainte coutume qui faisait consulter les docteurs aux laïques, et aux femmes mêmes sur l'intelligence des Ecritures. Je pourrais vous dire beaucoup d'autres choses sur cet endroit d'Isaïe : mais aujourd'hui il me suffit d'avoir satisfait à votre doute, et je consacre de tout mon cœur cette explication véritable au Fils de la Vierge, qui est Dieu béni aux siècles des siècles.

Pour ne finir pas comme un sermon, j'ajoute les assurances d'un attachement sincère.

 

Signé + J. Bénigne, év. de Meaux.

 

A Paris, 26 octobre 1703.

 

 

TROISIEME LETTRE.

 

Qui contient l'explication à fond de la prédiction d'Isaïe, au chapitre VII, verset 14, et au chapitre IX, verset 6.

 

Puisque j'ai une fois commencé à glorifier le fils d'une vierge dans la prédiction d'Isaïe, j'en continuerai l'explication avec la grâce de Dieu , qui me le met dans l'esprit : et je vous l'adresse, Monsieur, comme à celui dont les lettres en ont été l'occasion.

Je dirai donc, avant toutes choses, qu'il n'y a rien de plus précis que les paroles du prophète pour signifier la Vierge-Mère ; et je dirai en second lieu, qu'elle ne peut être que la mère de Jésus-Christ.

Récitons d'abord la prophétie comme elle est dans saint Matthieu : « Une vierge concevra et enfantera un fils : et il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (1). » Il faut soigneusement remarquer que l'Evangéliste renferme toute la prophétie dans ces paroles. On pourrait traduire, et peut-être mieux : la Vierge , non pas une vierge indéfiniment, mais celle que Dieu avait en vue et qu'il voulait montrer en esprit à son prophète.

 

1 Matth., I, 23.

 

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Quoi qu'il en soit, la version de l'Evangéliste ne peut être suspecte aux Juifs, puisqu'il n'a fait que suivre celle des Septante, publiée plusieurs siècles avant Jésus-Christ, et par conséquent dans un temps où il ne s'agissait d'autre chose que d'expliquer la vérité de l'Ecriture selon  que les  esprits en  étaient naturellement frappés. On  sait que cette version était celle qu'on lisait dans toutes les synagogues d'Asie, de Grèce et d'autres lieux infinis où l'hébreu et le syrien n'étaient pas connus, et où néanmoins les synagogues mêmes de Jérusalem et de Syrie fréquentaient tous les jours ; de sorte qu'elle était approuvée et reçue de tout le peuple de Dieu. On lit encore ici le même mot de vierge dans les anciennes paraphrases des Juifs, qu'ils appelaient Targum : dans celle d'Onkélos et dans celle de Jonathan, c'est-à-dire dans leurs livres les plus authentiques, et où ils ont mieux conservé les traditions de leurs pères. Mais sans avoir besoin de nous arrêter à ces éruditions rabbiniques, il nous suffit que ce terme de vierge se soit trouvé si propre et si naturel en cet endroit, qu'il ne s'en est pas présenté d'autre à la pensée des Septante , c'est-à-dire des interprètes reçus dans la nation, et que saint Matthieu n'ait pu rapporter cette prophétie que de la seule version qui était alors en usage. Pour ce qui est des interprètes postérieurs à la venue de Jésus-Christ, comme Symmaque et Théodotion, qui ont tâché d'affaiblir la prophétie , on ne doit pas les écouter, puisqu'on sait que juifs eux-mêmes , ils n'ont fait leurs traductions, aussi bien qu'Aquila , que pour contredire les chrétiens et flatter l'incrédulité de leur nation.

Saint Jérôme remarque ici très-à-propos que le mot hébreu est alma, qui signifie dans son origine, cachée, renfermée, c'est-à-dire non-seulement une fille, mais une fille comme recluse et inaccessible, à la manière d'une chose sacrée, dont il n'est pas permis d'approcher. C'est pourquoi nous voyons dans les Machabées que selon cette origine, les filles sont appelées recluses renfermées, (katakleistoi) (1). Aussi l'usage du mot alma est-il constant dans l'Ecriture pour signifier une vierge, et il ne s'y trouve jamais joint avec les termes de concevoir ou d’enfanter qu'en ce

 

1 II Machab., III, 19.

 

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seul endroit : par conséquent ces deux mots de vierge et d’enfantement , sont mis là pour signifier un fait unique, et qui n'a point d'autre exemple que celui que nous propose la foi chrétienne.

