Apocalypse-Rév.
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Plan - Théologie

 

AVERTISSEMENT  AUX PROTESTANTS SUR LEUR PRÉTENDU ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES.

 

 AVERTISSEMENT  AUX PROTESTANTS SUR LEUR PRÉTENDU ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES.

I. — Que les interprétations des prophéties, et surtout de l’Apocalypse, proposées par les ministres, sont une manifeste profanation du texte sacré. Trois vérités démontrées sur ce sujet dans ce discours.

II. — Premier défaut. Que le système des protestants n'a aucun principe. Preuve par eux-mêmes, et par le ministre Jurieu.

III. — Que les ministres n'ont aucun principe pour prouver que la Babylone de l’Apocalypse fût une église chrétienne, et que cela est impossible.

IV. — Démonstration que saint Jean ne parle ni du Pape ni d'aucun pasteur de l'Eglise chrétienne. Vaines objections des ministres.

V. — Que le mystère écrit sur le front de la prostituée, ne prouve point que ce soit une église chrétienne.

VI. — Conte ridicule de Scaliger, méprisé par Drusius, protestant, et relevé par le ministre Jurieu.

VII.— Sur le mot Lateinos; qu'il n'a rien de commun avec le Pape. Démonstration par saint Irénée, duquel il est pris.

VIII. — Evidence de la démonstration précédente.

IX. — Confirmation de cette preuve, parce que saint Jean a évité d'appeler du nom d'adultère la prostituée de son Apocalypse.

X. — Deux endroits de l’Apocalypse produits par les protestants, et leur inutilité.

XI. — Autre objection ridicule sur un jeu de mots. Ce que c'est dans l’Apocalypse que vendre les âmes. Témoignage des savants protestants.

XII. — Réflexion sur ce qui vient d'être dit. On passe au second défaut du système des protestants, qui est de détruire tous les caractères marqués dans l’Apocalypse.

XIII. — Les chapitres XIII et XVII de l’Apocalypse : deux choses à considérer.

XIV. — Les sept têtes pour les sept formes de gouvernements. Première illusion des protestants.

XV. — Incertitude des protestants et renversement prodigieux de l'histoire dans leur système.

XVI. — Renversement de tout le système, démontré par un seul mot de l’Apocalypse.

XVII. — Illusion des ministres sur la courte durée de la septième tête.

XVIII. — Réponses des ministres Dumoulin et Jurieu; et manifeste corruption du texte sacré.

XIX. — Blasphème du ministre Jurieu.

XX. — Que les protestants font dire à saint Jean sur les sept gouvernements de Rome des choses, non-seulement peu convenables, mais encore visiblement fausses.

XXI. — Illusion des protestants sur les dix rois qui doivent d'abord favoriser Rome, et ensuite la détruire.

XXII. — Illusion sur l'explication du chapitre un, et sur la seconde bête qui y est représentée.

XXIII. — Réflexion sur le nom Lateinos et sur le nombre 666.

XXIV. — Système des protestants sur les douze cent soixante jours de la persécution. Démonstration que ces jours ne peuvent pas être des années comme les ministres le veulent.

XXV. — Contradiction du ministre Dumoulin sur le sujet des douze cent soixante jours.

XXVI.— Plus grossière contradiction du ministre Jurieu sur le même sujet.

XXVII. — En accordant aux ministres que les jours sont des années, l'embarras ne fait qu'augmenter, et ils ne savent où placer leurs douze cent soixante ans.

XXVIII. — Les ministres forcés d'imputer l'idolâtrie à l'Eglise du quatrième siècle.

XXIX. — Prodigieuse proposition du ministre Jurieu.

XXX. — Réponse du ministre Jurieu.

XXXI. — Le ministre établit le commencement de l'idolâtrie dans les miracles que Dieu fait pour confondre Julien l'Apostat.

XXXII. — Autre parole prodigieuse du même ministre.

XXXIII. — Que les Pères que ce ministre accuse d'idolâtrie, sont de son aveu les plus grands théologiens de l'Eglise.

XXXIV. — Etrange idée du christianisme dans le parti protestant.

XXXV. — Démonstration que, de l'aveu du ministre, il n'y a rien dans l’Apocalypse qui marque sa prétendue idolâtrie ecclésiastique, quoique rien ne s'y dût trouver davantage selon ses principes.

XXXVI. — Examen d'un passage de saint Paul, où le ministre prétend trouver, après Joseph Mède, son idolâtrie régnante dans l'Eglise.

XXXVII. — Le ministre entraîne dans ses excès par le désespoir de sa cause.

XXXVIII. — La conformité que les protestants ont imaginée entre la théologie et le culte des Pères du premier siècle et les païens, détruite par les principes.

XXXIX. — Que l'interprétation des protestants brouille toutes les idées de l’Apocalypse et ne discerne ni les idolâtres, ni les saints dont parle saint Jean.

XL.— Vaines interprétations du chapitre XVI.

XLI. — Sur le commandement de sortir de Babylone : qu'on ne sait ce que veut dire ce commandement, selon l'idée des protestants.

XLII. — Question, si les protestants rebutés de l'absurdité du système de Joseph Mède et de M. Jurieu, en peuvent forger un autre plus soutenable.

XLIII. — Conclusion de ce qui regarde le chapitre XVIII de l’Apocalypse.

XLIV. — Si les protestants peuvent admettre une double chute de Rome

XLV. — Prédiction de saint Paul, II Thess., II.

XLVI. — La première circonstance de la venue de l'Antéchrist mal expliquée par les protestants.

XLVII. — La seconde, également mal entendue.

XLVIII. — En accordant aux protestants tout ce qu'ils demandent, ils ne concluent rien de cette parole de saint Paul : Celui qui tient.

XLIX.— S'il y a quelque avantage à tirer des Pères qui font venir l'Antéchrist et le jugement à la chute de l'Empire romain.

L. — Que le sentiment des Pères est directement contraire au système protestant, en ce qu'ils reconnaissent l'Antéchrist pour un seul homme.

LI. — Que les protestants ne s'accordent ni avec les Pères, ni avec saint Paul, ni avec eux-mêmes.

LII. — Froideur des allégories des protestants.

LIII. — Ce que l'on peut dire de certain de l'Antéchrist.

LIV. — Que le méchant de saint Paul ne peut être aucune des bêtes de saint Jean, et qu'il n'y a de rapport entre saint Paul et l’Apocalypse, que dans le chapitre XX de cette dernière prophétie.

LV. — Qu'il y a, selon le ministre, un autre Antéchrist à qui, malgré qu'il en ait, les paroles de saint Paul conviennent mieux.

LVI. — Promesse de l'auteur sur Daniel. L'explication de saint Paul, I Tim., IV, 1, déjà donnée. Conclusion de la seconde partie de cet Avertissement.

LVII. — Les protestants toujours trompés par leurs prophètes.

LVIII. — Ridicules interprétations de Dumoulin. Pourquoi il s'arrête à l'année 1689.

LIX. — Raisonnement de Dumoulin improuvé par M. Jurieu.

LX.— Comment M. Jurieu a tâché de revenir à l'interprétation de son aïeul après l'avoir méprisée.

RÉCAPITULATION,

LXI. — Pourquoi cette Récapitulation, ce qu'il y faudra observer.

LXII. — Première démonstration, que la destruction de la prostituée aux chap. XVII, XVIII et XIX de l’Apocalypse, par les principes des protestants, est une chose accomplie; et ainsi qu'on y cherche en vain la chute future de la Papauté.

LXIII. — Seconde démonstration du chap. XVIII. Preuve par les protestants que l'Eglise romaine est la vraie Eglise.

LXIV. — Troisième démonstration, en ce que la Babylone, la bête et la prostituée de saint Jean ne peut pas être une église corrompue.

LXV. — Que le ministre Jurieu a senti la force de cette démonstration, et par là le faible de sa cause.

LXVI. — Nouvelle réflexion sur la preuve précédente, et confirmation de cette preuve.

LXVII. — Quatrième démonstration par les principes généraux. Les persécutions de l’Apocalypse très-courtes, selon saint Jean. Ce que c'est que le peu de temps des ministres, qui dure douze cent soixante ans. Illusion des jours prophétiques. Confusion, absurdité et impiété manifeste.

LXVIII. — Que les protestants ne se sauvent pas en prenant un autre système que M. Jurieu.

LXIX.— Cinquième et dernière démonstration par les principes généraux.

LXX. — Quels saints et quels martyrs les protestants ont trouvé dans l’Apocalypse, et qu'à la fin ils sont obligés de les dégrader. Passage exprès du ministre Jurieu.

LXXI. — Preuves tirées des chapitres particuliers. Abrégé de celles du chap. XI, où l'on commence à comparer notre système avec celui des protestais. Illusions pitoyables du ministre Jurieu sur les deux témoins.

LXXII. — Abrégé des preuves du chap. XII. Confirmation convaincante de celle qui détruit les douze cent soixante ans. Le système protestant se dénient de tous côtés.

LXXIII. — La bête aux sept têtes et aux dix cornes, et les sept formes de gouvernement ruinées par de nouvelles remarques.

LXXIV. — Suite du chapitre XIII. La bête qui meurt et qui revit, n'a point de sens chez les protestants.

LXXV. — Autre inconvénient du système. Il faut trouver au chapitre XIII pour une troisième fois les douze cent soixante ans.

LXXVI. — Suite du même chapitre. La seconde bête. Dix caractères exclusifs du Pape. Deux défauts sur le nombre de six cent soixante-six.

LXXVII. — Les chapitres XIV, XV et XVI.

LXXVIII. — La fin du chapitre XVII avec les suites, où le système protestant se dément le plus.

LXXIX. L'explication protestante n'entre qu'avec violence dans les esprits, et c'est l'ouvrage de la haine.

LXXX. — Abrégé des preuves contre l'interprétation des protestants sur la II aux Thess., II.

LXXXI. — Caractères de l'Antéchrist dans les ministres. Leurs allégories tournées contre eux.

LXXXII. — Contradiction manifeste du ministre Jurieu sur le sujet de l'Antéchrist de saint Paul.

LXXXIII. — Pitoyables extrémités où s'engagent les protestants. Conclusion de ce discours.

 

 

I. — Que les interprétations des prophéties, et surtout de l’Apocalypse, proposées par les ministres, sont une manifeste profanation du texte sacré. Trois vérités démontrées sur ce sujet dans ce discours.

 

Si la profanation des Ecritures est toujours un attentat plein de sacrilège, la profanation des prophéties est d'autant plus criminelle , que leur obscurité sainte devait être plus respectée. C'est néanmoins aux prophéties que les ministres se sont attachés plus qu'à tous les autres livres de l'Ecriture, pour y trouver tout ce qu'ils ont voulu. L'obscurité de ces divins livres, et surtout de l’Apocalypse, leur a été une occasion de les tourner à leur fantaisie : au lieu d'approcher avec frayeur des ténèbres sacrées dont souvent il plaît à Dieu d'envelopper ses oracles, jusqu'à ce que le temps de les découvrir soit arrivé, ces hommes hardis ont cru qu'ils pouvaient se jouer impunément de ce style mystérieux. Leur haine a été leur guide dans cette entreprise. Ils voulaient, à quelque prix que ce fût, rendre l'Eglise romaine odieuse; ils en ont fait la prostituée de l’Apocalypse; et comme s'ils avaient démontré ce qu'ils ont avancé sans fondement, il n'y a rien qu'ils n'aient osé sur ce principe. Ce n'a pas été seulement au commencement de la Réforme qu'ils se sont servis des prophéties pour animer contre nous un peuple trop crédule. En 1628, on vit paraître à Leyde, de la belle impression des Elzévirs, un livre dédié au roi de la Grande-Bretagne par un Ecossais, dont le titre était : Du Droit Royal, que ces nations ont tant respecté, comme on a vu (1) . Mais ce n'est pas de quoi il s'agit ici : il y avait un chapitre dont le sommaire était proposé en ces termes : « Que les rois et

 

1 Vid. Epist. vir. Ecciesiasticor. et Theol., ep. 637.

 

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les autres fidèles ont eu raison de secouer le joug de la tyrannie pontificale, et qu'ils sont obligés à persécuter le Pape et les papistes. » Un titre si violent n'était rien encore en comparaison du corps du chapitre, où on lisait ces mots : «Ce n'est pas assez aux fidèles d'être sortis de Babylone, s'ils ne lui rendent perte pour perte, et ruine pour ruine. » « Rendez-lui, dit l’Apocalypse, comme elle vous a rendu : rendez-lui le double de tous les maux qu'elle vous a fait souffrir, et faites-lui boire deux fois autant du calice dont elle vous a donné à boire. Il est vrai que Dieu est la source des miséricordes, mais il ne garde point de mesure avec cette prostituée ; et encore qu'en toute autre occasion il défende la vengeance, il veut à ce coup qu'on arme contre elle, et qu'on se venge avec une rigueur impitoyable. » C'est ainsi que parlaient aux rois et aux peuples les docteurs de la Réforme : ces gens qui en apparence ne se glorifiaient que de leur patience, ne respiraient dans le fond du cœur que des desseins de se venger; et comme si c'eût été peu d'avoir établi sur l’Apocalypse ces maximes sanguinaires, ils ajoutaient à une telle doctrine cette cruelle exhortation : « Que tardent les fidèles à persécuter les papistes? Se défient-ils de leurs forces? Mais le Seigneur leur promet une victoire assurée sur la prostituée et sur ses compagnes, » sur Rome et sur toutes les églises de sa communion. Voilà, mes chers frères, les exhortations dont retentissaient toutes vos églises. Toutes les boutiques des libraires étaient pleines de livres semblables. Les luthériens n'étaient pas plus modérés que les calvinistes ; et le ministre principal de la cour de l'électeur de Saxe, nommé Mathias Hohe, fit débiter à Francfort un livre dont le titre était : Le jugement et l'entière extermination de la prostituée, de la Babylone romaine, ou Livre Vides commentaires sur l’Apocalypse (1). Le livre n'est pas moins outré que le titre, et voilà ce qu'on écrivait en Allemagne et dans le Nord. En France, tous nos réformés avaient entre les mains, avec une infinité d'autres livres sur cette matière, celui de Dumoulin sur l'Accomplissement des prophéties, où en parlant des dix rois qui selon lui devaient détruire le Pape avec Rome, et de l'accomplissement prochain de cette prophétie

 

1 Lips., in-4°.

 

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il donnait cette instruction aux rois : « C'est aux rois à se disposer à servir Dieu dans une si grande œuvre (1). » C'est ce qu'il disait dans ce livre qui est devenu si fameux par la remarque qu'il y fait sur l'an 1689. On voit qu'il ne tenait pas à lui que les rois ne hâtassent l'exécution de la prophétie par tous les moyens qu'ils ont en main. Le ministre Jurieu ne dégénère pas de cette doctrine, puisqu'il dit dans son Avis à tous les chrétiens, à la tête de son Accomplissement des prophéties : « C'est maintenant qu'il faut travailler à ouvrir les yeux aux rois et aux peuples de la terre; car voici le temps qu'ils doivent dévorer la chair de la bête et la brûler au feu, dépouiller la paillarde, lui arracher ses ornements, renverser de fond en comble Babylone et la réduire en cendres (2). » Qui n'admirerait ces réformés? Ils sont les saints du Seigneur, à qui il n'est pas permis de toucher et toujours prêts à crier à la persécution. Mais pour eux, il leur est permis de tout ravager parmi les catholiques; et si on les en croit, ils en ont reçu le commandement d'en haut. C'est à quoi se terminait toute la douceur qu'on ne cessait de vanter dans la Réforme. Ses ministres ont toujours cherché à faire paraître dans l’Apocalypse la chute prochaine de Rome, dans le dessein d'inspirer à ses ennemis l'audace de tout entreprendre pour la perdre ; et ceux-là mêmes qui ne croyaient pas que ces excessives interprétations « fussent véritables, croyaient néanmoins qu'il les fallait conserver à cause de l'utilité publique, » c'est-à-dire pour nourrir dans les protestants la haine contre Rome, et une confiance insensée de la détruire bientôt. Voilà ce que Grotius écrivait de bonne foi à Gérard-Jean Vossius (3), qui le savait aussi bien que lui. Que si les ministres n'en veulent pas croire Grotius qui leur est suspect, quoiqu'il n'ait jamais été tout à fait des nôtres et qu'alors constamment il fût des leurs, que répondront-ils à Vossius, un si bon protestant et tout ensemble un si savant homme, qui raconte à Grotius, en faisant réponse à sa lettre (4), qu'ayant doucement remontré à un ministre de Dordrecht, qu'il appelle en se moquant lourde tête, « qu'il ne de voit pas imposer, comme il faisait, aux

 

1 Accomp. des Prophéties, p. 288, à Sedan, an. 1624. 2 Ibid.y p. 4.

 — 3 Ibid. p. 288, epist. 557, quœ est Grot. — 4 Ibid., epist. 571. —

 

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papistes des sentiments qu'ils n'avaient jamais eus, ce séditieux harangueur lui demanda brusquement s'il voulait défendre les papistes, et conclut comme un furieux qu'on ne pouvait trop décrier la doctrine de l'Eglise romaine devant le peuple, afin qu'il déteste davantage cette Eglise ; ce qui revient assez, » poursuit Vossius, à ce qu'on me disait à Amsterdam : « A quoi bon dire que le Pape n'est pas l'Antéchrist? Est-ce afin qu'on nous quitte de plus en plus, pour s'unir à l'Eglise romaine, comme s'il n'y avait déjà pas assez de gens qui le fissent, et qu'il en fallût encore augmenter le nombre? » On voit donc qu'il n'est que trop vrai, du propre aveu des ministres, que rien ne retenait tant le peuple protestant dans le parti, que la haine qu'on lui inspirait contre l'Eglise romaine, et ses séditieuses interprétations où on la faisait paraître comme l'église antichrétienne que Jésus-Christ allait détruire. Cet esprit a dominé de tout temps dans la Réforme : à la première lueur d'espérance, il se réveille; et quoique trompés cent fois sur la chute imaginaire de Rome, les protestants croient toujours la voir prochaine dès le premier succès qui les flatte. C'est en vain qu'on leur représente la nullité de leurs preuves, la visible contradiction de leurs faux systèmes, l'expérience des erreurs passées et la témérité manifeste de leurs prophètes tant de fois menteurs. Dès que quelque chose leur rit, ils n'écoutent plus ; et sans songer aux profondeurs des conseils de Dieu, qui livre durant quelque temps à des espérances trompeuses ceux qu'il veut punir ou, comme j'aime mieux le présumer, ceux qu'il veut désabuser de leurs erreurs, ils s'obstinent à croire leurs flatteurs. Je ne m'étonne donc pas de les voir aujourd'hui crier de tous côtés à la victoire, et s'imaginer qu'ils vont profiter des dépouilles des catholiques par toute la terre. Il y a longtemps que Bucer, un de leurs réformateurs les plus vantés, a écrit : « Qu'ils parlaient toujours avec beaucoup de courage, lorsqu'ils se croyaient soutenus du bras de la chair (1). » Nourris dans cet esprit, ils le reprennent aisément, et il semble que c'est inutilement que nous allons entreprendre de les désabuser pendant qu'ils sont enivrés de leurs prophéties imaginaires. Mais comme l'illusion

 

1 Bucer., int. Ep. Calv., p  509, 510; Hist. des Var., lib. V, n. 14.

 

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pourra passer, et d'ailleurs qu'ils ne sont pas tous également emportés , je leur adresse ce discours pour leur faire voir que tout ce qu'ils tirent contre nous des prophéties, est une profanation manifeste du texte sacré ; et parce que l’Apocalypse est le livre dont ils abusent le plus, c'est à celui-là principalement que je m'attacherai dans ce discours. J'en ai déjà dit assez dans un autre ouvrage (1), pour détruire tout le système protestant; mais comme M. Jurieu a fait de vains efforts pour y répondre, je découvrirai les illusions dont il éblouit ses lecteurs en continuant à faire le prophète : je passerai encore plus avant, et je me propose de démontrer aux protestants trois défauts essentiels de leurs interprétations : le premier, en ce qu'elles n'ont aucun fondement ni d'autres principes que leur haine; le second, en ce qu'elles ne satisfont à aucun des caractères de l’Apocalypse, au contraire qu'elles les détruisent tous sans en excepter un seul ; et le troisième, en ce qu'elles se détruisent elles-mêmes. Voilà trois défauts essentiels que je prétends démontrer, et je ne crains point de me trop avancer en me servant de ce mot. Il se pourrait faire qu'on n'eût encore que des conjectures vraisemblables sur le véritable sens de l’Apocalypse. Mais à l'égard de l'exclusion du sens des ministres, comme on y procède par des principes certains, on peut dire avec confiance qu'elle est démontrée. C'est ce qu'on verra clairement, pour peu qu'on lise ce discours avec attention, et qu'on écoute Dieu et sa propre conscience en le lisant.

 

II. — Premier défaut. Que le système des protestants n'a aucun principe. Preuve par eux-mêmes, et par le ministre Jurieu.

 

Je dis donc avant toutes choses, que les protestants parlent sans principes et n'ont de guide que leur haine, lorsqu'ils appliquent la prostituée et la bête de l’Apocalypse au pape et aux églises de sa communion. Je n'en veux point de meilleures preuves que leur propre légèreté et l'inconstance dont ils ont usé en cette matière. Selon le ministre Jurieu, dans son Avis à tous les chrétiens, à la tête de son Accomplissement des prophéties , la

 

1 Hist. des Var., liv. XIII.

 

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doctrine du Pape Antéchrist «est une vérité si capitale, que sans elle on ne saurait être vrai chrétien (1). C'est, poursuit-il, le fondement de toute notre réformation : car certainement, ajoute-t-il, je ne la crois bien fondée qu'à cause de cela. » Ceux des protestants qui ont osé mépriser ce fondement de la Réforme, « sont l'opprobre, non-seulement de la réformation, mais du nom chrétien (2). » Ce n'est donc pas seulement ici un article fondamental de la Réforme, mais c'est encore le plus fondamental de tous, sans lequel la Réforme ne peut subsister un seul moment ; et cet article est si essentiel, que le nier c'est la honte du christianisme. Loin de rougir de ces excès, le ministre les a confirmés dans les lettres qu'il a publiées contre l'endroit des Variations où la suite de mon histoire m'amenait à cette matière. «C'est là, dit-il, le grand fondement de notre séparation d'avec l'Eglise romaine, lequel comprend tous les autres (3). » Et encore : « Si l'Eglise romaine n'était point Babylone, vous n'auriez pas été obligés d'en sortir; car il n'y a que Babylone dont il nous soit ordonné de sortir : Sortez de Babylone, mon peuple. » C'est donc ici, encore un coup, à l'égard de la Réforme, le fondement des fondements, que le Pape est l'Antéchrist et que Rome est la Babylone antichrétienne. Mais en même temps, pour faire voir combien ce fondement est ruineux, de l'aveu de la Réforme même , il ne faut que considérer ce que j'en ai dit dans le livre des Variations. M. Jurieu croit avoir droit de mépriser cet ouvrage, à l'exception des endroits où je parle du Pape Antéchrist; car pour ceux-là il reconnaît qu'à cause que j'y attaque directement son Accomplissement des prophéties, « il y doit prendre un intérêt particulier (4). » Voyons donc s'il répondra un seul mot à ce que j'ai dit sur ce sujet. J'ai dit que ce dogme si essentiel et si fondamental du Pape Antéchrist, tirait son origine des manichéens les plus insensés, les plus impurs et les plus abominables de tous les hérétiques. A cela M. Jurieu ne dit pas un seul mot ; et comme un nouveau prophète qui ne doit compte à personne de ce qu'il annonce, il se contente de m'appeler au juste tribunal de Dieu. Mais pardonnons-lui cette omission : peut-être que cet endroit ne touche pas d'assez

 

1 P. 49. — 2 P. 50. — 3 Lett. XI, de la troisième ann., p. 85, col. 1.— 4 Ibid.

 

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près son Accomplissement des prophéties. J'ai avancé (1) que Luther, qui le premier des nouveaux réformateurs a renouvelé ce dogme du Pape Antéchrist, avait posé pour fondement que l'Eglise où l'Antéchrist présidait, était la vraie Eglise de Dieu ; car c'est ainsi qu'il entendait ce mot de saint Paul, qui établit la séance de l'Antéchrist dans le temple de Dieu. Quel aveuglement ou, s'il est permis une fois d'appeler les choses par leur nom, quel renversement du bon sens et quelle brutalité, que pour reconnaître le Pape connue l'Antéchrist et l'Eglise romaine comme antichrétienne, le premier pas qu'il faille faire soit de reconnaître cette Eglise comme le vrai temple où Dieu habite et comme la vraie Eglise de Jésus-Christ; en sorte qu'il en faille sortir et y demeurer tout ensemble, l'aimer et la détester en même temps ! M. Jurieu passe encore ceci sous silence. J'ai ajouté que quelque emportés que fussent les réformateurs contre le Pape, ils n'avaient osé insérer le dogme à présent si fondamental qui en a fait l'Antéchrist dans leurs Confessions de foi, puisqu'on ne le trouve ni dans celle d'Ausbourg, qui était celle des luthériens, ni dans celle de Strasbourg, qui était celle du second parti de la Réforme en Allemagne i ; de sorte que ce grand dogme se trouve banni de la Confession de foi des deux partis réformés. M. Jurieu se tait à tout cela. Loin que dans ces Confessions de foi on ait traité le Pape d'Antéchrist, on y supposait le contraire, puisqu'on s'y soumettait au concile qu'il assemblerait. On y appelait à ce concile ; on y déclarait publiquement qu'on n'en voulait pas à l'Eglise romaine ; et ces déclarations se trouvent également dans les Confessions de foi des deux partis, dans celle d'Augsbourg et dans celle de Strasbourg. Appelait-on au concile convoqué par l'Antéchrist? Qui ne voit donc que ce dogme du Pape Antéchrist, maintenant le plus essentiel et celui qui comprend tous les autres, ne fut jamais avancé sérieusement, et qu'il n'était proposé que comme un amusement du peuple, que non-seulement on n'osait insérer dans les Confessions de foi, mais qu'on y combattait ouvertement? M. Jurieu, si fécond à répondre à tout lorsqu'il  croit avoir la

 

1 Var., liv. III, n. 60, 62. — 2 Prœf. Conf.   Aug.;   Conf.   Argent. in fine, Var., III, 62; XIV, 74.

 

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moindre raison, garde encore ici le silence. Répondra-t-il du moins à ce que je dis (1), que les articles de Smalcalde de 1536, lorsque le parti de Luther, fortifié par des ligues, commença à devenir plus menaçant, furent le premier acte de foi où l'on nomma le Pape Antéchrist, et que Mélanchthon, si soumis d'ailleurs à son maître Luther, s'y opposa en deux manières : l'une, en protestant qu'il était prêt à reconnaître l'autorité du Pape; et l'autre, en déclarant qu'il fallait se soumettre au concile qu'il convoquerait? Tout cela n'est rien pour M. Jurieu, et il ne fait pas même semblant de l'avoir lu, de peur d'être obligé d'y répondre. J'ai continué l'histoire de ce nouveau dogme, et je reconnais franchement que pour la première fois nos prétendus réformés le voulurent passer en article de foi et l'insérer dans leur Confession en 1603, dans le synode de Gap, cinquante ans après qu'elle eut été dressée. Le ministre commence ici à rompre le silence : « Voilà donc, dit-il, qui est passé en article de foi dans les églises de France ; et je souhaite, » ajoute-t-il deux lignes après, «qu'on fasse attention à cet endroit, afin qu'on sache que tout protestant qui nie que le papisme soit l'antichristianisme, par cela même renonce à la foi et à la communion de l'Eglise réformée de France; car c'est un article d'un synode national (2). » Qu'il est fort et qu'il parle haut, lorsqu'il croit avoir quelque avantage ! Mais cependant il oublie que ce grand article, qu'on nous donnait « pour si solennel et pour scellé du sang des martyrs (3), » avait pour titre : Article omis. Je l'avais expressément remarqué : mais M. Jurieu , qui se voyait convaincu par l'autorité de son synode, où l'on confessait qu'un article qu'on jugeait si important avait néanmoins été omis et ne commençait à paraître parmi les articles de foi que tant d'années après la Réforme, passe encore ceci sous silence et se contente d'exagérer magnifiquement l'autorité d'un synode national. Mais encore, pourquoi ce synode a-t-il tant d'autorité? Nous avons fait voir en tant d'endroits que les synodes les plus généraux de la Réforme sont pour M. Jurieu si peu de chose (4) : et sans sortir de celui de Gap, il se moque

 

1 Var., liv. XIII, n. 6. — 5 Lett. XI, 85, col. 2. — 3 Hier., ibid. — 4 Lett. X, de la troisième ann., 2; Var., liv. XII, 27 et suiv.

 

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ouvertement de ce qu'il a défini sur l'affaire de Piscator, encore qu'en cet endroit il soit suivi par trois autres synodes nationaux. Mais c'est que dans la Réforme, les synodes n'ont rien de sacré et d'inviolable, que ce qu'on y dit pour nourrir la haine des peuples contre Rome et entretenir leurs espérances.

Le ministre me demande ici que je lui montre que ce synode ait jamais été révoqué (1). Il me produit un grand nombre d'auteurs protestants qui ont soutenu que le Pape était l'Antéchrists; et il s'étonne de m'entendre dire que dans tous les entretiens que j'ai eus avec nos protestants, je n'en ai jamais trouvé aucun qui fît fort sur cet article. Il trouve mauvais que j'allègue Hammond et Grotius, auteurs protestants; et c'est là le seul endroit de mon livre où il paroisse vouloir faire quelque réponse. Mais il dissimule ce qu'il y a de principal. Si je dis que la controverse du Pape Antéchrist m'avait toujours paru tout à fait tombée, c'est après que le ministre reconnaît lui-même à la tête de son Accomplissement des prophéties, « que cette controverse de l'Antéchrist a langui depuis un siècle ; qu'on l'a malheureusement abandonnée (3) ; » que la cause de tous les malheurs et de ces dernières faiblesses des prétendus réformés, c'est qu'on ne leur mettait plus devant les yeux « cette grande et importante vérité, que le papisme est l'antichristianisme. Il y avait, dit-il, si longtemps qu'ils n'avaient oui dire cela, qu'ils l'avaient oublié : ils croyaient que c'était un emportement des réformateurs dont on était revenu. On s'est uniquement attaché à des controverses qui ne sont que des accessoires, et on a négligé celle-ci, » qui était la fondamentale et la plus essentielle de toutes. Voilà ce qu'il avait dit lui-même. Il m'attaque et il me reproche que j'allègue mon propre témoignage ; mais il dissimule que je ne le fais qu'après avoir produit le sien. Que lui sert de me citer des ministres qui ont écrit pour ce nouveau dogme du Pape Antéchrist? Ce n'est pas ce que j'ai nié : je sais bien que les ministres n'ont cessé de faire ce qu'ils ont pu pour entretenir dans le peuple ce sujet de haine contre Rome. Mais je dis qu'on ne laissait pas d'abandonner cette controverse, comme

 

1. Lett. X, de la troisième ann., 2; Var., liv. X1L 27 et suiv. — 2 Ibid., p. 86. — 3 Avis à tous les chrét., p. 48, 49.

 

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le ministre l'avoue (1) : que ce soit, comme il voudrait le faire croire, « par une mauvaise politique et pour obéir aux princes papistes, » quoi qu'il en soit, j'ai raison de dire que ce grand article de foi du synode de Gap était oublié, puisque M. Jurieu l'a dit aussi en termes plus forts que je n'ai fait. Je passe encore plus avant. Loin de croire qu'on abandonnât cet article par politique, je dis que ce n'était que par politique et pour animer la multitude, que la plupart des ministres le soutenaient; mais qu'au fond, ils n'y croyaient pas; je viens d'en produire la preuve par Vossius, irréprochable témoin (2). J'ajoute que ce n'était pas seulement par politique qu'on abandonnait un dogme si insoutenable; c'est qu'on avait ouvert les yeux à son absurdité ; c'est que Grotius, protestant alors et estimé de tous les savants du parti, en avait rougi et en avait inspiré la honte aux habiles gens de la Réforme; c'est qu'il avait été suivi publiquement par Hammond, constamment le plus savant et le plus célèbre de tous les protestants anglais, sans que personne l'en eût repris; et qu'il avait conservé sa dignité, sa réputation, son crédit parmi les siens, quoiqu'il combattit ouvertement ce dogme qu'on nous veut donner pour si essentiel; c'est que d'autres savans protestants étaient entrés dans les mêmes sentiments, jusque-là que M. Jurieu lui-même était si touché des raisons ou de l'autorité de si graves auteurs, qu'en 1085, un an devant qu'il publiât son Accomplissement des prophéties, il écrivait ces paroles : « Chacun sait, et ce n'est pas la peine d'en faire un mystère, que nous regardons le papisme comme le siège de l'Antéchrist : si c'était une chose unanimement reçue, ce ne serait plus un préjugé; ce serait une démonstration (3). » Ce n'était donc pas une chose unanimement reçue : ce ministre savait bien qu'on en doutait dans la Réforme : c'est pourquoi il n'ose dire que ce soit une démonstration, c'est-à-dire une chose assurée, mais seulement un préjugé, c'est-à-dire, selon lui, une chose vraisemblable. Il doutait donc lui-même encore en 1085, de ce qui lui a paru en 1686 le fondement le plus essentiel ne ia Réforme, sans lequel elle ne peut subsister.

 

1 Avis à tous les chrét., p. 48, 49. — 2 Sup., n. 1. — 3 Préf. lég., 1ère part., chap., p. 72.

 

 

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On n'imagine pas ce qu'il pou voit répondre à un passage si précis : car je lui demande ce qu'il lui faudrait, afin que le dogme du Pape Antéchrist passât en démonstration comme une chose unanimement reçue? Que demanderait-il pour cela? Quoi? notre consentement? Voudrait-il faire dépendre de notre aveu sa démonstration, et le Pape ne sera-t-il jamais convaincu d'être l'Antéchrist qu'il ne l'avoue ? Donc ce qui empêche la démonstration de ce dogme, c'est que la Réforme elle-même, malgré l'article de Gap, n'en convenait pas comme d'une chose assurée et unanimement reçue. C'est pourquoi M. Jurieu ajoute encore qu'il laisse indécise cette grande controverse (1), quoiqu'il n'oublie aucune des raisons dont on s'est servi dans le parti, et au contraire qu'il les étende jusqu'à en faire un gros volume. Il avoue donc que son dogme du Pape Antéchrist, si essentiel en 1680, demeurait encore indécis avec toutes les preuves dont on le soutient en 1685.

Voilà de toutes les autorités qu'on pouvait jamais produire contre M. Jurieu, la plus pressante pour lui, puisque c'était la sienne propre, dans un livre composé exprès sur la matière dont il s'agit entre nous. A cela on sent d'abord qu'il n'y a rien à répondre, ni d'autre parti à prendre que celui du silence. C'est aussi ce qu'a fait M. Jurieu. Je lui objecte ces passages dans le XIIIe livre des Variations (2), et c'était une des autorités dont je me servais pour détruire la certitude de ce nouvel article fondamental. M. Jurieu s'était engagé dans sa lettre XIe, de répondre à cet endroit de mon livre comme à une chose où il a un intérêt particulier (3). Il n'y avait rien où il eût un intérêt plus particulier, qu'une autorité tirée de lui-même : mais il n'en dit pas un mot. Il traite cette matière dans sa onzième lettre pastorale, et il dit dans la douzième, au commencement, «qu'après avoir anéanti les autorités de M. Bossuet dans sa lettre précédente, il faut anéantir ses raisons. » Il en est donc aux raisons, et il a passé le lieu des autorités, dont la plus considérable était la sienne, à laquelle il ne dit mot.

Qui ne voit maintenant plus clair que le jour, que ce dogme du

 

1. Préf. lég., 1ère part., chap. IV, 72. — Var., liv. XIII,n. 10. — 3 Lett. XI, de la troisième ann., p. 85.

 

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Pape Antéchrist n'est fondé sur aucun principe? Dans les Préjugés légitimes en 1685, il n'est pas certain : en 1686, dans l’Accomplissement des prophéties, il est si certain et si évident, qu'on ne le peut nier sans renoncer non-seulement à la Réforme, mais encore au christianisme, et sans en être l'opprobre. Mais je dis plus. Dans l’Accomplissement des prophéties, où M. Jurieu se donne aux siens, non tant comme un interprète que comme un homme inspiré, il confesse et il répète souvent qu'il y a tant d'obscurité dans les endroits de l’Apocalypse où il met le dénouement de tout le mystère, qu'après les avoir lus « vingt et vingt fois, il n'y entendait pas davantage, et qu'il s'assurait seulement que personne n'y avait jamais rien entendu (1). » S'il avait voulu parler de bonne foi, il nous aurait avoué que les interprétations des protestants sur les autres endroits de l’Apocalypse, ne sont ni plus claires, ni plus certaines; c'est pourquoi un an auparavant et en 1685, il nous les donnait pour problématiques. Il ne répond rien à tout cela, et ne laisse pas de nous dire avec un air triomphant, qu'il a anéanti mes autorités, et qu'il ne reste plus qu'à anéantir mes raisons (2). S'il appelle anéantir, passer sous silence ce qu'il y a de plus décisif, il a tout anéanti, je le confesse : mais si, pour anéantir des autorités, il faut du moins en dire quelque mot, on doit croire que mes raisons seront autant invincibles que mes autorités lui ont paru inattaquables.

Concluons, encore une fois, qu'il n'y a point de principes dans le système protestant; qu'on l'avance, qu'on l'abandonne, qu'on le reprend, qu'on le rabaisse, qu'on le relève sans raison : de sorte qu'il ne faut point s'étonner si, durant un si long temps, les honnêtes gens en ont rougi, et si M. Jurieu lui-même n'a osé s'y appuyer tout à fait.

 

III. — Que les ministres n'ont aucun principe pour prouver que la Babylone de l’Apocalypse fût une église chrétienne, et que cela est impossible.

 

Mais comme il paraît se peu soucier qu'on ait varié dans son parti, et d'avoir varié lui-même, recommençons le procès et cherchons si les protestants ont en effet quelque principe par où ils puissent

 

1 Avis aux chrét., p. 46; Accomp. des Prophéties, chap. IV, VII, etc.—  2 Lett. XII.

 

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prouver que la Babylone de saint Jean soit l'Eglise romaine. Je démontre qu'ils n'en ont aucun ; car tout le principe qu'ils ont, c'est que visiblement il s'agit de Rome : or ce n'est pas là un principe , puisqu'ils ne font rien pour eux, s'ils ne montrent dans l’Apocalypse, non-seulement Rome, mais encore l'Eglise romaine, dont il n'y a pas seulement le moindre vestige dans les endroits qu'ils produisent.

Qu'ainsi ne soit, cherchons dans ce divin livre quelque caractère de l'Eglise romaine en particulier ou, pour ne point trop pousser nos adversaires, du moins de quelque église en général. Saint Jean dit que la bête est posée sur sept montagnes, je l'avoue : c'est un caractère de Rome, mais qui ne montre pas une église chrétienne. Saint Jean dit qu'elle a sept rois; quoi que ce soit que ces sept rois, ils ne marquent pas une église, et ce n'en est pas là un caractère. Saint Jean dit qu'elle est vêtue d'écarlate; ce n'est pas un caractère d'église, puisque le sénat de Rome, ses magistrats et ses princes avaient cette marque. Saint Jean dit qu'elle a l'empire sur tous les rois de la terre; Rome païenne l'avait, et il fallait autre chose pour nous marquer une église.

Mais elle corrompt le genre humain par ses ivrogneries et ses impuretés; ce qui marque une autorité d'enseigner, et par conséquent une église. Quelle illusion ! les prophètes en ont autant dit de Tyr, de Ninive et de Babylone, qui sans doute n'étaient pas des églises corrompues. Nous avons vu (1) que ces trois superbes villes avaient corrompu ou enivré les nations : Rome païenne a corrompu le monde à leur exemple, en étendant le culte des dieux par tout son empire et y faisant enseigner une fausse philosophie qui autorisait l'idolâtrie.

Quand donc on veut faire passer la Rome de saint Jean pour une église, à cause qu'elle entreprend de faire embrasser aux hommes une religion, on abuse trop grossièrement de l'ignorance d'un peuple crédule. Car n'était-ce pas en effet une religion que Rome païenne voulait établir par toute la terre et y forcer les chrétiens? Et quand on serait contraint par l’Apocalypse à regarder cette religion comme particulière à Rome, ce qui n'est pas,

 

1 Préf., n. 9, explic. du chap. XVII.

 

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n'était-ce pas quelque chose d'assez particulier à Rome païenne de faire adorer ses empereurs, et avec eux elle-même comme une déesse , dans des temples bâtis exprès? C'est l'idolâtrie que nous avons vue très-bien marquée dans l’Apocalypse de saint Jean (1) ; mais de cette nouvelle idolâtrie qu'on veut attribuer à l'Eglise romaine , de cette idolâtrie dont le vrai Dieu est le principal objet, où l'on reconnaît la création par un seul Dieu et la rédemption par un seul Jésus-Christ; quoiqu'elle soit d'un espèce si particulière, on n'en montre pas un seul trait dans saint Jean, qui néanmoins, à ce qu'on prétend, n'a écrit que pour la faire connaître.

 

IV. — Démonstration que saint Jean ne parle ni du Pape ni d'aucun pasteur de l'Eglise chrétienne. Vaines objections des ministres.

 

Peut-être qu'on trouvera plus clairement le caractère du Pape, c'est-à-dire celui d'un pasteur de l'Eglise, que celui de l'Eglise même. Et en effet, nous dit-on, il y a la seconde bête, qui est appelée un faux prophète (2); mais en cela on ne voit rien qui marque un caractère de christianisme : les païens ont leurs prophètes ; tout en est plein dans les philosophes, parmi les Egyptiens, dans Platon, dans Porphyre, dans Jamblique, dans tous les autres auteurs: on n'a qu'à voir les remarques sur le XIIIe chapitre de l’Apocalypse , pour y voir autant de l'histoire de ces faux prophètes qu'il en faut pour épuiser le sens de l’Apocalypse. Mais, dit-on, le faux prophète de l’Apocalypse « fait venir le feu du ciel (3) ; » donc, c'est le Pape. Pour moi, j'ai bien remarqué ce prestige dans les faux prophètes du paganisme, et j'en ai donné des exemples qu'on peut voir dans le Commentaire : mais où est ce feu du ciel que le Pape envoie ? C'est, dit-on, qu'il lance le foudre de l'excommunication. Si un feu allégorique suffit, quelle abondance en trouverai-je dans l'histoire du paganisme? Il n'y a donc jusqu'ici, dans les bêtes de l’Apocalypse, aucun caractère de chrétien ; et quand on y trouverait le pouvoir d'excommunier en termes formels, les ministres seraient donc aussi des antéchrists comme nous, puisqu'ils ne prétendent pas moins que leur excommunication

 

1 Voyez les notes sur les chap. XI, XIII, XVII. — 2 Apoc., XIII, 13; XVI, 13. — voyez les notes sur le chap. XIII, 13.

 

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prononcée selon l'Evangile, est une sentence venue du ciel et un feu spirituel qui dévore les méchants. Que si c'est là un caractère de l'Antéchrist, il en faudra venir aux indépendants et à l'oncle de M. Jurieu (1), qui soutient que la puissance d'excommunier, qu'on a conservée dans la réformation prétendue, était dès les premiers temps et dans l'Eglise romaine, la tyrannie antichrétienne qu'il fallait détruire. En un mot, quand on nous oppose la puissance d'excommunier, ou c'est l'abus, ou la chose même qu'on nous veut donner pour un caractère de faux pasteurs. Mais la chose est apostolique, et il n'y a dans saint Jean aucun mot qui marque l'abus.

 

V. — Que le mystère écrit sur le front de la prostituée, ne prouve point que ce soit une église chrétienne.

 

Mais, dit-on, la prostituée a écrit sur son front : Mystère (2); elle voudra donc qu'on la respecte comme une chose sacrée. Je le veux : qui ne sait aussi que Rome païenne voulait passer pour une ville sainte, consacrée dès son origine par des auspices éternels ? C'était, disait-on , par la puissante vertu de ses auspices divins, que la destinée de Rome avait été supérieure à celle des autres villes; c'est ce qui avait aveuglé Rrennus, ôté le sens à Annibal, effrayé Pyrrhus, en sorte qu'ils ne purent tenir Rome qu'ils avaient entre les mains. D'ailleurs ne connaît-on pas les mystères du paganisme, et en particulier ceux de Rome, ses augures, ses divinations, ses consécrations, ses cérémonies cachées, ses sacrifices ? On sait même que les mystères des païens étaient souvent une imitation de la véritable religion, et qu'en particulier les philosophes païens et Julien l'Apostat affectèrent quelque imitation du christianisme ; ce qui donne lieu à saint Jean d'attribuer à la bête « deux cornes semblables à celles de l'Agneau (3). » On n'a qu'à voir nos remarques sur cet endroit et sur le chapitre XIII de l’Apocalypse, pour y trouver clairement toute autre chose qu'une église chrétienne.

 

1 Fasc. Epist., an. 1676; Epit. à M. Allix, p. 145. — 2 Apoc., XVII, 5. — 3 Apoc., XIII, 11.

 

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VI. — Conte ridicule de Scaliger, méprisé par Drusius, protestant, et relevé par le ministre Jurieu.