Les Juifs disent qu'il n'y faut pas chercher tant de finesse , et que le prophète suppose que cette vierge qui devait enfanter , cesserait d'être vierge quand elle deviendrait mère. Mais qu'y aurait-il là d'extraordinaire, et qui méritât d'être donné par un prophète comme un fait singulier et prodigieux? C'est au contraire ce qui arrive à toutes les femmes, et toutes celles qui deviennent mères ont été premièrement vierges : de sorte que ces deux mots, vierge et portant un enfant dans son sein, sont regardés naturellement comme incompatibles.

On demandera peut-être quelle preuve on a que ce fils porté dans le sein d'une vierge , soit Jésus-Christ. Mais c'est ce qui n'a point de difficulté, puisque d'un côté, celui qui sera le fils d'une vierge, n'ignorera point ce don de Dieu; et de l'autre qu'on ne connaît que le seul Jésus-Christ à qui on ait appliqué ce titre de fils d'une vierge, Dieu n'ayant pas même voulu qu'il restât la moindre ambiguïté dans cette application.

Les Juifs demandent à quel propos il serait ici parlé de Jésus-Christ, et quel rapport pourrait avoir avec Achaz cet enfantement virginal, pour être donné en signe à ce roi, qui vivait plus de sept cents ans auparavant. Mais cette nation aveugle, qui ne connaît pas les prérogatives du Christ qu'elle attend , a ignoré qu'il vient toujours à propos dans tout l'Ancien Testament, puisqu'il devait être la fin de la loi et l'objet non-seulement de toutes les prophéties, mais encore de tous les événements remarquables, qui ne sont qu'une figure des merveilles de son règne : au surplus qu'on parcoure toutes les prophéties, on trouvera que non plus que celle-ci, la plupart ne paraissent pas avoir de liaison avec le reste du discours où elles sont insérées. David dans le psaume LXXI, ne voulait parler d'abord que du règne de Salomon, qu'il avait nommé son successeur : mais Dieu, quand il lui a plu, lui a élevé l'esprit, et l'a transporté au temps de celui que tous les rois et tous les gentils devaient adorer, dont l'empire devait s'étendre par toute la terre, qui était devant le soleil, et en qui toutes les

 

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nations de l'univers devaient être bénies, c'est-à-dire Jésus-Christ, dont Salomon était une si noble figure. C'est pour la même raison qu'au psaume XLIV, qui regarde directement le même Salomon, tout d'un coup il l'appelle Dieu et l'oint par excellence ; ce qui ne peut convenir qu'à Jésus-Christ. Il en est de même des autres prophéties, où sans liaison avec la suite du discours, celui-là nous est annoncé, qui devait être abreuvé de vinaigre (1), vendu trente deniers destinés à l'achat du champ d'un potier ou d'un sculpteur, monté sur un âne pour faire son entrée royale (2) : ainsi du reste, qui convient manifestement à Jésus-Christ seul. Il n'en était point parlé d'abord dans le prophète Michée : mais soudain il le voit sortir de la petite ville de Bethléem comme chef du peuple d'Israël, dont il ajoute que la nativité était éternelle (3). C'est ainsi que Dieu agit ordinairement dans les prophètes : et il leur fait mêler dans leurs discours Jésus-Christ si détaché de toute autre chose, qu'on voit bien qu'il n'y a point d'autre cause qui ait fait parler de lui si clairement en ces endroits, si ce n'est l'instinct du Saint-Esprit, qui souffle où il veut, et qui sait bien s'affranchir de toutes les règles des discours vulgaires.