 

Il ne faudrait pas ici se donner la peine de rapporter un conte qui court parmi les protestants, si leur déplorable crédulité ne leur faisait prendre pour vrai tout ce que leurs gens leur débitent. Les critiques d'Angleterre ont inséré parmi leurs remarques, « qu'un homme digne de foi avait raconté à M. de Montmorency étant à Rome, que la tiare pontificale avait écrit au frontal ces lettres d'or : Mysterium , mais qu'on avait changé cette inscription (1). » M. Jurieu relève cette historiette toute propre à tromper les simples, avec ces termes magnifiques : « Ce n'est pas sans une providence toute particulière que Dieu a permis qu'autrefois les papes portassent ce nom de mystère écrit sur leur mitre. Joseph Scaliger et divers autres ont attesté avoir vu de ces vieilles mitres sur lesquelles ce nom était écrit (2). » Ce ministre artificieux ajoute du sien, que Scaliger l'avait vu : on vient de voir que ce qu'il en écrit n'est qu'un ouï-dire de ouï-dire et sans aucun auteur certain. Drusius, auteur protestant, en est demeuré d'accord, et reconnaît que Scaliger en a parlé seulement sur la foi d'autrui : il fait même fort peu de cas de ce petit conte, dont il demande des preuves et un meilleur témoignage (3). On se tourmenterait en vain à le chercher : c'est un fait inventé en l'air; mais M. Jurieu ne veut rien perdre , et il trouve digne de foi tout ce qui fait, pour peu que ce soit, contre le Pape.

 

VII.— Sur le mot Lateinos; qu'il n'a rien de commun avec le Pape. Démonstration par saint Irénée, duquel il est pris.

 

Mais voici le grand dénouement : il est dans ce mot de Lateinos où saint Irénée , un si grand docteur et si voisin des apôtres, a trouvé le nombre fatal du nom de l'Antéchrist. Or Lateinos, visiblement, c'est le nom du Pape et de l'Eglise latine dont il est le pasteur. Voilà tout ce qu'on a pu trouver : mais voyons en peu de mots ce que c'est.

 

1 Critic. ad cap. XVII, 5, tom. VII, col., 858. — 2 Préj. lég., Iere part., ch. VII, 171. — 3 Critic. ad cap. XVII, 5, tom. VII, p. 857.

 

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C'est, dit-on, une ancienne tradition que l'Antéchrist serait Latin, et on la voit commencer dès le temps de saint Irénée. Mais premièrement on se trompe : car saint Irénée propose son mot Lateinos, non pas comme venu de la tradition, mais comme venu de sa conjecture particulière ; et nous avons vu (1), comme il dit en termes formels, qu'il n'y a point de tradition de ce nom mystique. Mais avouons, si l'on veut, la tradition du mot Lateinos; saint Irénée l'entend-il d'une église ? A-t-il seulement songé qu'il regardât l'Eglise latine ? Ecoutons : « Ce mot, Lateinos, convient fort à la prophétie de l'Antéchrist. » Pourquoi? « Parce que ceux qui règnent à présent sont les Latins. » Saint Irénée voulait donc parler de ceux qui régnaient de son temps , et ne pensait pas seulement à une église.

 

VIII. — Evidence de la démonstration précédente.

 

De là résulte ce raisonnement. Saint Jean a voulu donner à la bête qu'il nous a montrée, des caractères par où on la pourrait reconnaître : je le prouve. Il a voulu que l'on connût Rome ; il l'a si bien caractérisée , qu'il n'y a personne qui ne croie la voir dans sa situation par ses sept montagnes, et dans sa dignité par son empire sur tous les rois de la terre. S'il avait voulu marquer l'Eglise, il ne l'aurait pas désignée moins clairement : or dans toute son Apocalypse on ne trouve pas un seul mot qui marque la bête, ni la prostituée comme une église corrompue. Donc, démonstrativement, ce n'est pas là ce qu'il a voulu marquer.

 

IX. — Confirmation de cette preuve, parce que saint Jean a évité d'appeler du nom d'adultère la prostituée de son Apocalypse.

 

Loin de marquer la prostituée comme une église corrompue, nous avons montré clairement qu'il a pris des idées toutes contraires à celles-là, puisqu'au lieu de produire une Jérusalem infidèle, ou du moins une Samarie, autrefois partie du peuple saint, comme il aurait fait s'il avait voulu nous représenter une église corrompue, il nous propose une Babylone qui jamais n'a été nommée dans l'alliance de Dieu. Nous avons aussi remarqué (2)

 

1 Préf., 5, n.25. — 2 Préf., n. 9, 10.

 

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qu'il n'avait jamais donné à la prostituée le titre d'épouse infidèle ou répudiée, mais que partout il s'était servi du terme de fornication et de tous ceux qui revenaient au même sens. Je sais que ces mots se confondent quelquefois avec celui d'adultère ; mais le fort du raisonnement consiste en ce que, de propos délibéré, saint Jean évite toujours ce dernier mot, qui marquerait la foi violée, le mariage souillé et l'alliance rompue : tout au contraire de ce que Dieu fait en parlant de Juda et d'Israël, de Jérusalem et de Samarie, à qui il ne cesse de reprocher qu'elles sont des adultères, qui ont méprisé leur premier Epoux, en s'abandonnant aux dieux étrangers. C'est pourquoi il parle ainsi dans Ezéchiel ; «  Je t'ai, dit-il, introduite au lit nuptial : je t'ai engagé ma foi par serment : j'ai fait avec toi un contrat, et tu es devenue mienne; et cependant, poursuit-il, tu as prostitué ta beauté aux dieux étrangers : ainsi, conclut-il, je te jugerai du jugement dont on condamne les femmes adultères, parce que tu es du nombre de celles qui ont abandonné leur époux (1). » C'est ce que le même prophète répète en un autre endroit : «Samarie et Jérusalem, dit-il, sont des femmes adultères, et elles seront jugées comme on juge de telles femmes; elles seront lapidées (2) ; » qui est, comme on sait, le supplice des épouses infidèles, afin que rien ne manque à la figure. Mais qu'y a-t-il de plus clair que ce qu'il avait dit auparavant ? « Tu t'es bâti un lieu infâme, » c'est-à-dire un temple d'idoles ; « et tu n'y as pas été comme une femme publique qui se fait valoir en faisant la dédaigneuse, mais comme une femme adultère, qui reçoit des étrangers dans la couche de son époux (3). » Le Saint-Esprit a jugé cette image si propre à donner aux Juifs et aux chrétiens qui manqueraient à la foi promise à Dieu une juste horreur de leur infidélité, qu'il la met sans cesse à la bouche de tous ses prophètes ; car écoutez Jérémie : « Un mari ne recherche plus la femme qu'il a quittée et qui s'est donnée à un autre homme : tu t'es abandonnée à tes amans ; toutefois reviens à moi, je te recevrai. Viens me dire : Vous êtes celui à qui j'ai été donnée étant vierge (4). » Et dans une autre vision : « J'ai

 

1 Ezech., XVI, 8, 15, 31, 32, 38, 45. — 2 Ezech., XXIII, 37, 45, 47. — 3 Ezech., XVI, 31.— 4 Jerem., III, 1, 4.

 

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répudié la rebelle et l'infidèle Israël à cause de ses adultères , et je lui ai envoyé la lettre de divorce; mais l'infidèle Juda, sa sœur, n'a point profité de cet exemple, s'abandonnant elle-même à ses amans et commettant adultère avec les idoles de bois et de pierre. Revenez néanmoins, convertissez-vous, parce que je suis votre époux (1). » Isaïe n'en dit pas moins : « Quelles sont les lettres de divorce que j'ai envoyées à votre mère (2)? » Et Osée : « Jugez, jugez votre mère, parce qu'elle n'est plus ma femme, et je ne suis plus son mari ; qu'elle efface ses adultères (3). » Et un peu après : « Elle reviendra, et me dira : O mon cher époux (4). » Tout est plein d'expressions semblables dans les prophètes : mais j'en ai rapporté assez pour faire voir que le Saint-Esprit s'y plaît, parce qu'en effet il n'y en a point de plus propre à nous faire sentir l'horreur de nos prévarications contre Dieu, la justice de ses vengeances quand il nous punit, et l'excès de sa bonté quand il nous pardonne. Si donc la prostituée que saint Jean dépeint avec de si horribles couleurs, est une église infidèle, comme Jérusalem et Samarie, pourquoi évite-t-il si soigneusement de lui donner les mêmes titres ? Pourquoi Dieu ne marque-t-il en aucun endroit qu'il punit en elle la foi méprisée? Que ne lui reproche-t-il, comme à l'infidèle Jérusalem, « les joyaux » qu'il lui a donnés en l'épousant, « l'eau sainte dont il l'a lavée, et les immenses richesses dont il l'a dotée dans sa misère (5) ? » Saint Jean, à qui l'ange dit (6), comme on a vu (7), que pour écrire son Apocalypse, il a été rempli de l'esprit de tous les prophètes, et qui en effet emploie toutes leurs plus belles figures pour en montrer dans ce divin livre un parfait accomplissement : que n'a-t-il du moins une fois donné à la prostituée le nom de répudiée et d'adultère? Jésus-Christ avait bien appelé les Juifs, race mauvaise et adultère (8), les regardant comme un peuple qui violait l'alliance. Mais saint Jean évite exprès toutes les expressions semblables, comme nous l'avons démontré ; sa prostituée n'est jamais une épouse corrompue , comme le furent Samarie et Jérusalem ; elle n'est qu'une femme publique, et

 

1 Jerem., III, 8, 9, 14. — 2 Isa., L, 1. — 2 Ose., II, 2. — 4 Ibid., 16. — 5 Ezech., XVI, 9, 10 et seq. — 6 Apoc., XXII, 6. — 7 Voyez ci-dessus Préf., n. 1, 2. — 8 Matth., XII, 19; XVI, 4; Marc, VIII, 38.

 

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ne reçoit de reproches que ceux que nous avons vu1 qu'on faisait à une Tyr, à une Ninive, à une Babylone, à une Sodome, à une Egypte, tous peuples qui n'avaient jamais rien eu de commun avec le peuple de Dieu et n'avaient jamais été compris dans son alliance.

 

X. — Deux endroits de l’Apocalypse produits par les protestants, et leur inutilité.

 

Au défaut de ces grandes marques d'épouse infidèle que les ministres devraient montrer partout dans l’Apocalypse, et qu'ils ne montrent en aucun endroit, ils s'attachent à deux passages tournés d'une étrange sorte, le premier tiré du chapitre XI, et le second du chapitre XVIII.

Ils disent, donc premièrement, qu'il y a un parvis du temple qui sera livré aux Gentils, et qu'ils fouleront aux pieds la cité sainte. Cela, disent-ils, s'entend de l'Eglise considérée dans son extérieur (2); j'en conviens sans hésiter. Donc il y aura dans l'Eglise une nouvelle espèce de gentilité, qui en remplira les dehors, encore qu'elle ne pénètre pas jusqu'à l'intime , qui sont les élus. Où va-t-on prendre cette conséquence ? Où , dis-je, prend-on cette gentilité dont nous verrons dans la suite qu'on ne pourra donner la moindre marque ? Mais sans s'arrêter à ces chimères qu'on avance en l'air et sans preuve, ce que veut dire saint Jean n'est pas obscur (3) : c'est que les Gentils, les vrais Gentils que tout le monde connaît, les adorateurs des faux dieux, de Junon et de Jupiter , fouleront aux pieds tout l'extérieur de la vraie Eglise, en abattront les maisons sacrées, en affligeront les fidèles, en contraindront à l'apostasie les membres infirmes. Donc la société antichrétienne marquée dans l’Apocalypse, est une église ou il y aura des Gentils, et une nouvelle gentilité dont l'Ecriture ne dit pas un mot : où en est-on réduit quand on n'a que de telles preuves pour établir des prodiges si nouveaux ?

Celle qu'on tire de la Babylone de l’Apocalypse, dont le peuple

 

1 Préf., n. 9, 10. — 2 Julien, Accomp. des Prophéties, 1 part., chap. XI, p. 176  et suiv. ;   Lett.  XII, an. 3, p. 89, etc.  — 3 Voyez les notes sur le chap. XI, 1.

 

 

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de Dieu doit sortir (1), est de même genre. Le peuple de Dieu y est, j'en conviens, comme il était autrefois dans l'ancienne Babylone : donc c'est une église chrétienne qui renferme le peuple de Dieu dans sa communion. On ne sait plus d'où vient cette conséquence, ni à quel principe elle tient : il faut conclure tout le contraire , et dire que la Babylone de saint Jean est une Rome païenne qui, à l'exemple de l'ancienne Babylone, renfermait les enfants de Dieu dans son enceinte, non pas comme ses citoyens et comme ses membres, mais comme ses ennemis et ses captifs : de sorte que pour être mis en liberté, il en faut sortir, non pas comme on sort d'une église sans changer de place, en quittant sa communion ; mais comme on sort d'une ville , en cessant effectivement de demeurer renfermé dans ses murailles, qui nous tenaient lieu d'une prison. Voilà qui est clair ; mais je me réserve à dire encore aux ministres sur ce sujet des choses plus concluantes.

 

XI. — Autre objection ridicule sur un jeu de mots. Ce que c'est dans l’Apocalypse que vendre les âmes. Témoignage des savants protestants.

 

Voilà, de très-bonne foi, ce qu'on nous objecte pour montrer que la Babylone de l’Apocalypse est l'Eglise romaine: il y a néanmoins encore une objection, mais qui m'a presque échappé, tant elle est mince; c'est que dans le sac de la nouvelle Babylone, qui est décrit au XVIIIe chapitre de l’Apocalypse, on compte les âmes parmi les marchandises qu'on y achetait. Voici en effet comme les marchands déplorent la ruine de leur commerce dans la chute de cette ville opulente : « Personne, disent-ils, n'achètera plus ni les beaux ouvrages d'or et d'argent, ni les pierreries, ni les parfums, ni les chevaux, ni les carrosses, ni les esclaves, ni les âmes des hommes. » Dumoulin et les autres ministres veulent qu'on entende ici le trafic des âmes qu'ils font exercer à la Cour de Rome ; et le ministre Jurieu, qui n'ose insister sur une si misérable observation, ne veut pas qu'on la méprise tout à fait (2). Ces messieurs devraient du moins se souvenir que la Rome dont parle saint Jean est l'acheteuse; au lieu que celle dont ils nous parlent et à qui ils

 

1 Apoc., XVIII; Accomp. des Prophéties, Ière part., p. 269; Lett. XII.— 2 Accomp. des Prophéties, IIe part., chap. XII, p. 214

 

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attribuent ce sale commerce, est celle qui vend : si bien que pour entrer dans leur idée, saint Jean aurait dû dire que sa Babylone ne trouve plus de marchands à qui elle vende ses marchandises, et non pas, comme il fait, que les marchands ne la trouvent plus pour acheter les leurs. On voit donc bien que ces téméraires interprètes ne songent qu'à éblouir ceux qui lisent sans attention la sainte parole. Nous les avons renvoyés aux critiques et à la Synopse d'Angleterre (1), pour y être convaincus, par le témoignage des meilleurs auteurs protestants, que les âmes dont le débit cesse dans la chute de la Babylone de saint Jean, selon le style de l'Ecriture, ne sont autre chose que les hommes ; de sorte que tout le mystère, c'est que dans une ville comme Rome, où était l'abord de tout l'univers, on vendait chèrement avec les autres marchandises que saint Jean rapporte, tant les esclaves que les hommes libres, et que ce commerce cesserait par sa ruine ; par où cet apôtre continue à nous donner l'idée d'une grande ville qui périt, et non pas d'une église qu'on dissipe.

Ainsi la démonstration est complète de tout point en cette sorte : s'il y avait quelque chose à marquer bien expressément dans la Babylone de l’Apocalypse, c'est ce qu'elle aurait de plus particulier : or cela, dans le système des protestants, c'est qu'elle devait être une église chrétienne, et encore la principale : il n'y en a pas un mot dans l’Apocalypse. En parcourant tout ce qu'on a pu ramasser contre nous depuis cent ans, nous n'avons trouvé, ni dans les deux bêtes, ni dans la prostituée de saint Jean, aucun trait ni aucun vestige d'une église corrompue : mais au défaut de toutes preuves, on présente ensemble à des esprits prévenus la pourpre, la prostitution, les sept montagnes, le mystère et les autres choses dont le mélange confus éblouit de faibles yeux et fait mettre l'Eglise romaine, contre laquelle on est préoccupé, à la place de la ville de Rome que saint Jean avait en vue, comme celle qui de son temps et dans les siècles suivants tyranniserait les fidèles.

 

1 Voyez les notes sur ce passage.

 

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XII. — Réflexion sur ce qui vient d'être dit. On passe au second défaut du système des protestants, qui est de détruire tous les caractères marqués dans l’Apocalypse.

 

Vous qui vous laissez éblouir à de si vaines apparences et qui, à quelque prix que ce soit, voulez voir une église chrétienne dans la Babylone de saint Jean, sans que cet apôtre, qui l'a si bien caractérisée, vous en ait donné la moindre marque : mes chers frères, n'ouvrirez-vous jamais les yeux pour considérer jusqu'à quel point on abuse de votre crédulité? Vos ministres vous disent toujours : Lisez vous-mêmes, vous avez en main la sainte parole; vous n'avez qu'à voir si vous n'y trouverez pas tout ce que nous vous disons. C'est par cette trompeuse apparence qu'ils vous déçoivent; c'est par cet appas de liberté apparente qu'ils vous font croire tout ce qui leur plaît. L’Apocalypse vous en est un bel exemple : vous croyez y voir tout ce qu'ils vous disent, et le Pape vous y paroît de tous côtés ; mais vous ne vous apercevez pas qu'on vous a premièrement inspiré une haine aveugle contre l'Eglise romaine. Prévenus de cette haine, vous voyez tout ce qu'on veut : vos ministres n'ont plus à vous ménager ; et il n'y a rien de si grossier ni de si faux, qu'ils ne vous fassent passer pour des vérités capitales. N'épargnons pas nos soins pour rompre cette espèce d'enchantement, et tâchons de vous faire voir le second défaut de vos interprétations.

 

XIII. — Les chapitres XIII et XVII de l’Apocalypse : deux choses à considérer.

 

Je commence cet examen par le chapitre où de l'aveu des ministres, comme du nôtre, consiste le dénouement de la prophétie, c'est-à-dire le chapitre XVIIe conféré avec le XIIIe.

Il y a deux choses dans ces chapitres, les sept têtes et les dix cornes, où saint Jean explique lui-même qu'il faut entendre sept rois d'un côté et dix rois de l'autre (1). Voilà un fondement certain : mais les protestants ajoutent d'un commun accord que les sept rois signifient l'Empire romain dans tous ses états, et que les dix rois

 

1 Apoc., XVII, 9, 12.

 

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en représentent le démembrement et la chute, qui devait être le signal de la naissance de leur prétendu Antéchrist romain. Pour faire toucher au doigt combien leurs conjectures sont malheureuses, je n'aurais qu'à répéter ce que j'en ai dit ailleurs (1) : mais je veux aller plus avant. Il est vrai que dans un ouvrage comme celui des Variations, j'avais cru devoir seulement, en historien, marquer cinq ou six grands traits du système des protestants; mais ce peu que j'en avais dit pour le faire bien connaître était décisif; et ceux qui doutent encore qu'il y eût de quoi imposer silence au ministre Jurieu, le vont voir par ses réponses.

 

XIV. — Les sept têtes pour les sept formes de gouvernements. Première illusion des protestants.

 

Je commence par les sept rois ; c'est, dit-on, sept formes de gouvernement par lesquelles Rome a passé : les rois, les consuls, les dictateurs, les decemvirs, les tribuns militaires avec la puissance de consul, les empereurs et finalement les papes; voilà, dit-on, les sept rois ; et c'est de quoi tous les protestants conviennent d'un commun accord.

C'est déjà une bizarre imagination de prendre des rois pour des formes de gouvernement, et de compter parmi les rois de Rome les consuls qui les ont chassés : c'est ce que j'avais objecté dans l’Histoire des Variations (2); et le ministre n'en dit pas un mot dans sa XIIIe Lettre pastorale, où il entreprend expressément de répondre à ce que j'avais objecté sur les sept rois; mais il dissimule des choses bien plus pressantes. Je lui avais demandé (3) où il avait pris que des formes de gouvernement fussent des rois; quel exemple de l'Ecriture il en avait ; où il y trouvait qu'un roi fût autre chose qu'un homme seul en qui résidât la puissance souveraine, et en un mot un monarque; comment donc il pouvait penser que deux consuls, ou dix decemvirs et sept ou huit tribuns militaires fussent un roi; dans quel endroit de l'histoire sainte, dans quelle figure des prophètes il avait trouvé une façon de parler si bizarre et si nouvelle. Il sait bien en sa conscience qu'il n'en a aucun exemple : aussi ne se défend-il de cette objection que par

 

1 Hist. des Var., liv. XIII, n. 32 et suiv. — 2 Ibid., n. 32. — 3 Ibid.

 

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le silence. J'avais fait plus : non content de lui faire voir que dans toute l'Ecriture il n'y avait rien de semblable à ce qu'il prétendait, je lui avais montré tout le contraire au même lieu de l’Apocalypse dont il s'agissait, en lui proposant un raisonnement qui se réduit à cette forme. Dans le chapitre XVII de l'Apocalypse qui est celui dont nous disputons, les sept rois du verset 9 sont des rois de même nature que les dix rois du verset 12. Or ces dix rois sont de vrais rois, comme on en demeure d'accord, et non pas indéfiniment toute forme de gouvernement. Les sept rois sont donc aussi des rois véritables et pris à la lettre, et ce serait tout brouiller que de prendre les rois en trois versets dans des significations si

opposées.

Tout cela était compris manifestement dans cette demande des Variations : « Pourquoi les sept rois du verset 9 sont-ils si différents des dix rois du verset 12, qui constamment sont dix vrais rois, et non pas dix sortes de gouvernement (1) ?» Je ne pouvais mieux établir le style del’Apocalypse que par l’Apocalypse même, ni le sens d'un verset qu'en le conférant avec un autre verset qui suit de si près celui dont il s'agit. Il fallait donc du moins dire quelque chose sur un passage si précis et si clairement objecté : mais le ministre se tait, et il croit satisfaire à tout en disant au commencement que mes preuves sont « si pitoyables, qu'il » croit que j'ai voulu « trahir ma cause (2); » pendant qu'il les sent si fortes, qu'il n'a osé seulement les faire envisager à son lecteur.

Mais après avoir vu ce qu'il a tu, voyons du moins s'il réussit dans ce qu'il a dit. De toutes mes objections sur les sept formes de gouvernement (3), il ne répond qu'à celle-ci : « Si saint Jean a voulu marquer tous les noms de la suprême puissance parmi les Romains, pourquoi avoir oublié les triumvirs? N'eurent-ils pas pour le moins autant de puissance que les decemvirs? Que si l'on dit qu'elle fut trop courte pour être comptée, pourquoi celle des decemvirs, qui ne dura que deux ans, le sera-t-elle plutôt? » Puisque c'est ici la seule objection qu'il choisit pour y répondre, c'est celle où il se sent le plus fort : mais écoutons ce qu'il dit : C'est que saint Jean ne parle point des triumvirs, « parce que les triumvirs doivent

 

1 Hist. des Var., liv. XIII, n. 32. — 2 Lett. XIII. — 3 Var., Ibid.

 

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être rapportés à la dictature perpétuelle. Et en effet, poursuit-il, le triumvirat d'Auguste, de Lépide et d'Antoine fit partie de la dictature perpétuelle établie par Sylla et par César. La république ne fut érigée en forme d'empire qu'après le triumvirat ; car quand nous mettons les dictateurs pour l'un des gouvernements, nous n'entendons pas cette dictature extraordinaire qui ne durait quelquefois qu'un mois ou deux, et même beaucoup moins. Nous entendons ici cette dictature perpétuelle qui fut érigée par Sylla, et qui continua jusqu'à l'empire d'Auguste. Le triumvirat fut la fin de cette dictature perpétuelle, et ne fut rien autre chose que la dictature divisée et posée sur trois têtes (1). » On ne peut pas brouiller davantage l'idée des choses. Si ce ministre avait consulté M. Graevius, ou quelqu'autre de ces savants hommes qui ont cultivé les belles-lettres, il n'aurait pas dit que Sylla avait érigé la dictature perpétuelle, comme si cette magistrature fût devenue de son temps ordinaire à Rome; ce ne fut qu'un pouvoir extraordinaire donné à Sylla, qui devait expirer avec sa vie. Après qu'il l'eut abdiqué, comme il fit au bout de trois ou quatre ans, le consulat reprit le dessus trente ans durant; de sorte qu'il n'y a rien de plus contraire à l'histoire, que de faire continuer ce gouvernement jusqu'aux empereurs. Il est vrai qu'après ces trente ans la dictature perpétuelle fut donnée à César, qui en jouit cinq ou six ans, et le triumvirat suivit de près. Mais il ne fut jamais établi pour être perpétuel, puisqu'il ne devait durer que cinq ans : de sorte qu'il n'y avait rien de plus éloigné de la dictature perpétuelle; et cette charge tenait plus du consulat que de la dictature, puisque même la dictature avait été abolie à jamais en haine de la tyrannie de César, et qu'on donna aux triumvirs la puissance consulaire : le nom même de triumvirs répugnait à la dictature, cette dernière magistrature n'étant autre chose qu'une parfaite monarchie, c'est-à-dire la souveraine puissance sans restriction dans un seul homme : de sorte que de regarder avec M. Jurieu le triumvirat comme « une dictature divisée et posée sur trois têtes, » c'est renverser la notion de cette charge. Parla même raison, on pourrait dire que le décemvirat n'était aussi qu'une dictature posée

 

1 Lett. XIII, p. 100, col. 1. — 2. Ibid.

 

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sur dix têtes : on pourrait dire que la puissance des tribuns militaires, qui n'était en effet que la consulaire, d'où vient qu'on les appelait tribuni militum consulari potestate, n'était que le consulat posé sur quatre ou sur six têtes, au lieu qu'auparavant il ne l'était que sur deux. Ainsi les tribuns militaires, qui en effet ne, sont que des consuls multipliés, feraient encore moins un état à part et une forme particulière de gouvernement que les triumvirs bien plus, les empereurs mêmes, qu'on nous donne pour si distingués des dictateurs, n'étaient en effet que des dictateurs perpétuels, c'est-à-dire, sous un autre nom, des monarques absolus. Ainsi ce nombre de sept si précis, selon M. Jurieu (1), pour distinguer les états de Rome, ne l'est point du tout : si on regarde les noms, il y en a plus de sept; si on regarde les choses, il y en a moins : c'est un nombre fait à plaisir, et tout le système protestant tombe à terre par ce seul défaut.

Quel opprobre du christianisme et de la sainte parole, de faire représentera saint Jean tout l'Etat de Rome avec tant de confusion et de si fausses idées ! Mais, dit M. Jurieu, si saint Jean n'a pas voulu poser dans Rome ces sept formes de gouvernement, on ne sait plus ce qu'il veut dire par ses sept têtes ni par ses sept rois (2). Quoi ! parce que les protestants ne savent plus où ils en sont sans ces sept états de Rome, il faudra que saint Jean ait dit toutes les absurdités qu'il leur aura plu de lui attribuer ! Mais qui a dit à M. Jurieu que saint Jean ait voulu représenter tout l'Etat de Rome? Nous lui ferons bientôt voir le contraire par lui-même. Qui lui a dit que ce saint apôtre, dans un si grand nombre d'empereurs , n'en ait pas voulu choisir sept à qui convienne cet endroit de sa prophétie ; ou bien qu'il n'ait pas voulu désigner un certain temps où il y ait eu en effet sept empereurs sous qui l'Eglise ait souffert? Que si tous ses dénouements, qui ont contente d'autres interprètes, ne lui plaisaient pas , ne valait-il pas mieux avouer qu'on n'entendait pas un passage obscur, que de n'y trouver de sortie qu'en faisant dire des extravagances à un prophète ?

 

1 Lett. XIII, p. 100, col. 1. — 2 Ibid.

 

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XV. — Incertitude des protestants et renversement prodigieux de l'histoire dans leur système.

 

J'avais encore objecté aux protestants leur incertitude sur la naissance de l'Antéchrist. Crépin le faisait naître vers le temps de Grégoire VII ; Dumoulin remontoir de quelques siècles , et le faisait commencer vers l'an 755 (1). On verra que cette opinion ne s'accorde guère avec les principes de la Réforme, qui demandent que l'Antéchrist naisse dans le temps que l'Empire romain se démembre : mais c'est qu'on n'osait pas remonter plus haut, et on respectait le temps de saint Grégoire, loin de porter ses attentats jusque sur saint Léon : c'est pourquoi d'autres protestants mettaient l'Antéchrist naissant un peu après saint Grégoire, sous Boniface III, à cause, à ce qu'on prétend, quoique sans preuve, qu'il se dit évêque universel. M. Jurieu, plus hardi que tous les autres, remonte jusqu'à saint Grégoire dans ses Préjugés légitimes (2), et même jusqu'à saint Léon dans son Accomplissement des prophéties. Nous avons vu (3) que rien n'empêchait qu'on ne remontât jusqu'à saint Innocent, n'était que les mille deux cent soixante ans qu'il faut donner nécessairement au règne de l'Antéchrist , seraient écoulés, et l'imposture confondue par l'expérience. Voilà ce qui a sauvé saint Innocent; car tout le reste lui convenait aussi bien qu'à saint Léon, et l'audace ne manquait pas à notre interprète.

Il compte pour rien ces variations, et il croit tout sauver en répondant que le Pape n'en est pas moins l'Antéchrist (4), quoiqu'on ne convienne pas du temps où il commence de l'être; il fait semblant de ne pas voir la difficulté. Si les marques de l'Antéchrist sont aussi éclatantes qu'on le prétend dans la Réforme, elles doivent être reconnues, et par manière de dire sauter aux yeux lorsque Dieu les fait paraître. Encore si la différence n'était que de peu d'années, on pourrait dire qu'il faudrait quelque temps à l'Antéchrist pour se déclarer : mais elle est au moins de trois cents ans ; il y en a autant bien comptés de 455 où commence M. Jurieu,

 

1 Accomp. des Prophéties, chap. IV, p. 215. — 2 Préj., I part., p. 83, etc. — 3 Var., liv. XIII, D. 22, 29. — 4 Lett. XIII, p. 96, 97.

 

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jusqu'à 755 où commence Dumoulin; des 755 de Dumoulin jusqu'au temps de Grégoire VII, il y en a encore autant : ainsi depuis le cinquième siècle jusqu'à l'onzième, il y a six cents ans dans le cours desquels les interprètes protestants se jouent pour trouver leur Antéchrist prétendu, c'est-à-dire qu'on n'y voit rien. Que le Pape soit l'Antéchrist, c'est une idée que la haine inspire et qu'on suit dans tout le parti; mais on n'a aucune marque pour le reconnaître.

Qu'ainsi ne soit. Ecoutons M. Jurieu sur les causes qui ont empêché d'en établir la naissance dans saint Léon : « C'est, dit-il, qu'on n'avait pas fait jusqu'ici assez d'attention sur ce passage de saint Paul : « Quand celui qui tient, » c'est-à-dire, l'Empire romain , « sera aboli, alors le méchant sera révélé ; » ni à cet autre de saint Jean : « Les dix rois prendront puissance avec la bête ; » passages que les protestants ne cessent de faire valoir depuis cent ans dans toutes leurs disputes et dans tous leurs livres ; et cependant M. Jurieu nous assure que «jusqu'ici on n'y avait pas fait assez d'attention. » Car, poursuit-il, « on y aurait vu bien nettement que l'on doit compter les ans de l'Antéchrist, du temps auquel l'Empire romain a été aboli et démembré en dix royaumes (1), » c'est-à-dire au cinquième siècle. Mais si la chose est si nette, comment les protestants ne l'ont-ils pas vue depuis tant d'années? Tous sont d'accord avec M. Jurieu que l'Antéchrist doit prendre naissance dans le démembrement de l'Empire : ils savent tous aussi bien que lui que l'Empire a été démembré au cinquième siècle : d'où vient donc qu'ils ont hésité à faire naître l'Antéchrist en saint Léon, si se n'est qu'ils gardaient encore quelque mesure avec la sainte antiquité et qu'ils n'étaient point parvenus à un si haut point d'audace ?

Mais ce qui fait voir clairement qu'il n'y a là aucun fond, c est que tout s'y dément à l'œil. Il est plus clair que le jour que saint Léon et ses successeurs, loin de changer pour peu que ce soit la forme du gouvernement de Rome, n'ont pas seulement songé à s'y attribuer la puissance temporelle; et afin que M. Jurieu ne nous dise pas, selon sa coutume, que les Papes commencèrent

 

1 Lett. XIII, 98.

 

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alors à s'établir, ou que ce fût là, comme il parle, l'enfance du gouvernement papal, je maintiens que durant ce temps, et plus de trois cents ans durant, on ne voit dans la Papauté aucun trait de puissance politique : les Papes demeurent sujets des empereurs ou des Hérules et des Ostrogoths qui régnaient dans Rome, pour ne point parler des empereurs français et allemands. La forme du gouvernement ne fut donc point changée à Rome par saint Léon et les autres Papes, ni au temps du démembrement de l'Empire , ni plus de trois cents ans après : par conséquent la septième tête qu'on fait commencer alors, n'est pas une forme de gouvernement. Que si l'on voulait compter, pour septième gouvernement, le gouvernement spirituel qu'il faudrait dire que saint Léon se voulut attribuer alors, outre qu'il est bien certain que Rome, pour le spirituel, ne déféra pas plus à saint Léon qu'elle avait fait à ses prédécesseurs, on irait contre le système , puisqu'on y regarde la bête à sept têtes au XIIIe et au XVIIe chapitre comme un empire mondain (1), et la septième tête de la bête comme une septième forme du gouvernement politique, continuée avec la sixième, qui est celle des empereurs ; joint qu'il serait ridicule que saint Jean ayant entrepris de conduire la description de l'état temporel de Rome durant six gouvernements consécutifs , le laissât là tout d'un coup pour passer au spirituel, et encore sans en avertir ni nous en donner la moindre marque. Ainsi la septième tête, qu'on veut faire commencer à saint Léon, n'est ni un gouvernement politique, ni un gouvernement spirituel. Ce n'est non plus un gouvernement mêlé du spirituel et du temporel, puisque toujours il faudrait conclure, ou que saint Léon aurait été prince temporel, contre toutes les histoires, ou que ce ne serait pas en lui qu'aurait commencé la septième tête.

 

XVI. — Renversement de tout le système, démontré par un seul mot de l’Apocalypse.

 

Mais quand à force de s'être entêté de la beauté du système, on aurait dévoré ces inconvénients ; quand on aurait par force plié son esprit à prendre des formes de gouvernement pour des rois, et

 

1 Préj. lég., 1ère part., p. 102.

 

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qu'on s'opiniâtrerait contre la vérité de l'histoire à soutenir que l'Antéchrist saint Léon aurait du moins commencé à changer le gouvernement de Rome : voici un mot de saint Jean qui va tout foudroyer par un seul coup. Car enfin le septième roi, qui n'était pas encore venu de son temps, qui selon les protestants devait venir en 455, au démembrement de l'Empire ou, si l'on veut en 600, plus ou moins, en un mot, le Pape Antéchrist : « Quand il viendra, dit saint Jean, il ne doit subsister qu'un peu de temps, » chapitre XVII, verset 10. C'est le caractère que saint Jean lui donne ; et il ajoute au verset suivant : « Il va à sa perte, » il n'a qu'un moment de durée , et ne paraît que pour disparaître aussitôt après, verset 11. Or le Pape dure encore, et sa durée, selon le système , doit être de douze cents ans ; donc il est plus clair que le jour qu'il ne s'agit pas ici du Pape.

 

XVII. — Illusion des ministres sur la courte durée de la septième tête.

 

Les ministres se moquent de nous trop grossièrement, lorsqu'ils allèguent ici (1) ces beaux passages où il est dit que « mille ans devant Dieu ne sont qu'un jour (2) : » car il ne faut pas être grand prophète pour deviner de cette sorte. Ce ne sont pas les prophètes du Seigneur; ce n'est pas un saint Jean qui prévoit ainsi ce que tout le monde sait comme lui. Il ne s'agissait pas de comparer la durée du septième roi avec l'éternité de Dieu, devant qui tous les siècles sont moins qu'un moment ; il s'agissait de la comparer avec la durée des autres rois et des autres gouvernements, parmi lesquels il y en avait, comme on vient de voir, qui n'avaient duré que deux ans. Mais quand on voudrait comparer tous les six gouvernements ensemble avec celui de la Papauté, il se trouverait que le dernier, à qui on donne la brièveté pour caractère, « devait lui seul durer autant et plus que tous les autres ensemble, » comme le ministre l'avoues : et la preuve en est évidente , puisqu'on donne, comme on a vu, douze cent soixante ans à ce nouveau gouvernement, et que toute la durée de Rome, depuis sa fondation jusqu'à la chute de son empire, n'en a pas tant.

 

1 P. 5, 99, 4. — 2 II Petr., m, 8. — 3 Accomp., 1ère part., chap. I, p. II.

 

 

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XVIII. — Réponses des ministres Dumoulin et Jurieu; et manifeste corruption du texte sacré.

 

On sera bien aise de voir ce qu'ont ici répondu les deux ministres dont le parti protestant suit maintenant les lumières, je veux dire le ministre Dumoulin et le ministre Jurieu. Le premier a bien senti le ridicule du dénouement de l'éternité, auprès de laquelle tout est court (1) ; mais après tout il sait trancher ce qu'il ne peut résoudre. Au lieu que saint Jean dit mot à mot du septième roi, c'est-à-dire, selon les ministres, de la septième forme de gouvernement, que « lorsqu'il sera venu, il faut qu'il demeure peu, » oligon. Genève avoit adouci ce peu si tranchant, en traduisant, « pour un peu de temps; » et Dumoulin avait encore adouci en paraphrasant, que ce septième « roi devait demeurer quelque temps (2); » ce qui, ce semble, lui prolongerait un peu plus sa vie que saint Jean, qui le fait passer aussi vite qu'on le vient de voir : mais comme cela ne cadre pas encore assez juste, et qu'il ne suffit pas, pour un si durable gouvernement, de dire qu'il « demeurera quelque temps, » le ministre tranche le mot, et voici comme il interprète le peu de saint Jean (3) : « Et quand le septième gouvernement, » qui est celui du Pape, a sera venu, il faut qu'il dure un peu plus de temps que les autres : » tout au contraire de saint Jean, qui en comparant le septième roi avec les autres, lui donne en partage la courte durée ; celui-ci le fait durer un peu plus de temps que tous les autres ensemble. Voilà ce qu'est devenu entre les mains des ministres cet oligon de saint Jean, qui passe si vite; et il n'y a rien à ce prix qu'on ne trouve, ou qu'on ne mette dans l'Apocalypse.

M. Jurieu n'ose se tenir à cette pitoyable interprétation, qui n'est qu'une corruption manifeste du texte sacré : voyons si ce qu'il invente après tous les autres vaudra mieux. « Quand la septième tète sera venue, il faut qu'elle demeure pour un peu de temps; » c'est-à-dire, selon ce ministre, « il faut qu'elle demeure pour un long temps réel, mais pour un petit temps

 

1 Dumoulin, Accomplissement des Prophéties, p. 265. — 2 P. 267. — 3 P. 284.

 

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prophétique (1). » Merveilleuse interprétation! pour un peu de temps c'est-à-dire, pour un long temps! Mais je lui impose, dira-t-il- il ne dit pas absolument que peu de temps c'est un long temps ; il dit que c'est un long temps réel. Je l'avoue, et c'est par là que je prétends que ce peu de temps est d'autant plus absolument un long temps, qu'il est, selon le ministre, un long temps réel ; et selon le même ministre, un temps qui n'est court qu'à cause de la manière figurée dont il prétend qu'on l'explique : mais poursuivons , et de peur qu'il ne nous accuse de lui imposer, rapportons de suite toutes ses paroles. Le peu de temps de saint Jean, c'est « un long temps réel, mais un petit temps prophétique ; car sa durée est marquée à quarante-deux mois, à douze cent soixante jours, c'est-à-dire trois ans et demi ; ce qui est un petit temps dans le style prophétique, selon lequel les siècles ne sont que comme des jours (2). » Mais quel temps ne sera pas court en ce sens? et pourquoi la durée de la septième tête sera-t-elle caractérisée par sa rapide brièveté, si toutes les autres têtes, à l'entendre dans le même sens, passent encore plus vite, puisqu'enfin elles occupent moins de temps réel ? C'est ce qu'il fallait expliquer : mais c'est à quoi le ministre ne songe seulement pas, parce qu'il y trouverait sa confusion trop manifeste ; car écoutons ce qu'il ajoute : c'est que « le Seigneur, dès le temps de saint Jean, dit : Je viens bientôt, quoique son avènement fût éloigné de près de deux mille ans. » Ce docteur n'ignore rien; il sait dans quel temps précis doit venir le Fils de Dieu, c'est-à-dire qu'il sait ce que « les anges ne savent pas, » ce que « le Fils de l'homme » lui-même a bien voulu dire « qu'il ignorait (3) ; » pour faire entendre à ses apôtres qu'il leur cachait et à son Eglise cette connaissance ; mais laissons-lui étaler sa vaine science, et venons à notre fait. Jésus-Christ a dit dans l’Apocalypse qu'il viendrait bientôt : en effet, il viendra bientôt pour chacun de nous, parce que le terme de notre vie, qui est celui où il vient pour nous, est bien court ; et quand il faudrait entendre : Je viendrai bientôt, par rapport à l'avènement général et dernier, le ministre ne comprendra-t-il

 

1 Préj. légit., 1ère part., chap. VII, p. 124.— 2 Ibid.— 3 Matth., XXIV, 36; Marc, XIII, 32.

 

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jamais que Jésus-Christ, quand il parle, peut bien dire que devant lui, et par rapport à l'éternité qui lui est toujours présente, tout est court ; mais que cette façon de parler, qui abrège également tous les temps, n'est pas celle que l'on emploie lorsqu'on veut les caractériser en particulier? Continuons : « Ce temps, qui prophétiquement et figurément parlant était très-court, parce qu'il n'était que de trois ans et demi prophétiques, devait être par égard aux hommes, fort long, puisqu'il devait être de douze cent soixante ans. » Avouons qu'on ne s'entend guère soi-même, quand on se jette dans de telles ambiguïtés, et qu'on se charge inutilement de tant de paroles. Ce que veut dire le ministre, c'est que ce temps, qui figurément est fort court, est en effet, à le bien entendre et à prendre l'esprit de la prophétie, non-seulement long, mais encore fort long : de sorte que le saint apôtre, qui l'appelle court absolument, parle dans le sens de ceux qui l'entendront mal, et non par rapport à la vérité selon laquelle il est fort long. Qui vit jamais de tels embarras? et n'est-ce pas montrer à saint Jean qu'il ne s'entend pas lui-même, puisqu'il appelle peu de temps un temps qui en effet est très-long, mais que les ignorants seuls prendront pour très-court?

Après cela le ministre s'applaudit encore : « Et c'est, dit-il, une chose extrêmement remarquable, que Dieu ait divisé la durée de Rome en deux périodes, environ de douze cent soixante ans chacune; en  sorte qu'autant  de temps qu'avait   duré  Rome païenne, autant doive durer Rome antichrétienne. » Voilà les belles remarques dont on amuse les simples, qui cependant n'aperçoivent pas qu'en divisant en sept parts l'histoire de Rome, celle qu'on fait appeler courte par saint Jean est celle qui constamment , et de l'aveu du ministre, a seule duré autant, et plus même, comme on vient de voir (1), que toutes les autres ensemble. Mais pourquoi disputerais-je ici davantage contre une si déplorable interprétation, puisque le ministre même l'abandonne dans sa lettre XIIIe ? C'est lui qui nous vient de dire : « Quand cette septième tête, » qui est aussi le septième roi, « sera venue, il faut qu'elle demeure pour un peu de temps : » maintenant il dit tout

 

1 Sup., n. 17.

 

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le contraire. « Nous répondons, dit-il, que ces paroles : Il faut qu'il subsiste peu, ne se doivent pas rapporter à la septième tête mais à celui que saint Jean appelle le huitième roi (1). » Voici un nouveau dénouement : tout à l'heure c'était, selon lui, la septième tête qui demeurait peu, et il se tourmentait à expliquer comment lui convenait cette courte durée; maintenant ce n'est plus la septième tête : ce n'est donc plus par conséquent le septième roi puisque ce septième roi c'était, selon saint Jean, la septième tête: « Les sept têtes, dit-il, sont sept montagnes et sept rois : cinq sont tombés; l'un est, et le septième n'est pas encore ; et quand il sera venu, il faut qu'il subsiste peu (2). » C'est donc le septième roi qui subsiste peu ; par conséquent la septième tête, puisque les sept têtes sont sept rois ; et le ministre ne se dément lui-même que pour démentir saint Jean encore plus ouvertement.

Voilà comme est traitée la parole sainte par ceux qui ne cessent de nous vanter qu'elle est leur règle; voilà comme ils développent les prophéties, et comme ils trompent un peuple crédule. Le charitable lecteur me plaint, je le sais, d'avoir à réfuter sérieusement ces absurdités : mais la charité de Jésus-Christ nous y contraint et il faut voir si en travaillant à lever les difficultés dont on embarrasse nos malheureux frères, nous en pourrons sauver quelques-uns.

Ecoutons donc avec patience tout ce que dit le ministre : « Celui, dit-il (3), qui doit subsister peu n'est pas la septième tête, » mais c'est celui « que saint Jean appelle le huitième roi (4). La bête qui était, dit-il, qui n'est plus, est aussi le huitième roi. » Le ministre veut embrouiller la matière ; car, je vous prie, à quoi sert ici ce huitième roi dont saint Jean ne parle pas dans le verset dont il s'agit? « Ce huitième roi, dit saint Jean (5), est un des sept; » c'est-à-dire, comme nous l'avons expliqué, qu'il y a un de ces sept rois qui revient deux fois, et qui pour cela étant le huitième, ne laisse pas d'ailleurs d'être un des sept : mais ce roi, quel qu'il puisse être, ne sert de rien au septième dont nous parlons, puisque saint Jean ne dit pas qu'il soit le septième, mais seulement un des sept; et quoi qu'il en soit, s'il est aussi le septième, il sera donc malgré

 

1 Lett. XIII, p. 100. — 2 Apoc., XVII, 9, 10. — 3 Lett. XIII, p. 100. — 4 Apoc., XVII, 11. — 5 Voyez explic., chap. XVII, 11.

 

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le ministre celui qui durera peu, et dont il faudrait pouvoir prolonger la vie pour soutenir le système. Non, dit M. Jurieu, « ce huitième roi se fait par la division des empereurs qui se coupent en deux, empereurs païens et empereurs chrétiens; et c'est cette dernière moitié de tête qui devait subsister peu. » Il se trouble ; ces empereurs, soit païens, soit chrétiens, appartiennent au sixième roi, et à la sixième tête : qu'il compte bien ; les  six premiers rois du système protestant sont les rois de Rome, ses consuls, ses décemvirs, ses dictateurs, ses tribuns, ses empereurs. Ces empereurs sont donc le sixième roi ou, ce qui est la même chose, la sixième tête : or ce n'est pas du sixième roi, mais distinctement du septième, que saint Jean a dit qu'il dure peu. Il ne parle donc en aucune sorte ni des empereurs païens, ni des empereurs chrétiens , soit qu'ils durent peu ou beaucoup ; mais il parle du septième roi, qui, selon les protestants, est le Pape, dont l'empire doit durer peu, quoiqu'il dure douze cent soixante ans. Je ne sais plus quand il est permis de dire à un homme qu'il s'égare et je ne sais plus comment on revient de son égarement, si ce n'est lorsqu'il est si visible : cependant les peuples écoutent ces faux pasteurs qui, comme disait Ezéchiel, « leur gâtent leurs aliments, » c'est-à-dire la sainte parole, « en les foulant aux pieds, » de peur qu'ils ne se nourrissent, « et qui leur troublent l'eau » afin qu'ils ne boivent rien de pur (1).

 

XIX. — Blasphème du ministre Jurieu.

 

Ce qui passe toute croyance, c'est qu'un homme qui visiblement ne sait plus où il en est; qui pour parler très-modérément, ne va qu'à tâtons dans cette matière, pour ne pas dire qu'il choppe à chaque pas, ose encore nous assurer que les oracles des anciens prophètes sur Jésus-Christ ne sont pas plus clairs que ceux qu'il produit pour montrer que le Pape est l'Antéchrist. C'est ce qu'il n'a pas de honte d'avoir écrit tout nouvellement, et en sa dernière Lettre pastorale (2); et je ne m'en étonne pas, puisque je me souviens très-certainement d'avoir lu dans son Accomplissement des prophéties, quoiqu'à présent je n'aie pas le lieu sous ma main,

 

1 Ezech., XXXIV, 18, 19.— 2 Lett. XII, p. 92, col. 2.

 

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que le chapitre lui d'Isaïe, où tous les chrétiens ont cru jusqu'ici voir Jésus-Christ aussi clairement que dans les quatre évangiles n'est pas plus formel en sa faveur que ne le sont les passages qu'il produit pour établir sa prétendue Rome antichrétienne. Je ne crois pas qu'il y ait un chrétien qui ne frémisse à un tel blasphème. Mais afin que rien n'y manquât, le ministre ajoute ces mots : « Il est certain que les chicanes des Juifs contre nos oracles sont beaucoup plus apparentes que celles des papistes, des faux protestants et des libertins, contre les oracles qui dépeignent le papisme et le Pape sous les termes de Babylone et de l'homme de péché (1). » Voilà, mes frères, les enthousiasmes de votre prophète, voilà comme il vous apprend à reconnaître Jésus-Christ dans les prophéties, voilà comme il justifie les Juifs; et quoiqu'il avoue que des protestants qu'il appelle faux , mais qui sont aussi bien que lui dans la communion des églises protestantes, ne veulent pas reconnaître son prétendu Antéchrist ; il soutient qu'il est prédit aussi clairement que Jésus-Christ même, tant il est vrai que sa haine l'emporte sur sa foi, et qu'il a plus d'aversion pour le Pape que d'attachement à Jésus-Christ.

 

XX. — Que les protestants font dire à saint Jean sur les sept gouvernements de Rome des choses, non-seulement peu convenables, mais encore visiblement fausses.

 

Avant que de sortir des sept rois, je demande encore aux ministres ce que font à l’Apocalypse et à la persécution de l'Eglise, les sept gouvernements de Rome, dont cinq avaient précédé la naissance du christianisme. C'est, dit-on, que saint Jean voulait décrire tout l'état de Rome que Tacite, au commencement de ses Annales, avait réduit à six gouvernements ; à quoi, pour ne rien oublier, saint Jean ajoute le septième, qui est le papal. Mais, je vous prie, qu'avait à faire saint Jean de nous décrire curieusement tout l'état de Rome (1), et à quoi bon ici copier Tacite ? Saint Jean n'était pas un historien qui voulût décrire ce qui s'était passé devant lui, mais un prophète qui allait nous représenter ce que Rome devait faire ou souffrir dans la suite. Il est vrai qu'il nous

 

1 Lett. XII, p. 92, col. 2.

 

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veut montrer cette grande ville, mais il nous la veut montrer comme persécutrice des saints et comme enivrée du sang des martyrs de Jésus (1). Que servaient ici les consuls , et les dictateurs, et les rois de Rome, et ses décemvirs, et ses tribuns militaires? C'était, dira-t-on peut-être, pour mieux faire connaître Rome. Mais elle était assez marquée par ses sept montagnes, par sa domination sur toute la terre et par ses violences contre les saints qu'elle a si longtemps tyrannisés. Que si enfin saint Jean voulait faire voir qu'il connaissait parfaitement l'état de Rome, pourquoi donc n'a-t-il pas marqué dans le sixième gouvernement, qui était celui des empereurs, qu'il serait un jour chrétien ? Pourquoi mettre des noms de blasphème également sur les sept têtes? Qu'on en mette, à la bonne heure, sur les rois de Rome , sur ses consuls, sur ses dictateurs, qui tous étaient idolâtres, quoique les blasphèmes de la bête regardent principalement ceux qu'elle vomis-soit contre l'Eglise, contre le tabernacle de Dieu et contre les saints qui y habitent (2); ce que n'ont pas fait les consuls ni les dictateurs qui ne les connaissaient pas. Mais pourquoi mettre encore des noms de blasphème sur la sixième tête comme sur les autres, c'est-à-dire sur les empereurs? Saint Jean ignorait-il que ces empereurs se convertiraient et que de trois à quatre cents ans qu'ils devaient durer depuis le temps de sa prophétie, il y en avait près de cent cinquante qu'ils devaient être chrétiens ? Cependant saint Jean les fait tous également blasphémateurs, sans épargner ni les Constantins, ni les Théodoses. Et les protestants ne s'aperçoivent pas des effroyables ténèbres qu'ils répandent sur sa prophétie, et des contradictions dont elle serait convaincue selon leur système.

Mais voici bien plus : saint Jean veut si peu parler de Rome dans les états qui ont précédé son Apocalypse, qu'au contraire il dit expressément que la bête dont il parlait devait venir : « La bête que vous avez vue, dit-il, doit s'élever de l'abîme (3). » Elle ne s'en était donc pas encore élevée. En effet, saint Jean l'en voit sortir : « Je vis, dit-il, une bête qui s'élevait de la mer (4), » et il assiste à la sortie. M. Jurieu en convient lui-même; et en parlant de la bête à sept têtes, « elle était à venir, dit-il, puisqu'elle

 

1 Apoc., XVII, 6. — 2 Apoc., XIII, 6. — 3 Apoc., XVII, 8.— 4 Apoc., XIII, 1.

 

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devait monter de l'abîme, » et un peu après : « cette bête qui devait monter de l'abîme, c'est celle-là dont il a dit : Elle n'est plus (1). » Je demande aux protestants quelle est cette bête qui devait venir du temps de saint Jean, et qui devait périr dans la suite. Si c'est l'Empire romain dans tous ses états, à commencer par les rois et à finir par le Pape, comme le veulent les ministres, saint Jean nous a trompés : il nous fait voir comme devant venir et comme commençant alors à s'élever de l'abîme un empire qui avait déjà duré sept ou huit cents ans. Ce n'était donc pas de Rome ni de l'Empire romain dans tous ses états que saint Jean voulait parler : c'est de l'Empire romain dans un certain état qui devait venir, où il persécuterait le christianisme avec la dernière et la plus implacable violence, comme il a paru dans le Commentaire (2). Ainsi encore une fois, les interprètes protestants n'ont apporté aucune attention à la lecture de saint Jean ; ils n'ont songé qu'à surprendre des lecteurs aussi prévenus qu'eux et aussi peu attentifs à ce divin livre.

 

XXI. — Illusion des protestants sur les dix rois qui doivent d'abord favoriser Rome, et ensuite la détruire.

 

Pour ce qui regarde les dix rois, comparons ce que saint Jean en a dit au chapitre XVII de l’Apocalypse, avec ce qu'en disent les protestants; et afin de ne nous pas embrouiller dans les noms mystérieux de cet apôtre, remarquons d'abord que la bête, la prostituée ou la femme vêtue d'écarlate, et Babylone, sont au fond la même chose : car déjà « la prostituée qui est assise sur de grandes eaux (verset 1), avec laquelle les rois de la terre se sont corrompus, et les habitants de la terre se sont enivrés (verset 2), est la grande ville qui règne sur les rois de la terre (verset 18) ; et les eaux sur lesquelles elle est assise sont les peuples et les nations » qui lui obéissent (verset 15). Cette ville qui est aussi la prostituée, est «la grande Babylone, la mère des impuretés de la terre (verset 5) ; » et c'est encore la bête aux sept têtes, puisque, « ses sept têtes sont les sept montagnes sur lesquelles la femme d c'est-à-dire la ville, «est assise (verset 9) : » de sorte, comme

 

1 Préj. légit., 1ère part., chap. VII, p. 122.— 2 Voyez sur les chap. XIII et XVII.

 

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on l'a dit, que la femme ou la prostituée, la bête aux sept têtes et la ville aux sept montagnes, ou la Babylone mystique, sont la même chose, sans encore examiner ce que c'est. Cela étant supposé, l'histoire des dix rois est aisée à faire et consiste principalement en deux choses : l'une, a qu'ils donneront leur force, leur puissance et leur royaume à la bête, » qui est aussi la femme ou la prostituée, et ;la grande ville ou Babylone (verset 13, 17 ), et que dans la suite, «ils la haïront, la réduiront dans la dernière désolation, la dépouilleront, en dévoreront la substance ou les chairs, » c'est-à-dire les richesses et les provinces; «et la feront brûler au feu (verset 10). » Ce qui fait qu'au chapitre XVIII l'ange s'écrie, «que la grande ville de Babylone, » c'est-à-dire, en même temps, la bête et la prostituée, « avec laquelle les rois de la terre se sont corrompus, est tombée (verset 1, 2),désolée par la famine et brûlée par le feu (verset 8) ; » et c'est de quoi on loue Dieu au ciel dans le chapitre XIX, « parce qu'il a condamné la grande prostituée qui a corrompu la terre par sa prostitution (verset 2). »

On voit d'un coup d'œil que tout cela nous représente la même action et le même événement, et il paraît sans difficulté que c'est la chute de Rome, ainsi que je l'ai fait voir dans le Commentaire, sans qu'il soit ici besoin de le répéter. La question est maintenant si, selon la prétention des protestants, ce peut être l'Eglise romaine : mais d'abord on voit bien que non par les principes des protestants mêmes; car ils demeurent d'accord que dans le chapitre XVII, les versets où il est dit des rois qu'ils haïront la prostituée, la désoleront, la brûleront, en dévoreront la substance, en pilleront les trésors, en partageront les provinces, représentent au vif la chute de Rome sous Alaric ou Genséric, ou sous tel autre qu'ils voudront avec le démembrement de son empire. Car en effet c'était à l'Empire que tous ces rois en voulaient : ce n'était pas l'Eglise romaine qu'ils dépouillaient des richesses et de la domination qu'elle n'avait pas ; c'était l'Empire romain qu'ils envahissaient et ses provinces dont ils faisaient de nouveaux royaumes. Les protestants en conviennent; et c'est de là qu'ils concluent que le règne de l'Antéchrist commence alors, à cause, selon saint

 

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Paul, que celui qui tenait, c'est-à-dire, comme ils l'interprètent, l'Empire romain, fut aboli (1). Mais de cette sorte, la prostituée n'est donc plus l'Eglise romaine ; et ne peut être autre chose que la ville de Rome pillée, saccagée, brûlée, dépouillée de ses provinces et de son empire par Alaric et les autres rois, de sorte que la prophétie des dix rois qui devaient désoler Rome a eu sa fin.

C'est donc dans le système protestant une contradiction manifeste , de s'imaginer encore une autre chute de Babylone et dix rois encore une fois acharnés contre elle, cela est entièrement accompli. C'est une autre contradiction de séparer l'événement du chapitre XVII d'avec celui du chapitre XVIII ; car c'est manifestement la même prostituée, la même bête, la même ville et la même Babylone qui tombe par les mêmes mains. Ce qu'on décrit si amplement dans le chapitre XVIII, c'est ce qu'on a préparé et ce qu'on a dit en moins de mots dans le chapitre XVII. Ainsi tout est accompli : il n'y a plus d'autre Babylone dont il faille sortir de nouveau et en attendre la chute, comme font les protestants ; il n'y a plus un autre mystère à chercher; et lorsque les protestants sont convenus que le chapitre XVII s'entendait du démembrement de l'Empire, ils ont eux-mêmes détruit tout ce qu'ils ont dit de la corruption et de la désolation future de l'Eglise romaine.

Il ne faut donc plus s'étonner si tout se dément dans leur système. On leur demande en quoi les rois goths, vandales, saxons, français, et les autres, ou païens, ou hérétiques, et presque tous oppresseurs de Rome et des Papes, ont aidé l'Eglise romaine, et « quelle puissance ils lui ont donnée » pour établir son empire. C'est en peu de mots ce que j'objectais dans le livre XIII des Variations (2). M. Jurieu répond : « Voilà une belle difficulté pour un grand auteur! Et où a-t-il trouvé que ces dix rois devaient donner leur puissance à la bête dès qu'ils commenceraient de régner? Cela n'est pas dans le texte de saint Jean, cela est sorti du cerveau de M. Bossuet (3). » Qui ne croirait, à voir ces airs dédaigneux et malhonnêtes, que je me les suis attirés par quelque extravagance manifeste? Mais qu'on apprenne à connaître M. Jurieu et à se

 

1 II Thess. II, 7. — 2 Var., XIII, 34. — 3 Lett. XIII, p. 100, col. 2.

 

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convaincre ici que lorsqu'il est le plus méprisant, c'est lorsqu'il est le plus faible : car que dit le texte de saint Jean où il nous appelle? Que dit-il dans la version de Genève même? « Les dix cornes sont dix rois, qui n'ont encore commencé à régner, mais prendront puissance comme rois en un même temps avec la bête (1) » M. Jurieu et tous les ministres concluent de là que ces rois commenceront à régner en démembrant l'Empire romain, en même temps que commencera l'empire du Pape Antéchrist. Poursuivons : « Ceux-ci ont un même conseil, et ils bailleront leur puissance et autorité à la bête (2). » Voilà par où ils commencent; et en même temps que saint Jean leur fait prendre leur puissance, il la leur fait communiquer à ce qu'il appelle la bête, qui est selon les ministres l'Eglise romaine : et après cela on me demande où j'ai pris que ces dix rois devaient donner leur puissance à la bête dès qu'ils commenceraient à régner ! Mais continuons; et après avoir appris de saint Jean par où ces rois devaient commencer, et comme d'abord ils aideraient la prostituée ou la bête, passons outre, et apprenons de lui-même que dans la suite ils la haïront : « Les dix cornes que tu as vues sont ceux qui haïront la prostituée, et la rendront désolée, et la brûleront au feu (3); » mais ce sera, comme il vient de dire, après l'avoir auparavant favorisée et lui avoir donné leur puissance.

Et de peur qu'on ne s'imagine que saint Jean ait renversé , quoique sans saison, l'ordre des temps, il va lui-même au-devant de cette chicane : « Car, poursuit-il, Dieu a mis dans leurs cœurs qu'ils feront ce qu'il lui plaît, et qu'ils arrêtent un même propos, et qu'ils baillent leur royaume à la bête, jusqu'à ce que les paroles de Dieu fussent accomplies (4) ; » c'est-à-dire, manifestement, jusqu'à ce que la bête périsse et que l'heure de son jugement soit arrivée ; et tel était son jugement, que par un conseil admirable de Dieu qui tient en sa main les cœurs des rois, les mêmes qui la haïssaient et qui devaient la détruire fussent auparavant ses défenseurs.

C'est ce qu'on a vu arriver à la chute de l'Empire romain (5). On

 

1 Apoc., XVII, 12. — 2 Ibid., 13. — 3 Ibid., 16. — 4 Ibid., 17. — 5 Voyez l’explic. du chap. XVII.

 

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a vu que les rois, ses alliés, tournèrent tout à coup leurs armes contre elle; et si M. Jurieu n'a pas voulu apprendre cette vérité de Grotius et de Hammond, il aurait pu la trouver dans Bullinger (1).

Que si au lieu de l'Empire, on entend ici l'Eglise romaine, on n'a plus besoin de demander en quel temps ces rois destructeurs devaient commencer à l'aider ou à la détruire, puisqu'ils ne l'ont ni aidée, ni détruite, ainsi que M. Jurieu le reconnaît (2).

Mais , dit-il, afin que ces rois soient dits véritablement avoir donné leur puissance à l'Eglise romaine, c'est assez qu'ils l'aient fait dans leur progrès, quoiqu'ils ne l'aient pas fait au commencement, ni plusieurs siècles après, parce qu'enfin ce sont toujours les mêmes royaumes, comme le Rhin et les autres fleuves ne laissent pas d'être les mêmes que du temps de César, encore que ce ne soient pas les mêmes eaux, parce que c'est le même lit (3).

Passons-lui la comparaison pour la France, pour l'Angleterre et pour l'Espagne ; mais le Danemark, la Norwége, la Suède, la Pologne , l'Ecosse, seront-elles encore de ces fleuves qui auront commencé leur cours au temps du démembrement de l'Empire ? « Autre belle difficulté, dit notre auteur ! comme si le sens de l'oracle évidemment n'était pas que l'empire antichrétien devait toujours avoir sous lui dix royaumes, plus ou moins (4) ; » ajoutons, qui lui donnassent leur puissance ; car c'est ce qu'il faut trouver pour expliquer l'oracle de saint Jean. Mais où étaient-ils, ces royaumes qui devaient être toujours ? où étaient-ils durant tout le temps où les François et les Anglais étaient païens, où les autres royaumes étaient ariens, où tous ces royaumes ensemble, de l'aveu de M. Jurieu, ne songeaient pas seulement à agrandir l'Eglise romaine ?

Ne lui tenons pas tant de rigueur ; exceptons trois ou quatre cents ans de son toujours , et venons au point où les rois doivent enfin donner leur puissance à l'Eglise romaine. Quelle puissance lui ont-ils donnée? La spirituelle , peut-être , « qui est celle que Léon I et ses successeurs commencèrent à s'arroger sur toute l'Eglise (5). » Point du tout, car saint Jean a dit que ces rois donneraient

 

1 Bulling., Comm. in Apoc., hic. — 2 Lett. XIII, p. 100, col. 2. — 3 Ibid. p. 101. — 4 Ibid. — 5 Ibid.

 

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leur puissance; c'est la leur qu'ils devaient donner, c'est-à-dire la temporelle, et non pas la spirituelle, qui n'est pas à eux. M. Jurieu l'a bien senti : c'est pourquoi « nous ne disons pas, répond-il, que ce soient ces rois proprement qui aient donné au Pape leur primauté spirituelle ; ce sont les Papes qui l'ont usurpée sur les autres évêques! » Donc les rois ne donneront pas au Pape la primauté spirituelle, qui est celle qui proprement le constitue Antéchrist, selon les ministres. Mais lui donneront-ils du moins la puissance temporelle, qui est véritablement la leur? Où trouvera-t-on dix rois qui aient donné aux Papes quelque puissance temporelle ? Pour moi, je n'en connais point avant Pépin et Charlemagne, plus de trois cents ans après saint Léon, et je ne trouve alors, ni plusieurs siècles après, que les rois de France qui aient fait aux Papes de pareils présents. Où sont donc tous les autres rois qu'on veut faire prophétiser à saint Jean? M. Jurieu a tranché ce nœud en disant : « Il suffit, pour l'accomplissement de l'oracle , que dans la suite les rois aient été assez faibles pour se laisser arracher par l'Eglise romaine leurs biens temporels et leur puissance temporelle. Lui donner, selon saint Jean, leur puissance, n'est autre chose que la laisser prendre (1). » Voilà cette prophétie du Pape Antéchrist plus claire et plus lumineuse que toutes celles où le Saint-Esprit a tracé et Jésus-Christ et son règne. Hélas! que penseront de Jésus-Christ et des prophètes qui nous l'ont promis, ceux qui ne les connaîtront que par les ministres ?

Mais après les temps où les rois donnent, il faut encore trouver ceux où ils détruisent, c'est-à-dire qu'il faut venir au temps de Luther, onze cents ans après saint Léon et la naissance de l'Antéchrist, pour trouver ces rois ennemis qui attaquent directement l'Eglise romaine. Mais quand est-ce que s'achèvera ce grand œuvre de sa destruction ? Il faut laisser écouler douze cent soixante ans, puisque son règne doit durer autant. Est-ce ainsi qu'on fait traîner durant tant de siècles ce que saint Jean fait marcher d'un pas si rapide ; et n'y a-t-il qu'à brouiller mille ou douze cents ans d'histoire, changer la force des mots, et non-seulement renverser

 

1 Lett. XIII, p. 101. – 2 Ibid., p. 100, 101.

 

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tout l'ordre de la prophétie, mais encore ses propres pensées, pour faire dire à l’Apocalypse tout ce qu'on voudra?

C'est le désordre où l'on tombe nécessairement, en abandonnant le principe et en s'éloignant de la route. Pour n'avoir pas voulu voir ce qui est plus clair que le jour, que les chapitres XVII et XVIII ne sont qu'un même événement, et que la chute de Rome avec le démembrement de son empire en font partout le sujet, les ministres ont tout confondu. Ils trouvent l'Eglise romaine où saint Jean déclare lui-même qu'il ne présente à nos yeux que la ville et son empire ; ils trouvent de nouveaux rois amis de Rome, et ensuite ses ennemis , où saint Jean ne connaît que ceux qui en effet l'ont détruite au cinquième siècle ; ils trouvent la naissance de l'Antéchrist dans un lieu où il n'y en a pas une seule parole ; et pour tout comprendre en un mot, ils trouvent une chute de Rome distincte de celle où ils reconnaissent eux-mêmes la dissipation de son empire : ils arrachent les passages de toute leur suite ; ils mettent en pièces l'Ecriture, et leur système n'est autre chose qu'une éternelle profanation de cette sainte parole.

 

XXII. — Illusion sur l'explication du chapitre un, et sur la seconde bête qui y est représentée.

 

Ainsi la première bête des protestants, avec leurs prétendus sept gouvernements, dont le dernier est celui du Pape et les dix rois ennemis qui devaient détruire l'Eglise romaine, est un amas de contradictions et d'impossibilités. Mais le personnage qu'ils font faire à celle que saint Jean appelle l’autre bête (1), n'est pas moins absurde. La dernière tête de la première bête était le Pape, dans lequel ressuscitait l'Empire romain blessé à mort. La seconde bête, c'est encore le Pape qui fait adorer la première bête ressuscitée, c'est-à-dire toujours le Pape. Cette bête qui fait adorer la première bête, en fait encore adorer l'image ; et cette image c'est encore le Pape qui n'est pas un vrai empereur, mais un empereur dont l'empire est imaginaire : c'est de quoi sont pleins tous les livres des interprètes protestants (2). Ainsi cette autre bête, c'est la même

 

1 Apoc., XIII, 11,12. — J Dumoulin, Joseph Mode et Jurieu, sur ces passages de l’Apocalypse.

 

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bête ; c'est le Pape qui fait adorer le Pape. A force de vouloir trouver le Pape partout, on montre qu'il n'est nulle part ; et qu'en le cherchant vainement sous toutes les figures de l’Apocalypse, on ne songe qu'à contenter une haine aveugle ; et il faut ici remarquer que saint Jean ne dit en aucune sorte que la seconde bête se fasse adorer elle-même , mais il dit et il répète toujours qu'elle fait adorer la première bête1. Si la seconde bête c'est le Pape, le Pape ne se fait donc pas adorer lui-même, contre ce que disent tous les protestants. Mais qui fait-il donc adorer ? La première bête sans doute, comme dit saint Jean. Mais est-ce la première bête dans tous ses états et Rome sous ses consuls, sous ses dictateurs, sous ses empereurs ? Le Pape les fait-il adorer ? L'ose-t-on dire ? Qui fait-il donc adorer ? L'Empire romain dans sa septième tête, qui est lui-même : ainsi il se fait adorer lui-même, et il ne se fait pas adorer lui-même. Est-ce là faire révérer les prophéties, ou les tourner en ridicule?

Pour éviter cette absurdité que la seconde bête qui ne se fait point adorer, mais qui fait adorer la première bête, soit la même que cette première et que celle à qui elle fait rendre des adorations, quelques protestants ont trouvé qu'il fallait distinguer le Pape de la Papauté, ou de l'empire papal (2). Dumoulin a inventé ce dénouement ; « Le Pape, dit-il, fait adorer la hiérarchie » romaine et papale (3), et ainsi la seconde bête fait adorer la première. Mais pourquoi est-ce que la seconde bête ne sera pas aussi bien la hiérarchie romaine que la première, ou pourquoi la première ne sera-t-elle pas le Pape comme la seconde ? Le démêle qui pourra : quoi qu'il en soit, on n'a que cela à nous répondre. D'autres protestants peu satisfaits d'une si vaine subtilité, disent que l'Empire romain ressuscité, c'est l'empire de Charlemagne et des empereurs français et allemands que le Pape fait adorer, parce que c'est lui qui l'a établi. Mais comment il fait adorer à toute la terre un empire sitôt réduit à l'Allemagne toute seule : un empire que le Pape même a banni de Rome et de l'Italie : un empire dont on lui reproche qu'il prétend pouvoir disposer par un droit tout particulier,

 

1 Apoc., XIII, 12. — 2 Dumoulin, Accomplissement des prophéties, p. 186. — 3 Ibid., p. 272.

 

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sans parler ici maintenant de mille autres absurdités, je le laisse à expliquer aux protestants.

 

XXIII. — Réflexion sur le nom Lateinos et sur le nombre 666.

 

Sur la défense de vendre et d'acheter qu'ils marquent comme un caractère antichrétien, on peut voir notre Commentaire (1). Et pour le mot Lateinos, et ce fameux caractère du nombre de 666, je n'en dirai maintenant que ce seul mot ; c'est que saint Jean se sert de ce nombre pour nous désigner le nom propre d'un certain homme particulier, comme on l'a remarqué ailleurs (2) : c'est pourquoi il dit expressément que le nombre qu'on doit trouver dans ce nom est un nombre d'homme, c'est-à-dire visiblement le nombre du nom d'un homme, du nom propre d'une personne particulière, loin que ce puisse être un mot qui comprenne également avec tous les Papes toute l'Eglise latine. Mais, avec ces limitations du sens de saint Jean, on ne dit pas ce qu'on veut; et Dumoulin, pour se mettre au large, nous apprend que ce nombre d'homme est un nombre usité entre les hommes (3) comme s'il y avait des nombres qui n'y fussent pas usités : mais c'est qu'une expression si vague donnait au ministre la liberté de se promener, non-seulement par tous les noms propres, mais encore par tous les mots de toutes les langues où il y a des lettres numérales.

Le ministre Jurieu explique autrement. Il entend par ce nombre d'homme, un nombre qui ne soit pas mystique (4) : comme si les nombres mystiques n'étaient pas aussi à leur manière des nombres d'homme, ou que les pythagoriciens, qui ont trouvé tant de mystères dans les nombres, dussent être exclus du genre humain. Mais enfin, poursuit le ministre, c'est que « Dieu a ses manières de compter, comme quand il signifie 1260 ans par 42 mois, et quand il compte mille ans pour un jour, ou un jour pour mille ans. » Saint Jean veut donc dire, selon lui, que le nombre 666 contenu au nom de la bête et dans ses lettres numérales, « est un nombre pur et simple dans la signification où les hommes ont accoutumé de l'employer. » Mais comment se pourrait-il faire

 

1 Sur le chap. XIII, 17. — 2 Remarq. sur le chap. XIII, 18. — 3 Accompl. des proph. p. 238. — 4 Préj., Ière part., chap. IV, p. 115.

 

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autrement? Comment, dis-je, se pourrait-il faire que les lettres numérales d'un nom ne composassent point un certain nombre pur et simple? Quand un auteur, et un auteur inspiré de Dieu, dont toutes les paroles pèsent, apporte des limitations à ses expressions, c'est qu'il veut exclure un certain sens où (il suppose qu'on pourrait tomber. Or qui pourrait tomber dans cette erreur, que les lettres numérales d'un nom ne fussent pas un certain nombre pur et simple au sens que les hommes l'entendent ? Ce serait dire que les lettres numérales ne seraient pas des lettres numérales , ou que le composé de plusieurs nombres n'en serait pas un autre de même nature, quoique plus grand. On voit donc bien que saint Jean ne visait pas là, quand il a dit que le nombre dont il parlait était un nombre d'homme (1) ; visiblement il a voulu inculquer ce qu'il venait de dire au verset précédent, que c'était le nombre d'un nom (2), et d'un nom propre, onomatos, qui caractérisait si précisément un certain homme particulier dont il voulait parler, qu'on ne pourrait jamais le prendre pour un autre. C'est ce que nous avons trouvé dans le nom de Dioclès (3), auquel, si l'on joint le titre qui désigne un empereur, on marquera tellement Dioclétien, qu'il ne sera pas possible d'y trouver un autre empereur, ni même une autre personne. Il fallait donc proposer quelque chose de semblable pour bien entendre saint Jean ; et la bête serait alors, selon le dessein de cet apôtre, un homme particulier dont le nom propre serait connu par ses lettres numérales, et non pas un individu vague, comme on parle dans l'école, un Pape indéfiniment et en général, et encore un Pape mal désigné, puisque le mot de Latin ne le désigne non plus que les peuples, les communautés et les personnes qu'on appelait autrefois et qu'on pourrait encore appeler du nom latin, latini nominis ; joint encore ici que le Pape ne s'est jamais appelé Latinus pontifex, mais partout et en une infinité d'endroits, Romanus pontifex, Romanus episcopus, Romanus antistes, afin que la déplorable application des ministres demeure confondue de toutes parts.

 

1 Apoc., XIII, 18. — 2 Ibid., 17. — 3 Voyez les remarq. sur ces vers, du chap. XIII.

 

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XXIV. — Système des protestants sur les douze cent soixante jours de la persécution. Démonstration que ces jours ne peuvent pas être des années comme les ministres le veulent.

 

Mais l'endroit où l'erreur est le plus visible est celui où les ministres tâchent d'expliquer les douze cent soixante jours et, ce qui est la même chose, les quarante-deux mois ou les trois ans et demi de persécution dont saint Jean parle en cinq endroits de l’Apocalypse. M. Jurieu demeure d'accord que si l'on prend ici les jours pour de vrais jours, en sorte que les douze cent soixante jours composent seulement trois ans et demi, c'est fait de tout le système (1). En effet, si l'Antéchrist n'est pas un seul homme; si c'est une longue suite de Papes, qui au milieu de l'Eglise doivent blasphémer contre Dieu et persécuter les fidèles, on voit bien qu'il est impossible de faire rouler pour ainsi dire dans un si court espace toute cette grande machine : c'est pourquoi les protestants ont été contraints d'avoir recours à certains jours qu'ils ont voulu appeler prophétiques, dont selon eux chacun vaut une année. Mais il n'y a rien de si vain que cette invention : car d'abord il est bien certain qu'à la manière des autres hommes, les prophètes prennent les jours pour des jours et les années pour des années , témoin ce nombre célèbre de soixante-dix années où Jérémie avait renfermé le temps de la captivité de Babylone. Voilà très-constamment l'usage ordinaire, sans que le style prophétique y ait rien changé. C'est en vain que les protestants allèguent ici d'un commun accord les semaines de Daniel (2), puisqu'en hébreu le mot de semaine, qui signifie seulement un composé en général du nombre de sept (a), ne dit pas plus sept jours que sept ans, et que le sens se détermine par les circonstances. Cet exemple ne fait donc rien à notre sujet, où il s'agit de montrer, non point des expressions qui soient communes aux jours et aux ans, mais des passages précis où les jours soient pris pour des années. Or les protestants n'en ont pu trouver dans toute l'Ecriture sainte que

 

1 Accomp., Ière part., chap. XVII, p. 203 et suiv. — 2 Jurieu, ibid. ; Dumoulin, Mède, etc.

(a) Le mot semaine vient aussi de septem et de mana ou mane, sept matins de suite.

 

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deux de cette nature ; et cette signification est si éloignée, que le Saint-Esprit dans tous les deux trouve nécessaire, en s'en servant, de nous en avertir exprès. Il faut qu'un sage lecteur se donne la peine d'entendre ceci, afin qu'il connaisse une fois le prix de ces éruditions protestantes. Ceux qu'on avait envoyés pour visiter la Terre sainte employèrent quarante jours à la reconnaître ; ils en firent un faux rapport au peuple, qui les en crut trop légèrement, et se mit à murmurer contre Moïse (1). Pour punir ces séditieux, Dieu ordonna qu'autant de jours qu'on avait mis à reconnaître la terre, autant serait-on d'années à errer dans le désert. « Je vous rendrai, dit le Seigneur, chaque année pour chaque jour, et vous porterez quarante ans durant la peine de vos iniquités (2). » Voilà le premier passage. Dans le second, Dieu ordonne à Ezéchiel (3) de se mettre en un état de souffrance pour tout le peuple d'Israël durant un certain nombre de jours ; et en même temps il lui déclare que chaque jour sera, par rapport au peuple, la figure d'une année pour exprimer le temps de son iniquité ou de son supplice: « Je t'ai donné, dit-il, le jour pour année; je t'ai, dis-je, donné, » je te le répète, afin que tu l'entendes, «je t'ai donné le jour pour année. » On voit dans les deux endroits où Dieu veut figurer les années par des jours, qu'il s'en explique en ternies formels; et que dans le second passage, il le répète par deux fois pour le faire entendre au prophète : tant l'expression était peu commune et peu naturelle. Mais sans avoir ici besoin de nous mettre en peine du dessein particulier de ces deux passages dans les Nombres et dans Ezéchiel d'où ils sont tirés, il faut venir à saint Jean dont il s'agit, et voir si c'est ainsi qu'il compte les jours. Or visiblement cela ne se peut; car quoiqu'il ait voulu figurer par ces douze cent soixante jours et par ces trois ans et demi ce qu'on peut voir dans notre Commentaire (4), toujours est-il bien certain, et on en convient (5), que dans les endroits où il en est parlé, il regarde un passage de Daniel (6) où la persécution d'Antiochus est renfermée dans le même terme : c'est donc visiblement de cet endroit de Daniel qu'il faut prendre la véritable signification des trois ans et demi

 

1 Num., XIII, 22-31. — 2 Num., XIV, 33, 34.— 3 Ezech., IV, 5, 6.— 4 Explic. du chap. XI. — 5 Mède, 497 ; Accomp., 4. — 6 Dan., XII, 11.

 

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de saint Jean, puisque c'est là que regarde cet apôtre; et la chercher dans d'autres passages que saint Jean ne regarde pas, c'est abandonner le vrai principe de l'interprétation et chercher à tromper le monde. Or il est constant dans cet endroit de Daniel, et les ministres en conviennent (1), que les jours sont de vrais jours, et non pas des ans; autrement Antiochus, un seul prince, aurait persécuté le peuple de Dieu plus de mille deux cent soixante ans : par conséquent, chez Daniel chaque an est un an véritable; et non pas trois cent soixante ans, et ainsi trois ans et demi sont vraiment trois ans et demi, sans qu'il soit permis de sortir de cette idée. C'est donc la même chose dans saint Jean; et lorsqu'on nous allègue des jours prophétiques dont chacun emporte une année, comme si Daniel que saint Jean suivait n'était pas du nombre des prophètes, ou que ce fût le style ordinaire des prophéties, de prendre les jours pour des années ; c'est avec de grands efforts ne chercher qu'à éblouir les ignorants.

 

XXV. — Contradiction du ministre Dumoulin sur le sujet des douze cent soixante jours.

 

Lorsqu'on force le sens naturel et qu'on prend des notions écartées, on est sujet à ne les pas suivre, et même à les oublier. Dumoulin, comme les autres ministres, veut que les jours dans saint Jean soient de ces prétendus jours prophétiques dont chacun est une année. Mais sur le chapitre xn sa bizarrerie est extrême, puisqu'au lieu que partout ailleurs les douze cent soixante jours sont douze cent soixante ans, ici, où ce nombre se trouve deux fois, ce sont des jours naturels qui composent trois ans et demi, ni plus ni moins : mais c'est qu'il n'a pas plu à Dumoulin, on ne sait pourquoi, que le Pape se rencontrât dans ce chapitre XII, où tous les autres ministres le trouvent plus présent qu'ailleurs ; de sorte que n'ayant que faire de ses prétendus jours prophétiques, il est revenu naturellement à la signification ordinaire des mots. Cependant, si le Pape n'est pas là, on ne sait plus où il est; si sous quelqu'autre que lui le dragon a voulu engloutir la femme, c'est-à-dire l'Eglise, l'a poussée dans le désert, l'y a tenue si cachée qu'elle ait

 

1 Accomp. des proph., Ière part., chap. XIII, XVIII, etc.

 

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disparu de dessus la terre, comme on prétend qu'il arrive au chapitre XII, ce pourrait bien être aussi un autre que lui qui persécute les témoins au chapitre XI, un autre qui blasphème au chapitre xm, et qui périt aux chapitres XVII et XVIII. Et pour revenir aux douze cent soixante jours, si de cinq passages de l’Apocalypse où on les trouve, il y en a déjà deux où, de l'aveu de nos adversaires, ce ne sont pas des années, c'est un préjugé favorable pour les autres, puisque saint Jean a tenu partout un même langage.

 

XXVI.— Plus grossière contradiction du ministre Jurieu sur le même sujet.

 

Le ministre Jurieu s'oublie encore plus ici que Dumoulin, et il tombe dans une contradiction si manifeste, que seule elle suffira pour l'humilier, s'il est capable de sentir ses égarements : car d'un côté, il suppose toujours dans ses Préjugés, dans son Accomplissement des prophéties et dans ses autres ouvrages (1), qu'on trouve le Pape Antéchrist et la durée de son règne dans le chapitre XII de l’Apocalypse comme dans les autres ; et dans les trois ans et demi que la femme, qui est l'Eglise, doit passer dans le désert, « tout cela signifie, dit-il, la période de la durée du papisme (2) ; » et voilà bien formellement le papisme et sa durée au chapitre XII. Mais d'autre part il l'en exclut en termes aussi formels (3), puisqu'il ne trouve dans ce chapitre que les quatre cents premières années de l'Eglise ; ainsi de bonne foi, il ne songeait plus à ce qu'il a dit partout ailleurs; car dans le lieu qu'on vient de marquer, où il fait l'analyse du chapitre XII, il nous apprend que ce chapitre contient l'histoire de quatre cents ans seulement : « Nous avons, dit-il dans ce chapitre l'histoire de l'Eglise jusqu'à la fin du quatrième siècle, ou au commencement du cinquième (4). » Cependant, comme on vient de voir, on trouve deux fois dans ce chapitre l'espace de douze cent soixante jours, et si au compte des ministres et de M. Jurieu ces jours sont des années, ce sera quelque chose de bien nouveau de placer douze cent soixante ans dans une histoire de quatre cents, ou un peu plus. Mais le ministre ne le dit pas pour

 

1 Préj., Ière part., chap. V, p. 90; chap. VI, p. 108; Accomp., Ière part., chap. XVII, 294, etc.; Lett. XVII de la première année, p. 139.— 2 Ci-dessous, n. 35. — 3. chap. II, p. 21 et suiv. — 4 Ibid., p. 22.

 

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une fois, il répète encore un peu après, « que saint Jean ne donne qu'un chapitre (qui est le XIIe) à la première période de l'Eglise de quatre cents ans (1). » Mais de peur qu'on ne nous objecte qu'il se sera peut-être mépris dans les chiffres, voyons tout ce qu'il renferme dans ce premier période de temps, il y place premièrement trois cents ans de persécution ; ensuite l'arianisme et les victoires de l'Eglise depuis Constantin jusqu'à Théodose le Grand , c'est-à-dire jusqu'à la fin du quatrième siècle. C'est donc une chose bien déterminée dans l'esprit du ministre, que le chapitre XII ne contient l'histoire que de quatre cents ans, et il a parfaitement oublié que les douze cent soixante jours devaient être douze cent soixante années. Quand il voudrait dire ici, malgré tant d'autres endroits de ses ouvrages, qu'il renonce à trouver dans ce chapitre le prétendu règne du Pape, on ne saurait plus sur quel pied il faudrait prendre les douze cent soixante jours : car, ni ce ne serait des années, puisque douze cent soixante ans ne pourraient tenir dans quatre cents; ni ce ne serait des jours naturels, puisqu'ils ne pourraient jamais faire que trois ans et demi : de sorte qu'on ne saura plus sur quelle règle notre apôtre aura formé son langage, et qu'enfin il faudra dire, non-seulement que saint Jean ne parle pas comme Daniel, qui est en cet endroit son original, mais encore que saint Jean ne parle pas comme saint Jean même.

 

XXVII. — En accordant aux ministres que les jours sont des années, l'embarras ne fait qu'augmenter, et ils ne savent où placer leurs douze cent soixante ans.

 

Eveillez-vous donc, mes chers frères, du moins aux contradictions si visibles de votre prophète. Mais voici bien un autre inconvénient. C'est qu'en accordant à vos ministres tout ce qu'ils demandent, et en prenant, comme ils veulent, les jours pour années, afin de donner à la prétendue tyrannie du Pape les douze cent soixante ans dont ils ont besoin, ils ne sauraient encore où les placer. Car puisque, selon leurs principes, le prétendu Antéchrist doit naître dans le débris de l'Empire, c'est-à-dire au cinquième siècle, et comme ils le fixent à présent aux environs de

 

1 Lett. XVII de la première ann., p. 23.

 

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l'an i35, sous saint Léon, c'est à ce terme qu'il faut commencer la persécution antichrétienne, la guerre faite aux saints et les blasphèmes de la bête. La démonstration en est claire, puisqu'il est constant dans saint Jean que la Cité sainte est foulée aux pieds ; que les fidèles sont dans l'oppression ; que la femme, qui est l'Eglise, est dans le désert; et que la bête blasphème et fulmine contre les saints durant tout le temps des douze cent soixante jours qu'on prend pour années (1). Il faut donc trouver dans la chaire de saint Pierre et dans l'Eglise romaine, à commencer depuis saint Léon, douze cent soixante ans de blasphème ; ce qui fait horreur à penser et n'est pas seulement une impiété, mais encore une fausseté criante.

Ce blasphème qu'il faut trouver dans l'Eglise romaine, se doit trouver dans toutes les autres Eglises qui communiaient avec elle, c'est-à-dire dans toutes les Eglises catholiques : car on convient qu'en ce temps du démembrement de l'Empire, elles étaient toutes dans sa communion ; de sorte qu'il faut trouver tout ensemble dans la même société et la catholicité et le blasphème ; ce qui ajoute l'absurdité à l'impiété et au mensonge.

 

XXVIII. — Les ministres forcés d'imputer l'idolâtrie à l'Eglise du quatrième siècle.

 

Et afin qu'on sache quel est ce blasphème qu'il faut attribuer à l'Eglise, nos adversaires s'en expliquent et soutiennent que c'est le plus grand de tous les blasphèmes, c'est-à-dire l'idolâtrie (2) ; de sorte qu'il faut trouver le règne de l'idolâtrie dans l'Eglise du cinquième siècle, et dès le temps du grand saint Léon.

Il faut même le trouver devant, puisqu'on met cette idolâtrie antichrétienne dans le culte des saints et de leurs reliques. Or on établit ce culte, et même l'invocation des saints, dès le temps de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Ambroise, de saint Chrysostome, puisqu'on fait ces grands saints et avec eux tous les autres de ce siècle, non-seulement les complices, mais encore les instigateurs et les auteurs de cette idolâtrie antichrétienne.

C'est ce que fait Joseph Mède en termes formels ; c'est ce que

 

1 Apoc., XI, 2, 3; XII, 6, 14; XIII, 6, 7. — 2 Mède, 501, 502.

 

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fait en trente endroits M. Jurieu (1). C'est saint Basile, c'est saint Chrysostome, c'est saint Ambroise, c'est saint Grégoire de Nazianze, c'est saint Augustin, c'est saint Jérôme, c'est tous les Pères de ce temps-là qui ont fleuri au quatrième siècle, qu'on fait les auteurs de cette idolâtrie qui constitue l'Antéchrist.