S'il faut néanmoins marquer dans la prédiction d'Isaïe l'occasion qui le fait parler du fils de la vierge, il ne sera pas malaisé de la trouver. Il s'agissait de Jérusalem délivrée des mains de Rasin roi de Syrie , et de Phacée fils de Romélie, roi d'Israël. Ce qu'il y eut de particulier dans cette délivrance, c'est que les enfants d'Isaïe furent donnés à tout le peuple comme un prodige qui leur pronostiquait ce favorable événement, ainsi qu'il le marque lui-même en termes exprès dans le chapitre VIII, verset 18, de sa prophétie : « Me voilà avec mes enfants que le Seigneur m'a donnés, pour être un signe et un présage de l'avenir à Israël : » In signum et portentum. C'est par la même raison qu'il est ordonné au chapitre vu, vers. 3, au même prophète, « d'aller à la rencontre d'Achaz, avec son fils Jasub qui lui restait » ( comme un gage des événements favorables dont il avait été le pronostic ), pour lui annoncer avec lui la prompte défaite de ses ennemis. Il est aussi

 

1. Psal. LXVIII, 22. — 2 Zach., XI, 12,13 et IX, 9; Joan., XII, 14, 18. — 3 Mich., V, 2.

 

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commandé au saint prophète de donner au fils de la prophétesse qu'il épousa dans les formes, un nom qui serait le présage de ce succès avantageux ».

A l'occasion de ces merveilleux enfants, il plaît à Dieu, dans le chapitre ix, vers. G, de la même prophétie, de parler d'un autre enfant, qui plus merveilleux que ceux du prophète, en ce qu'il était fils non-seulement d'une prophétesse, mais encore d'une vierge, devait aussi présager une délivrance plus haute, c'est-à-dire celle dont Jésus-Christ est le seul auteur. Aussi n'est-ce point à Achaz seul que Dieu a donné ce signe, que ce prince avait même refusé de demander , non petam : c'est Dieu qui le donne de lui-même à toute la maison de David (2) non point à Achaz , à qui il avait dit : Pete tibi : « demande pour toi ; i mais à tout le peuple : Dabo vobis signum : et à toute la maison de David : Audite, domus David; de même que s'il eût dit : Si j'ai donné aux Juifs du temps d'Achaz les enfants d'Isaïe comme un Jasub et comme celui qu'il a eu de la prophétesse, pour leur être un signe de délivrance : que ne devez-vous pas attendre du signe nouveau que je vous donne en la personne d'un enfant fils d'une vierge ?

C'est cet enfant que vous devez appeler Emmanuel, « Dieu avec nous , » non-seulement parce qu'il fera votre réconciliation avec Dieu, mais encore parce qu'il sera un composé miraculeux de Dieu et de l'homme, en qui la divinité habitera corporellement.

C'est pourquoi bientôt après, le prophète nous parlera « d'un petit enfant qui nous est né, et d'un fils qui nous a été donné, dont la principauté est sur ses épaules (3), » soit qu'il faille entendre la marque royale dont il serait revêtu, comme qui dirait la pourpre parmi les Romains ; soit qu'avec les Pères nous devions entendre la croix que Jésus porta, et où par une secrète inspiration, le titre de sa royauté devait être écrit. Mais ce qu'ajoute le saint prophète est beaucoup plus remarquable, puisqu'il dit que cet enfant sera nommé « Admirable : Conseiller : Dieu : Fort : le Père du siècle futur : le Prince de la paix; » qu'il prendra sa place « dans le trône de David, où il établira la paix et la justice, et enfin qu'il l'affermira pour toute l'éternité. »

 

1 Isa., VIII, 1, 2, 3. — 2 Isa., VII, 11, 12, 13. — 3 Isa., IX, 6, 7.

 