 

XXIX. — Prodigieuse proposition du ministre Jurieu.

 

M. Jurieu ne s'émeut pas de toutes ces choses ; et après avoir établi en termes formels le culte et l'invocation des saints dans le quatrième siècle, il se fait cette objection sous le nom des convertis : « Quoi qu'il en soit, disent-ils, vous avouez que l'invocation des saints a plus de douze cents ans sur la tête : cela ne vous fait-il point de peine? Et comment pouvez-vous croire que Dieu ait laissé reposer son Eglise sur l'idolâtrie durant tant de siècles (2) ? » Voilà l'objection bien clairement proposée ; mais c'est afin de montrer un mépris encore plus clair d'un siècle si saint : « Nous répondons , dit-il, que nous ne savons point respecter l'antiquité sans vérité. » Et un peu après : « Nous ajoutons que nous ne sommes point étonnés de voir une si vieille idolâtrie dans l'Eglise, parce que cela nous a été formellement prédit. » Il allègue pour toute preuve deux passages de saint Jean qui ne font rien, comme on verra, selon lui-même, et il finit par ces paroles : « La femme, c'est-à-dire l'Eglise, doit être cachée dans un désert douze cent soixante jours, qui sont autant d'années : il faut donc que l'idolâtrie règne dans l'Eglise chrétienne douze cent soixante ans. » Voilà comme on tranche les difficultés dans la nouvelle Réforme; et on ne peut plus dire maintenant que cette idolâtrie prétendue ne fût pas publique et entièrement établie, puisqu'on est contraint d'avouer qu'elle était régnante.

 

XXX. — Réponse du ministre Jurieu.

 

Ecoutez-moi ici encore une fois, mes chers frères, à qui on adresse ces blasphèmes : est-il possible que des excès si insupportables ne vous fassent jamais ouvrir les yeux? Pour diminuer

 

1 Jos. Mède, Lett. XV de la première ann., p.  16, 17; Accomp., 1ère part chap. XIV, etc. — 2 Lett. XVII de la première ann., p. 139.

 

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l'horreur que vous en auriez si on ne tâchait de les adoucir, votre ministre vous dit que l'idolâtrie et l'antichristianisme qu'il objecte aux Pères du quatrième et du cinquième siècle, n'était qu'une idolâtrie et un antichristianisme commencé : c'est déjà une étrange impiété d'attribuer à l'Eglise et à ses saints, dans les siècles les plus illustres, cette idolâtrie et cet antichristianisme commencé, puisqu'en quelque état que l'on considère un si grand mal, il est constamment toujours mortel : mais votre ministre ne s'en tient pas là, et il vous fait voir dans des temps si saints et dans les plus saints hommes qui y florissaient, une idolâtrie et un antichristianisme régnant.

Arrêtez-vous ici un peu de temps, mes chers frères, à considérer les artifices de votre ministre. Je lui a vois objecté dans l’ Histoire des Variations (1), combien il était horrible de faire d'un saint Léon et des autres saints des antéchrists, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus exécrable parmi les chrétiens. J'avais relevé les trois caractères où ce ministre a établi son antichristianisme prétendu, qui sont dans les Papes l'usurpation de la primauté ecclésiastique, la corruption des mœurs et l'idolâtrie : trois abominables excès, qu'on ne peut imputer aux saints sans blasphémer. J'avais même poussé plus loin mes réflexions, et j'avais dit, ce qui est très-vrai , qu'on ne pouvait trouver ces trois excès dans saint Léon, sans être obligé de les attribuer aux Pères du quatrième siècle, où on trouvait les mêmes choses qui font faire de saint Léon un Antéchrist ; et je m'attachais principalement à l'idolâtrie, comme à l'exécration des exécrations, dont la moindre tache effaçait toute sainteté dans l'Eglise. J'ai objecté toutes ces choses en quatre ou cinq chapitres que vous pouvez voir; ils ne tiennent que sept ou huit pages, et c'est sur cela que votre ministre a entrepris de vous satisfaire : mais vous verrez aisément qu'il ne fait que vous amuser, dissimuler les difficultés et augmenter les erreurs.

Laissons à part ses manières dédaigneuses et insultantes : si je les ai relevées, c'est pour l'amour de vous, afin que vous connussiez un des artifices dont on se sert pour vous tromper : c'est assez que vous l'ayez vu, n'en parlons plus. Mais voici l'important et le

 

1 Var., liv. XIII, n. 20 et suiv.

 

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sérieux : « L'exclamation de M. Bossuet est à peu près aussi bien placée que si je la mettais après ce que je vais dire : Les phtisies, les hydropisies et cent autres maladies très-mortelles ont des commencements insensibles ; c'est une indigestion d'estomac, quelque dérèglement dans les humeurs, quelque dureté dans le foie, quelque intempérie dans les entrailles, qui dans le commencement n'empêchent pas de boire, de manger, d'aller à la chasse et à la guerre ; la maladie augmente et met le patient à l'extrémité. Un habile médecin se fait instruire des premiers et des plus simples accidens de la maladie : il en marque le commencement, et l'origine du temps de ces premières intempéries, qui n'empêchaient le malade d'aucune de ses fonctions. Un homme comme M. Bossuet lui dirait : Il faut avoir bu la coupe d'assoupissement, pour renfermer dans le période d'une maladie mortelle des semaines et des mois dans lesquels on buvait, on mangeait bien, on montait à cheval, on courait le cerf, on se trouvait dans les occasions. Certainement l'antichristianisme est cela même ; c'est une maladie mortelle dans l'Eglise : elle a commencé dès le temps des apôtres. Dès l'âge de saint Paul, le mystère d'iniquité se mettait en train ; l'orgueil et l'affectation de la préséance étaient les premiers germes delà tyrannie; le service des anges, que l'Apôtre condamne, était le commencement de l'idolâtrie : ces germes couvèrent durant plusieurs siècles, et ne vinrent à éclore que dans le cinquième siècle. Ce monstre ne vint pas au monde tout grand ; il fut petit durant un long temps, et il passa par tous les degrés d'accroissement. Pendant qu'il fut petit, il ne ruina pas l'essence de l'Eglise. Léon et quelques-uns de ses successeurs furent d'honnêtes gens, cela se peut, autant que l'honnêteté et la piété sont compatibles avec une ambition excessive... Il est certain aussi que de son temps l'Eglise se trouva fort avant engagée dans l'idolâtrie du culte des créatures qui est un des caractères de l'antichristianisme; et bien que ces maux ne fussent pas encore  extrêmes, et ne fussent pas tels qu'ils damnassent la personne de Léon, qui d'ailleurs avait de bonnes qualités, c'était pourtant assez pour faire les commencements de l'antichristianisme (1). »

 

1 Lett. XIII, p. 98.

 

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J'ai rapporté au long ces paroles, parce qu'elles expliquent très-bien et de la manière la plus spécieuse, le sentiment des protestants : mais il ne faut que deux mots pour tout renverser. Ces commencements d'idolâtrie et d'antichristianisme, qui n'empêchaient pas saint Léon d'être honnête homme, et qui enfin ne le damnaient pas, étaient-ce des commencements de la nature de ceux qu'on remarque du temps des apôtres, lorsque le mystère d'iniquité se mettait en train? Si cela est, l'antichristianisme était formé dès lors comme depuis dans saint Léon, et les mille deux cent soixante ans du règne de l'Antéchrist doivent être commencés du temps de saint Paul. Les ministres ne le diront pas ; car le terme serait écoulé il y a déjà plusieurs siècles. Ce n'était donc pas en ce sens que saint Léon était l'Antéchrist ; c'était l'Antéchrist formé ; bien plus, c'était l'Antéchrist régnant; car le ministre nous vient de dire que l'idolâtrie, qui est un des caractères de l'antichristianisme, devait régner dans l'Eglise durant les mille deux cent soixante ans qui commencent, comme on a vu, au quatrième siècle ; et on prétend que le mal s'est augmenté sous saint Léon, jusqu'à faire de ce saint Pape, sans rien ménager, un véritable Antéchrist. Voilà donc l'Antéchrist formé, ou même l'Antéchrist régnant, un honnête homme; et pour ne pas dire que c'était un saint révéré de toute l'Eglise et de tous les siècles, c'est du moins un homme qui n'est pas damné.

Si on ne sent pas encore l'absurdité de cette pensée malgré les belles couleurs et les riches comparaisons dont on tâche de la couvrir, il ne faut qu'entendre saint Jean, qui nous apprend que durant douze cent soixante jours la ville sainte fut foulée aux pieds, les deux témoins persécutés jusqu'à la mort (1), la femme enceinte poussée dans le désert (2), et la guerre déclarée aux saints. C'est dès le commencement de ces jours que la bête commence à blasphémer contre Dieu, contre son saint nom , contre le ciel et ses citoyens (3) ; et durant tout le cours de ces jours malheureux, les blasphèmes ne sont point interrompus. Tout cela a dû commencer du temps de saint Léon et a dû durer sans interruption douze cent soixante ans, si les jours, qui sont des années, commencent sous

 

1 Apoc., XI. — 2 Apoc., XII, 6, 14. — 3 Apoc., XIII, 5, 6.

 

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ce grand Pape. Qu'on nous dise comment des blasphèmes vomis contre Dieu, la guerre déclarée aux saints et l'Eglise foulée aux pieds n'empêchent pas, je ne dirai plus qu'on ne soit saint, puisque le ministre ne veut plus donner un si beau titre à saint Léon mais qu'on ne soit honnête homme et qu'on n'évite la damnation.

Le ministre voudrait bien pouvoir exempter l'Eglise romaine de ces attentats affreux du temps de saint Léon et de saint Gélase, sous prétexte que l'Antéchrist « peut n'avoir pas fait en naissant tout le mal qu'il a fait dans la suite (1). » Mais saint Jean est trop exprès ; il fait trop formellement commencer la persécution et les blasphèmes au moment que la bête paraît ; il les fait durer trop évidemment durant tous ces jours : il faut enfin trancher le mot et avouer que « l'Eglise commença dès lors, » c'est-à-dire sous l'Antéchrist saint Léon, « à blasphémer contre Dieu et contre ses saints; car ôter à Dieu son véritable culte pour en faire part aux saints, c'est blasphémer contre eux (2). » Si saint Léon est exempt de ces blasphèmes, il n'est donc pas la bête de saint Jean ; s'il l'est, quelque jeune qu'elle soit encore, elle est infâme et horrible, blasphématrice et persécutrice dès qu'elle paraît ; autrement saint Jean s'est trompé, et il ne faut plus donner de croyance à ses prophéties.

On voit donc bien maintenant combien sont vaines les comparaisons dont le ministre éblouit le monde : il y a des dispositions à l'hydropisie et à la phtisie, qui n'empêchent peut-être pas absolument la santé, parce qu'elles ne dominent pas encore assez pour faire une hydropisie ou une phtisie formée : mais on ne dira jamais que la phtisie et l'hydropisie déjà formée soit autre chose qu'une extrême et funeste maladie. Qu'il y ait des dispositions à l’antichristianisme qui ne soient peut-être pas tout à fait mortelles, cela n'est pas impossible : mais que l'antichristianisme formé, c'est-à-dire le blasphème et l'idolâtrie formée, ne soit pas d'abord un mal mortel et un monstre exécrable dès le premier jour, c'est brouiller toutes les idées, et il ne reste plus aux ministres que de faire des blasphèmes une oppression, une idolâtrie innocente.

 

1 Lett. XIII, p. 99, col. 2. — 2 Ibid.

 

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Mais, dit-il, l'idolâtrie avait commencé dès le temps de saint Paul, et cet Apôtre en reprenait le commencement dans quelques Asiatiques qui adoraient les anges (1). Il est vrai, mais aussi que dit saint Paul à ces adorateurs des anges ? « Qu'ils ne sont plus attachés à celui qui est la tête et le chef (2), » c'est-à-dire à Jésus-Christ , « d'où nous vient l'influence » de la vie : voilà comme cet Apôtre traite ce commencement d'idolâtrie. Si celle que saint Léon et les autres Pères ont autorisée était de cette nature, ils étaient dès lors séparés de Jésus-Christ.

Mais il faut remonter plus haut que saint Léon. J'ai demandé au ministre (3) qu'il nous montrât dans ce grand Pape ou dans les auteurs de son temps, au sujet des saints, quelque chose de plus ou de moins qu'on n'en trouve au quatrième siècle dans saint Ambroise, dans saint Basile, dans saint Chrysostome, dans saint Grégoire de Nazianze, dans saint Augustin : il ne fait pas seulement semblant de m'entendre , et il ne dit mot, parce qu'il sait bien qu'il n'y a rien à dire.

Tâchons de suppléer à ce défaut. Dans les temps de saint Léon, le ministre avait choisi Théodoret, « comme celui dans les paroles duquel le faux culte des saints et des seconds intercesseurs était si bien formé (4). » Ecoutons donc les paroles d'un si savant théologien, et voyons comme il a parlé aux Gentils sur les martyrs : « Nous n'en faisons pas des dieux comme vous faites de vos morts : nous ne leur offrons ni des effusions, ni des sacrifices ; mais nous les honorons comme des serviteurs de Dieu , comme ses martyrs et comme ses amis (5). » C'est ce qu'avaient dit avant lui tous les autres Pères. Que s'il appelle leurs temples, ceux qu'on érige à Dieu en leur mémoire, ce n'était pas pour en faire des divinités, puisqu'il venait de détruire cette fausse idée, et qu'il ajoute incontinent après « qu'on s'assemblait dans ces temples pour y chanter les louanges de leur Seigneur : » en quoi il ne dégénère pas des Pères, ses prédécesseurs, puisque saint Grégoire de Nazianze avait parlé comme lui « des maisons sacrées qu'on offrait comme un présent

 

1 Lett. XIII, p. 99, col. 1. — 2 Coloss., II, 19. — 3 Variat., liv. XIII, 27, 28.— 4 Accomp. des prophéties, IIe part., p. 21, 22.— 5 Serm. VIII, de Martyr., p. 599, 605, etc.

 

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aux martyrs (1) ; » mais il avait aussi ajouté que c'était le Dieu des martyrs qui les recevait.

J'avais donc eu raison de conclure (2) qu'avec la même raison qu'on emploie à faire un Antéchrist de saint Léon, on en aurait pu faire autant de saint Augustin , de saint Basile et des autres Pères du quatrième siècle ; qu'il leur fallait faire commencer les blasphèmes et l'idolâtrie de la bête, et que rien n'en empêchait, si ce n'est que les douze cent soixante ans seraient expirés trop tôt : cela était concluant, aussi n'y a-t-on rien opposé que le silence. J'avais parlé de la même sorte de la primauté du Pape, et j'avais demandé qu'on me montrât que saint Léon en eût été plus persuadé que ses prédécesseurs, en remontant, sans aller plus loin, jusqu'au Pape saint Innocent. Il n'y avait, pour me satisfaire , qu'à lire vingt ou trente lettres de ces Papes, et à me montrer que saint Léon eût dit de sa primauté quelque chose de plus ou de moins que ces grands hommes. On me dit pour toute réponse qu'un de nos critiques a écrit que Léon avait poussé plus loin que les autres les prérogatives de son siège (3) : mais ce critique parle-t-il de la prérogative essentielle qui est celle de la primauté, ou de certains privilèges accidentels qui peuvent croître ou diminuer avec le temps? Qu'il le demande à cet auteur ; il lui répondra que la primauté est de droit divin, et également reconnue par les prédécesseurs de saint Léon et par lui-même. Le ministre ne veut donc encore qu'amuser le monde par ses faibles allégations ; et cependant il dit tout court, sans en apporter la moindre preuve : « La tyrannie de l'évêque de Rome était inconnue avant Léon (4). » Saint Léon est donc le premier tyran qui se soit assis dans la chaire de saint Pierre : les tyrans sont devenus honnêtes gens, et la tyrannie même accompagnée de l'idolâtrie, ne damne plus.

Et sans entrer dans la dispute de la primauté, si c'est un caractère d'Antéchrist que saint Léon ait été reconnu au concile de Chalcédoine comme le chef de l'Eglise et du concile (5), ce caractère

 

1 Orat. III, quae est I in Julian., p. 59 et seq. — 2 Var., liv. XIII, 28. — 3 Accompl. des proph. IIe part. p. 99.— 4 Ibid.— 5 Epist. ad Leon., etc; Labb., Conc., tom. IV, col. 833, etc.

 

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avait commencé dès le concile d'Ephèse, où les légats de saint Célestin disent hautement, avec l'approbation de tous les Pères : « Nous rendons grâces au saint et vénérable concile, de ce que tous les saints membres qui le composent, par vos saintes acclamations, se sont unis avec leur saint Chef, Votre Sainteté n'ignorant pas que saint Pierre est le chef de la foi et des apôtres (1). »

Qu'on me montre enfin que saint Léon ait jamais rien dit de plus magnifique sur la primauté de son siège que ce qu'en dit saint Innocent, lorsqu'il répond aux conciles de Carthage et de Milevi (2), qui lui demandaient la confirmation des chapitres qu'ils avaient dressés sur la foi, qu'ils s'étaient acquittés de leur devoir en recourant, comme ils avaient fait, au jugement du chef de leur ordre, selon qu'il était prescrit par l'autorité divine, et le reste qui est connu de tout le monde. Sur quoi, loin de lui répondre qu'il s'était attribué trop d'autorité, saint Augustin répond au contraire qu'il avait parlé comme il convenait au prélat du Siège apostolique.

Rétablissons donc hautement les conséquences de l'Histoire des Variations que le ministre a tâché de détruire, et concluons que de faire un Antéchrist de saint Léon, de dire avec les ministres que l'Antéchrist ait été dans ce saint Pape, au lieu de dire avec tous les Pères que c'est saint Pierre et Jésus-Christ même qui ont parlé par sa bouche, et de faire commencer sous lui les blasphèmes, la tyrannie et l'idolâtrie de la bête, c'est le comble de l'extravagance , et non-seulement une fausseté, mais encore une impiété manifeste.

 

XXXI. — Le ministre établit le commencement de l'idolâtrie dans les miracles que Dieu fait pour confondre Julien l'Apostat.

 

En vérité, mes frères, il n'est pas possible que vous envisagiez distinctement ce que vos docteurs sont obligés de vous dire, pour trouver au quatrième siècle leur idolâtrie prétendue dans l'Eglise de Jésus-Christ. Pourriez-vous entendre sans horreur ces paroles de votre ministre ? « Durant près de trois cent cinquante ans, dit-il, on n'avait ouï parler d'aucun miracle fait par les reliques;

 

1 Conc. Ephes., act. II ; Labb., tom. III, col. 619. — 2 Int. epist. August., 91., 93.

 

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mais sous le règne de Julien l'Apostat, le martyr Dabylas, enterré dans un faubourg d'Antioche, appelé Daphné, cent ans après sa mort, s'avisa de faire des miracles (1). » Des paroles si méprisantes, dont on traite les saints martyrs, ne vous ouvriront-elles jamais les yeux ? Mais on n'a osé vous tout dire, de peur de vous faire voir trop d'impiété dans le discours que vous venez d'entendre : on vous a tu que ces miracles du saint martyr Babylas, dont on se moque, avaient été faits pour confondre le faux oracle d'Apollon, que Julien l'Apostat allait consulter. Cet impie en fut effrayé ; toute l'Eglise fut édifiée et apprit à mépriser les menaces d'un prince infidèle : tous les saints, d'un commun accord , louèrent Dieu de la gloire qu'il avait donnée à ses martyrs, que cet apostat traitait de misérables esclaves et de scélérats. Je ne sais quand les miracles sont nécessaires, si ce n'est à ces occasions ; et ceux-ci eurent tant d'éclat, que les païens mêmes ne les turent pas (2). Mais tout cela est le jouet de votre ministre ; et pour comble d'impiété, il ajoute : « Ainsi la corruption du christianisme commença dans le même lieu où les fidèles avaient commencé d'être appelés chrétiens, c'est-à-dire à Antioche. » En vérité est-on chrétien , quand on fait commencer la corruption et l'idolâtrie dans les miracles que Dieu fait pour confondre un prince qui relevait les idoles abattues?

XXXII. — Autre parole prodigieuse du même ministre.

 

Mais voici dans le même lieu des paroles qui ne sont pas moins étranges : « Il est, dit-il, à remarquer que cet esprit de fable s'est introduit dans l'Eglise précisément dans le temps que l'idolâtrie antichrétienne a commencé d'y entrer. Les Vies des anciens moines, Paul, Antoine , Hilarion, etc., ont été écrites par saint Jérôme sans bonne foi et sans jugement. L'histoire de l'Eglise depuis ce temps ( c'est, comme on voit, depuis le quatrième siècle, car c'est alors que saint Jérôme écrivait ces vies ), commence à être un roman (3), » à cause qu'à chaque page la Réforme y est confondue. Allez, et accomplissez la mesure de vos pères : accomplissez les prédictions de l’Apocalypse au sens que vous voulez

 

1 Jur., Accompl., Ière part., chap. XI, p. 203.— 2 Am. Marc. — 3 Ibid.

 

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nous les appliquer, et faites voir par votre exemple que des chrétiens peuvent blasphémer contre Dieu et contre les saints.

 

XXXIII. — Que les Pères que ce ministre accuse d'idolâtrie, sont de son aveu les plus grands théologiens de l'Eglise.

 

Cependant il ne faut pas croire que ce ministre, tout audacieux qu'il est, puisse mépriser en son cœur ces saints docteurs du quatrième siècle qu'il charge de tant d'outrages : c'est sa cause qui le contraint; car au reste voici ce qu'il dit de ces grands hommes : « Les IVe et Ve siècles produisirent des docteurs distingués en comparaison des précédents. Les premiers docteurs du christianisme, après les apôtres, ont été de pauvres théologiens ; ils ont volé rez pied , rez terre : il y a plus de théologie dans un seul ouvrage de saint Augustin que dans tous les livres des trois premiers siècles, si l'on en excepte Origène (1). » Il dit aussi que jusqu'au cinquième siècle , « et durant l'espace de quatre cents ans , l'Eglise apostolique enfantait le christianisme (2). » Il fait durer la victoire qu'elle remporta sur les démons, « jusqu'à Théodose, » sous lequel tous ces grands hommes florissaient. Comment donc le pur argent de l'Eglise s'est-il changé tout à coup en écume ? Comment tant de saints docteurs sont-ils tout à coup devenus idolâtres ? Et comment établissent-ils l'empire du démon, pendant qu'on avoue qu'ils le renversent ?

 

XXXIV. — Etrange idée du christianisme dans le parti protestant.

 

Voici, mes frères, dans la doctrine de votre ministre, une étrange constitution de l'Eglise chrétienne et une terrible tentation pour tous ceux qui se disent réformés. Pour peu qu'il leur reste d'amour envers l'Eglise de Jésus-Christ, ils ne peuvent pas n'être pas émus, quand ils la vaient livrée au blasphème et à l'idolâtrie durant douze cent soixante ans. D'abord on avait mis à couvert de la corruption les quatre, les cinq, les six, ou même les sept à huit premiers siècles, qu'on appelait les beaux jours : mais ils se sont trouvés trop papistiques : on les a attaqués comme les autres, et le quatrième, tant révéré jusqu'à nos jours, n'a pu

 

1 Accomp., IIe part., p. 333. — 2 Accomp., Ire part., p. 22, 23.

 

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s'en sauver. On avait du moins réservé les trois premiers siècles, où la doctrine bannie de tous les autres semblait avoir un refuge mais maintenant c'est toute autre chose. Les Pères de ces trois siècles sont de pauvres théologiens, si on en excepte Origène c'est-à-dire celui de tous dont les égarements sont les plus certains et les plus extrêmes.

Mais peut-être que l'ignorance de ces pauvres théologiens des trois premiers siècles est dans des points peu importants. Non, dans les lettres que M. Jurieu oppose aux Variations, il n'accuse de rien moins ces saints docteurs que d'avoir tellement embrouillé le mystère de la Trinité, qu'il est demeuré « informe jusqu'au concile de Nicée : » la théologie de ces trois siècles a varié sur ce mystère : les anciens n'avaient « pas une juste idée de l'immutabilité de Dieu, » et ils ne savaient même pas du premier Etre ce que les philosophes en avaient connu : « ils ont mis de l'inégalité dans la Trinité; » ils n'avancent point cela « comme leur propre imagination; » c'était la doctrine reçue ; a et tous les anciens des trois premiers siècles » sont coupables de cette erreur. Le mystère de l'incarnation n'a pas été mieux connu : ce n'est que par les disputes avec tous les hérétiques, et entre autres avec les eutychiens, qu'enfin cette vérité est arrivée à sa perfection au concile de Chalcédoine. « Et de combien de ténèbres les lumières se trouvent-elles mêlées dans les Pères des trois premiers siècles, et même en ceux du quatrième (1) ? » A peine connaissaient-ils Dieu : il n'y a rien qu'ils dussent mieux savoir que l'unité, la toute-puissance, la sagesse, l'infinie bonté et l'infinie perfection de ce premier Etre ; car c'est ce qu'ils soutenaient contre les païens : cependant combien trouve-t-on sur ce sujet de « variations et de fausses idées? » Voilà ce que dit la première lettre où les Variations sont attaquées. La IIe qui est en ordre la vue, de 1688, confirme tout cela et fait voir la même ignorance et la même instabilité dans ce qui regarde la grâce et la satisfaction de Jésus-Christ, articles essentiels au christianisme ; et en un mot la théologie « des anciens est demeurée informe, imparfaite, flottante dans la manière d'expliquer les mystères. » Aussi ne paraît-il pas

 

1 Lett. VI, de 1688, p. 43 et suiv.

 

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que les anciens docteurs des trois premiers siècles « se soient beaucoup attachés à la lecture de l'Ecriture sainte, » où la vérité prend sa dernière forme : « Ils sortaient des écoles des platoniciens, et remplissaient leurs ouvrages de leurs idées, au lieu de s'attacher uniquement aux pensées du Saint-Esprit (1). »

Il est vrai que la fin de cette lettre en détruit le commencement. Car aussi comment répondre aux objections des sociniens ou des tolérants, comme les appelle M. Jurieu (2), qui concluent que tous ces mystères ne sont pas bien importants, si les Pères des trois premiers siècles les ont ignorés ? Mais enfin s'il a fallu, pour les satisfaire, dire qu'on n'a pas varié sur des points si essentiels, il a fallu dire le contraire pour soutenir les variations de la nouvelle Réforme : il faut, dis-je, que les premiers siècles aient varié, et il faut à la fin varier soi-même, afin de confondre l'évêque de Meaux, qui a osé avancer que la véritable religion ne varie jamais.

Cependant à quoi s'en tiendront les réformés ? A l'Ecriture, dira-t-on : pendant qu'on la fait en même temps un livre que les docteurs des trois premiers siècles n'entendaient pas, n'étudiaient guère et où, loin de trouver les mystères que Jésus-Christ avait enseignés en venant au monde, ils ne trouvaient même pas ce que les philosophes connaissaient de Dieu par leur simple raisonnement : de sorte qu'à suivre le système entier des protestants, les impies peuvent reprocher au christianisme que jamais secte ne fut plus mal instruite, quoiqu'elle se vante d'avoir des livres divins, puisque dans les trois premiers siècles qui touchent de plus près à la source de l'instruction apostolique, on ne voit qu'une a si pauvre, une si infirme, une si flottante et si variable théologie ; » et dans le quatrième siècle, où la science commence, on se replonge aussitôt dans l'idolâtrie : sans quoi il n'y a point de bête, ni de Babylone pour les protestants, il n'y a point de Pape Antéchrist, il n'y a point d'idolâtrie antichrétienne.

 

1 Lett. VII, de 1688, p. 50, 51. — 2 P. 56.

 

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XXXV. — Démonstration que, de l'aveu du ministre, il n'y a rien dans l’Apocalypse qui marque sa prétendue idolâtrie ecclésiastique, quoique rien ne s'y dût trouver davantage selon ses principes.

 

Mais encore faudrait-il du moins que saint Jean nous eût expliqué ce grand mystère, et le ministre en convient : car en parlant de ce nouveau genre d'idolâtrie ecclésiastique, qu'il établit dès le quatrième siècle : « Cela, dit-il, ne s'est point fait par hasard : Dieu l'a permis, Dieu l'a prévu, et sans doute Dieu l'a prédit ; car il n'y a point d'apparence, continue-t-il, qu'ayant pris le soin de marquer dans ses prophéties des événements incomparablement moins considérables, il eût oublié celui-ci (1). » J'en conviens; je donne les mains à une vérité si manifeste : je dis aussi, à l'exemple du ministre : Une idolâtrie dans l'Eglise, qui y règne treize cents ans dans ses plus beaux jours, et à commencer au quatrième siècle, une idolâtrie dont les saints sont les auteurs, est un prodige assez grand pour mériter d'être prédit; et Dieu « qui ne fait rien, » comme il dit lui-même, « qu'il ne révèle aux prophètes, ses serviteurs (2), » ne devait pas leur cacher un si grand secret. Il s'en est tu néanmoins : je vois bien dans l’Apocalypse une idolâtrie persécutrice des saints ; mais je n'y vois pas que les saints en soient les auteurs, qu'un saint Basile, un saint Augustin, un saint Ambroise, un saint Léon, un saint Grégoire dussent être ces idolâtres parmi lesquels l'Antéchrist prendrait naissance. Je vois bien, encore un coup, dans l’Apocalypse (3), « que la sainte cité sera foulée aux pieds par les gentils. » Que les saints, a ces nouveaux gentils, » dussent eux-mêmes « fouler aux pieds la cité sainte , » c'est bien à la vérité le mystère des protestants et de M. Jurieu, après Joseph Mède et les autres; mais je ne le vois pas dans l’Apocalypse, quoiqu'on prétende que ce mystère en fasse le principal sujet.

Il est vrai que M. Jurieu produit deux passages de l’Apocalypse où il a tenté de trouver cette idolâtrie qui devait régner dans l'Eglise; mais il est lui-même convenu que ces deux passages ne satisfont pas. Le premier était au chapitre XI dans le « parvis livré aux gentils. » Le second était au chapitre XVII, « où, dit-il, l'idolâtrie

 

1 Ière part., p. 178. — 2 Amos, III, 7. — 3 Apoc., XI, 2.

 

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papistique est comparée à une adultère (1). » Mais dans la suite il déclare qu'il n'est pas content de ces passages : « Le premier, dit-il, est trop obscur, et le second trop général (2). » Il n'y a rien en effet de plus obscur que le premier passage. « Le parvis du temple est livré aux gentils (3) ; » donc ces gentils seront chrétiens , comme s'il était impossible que les vrais gentils, les Romains , adorateurs des faux dieux, aient opprimé l'extérieur de l'Eglise : non-seulement cela est obscur, comme l'avoue le ministre, mais il est absolument faux, comme nous l'avons démontré (4). Pour les lieux où le ministre soutient que l'idolâtrie de l’Apocalypse est appelée une adultère, et que c'est par conséquent l'infidélité d'une épouse, c'est-à-dire d'une église, cela n'est pas seulement trop général, comme l'avoue le ministre, mais évidemment inventé par le mensonge du monde le plus hardi, puisque le mot d'adultère, loin de se trouver dans saint Jean une seule fois, y est même, comme on a vu (5), expressément évité.

Voilà ce que le ministre a produit pour trouver dans l’Apocalypse sa prétendue idolâtrie ecclésiastique. Mais à ces deux passages qu'il a produits dans son Accomplissement des prophéties, il en ajoute un troisième dans une de ses lettres ; c'est celui « de la femme cachée dans le désert douze cent soixante jours ; » d'où il conclut avec un air triomphant : « Il faut donc que l'idolâtrie règne dans l'Eglise chrétienne douze cent soixante ans (6). » Où y a-t-il en ce lieu un seul mot d'idolâtrie, et encore d'idolâtrie régnante dans l'Eglise ? Est-ce qu'on ne peut être dans le désert, dans la fuite, dans la retraite, sans idolâtrie ? Mattathias et ses en-fans, et les autres qui les suivirent « dans les montagnes et dans le désert, pour y chercher le jugement et la justice (7), » y sacrifiaient-ils aux idoles ? Mais l'idolâtrie qui les y poussait par ses persécutions était-ce une idolâtrie ecclésiastique, et au contraire n'était-ce pas l'idolâtrie d'un Antiochus et des Grecs? Pourquoi n'en sera-t-il pas de même de cette femme mystique, c'est-à-dire de l'Eglise? C'était la persécution des païens qui la contraignait à

 

1 Jur., Accomp.. Ire part., chap. XI, p. 178.— 2 Ibid., p. 179. — 3 Apoc., XI. — 4 Ci-dessus, n. 8; explic. du chap. XI, de l'Apoc., V, 2. — 3 Ci-dessus, n. 9; Préf., n. 9. — 6 Lett. XVII, première ann., p. 139. — 7 I Mach., II, 29.

 

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cacher son culte dans les endroits les plus retirés de la vue des hommes ; c'était là le désert où elle était; mais elle y était dans a un lieu préparé de Dieu, » où « on la paissait, comme porte l’Apocalypse (1), où ses pasteurs lui administraient la sainte parole. Elle y était soutenue par ces deux témoins qui ne cessèrent de la consoler tant que durèrent ses souffrances. Elle y avait ses Moïse, ses Aaron, ses Mattathias et ses autres sacrificateurs, comme le peuple dans le désert en sortant d'Egypte, afin qu'on n'aille pas ici s'imaginer un état d'église invisible, que l'Ecriture ne connaît pas et que les ministres mêmes ne souffrent plus.

Ainsi le ministre est forcé de sortir de l’Apocalypse pour trouver son idolâtrie ecclésiastique. En effet il ne la trouve, dit-il (2), bien clairement expliquée que dans la première à Timothée, chapitre IV. Dieu soit loué : enfin l’Apocalypse est à cet égard en sûreté contre ses profanations : voyons en peu de paroles comme il profane saint Paul. Cet écart ne sera pas long, et nous reviendrons à saint Jean dans un moment.

 

XXXVI. — Examen d'un passage de saint Paul, où le ministre prétend trouver, après Joseph Mède, son idolâtrie régnante dans l'Eglise.

 

Voici le passage de saint Paul où, à quelque prix que ce soit, on veut trouver cette idolâtrie qui doit régner dans l'Eglise : « L'Esprit dit expressément que quelques-uns, dans les derniers temps, s'abandonneront à des esprits abuseurs et à des doctrines de démons (3). » La voilà, dit le ministre, cette idolâtrie antichrétienne que nous cherchons (4). Pour moi, j'ai beau ouvrir les yeux, je n'y vois rien ; mais Joseph Mède, le plus outré et le plus entêté des interprètes, a développé ce secret, dont aucun auteur, ni catholique ni protestant, ne s'était encore avisé. La note de Desmarais avait entendu naturellement une doctrine de démons, celle dont les démons sont les auteurs ou les promoteurs. Les autres avaient tous dit la même chose; on ne trouve que ce sens-là dans les critiques d'Angleterre. Il est vrai que dans la Synopse on propose le sentiment de Joseph Mède : mais on ne cite que lui seul,

 

1 Apoc., XI, 3; XII, 6; voyez l'explication de ces passages. — 2 Voyez l'explication de ces passages, p. 166. — 3 I Timoth., IV, 1. — 4 P. 166.

 

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et il paraît que tout le reste lui était contraire. Quoi qu'il en soit, Joseph Mède nous apprend, et le premier et le seul, « que la doctrine des démons, » c'est la doctrine qui honore les démons, c'est-à-dire celle qui honore les anges et les âmes bienheureuses; et en un mot, c'est la doctrine du culte des saints, c'est-à-dire, comme il en convient, celle des docteurs du quatrième siècle.

Il faut bien du circuit pour arriver là : voyons par quel chemin M. Jurieu, le premier sectateur de Mède, nous y conduit : « Nous apprenons de saint Augustin que les corps des martyrs Gervais et Protais furent découverts à la faveur d'un songe. » Poursuivons : « Je ne voudrais pas faire à saint Ambroise le tort de l'accuser d'avoir supposé cette vision pour tromper le peuple, pour faire de faux miracles, afin de faire triompher le parti du consubstantiel sur l'arianisme (1). » Voilà un homme précautionné, qui à ce coup semble vouloir épargner les saints : il insinue néanmoins qu'il pourrait bien y avoir quelque petite partialité, et que ces miracles servaient à soutenir le parti de saint Ambroise, c'est-à-dire celui du Fils de Dieu contre les ennemis de sa divinité. Mais sans entrer là-dedans, le ministre décide ainsi : « Ce qui est certain, c'est que ce fut un esprit trompeur qui abusa saint Ambroise et qui lui découvrit ces reliques pour en faire des idoles. » Il traite de la même sorte toutes les autres visions célestes que tous les Pères racontent en ce temps, et tous les miracles qui suivirent. Il n'était pas digne de Dieu d'autoriser par des miracles la consubstantialité de son Fils, pendant qu'une impératrice en persécutait les défenseurs ; et c'est une œuvre à renvoyer aux esprits trompeurs.

Mais enfin, quand cela serait, toujours aurait-on peine à comprendre que par la doctrine des démons il fallût entendre, non pas la doctrine qu'ils inspirent, mais la doctrine qui enseigne à les adorer. On aurait encore plus de peine à entendre que saint Ambroise et les catholiques adorassent les démons, sous prétexte qu'on leur fait accroire qu'ils adorent les saints anges et les âmes bienheureuses. Le ministre n'y trouve pourtant qu'un seul embarras : « C'est que le démon, dans l'Ecriture sainte, ne se prend

 

1. P. 166.

 

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jamais en bonne part : il signifie toujours ces esprits impies qui séduisent les hommes en ce monde et les tourmentent en l'autre ». » Voilà une objection qui ne souffrait point de réplique. Mais Joseph Mède, et après lui M. Jurieu trouvent dans les Actes que les Athéniens parlent de saint Paul « comme d'un homme qui annonçait de nouveaux démons (2), » c'est-à-dire de nouveaux dieux. Voilà donc le nom de démons pris en bonne part, je l'avoue, par les Athéniens et par les gentils; que saint Luc fait parler ici et à qui ce langage était familier; mais ne nous montrer ce langage que dans la bouche des gentils, c'est visiblement confirmer que ce n'est pas le langage de l'Ecriture. Mais, dit-on, c'est saint Paul lui-même qui dans le même chapitre dit encore aux Athéniens a qu'il les trouve plus attachés que les autres au culte des démons deisidamonesterous (3), Quand cela serait, les dieux des gentils, selon le style de l'Ecriture, ne sont-ils pas de vrais démons séducteurs, qui se font adorer par les hommes ? Et quand saint Paul aurait parlé aux Athéniens selon leur langage, s'ensuit-il qu'il dût ainsi parler à Timothée ? Mais au fond le mot de saint Paul ne veut dire que superstition ou fausse dévotion, comme l'a traduit la Vulgate et les protestants eux-mêmes (4).

Il n'y a donc constamment aucun endroit de l'Ecriture où le mot de démons se prenne autrement que pour de mauvais esprits; et M. Jurieu est insupportable, pour trouver son idolâtrie prétendue, de forcer tout le langage des Livres divins et de faire écrire saint Paul à Timothée dans un style qui n'est connu que des gentils. Mais ce qui suit est risible : « Il y a, dit-il, beaucoup d'apparence que c'est des Turcs que parle saint Jean au chapitre IX de l’Apocalypse; et que ceux qui sont affligés par leurs armées, sont les chrétiens auxquels est attribué le culte des démons, à cause qu'ils adoraient les saints et les anges (5). » Se moque-t-il de nous donner ses visions pour preuves? Et qui ne voit au contraire qu'il n'y a rien de plus creux que ses visions, si pour les soutenir, il faut renverser tout le langage de l'Ecriture?

 

1 P. 191, 192. — 2 Ad., XVII, 18. — 3 Ad., XXII, 22. — 4 Bib. de Gen., note de Desmar. — 5 Accomplis. des proph. p. 192.

 

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Voici enfin son dernier refuge. Il est vrai, il n'est pas possible de trouver un seul endroit de l'Ecriture où les démons se prennent, comme nous voulants, en bonne part; mais nous ne laisserons pas de dire que les papistes adorent les démons, parce qu'encore qu'ils croient adorer, ou les anges, ou les âmes saintes, toutefois ces esprits bienheureux ne recevant pas leur culte, il ne peut aller qu'aux démons. Qui ne serait fatigué de ces violences qu'on fait au bon sens? Par ce moyen, s'il faut définir la religion des Mahométans, ou même celle des Juifs, et quel est l'objet qu'ils adorent, il n'y aura qu'à dire : Ce sont les démons, parce qu'il n'y a que les démons à qui leur culte soit agréable. Mais il y a plus : il n'y a qu'à dire que saint Ambroise et les autres saints du quatrième siècle, lorsqu'ils demandaient aux saints la société de leurs prières et qu'ils honoraient leurs reliques, étaient ces adorateurs des démons dont on prétend que saint Paul a voulu parler, puisque, selon M. Jurieu, ni Dieu ni les saints n'admettaient leur culte. Voilà donc, selon ce ministre, les saints mêmes adorateurs des démons, et c'est là tout le dénouement de la pièce.

 

XXXVII. — Le ministre entraîne dans ses excès par le désespoir de sa cause.

 

Lorsqu'on tombe dans de si énormes excès, il faut être tout à fait livré à l'esprit d'erreur. Mais on voit aussi ce qui pousse le ministre dans cet abîme; car il déclare lui-même que « s'il s'est enfin déterminé à l'opinion de Joseph Mède, ce n'a pas été sans balancer, et qu'il a cru longtemps que cette opinion était plus ingénieuse que solide (1). » Qu'est-ce donc qui l'a entraîné à ce mauvais choix, où il n'a l'approbation de personne, pas même des habiles gens de la Réforme? C'est que, sans cette bizarre interprétation, il ne savait plus où trouver cette idolâtrie qu'il voulait placer dans les saints : car il fallait bien, selon lui (2), qu'elle fût prédite; Dieu n'avait pas manqué à son Eglise dans un point si important. Tous les passages de l’Apocalypse où il avait vainement tenté de la trouver, ne contentaient pas son esprit : « Il ne pouvait croire, dit-il, que Dieu n'eût laissé quelque oracle plus

 

1 Bib. de Gen., note de Desmar., p. 172. — 2 Ibid., p. 178, 179.

 

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clair et moins général pour prédire cette admirable conformité qui est entre le culte de l'ancien paganisme et celui de l'antichristianisme. » Il fallait qu'il y eût un texte formel pour prouver ce culte antichrétien que les saints Pères du quatrième siècle devaient introduire. « Or, poursuit-il, ce texte plus formel et plus clair que les autres, je ne le trouve pas ailleurs : » il est donc ici, puisqu'autrement il ne serait nulle part, et mon système serait renversé. Mais renversons sur sa tête l'argument dont il se sert contre nous. Cette idolâtrie des saints, ce paganisme régnant dans l'Eglise, était d'un caractère assez particulier pour être expressément prédit; le ministre en est d'accord : or est-il qu'il n'est pas prédit; on ne le trouve nulle part : le ministre n'est pas content des passages de l’Apocalypse où il avait cru le voir ; nous avons même montré qu'ils sont contre lui : il ne trouve enfin sa chimère qu'en un endroit de saint Paul où nul homme de bon sens ne l'avait trouvé, pas même parmi les protestants. C'est donc une vraie chimère et une chose qui ne subsiste que dans sa pensée et dans les calomnies des protestants.

 

XXXVIII. — La conformité que les protestants ont imaginée entre la théologie et le culte des Pères du premier siècle et les païens, détruite par les principes.

 

En effet, quoi qu'ils puissent dire, le vrai Dieu qu'on adorait au quatrième siècle n'est pas le Jupiter des païens : les anges et les autres esprits bienheureux dont saint Ambroise et les autres saints demandaient la société dans leurs prières, n'étaient ni des dieux, ni des génies, ni des héros, ni rien enfin de semblable à ce que les gentils imaginaient : c'étaient des créatures que Dieu avait faites du néant, seul et par lui-même; qu'il avait sanctifiées par sa grâce et couronnées par sa gloire, et toujours en les tirant du néant, ou de celui de l'être, ou de celui du péché : qu'on me montre ce caractère dans le paganisme, et j'avouerai aux protestants tout ce qu'ils voudront. Le culte est intérieur ou extérieur : l'intérieur consiste principalement dans le sentiment qu'on vient de voir, où il est clair que ni les saints Pères, ni nous qui les suivons, ne convenons pas avec les païens. Que si

 

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notre culte intérieur est si dissemblable, l'extérieur, qui n'est que le signe de l'intérieur, ne peut non plus nous être commun avec eux.

 

XXXIX. — Que l'interprétation des protestants brouille toutes les idées de l’Apocalypse et ne discerne ni les idolâtres, ni les saints dont parle saint Jean.

 

Ainsi l'interprétation des protestants brouille toutes les idées de l’Apocalypse : on ne sait plus ce que c'est de l'idolâtrie dont parle saint Jean, ni des idolâtres, des persécuteurs, des blasphémateurs dont il fait de si fréquentes peintures, si ces blasphémateurs et ces idolâtres sont les saints du quatrième siècle. Ceux qui trouvent les idolâtres dans les saints , afin que rien ne manquât à leur ouvrage, devaient encore trouver les saints dans des hérétiques et des impies. C'est ce qu'ils ont fait, puisqu'ils nous montrent les saints dans les Albigeois, qui sont de vrais manichéens; dans les Vaudois, qui font dépendre de leur sainteté l'efficace des sacre-mens; dans Viclef, un vrai impie, qui fait agir Dieu avec une inévitable et fatale nécessité, et le fait également cause du bien et du mal; dans Jean Hus, sans en dire ici autre chose, qui a canonisé Viclef; dans les taborites, qui furent les plus barbares de tous les hommes. Tout cela est clairement démontré au livre XI des Variations : voilà les saints de la Réforme.

Il est encore démontré dans le même livre que les Vaudois crurent comme nous la transsubstantiation; que Jean Hus l'a aussi tenue, et qu'il a dit la messe jusqu'à la fin; que Viclef a cru le purgatoire et l'invocation des saints; et que les Calixtins, qu'on met encore parmi les saints, ne diffèrent d'avec nous que dans la seule communion sous les deux espèces. On est donc saint avec tout le reste de notre doctrine et avec la Papauté même, qu'on nous donne comme le caractère de l'Antéchrist, puisqu'on sait que les Calixtins étaient toujours prêts à la reconnaître.

 

XL.— Vaines interprétations du chapitre XVI.

 

Un des endroits de l’Apocalypse où le ministre se vante le plus d'avoir réussi, c'est celui des fioles ou des plaies, dans le

 

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chapitre XVI (1); car, selon lui, c'est la clef de toute la prophétie, le plus important de tous les chapitres, celui aussi où le nouveau prophète se représente lui-même comme ayant frappé à la porte « deux fois, quatre, cinq et six fois » et tant qu'enfin la porte s'est ouverte. Alors donc lui fut révélé ce grand secret (2) que nous avons remarqué ailleurs (3), cette admirable liaison de la religion protestante et de l'empire ottoman que Dieu devait « abaisser en même temps pour les relever en même temps. » C'est ainsi qu'il augurait bien des armes de la chrétienté : mais ce n'est ici qu'un défaut particulier ; en voici un dans tout le plan des protestants. C'est d'avoir fait verser les fioles ou les coupes pleines de la colère de Dieu, les unes après les autres, avec une distance entre chaque fiole de cent ou de deux cents ans ; au lieu que le Saint-Esprit nous les fait voir comme répandues dans le même temps (4) et en vertu du même ordre ; ce qui en soi est bien plus digne d'une prophétie, que de prendre huit ou neuf cents ans pour y placer au large tout ce qu'on voudra. Ce serait là en vérité, pour un prophète aussi éclairé que saint Jean, prendre des idées trop vagues et ne rien marquer de précis. Mais de voir tous les fléaux de Dieu , et la peste avec la famine, s'unir à tous les malheurs de la guerre, tant civile qu'étrangère, et à d'autres maux infinis et inouïs jusqu'alors , ainsi qu'on l'aura pu Voir dans l'explication de ce chapitre, c'est un caractère marqué et digne d'être observé par un prophète.

Je ne puis oublier ici une imagination du ministre, qu'un protestant a trouvée aussi ridicule que les catholiques. Pour ajuster le système et venir bientôt à la subversion de l'empire du prétendu Antéchrist, M. Jurieu se croit obligé d'imaginer dans l'effusion de chaque fiole un certain période de temps qui le menât à peu près où il voulait (5). Je ne veux point répéter ici les remarques qu'on peut voir ailleurs sur ce sujet (6) : puisque le ministre n'y répond rien, c'est qu'il n'avait rien à répondre ; s'il les range parmi les choses qu'il ne juge pas seulement dignes de réponse, on doit

 

1 Accomp., IIe part., p. 5, 60, 94. — 2 Ibid.., p. 101.— 3 Hist. des Var., liv. XIII, n. 39. — 4 Voyez explic. du chap. XVI, 1. — 5 Exam. des end. de l’Accomp. des prophét., etc.— 6 Hist. des Var., liv. XIII, D. 36 et suiv. 43.

 

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connaître ses airs méprisants, qu'il ne prend que pour couvrir sa faiblesse. Remarquons seulement ici que pour faire que les sept fioles marquassent un certain temps, le ministre les a métamorphosées en clepsydres (1). Ne parlons point de la figure des fioles, qui sont des espèces de petites tasses très-éloignées de la forme et du dessin des clepsydres. C'est ce que M. Jurieu aurait pu apprendre des interprètes protestants (2). Mais laissant à part toutes ces critiques, il ne fallait que s'arrêter à l'idée que nous donne le Saint-Esprit. Ce n'est pas pour mesurer le temps que l'on remplit les fioles de la colère de Dieu, c'est pour la répandre : les anges la portent en leur main dans leur fiole, pour l'appliquer à ceux que Dieu veut punir; ils la versent tout à coup avec une action vive , non pas comme une liqueur propre à mesurer, mais comme une liqueur affligeante, dont aussi on voit d'abord l'effet terrible ; et le ministre croira satisfaire à l'idée si vive que le Saint-Esprit nous a donnée de ces anges, en les faisant de languissants mesureurs de temps, qui regardent couler la liqueur dont leurs fioles sont remplies.

Si ce n'est pas là faire ce qu'on veut des Ecritures, je ne sais plus ce que c'est. Mais que dira-t-on de cette belle explication où Armagédon est pris pour les anathèmes du Pape (3)? Armagédon, selon saint Jean, c'est le lieu où « les esprits des démons mènent les rois de la terre pour y livrer un grand combat (4). » Tous les savants interprètes, et même les protestants (5), demeurent d'accord que saint Jean regarde ici à un lieu où il s'était donné de sanglantes batailles; et tout cela convient parfaitement avec le dessein de cet apôtre : mais pour celui du ministre, il fallait qu'Armagédon fût le lieu d'où partent les anathèmes; c'est assez, pour en convaincre les ignorants, que ce soit un grand mot qui fasse peur; et il ne faut pas s'étonner qu'avec un tel dictionnaire, on trouve tout ce qu'on voudra dans les prophéties.

 

1 Apol., p. 2. — 2 Note de Desmar. sur le chap. XV, 7; Synops., ibid. — 3 Synops., p. 120 et suiv. — 4 Apoc., XVI. 14, 16. — 5 Voyez explic. de ce chap.

 

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XLI. — Sur le commandement de sortir de Babylone : qu'on ne sait ce que veut dire ce commandement, selon l'idée des protestants.

 

Nous avons suivi les protestants dans tous les chapitres de saint Jean où ils croient trouver quelque chose contre nous : dans le chapitre XIe dans le XIIe, dans le XIIIe dans le XVIe et dans le XVIIe. Nous n'avons trouvé qu'erreur et contradiction dans toutes leurs prophéties : mais voici le comble dans le chapitre XVIII, et cette remarque ne regarde pas un endroit particulier, mais tout le but du système.

Le but de tout le système est d'en venir à l'exécution de ce commandement : « Sortez de Babylone, mon peuple (1), » c'est-à-dire, comme on l'interprète, sortez de la communion romaine ; c'est là, selon les ministres (2), le vrai fondement de la réformation et la seule excuse du schisme. Or c'est ici qu'il y a le moins de sens. Pour l'entendre, il faut supposer, dans les principes de nos adversaires, que la Babylone d'où il faut sortir n'est pas un lieu destiné à la vengeance , telle qu'était l'ancienne Babylone, d'où il faille sortir selon le corps et passer en un pays plus heureux ; mais c'est une fausse église dont il faut, sans se déplacer et sans aucune transmigration, éviter la société. Cela posé, je demande quand est-ce qu'il faut sortir de la communion de cette mystique Babylone. Dès qu'elle est antichrétienne, et que son chef est l'Antéchrist? C'est ce que notre auteur semble vouloir dire par ces paroles, où il reproche à ses réformés que « s'ils avaient bien eu devant les yeux cette vérité, que le papisme est l'antichristianisine, ils n'auraient pas pu se résoudre à se soumettre à l'Antéchrist, parce que, » comme il ajoute aussitôt après, « il n'y a pas de communion entre Christ et Bélial (3). » Mais maintenant cette raison qui paraissait si spécieuse, n'a plus de force. L'auteur nous apprend que les fidèles n'ont pas dû rompre avec saint Léon  ni avec saint Grégoire, quoiqu'antechrists déclarés par des marques indubitables, et qu'ainsi la communion dont il faut sortir en vertu de ce commandement : « Sortez de Babylone, » n'est pas précisément celle de l'Antéchrist.

 

1 Apoc., XVIII, 4. — 2 Avis à tous les chrétiens devant l’Accomp., p. 48, 49. — 3 Ibid., p. 49.

 

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De dire que ce commandement ne regarde pas les commence-mens de l'Antéchrist, mais seulement son progrès, c'est parler en l'air ; car dès son commencement, la bête de l’Apocalypse et la femme assise dessus, est appelée « Babylone, la mère des prostitutions et des abominations , » c'est-à-dire « des idolâtries et des corruptions de la terre (1). » Elle porte des noms de blasphèmes ; « elle blasphème elle-même contre le ciel (2), » pendant toute la durée de son empire, qu'on veut être de douze cent soixante ans. Il la fallait donc quitter dès le commencement de ces douze cent soixante années. En effet le Saint-Esprit qui nous a marqué, à ce qu'on prétend, le commencement de cet empire par des caractères si précis, ne nous en a point donné d'autres pour nous expliquer le moment où il s'en faudrait séparer. Il fallait donc, ou commencer la séparation dès le temps de saint Léon, ce qu'on n'ose dire ; ou avouer qu'on ne sait plus quand il la faut commencer, et ainsi qu'on n'entend rien dans ce prétendu commandement dont on fait le fondement de la Réforme.

Il ne sert de rien de répondre qu'il y a des caractères marqués pour reconnaître les temps des grands progrès de la bête : car, sans ici s'arrêter à discuter ces caractères, si celui de l'idolâtrie ne suffit pas pour obliger à la séparation, quel autre caractère peut-on trouver qui puisse y obliger davantage ? S'il faut que l'idolâtrie soit formée, on nous a dit qu'elle l'était sous saint Léon par les écrits de Théodoret (3), et même qu'elle était régnante ; que s'il faut avoir résisté aux avertissements, on avait ouï ceux de Vigilance qu'on avait laissé écraser à saint Jérôme.

Je ne m'arrêterai pas aux époques de Boniface III, ni même de Grégoire VII, où on prétend que l'antichristianisme a été le plus marqué (4) : car outre qu'il n'y a rien au-dessus de l'idolâtrie, qui néanmoins n'obligeait pas à se séparer, il est encore certain que les titres les plus odieux qu'on prétend que Grégoire VII s'est attribués, sans ici vouloir en disputer, n'appartiennent pas à la foi, et on n'est pas obligé de les recevoir pour demeurer dans l'Eglise. Il n'y a donc dans ces titres aucun fondement légitime de se

 

1. Apoc., XVIII, 5.— 2 Apoc., XIII. — 3 Sup., n. 28, 29. — 4 Accomp., IIe part. chap. II, p. 40 et suiv.

 

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séparer; et saint Jean nous le montre bien, selon notre auteur, puisqu'à présent que Babylone s'est élevée, selon lui, au comble de l'impiété, et qu'elle touche de si près à sa chute irréparable, le temps de l'obligation du précepte ne peut pas être encore arrivé, puisque, selon le nouveau système de l'Eglise (1), celle où nous sommes est encore une véritable partie de l'Eglise universelle, où Dieu a encore ses élus, captifs à la vérité, à ce qu'on prétend, mais enfin de véritables élus, qui néanmoins n'observent pas ce grand précepte : « Sortez de Babylone, mon peuple. » En effet, et c'est ici qu'on va remarquer une prodigieuse contradiction dans toute la doctrine des protestants ; à cause qu'il est dit : « Sortez de Babylone, mon peuple , » ils concluent que le peuple de Dieu y était donc, quoique captif (2) ; d'où ils infèrent encore, bien ou mal, que Babylone ne signifie pas une société ouvertement opposée à Jésus-Christ, mais une église chrétienne « où le vrai peuple de Dieu était renfermé dans l'enceinte et dans la profession externe de cette Babylone spirituelle (3). » Telle est la conclusion de nos adversaires. Mais de là nous concluons, à notre tour, que ce vrai peuple de Dieu sera renfermé jusqu'à la fin dans cette profession externe de la Babylone spirituelle ; car c'est précisément au temps de sa chute que ce précepte vient du ciel : « Sortez de Babylone, mon peuple. » Qu'on lise l'endroit de l’Apocalypse où cette voix du ciel est entendue : c'est à point nommé quand l'Ange s'écrie : a Elle est tombée, elle est tombée, la grande Babylone. Sortez-en, mon peuple, pour n'avoir point de part à ses péchés et n'être point enveloppé dans son supplice, parce que ses péchés sont montés jusqu'au ciel (4). » Voilà donc précisément le temps de la chute de Babylone qui concourt avec le temps du commandement d'en sortir. Ainsi dans ce moment fatal le peuple de Dieu est encore dans son enceinte, encore renfermé dans sa profession externe. Je demande premièrement, que veut dire ici le peuple de Dieu, si ce n'est le gros de ce peuple. Que si le gros du peuple de Dieu est encore dans la profession externe de Babylone dans le temps de

 

1 Préj., leg., Ire part., chap. I, p. 4 et seq., 15, 16, 22, etc.; chap. VII, 121, etc.— 2 Préj. lég., 1ère part., chap. VII, p. 121.—  3 Syst.,p. 145; Var., liv. XV, 54 et suiv. — 4 Apoc., XVIII, 4.

 

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sa chute, les Vaudois et les Albigeois, et les vicléfites, et les taborites, et les luthériens, et les calvinistes, qui en étaient déjà sortis un si long temps avant celui où l'on met sa chute, qu'étaient-ils donc autre chose, sinon le peuple réprouvé ? Et si l'on nous dit que le précepte d'en sortir, quoique prononcé au temps de la chute, s'étend à tous les siècles précédents, en sorte que le peuple de Dieu dût déjà en être sorti, pourquoi cette voix du ciel pour l'y obliger ? Dira-t-on que la plus grande partie du peuple de Dieu en était sortie, et qu'une petite y demeurait encore ? Mais la voix parle en général à tout le peuple de Dieu, et la raison en est évidente ; car cette voix de l’Apocalypse n'est qu'une répétition de celle que tous les prophètes avaient adressée aux Juifs, afin qu'ils sortissent tous de Babylone et de son empire, où ils étaient captifs. Ainsi cette parole : Mon peuple, enferme manifestement toute la société du peuple fidèle. Qu'on me montre enfin dans l'Ecriture que cette parole, ainsi prononcée généralement, ne signifie qu'une partie, et encore la plus petite du peuple de Dieu.

Mais je demande secondement, comment en tout cas cette petite parcelle du peuple de Dieu pouvait être encore renfermée dans la profession externe de Babylone au temps de sa chute. Est-ce qu'elle n'était pas encore assez corrompue, assez idolâtre, assez tyrannique, en un mot assez Babylone jusqu'à ce temps? Qu'est-ce donc qui lui attirait ces grandes plaies et une vengeance si terrible?

Je demanderais en troisième lieu, si ce peuple de Dieu pouvait demeurer dans la profession externe de l'idolâtrie, n'était que nous avons déjà vu que l'idolâtrie de saint Léon et celle de l'Eglise de son temps n'obligeait pas à en quitter la communion. Mais enfin si l'idolâtrie n'y oblige pas, à quel terme fixerons-nous la date de l'obligation ? On ne sait plus où l'on va : voici un précepte d'un genre tout nouveau, qui n'oblige en aucun cas et dont on ne connaît pas le sujet.

 

XLII. — Question, si les protestants rebutés de l'absurdité du système de Joseph Mède et de M. Jurieu, en peuvent forger un autre plus soutenable.

 

Peut-être que ceux qui verront les absurdités manifestes de la

 

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nouvelle interprétation, à la fin abandonneront à la risée de tout l'univers Joseph Mède et son défenseur, et soutiendront que le Pape n'en est pas moins l'Antéchrist, encore que ces téméraires aient donné une fausse date à la naissance de son antichristianisme : mais visiblement cela ne se peut ; car enfin, on ne tient plus rien, si on abandonne l'époque du démembrement de l'Empire romain. Pour peu qu'on change cette date, le Pape n'est plus l'Antéchrist, Rome n'est plus Babylone , l'homme de péché ne vient plus au moment de la ruine de l'Empire, comme on veut que saint Paul l'ait prédit; la septième tête, le septième roi, le septième gouvernement, qui est celui de l'Antéchrist, ne commence plus au temps des dix rois ; en un mot, tout le sens qu'on veut donner aux prophéties de ces deux apôtres s'en va en fumée. Or ce démembrement ne peut tomber au plus tard que vers le temps de saint Léon, dans le pillage de Genséric. Et il est vrai qu'on pourrait trouver en 410, quarante ans au-dessus, sous le Pape saint Innocent, une autre prise de Rome par Alaric, et le vrai commencement du démembrement de l'Empire. Mais Joseph Mède et son disciple ont appréhendé cette date, à cause qu'à commencer par cet endroit-là, les douze cent soixante ans se trouveraient déjà écoulés, et le système des protestants démenti par l'événement. Si donc ils ont commencé trente ou quarante ans au-dessous, c'est pour prolonger d'autant la vie du système, et donner encore ce petit cours aux espérances dont on amuse les peuples. Avec ce misérable artifice et tout l'esprit qu'ils ont usé si mal à propos dans de vaines conjectures, tout est plein d'absurdités dans leurs ouvrages ; l'Antéchrist devient un saint, l'idolâtrie devient innocente ; Babylone, la mère des prostitutions, devient en même temps la mère des enfants de Dieu ; et le peuple de Dieu est dans son enceinte, c'est-à-dire, comme on l'interprète, dans sa communion, dans sa profession externe ; on ne sait plus quand doit commencer, ni où doit finir le précepte : Sortez de Babylone, ni enfin ce qu'il signifie. Il est donc plus clair que le jour, que le nouvel article de foi de l'antichristianisme du Pape, sans lequel le ministre enseigne qu'on ne peut pas être chrétien, et où il met le fondement de la Réforme, non-seulement est destitué

 

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de toute autorité de l'Ecriture, mais encore si rempli de contradictions et d'absurdités, qu'il n'y a plus aucun moyen de le soutenir. On voit que tous ces grands mots : Antéchrist, idolâtrie, Babylone, blasphèmes, prostitutions, sont des termes employés par la Réforme à exciter la haine d'un peuple crédule, puisqu'on trouve sous ces noms affreux la vraie Eglise, et non-seulement la piété ordinaire, mais encore la piété la plus éminente et la sainteté même.

 

XLIII. — Conclusion de ce qui regarde le chapitre XVIII de l’Apocalypse.

 

Pour peu que les protestants considèrent les absurdités ou, pour mieux dire, les impiétés de cette interprétation, ils demeureront étonnés de s'être laissé surprendre à une illusion si grossière. Ils avaient devant les yeux un si grand objet : Rome tombée avec son empire du comble de la gloire, jusqu'à être la proie et le jouet des peuples qu'elle avait vaincus ! La chute de Babylone tant célébrée par les prophètes, n'a été ni plus grande, ni plus manifeste. Babylone n'a voit pas tant tyrannisé les saints que Rome, ni n'était demeurée plus longtemps qu'elle attachée à ses faux dieux. Que diront ici les protestants, en voyant tous les caractères de la ruine de Rome marqués par saint Jean, si évidemment accomplis? Riront-ils que saint Jean n'y a pas pensé, et que Dieu qui lui a fait voir, comme on en convient, les impiétés et les cruautés de Rome païenne qui a tant répandu de sang chrétien, ne lui en aura pas montré le juste supplice? C'est démentir l'événement, le plus sur interprète des prophéties; c'est démentir tous les Pères, qui dès l'origine du christianisme ont cru lire dans l’Apocalypse la destinée de l'Empire romain ; c'est démentir saint Jean, qui a donné à sa Babylone les caractères de Rome la païenne, comme ils étaient connus de son temps par tout le monde ; c'est se démentir eux-mêmes , puisqu'ils ont reconnu dans les dix rois du chapitre XVII la dissipation prochaine de l'ancien Empire, dont on ne trouve la consommation que dans le chapitre XVIII, comme il a été démontré (1).

 

1 Ci-dessus, n. 21.

 

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XLIV. — Si les protestants peuvent admettre une double chute de Rome

 

Les protestants pourraient dire qu'ils ne veulent pas exclure du chapitre XVIII de l’Apocalypse la chute de Rome païenne mais qu'il y a un double sens dans ce divin livre ; et qu'outre la chute de Rome sous Alaric ou sous Genséric, saint Jean regardait encore celle qu'ils attendent.

Mais il ne leur est pas permis de nous alléguer ces deux chutes : car, ou ce serait par le texte même qu'ils prétendraient nous y forcer, ce qui n'est pas, puisque la chute de Rome païenne épuise suffisamment le sens littéral; ou ce serait par la tradition, mais premièrement ils la rejettent, secondement ils n'en ont aucune qui les favorise.

Il faut ici les faire souvenir que c'est la chute d'une église qu'ils se sont obligés à nous faire voir dans le chapitre XVIII de l’Apocalypse, et encore de l'église la plus éclatante de tout le monde et dont la communion serait la plus étendue. Or c'est de quoi il n'y a aucune tradition, et pas même la moindre trace dans les Pères. Il y en a encore moins dans l’Apocalypse, comme nous l'avons démontré si clairement, qu'on ne peut plus y imaginer aucune réplique.

 

XLV. — Prédiction de saint Paul, II Thess., II.

 

Ne laissons aux protestants aucune des prophéties qu'ils ont profanées , et sauvons encore de leurs mains celle de saint Paul, II Thess., II. Mais il faut avant toutes choses la remettre sous les yeux du lecteur, et la voici traduite de mot à mot sur le grec, en marquant aussi en particulier la version de Genève et celle du ministre Jurieu, dans les mots qui sont importants :

1. Nous vous conjurons, mes frères, par l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par notre réunion avec lui.

2.  Que vous ne vous laissiez pas légèrement ébranler dans votre sentiment, et que vous ne vous troubliez pas, en croyant ou sur quelque prophétie, ou sur quelque discours, ou sur quelque lettre qu'on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur soit près d'arriver :

3.  Que personne ne vous séduise en aucune manière que ce

 

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soit ; car ce jour-là ne viendra point que la révolte ( Genève, ou l'apostasie) ne soit arrivée auparavant, et qu'on n'ait vu paraître cet homme de péché, cet enfant de perdition.

4.  L'ennemi (celui qui s'opposera à Dieu) et s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir comme un dieu au temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu.

5.  Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses lorsque j'étais parmi vous?

6. Vous savez bien l'empêchement (ce qui l'empêche de venir, ce qui le retient, Gen.), afin qu'il paroisse en son temps.

7.  Car le mystère d'iniquité commence déjà (se forme dès à présent , se met en train, Gen.) : seulement que celui qui tient (tienne encore), (celui qui a, ait encore); ou, celui qui obtient maintenant, obtiendra encore, Gen. Celui qui occupe, occupera, Jur., jusqu'à ce qu'il soit détruit (aboli, Gen.).

8.  Et alors se découvrira le méchant, que le Seigneur Jésus perdra (déconfira, Gen.) (détruira, Jur.) par le souffle de sa bouche, et qu'il abolira par l'éclat de sa présence (par son éclatante présence), ou, par la gloire de son avènement (au lieu de gloire, Gen. clarté).

9.  Ce méchant, dis-je, qui doit venir accompagné de la puissance de Satan avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs ;

10.  Et avec toutes les illusions qui peuvent porter à l'iniquité ceux qui périssent.

11.  C'est pourquoi Dieu leur enverra une efficace d'erreur, en sorte qu'ils croient au mensonge :

12.  Afin que tous ceux qui n'ont pas cru la vérité et qui ont consenti à l'iniquité, soient condamnés.

Telles sont les paroles de saint Paul directement opposées au système des protestants touchant le Pape : la raison est que, selon leur propre interprétation, saint Paul fait paraître l'homme de péché, le méchant, l'ennemi de Dieu, et en un mot l'Antéchrist, dans deux conjonctures ; l'une, au temps «que celui qui tient, sera détruit, » versets 7, 8; l'autre, aux approches du jour du Seigneur,

 

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versets 2, 8 : et l'une et l'autre circonstance, selon leur propre explication, est incompatible avec ce qu'ils disent du Pape.

 

XLVI. — La première circonstance de la venue de l'Antéchrist mal expliquée par les protestants.

 

La première, parce qu'ils entendent saint Paul du démembrement de l'Empire romain sous Alaric, et dans toute l'étendue du cinquième siècle : or il n'a paru dans tout ce temps ni prodiges, ni signes trompeurs, ni rien enfin d'extraordinaire dans la Papauté , pas même en allégorie. Les miracles qui se faisaient au tombeau des saints martyrs ne tendaient qu'à glorifier le Dieu des martyrs, à confirmer l'Evangile pour lequel ils étaient morts, à confondre un Julien l'Apostat et les infidèles endurcis, et à convertir les autres. Ceux qui les ont rapportés, c'est-à-dire tous les saints Pères et tous les historiens, n'ont pas été des trompeurs, mais des saints et la lumière de leur siècle. Les Papes n'y ont pas eu plus de part que tout le reste des évêques en Orient et en Occident, et par tout le monde. On n'a jamais produit aucun passage pour faire voir que les Papes aient rien fait de particulier sur cela, et on ne songe pas seulement à en produire. On n'a non plus osé imaginer que les Papes qui furent alors ni plusieurs siècles après, aient songé à s'élever au-dessus de Dieu, ni à se faire rendre les honneurs divins dans son temple : on n'a, dis-je, osé imaginer que saint Léon, ni saint Simplice, ni saint Gélase , ni saint Hormisdas, ni saint Grégoire, ni les autres, aient rien fait d'approchant , pas même, je le répète, en allégorie, car on demeure d'accord, même dans la réformation prétendue, que ces Papes étaient de grands saints, ou tout au moins des gens de bien : on se moque donc lorsqu'on ose dire que l'homme de péché parut alors.

 

XLVII. — La seconde, également mal entendue.

 

On ne se tire pas mieux de l'autre conjoncture où saint Paul fait naître l'homme de péché, c'est-à-dire dans les approches « du jour du Seigneur, » et de sa présence éclatante : car l'homme de péché des protestants ne devait point du tout venir dans ces approches , ni vers le temps de ce grand éclat de la présence de

 

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Jésus-Christ, puisque l'empire de ce méchant de voit durer dans une longue succession de Papes, et plus de douze cents ans, comme on a vu : donc l'homme de péché de saint Paul n'est pas celui des protestants.

Mais voici encore un autre inconvénient : c'est que la chute de l'Empire romain, qui est arrivée au cinquième siècle, ou en quelqu'autre endroit qu'on la voudra mettre, n'a rien de commun avec le jour du Seigneur, puisque nous avons vu la première chose, c'est-à-dire la chute de l'Empire, très-parfaitement accomplie, et que treize cents ans après nous ne voyons encore rien de plus avancé pour l'accomplissement de l'autre.

 

XLVIII. — En accordant aux protestants tout ce qu'ils demandent, ils ne concluent rien de cette parole de saint Paul : Celui qui tient.

 

Mais que veut dire ce mot de saint Paul : « Que celui qui tient, tienne encore, jusqu'à ce qu'il soit détruit, » verset 7? Tout ce qu'il plaira aux protestants ; et en quelque sorte qu'ils l'entendent, il n'y a rien pour eux dans ce passage.

Ils savent bien que saint Augustin approuve l'interprétation où, par celui qui tient, on entend celui qui tient la foi, qui est solidement établi dessus (1) ; et il veut, selon ce sens, que saint Paul l'exhorte à persévérer malgré les illusions de l'Antéchrist. Il n'y a point là de mystère, ni aucune sorte d'ambiguïté : « Que celui qui tient, tienne ; que celui qui a » la foi, dit saint Paul, « la conserve : » c'est la même chose qu'il dit ailleurs, que « celui qui croit être ferme, prenne garde de ne tomber pas, (2) » avertissement très-nécessaire dans la grande tentation de l'Antéchrist, tant que dureront ses illusions et jusqu'à ce qu'il soit détruit par la présence éclatante du Fils de Dieu. Et dans le même chapitre dont il s'agit, saint Paul dit encore à ceux de Thessalonique : « Tenez ferme, et conservez les traditions que vous avez apprises de nous, soit de vive voix, soit par écrit (3), » où les mots dont se sert l'Apôtre stekete, kraitete, tenez ferme, conservez, gardez, ne sont pas moins forts que celui du verset 7, epexon

 

1 De Civ., lib. XX, 19; Epist. ad Hesich., CXCIX al. LXXX.— 2 1 Cor., X, 12.— 3 II Thess., II, 14.

 

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celui qui tient. Toutes les Epitres de saint Paul sont pleines de ces préceptes : Tenez ferme, où le mot grec katixete est fort voisin et à peu près de même force comme de même origine que celui dont nous parlons ; de sorte qu'il n'y a rien de plus naturel que l'interprétation de saint Augustin. Elle n'accommode pas les protestants : en voici une autre d'un grand auteur, qui ne leur conviendra pas davantage.

C'est le docte Théodoret, un des plus judicieux interprètes de l'Ecriture et de saint Paul. Dans ces mots du verset 6 : « Vous savez ce qui arrête, ou ce qui retient, » il n'a pas entendu avec beaucoup d'autres Pères l'Empire romain, mais « l'immuable décret de Dieu, qui arrêtait l'Antéchrist, parce qu'il voulait qu'il ne parût qu'à la fin du monde, et après que l'Evangile aurait rempli toute la terre. » Il suit sa pensée au verset 7 ; et il veut « que celui qui tient, » s'entende « de l'idolâtrie, qui devait toujours durer dans le monde jusqu'à la venue de l'Antéchrist : » d'où il conclut qu'il ne paraîtra « qu'après que l'idolâtrie serait tout à fait détruite, et l'Evangile annoncé par tout l'univers. »

Je ne vois rien qui combatte cette exposition, et j'en pourrais rapporter beaucoup d'autres aussi peu conformes au dessein des protestants ; mais venons à celles qu'ils y croient favorables.

Selon eux, celui qui tient, celui qui obtient, selon Genève; celui qui occupe, selon M. Jurieu, c'est l'Empire romain, qui tenait tout, l'univers en sa puissance. C'est l'interprétation de plusieurs Pères : mais si on la nie aux protestants, comment la prouveront-ils? Par les Pères et la tradition? Ce serait contre leurs principes; et puis les Pères varient et la tradition n'est pas uniforme. Quoi donc, par le texte même? Il n'y a rien de clair pour l'Empire romain. Que si l'on dit avec quelques Pères qu'en cela même que saint Paul affecte un langage mystérieux, il montre qu'il entendait quelque chose qu'il y eût eu du péril à expliquer clairement, comme eût été la prédiction de la chute de l'Empire, dont on aurait pu faire un crime aux chrétiens et à l'Apôtre , cette réponse ne satisfait pas : car premièrement, nous pouvons répondre qu'il n'y a rien là d'ambigu, ni rien de mystérieux, selon l'interprétation qu'on vient de voir de saint Augustin; secondement, qu'il

 

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peut y avoir beaucoup d'autres choses que saint Paul aura voulu envelopper dans un discours mystérieux, particulièrement dans l'avenir, où il transporte en esprit ses lecteurs.

En accordant néanmoins qu'il s'agit ici de l'Empire romain, plusieurs catholiques ont pensé qu'encore que cet empire ait été détruit en un certain sens lorsqu'il le fut en Occident, où était sa source, et dans Rome même, il a subsisté en quelque manière dans les empereurs d'Orient, et ensuite dans Charlemagne et dans les empereurs français et allemands qui durent encore.

Ce sens est indifférent pour l’Apocalypse. La chute de Rome punie pour ses persécutions et pour son attachement à l'idolâtrie, avec la dissipation de son Empire dans sa source, est un assez digne objet de la prophétie de saint Jean; et rien n'empêche que tant de siècles après cette chute, on ne reconnaisse encore ce faible renouvellement de l'Empire romain, qui depuis un si long temps n'a plus rien à Rome. Que si l'on veut soutenir que jusqu'à la fin du monde ce nouvel Empire sera exempt des vicissitudes humaines sans jamais pouvoir périr qu'à la venue de l'Antéchrist, et que ce soit là le sens de saint Paul, ce serait en même temps manifestement la ruine des protestants, puisque cet Empire subsiste encore.

Aussi s'y opposent-ils de toute leur force (1) : ils ne trouvent aucune apparence que saint Paul, par Celui qui tient, parole si forte pour désigner un empire sous qui tout l'univers tremble, entende le nouvel Empire, et ils veulent qu'il entende l'Empire romain, dont nous avons vu la chute : mais c'est ce que je détruis par cette preuve, démonstrative; car voici leur raisonnement : Celui qui tient, selon saint Paul, c'est Rome qui tenait alors tout l'univers sous sa puissance; lorsque cette puissance sera détruite, l'Antéchrist, selon cet Apôtre, paraîtra. Or il est détruit, poursuivent-ils, cet Empire de l'ancienne Rome sous qui l'univers avait ployé : l'homme de péché est donc venu. Voilà leur raisonnement dans toute sa force. Mais poussons un peu plus loin la conséquence, pour découvrir clairement la fausseté du principe. Le même saint Paul qui nous donne la chute de celui qui tient pour signe prochain

 

1 Jurieu, Accomp., p. 82.

 

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de l'Antéchrist, nous la donne aussi pour signe prochain du jour du Seigneur; car écoutons ses paroles, et prenons la suite de son discours : « Ne vous laissez point troubler, dit-il, par ceux qui vous ont écrit sous mon nom, que le jour du Seigneur allait venir. (1) » Pour les empêcher d'être troublés de la crainte d'une si soudaine arrivée de ce grand jour, il leur raconte un grand événement dont il devait être précédé, qui était la découverte de ce méchant que Jésus-Christ devait détruire. Vous savez, dit-il, ce qui « l'empêche, ce qui le retarde, » afin qu'il paroisse en son temps, « car le mystère d'iniquité commence déjà ; seulement que celui qui tient, tienne encore jusqu'à ce qu'il soit détruit ; et alors sera découvert ce méchant que le Seigneur détruira par le souffle de sa bouche, et qu'il perdra par l'éclat de sa présence. » Voilà les mots de saint Paul, versets 6, 7, 8, et on en voit le rapport avec « le jour du Seigneur, » du verset 2. On voit donc plus clair que le jour, qu'il fait marcher ensemble ces deux choses, la découverte du méchant qui s'élèvera au-dessus de Dieu, et sa soudaine destruction au jour du Seigneur par l'éclatante apparition de sa gloire : or est-il que ce grand jour et l'éclatante apparition de la gloire de Jésus-Christ n'est pas venue ; par conséquent l'homme de péché qui en devait être un si prochain avant-coureur, ne l'est non plus, et on ne peut croire que saint Paul, par celui qui tient, entende l'Empire romain dont nous avons vu la chute.

 

XLIX.— S'il y a quelque avantage à tirer des Pères qui font venir l'Antéchrist et le jugement à la chute de l'Empire romain.

 

Mais que veulent donc dire les Pères lorsqu'ils entendent ces mots, Celui qui tient, de l'Empire qui tenait alors l'univers en sa puissance ? Il est aisé de répondre : En premier lieu, ce n'est pas le sentiment de tous les Pères, comme on le peut voir sans aller plus loin et d'une manière à n'en point douter, dans les passages de saint Augustin et de Théodoret qu'on vient de produire. Il faut donc soigneusement distinguer les conjectures particulières des Pères d'avec leur consentement unanime : mais secondement, les mêmes Pères qui entendent l'Empire romain par Celui qui tient,

 

1 II Thess., II, 2.

 

entendent aussi par le jour du Seigneur et par l'éclatante apparition de Jésus-Christ, le jour du jugement universel, dont ce méchant devait être le prochain avant-coureur : tellement que s'ils joignent la chute de ce grand Empire avec la venue de l'Antéchrist, ils joignent aussi la venue de l'Antéchrist avec le jugement dernier et la fin de l'univers ; en un mot, ils présumaient que l'Empire romain sur toute la terre ne finirait qu'avec le monde : ce qu'ils ont bien pu conjecturer avant que les choses fussent arrivées, mais ce qu'on ne peut dire sans folie maintenant que l'expérience nous a fait voir le contraire.

 

L. — Que le sentiment des Pères est directement contraire au système protestant, en ce qu'ils reconnaissent l'Antéchrist pour un seul homme.

 

Il y a encore un autre endroit où l'interprétation protestante ne s'accorde en aucune sorte avec celle des Pères : c'est que tous unanimement, et sans exception d'un seul, ils ont cru que l'Antéchrist dont saint Paul parle en ce lieu , serait un seul homme (1). Car ils ont hien vu avec saint Jean qu'il y aurait plusieurs Antéchrists, parce que le dernier, comme on l'appelait, qu'ils attendaient à la fin des siècles, aurait plusieurs avant-coureurs; mais pour lui, tous l'ont pris pour un seul homme, et ils étaient naturellement conduits à ce sens par ces expressions de l'Apôtre (2) : «L'homme dépêché, le fils de perdition, l'ennemi, le méchant, celui qui viendra avec tous les signes trompeurs, celui que Jésus-Christ détruira;» tous caractères individuels, qui désignent un homme particulier, comme nous l'avons observé ailleurs (3).

On nous objecte que le Saint-Esprit nous représente souvent comme un seul homme tout un corps et tout un Etat : témoin le faux prophète de l’Apocalypse, que nous-mêmes nous avons pris pour une société de philosophes magiciens , encore que par trois fois il soit appelé en singulier et avec l'article, le faux prophète, comme l'Antéchrist est appelé le méchant, l'impie (4).

C'est la méthode perpétuelle des protestants : aussitôt qu'ils ont trouvé dans l'Ecriture une figure, ils l'outrent sans aucune

 

1 August., De Civit., lib. XX, 19 sup. — 2 II Thess., n, 3, 4, 8, 9. — 3 Hist. des Var., lib. XII, 4. — 4 Apoc., XVI, 13; XIX, 20; XX, 10.

 

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mesure, en sorte qu'on ne sait plus par où distinguer ce qui se dit proprement. Que si les Juifs ou les libertins, qui ne reçoivent pas l'Evangile, voulaient dire que les passages des anciens prophètes où il est parlé du Messie, désignent aussi un certain corps et un certain Etat, et non pas un homme particulier, n'y aurait-il point de règle pour les confondre ? Et s'il doit y avoir un Christ, un homme particulier qui soit le Christ par excellence, devancé par plusieurs Christs en figure, pourquoi ne voudra-t-on pas qu'il y ait un Antéchrist éminent, un homme particulier qui paroisse à la fin des siècles, que d'autres Antéchrists inférieurs en impiété et en malice, un Nabuchodonosor, un Antiochus, un Néron, un Simon le Magicien ou d'autres pareils imposteurs aient précédé?

La règle que nous donnons pour entendre les figures de l'Ecriture, est de consulter l'Ecriture même. Par exemple, si nous disons que le faux prophète désigné dans l’Apocalypse comme un homme particulier, peut être pris pour un corps entier et une société , c'est que dès le commencement il est appelé une bête : « Et je vis, dit saint Jean, une autre bête (1) ; » terme consacré dans ce livre pour signifier un corps de société, un grand empire, une ville dominante, ou quelqu'autre chose semblable , comme il est formellement expliqué par saint Jean même (2); et cette idée venait de plus haut, c'est-à-dire de Daniel, où les quatre bêtes représentent quatre royaumes, comme il est distinctement expliqué par ces paroles précises : « Ces quatre bêtes sont quatre royaumes qui s'élèveront de la terre (3). »

Il faudrait donc nous montrer que saint Paul nous eût parlé en quelqu'endroit de ce méchant autrement que comme d'un homme particulier; ou qu'on ait jamais entassé tant de caractères individuels pour signifier une suite d'hommes. Et si l'on dit que ce méchant est le même que le faux prophète de saint Jean, visiblement cela ne se peut, puisqu'outre les autres raisons par lesquelles nous nous réservons de le démontrer dans la suite, il suffit de dire à présent qu'au lieu que le méchant de saint Paul se porte pour Dieu et s'élève au-dessus de tous les dieux, le faux prophète de saint Jean », qui est la seconde bête, ni ne se donne

 

1 Apoc., XIII, 11.— 2 Apoc., XVIII, 9, 18. — 3 Dan., VII, 17. — 4 Apoc., XIII, 12.

 

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pour un Dieu, ni ne se fait adorer, mais qu'il fait adorer la première bête.

 

LI. — Que les protestants ne s'accordent ni avec les Pères, ni avec saint Paul, ni avec eux-mêmes.

 

C'est donc pour cette raison que tous les Pères unanimement r et sans en excepter un seul, dès l'origine du christianisme ont reconnu naturellement le méchant, l'impie, l'homme de péché et l'enfant de perdition de saint Paul, et en un mot l'Antéchrist, pour un homme particulier qui devait venir à la fin du monde pour faire la dernière épreuve des élus de Dieu, et l'exemple le plus éclatant de sa vengeance avant le jugement prochain.

Les protestants nous répondent qu'aussi ne suivent-ils pas le plan des Pères : qu'il est bien vrai qu'avec eux ils prennent le méchant de saint Paul pour l'Antéchrist et le font venir encore avec eux à la chute de l'Empire romain; mais qu'ils ne les suivent pas en ce qu'ils joignent toutes ces choses au dernier jour, et encore moins en ce qu'ils font de l'Antéchrist un particulier. Voilà ce qu'ils nous répondent : d'où je conclus premièrement, qu'il ne faut donc plus, comme ils font, et comme fait encore en dernier lieu M. Jurieu (1),  s'autoriser des anciens pour tout à coup les abandonner aux endroits les plus essentiels ; et secondement, je leur demande ce que c'est donc, selon eux , que le jour du Seigneur et l'éclatante apparition de Jésus-Christ.

Dumoulin, très-embarrassé de cette difficulté et d'une si prompte exécution de son Antéchrist qui devait durer douze à treize cents ans, paraphrase d'une étrange sorte ce verset de saint Paul : «Et lors le méchant sera révélé, lequel le Seigneur Jésus déconfira par l'esprit de sa bouche , et abolira par la clarté de son avènement. » Voilà le texte de saint Paul selon la version de Genève, et en voici la paraphrase selon le ministre : « Et quand cet Empire romain sera détruit, alors sera pleinement manifesté ce pontife, et le siège papal sera exalté par la ruine de l'Empire, lequel pontife Dieu abattra ET AFFAIBLIRA , mais ne le DÉTRUIRA point totalement qu'au dernier jour du jugement, lorsque Jésus-Christ viendra en

 

1 Préj., Accomp., Lett. XII.

 

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sa gloire (1). » Ce que, voulant expliquer plus amplement, il nous représente l'empire papal ébranlé par la prédication de Luther, et quant à la pleine abolition, il la réserve au jour du jugement, dans cinq ou six cents ans, s'il plaît à Dieu (2).

On voit bien ce qui le contraint à parler ainsi ; c'est qu'enfin il n'a osé dire que Luther ait abattu et détruit ce prétendu Antéchrist de la Réforme, comme il s'en était vanté : c'est pourquoi il a fallu distinguer deux temps : l'un où l'Antéchrist serait affaibli, et l'autre où il serait détruit tout à fait. Mais ce n'est pas ainsi que saint Paul procède : il n'y a dans le texte aucun vestige de cette distinction ; c'est-à-dire que le ministre a vu le mal, et n'y a point trouvé de remède qu'en falsifiant le texte de saint Paul.

Pour colorer une si indigne falsification, il a voulu s'imaginer que le mot grec qu'on a traduit à Genève par le vieux mot déconfira, et celui qu'on y a traduit par abolira, sont d'une vertu bien différente : analosei (analosei), selon lui, ne signifie pas tuer, comme l'a traduit la Vulgate, mais une déconfiture par certains progrès, comme qui dirait user, dissiper, consumer. Que veut dire ce faux savant avec son grec jeté en l'air pour éblouir le monde? Et qui jamais a conçu qu'analosei, où il a traduit déconfira, soit plus faible que catargêsei (catargêsei), où il traduit abolira ? Quel enfant, qui ait ouï parler de la ruine de Troie, ne sait pas qu'elle s'appelle alôsis (alôsis) de la racine alisco (alisco), qui a la même vertu, et que ce terme alôsis , signifie excidium, la destruction , la ruine, la perte totale, comme l'analosei (analosei) de saint Paul signifie détruira, perdra, abolira tout à fait (a) ? Que si c'est là ce qu'a fait Luther, que fera de plus Jésus-Christ quand il viendra dans sa gloire? Mais qu'y a-t-il qui tombe plus vite que ce qu'on abat par un souffle ? Et qui ne voit plus clair que le jour que ces deux expressions de saint Paul, Jésus-Christ « perdra le méchant par son souffle et le détruira par la gloire de son

 

1 Accomp. des proph., p. 18. — 2 Accomp. des proph., 14, p. 152.

(a) Le passage commençant par ces mots : Quel enfant, et finissant par ceux qu'on vient de lire : Abolira tout à fait, ne se trouve pas dans l'édition princeps; mais il a été signalé, pour y être inséré, à la fin des Avertissement aux protestants sur les Lettres du ministre Jurieu. (Edit. de 1689.)

 

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avènement, » ne signifient que la même chose répétée deux fois, selon le génie de l'hébreu?

Saint Chrysostome, qui assurément savait le grec, voulant expliquer la force du mot analiskein (analiskein), dont se sert saint Paul, et tout ensemble faire voir combien promptement l'Antéchrist serait défait par l'éclatante apparition de Jésus-Christ : « Ce sera, dit-il (1), comme un feu qui, tombant seulement sur de petits animaux, avant même que de les toucher, et quoiqu'ils soient encore éloignés, les rend immobiles de frayeur, et les consume, analiskei ; ainsi Jésus-Christ, par son seul commandement et par sa seule présence, consumera l'Antéchrist, analôsei : c'est assez qu'il paroisse, et tout cela périt aussitôt. »

Le cardinal Bellarmin s'était servi très-à propos de ces paroles de saint Chrysostome, trop pressantes pour Dumoulin, quoiqu'alors faiblement traduites. Ce ministre les affaiblit encore davantage : au lieu de cette frayeur qui rend ces animaux immobiles, il veut que le feu, contre, sa nature, ne fasse que les assoupir; au lieu de cette prompte action du plus vif et du plus vorace des éléments, il lui donne une lenteur qu'il n'eut jamais; et non content de changer le sens de saint Chrysostome, il voudrait encore changer la nature même pour faire vivre son Antéchrist plus que saint Paul ne le permet.