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Voilà donc ce petit enfant auquel Isaïe donne six beaux noms, qui tous l'élèvent au-dessus des hommes et forment le caractère du Messie. Premièrement, il est admirable : car quel enfant plus admirable que celui qui est né d'une vierge et dont on a dit : « Jamais aucun homme n'a parlé comme celui-ci (1) » et n'a rien fait de semblable aux œuvres qui sont sorties de ses mains (2) ? Secondement il est conseiller par excellence, parce que par lui se sont consommés les plus secrets conseils de Dieu. Troisièmement il est fort : c'est le « Seigneur Dieu des armées, le fort d'Israël, » dit ailleurs Isaïe (3) : celui dont il est écrit que « nul ne peut ôter de sa main ceux que son Père lui a « donnés (4).» Il est le père du siècle futur, c'est-à-dire du nouveau peuple qu'il devait créer pour le faire régner éternellement. Il est le prince de la paix, et seul il a pacifié le ciel et la terre. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que ce prophète l'appelle Dieu, en nombre singulier et absolument, qui est le caractère essentiel pour exprimer la divinité : par conséquent il est Dieu et homme, le vrai Emmanuel, Dieu uni à nous et le seul digne de naître d'une vierge, afin de n'avoir que Dieu seul pour père. On voit par là le rapport manifeste de cet enfant dont il est parlé au chapitre IX, avec celui qui devait être le fils d'une vierge dans le chapitre VII.

Toute la suite de l'Evangile atteste cette vérité. Quand il s'est appelé si souvent le fils de l'homme, c'était par rapport à sa sainte mère : c'est la même chose que saint Paul a exprimée, en disant qu'il a été « fait d'une femme, » factum ex muliere (5), et les termes de fils de l'homme, à celui qui ne connaissait de père que Dieu, ne pouvaient signifier autre chose que fils d'une mère vierge. C'était en même temps et par la même raison, non-seulement le vrai Emmanuel, mais encore le vrai Melchisédech (6), sans père en terre, sans mère au ciel : digne d'être notre pontife, étant saint, innocent, sans tache par le seul droit de sa conception et de sa naissance, à cause qu'il était conçu du Saint-Esprit.

Il convenait aussi à Jésus-Christ comme étant le fils d'une vierge, d'être le premier qui ait proposé au monde la haute

 

1 Joan., VII, 46. — 2 Ibid., 31. — 3 Isa., I, 24. — 4 Joan., X, 28, 29. — 5 Gal., IV, 4. — 6 Hebr., VII, 1, 2,3,26.

 

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perfection de la pureté virginale, et celle de ses eunuques spirituels dont la grâce est si éminente, qu'à peine la peut-on comprendre (1) : il s'est déclaré l'époux de toutes les vierges : le fruit de la prédication de son Evangile , c'est qu'on en a vu une infinité qui ont marché sur ses pas, et la chasteté comme la foi a eu ses martyrs.

Les convenances de ce qui est dit de la vierge mère ne sont pas moins remarquables. En même temps que pour l'élever au faîte de la grandeur, Dieu voulut réunir en sa personne toute la perfection de son sexe, c'est-à-dire la souveraine et virginale pudeur, avec la fécondité qui est portée jusqu'à la faire mère de Dieu , il lui inspira aussi la plus parfaite et la plus profonde humilité (2). Jésus-Christ dit qu'il est digne de créance dans le témoignage qu'il se rend à lui-même, à cause qu'il n'y recherche que la gloire de son Père (3) : nous pouvons appliquer cette parole à la sainte Vierge, qui sans tirer avantage des merveilles qui s'étaient accomplies en elle, ne reconnaît de grandeur qu'en Dieu qu'elle glorifie : si elle est transportée de joie, ce n'est qu'en Dieu son Sauveur: si plus glorieuse prophétesse que celle d'Isaïe, qui aussi, selon saint Jérôme, n'en est qu'une figure imparfaite, elle voit que toutes les races futures la publieront bienheureuse, c'est à cause qu'il a plu à Dieu de regarder la bassesse de sa servante (4) : il semble qu'elle n'ose dire qu'elle est vierge et mère tout ensemble, et elle n'exprime un si grand don qu'en disant que celui qui seul est puissant lui a fait de grandes choses, et qu'il a voulu exercer la toute-puissance de son bras (5). Au surplus personne n'ignore qu'entendant parler tout le monde de son fils, elle garde un perpétuel silence, sans dire ce qu'elle en savait, ni la manière dont il lui avait été donné : de sorte que la plus excellente de toutes les créatures était en même temps la plus humble, et celle qui se distinguait le moins du commun des femmes. On voit donc la convenance manifeste de tout le mystère, rien n'étant plus propre à une vierge que le silence et l'humilité.