Le même Dumoulin blâme la Vulgate (2), qui traduit l’analôsei de saint Paul par le latin interficiet. Mais saint Jérôme traduit partout ainsi; il dit partout : Le méchant que le Seigneur « tuera, fera mourir, interficiet, par le souffle de sa bouche et détruira par l'éclat de son avènement (3). » Et voici comme il l'explique : « Le Seigneur, dit-il, le fera mourir, interficiet, par le souffle de sa bouche, c'est-à-dire par sa divine puissance et par un commandement absolu, puisqu'à lui, commander, c'est faire : ainsi ce ne sera ni par une armée, ni par la force des soldats, ni par le secours des anges que l'Antéchrist sera tué ; et de même que les ténèbres sont dissipées par le seul avènement du soleil, ainsi Jésus-Christ détruira l'Antéchrist par le seul éclat de son avènement (4). »

 

1 In II ad Thess., cap. II; Hom. IV, n. 1. — 2 Accompl. Des proph. 14, p. 152.— 3 Ep. IX ad Ageruch,— 4 Ep. ad Alg., XI.

 

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Voilà l'idée que met naturellement dans les esprits le passage de saint Paul : ce n'est pas un Antéchrist qu'on fasse périr d'une mort lente et qu'on consume pour ainsi dire à petit feu; on n'en fait point à deux fois, si on me permet de parler ainsi, et il périt tout d'un coup devant Jésus-Christ qui vient en sa majesté jumelles vivants et les morts.

Le ministre Jurieu l'a pris autrement que Dumoulin, « et par la clarté de l'avènement de Jésus-Christ, » il entend, « non pas le dernier avènement du Seigneur, mais celui par lequel il viendra longtemps avant la fin du monde , abattre le paganisme, le mahométisme, le papisme (1), etc. » Nous ne connaissions jusqu'ici que deux avènements de Jésus-Christ : l'un avec la mortalité , qui est accompli ; l'autre en gloire, qui est celui que nous attendons; mais le ministre en met trois. Les Thessaloniciens ne craignaient qu'un seul jour du Seigneur, dont saint Paul leur avait déjà parlé dans sa première Epitre (2); et c'était le jour du jugement, capable de faire trembler les plus justes. C'est ce jour dont la prochaine arrivée, que quelques-uns leur annonçaient, les avait troublés : il n'y avait donc à attendre qu'un jour du Seigneur. Le ministre leur en montre deux ; mais encore lequel des deux craignaient-ils ? celui où Jésus-Christ devait apparaître pour confondre l'Antéchrist avec le paganisme, le mahométisme, le papisme ? Qu'y avait-il à craindre pour eux dans ce jour? et devaient-ils être païens, mahométans, ou papistes? Dans quel abîme se jette le ministre ! Il faut être bien poussé à bout, lorsqu'on fait de telles violences au langage de l'Ecriture : mais avec tout cela on ne gagne rien, et la difficulté demeure toujours. Car enfin, quoi qu'on veuille faire « du jour du Seigneur et de la présence éclatante de Jésus-Christ, » il est toujours très-constant que saint Paul l'attache à la chute de celui qui tient : « Alors, dit-il, se découvrira le méchant que Jésus-Christ détruira par l'éclat de sa présence. » Et tout cela devait paraître aussitôt après la chute de celui qui tient (verset 7), puisqu'il n'y avait que cela qui retenait (verset 6). Que ce soit donc tout ce qu'on voudra, ou l'entier

 

 

1 Préj. lég., Ière part., chap. IV, p. 89 ; Accomp. des proph., IIe part., chap. XXIII. — 2 I Thess., V, 2.

 

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versement du monde dans le jugement dernier, ou dans quelqu'autre apparition de Notre-Seigneur, la destruction de l'Antéchrist, si celui qui tient, c'est l'Empire dont Alaric, ou quelqu'autre qu'on voudra, a commencé la dissipation, et que pour cette raison l'homme de péché ait dû paraître vers ce temps-là, on en doit avoir vu vers ce même temps, non-seulement les attentats et les prodiges, mais encore la destruction éclatante, la prédiction de saint Paul nous menant si rapidement de l'un à l'autre et ne laissant entre deux aucun intervalle.

Mais ce rapide accomplissement de la prédiction de saint Paul, qu'il explique avec des paroles si vives, n'a rien qui convienne à l'Antéchrist des protestants ; car il leur faut douze cents ans pour en composer la fable. L'Antéchrist qu'ils nous proposent, est un Antéchrist dont on ne voit trois cents ans durant, ni les impiétés, ni les prodiges. C'est un saint durant quatre siècles, plus ou moins; et après qu'il a commencé à se déclarer, il faut encore huit ou neuf cents ans pour le détruire; encore ne sait-on pas si on en viendra tout à fait à bout devant ce temps, et on croit qu'on sera contraint de lui laisser une vie traînante durant quelques siècles. Tout cela, qu'est-ce autre chose que de changer les vives idées et les éclairs de saint Paul en la froide allégorie d'une histoire aussi languissante qu'elle est d'ailleurs mal appuyée ?

 

LII. — Froideur des allégories des protestants.

 

Mais après tout, qui a dit à nos réformés que ces grands mots de saint Paul : « L'impie qui s'élèvera au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, qui se montrera dans le temple de Dieu, comme étant Dieu lui-même, » et le reste ; qui leur a dit, encore un coup, que toutes ces choses soient des caractères allégoriques ? Est-ce qu'il n'est pas possible qu'elles arrivent à la lettre ? mais nous avons cent exemples de rois orgueilleux qui se sont fait rendre les honneurs divins ; et sans rappeler ici les Nabuchodonosor et les autres rois impies que l'on connaît, on sait que Caligula se voulait faire adorer jusque dans le temple de Jérusalem ; que Néron ne fut pas moins emporté, ni moins impie ; que les Césars avaient des temples, et qu'ils furent les plus respectés de tous les

 

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dieux. Ces choses étaient communes dans le monde au temps que saint Paul écrivait, et il parlait aux fidèles selon les idées qui étaient connues. Pourquoi veut-on y substituer des allégories ou plutôt des calomnies manifestes de la Papauté ? Quand je fais ces objections à M. Jurieu (1), il me reproche sérieusement que je n'ai pas voulu voir les endroits qu'il a rapportés où le Pape est appelé Dieu (2). Quoi! il voudrait qu'on allât répondre à toutes les thèses, à toutes les épîtres dédicatoires, à tous les mauvais compliments que lui et ses confrères ont ramassés, à cause qu'ils les débitent avec un air aussi sérieux que si c'étaient autant de dogmes de l'Eglise catholique ! Mais je vais donner beau jeu à ces vains reproches. Oui, je lui avoue que le Pape est un de ces dieux dont a parlé le Psalmiste, qui « meurent comme les hommes (3), » mais qui néanmoins sont appelés dieux, parce qu'ils exercent sur la terre une autorité qui vient de Dieu, et qu'ils en représentent la puissance jusqu'au point que Dieu a voulu. Qui blâme cette façon de parler n'a qu'à s'en prendre au Saint-Esprit qui l'a dictée à David, et à Jésus-Christ qui l'a approuvée (4). Si les flatteurs en abusent, qu'ils aillent en perdition avec leurs lâches et profanes discours : mais peut-on dire sérieusement que le Pape se fasse Dieu en un mauvais sens, pendant qu'il se reconnaît, non-seulement homme, mais encore pécheur, et que comme, les autres fidèles il confesse ses péchés aux pieds d'un prêtre ? Mais il se dit vice-Dieu, c'est-à-dire lieutenant de Dieu : il n'est donc pas Dieu. Les rois sont à leur manière vicaires de Dieu. Le Pape l'est d'une autre sorte et d'une façon plus particulière, comme établi spécialement par Jésus-Christ le pasteur de tout son troupeau. Se moque-t-on d'appeler cela se faire Dieu? Mais, dit M. Jurieu, « le Pape se met au-dessus des rois, qui sont des dieux (5). » Qu'un homme ne rougisse pas d'objecter gravement de telles choses et qu'on puisse les écouter sérieusement, c'en serait assez pour se détromper à jamais de tels docteurs. Que veut-on dire : Le Pape se met au-dessus des rois ? Sans doute en un certain sens et comme pasteur : qui le peut nier, puisque les rois chrétiens font gloire

 

1 Var., liv. XIII, 3, 4, 7. — 2 Lett. XIII.— 3 Psal. LXXXI, 6, 7. — 4 Joan., X, 34. — 5 Lett. XIII.

 

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d'être compris au nombre de ceux dont saint Paul a dit : « Obéissez à vos prélats ? » Si c'est là se faire Dieu, qu'on songe du moins que ceux dont le Psaume a dit : «Vous êtes des Dieux; » et, «Dieu s'est assis dans l'assemblée des Dieux (1), » ce sont tous les juges; et parce qu'il y a des juges au-dessus des juges, des « grands au-dessus des grands, » et que « le roi commande à tous, » comme dit le Sage (2), le roi sera un Antéchrist, et tout l'ordre du monde un antichristianisme? Les fanatiques le diront peut-être.— Mais le Pape se dit infaillible (3).— Si l'on demandait au ministre quel Pape l'a dit, où en est la décrétale, et quel acte a jamais fait l'Eglise romaine pour établir ce dogme, il demeurerait muet ; car je lui maintiens qu'il n'y en a point. Mais enfin peut-on dire sérieusement que de croire ou d'espérer avec quelques-uns que Dieu ne permettra pas qu'un Pape décide en faveur de l'erreur, ce soit en faire un Dieu, et non pas un homme assisté de Dieu, afin que la vérité soit toujours prêchée dans l'Eglise par celui qui en doit être la bouche ? Cessons de perdre le temps à résoudre des objections qu'on ne peut faire sérieusement. Que saint Paul ait eu en vue des choses si froides quand il a écrit son Epitre aux fidèles de Thessalonique, et qu'il ait voulu leur donner de si graves précautions contre des chimères de cette nature, c'est dégrader un si grand Apôtre que de le penser. Non , non, se faire passer pour Dieu et s'élever au-dessus de Dieu, ce ne sera pas seulement l'impertinente exagération de quelque flatteur, ou quelque cérémonie mal interprétée, ou même quelque prétention excessive ; mais ce sera dans le littéral se donner réellement pour Dieu, et se faire bâtir des temples comme ont fait tant de rois impies. De même venir au monde avec « toute l'opération de Satan et toutes sortes de signes et de prodiges trompeurs, » jusqu'à faire descendre « le feu du ciel (4), » et autres choses de cette nature, ce ne sera pas donner la confirmation, ou prononcer des anathèmes, ni dire, ce qui est certain, que Dieu fait des miracles par ses saints, et durant leur vie et après leur mort. Ce sera, comme les enchanteurs de Pharaon, imiter les miracles de Moïse ;

 

1 Psal. LXXXI. — 2 Ecoles., V, 7, 8. — 3 Lett. XIII. — 4 II Thess., II, 9; Apoc., XIII, 13.

 

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ce sera, comme dit Jésus-Christ, « faire de si grands prodiges et des signes si surprenants, que les élus mêmes, s'il se peut, soient induits en erreur (1) ; » en sorte que, pour être parfaitement confondu , il ne faille rien de moins que l'apparition éclatante de Jésus-Christ dans sa gloire et le grand jour du Seigneur. Quand les Papes entreprendront de tels prodiges, et qu'ils les entreprendront pour justifier qu'ils sont des dieux et se faire dresser des autels, je reconnaîtrai l'ennemi dont parle saint Paul.

 

LIII. — Ce que l'on peut dire de certain de l'Antéchrist.

 

Que sera-ce donc, dira-t-on, que cet ennemi? Je réponds que si c'est quelque chose qui soit venu il y a longtemps, comme le prétendent les protestants, c'est aussi quelque chose qui est détruit il y a longtemps, comme on a vu. C'est donc une manifeste absurdité de dire que ce soit le Pape. Que si l'on entend par cet ennemi quelqu'un qui soit déjà venu et détruit, soit que ce soit Néron selon quelques-uns, ou Caligula, ou Simon le Magicien selon quelques autres, comme Grotius et Hammond, il n'y a rien là contre nous ; la peine sera de faire cadrer les événements avec les paroles de saint Paul et avec la date de son Epitre, ce que j'avoue, quant à moi, que je n'ai pu faire. Que si, comme le veulent les anciens et comme saint Augustin nous assure par deux fois que tout le monde le croyait sans aucun doute (2); si, dis-je, ce méchant est quelqu'un qui ne soit pas encore venu, qui viendra à la fin des siècles et qu'on nommera l'Antéchrist : qui peut dire ce que ce sera sans être prophète ? Saint Augustin avoue du moins qu'il n'y connaît rien et propose tout ce qu'il peut imaginer, laissant tout absolument dans l'incertitude. Soit donc que ce soit quelqu'un qui, pour attirer les Juifs, rebâtisse le temple de Dieu dans Jérusalem, ou qui en bâtisse quelqu'autre au Dieu créateur, comme voulait faire Julien, où enfin il se fasse rendre les honneurs divins, à l'exemple de tant de rois impies ; soit que ce méchant choisisse quelque célèbre église des chrétiens pour s'y faire adorer comme un dieu; soit que, selon une des interprétations de saint Augustin, ce soit un prince hérétique qui prétende

 

1 Matth., XXIV, 24. — 2 De Civit., lib. XX, 19, etc.

 

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que la société qui le suivra, soit la vraie Eglise, et qui par force ou par illusion y entraîne un très-grand peuple pour y paraître tout ce qu'il voudra à ses sectateurs ; soit que ce soit un faux Christ et un faux Messie, mais plus grand trompeur et plus rempli de Satan que tous les autres, qui se disant le Fils de Dieu comme Jésus- Christ, et se mettant au-dessus de lui avec des signes proportionnés à sa prétention, accomplira à la lettre tout ce que dit saint Paul; soit que ce soit quelque chose qu'il ne soit pas donné aux hommes de prévoir : toujours est-il bien constant que c'est chercher à se tromper que de fonder un schisme sur cette énigme, et que tout ce qu'on en peut dire de plus assuré si c'est celui dont parle saint Paul, c'est qu'il ne durera pas longtemps et que sa chute suivra de près son audace.

Cependant on peut encore tenir pour assuré que ce sera quelque faux réformateur des erreurs et des corruptions du genre humain, et que le fond de sa mission sera une fine hypocrisie, qui est proprement le mystère d'iniquité dont saint Paul a dit qu'il commençait de son temps à se former. Mais si ce détestable mystère se formait au commencement par tant de sectes qui se cachaient jusque dans le sein de l'Eglise sous le nom et l'extérieur de la piété, il se consommera à la fin des siècles d'une manière bien plus trompeuse. La grande apostasie précédera, soit que ce soit la révolte contre quelque grand empire; soit que ce soit un grand schisme, peut-être encore plus étendu que celui de Luther et de Calvin, où des royaumes entiers se sont cantonnés avec une haine obstinée contre l'Eglise catholique. Et pour ces mots de saint Paul, que «celui qui tient tienne, » soit que ce soit une exhortation à ceux qui tiennent la vraie foi à la défendre contre les prestiges et les violences de l'Antéchrist, ou pour ne point répéter les autres interprétations,  qu'il doive s'élever encore quelque grand empire où saint Paul, à la manière des prophètes, nous ait voulu transporter en esprit, comme si la chose était présente : toujours est-il bien constant par les preuves qu'on en a vues, que si c'était l'Empire romain dominant sur tout l'univers, nous aurions déjà vu paraître aussi bien que la chute de ce grand Empire, non-seulement les blasphèmes, les faux miracles et la

 

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ruine de l'Antéchrist, mais encore dans celle de tout l'univers le grand jour de Jésus-Christ.

 

LIV. — Que le méchant de saint Paul ne peut être aucune des bêtes de saint Jean, et qu'il n'y a de rapport entre saint Paul et l’Apocalypse, que dans le chapitre XX de cette dernière prophétie.

 

Au reste, les protestants se fondent beaucoup sur ce que la bête de l’Apocalypse, surtout la seconde, et le méchant de saint Paul sont la même chose; et il est vrai qu'il y a quelques caractères semblables, par exemple celui des faux miracles, qu'on voit paraître dans la seconde bête de saint Jean comme dans le méchant de saint Paul. Mais ce caractère équivoque leur est commun avec beaucoup d'autres, et nous avons remarqué entre eux deux différences essentielles. La première, que la bête de saint Jean ne se dit point Dieu et ne se fait point adorer elle-même comme le méchant de saint Paul; mais au contraire, loin de s'élever avec ce méchant sur tout ce qu'on adore, elle fait adorer un autre. La seconde, que le méchant de saint Paul vient et périt dans les approches du jugement universel, en sorte que sa séduction sera la dernière de l'univers, comme celle que Jésus-Christ se réserve à détruire par son dernier avènement ; au lieu qu'après le supplice des deux bêtes de saint Jean et les mille ans qui le doivent suivre (1), quel qu'en puisse être le mystère, il reste encore à l'Eglise une dernière persécution à essuyer, qui est celle de Gog et de Magog, plus dangereuse que toutes les autres, comme il a été remarqué, puisqu'elle sera l'effet du dernier déchaînement de Satan (2).

Il ne faut donc point comparer avec le second chapitre de la IIe aux Thessaloniciens tout ce qu'il y a dans l’Apocalypse, depuis le chapitre IV jusqu'au XXe, comme si c'était la même chose ; il n'y a de rapport précis du passage de saint Paul avec l’Apocalypse, que dans le chapitre XX et dans le feu tombé du ciel qui consume Gog et Magog, puisque ce feu n'étant autre chose que celui du dernier jugement, il a le rapport qu'on voit avec la dernière et éclatante apparition de Jésus-Christ, comme il a pareillement été dit ailleurs (3).

 

1 Apoc., XIX, 20; XX, 3, 7. — 2 Voyez les notes du chap. XX. — 3 Ibid.

 

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J'espère que les catholiques se rendront aisément à ces preuves, et pour ce qui est des protestants, qu'ils se désabuseront de l'erreur grossière qui leur fait imaginer leur Antéchrist dans plusieurs personnes et dans une suite de treize siècles, en sorte qu'après sa venue il nous fasse attendre si longtemps le jugement universel, contre tout ce qu'a dit saint Paul et contre toute la tradition qui l'a toujours entendu comme nous faisons, dès l'origine du christianisme.

 

LV. — Qu'il y a, selon le ministre, un autre Antéchrist à qui, malgré qu'il en ait, les paroles de saint Paul conviennent mieux.

 

On croira peut-être que ce qui oblige les ministres à forcer le sens de saint Paul sur le sujet de l'Antéchrist qui doit venir et être détruit à la fin des siècles, c'est (qu'ils tiennent pour bien assuré que cet Antéchrist ne viendra jamais, et que tout ce qu'en ont dit les Pères, est une fable : mais il n'en est pas ainsi. Le ministre Jurieu trouve vraisemblable qu'il y aura sur la fin des siècles, une « dernière persécution qui durera trois ans et demi '. » Quoi! trois ans et demi à la lettre, sans que ce soit à ce coup des jours prophétiques ? Le ministre le veut ainsi à cette fois ; et « après cette persécution pourra venir, continue-t-il, l'Antéchrist de saint Irénée, à qui, dit-il, je veux bien faire cet honneur de croire qu'il avait appris de quelques hommes apostoliques le mystère de cette dernière persécution. » A cette fois il se rend traitable : saint Irénée a trouvé grâce devant lui, et le voilà réconcilié avec les martyrs et les docteurs des premiers siècles : enfin il leur accorde « un Antéchrist qui fera le Messie, » pour tromper les Juifs, « qui régnera trois ans et demi devant la fin du monde, et qui sera détruit peu de jours devant le dernier jugement. » Mais il n'accorde cela qu'à condition que cet homme que Jésus-Christ détruira par sa dernière arrivée ne sera « qu'un diminutif de l'Antéchrist, » qui est le Pape; car surtout il se faut bien garder de croire que depuis le commencement jusqu'à la fin de l'univers, il y puisse jamais rien avoir de pis que lui, pas même celui qui se dira le Messie à la fin des siècles, qui néanmoins, apparemment,

 

1 Accomp., IIe part., p. 416.

 

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sera le plus impudent de tous les imposteurs, et qui par là mériterait bien d'être cru celui dont parle saint Paul. Mais le ministre ne l'endurera jamais : « Il ne faut point le confondre, dit-il, ni avec l'homme de péché de ce grand Apôtre, » ni avec aucune des bêtes de l’Apocalypse. Mais pourquoi en démêlant l'obscurité d'un passage aussi obscur que celui du ne chapitre de la IIe aux Thessaloniciens, ne voulait pas nous permettre d'y placer ce dernier Antéchrist ? Pourquoi ne vouloir pas croire que ce sera le plus méchant de tous, puisque Satan l'enverra à la fin des siècles pour faire les derniers efforts contre les élus, et que Jésus-Christ de son côté en réservera le châtiment à son grand et dernier jour pour être le dernier coup de sa puissance ? Il est vrai que le ministre le défend, et je n'en sais pas la raison, car de bonne foi, il n'en dit point; mais c'est qu'il faudrait effacer tout ce qu'il a dit du Pape avec toute la Réforme, et renverser tout ce beau système qui le fait passer parmi les siens pour le prophète de son temps.

 

LVI. — Promesse de l'auteur sur Daniel. L'explication de saint Paul, I Tim., IV, 1, déjà donnée. Conclusion de la seconde partie de cet Avertissement.

 

De peur qu'on n'abuse encore de la prophétie de Daniel comme de celles de saint Paul et de saint Jean, on en verra bientôt un commentaire, et je dirai en attendant que la prophétie de Daniel où l'on veut à présent trouver le Pape, étant accomplie dans la persécution d'Antiochus, comme les ministres en conviennent, ils ne peuvent plus y trouver d'autre sens qu'avec le secours de la tradition qu'ils rejettent.

Pour la prédiction de saint Paul dans la Ière à Timothée, chapitre IV, outre ce qu'on a vu dans cet Avertissement (1), on a pu voir clairement ailleurs (2) qu'elle est accomplie dans les manichéens et les autres sectes impies qui, dès l'origine du christianisme, avaient mis certaines viandes, et en général le mariage, parmi les choses réprouvées de Dieu et mauvaises de leur nature. Mais voici ce que répond M. Jurieu : « Les théologiens papistes, pour éluder ce passage, l'avaient voulu détourner il y a longtemps, du

 

1 Sup., n. 36, 37. — 2 Hist. des Var., liv, XL

 

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côté des manichéens : mais M. Bossuet sentait bien que peu de gens de bon sens seraient capables de donner là dedans, quand ils sauraient que les manichéens ont été dans tous les siècles une secte obscure et peu nombreuse, et qui n'a pas duré dans le monde avec éclat. Si saint Augustin ne s'était laissé surprendre par ces abuseurs, et après les avoir quittés ne se fût donné la peine de réfuter amplement leurs rêveries, à peine seraient-ils connus. Ils périrent dans le cinquième et dans le sixième siècle ; et en mourant ils laissèrent quelque germe de gens lesquels conservèrent quelques-uns de leurs dogmes, comme l'abstinence de certaines viandes et le mépris des sacrements de l'Eglise (1). » Et un peu après : « On ne prouvera jamais qu'ils aient composé une communion tant soit peu considérable : il y en avait en beaucoup de lieux de l'Orient et de l'Afrique ; mais c'étaient de petites sociétés, comme celle des illuminés d'Espagne et de nos fanatiques. Aucune personne raisonnable ne pourra donc se persuader que saint Paul ait pensé à une secte qui ne devait jamais être d'aucune distinction dans le monde. » Autant de faussetés et d'illusions que de paroles. « Les théologiens papistes ont détourné ce passage du côté des manichéens (2). » Il fallait dire que tous les Pères qui ont entrepris d'expliquer cette prédiction de saint Paul, l'ont entendue unanimement de ces hérétiques, ou de ceux qui avant eux et sous d'autres noms enseignaient les mêmes erreurs. « Sans saint Augustin, cette secte serait à peine connue. » Tous les écrits des saints Pères et les canons en sont pleins : ni Archélaüs, ni Origène, ni Eusèbe, ni saint Cyrille de Jérusalem, ni saint Basile, ni saint Epiphane , et les autres qui ont écrit avec tant de soin contre ces hérétiques, ne les ont connus par saint Augustin, qui est venu après eux ; et cette maudite secte n'était que trop renommée dans toute l'Eglise. « Il y en avait en beaucoup de lieux de l'Orient et de l'Afrique : » il y en avait en Italie et à Rome même ; il y en avait dans tout l'Orient, et on n'y trouve guère de provinces où ce venin ne fût répandu. « C'étaient de petites sociétés qui n'étaient pas considérables, ni d'aucune distinction dans le monde. » On a montré au contraire dans

1 Lett. X. — 2 Var., liv. XI, 9, 35.

 

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l'Histoire des Variations (1), que les erreurs de cette secte se trouvent sous divers noms dès l'origine du christianisme ; que le zèle d'étendre la secte était incroyable ; qu'elle s'était en effet beaucoup répandue , et qu'elle était surprenante et éblouissante jusqu'au prodige ; que dans le temps où le ministre ose dire qu'elle était tout à fait éteinte, on la trouve si multipliée en Arménie et ailleurs, qu'elle se cantonna contre les empereurs, bâtit des villes et des forteresses où ils ne pouvaient la forcer, et se trouva en état de leur faire une longue guerre ; qu'elle peupla la Thrace et la Bulgarie, d'où elle se répandit de tous côtés en Italie, en Allemagne, en France, où elle suscita de grandes guerres ; qu'elle dura très-longtemps dans tous ces pays; et que même dans son déclin elle était si puissante en nombre, qu'encore que les parfaits de la secte ne fussent que quatre mille, le reste était innombrable : de sorte que n'y ayant, selon le ministre, que le peu de distinction et de considération de la secte qui ait empêché saint Paul de la prévoir, on voit au contraire qu'il n'y en a point qui, par son nombre, par sa durée, par ses illusions, par son hypocrisie, par ses prestiges et par les autres circonstances que j'ai remarquées, méritât plus d'être prédite : outre que le fait est constant, et qu'il est plus clair que le jour que saint Paul parle d'une secte qui attaquoit directement le Créateur, en trouvant de l'impureté dans les viandes qu'il avait créées et en réprouvant le mariage qu'il avait établi. Nous avons donc démontré les profanations de la Réforme dans toutes les prophéties qu'elle tourne contre nous, et il ne reste qu'à faire voir qu'elle détruit elle-même ses propres explications.

 

LVII. — Les protestants toujours trompés par leurs prophètes.

 

On trompe toujours aisément ceux qu'on a une fois trompés en flattant leurs passions. Nous avons raconté ailleurs (2) que Luther enivré du succès de sa Réforme naissante, prit ses propres emportements pour un instinct prophétique. Les propos qu'il tint alors furent merveilleux. A l'entendre (3), le Pape allait tomber ; Daniel et saint Paul l'avaient prédit. La prédication de Luther était ce souffle

 

1 Var., liv. XI, 10, 12 et suiv., 16 et suiv., 31, 59, 137 et suiv. — 2 Hist. des Var., liv. 1, n. 32; II, n. 9. — 3 Serm. quod non Manic., etc.

 

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de Jésus-Christ dont parlait cet Apôtre , par lequel l'homme de péché serait détruit en un moment : il n'y avait que peu de temps à souffrir sous sa tyrannie, puisqu'il n'avait que deux ans à vivre, et l'empire turc devait être renversé en même temps. Nous avons remarqué les endroits où l'on trouve ces prophéties de Luther, et la sérieuse croyance qu'on y avait dans tout le parti : mais ce qu'il y eut de plus remarquable , c'est que tout devait s'accomplir sans qu'il fut permis de prendre les armes ; pendant que Luther boirait sa bière tranquillement au coin de son feu avec ses amis, avec Amsdorf et Melanchthon, l'ouvrage se devait accomplir tout seul (1).

Que des hommes se hasardent à trancher sur l'avenir, soit qu'ils veulent tromper les autres, ou qu'ils soient eux-mêmes trompés parleur imagination échauffée, il n'y a rien de fort merveilleux : qu'un peuple entêté les croie, c'est une faiblesse assez commune ; mais qu'après que leurs prédictions sont démenties par les effets, on puisse encore vanter leurs prophéties, c'est un prodige d'égarement qu'on ne peut comprendre. Mais de quoi la faiblesse humaine n'est-elle point capable? A la honte du genre humain, Luther demeura prophète après qu'il fut convaincu de faux par l'événement : il n'en fut pas moins écouté ; il n'en décida pas moins sur l'avenir, quoique les deux ans qu'il avait donnés au Pape se poussassent loin, et que toutes les prophéties s'accomplissent mal (2). Alors, contre le premier projet, il fallut avoir recours aux armes pour en hâter l'accomplissement. On n'avançait pas davantage ; et pendant qu'on se moquait hautement et des prophéties de Luther et de la crédulité de ceux qui s'en laissaient fasciner, il fallut se contenter de la vaine défaite de Calvin, qui répondit que « si le corps de la Papauté subsistait encore, l'esprit et la vie en étaient sortis ; de manière que ce n'était plus qu'un corps mort (3). »

Jamais nation ne fut si crédule que la réformée. Toutes les fois qu'il est arrivé à ce parti quelque chose de favorable, ils ne manquent

 

1 Serm. quod non Manic, lib. I, n. 24, 30; lib. II, n. 9, 44; lib. IV, n. 1, 2; lib. V, n. 32, 33.— 2 Var., liv. I, n. 25; liv.VIII, 1.— 3 Gratul. ad Ven. presb., opusc., p. 331 ; Var. liv. XIII, n. 2.

 

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jamais de s'imaginer qu'ils vont devenir les maîtres, et ils prennent un air menaçant. On se souvient encore parmi nous des espérances que leur inspirèrent les victoires de Gustave-Adolphe, roi de Suède. Les calvinistes, pour y prendre part, firent leur décret d'union avec les luthériens et à ce coup Babylone allait tomber. Que ne dit-on point de ce grand libérateur de la Réforme? Nous avons vu (1) qu'on lui adressa les mêmes paroles que le Psalmiste adresse en esprit au Messie futur, lorsqu'il en vit la gloire et les victoires; il fallut bien le trouver dans l'Apocalypse. Joseph Mède y eut de la peine : mais enfin, à l'effusion de la quatrième fiole (2), il vit que le soleil allait être obscurci ; chose rare et difficile à trouver dans les prophètes ! Il n'en fallut pas davantage pour voir périr l'empire d'Allemagne, qui est le soleil du Pape. Je le veux : mais où était donc ce libérateur venu du Nord? Il n'y en paraît pas un mot : n'importe, il fallait bien qu'il y fût ; car enfin le soleil de Rome ne s'éteindrait pas tout seul et peut-être que les nuages qui l'obscurciraient devaient venir de dessous le pôle. Ainsi les hommes se trompent et deviennent le faible jouet de leurs espérances.

 

LVIII. — Ridicules interprétations de Dumoulin. Pourquoi il s'arrête à l'année 1689.

 

Sans chercher les autres exemples de semblables illusions, je ne veux plus parler ici que de celle de nos jours. Elle était réservée au ministre Dumoulin et à sa famille, puisque et lui et son petit-fils tiennent aujourd'hui tous les protestants en attente de cette fatale année L689 où nous entrons. Quelque vaine que soit cette prédiction en elle-même, il n'est pas permis de négliger ce qui séduit tant d'âmes et ce que Dieu semble avoir permis, ou pour punir les ennemis de la vérité en les livrant à l'erreur , ou plutôt, comme je l'espère , pour les faire revenir au bon sens par l'excès d'un égarement si manifeste. En l'an 1614 ou environ, Dumoulin, ministre de Paris, le plus autorisé de son parti et le plus mêlé dans les troubles du règne passé , fit un livre qu'il intitula l'Accomplissement des prophéties, qui fut imprimé à Sedan en

 

1 Var., liv. XIII, 38. — 2 Apoc., XVI, 8.

 

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1624. Nous avons déjà vu quelques traits de ses rares interprétations, et nous avons vu entre autres choses les bizarres et différentes manières dont il a pris les douze cent soixante jours de l’Apocalypse (1), tantôt pour des années et tantôt pour de vrais jours naturels , sans qu'il y ait dans le texte de saint Jean la moindre occasion de cette diversité. Ce ministre est aussi demeuré d'accord que le Pape ne se trouvait point dans le chapitre XII (2), où tous ses confrères le mettent, quoiqu'il faille également ou le mettre là, ou l'ôter partout. Mais s'il met le Pape à couvert du chapitre XII, en récompense il le fait paraître magnifiquement dans le chapitre XIII. Il est la septième tête de la première bête, c'est-à-dire, comme la Réforme l'explique toujours (3), le septième gouvernement de Rome ; il est encore la seconde bête qui fait adorer la première, qui est lui-même, puisque ce n'est plus qu'en lui seul qu'elle subsiste ; il est encore l'image de la première bête que la seconde fait adorer : et bien que l’Apocalypse ne marque point qu'on adore la seconde bête qui fait seulement adorer la première et son image, le Pape est tout ensemble ce qui fait adorer, ce qu'on adore et ce qu'on n'adore pas. Les deux cornes de la seconde bête, c'est la mitre du Pape (4). Le feu que le Pape fait descendre du ciel, le croirait-on ? c'est le feu Saint-Antoine; ce sont bien aussi les anathèmes et les foudres que le Pape lance : car il faut, pour soutenir l'interprétation de la Réforme, que les conciles les plus vénérables et les plus saints, à cause qu'ils ont prononcé dès les premiers temps des anathèmes si authentiques et si marqués , portent un caractère de la bête; et je ne sais si saint Paul en sera exempt, puisque c'est de lui qu'on a appris ce grand Anathema sit (5), que nul n'a jamais méprisé que les impies. Au surplus la marque de la bête , c'est à Dumoulin comme aux autres, la croix de Jésus-Christ imprimée sur le front de ses fidèles par la confirmation. La faculté qu'on reçoit du Pape « pour vendre et pour acheter (6) » regarde les bénéfices que le Pape permet de vendre et d'acheter tant qu'on veut, encore qu'il n'y ait rien de plus anathématisé

 

1 Accomp. des proph., p. 216. — 2 Accomp. des proph., chap. III, p. 175. — 3 Accomp. des proph., chap. IV, p. 182. — 4 Ibid., p. 184. — 5 I Cor., XVI, 22.— 6 Apoc., XIII, 17.

 

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dans tout son empire. Le nombre d'homme qu'il faut trouver dans le nom du Pape n'est pas le nombre du nom d'un homme (1) ; c'est « un nombre usité parmi les hommes, » comme s'il y en avait d'autres. Le nombre de six cent soixante-six, outre le mystère déjà connu du mot Lateinos, à compter depuis le temps de saint Jean, signifie encore l'année précise à laquelle le Pape a commencé à être proprement l'Antéchrist (2) : mystère inconnu à cet Apôtre, qui ne s'avisa jamais de marquer par ce caractère la naissance de l'Antéchrist ni de personne, mais seulement qui serait celui dont l'Eglise aurait à souffrir tout ce qu'il raconte. Je n'ose dire le mystère infâme que ce ministre a trouvé dans le nom de Rome (3), à cause que dans Roma, si on en renverse les lettres, on trouve amor, ce qu'il appelle l'amour renversé. Au reste nous avons vu (4) comme ce hardi interprète n'épargne pas le texte de saint Jean, et l'artifice dont il s'est servi pour faire durer plus que toutes les autres têtes celle que cet apôtre fait durer le moins.

Voilà quel était le premier auteur de la prédiction de 1689 ; mais apparemment on voudra savoir comment il en est venu à un compte si précis. Il est aisé de l'entendre. C'est, en un mot, que tous les ministres ne songent qu'à trouver dans l'Ecriture de quoi abréger le temps des souffrances et à précipiter l'Empire de Rome. La nouvelle Eglise n'était pas fâchée d'avoir à vanter ses persécutions; cela était capable d'éblouir les simples ; mais on y voulait voir bientôt une fin : cependant il fallait donner au Pape douze cent soixante ans d'empire ; autrement les jours prophétiques et tout le système protestant allait en poudre. Avec un si long empire, pour faire finir bientôt les persécutions, Dumoulin a trouvé un expédient; son petit-fils, M. Jurieu , en invente un autre, et il les faut expliquer tous deux.

 

LIX. — Raisonnement de Dumoulin improuvé par M. Jurieu.

 

Selon le ministre Dumoulin, le règne du Pape commence en l'an 755, à peu près dans le même temps que les empereurs d'Orient perdirent Rome (5). Ce terme ne semble pas mal trouvé. Il est

 

1 Accompl., des proph. chap. IV, p. 184, 238. — 2 Ibid., 260. — 3 Ibid., 364. — 4 Ci-dessus, n. 18. — 5 Accompl., des proph. chap. IV, p. 147, 186, 215  240.

 

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vrai que les dix rois qui signifiaient le démembrement de l'Empire, n'y conviennent pas; ce démembrement avait précédé il y avait plus de trois cents ans, comme M. Jurieu en est d'accord, et la date en est constante. Mais quoi! tout ne peut pas cadrer si juste dans un système fait à plaisir. Trouver aussi en ce temps, c'est-à-dire au temps de Pépin, dix royaumes qui fissent partie de l'empire du Pape, Dumoulin l'espère si peu, qu'il en recule le temps d'autres trois cents ans bien comptés, et ne pose les dix royaumes qui devaient servir au papisme qu'en l'an 1071, sous Grégoire VII, où, dit-il (1), «la Papauté s'est élevée au comble de la grandeur mondaine. » Trois cents ans de plus ou de moins ne font rien à ces messieurs ; encore si à cela près tout allait bien : mais non. Je pourrais montrer, si je le voulais, autant de violence faite à l'histoire dans le temps de Grégoire VII que dans les autres. Laissons tout cela, et venons à la question curieuse. Pourquoi, contre l'intérêt et les préjugés de la secte qui devait faire venir l'Antéchrist au milieu du débris de Rome, Dumoulin en a mis plus bas la naissance? C'est, en un mot, comme on l'a déjà touché, qu'il ne pouvait s'empêcher de respecter en quelque manière les siècles précédents.

Cependant à commencer, selon Dumoulin, le règne de l'Antéchrist à l'an 735, et à le continuer douze cent soixante ans, c'était pousser cet Empire jusqu'à l'an 2015, et laisser le peuple réformé quatre cent quatre ans dans l'oppression. A la vérité, elle était légère du temps que Dumoulin écrivait. Depuis le temps de François II, la Réforme persécutrice plutôt que persécutée, était toujours prête à tirer l'épée et à appeler l'étranger : ses villes d'otage la faisaient redouter; ses assemblées générales étaient fréquentes ; ses députés toujours plaintifs; et on avait tant d'égards pour eux, qu'il était bien plus dangereux de toucher à un protestant qu'à un prêtre. Je ne dis rien qui ne soit connu, et cela passait en proverbe parmi le peuple : mais parce que la Réforme ne dominait pas, elle se tenait pour opprimée; et pour lui diminuer le temps de son affliction, le ministre le fit finir en 89 (a).

 

1 Accompl, des proph. chap. IV, p. 286.

(a) On verra plus loin que c'est 1689.

 

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Son fondement était si léger, qu'on aurait peine à le croire. Il se fonde sur les trois jours et demi de l'onzième de l’Apocalypse, durant lesquels « les corps des deux témoins demeurent gisants dans la place (1). » « Cette place , dit Dumoulin (2), signifie l'Eglise romaine; » et « il est manifeste que saint Jean par là met un temps durant lequel les trois jours et demi sont la persécution de l'Eglise sous la hiérarchie romaine. » Passons cela; trois jours et demi seront donc apparemment trois ans et demi, selon la glose des jours prophétiques? Point du tout : trois ans et demi seront à ce coup six cent trente ans, et voici comment : « Trois jours et demi sont la moitié d'une semaine ; ce qui nous donne à connaître que le Saint-Esprit comprend ici tout le temps de la domination de la bête par une semaine, et qu'il nous avertit que la persécution durera la moitié du temps de cette domination. Puis donc que sa domination doit durer douze cent soixante ans, il s'ensuit que la hiérarchie romaine doit persécuter les fidèles six cent trente ans : après cela la résistance qu'il fera sera sans effusion de sang, pour ce qu'il sera affaibli. »

Cela posé, il lui est aisé de venir à 1689. « Car, poursuit-il, je ne trouve point que le Siège romain ait persécuté et usé de cruauté généralement envers ceux qui se sont opposés à sa doctrine, que depuis Bérenger que le pape Nicolas II contraignit à se dédire par force l'an 1059 de Jésus-Christ; et depuis cela, les Papes ont toujours persécuté ceux qui ont tenu la même doctrine. Si donc à mille cinquante-neuf ans vous ajoutez six cent trente ans, vous trouverez que la persécution de l'Eglise sous les Papes doit finir en l'an 1689. »

Tout est faux visiblement dans ce discours : ce qu'on y dit de l'Ecriture, ce qu'on y dit de l'histoire; tout est faux encore une fois. L'histoire de la prétendue persécution est insoutenable. S'il faut compter pour persécution la condamnation de ceux qui ont nié la présence réelle, ce n'est point en 1039 et par Bérenger qu'on a commencé : ces hérétiques d'Orléans, que le roi Robert condamna au feu en 1017 (3), étaient de l'avis de Bérenger, et il

 

1 Apoc., XI, 8, 9, 11. — 2 Dumoulin, p. 35. — 3 Act. Conc. Aur., Spicil., tom. II; Concil.,

Labb., tom. IX; Var., liv. XI, 17.

 

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fallait les compter comme les premiers persécutés pour cette doctrine. Que si l'on a honte d'appeler persécution , le juste supplice de ces impies légitimement convaincus de manichéisme, il faut encore rayer les persécutions des Albigeois, également convaincus de même crime. Quant au temps de Bérenger, où le ministre établit une persécution générale, tout cela est faux : on voit bien des particuliers irrités de ces nouveautés, assemblés sans ordre contre lui ; mais on ne voit ni sang répandu, ni décret publié, ni persécution générale ; on rie voit aucune marque de violence dans les conciles où cet hérésiarque se rétracta ; il a confirmé, en mourant, sa rétractation ; on le laissa dans le ministère d'archidiacre ; on l'honora de la sépulture ecclésiastique. Hildebert, évêque du Mans, mit sur son tombeau un éloge que ni cet évêque, constamment zélé défenseur de la présence réelle, n'aurait fait, ni ses confrères n'auraient enduré après la condamnation solennelle de Bérenger, si on n'avait cru qu'il était permis d'honorer sa pénitence. C'en est assez pour faire voir la fausseté de l'histoire des persécutions, comme Dumoulin l'a bâtie, et par conséquent l'inutilité de sa prédiction prétendue, puisqu'elle est toute fondée sur cette date. Mais il nous sera bien plus aisé de convaincre ce ministre d'avoir abusé trop visiblement de l'Ecriture et du texte de saint Jean. Pour en venir à son compte, il faut supposer deux choses : l'une, que tout le temps de la bête est une semaine. Mais où cela est-il écrit? Une semaine, assurément, se compte par sept; une semaine de jours sont sept jours; d'années, sont sept ans ; de siècles, si l'on voulait pousser jusque-là, sont sept siècles et sept cents ans complets : mais douze cent soixante jours, soit qu'on les prenne pour des jours réguliers ou pour des années, comme le veulent les ministres et Dumoulin même, ne feront jamais une semaine ; au contraire douze cent soixante jours sont, selon saint Jean, trois ans et demi, c'est-à-dire la juste moitié d'une semaine d'années, mais jamais la semaine entière ; et douze cent soixante ans se réduisent encore moins au nombre de sept ; en sorte qu'on ne peut comprendre comment le ministre en a fait une semaine , puisque c'est visiblement choquer le bon sens, le texte de saint Jean, le style et l'analogie de toute l'Ecriture. La seconde chose

 

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qu'il faut supposer, c'est que la bête, qu'on fait si cruelle, ne persécute que la moitié de son temps, contre le texte formel, où il est porté, non pas qu'elle durera, mais qu'elle persécutera douze cent soixante jours; « que la sainte cité sera foulée aux pieds autant de temps (1), » c'est-à-dire quarante-deux mois, et que les témoins prêcheront douze cent soixante jours dans le cilice, c'est-à-dire, selon Dumoulin lui-même (2), avec beaucoup d'affliction : d'où ce même ministre conclut que l'oppression de l'Eglise dure tout ce temps, selon saint Jean. Quel fondement y a-t-il donc de la réduire à la moitié, si ce n'est qu'on veut flatter un peuple impatient, d'une plus prompte délivrance? Mais, dit-on, la persécution doit durer trois jours et demi. Ce n'est pas ce que dit saint Jean : la persécution doit durer douze cent soixante jours, en quelque sorte qu'on les veuille prendre. De ces douze cent soixante jours, il y en aura trois et demi que les témoins paraîtront tout à fait morts : voilà ce que dit saint Jean ; mais voici ce que conclut Dumoulin : « Donc ces trois jours et demi composent six cent trente ans, et la moitié de douze cent soixante. » Je n'entends plus rien à ce compte : douze cent soixante sont sept, et trois et demi sont six cent trente : une pareille absurdité n'était jamais montée jusqu'alors dans une tête humaine : aussi l'a-t-on rejetée jusque dans la famille de Dumoulin, et le ministre Jurieu, son petit-fils, a décidé en deux endroits que son aïeul s'était trompé (3) : « Que prendre, comme il a fait, trois jours et demi pour six cent trente ans, est une chose qui n'a d'exemple dans aucune prophétie; que ses hypothèses se détruisent elles-mêmes ; que le fondement sur lequel il a bâti, est tout à fait destitué de solidité : de sorte que ce serait une rencontre tout à fait casuelle, si la chose arrivait » comme il l'a dit. Voilà, selon M. Jurieu, ce que c'est que l'explication qui donne par toute la terre de si grandes espérances aux protestants, qu'ils se regardent déjà comme les maîtres de la chrétienté.

Il est vrai que Dumoulin lui-même ne se donne pas pour un homme inspiré, et ne donne son explication que comme une conjecture (4). N'importe, la conjecture d'un ministre de cette importance,

 

1 Apoc., XI, XII, XIII. — 2 Accompl. des proph. p. 345, explic. — 3 Accomp. Ière part., p. 71; IIe part., p. 185.— 4 Ibid.

 

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quoique jetée en l'air au hasard contre le texte de saint Jean et toute l'analogie des Ecritures, et avec des fondements que M. Jurieu méprise lui-même, deviendra une prophétie, quand un peuple qui veut se venger et vaincre, s'en entêtera : tant on se joue de l'Ecriture, tant on écoute les hommes parmi ceux qui ne cessent de déclamer contre les inventions humaines.

 

LX.— Comment M. Jurieu a tâché de revenir à l'interprétation de son aïeul après l'avoir méprisée.

 

Il y a une autre raison qui oblige M. Jurieu à rejeter l'exposition de son grand-père ; c'est que ce bon homme s'est avisé de donner à chacune des sept fioles deux cent quatre-vingt-sept ans ; de sorte qu'à les commencer, comme il fait, à l'origine du christianisme, elles mèneront les protestants jusqu'après l'an 2000 ; et au lieu de dominer, comme ils le prétendent, ils auraient encore à souffrir jusqu'à l'an 2015, c'est-à-dire trois cent trente ans, n'y ayant aucune apparence, selon leurs principes, que le Pape règne sans persécuter (1). Ennuyé d'un si long délai, M. Jurieu a tranché plus court. A force de désirer, comme il le confesse, d'annoncer de bonnes nouvelles à ses frères, il a trouvé que leurs souffrances et le règne de l'Antéchrist tiraient à leur fin (2) ; et pour avancer la chute d'un règne qui l'importune, au mépris des anciens ministres et de Dumoulin qui n'ont osé mettre l'Antéchrist dans saint Grégoire, celui-ci l'a fait remonter jusqu'à saint Léon.

Cependant comme, selon sa supputation, le règne papal doit aller jusqu'à 1710 ou 1715, ce qui lui paraît trop long pour ses réformés, et que l'hypothèse de Dumoulin, où la souffrance finit à 89, est plus favorable ; quoiqu'il la méprise autant qu'on a vu, il n'en veut pas perdre le fruit ; et il a mis à la tête de son Accomplissement des prophéties, imprimé en 1686, « que la persécution présente peut finir dans trois ans et demi (3), » c'est-à-dire, comme disait son aïeul, en 89.

Ces termes : Elle peut finir, empêchent de se tromper. Mais le ministre paraît encore plus tremblant dans le corps de son discours,

 

1 Jur., Accomp., Ière part., p. 71; Dumoulin, Accomp., p. 359. — 2 Jur., Accomp., IIe part., p. 185.— 3 Titre de l’Accomp.

 

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où il parle ainsi : « Néanmoins, » quoique Dumoulin ait bâti sur de si mauvais fondements, « il n'est pas tout à fait hors d'apparence que la persécution ne puisse cesser en l'an 1689 (1). »

Pour cela il ne faut que présupposer que cette persécution est constamment la dernière; car les deux témoins sont morts, comme nous verrons (2), et il ne leur reste plus qu'à ressusciter après trois jours et demi, c'est-à-dire trois ans et demi. Au reste le ministre avoue qu'il s'était bien trompé dans ses Préjugés légitimes (3), lorsqu'il avait mis cette mort des deux témoins dans tout le temps qui s'écoula depuis « la totale ruine des Thaboristes jusqu'à la prédication de Luther. » Il était pourtant assez beau de voir ressusciter ces deux témoins en la personne de Luther et de Zuingle ; et le ministre aurait persisté dans une idée si favorable aux réformateurs, si depuis la publication des Préjugés, il n'était arrivé en France des choses qu'il était bon de trouver dans l’Apocalypse. C'est ce qui nous a produit dans le livre de l'Accomplissement des prophéties, une nouvelle explication : mais voyons si elle sera plus heureuse que celle qu'on abandonne.

On veut que la mort des deux témoins, « qui doit éteindre la véritable religion durant trois ans et demi, soit certainement la persécution présente (4). Ils mourront donc enfin ; et puisque nous sommes à la fin de leur témoignage et de la persécution antichrétienne, « la véritable religion, » c'est-à-dire toute la Réforme, va être éteinte. Non, le ministre a trouvé un expédient pour ne la faire mourir qu'en France. Ce sera là seulement que la bête tuera les deux témoins, et leurs corps seront gisants, non pas sur les places de la grande cité, mais sur la place, au singulier, qui est la France. Mais, poursuit le ministre, « s'ils y sont tués, ils n'y seront pas ensevelis; » et Dieu, « dans la France même , se conservera des fidèles qui empêcheront que les deux témoins ne soient ensevelis, et que la vérité ne périsse tout à fait (5). » Ce n'est donc pas périr tout à fait que de mourir, en sorte qu'il ne reste plus qu'à être enterré ? Nouvelle invention : mais elle va bientôt

 

1 Accomp., IIe part., p. 185.— 2 Ibid., p. 184, 185 et suiv.— 3 Préf. Ière part., chap. V, p. 97, 98. — 4 Accomp., IIe part., p. 185. — 5 Ibid., chap. X, p. 175, 170, 200, 205; Ibid., 179.

 

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disparaître. Suivons : « Tous les Etats où la réformation est la religion dominante, ne souffriront pas de cette dernière persécution. Il y a longtemps que ces Etats n'appartiennent plus à la bête ; la persécution ne se doit faire que dans l'étendue de l'empire du papisme, et où il est dominant ; » les deux témoins « ne seront tués qu'où ils prophétisaient revêtus de sacs, » c'est-à-dire dans la persécution et « sous la croix (1). » Quoi donc ! ces pays heureux où la Réforme domine, ne sont plus au nombre « de ces deux témoins » qui soutiennent la vérité persécutée ? Il le faut bien, car autrement la nouvelle interprétation ne subsisterait plus. Mais enfin est-on du moins bien assuré que tous les pays, sans exception, où la Réforme domine, n'auront point de persécution à souffrir? Pas trop. Dans le livre de l’Accomplissement des prophéties (2), l'auteur doutait encore un peu de l'Angleterre ; et peut-être qu'à présent, que ses lumières sont augmentées, il en parlera plus certainement. Sans doute il devinera que l'Angleterre ne devait pas être persécutée, mais persécutrice, en commençant ses persécutions par son roi, et le privant de son trône après l'avoir reconnu et couronné unanimement, et lui avoir juré en particulier et en corps la fidélité qu'on a jurée à ses augustes prédécesseurs : voilà le bel endroit de la prophétie et de la Réforme.

Pour la fin de la persécution, comme constamment, selon l'auteur, elle ne doit durer que trois ans et demi, il y aurait vu clair dès lors, n'était qu'il ne sait pas bien s'il faut compter les trois ans et demi depuis la suppression de l'édit de Nantes, ou bien à quelques autres termes (3). Quoi donc ! il n'est pas bien assuré que les deux témoins soient morts en France? Pour moi, comme l'auteur en avait parlé, je les aurais cru tout à fait morts, puisqu'il ne leur manquait plus que la sépulture ; mais l'auteur s'est réservé de nous dire en un autre temps s'ils sont morts ou non : « Dieu, s'il veut, peut compter les trois ans et demi de la mort des témoins depuis la révocation de l'édit de Nantes, faite en 1685, au mois d'octobre ; mais que Dieu le veuille ainsi, nous n'en avons aucune certitude (4). » Il a raison, et il fait très-bien de se réserver

 

1 Accomp., IIe part., p. 173, etc. — 2 Ibid., p. 173, 174. — 3 Ibid., p. 183, 184. — 4 Ibid., p. 186.

 

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à compter comme il lui plaira : c'est de même que s'il disait : Nous saurons bien ajuster les choses et faire croire tout ce que nous voudrons à un peuple qui, en se vantant de tout voir par lui-même, nous en croit aveuglément en tout et partout, mais toujours et à coup sur, sur les prophéties.

Cependant s'il arrive quelque chose de ce qu'on avait hasardé dans ses prédictions, on se donne hardiment un air de prophète. Ecoutez comme le ministre triomphe de ce qu'aujourd'hui toute l'Europe semble conjurée contre la France, sa patrie : « Permettez-moi , mes frères, de vous faire ressouvenir que ce fut précisément notre conjecture, il y a plus de trois ans, quand nous expliquions ces paroles de l'onzième chapitre de l’Apocalypse : « Ceux des tribus, langues et nations ne permettront pas que leurs corps morts soient mis au sépulcre... » Il y a apparence, disions-nous, que toute l'Europe contribuera à empêcher que la France ne vienne à bout de son dessein d'extirper la vérité (1). » Ne fallait-il pas être un grand prophète pour prévoir que la jalousie élevée depuis si longtemps contre un royaume que Dieu a relevé par tant d'avantages, produirait de puissantes ligues et que la Réforme tâcherait de s'en prévaloir? M. Jurieu a prévu tout cela précisément ; c'est un nouveau Jérémie qui a vu, mais avec des yeux secs, les maux dont ses voisins conjurés menacent son pays.

Qui peut voir sans indignation cette horrible profanation des

oracles du Saint-Esprit et l'audace de s'en jouer à sa fantaisie,

aussi bien que de l'avenir que Dieu se réserve et de la simplicité

des peuples, doit craindre d'être livré aux illusions de son cœur.

Dieu peut changer ces funestes dispositions et tourner en bien le

mauvais présage : il y a même sujet d'espérer qu'il ne permet

cet esprit de vertige dans les docteurs de la Réforme, que pour

enfin ramener ceux qui sont trompés de bonne foi. Pour ceux qui

s'endurciront contre la vérité manifeste, il n'y a pour les tromper

qu'à les flatter dans leurs espérances et à faire un peu l'homme

inspiré. Que M. Jurieu ne s'emporte pas, si je dis ici qu'il n'en

joue pas mal le personnage, principalement à l'endroit où il parle

ainsi : « Je puis dire que je ne me suis pas appliqué à l'étude des

 

1 Lett. XII, p. 93, col. 2.

 

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prophéties PAR CHOIX ET AVEC LIBERTÉ ; je m'y suis senti poussé par une espèce DE VIOLENCE A LAQUELLE JE N'AI PU RÉSISTER (1). » Ce transport d'un homme entraîné avec une force invincible, sans liberté et sans choix, si ce n'est pas une fiction, ou c'est le transport d'une imagination échauffée et une illusion de fanatique, ou c'est une impression du malin esprit, ou c'est un coup de la main de Dieu; après quoi il ne reste plus qu'à dire tout ouvertement avec les prophètes : « La main de Dieu a été faite sur moi. » Déjà on ne doute plus dans le parti que le ministre Jurieu ne soit inspiré : ce n'est aussi qu'après « avoir frappé deux, trois, quatre, cinq et six fois avec une attention religieuse et une profonde humilité, qu'il croit que la porte s'est ouverte (2). » Enfin c'est le Daniel de toute la Réforme ; c'en est l'homme de désirs : déjà on frappe en Hollande, et on répand dans toute l'Europe des médailles où paraît sa tête. Il y en a de deux sortes : la première, à la vérité, est équivoque : on voit d'un côté le puits de l'abîme ouvert avec toute l'épaisse fumée qui s'élève contre le ciel de cette fournaise infernale ; et de l'autre, on voit paraître M. Jurieu comme si c'était lui qui vînt de l'ouvrir. Là on ne lui donne que ses qualités de ministre et de professeur en théologie; mais dans la seconde, on s'explique mieux : c'est d'un côté la bête de l’Apocalypse et de l'autre M. Jurieu comme son vainqueur, avec cette inscription qui fera l'étonnement de la postérité et après laquelle aussi je n'ai rien à dire : Petrus Jurieu propheta.

 

RÉCAPITULATION,

 

Eclaircissement et confirmation de tontes nos preuves et de tout cet ouvrage sur l’Apocalypse.

 

LXI. — Pourquoi cette Récapitulation, ce qu'il y faudra observer.

 

Pour achever d'aider nos frères, j'ai encore à faire deux choses qui mettront, s'il plaît à Dieu, la vérité dans la dernière évidence : la première, de recueillir, dans un abrégé le plus court qu'il sera

 

Avis à tous les chrét. au connu, de l’Accomp. des proph., p. 4. — 2 Accomp., Ière Part., p. 94.                                                                                               

 

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possible, toutes les preuves qui sont répandues, non-seulement dans cet Avertissement, mais encore dans tout le reste de l'ouvrage, en sorte qu'on les puisse voir comme d'un coup d'œil, et par ce moyen les mieux sentir; la seconde, de les réduire à un ordre qui les rende plus convaincantes et qui les mette (je l'oserai dire encore une fois dans ce qui regarde la réfutation) en forme démonstrative.

Autre est l'ordre dont on se sert pour instruire son lecteur et le conduire peu à peu à la lumière ; autre est l'ordre qu'on doit employer pour achever de le convaincre après qu'il est déjà instruit. C'est à ce dernier ordre que je m'attache, et voici une première démonstration.

 

LXII. — Première démonstration, que la destruction de la prostituée aux chap. XVII, XVIII et XIX de l’Apocalypse, par les principes des protestants, est une chose accomplie; et ainsi qu'on y cherche en vain la chute future de la Papauté.

 

La prostituée dont il est parlé dans le XVIIe chapitre, que les dix rois doivent désoler et consumer par le feu, dont ils doivent dévorer les chairs, piller les richesses et partager les provinces, verset 16; c'est Rome, maîtresse du monde sous les anciens empereurs romains, prise et saccagée parles Goths, et son empire dissipé dans les environs du cinquième siècle : c'est un principe avoué par les protestants, et c'est de là qu'ils concluent que leur Antéchrist prétendu doit naître du débris de Rome et au milieu de ses ruines. C'est aussi par là qu'ils prétendent que la prophétie de saint Paul où ils croient voir arriver l'Antéchrist après la chute de l'Empire romain, a un parfait rapport avec celle de saint Jean ; et ce rapport des deux prophéties fait constamment, comme on a vu, le fort de leur interprétation : par conséquent, selon eux, le verset 16 du chapitre XVII de saint Jean, où la prostituée est détruite et son empire dissipé, est une chose accomplie dans le sac de Rome. Or la chute qui est décrite si amplement au chapitre XVIII, et dont on rend grâces dans le ciel au XIXe, est la même qui est proposée en peu de mots au verset 16 du chapitre XVII. Donc cette chute des chapitres XVIII et XIX est pareillement

 

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chose accomplie, et accomplie dans le sac de Rome; et les protestants se trompent eux-mêmes quand ils veulent s'imaginer après cela une autre Babylone. qui doive tomber, et d'où il faille sortir.

Toute la difficulté est à prouver que la chute des chapitres XVIII et XIX est la même que celle du XVII. Or nous l'avons démontré d'une manière à ne laisser aucune réplique par les paroles de saint Jean (1) ; et voici, pour faciliter toutes choses, l'abrégé de cette preuve. Au commencement du chapitre XVII, « l'ange promet à saint Jean de lui faire voir la condamnation de la grande prostituée, » verset 1. Or cette condamnation est celle qu'il lui fait voir dans les chapitres XVIII et XIX, où l'on voit tomber celle dont la prostitution avait souillé tout l'univers, XVIII, 3, et le jugement exercé sur la grande prostituée dont la prostitution avait corrompu toute la terre, XIX, 2. Par conséquent la prostituée, qui doit tomber au chapitre XVII, est la même qui est tombée en effet aux chapitres XVIII et XIX.

La même chose se démontre encore par une autre voie : la prostituée dont on nous fait voir la condamnation future au verset i du chapitre XVII, est la même qu'on nous fait voir entre les mains des dix rois qui haïssent la prostituée, la désolent et la brûlent dans le feu au verset 16. Or celle-là est la même dont on nous fait voir la chute effective dans les chapitres XVIII et XIX, en sorte qu'il n'y a nulle différence, sinon qu'on dit dans l'une : Elle tombera; et dans l'autre : Elle est tombée, XVIII, 2; dans l'une, qu'elle sera consumée par le feu, XVII, 16; et dans l'autre, que la fumée de son embrasement a saisi de crainte tous les peuples, XVIII, 9; dans l'une, que ses richesses seront pillées; et dans l'autre, qu'elles le sont en effet, XVIII, 12, etc. ; dans l'une enfin, que le jugement sera exercé sur elle, XVII, 1 ; et dans l'autre, qu'il a été exercé, et que Dieu en reçoit les justes louanges dans le ciel, XIX, 1,2, 3. Par conséquent ces trois chapitres ont déjà été accomplis dans le sac de Rome; et ce que les protestants veulent qu'on y trouve de la ruine future de l'Eglise romaine, et de la nécessité d'en sortir, non-seulement par la suite des paroles de

 

1 Avert., etc., n. 21.

 

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saint Jean, mais encore par les principes des protestants mêmes, et encore par les principes où consistent les fonde mens de tout le système, n'est qu'un songe.

 

LXIII. — Seconde démonstration du chap. XVIII. Preuve par les protestants que l'Eglise romaine est la vraie Eglise.

 

Voici une seconde démonstration qui n'est pas moins évidente, et encore par les principes des protestants. Quand on leur aurait accordé, ce qui démonstrativement vient de paraître impossible, que la Babylone des chapitres XVII, XVIII et XIX serait l'Eglise romaine, je conclus, selon leurs principes, que l'Eglise romaine est la vraie Eglise (1). Car l'Eglise où est renfermé le peuple de Dieu, est sans doute la vraie Eglise. Or la Babylone qui tombe est celle où est renfermé le peuple de Dieu, puisque c'est de là qu'on lui ordonne de sortir : donc la Babylone qui tombe et qu'il faut quitter, est en même temps la vraie Eglise.

Si l'on dit que le peuple de Dieu y était au commencement et avant que l'Antéchrist y fût tout à fait formé, tout le contraire paraît par cette preuve : Si Babylone est jamais abominable, si l'Antéchrist y est jamais tout à fait formé, c'est au temps où elle est punie pour ses abominations et où elle tombe. Or c'est en ce temps précis qu'il est ordonné d'en sortir, comme il paraît par le texte : Elle est tombée, elle est tombée, XVIII, 2. Et incontinent après : Sortez-en, mon peuple, de peur d'être enveloppé dans ses ruines, parce que ses péchés sont parvenus jusqu'aux cieux. C'est donc en ce temps précisément que le peuple de Dieu y est, et qu'elle est par conséquent la vraie Eglise, la mère des enfants de Dieu.

C'est ce qui se confirme encore par les principes des protestants en cette matière : Les protestants veulent qu'on en sorte, non pas comme d'une ville qui va tomber en ruine, mais comme d'une église corrompue dont il faut fuir la communion : c'était donc dans sa communion que le peuple de Dieu était; et loin d'être une fausse église, c'est la véritable.

Si l'on dit que le peuple de Dieu, qui en doit sortir, est seulement le peuple de Dieu par la prédestination éternelle, quoiqu'il

 

1 Avert., n. 41.

 

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soit encore en effet le peuple du diable, M. Jurieu entreprend de détruire cette réponse, et la détruit en effet par deux démonstrations (1) : la première, en faisant voir, ce qui est indubitable, que dans toutes les Ecritures, « Dieu n'appelle point son peuple des gens qui sont en état de damnation (2) : » donc le peuple dont il est parlé dans cet endroit de saint Jean n'est pas en état de damnation : ce n'est donc pas un peuple infidèle prédestiné à sortir de la damnation, mais un peuple justifié et croyant, qui en est actuellement délivré.

La seconde : « C'est qu'il est, dit-il, plus clair que le jour, que Dieu dans ces paroles : « Sortez de Babylone, mon peuple, » fait allusion aux Juifs de la captivité de Babylone, qui en cet état ne cessèrent pas d'être Juifs, et le peuple de Dieu : » donc ceux qui sortiront de la Babylone mystique seront le peuple de Dieu dans le même sens, et par conséquent la vraie Eglise.

On peut voir ici, en passant, avec quelle bonne foi le ministre s'est tant emporté sur ce que j'assure qu'il a reconnu qu'on se sauvoit dans notre communion, et que plusieurs saints y étaient actuellement renfermés. Il n'y a opprobre dont il ne me charge dans sa lettre xi pour l'avoir dit (3). On voit maintenant si j'ai eu tort et si j'avais mérité d'essuyer toute l'amertume du style de ce ministre, pour lui avoir montré dans son système un labyrinthe d'où il ne peut sortir.

Tout ceci se confirme encore, en ce que le même ministre nous assure que « les cent quarante-quatre mille marqués de l’Apocalypse, sont représentés être dans l'empire de l'Antéchrist, comme les Israélites étaient dans l'Egypte (4) : » or les Israélites étaient dans l'Egypte comme le vrai peuple de Dieu : donc ceux qu'on veut être sous l'Antéchrist et dans la communion de son Eglise, sont le vrai peuple de Dieu.

Et il ne faut pas nous dire que c'en soit seulement une partie, car saint Jean dit universellement : « Sortez ,de Babylone, mon peuple. » C'en est donc manifestement, ou la totalité, ou tout au moins le plus grand nombre, d'autant plus que les cent quarante-quatre

 

1 Syst., p. 145; Var., liv. XV, 56. — 2 Ibid. — 3 Lett. XI, an. 3. — 4 Préj., Ière part., p. 16.

 

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quatre mille marqués que le ministre « reconnait être dans l'empire de l'Antéchrist, » représentent l'universalité des saints : c'était donc aussi tout le peuple saint qui devait sortir de Babylone.

De là ce raisonnement : Ou ce peuple était déjà sorti de la communion de l'Eglise romaine, ou il y était encore; s'il en était déjà sorti, on ne lui doit pas dire : « Sortez-en; » et s’il n'en était pas sorti, l'Eglise romaine est la vraie Eglise, qui jusqu'au temps de sa chute renfermera en son sein les enfants de Dieu.

C'est encore une autre démonstration de dire, comme nous avons fait (1) : Selon vous, tout le dessein de l’Apocalypse est de vous faire connaître l'église antichrétienne, afin de vous obliger à en sortir; tout aboutit donc à ce précepte: « Sortez de Babylone, mon peuple : » or ce précepte ne vient du ciel qu'au moment de la chute de Babylone; il y faut donc demeurer jusqu'à sa chute. Tous ceux qui se sont séparés avant ce temps-là ont prévenu le précepte et ne sont pas le peuple de Dieu, mais des schismatiques qui se séparent de la vraie Eglise sans l'ordre d'en haut.

Si l'on dit que tout cela est impie, absurde, contradictoire, c'est aussi ce que je prétends, et c'est par là que je démontre que le système protestant a toutes ces qualités.

 

LXIV. — Troisième démonstration, en ce que la Babylone, la bête et la prostituée de saint Jean ne peut pas être une église corrompue.

 

Une troisième démonstration qui détruit de fond en comble, et par des principes généraux, tout le système protestant, se réduit à cette forme: Pour soutenir le système protestant, il faut que la Babylone, la bête et la prostituée des chapitres XIII, XVII, XVIII et XIX, soit une Eglise chrétienne corrompue : or cela n'est pas possible par une double démonstration (2). La première en cette sorte : Ce que saint Jean a voulu marquer, il l'a caractérisé si nettement, que personne ne le peut méconnaître ; par exemple, il a voulu caractériser Rome la païenne, et il l'a caractérisée par des traits si particuliers et si connus de son temps, par sa puissance, par ses sept montagnes, par ses violences, qu'on la reconnait d'abord : donc si son dessein principal était de marquer une église, nous

 

1 Avert., n. 41. — 2 Avert., n. 3 et suiv.

 

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en verrions partout des traits aussi vifs, au lieu qu'on n'en voit aucun, ni durant que Babylone subsiste, ni dans son débris: donc l'apôtre positivement n'a point eu en vue une église corrompue, mais seulement une ville dominante.

On démontre en second lieu la même chose , en ce que saint Jean, non content d'avoir expressément évité toutes les marques que pourrait avoir une église corrompue, nous donne une idée contraire, lorsqu'au lieu de choisir une Jérusalem ou une Samarie, il a choisi une Babylone, une Tyr et en un mot tout ce qu'il y a de plus étranger (1) : donc ce qu'il a voulu représenter n'a jamais rien eu de commun avec le peuple de Dieu, et c'est toute autre chose qu'une église.

Nous l'avons confirmé encore par un nouveau caractère de la Babylone de saint Jean (2), puisque si c'était une église corrompue, ce serait une femme adultère, une épouse répudiée , comme les prophètes ont appelé cent et cent fois Jérusalem et Samarie, Juda et Israël : or la prostituée de saint Jean n'a point du tout ce caractère, comme nous l'avons démontré, et les prostitutions qu'on lui reproche ne sont jamais appelées du nom d'infidélité et d'adultère, comme celles de Jérusalem et de Samarie, mais toujours et avec un choix aussi manifeste que perpétuel, des fornications et de simples impuretés : donc démonstrativement, la prostituée de saint Jean n'est pas une Eglise corrompue.

 

LXV. — Que le ministre Jurieu a senti la force de cette démonstration, et par là le faible de sa cause.

 

Cette preuve est si convaincante qu'elle a fait sentir au ministre le faible inévitable de sa cause en deux endroits de ses ouvrages.

Il l'a senti premièrement dans son Accomplissement des prophéties (3), où après avoir proposé le nom « d'adultère et de paillarde, » pour preuve que la Babylone était une Eglise corrompue, il avoue que ce lieu ne contente pas, qu'il « est trop général » à cause manifestement que l'adultère n'est pas spécifié, et qu'on n'attribue à Babylone qu'une simple corruption, sans y joindre

 

1 Avert., n. 9. — 2 Préf., n. 8; Comm., XVII, n. 3; Avert,, n. 9. — 3 Ière part p. 179; sup., n. 35.

 

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l'infidélité. Et c'est pourquoi, en autre endroit le ministre a tâché de fortifier sa preuve, en remarquant que saint Jean appelle la prostituée une femme, « c'est-à-dire, » comme il ajoute , « une fausse épouse, une épouse infidèle (1). » Mais ce lieu est encore plus général que le premier, puisqu'iei, très-constamment, le nom de femme ne signifie que le sexe, et ne signifie une femme mariée qu'au même cas où le nom de femme le signifie en notre langue, lorsqu'on y ajoute de qui on est femme. Témoin saint Jean même dans l’Apocalypse : « Viens, dit-il, je te montrerai l'épouse, femme de l'Agneau,tou arniou ten gunaika (2). » Sans une telle addition, le mot de femme que saint Jean donne à la prostituée, guene, gunaika (3), ne signifie que le sexe ; et quand le ministre ajoute du sien, « une fausse épouse, une épouse adultère, une fausse Eglise (4), » premièrement il fait voir qu'en sentant la difficulté, il n'y a vu de réponse qu'en ajoutant au texte de saint Jean; et secondement il encourt cette terrible malédiction du même apôtre : « Si quelqu'un ajoute aux paroles de cette prophétie, Dieu le frappera des plaies qui sont écrites dans ce livre. » Apoc. XXII, 18.

 

LXVI. — Nouvelle réflexion sur la preuve précédente, et confirmation de cette preuve.

 

Le raisonnement précédent se confirme encore, parce que saint Jean voulait consoler les fidèles sur les persécutions qui se commençaient alors, comme il paraît par toute la suite de son discours plein de la gloire des martyrs et de continuelles exhortations à la patience : or une grande partie de cette consolation était de leur faire voir la juste vengeance de Dieu sur l'empire persécuteur et enfin sa chute afin qu'ils ne fussent pas éblouis de la gloire des impies, si étonnés de leur puissance : c'est donc là qu'il visait, et c'est le principal objet de sa prophétie.

Cela se confirme de nouveau, parce que pour parvenir à cette fin, il fallait donner à Rome persécutrice et à son empire les caractères qui étaient connus du temps de saint Jean ; ce qu'il a fait aussi, comme on vient de voir, et l'a fait si vivement et si bien que personne ne s'y est trompé ni n'a douté de son dessein. Les

 

1 Lett. XIII, 1, 90. — 2 Apoc., XXI, 9. — 3 Apoc., XVII, 3, 4. — 4 Ibid.

 

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saints Pères ont connu, comme on a vu, que la destinée de Rome la païenne, de Rome dominante et persécutrice, était renfermée dans l’Apocalypse ; et nous avons démontré qu'il y a sur ce sujet une tradition constante dans l'Eglise. Or (1) cette tradition regarde la ville de Rome : aucun n'a pensé à l'Eglise romaine; et les Albigeois, c'est-à-dire les manichéens, sont les premiers qui plus de mille ans après saint Jean ont commencé à tourner contre l'Eglise de Rome ce que tous les siècles précédons avaient entendu de la ville ; par conséquent l'idée naturelle, et la seule véritable est celle-là.

Au reste il n'est pas permis aux protestants de mépriser, au moins en cette occasion, l'autorité des anciens, puisqu'elle fait l'un de leurs principaux fondements : si bien que M. Jurieu, qui les méprise souverainement et plus que n'a jamais fait aucun ministre, est contraint ici d'y avoir recours dans tous ses livres, et en particulier dans sa lettre XIII (2), où il reproche aux interprètes qu'il nomme nouveaux, qui sont entre autres ceux de la Réforme, qui ne veulent pas reconnaître que le Pape soit l'Antéchrist, qu'ils s'opposent à l'autorité « de tous les Anciens. »

 

LXVII. — Quatrième démonstration par les principes généraux. Les persécutions de l’Apocalypse très-courtes, selon saint Jean. Ce que c'est que le peu de temps des ministres, qui dure douze cent soixante ans. Illusion des jours prophétiques. Confusion, absurdité et impiété manifeste.

 

On fait une quatrième démonstration contre le système protestant, en détruisant ses jours prophétiques et ses douze cent soixante ans de prétendue persécution papistique ; car c'est là un dénouement de tout le système, sans lequel il faut qu'il tombe par cette raison. C'est que saint Jean nous représente partout les persécutions dont il parle comme devant durer seulement quarante-deux mois, autrement trois ans et demi, et douze cent soixante jours. De quelque sorte qu'il faille entendre ces mois, ces ans et ces jours, il est clair que le dessein de saint Jean est de marquer un temps court, la moitié d'une semaine, c'est-à-dire un temps imparfait, à l'exemple de la persécution d'Antiochus, dont Dieu

 

1 Pref., n. 7. — 2 P. 83, 93.

 

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expressément réduisit le temps à un si court terme, pour épargner ses élus selon sa coutume, comme nous l'avons démontré (1). Et que ce soit là un des caractères ;des persécutions que saint Jean décrit, on le voit manifestement en ce qu'il le répète cinq fois en divers chapitres ; et que notamment au douzième il assure que le dragon avait peu de temps, quoiqu'il dût encore tenir dans le désert, c'est-à-dire dans l'oppression la femme, qui est l'Eglise , durant trois ans et demi, versets 12, 14. Ce qui montre que dans saint Jean quarante-deux mois, trois ans et demi, et douze cent soixante jours, c'est peu de temps ; et que cet apôtre a voulu donner ce caractère aux persécutions qu'il prophétise : or est-il que les protestants ne songent pas seulement à trouver la brièveté dans leur prétendue tyrannie et persécution antichrétienne, puisqu'ils l'attribuent, non pas à un Pape particulier, mais à tous les Papes, à commencer ou à saint Léon, ou à saint Grégoire, ou à Boniface III, ou à Grégoire VII, jusqu'à la fin du monde : par conséquent leur système a un caractère opposé à la prophétie de saint Jean.

Pour sortir de cet embarras, ils ont inventé leurs jours prophétiques , dont chacun fait une année : d'où ils concluent que les quarante-deux mois, ou les trois ans et demi, ou, ce qui est la même chose, les douze cent soixante jours de saint Jean, sont douze cent soixante ans ; et il n'y a point d'autre dénouement à cette difficulté, mais il est nul par ces raisons.

La première, c'est que nous avons démontré (2) que cette invention de jours prophétiques n'a nul fondement dans les prophètes ; que comme les autres hommes, les prophètes prennent des jours pour des jours ; que lorsqu'ils les prennent autrement, ce qui ne leur est arrivé que deux fois dans toute l'Ecriture, ils en avertissent expressément; et qu'enfin quand tous les autres prophètes auraient parié au gré des protestants, il faudrait entendre saint Jean par rapporta l'original qu'il regarde, c'est-à-dire à Daniel où constamment et de l'aveu des ministres mêmes les jours ne sont que des jours.

Secondement cette idée de jours prophétiques est si

 

1 Explic. du chap. XI. Réf., n. 2 et suiv., et sur le verset. 2.— 2 Avert n 24

 

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contrainte (1), que les ministres eux-mêmes l'oublient, lorsqu'ils parlent naturellement, comme Dumoulin a fait dans le chapitre XII, où sur deux versets différens du texte de saint Jean, il prend naturellement des jours pour des jours, et douze cent soixante jours pour trois ans et demi : mais ces douze cent soixante jours qui faisaient trois ans et demi en deux endroits du chapitre XII, vendent de faire douze cent soixante ans en deux endroits du chapitre XI, et puis en sortant du XII, où ils étaient revenus à leur naturel, tout à coup et sans qu'on sache pourquoi, ils se tournent encore une fois en douze cent soixante ans : ce qui montre que les protestants n'agissent point par principes, mais par caprice et par haine.

Le ministre Jurieu n'est pas plus constant à conserver ses jours prophétiques au chapitre XII, puisqu'encore que par tout son livre de l'Accomplissement des prophéties, il veuille trouver dans ce chapitre les douze cent soixante ans de la persécution papistique, il y renonce formellement à l'endroit de ce même livre que nous avons marqué (2) : de sorte qu'il n'y a rien de moins assuré que ces prétendus jours prophétiques, puisque de cinq endroits de saint Jean où ils ont un droit égal, il y en a déjà deux d'où ils sont exclus.

En troisième lieu ce peu de temps qu'il a fallu faire cadrer avec douze cent soixante ans, les a tellement troublés à l'endroit des sept têtes ou des sept rois, qu'il a fallu succomber visiblement (3) : car en faisant de ces sept rois autant de formes de gouvernement de Rome pour conserver à la Papauté, qui est le septième, le caractère de « durer peu, » que saint Jean lui donne, quoiqu'il dure, non-seulement plus que chacun des six autres, mais encore plus que tous ensemble, l'on ne sait plus où l'on en est : autant de têtes, autant d'interprétations : les uns établissent ce peu de temps du septième gouvernement, c'est-à-dire de la Papauté par rapport à l'éternité, ce qui brouille tout et fait une illusion d'une prophétie; les autres, comme Dumoulin, soutiennent que « durer un peu » à ce septième gouvernement (4), c'est durer plus que tous les autres, et ne se sauvent que par cette insigne falsification. M. Jurieu se détruit lui-même : tantôt durer un peu de temps, c'est durer « un long temps réel, » exprimé sous la figure d'un temps

 

1 Avert., n. 23, 26. — 2 Avert., n. 23. — 3 Avert., n. 16-18. — 4 Ibid.

 

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court, en sorte qu'en effet il soit « fort long » et ne soit court que dans la pensée de ceux qui l'entendront mal; tantôt rebuté lui-même d'une telle interprétation, il n'y sait plus de remède qu'en confondant la sixième tête , dont saint Jean ne dit point qu'elle durât peu, avec la septième, qui est la seule dont il le dit.

Mais je veux bien ajouter en quatrième lieu, que quand il serait permis à ce ministre de substituer le sixième roi au septième, et les empereurs aux Papes, il n'y trouverait pas mieux son compte, puisque toujours les empereurs ayant duré si longtemps, ils ne peuvent pas être ceux qui durent peu. Les protestants les font durer jusqu'au gouvernement papal : les uns huit cents ans, comme Dumoulin, qui les pousse jusqu'à Pépin et à Charlemagne; les autres onze cents ans, en allant jusqu'à Grégoire VII. M. Jurieu qui leur donne le moins de temps, puisqu'il ne les mène que jusqu'à saint Léon, ne leur en peut refuser cinq cents; et quand on voudrait admettre la finesse qu'il imagine de réduire ce temps des empereurs aux seuls empereurs chrétiens sans raison et sans fondement, car où prendra-t-il que saint Jean ait voulu caractériser le sixième roi, par rapport aux seuls empereurs chrétiens plutôt que par le total des empereurs ? quand, dis-je, on voudrait admettre cette mauvaise finesse, pourquoi voudrait-on que le caractère des empereurs chrétiens soit de durer peu, puisque selon les diverses interprétations des protestants, ils ont duré cinq et six cents ans , et tout au moins cent cinquante, selon M. Jurieu; nombre qui ne peut être réputé petit dans un composé d'autres nombres, où il y en a qui ne contiennent que trente ans, d'autres que sept ou huit et d'autres que deux, comme celui des tribuns, des dictateurs perpétuels et des décemvirs ?

En cinquième lieu, quand nous aurions accordé aux ministres contre toute l'analogie des Ecritures, et la suite même du texte, que ce court temps de douze cent soixante jours, c'est-à-dire de trois ans et demi, serait un long temps et vaudrait douze cent soixante années, nous avons vu que leur embarras ne ferait que croître, puisqu'ils ne savent où placer ces douze cent soixante ans, et qu'en quelque temps qu'ils les commencent, les absurdités où ils tombent sont inexplicables.

 

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Nous avons vu (1), selon leurs principes, que le Pape Antéchrist, persécuteur et blasphémateur, doit naître parmi les ruines de l'Empire romain démembré; par conséquent au Ve siècle, comme le tiennent Joseph Mède et M. Jurieu. Cette hypothèse, qui en elle-même est la plus suivie et la seule soutenable chez nos adversaires, est en même temps la plus absurde, puisqu'elle engage à reconnaître pour le premier Antéchrist formé saint Léon ; à lui attribuer les caractères essentiels de l'antichristianisme, qui sont l'idolâtrie et le blasphème, la persécution et la tyrannie ; à faire du concile de Chalcédoine un des quatre que les chrétiens ont toujours le plus révéré, une assemblée antichrétienne : et de la divine lettre de saint Léon, où le mystère de Jésus-Christ est expliqué si parfaitement, un ouvrage de l'Antéchrist ; à faire enfin de toute l'Eglise catholique, qui était dans la communion tant de ce grand Pape que de tous ses saints successeurs, l'église antichrétienne, sans pouvoir du moins en montrer une autre où Jésus-Christ fût connu, et faire encore de tous les Papes qui sont venus depuis saint Léon jusqu'à saint Grégoire, c'est-à-dire sans difficulté des plus saints et des plus doctes de tous les évêques qui aient rempli la chaire de saint Pierre, des blasphémateurs, des idolâtres, des persécuteurs, en un mot, et plus que tout cela, des Antéchrists.

En sixième lieu, pour connaître l'absurdité et l'impiété de ce sentiment, il ne faut que voir les contradictions où sont tombés les ministres en le soutenant (2); car ils tâchent d'abord de l'adoucir, en disant que l'Antéchrist au commencement n'a voit pas encore toutes ces mauvaises qualités et, comme parle M. Jurieu (3), qu'il pouvait être homme de bien, du moins qu'il n'était pas damné : mais tout cela n'est qu'illusion, et il faut avaler la coupe jusqu'à la lie. Car nous avons vu (4) expressément dans saint Jean que la bête qu'on veut être l'Antéchrist avait été idolâtre, persécutrice, blasphématrice, ennemie déclarée de Dieu et de ses saints, dès qu'elle est sortie de l'abîme, et le doit être sans discontinuer durant tous ses jours : elle le doit être par conséquent, selon les

 

1 Avert., n. 27 et suiv. — 2 Avert., n. 29, 30 et suiv. — 3 Lett. XIII. — 4 Avert., n. 27; Apoc., XI, XII, XIII.

 

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idées de la Réforme, durant douze cent soixante ans à commencer dès le temps de saint Léon, et toute l'Eglise de ce temps l'était avec lui.

Que répond ici le ministre ? Des contradictions manifestes : car après avoir vainement tâché de mettre à couvert saint Léon et tous les saints de ce temps, en disant que l'antichristianisme n'était encore que commencé en leurs personnes, à la fin il a bien senti que tout cela n'était que plâtrer ; et il avoue en termes formels dans une des lettres qu'il vient d'opposer aux Variations , « que l'idolâtrie et la tyrannie du papisme se sont pleinement manifestées après le milieu du Ve siècle, quand l'Empire romain a été démembré (1); » c'est-à-dire, selon lui-même, sous saint Léon. Est-ce là un mal commencé ? et n'est-ce pas au contraire le mal non-seulement consommé, mais pleinement découvert et déclaré dans toute sa force ? Et dans la XIIIe lettre, où ce ministre avait eu horreur de nier que saint Léon et ses successeurs aient été gens de bien, quoiqu'antéchrists, il est enfin contraint d'avouer que c'est sous eux, et dès le temps de saint Léon, que « le blasphème et l'idolâtrie » ont commencé avec le culte des saints; que l'Eglise dès ce temps a été « foulée aux pieds par les nouveaux païens (2), » c'est-à-dire par saint Léon et les autres : d'où il s'ensuit par la force du même passage de saint Jean, que la guerre a été dès lors déclarée à Dieu et à ses saints; en sorte que ce Pape et ses successeurs, à cela près gens de bien, ont été blasphémateurs et persécuteurs; qui était ce qu'on n'osait dire, tant il était visiblement faux et détestable, et ce qu'à la fin on est contraint de passer.

Mais en septième et dernier lieu, il ne faut pas s'en tenir à saint Léon, puisqu'on a très-clairement démontré (3) que les Pères qui ont fleuri au ive siècle, saint Ambroise, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Chrysostome, saint Augustin et les autres lumières de ce temps, n'ont point d'autres sentiments sur ce prétendu service des créatures, c'est-à-dire sur les honneurs des saints, que celui de saint Léon, ne s'en sont pas exprimés en termes moins forts, et n'ont pas moins célébré les miracles que Dieu avait faits en confirmation de ce culte (4) : ce qui aussi a obligé M. Jurieu

 

1 Lett. XII, p. 80. — 2 Lett. XIII, p. 98. — 3 Avert., n. 28-33. — 4 Avert.  n. 36.

 

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à les mettre au rang des hommes abusés par les démons et au rang même de leurs adorateurs, et d'assurer que dès leur temps l'idolâtrie régnait dans l'Eglise (1). Il faudrait donc en faire encore des blasphémateurs, des idolâtres, et en un mot des Antéchrists, aussi bien que saint Léon ; et rien ne les a sauvés des mains de la Réforme, que le bonheur qu'ils ont eu de naître plus tôt : en sorte que les mesures que prennent les protestants pour faire finir le règne anti-chrétien, ne cadrent plus avec le temps de leur vie ; ce qui dans le fond ne les empêche pas d'être autant Antéchrists que saint Léon.

 

LXVIII. — Que les protestants ne se sauvent pas en prenant un autre système que M. Jurieu.

 

Si les protestants pensent se sauver en désavouant M. Jurieu qui fait de saint Léon un Antéchrist, et en mettant l'Antéchrist plus bas : en quelque temps que ce soit (2), ce ministre les convainc par leurs principes (3) : premièrement, parce qu'ils demeurent d'accord que la naissance de l'Antéchrist doit arriver du temps des dix rois et au milieu du démembrement de l'Empire, qui constamment est arrivé au ve siècle. Ils demeurent encore d'accord que le passage où saint Paul fait naître l'Antéchrist, « après que celui qui tient sera ôté, » s'entend de l'Empire romain et convient avec celui de saint Jean, où l'Empire est donné en proie aux dix rois. Ainsi en toutes manières, l'Antéchrist doit naître en ce temps; et le reculer plus bas, c'est renverser le système protestant.

M. Jurieu les convainc secondement encore par deux autres de leurs principes, qui est que l'idolâtrie dans l'Eglise est un caractère antichrétien et même le principal, et que le culte des saints est une vraie idolâtrie : or il leur montre ce culte dès le temps de saint Léon, et plus haut; et il n'y a pas moyen de le nier, Daillé même ayant fait un livre pour le prouver (4). Il leur montre donc dès lors le principal caractère antichrétien et l'Antéchrist tout formé.

Par ces deux raisons concluantes, M. Jurieu a démontré que

son système est le seul qui cadre avec les principes communs des

interprètes protestants ; de sorte que si on y trouve des impiétés,

 

1 Avert., n. 29. — 2 Avert., n. 42. — 3 Lett. XII, XIII.— 4 Dali., De Cult.  latin.

 

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des inconvénients, des absurdités inévitables, ce sera par là nous avouer que le système protestant est insoutenable et contradictoire; qui est tout ce que nous pouvons souhaiter.

Mais d'ailleurs, si les protestants rejettent le système de ce ministre à cause qu'il ne convient pas avec l'histoire du temps, où Ton ne voit ni blasphème, ni persécution dans l'Eglise, quoi qu'ils fassent, ils tomberont dans les mêmes inconvénients.