Que ce soit donc là le glorieux titre du Messie, d'être fils d'une vierge : qu'il soit seul caractérisé par ce beau nom : songeons

 

1 Matth., XIX, 11.— 2 Luc., I, 48. — 3 Joan., VIII, 14, 16, 28, 29, 38, 49, 50. — 4 Luc, I, 47, 48 et seqq. —  4 Ibid.

 

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qu'il a trouvé au-dessous de lui, même la sainteté nuptiale, puisqu'il n'a voulu lui donner aucune part à sa naissance : purifions notre conscience de tous les désirs charnels : quand il nous faudra participer à cette chair virginale, songeons à la pureté de la vierge qui le reçut dans son sein : honorons ensemble, avec la distinction convenable, le fils de la Vierge et la mère vierge, puisque le fils de la Vierge est le Fils de Dieu, et que la mère vierge est Mère de Dieu : reconnaissons dans ces deux mots, mère vierge et fils de la Vierge, la plus belle relation qui puisse jamais être conçue : adorons Jésus-Christ comme vrai Dieu ; mais confessons à la fois que ce qu'il a le plus approché de lui, est celle qu'en se faisant homme, il a daigné choisir pour être sa mère.

Je pourrais m'ouvrir encore ici une nouvelle et longue carrière, si je voulais rechercher avec les saints Pères les causes de l'obscurité de quelques prophéties. Saint Pierre nous dit dans sa seconde épître que « nous n'avons rien de plus ferme que le discours prophétique, » et que nous devons y être « attentifs comme à un flambeau qui reluit dans un lieu obscur et ténébreux (5). » C'est donc un flambeau, mais qui reluit dans un lieu obscur, dont il ne dissipe pas toutes les ténèbres. Si tout était obscur dans les prophéties, nous marcherions comme à tâtons dans une nuit profonde, en danger de nous heurter à chaque pas et sans jamais pouvoir nous convaincre : mais aussi, si tout y était clair, nous croirions être dans la patrie et dans la pleine lumière de la vérité, sans reconnaître le besoin que nous avons d'être guidés , d'être instruits, d'être éclairés dans l'intérieur par le Saint-Esprit, et au dehors par l'autorité de l'Eglise. Je pourrais encore me jeter dans une plus haute contemplation sur le tissu des Ecritures que Dieu a voulu composer exprès d'obscurité et de lumière, afin, comme dit saint Augustin , de rassasier notre intelligence par la lumière manifeste et de mettre notre foi à l'épreuve par les endroits obscurs. En un mot, il a voulu qu'on ait pu faire à l'Eglise de mauvais procès ; mais il a voulu aussi que les humbles enfants de l'Eglise y pussent assez aisément trouver des principes pour les décider; et s'il reste, comme il en reste beaucoup, des endroits

 

1 II Petr., I, 19.

 

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impénétrables, ou à quelques-uns de nous ou à nous tous dans cette vie, le même saint Augustin nous console en nous disant que, soit dans les lieux obscurs, soit dans les lieux clairs, l'Ecriture contient toujours les mêmes vérités, qu'on est bien aise d'avoir à chercher pour les mieux goûter quand on les trouve : et où l'on ne trouve rien, on demeure aussi content de son ignorance que de son savoir, puisqu'après tout il est aussi beau de vouloir bien ignorer ce que Dieu nous cache, que d'entendre et de contempler ce qu'il nous découvre. Marchons donc dans les Ecritures en toute humilité et tremblement ; et pour ne chopper jamais, ne soyons pas plus sages ni plus savants qu'il ne faut, mais tenons-nous chacun renfermés dans les bornes qui nous sont données.

Je prie Dieu qu'il vous conserve la santé, et vous donne tout le repos que peut souhaiter un homme de bien.

 

 

Signé + Bénigne, év. de Meaux.

 

À Paris, le 8 de novembre 1703.

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