S'ils descendent à saint Grégoire, ils n'y trouveront ni plus de persécution, ni plus de blasphème ; s'ils en viennent à Boniface III, à cause, à ce qu'ils prétendent, qu'il a pris le titre d'Evêque universel, qui est un titre antichrétien, selon saint Grégoire, il est faux que ce Pape ait pris ce titre ; il est faux qu'il ait étendu sa primauté plus ou moins que saint Léon ; il est faux qu'il ait honoré les saints ni plus ni moins : il est faux qu'on trouve de son temps la moindre ombre de persécution.

S'ils en viennent avec Dumoulin à l'an 755 et au temps où les Romains, abandonnés à la fureur des Lombards, furent contraints d'avoir recours aux François, ils trouveront bien alors la ville de Rome ôtée en quelque manière aux empereurs d'Orient, ou plutôt abandonnée par eux-mêmes et laissée en proie à ses voisins : mais outre qu'ils n'y trouveront ni les dix rois, ni le grand démembrement de l'Empire, qui a précédé cette époque de trois cents ans, ils n'y trouveront de saints opposés à la prétendue tyrannie du Pape que les iconoclastes ; étranges saints, où pour toute marque de sainteté on nous donne le renversement des images réprouvé par les luthériens ; esprits outrés, qui portent la haine des images jusqu'à détester la peinture et la sculpture comme des arts réprouvés de Dieu; gens au reste si peu éloignés de l'idolâtrie, selon les principes des protestants, qu'ils prononcent des anathèmes contre ceux qui refuseront d'implorer le secours des saints et d'en honorer les reliques (1). Et après tout que gagnera-t-on, quand on aura emporté qu'il n'y a eu de saints que de telles gens, que l'Orient et l'Occident ont détesté? Il y faut la persécution : or on n'en trouve aucune en ces temps que celle que les empereurs iconoclastes firent souffrir, cinquante ans durant, aux chrétiens

 

1 Ad. Conc. Const., in Conc. Nicœn. II, Labb., tom. VII, col. 114.

 

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qui retenaient les images, menaçant jusqu'aux Papes et ne cessant de les tourmenter par tous les moyens possibles ; de sorte que contre le système l'Antéchrist aurait été persécuté, et non pas persécuteur.

Quand enfin il en faudrait venir au temps de Grégoire VII, c'est-à-dire, contre les principes de la secte, aune époque éloignée de six cents ans de la dissipation de l'Empire, on n'y trouverait non plus la persécution, si ce n'est qu'en prenant ce Pape pour l'Antéchrist, on prît aussi l'empereur Henri IV, qu'il tâcha de déposséder, pour l'un de ces saints que la bête devait persécuter. Et si l'on a recours à Bérenger et aux bérengariens, qu'on nous donne pour les saints persécutés de ce temps-là, premièrement les luthériens, la principale partie des protestants, n'y consentiront jamais; secondement ces saints bérengariens, de tous les dogmes de l'Eglise catholique ne contredisaient que celui de la présence réelle, que nos prétendus réformés trouvent le plus tolérable; et enfin nous avons fait voir (1) qu'il n'y eut point alors de persécuteur, puisque même les bérengariens ne se séparèrent jamais, et revinrent bientôt de leur erreur, à l'exemple de leur maître.

 

LXIX.— Cinquième et dernière démonstration par les principes généraux.

 

        Il nous reste encore à abréger une cinquième et dernière démonstration par les principes généraux, et je la forme en cette sorte. Rien ne revient plus souvent dans l’Apocalypse que des gentils persécuteurs et des saints persécutés, car c'est ce qu'on y trouve partout : mais les protestants ne peuvent trouver, ni ces gentils, ni ces saints, parce qu'ils sont les uns et les autres d'une espèce si particulière, qu'on ne les trouve nulle part dans l’Apocalypse, ni même dans toute l'Ecriture.

Pour ce qui regarde les gentils, ceux dont ils ont besoin pour établir leur système sont des gentils chrétiens, qui croyant en Dieu Créateur, et en Jésus-Christ Sauveur, professent avec cela une idolâtrie dont les saints soient les défenseurs et les auteurs, et qui aussi devait régner dans l'Eglise durant douze cent soixante ans (2).

 

1 Avert., n. 60. — 2 Avert., n. 27, 28 et suiv.

 

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Si une telle idolâtrie a jamais été, elle est si singulière et si essentielle , que le Saint-Esprit, qui a révélé tant de choses bien moins importantes, a dû nous instruire d'un tel mystère ; d'où le ministre conclut en termes formels que si cette idolâtrie ecclésiastique a été, elle a dû être prédite (1). Que si elle l'a dû être, c'a été principalement dans l’Apocalypse, puisqu'on suppose que ce divin livre a été écrit pour nous la faire connaître et éviter : mais le ministre se tourmente en vain à la chercher dans tout ce livre, et il avoue à la fin qu'il ne l'y voit pas.

D'abord il l'avait trouvée, en ce que saint Jean appelait la Babylone une prostituée ; mais nous avons vu (2) que cette expression lui a paru « trop générale, » parce qu'il fallait avoir spécifié que c'était une adultère et une épouse infidèle, ce que saint Jean a évité.

Il croyait aussi avoir rencontré ce qu'il cherchait dans le passage, où le parvis du dehors était livré aux gentils (3) ; mais ce passage à la fin lui a paru trop obscur, n'y ayant rien de moins clair que de prendre le parvis du temple pour une fausse église (4), au lieu que c'est seulement le dehors de la véritable ; ou de conclure que l'extérieur de la vraie Eglise devienne une fausse église, parce, qu'il est livré aux gentils qui le profanent ; ou que ces gentils, profanateurs de l'extérieur de la vraie Eglise et du vrai temple, soient nécessairement de faux chrétiens, comme si on n'avait pas vu la vraie Eglise opprimée durant trois cents ans dans ce qu'elle avait de visible, par de vrais gentils adorateurs de Junon et de Jupiter.

Voilà les deux passages allégués, et ensuite désavoués par le ministre. Les autres ne sont pas plus clairs : la femme s'enfuit au désert ; la prostituée est une religion qui a ses mystères; le peuple de Dieu est dans Babylone : donc il y aura des saints qui seront idolâtres, et une église chrétienne qui aura l'idolâtrie dans le sein : on n'entend rien à ces conséquences.

Ne nous amusons plus à répéter ce que nous avons dit pour les détruire (5), puisque le ministre qui s'est voulu fonder dessus

 

1 Avert., n. 35. — 2 Ibid. — 3 Accomp., IIe part., p. 179. — 4 Avert., n. 35. — 5 Avert., n. 5, C, 10, 33, etc.

 

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sent à la fin qu'il n'a rien fait, s'il ne trouve cette idolâtrie en quelque texte «plus formel, » en quelque oracle «plus clair et moins général (1) : » mais cet oracle moins ambigu, « ce texte plus clair et plus formel, » il ne le trouve que hors de l’Apocalypse, de sorte qu'il faut sortir de la prophétie de saint Jean pour y trouver cette idolâtrie qui en fait le principal sujet.

Mais ce qu'il donne pour clair, par malheur se trouve encore plus ambigu, ou pour mieux dire plus visiblement faux que tout le reste, puisque c'est le passage de saint Paul où il dit qu'il y aura dans les derniers temps des hommes « qui, en s'adonnant à des esprits abuseurs et à la doctrine des démons, » condamneront le mariage et certaines viandes : passages où, loin de parler de la prétendue idolâtrie des chrétiens, il n'est même en aucune sorte parlé d'idolâtrie, comme on voit.

Car de prendre dans ce passage «la doctrine des démons, » non plus pour celle qu'ils inspirent, comme tout le monde et les protestants avec tous les autres l'avaient toujours entendu, mais pour «celle qui apprend à les adorer, » comme Joseph Mède l'a imaginé le premier (2), et ne trouver que là ce « texte formel » qu'on cherche depuis si longtemps : c'est à M. Jurieu, au lieu d'un texte formel, démêler une obscurité par une obscurité encore plus grande, et montrer manifestement qu'on n'a rien à dire.

Concluons que la prétendue idolâtrie ecclésiastique n'a été prédite nulle part. Or, dit M. Jurieu, si elle a été, elle a été prédite (3) : (elle n'a donc jamais été; et ce n'est qu'une invention pour mettre non-seulement les catholiques, mais encore tous les saints du quatrième siècle au rang de ces idolâtres qui en adorant les saints, selon M. Jurieu, ont adoré les démons.

Il ne sert de rien d'entamer ici avec le ministre un vain raisonnement sur les démons, que les païens reconnaissent pour des esprits médiateurs : il s'agit de nous faire voir par l’Apocalypse, ou du moins par quelque autre endroit de l'Ecriture, qu'une semblable idolâtrie ait dû régner dans l'Eglise, et y régner un aussi long temps que douze cent soixante ans : et nous pourrions démontrer sans peine, s'il en était question, que ces

 

1 Avert., p. 179, n. 35.37. — 2 Avert., n. 36. — 3 Avert., n. 35.

 

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démons, médiateurs chez les païens, étaient médiateurs de la création, Dieu jugeant indigne de lui de faire l'homme de sa main, et jugeant aussi la nature humaine indigne par elle-même de lui être réunie comme à son principe : médiation inconnue aux Pères aussi bien qu'à nous, et qui loin d'avoir jamais régné dans l'Eglise, y a toujours été détestée.

 

LXX. — Quels saints et quels martyrs les protestants ont trouvé dans l’Apocalypse, et qu'à la fin ils sont obligés de les dégrader. Passage exprès du ministre Jurieu.

 

Si les protestants n'ont pu trouver dans l’Apocalypse les chrétiens idolâtres et persécuteurs qu'ils y cherchaient, ils n'y ont non plus trouvé les saints persécutés dont ils ont un égal besoin; et ils ne nous les produisent qu'en nous donnant pour des saints les Albigeois, les Vaudois, un Viclef, un Hus, et leurs sectateurs jusqu'aux Thaborites, gens que nous avons convaincus par des faits constants des crimes et des erreurs que je n'ai plus besoin de répéter (1).

Aussi ai-je remarqué que les protestants ont honte de les mettre au rang des martyrs : car écoutons M. Jurieu sur le chapitre XX de l’Apocalypse : « Là paraissent les âmes de ceux qui ont été décollés pour le témoignage de Jésus, et ce sont ceux qui n'ont point adoré la bête, ni son image, et qui n'en ont porté le caractère, ni dans leur front, ni dans leurs mains, verset A. Ce sont ceux-là qui revivent et qui ressuscitent même corporellement avant tous les autres, » selon M. Jurieu (2). Si la bête, c'est le Pape ; si son image, c'est le Pape encore ; si le caractère de la bête, c'est la profession du papisme, les martyrs, que saint Jean nous vient de décrire sont ceux qui ont souffert sous la Papauté ; et, selon M. Jurieu, ce doivent être les premiers qui ressusciteront en corps et en âme : mais non, c'est tout le contraire. Il décide nettement que « cette première résurrection ne sera que de très-peu de gens, c'est-à-dire des ANCIENS MARTYRS, et que le reste des fidèles ne ressuscitera qu'à la fin du monde. » Ce n'est donc que des anciens martyrs que saint Jean a voulu parler dans toute l’Apocalypse,

 

1 Avert., n. 39. — 2 Accomp., IIe part., chap. XXIII, p. 429.

 

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c'est-à-dire très-constamment des martyrs de l'ancienne église et des prémices du nom chrétien : ce sont ces anciens martyrs qui ont méprisé la bête et son caractère. Voilà comme on parle naturellement, quand on veut de bonne foi parler des martyrs dont saint Jean exalte la gloire dans toute son Apocalypse. La bête n'est donc plus le Pape ; l'idolâtrie n'est plus le papisme ; et ces faux martyrs, qu'on n'appelle tels qu'à cause qu'ils ont résisté à la première puissance qui soit dans l'Eglise, ne paraissent plus.

Ainsi la démonstration est achevée. Les ministres en recherchant leurs idolâtres, nous ont montré les saints; et pour comble d'aveuglement, en cherchant leurs saints, ils nous ont montré de faux martyrs qui échappent de leur mémoire, quand ils regardent de bonne foi les véritables.

 

LXXI. — Preuves tirées des chapitres particuliers. Abrégé de celles du chap. XI, où l'on commence à comparer notre système avec celui des protestais. Illusions pitoyables du ministre Jurieu sur les deux témoins.

 

Voilà cinq démonstrations où l'on pouvait, comme on voit, en compter un bien plus grand nombre, si pour les rendre plus intelligibles, on ne lesavait réduites à certains principes généraux. Mais les preuves se multiplieront jusqu'à l'infini, si l'on descend en particulier aux neuf chapitres où il est parlé de la bête.

Par exemple, dans le chapitre XI, où elle paraît pour la première fois et où elle fait mourir les deux témoins, les erreurs des protestants sont infinies. Nous avons déjà remarqué le court temps qui est désigné par douze cent soixante jours, changé en l'espace immense de douze cent soixante ans : nous avons aussi remarqué qu'on fait une fausse église du parvis, qui n'est que l'extérieur de la véritable. On veut qu'une fausse église soit nécessairement celle qui « est livrée aux gentils (1) ; » et on ne songe pas « que la cité sainte, » qui sans doute n'est point une fausse église, leur est pareillement livrée « pour être foulée aux pieds : » on donne donc pour marque d'une fausse église l'oppression que la vraie Eglise est contrainte de souffrir, et la croix de Jésus-Christ qu'elle porte. Les gentils sont de faux chrétiens, sans qu'on puisse

 

1 Apoc, XI, 2.

 

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trouver ce nom appliqué à des chrétiens, pas même à des chrétiens hérétiques, ni à d'autres qu'aux vrais païens. Les deux témoins que la bête a mis à mort sont les Albigeois, et les autres que nous avons convaincus d'impiété par des faits constants, et à qui aussi ceux qui nous les vantent n'ont osé conserver leur rang parmi les martyrs. Il en est à peu près de même de Luther et de Zuingle : c'étaient eux, avec leurs disciples, qui étaient, dans les Préjugés, les deux témoins (1), c'est-à-dire le petit nombre des défenseurs de la vérité, ressuscites tout à coup et montés au ciel, c'est-à-dire élevés au comble de la gloire, après avoir été morts pour un peu de temps « par la totale ruine » de ces grands saints, les Thaborites. Cela était spécieux et honorable aux réformateurs : mais le ministre a bien vu que ressusciter et monter au ciel de-voit être quelque chose de plus grand que ce qu'ont fait Luther et Zuingle : ainsi il les a tirés d'un si haut rang (2), et il a renoncé publiquement à cette superbe interprétation dans son Accomplissement des prophéties.

En récompense il y dit que les deux témoins ne seront mis à mort que dans la France; que les fidèles des autres royaumes n'ont point de part à cet endroit de la prophétie ; et qu'avec des expressions qui regardent si visiblement toute l'Eglise, saint Jean n'a eu en vue que l'église prétendue réformée de ce royaume. Elle est si bien morte, dit le ministre, qu'il ne lui reste qu'à l'enterrer. C'est pour les morts le dernier honneur que celui de la sépulture ; et saint Jean ne nous montrait les corps morts de ces deux témoins gisant à terre, privés du tombeau, que pour mieux exprimer la haine qu'on poussait contre eux jusqu'après la mort. Mais ce qui est dans le dessein de saint Jean la dernière marque d'opprobre, est à M. Jurieu le commencement du secours. Les amis de la Réforme étendue à terre toute morte , empêcheront seulement qu'on ne l'enterre; sans doute , parce que Dieu ne pourrait pas la ressusciter, si on l'avait mise aussi bien dans le sépulcre, comme on a pu lui donner la mort. Au reste, dans tout ce chapitre, pour ressusciter les deux témoins , saint Jean ne voit autre chose que les ligues de tous les princes conjurés contre la France.

 

1 Préj., Ière part., p. 97; Avert., n. 61. — 2 Avert., n. 61.

 

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Le ministre les avait bien devinés (1), et il veut qu'on s'en ressouvienne, afin qu'on ne doute pas qu'il ne soit digne du titre de prophète qu'on lui donne déjà dans ses médailles. Pour qui écrit-il? Par quel endroit se montre-t-il à un siècle si éclairé ? Et quel personnage veut-il faire dans le monde?

Mais pourquoi aimer mieux donner dans ces rêveries , que de voir dans les deux témoins les premiers chrétiens persécutés; dans le court terme de leur affliction , le soin de la providence , qui pour épargner ses fidèles, en abrégeait les souffrances de temps en temps ; dans leur mort, les supplices des martyrs; dans leurs corps morts étendus sur la terre, la cruauté de ceux qui leur refusaient jusqu'à la sépulture ; dans leur résurrection, la gloire soudaine de l'Eglise sous Constantin et l'éclatante prédication de l'Evangile par tout l'univers, pendant que les païens se flattaient de la pensée d'en avoir éteint la lumière? Qu'y a-t-il là qui ne convienne parfaitement avec les paroles de saint Jean, et mieux sans comparaison que tous les songes qu'on nous débite ; et n'est-ce pas être ennemi de la piété que d'aimer mieux voir dans des interprétations violentes sa particulière satisfaction, que dans les idées naturelles, la gloire commune du christianisme.

Passons au chapitre XII ; c'est celui où Dumoulin reconnaît que douze cent soixante jours sont des jours, et non pas des années ; et de cinq passages où l'on veut trouver les jours prophétiques , il en ôte deux à son parti.

 

LXXII. — Abrégé des preuves du chap. XII. Confirmation convaincante de celle qui détruit les douze cent soixante ans. Le système protestant se dénient de tous côtés.

 

Mais venons au gros des protestants qui, avec M. Jurieu, veulent trouver dans la femme retirée au désert douze cent soixante jours, l'Eglise opprimée douze cent soixante ans sous le papisme. C'était donc aussi sous le papisme qu'elle devait enfanter, et que le dragon voulait dévorer elle et son fruit ? Mais qu'est-ce donc, selon les ministres, que cet enfant mâle et dominant, que la femme devait mettre au jour? Quoi? la Réforme triomphante?

 

1 Avert., n. 61.

 

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Ne rougit-on pas d'aimer mieux la voir dans un si bel endroit que le christianisme régnant avec Constantin? Mais quoi? le combat des anges ne se donne que pour la Réforme? Le triomphe du christianisme n'en était pas un digne sujet ? Satan n'y était pas assez atterré par la chute de ses idoles et de ses temples, et on attendait pour cela la main de Luther? Le craient-ils, eux qui le disent ? Mais si cela n'est pas encore assez absurde, voici de quoi exercer leur subtilité. La femme se retire deux fois dans le désert, comme nous l'avons fait voir (1) ; et les protestants devaient trouver, non-seulement une fois, mais deux fois douze cent soixante ans de persécution papistique, c'est-à-dire deux mille cinq cent vingt années et plus, selon eux, que ne devait durer depuis saint Jean le christianisme et l'univers même. Ce n'est pas tout, et nous verrons au chapitre XIII que la femme sera opprimée un pareil temps que nous montrerons distingué de celui-ci. C'est faire monter le temps des persécutions à près de quatre mille ans. Qui ne voit donc que ce temps souvent répété nous marque diverses persécutions , toutes courtes et à diverses reprises ? Mais si les protestants ont à passer quatre mille ans sous le Pape, ils voient par là ce qui leur reste : il n'y a plus rien à chercher dans cet avenir immense, et l’Apocalypse est un abîme où il n'y a plus ni fond ni rive.

D'ailleurs l'interprétation protestante ne nous montre point les trois efforts du démon coup sur coup, ni les persécutions trois fois rendues inutiles, et la seconde en particulier par le secours de la terre, non plus que la troisième plus faible que les deux autres, dont aussi pour cette raison saint Jean ne marque aucun effet : c'est néanmoins ce que nous voyons très-distinctement au chapitre XIII, verset 4, 13, 17, comme on peut voir dans le Commentaire (2). On ne nous explique non plus ce redoublement de la colère du diable à cause du peu de temps qui lui restait, et qu'il se voyait à la fin de sa domination (3) : ce peu de temps, dis-je, ne s'explique pas dans le système protestant, puisqu'il restait au démon encore douze cent soixante ans entiers à tenir la femme opprimée dans

 

1 Voyez la note sur le chap. XII, 13, 14. — 2 Voyez les notes sur ces passages. — 3 Apoc., ibid. et les notes.

 

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le désert, et que l'Antéchrist qu'il animait n'allait que commencer son empire. Voilà des énigmes inexplicables pour la Réforme : aussi avons-nous vu qu'elle s'y perd ; le subtil Jurieu s'y contredit (1) ; Dumoulin y abandonne les jours prophétiques (2) ; et réduit à se renfermer dans les trois ans et demi que passèrent les chrétiens convertis du judaïsme à la petite ville de Pella, pendant que Tite détruisait Jérusalem, il fait deviner mystérieusement à saint Jean des choses passées aux yeux de toute la terre il y avait plus de vingt ans.

Mais notre interprétation n'a point ces inconvénients : on y voit l'Eglise en travail dans la dernière persécution : on voit parmi les divers relâchements qu'elle pouvait avoir, trois intervalles marqués et trois reprises plus nettes sous trois princes : l'Eglise par deux fois contrainte à se retirer, mais toujours pour un peu de temps, dans ces retraites obscures où elle avait accoutumé de cacher son culte : la terre l'aidant à la seconde fuite, c'est-à-dire Constantin et Licinius combattant pour elle, là paraissent les efforts du diable, la résistance et la victoire des anges, avec la rage impuissante de l'ennemi atterré qui voit la fin de son règne, enfin le dernier effort du dragon encore frémissant et sous la tyrannie de Licinius la persécution renouvelée, mais trop faible pour mériter qu'on en raconte les effets.

 

LXXIII. — La bête aux sept têtes et aux dix cornes, et les sept formes de gouvernement ruinées par de nouvelles remarques.

 

Nous avons vu que pour bien entendre la bête aux sept têtes et aux dix cornes, il faut joindre ensemble les chapitres XIII et XVII, où nous en avons la peinture. Pour commencer par les sept têtes qui, selon saint Jean, sont sept rois et sept formes de gouvernement pour les protestants, nous avons démontré :

Premièrement, combien peu il était utile au dessein de l’Apocalypse de reprendre les choses de si loin et de remonter jusqu'à l'origine de Rome, pour nous montrer tous les états par où elle avait passé durant sept à huit cents ans, avant que saint Jean fût au monde : et c'était si peu le dessein de cet apôtre, qu'il nous

 

1 Avert., n. 25, 20. — 2 Dumoulin, Accomp., p. 178.

 

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déclare au contraire que la bête à sept têtes, où il déclare qu'il voulait représenter Rome, devait sortir de l'abîme après son temps; ce n'est donc pas Rome dans tous ses états, y compris les siècles passés, qu'il a dessein de représenter dans cette bête ; c'est Rome dans un certain état particulier que cet apôtre avait en vue (1).

En effet nous avons vu en second lieu (2) que saint Jean ne fait paraître la bête que comme blasphématrice et persécutrice, revêtue de la puissance du dragon, cruelle, enivrée de sang, ennemie de Dieu et de ses saints, tout en s'élevant de l'abîme, c'est-à-dire dès aussitôt qu'elle paraît et également dans ses sept têtes : au lieu que, dans le système protestant, il n'y aurait tout au plus que deux têtes persécutrices, c'est-à-dire les empereurs et les Papes, et les autres auraient occupé sept ou huit cents ans avant que les chrétiens eussent paru.

On a vu en troisième lieu (3), que si saint Jean avait voulu nous représenter sept formes de gouvernement, il aurait pris toute autre chose que sept rois, dont même il aurait fallu que l'un fût l'abolition de la royauté et l'érection de l'état populaire; que bien éloigné qu'on puisse trouver dans les saints Livres, ou historiques, ou dogmatiques, ou prophétiques, aucun exemple d'une locution pareille, on trouve tout le contraire (4) notamment dans ce même endroit de l’Apocalypse, et enfin que les dix rois du verset 12 étant de vrais rois, les sept rois du verset 9 ne peuvent pas être d'une autre nature.

En quatrième lieu (5), nous avons vu que les six formes de gouvernement qu'on met à Rome jusqu'à saint Jean, n'ont nulle justesse; que c'est un nombre fait à plaisir, et qu'il y en a ou plus ou moins. Quanta la septième forme de gouvernement, qu'on veut être la Papauté (6), pour soutenir le système, il la faut faire commencer sous saint Léon, et changer le gouvernement de Home vers le temps que l'Empire fut dissipé; ce qui emporte un si prodigieux renversement de l'histoire, que jusqu'ici on n'en vit jamais de pareil exemple.

 

1 Apoc., XI, 7; XIII, i; XVII, 8. Voy. les notes ibid. Avert., n. 20. — 2 ibid., Apoc, XI, XIII, 1, 2; XVII, 2, 3, etc. — 3 Ibid. — 4 Avert., n. 14. — 5 Ibid. — 6 Avert., n. 15

 

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Nous pouvons ajouter en cinquième lieu, sur ces sept formes de gouvernement, que si saint Jean eût eu en vue de nous faire voir par plaisir tous les états de Rome jusqu'au temps que les Papes y ont été souverains, il eût fallu la faire passer de la main des empereurs en celle des rois Hérules et Ostrogoths, rois au reste de bien différente nature, et d'un pouvoir bien plus étendu que les sept premiers, sous qui elle commença. En faisant revenir les empereurs, comme ils revinrent sous Justinien, il faudrait marquer à la fin les exarques et les patrices, dont la puissance approchait si fort de la souveraine; puis encore le pouvoir du peuple sous la direction volontaire des Papes comme leurs pasteurs, sans qu'ils eussent le titre de princes; ensuite le patriciat, et enfin l'Empire des François; et les Papes par leur concession ayant alors quelque part à la souveraineté, mais toujours sous l'autorité supérieure de ces princes. Il ne faudrait pas oublier après la maison de Charlemagne, l'anarchie qui revient plusieurs fois, et surtout la tyrannie des barons romains pendant environ cent ans; le gouvernement des empereurs d'Allemagne modifié en tant de manières ; et enfin, avant de venir à la souveraineté absolue des Papes, la puissance du sénateur changée aussi en tant de façons. Que si l'on ne veut pas que le Saint-Esprit descende dans ce détail, après l'avoir fait descendre jusqu'aux décemvirs et aux tribuns militaires, qu'on nous dise donc dans quelles bornes il faut renfermer la curiosité de saint Jean, ou plutôt qu'on avoue de bonne foi que la justesse qu'on a cru voir dans ces sept formes de gouvernement, n'est venue que de l'ignorance de l'histoire , ou du peu d'attention qu'on y a faite.

C'est encore un sixième inconvénient (1), supposé que le dessein de l’Apocalypse ait été de représenter dans sept têtes sept formes de gouvernement, de mettre sur la sixième qui est celle des empereurs, et universellement comme sur les autres, des noms de blasphème, sans faire du moins prévoir à saint Jean qu'une si grande partie de ces empereurs devaient être chrétiens, en sorte qu'il aura mis au rang des blasphémateurs les Constantins, les Gratiens et les Théodoses.

 

1 Avert., n. 20.

 

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Enfin en septième lieu (1), quand on aurait dévoré tant d'absurdités manifestes, ce petit mot de l’Apocalypse, qui forcerait les protestants à reconnaître la Papauté comme un gouvernement de peu de durée, quoiqu'il dure douze cent soixante ans, et plus que tous les autres ensemble, sera toujours un écueil où leur système sera mis en pièces ; de sorte qu'il n'y a rien en toutes manières de plus ruiné que ces sept prétendus gouvernements.

C'est néanmoins le bel endroit des protestants : mais en vérité d'autant plus faible qu'ils ne savent encore comment expliquer ce roi qui fait « un des sept, » et qui néanmoins « est le huitième. » Ils veulent que ce soit le Pape, à cause qu'il est tout ensemble et le septième comme Pape, par la puissance spirituelle qu'il usurpe, et le huitième comme empereur, en imitant, comme ils l'interprètent, et en s'attribuant la puissance temporelle et impériale; sans songer que ce composé est précisément ce qui le doit faire la septième tête ou le septième roi : car s'il n'était qu'empereur, il le faudrait ranger avec le sixième; de sorte que ce qui lui donne le septième rang, c'est précisément ce composé par lequel on prétend lui en donner un huitième. A quoi il faut ajouter que si c'était le septième roi qui dut être en même temps le huitième, saint Jean, qui venait de nommer ce septième roi au verset 10, et qui par manière de dire était en train d'en marquer le caractère en disant qu'il demeure peu, l'aurait continué au verset suivant en disant, non pas indéfiniment qu'il est « un des sept, » mais précisément qu'il est le septième et le huitième tout ensemble.

Mais qui ne voit que le saint apôtre, éclairé par l'esprit de Dieu, a découvert dans cette lumière quelque chose de plus convenable, et que cet Esprit qui voit tout lui a révélé qu'un de ces sept, et non le septième, reviendrait deux fois, ce qui le ferait tout ensemble et un des sept et le huitième caractère que les protestants ne songent seulement pas qu'on ait pu approprier à la Papauté, et que nous avons trouvé si précisément en Maximien Herculius (2), qu'il n'y en a aucun autre exemple dans toute l'histoire qui a rapport à l’Apocalypse.

Je ne me tromperai donc pas quand je dirai, sans vouloir vanter

 

1 Avert., n. 16-18. — 2 Voyez la note sur le chap. XVII, 11.

 

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l'interprétation que je propose, qu'à comparaison du moins de celle des protestants, c'est la clarté même (1), puisqu'on y trouve dans sept rois, non pas sept formes de gouvernement proposées à sa fantaisie, mais sept empereurs tous idolâtres : en cette manière sous ces sept rois la persécution de Dioclétien, la plus cruelle de toutes, très-proprement caractérisée par sa marque particulière; sous les mêmes rois la prostituée, c'est-à-dire Rome la païenne, enivrée du sang des martyrs et soutenant son idolâtrie par toute la terre. On voit aussi ces sept rois passer promptement les uns après les autres; et le septième qui devait venir après la destruction des six autres pour exciter de nouveau la persécution, c'est-à-dire Licinius, s'évanouir incontinent ; et la bête par ce moyen laissée pour morte, pour ensuite ressusciter comme on va voir.

 

LXXIV. — Suite du chapitre XIII. La bête qui meurt et qui revit, n'a point de sens chez les protestants.

 

Dans le chapitre XIII, on voit paraître un nouveau prodige : c'est que la bête à sept têtes est comme morte par la plaie d'une de ses têtes, et que néanmoins tout d'un coup elle revit. Les protestants entendent ici l'Empire romain comme mort par la blessure mortelle des empereurs, qui sont la sixième de ses têtes, et tout d'un coup ressuscité dans le Pape, qui est la septième.

Ce système ne cadre pas avec les idées de saint Jean, puisque la bête qui subsistait en sept têtes ne devait périr que par la destruction de toutes les sept, ni ressusciter que dans quelque chose qui vînt après elles toutes. C'est pourquoi le Saint-Esprit dit distinctement que cinq têtes étaient passées, la sixième blessée à mort, et la septième qui devait venir en état de durer peu, par où la bête devait mourir tout entière avec ses sept têtes retranchées ; et ce qui la fait revivre en est distingué. C'est ce qu'on voit dans saint Jean (2), et c'est aussi ce qu'on a pu voir dans notre interprétation , où le retranchement de la sixième tête fait bien à la vérité une mortelle blessure, mais où l'on voit en même temps que la septième périrait bientôt avec les autres ; en sorte qu'on voit tomber sept têtes, c'est-à-dire sept empereurs auteurs de la dernière

 

1 Voyez les notes sur le chap. XIII. — 2 Apoc., XVII, 8, 10.

 

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persécution qu'on attribue à Dioclétien : d'où devait suivre comme en effet elle suivit, la destruction totale et sans retour de la bête persécutrice, si elle ne ressuscitait dans quelque chose de distingué d'elle, ainsi qu'elle fit dans Julien qui lui rendit la vie et la force. Tout cela est très-suivi. Au lieu que, dans le système protestant, la bête aux sept têtes est tenue pour morte, pendant qu'une de ses têtes, et encore celle de toutes qui avait le plus de vie, puisqu'elle devait vivre près de treize siècles, et plus que toutes les autres ensemble, non-seulement subsiste encore, mais ne fait que commencer sa vie.

 

LXXV. — Autre inconvénient du système. Il faut trouver au chapitre XIII pour une troisième fois les douze cent soixante ans.

 

Ce chapitre cause encore un autre embarras aux protestants, puisqu'ici, outre les deux fois que nous avons vues au chapitre XII, il leur faut encore trouver pour une troisième fois les douze cent soixante ans de persécution. La démonstration en est évidente; car la bête est persécutrice, et dans son premier état, aussitôt qu'elle sort de l'abîme, comme on a vu, et lorsqu'elle a repris la vie. La persécution du premier état, lorsque la bête sort de l'abîme, est représentée au chapitre XI, versets 2, 3, où il paraît qu'elle a duré les douze cent soixante jours. Accordons aux protestants que c'est la même persécution qui paraît au chapitre XII. Nous avons démontré ailleurs qu'elle a dû avoir deux reprises, chacune de pareil temps: l'une, à la première attaque du dragon; l'autre à la seconde et au temps de sa colère redoublée, XII, 6, 11. Voilà donc déjà tout au moins deux fois douze cent soixante jours, sans qu'il soit encore parlé de la bête ressuscitée. Mais lorsqu'elle est ressuscitée, il lui faut encore un pareil temps; car ce n'est pas en vain qu'elle revit : « Toute la terre s'en étonne, tout le monde adore la bête, en s'écriant : « Qui est semblable à la bête, et qui pourra la combattre? » maintenant qu'on la voit revivre après la plaie qui la tue, « et puissance lui fut donnée durant quarante-deux mois. » » C'est une troisième fois douze cent soixante jours, qui, multipliés en années, selon le système protestant, et joints

 

1 Apoc., III, 5.

 

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aux deux autres qui ont précédé la résurrection de la bête, font trois fois douze cent soixante ans, à qui la Réforme doit donner place dans son système, ou se réduire avec nous à trouver trois fois un temps très-court de persécution; ce qui n'est pas difficile.

 

LXXVI. — Suite du même chapitre. La seconde bête. Dix caractères exclusifs du Pape. Deux défauts sur le nombre de six cent soixante-six.

 

Outre la première bête qui a sept têtes et dix cornes, il en paraît encore une, que saint Jean appelle l'autre bête, très-distinguée de la première et qui ne porte que deux cornes, mais deux cornes semblables à l'Agneau, quoique la bête parle comme le dragon. C'est de là qu'on tire la plus grande preuve que c'est le Pape et une église chrétienne : mais nous l'avons renversée (1), en démontrant par des faits constants que le paganisme et surtout sous Julien l'Apostat, avait affecté d'imiter beaucoup de choses du christianisme; de sorte qu'il ne resterait qu'à répondre à Dumoulin, qui a vu dans les deux cornes de cette bête celles de la mitre du Pape. Mais pour ne s'amuser point à des petitesses si peu dignes de gens sérieux, démonstrativement la seconde bête ne peut pas être le Pape par ces raisons.

I.  La seconde bête fait de faux miracles, comme de faire descendre le feu du ciel : or le Pape ne se vante en aucune sorte de faire des miracles, et encore moins de faire descendre le feu du ciel; ce n'est donc pas la seconde bête.

II.  Dire que le feu du ciel, c'est l'excommunication qui est proposée comme un foudre, c'est entendre par un des prestiges de la bête une puissance instituée par Jésus-Christ, qui est celle d'excommunier; puissance (qui ne peut manquer d'être foudroyante, puisqu'elle retranche du corps de l'Eglise et qu'elle livre à Satan ceux qui en sont frappés. Dire ici que cette puissance est usurpée par le Pape, c'est supposer ce qui est en question, et donner pour marque certaine ce dont on dispute (2) ; et en tout cas, ce serait l'abus et non pas la chose qu'il faudrait faire marquer au prophète.

III. De compter parmi les faux miracles du Pape, ce que tous les

 

1 Voyez les notes sur le chap. XIII, 11; Avert., n. 5. — 2 Avert., n. 4.

 

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Pères et toute l'histoire ecclésiastique nous racontent des miracles des saints; c'est une autre sorte de profanation; et en tout cas, ces miracles ne sont non plus ceux du Pape que ceux de tous les chrétiens grecs, arméniens, égyptiens, méridionaux et orientaux, qui ne célèbrent pas moins que les Latins.

IV.  Si l'on en croit les protestants (1), le Pape est le méchant de saint Paul, qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on nomme Dieu, et pour tout Dieu ne fait adorer que lui-même; or est-il que la seconde bête qui est appelée l'autre bête par saint Jean, ne se fait point adorer elle-même, mais fait adorer la première bête; par conséquent la seconde bête n'est pas le Pape.

V.  La seconde bête, qui est le Pape, doit faire adorer la première bête, c'est-à-dire la bête à sept têtes et Rome à sept gouvernements : mais le Pape ne fait adorer ni les rois de Rome, ni ses consuls, ni ses dictateurs, ni ses empereurs, ni les autres, c'est-à-dire que de sept têtes il y en a déjà six qu'il ne fait pas adorer : il ne faut donc pas faire dire si absolument à saint Jean que l'autre bête fasse adorer la première bête.

VI.  Si l'on dit qu'il reste encore la septième tête, qui est le Pape, que l'autre bête qui est encore le Pape fait adorer, il ne fallait pas multiplier les bêtes, mais dire plus simplement que cette septième tête se faisait rendre à elle-même les honneurs divins ; ce qui eût servi à faire connaître son impiété et son impudence.

VII.  Saint Jean distingue trois choses : la première bête, l'autre bête et l'image de la première bête. Les protestants confondent tout, et partout ne voient que le Pape ; c'est le Pape qui fait adorer le Pape; l'image qu'il fait adorer, c'est le Pape encore; l'autre bête est la même bête : tout n'est ici que la même chose, la première bête, la seconde et l'image de l'une et de l'autre, puisque tout cela c'est le Pape.

VIII.  On n'a trouvé d'autre expédient pour démêler ce chaos, que de distinguer le Pape de la Papauté (2); et Dumoulin a prétendu , contre les principes de la secte, que ce n'était pas le Pape qui faisait adorer le Pape, mais que c'était le Pape, une des bêtes, qui faisait adorer la Papauté, et la hiérarchie l'autre bête, sans

 

1 Avert., n. 22. — 2 Ibid.

 

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pouvoir marquer dans saint Jean aucun caractère pour distinguer où est le Pape ni où est la Papauté, ni discerner celle à qui on donne le nom de première bête d'avec celle qu'on appelle l'autre. On ne se sauve pas mieux, en disant avec M. Jurieu que les deux bêtes ne sont au fond, dans le dessein de saint Jean, que le Pape seul ; mais que la première bête le représente dans la puissance temporelle et la seconde dans la spirituelle : car outre les autres inconvénients de cette multiplication que nous avons vus, la difficulté revient toujours ; et ce ministre n'explique pas pourquoi la bête spirituelle est celle qui fait adorer, puisque c'est elle, comme prétendant la puissance spirituelle, qui doit croire qu'elle mérite le mieux d'être adorée.

IX. Que si l'on dit que c'est qu'en effet il est impossible de démêler toutes ces choses dans la prophétie : premièrement il vau-droit mieux avouer qu'on ne l'entend pas que de faire retomber la faute sur les oracles divins; et en second lieu on a pu voir dans notre Explication une très-nette distinction de la bête morte dans la persécution finie par la mort de Licinius; de la bête ressuscitée dans la persécution renouvelée par Julien; d'une autre bête qui ne disait point qu'on l'adorât elle-même, mais qui faisait adorer les idoles que proposait la première bête, c'est-à-dire les idoles de Rome païenne, dont les principales étaient les images de ses empereurs : il fallait donc proposer quelque chose de cette nature, ou renoncer à l'explication de la prophétie.

X.  Sur le nombre de 666, nous avons remarqué deux défauts du système protestant (1) : l'un, de chercher ce nombre mystique dans le nom de la seconde bête, au lieu que manifestement c'est dans la première qu'il le faut trouver; l'autre, de ne pas produire un nom propre ; mais contre l'idée de saint Jean un nom vague et indéfini, comme celui de Lateinos.

 

LXXVII. — Les chapitres XIV, XV et XVI.

 

Je n'ai rien à dire sur le chapitre XIV, où il n'y a de prédiction que celle de la chute de Babylone, qu'on traitera plus à propos dans un autre lieu, et sur la fin une prédiction sur la moisson et

 

1 Voyez les notes sur le chap. XIII, 16-18; Avert., n. 23.

 

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sur la vendange qui touche le même sujet, mais d'une manière assez générale; où il y a néanmoins un caractère historique que les ministres n'expliquent pas, et que nous n'oublions pas dans nos notes (1).

Le chapitre XV ne contient autre chose que la préparation au XVIe, où se trouve l'effusion des sept fioles; sur quoi ce que je remarque principalement,  c'est que les protestants y veulent trouver sept périodes de temps avec, entre deux, un intervalle de cent cinquante ou deux cents ans, qui leur donne le moyen de se promener vaguement dans mille ou onze cents ans d'histoire, pour y trouver des famines, des guerres et d'autres fléaux autant qu'il leur en faut (2). Car il faut à ceux qui se jouent un champ vaste et libre, où leur imagination se donne carrière : mais pour nous qui expliquons l'Ecriture avec une discipline plus sévère, nous n'hésitons point à remarquer en ce lieu que saint Jean nous force à une seule action, ou plutôt à un seul état, qui a un secret rapport avec son sujet principal, comme nous l'avons expliqué (3). Je ne parle point des clepsydres de M. Jurieu, ni de son Armagédon (4), qu'il a pris pour un arsenal à excommunications : les protestants qui ont commencé à se moquer de ses clepsydres, nous feront la même justice sur son Armagédon. Cependant ils nous diront, quand il leur plaira, ce que c'est dans leur système que ces grands combats, où de part et d'autre les rois sont menés par le diable et ses esprits impurs (5) : ils pourront encore nous dire à quoi leur servent les rois d'Orient qui passent l'Euphrate (6), et surtout ils se souviendront d'épargner les allégories qui donnent un trop grand jeu aux interprétations arbitraires.

 

LXXVIII. — La fin du chapitre XVII avec les suites, où le système protestant se dément le plus.

 

C'est à la fin et au dénouement, que la justesse du dessein paraît

lorsqu'il est bien pris; et au contraire, lorsqu'il est mal conçu, c'est

à la fin et au dénouement que tout doit achever de se démentir

 

1 Notes sur le chap. XIV, 20. — 2 Avert., n. 40; voyez les notes sur le chap. XVI, 1, 2, et à la fin du chap. — 3 Ibid. — 4 Avert., ibid. — 5 Apoc., XVI, 14. — 6 Ibid., 12.

 

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et que l'absurdité doit le plus paraître. Ce dénouement de saint Jean est, après nous avoir fait voir l'impiété et la tyrannie de l'empire persécuteur depuis le chapitre XI jusqu'au milieu du XVIIe de nous en montrer enfin le juste supplice; et c'est ce que fait l'Apôtre, lorsqu'au verset 12 de ce chapitre, il nous fait voir cet empire entre les mains des dix rois qui le déchirent, pour ensuite nous en faire voir la perte totale dans les chapitres suivants.

Si les protestants ont bien rencontré, rien ne doit mieux cadrer avec leur système : au contraire, si leur dessein est mal pris, rien ne les doit déconcerter plus visiblement : or c'est le dernier qui leur arrive.

Ils s'imaginent trouver ici et la naissance et la chute de leur prétendu Antéchrist dans celle du Pape : or tout le texte y répugne.

Ils en mettent la naissance dans ces paroles : « Les dix cornes sont les dix rois qui n'ont pas encore commencé à régner : mais ils prendront puissance comme rois en même temps avec la bête (1), » verset 12, comme Genève a traduit : d'où M. Jurieu conclut ainsi : « S'ils prennent puissance en même temps que la bête, la bête prendra donc puissance en même temps qu'eux (2). » La corruption du texte est visible. Saint Jean dit qu'il y aura dix rois, qui tous ensemble et en même temps (en les comparant les uns avec les autres ) prendront puissance avec la bête ; mais il ne dit pas qu'ils prendront puissance en même temps qu'elle, ou qu'elle prendra puissance en même temps qu'eux, comme le tourne M. Jurieu : c'est autre chose que ces rois, comme dit saint Jean, trouvant la bête établie, viennent régner avec elle et partager son empire, ce qui est effectivement arrivé à l'ancienne Rome maîtresse du monde (3); autre chose, comme le prétend M. Jurieu, qu'elle commence à régner avec eux. Saint Jean suppose le contraire, puisque d'abord la bête paraît avec ses sept têtes, qui sont autant de rois ; et sur son dos elle porte la prostituée , tenant en sa main la coupe dont elle enivre les rois : elle est donc ; et les dix rois qui viennent régner avec elle la trouvent

 

1 Préj., Ière part., p. 122, 128.— 2 Ibid., p. 122, 127. — 3 Voyez les notes sur le chap. XVII, 12, 13.

 

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déjà établie. Les protestants n'en trouvent donc point, comme ils le prétendent, la naissance en cet endroit.

Ils n'en trouvent non plus la chute ; car ils la mettent dans ces paroles : « Les cornes, » qui sont les rois, « haïront la prostituée, la dévoreront, la dépouilleront, la brûleront, » verset 10; car clairement, et selon eux-mêmes, saint Jean marque en cet endroit, non point la désolation de leur nouvelle Rome antichrétienne, mais celle de Rome l'ancienne, maîtresse de tout l'univers.

Je dis clairement par les raisons que nous avons vues et j'ajoute, selon les protestants mêmes et selon M. Jurieu (1); puisque dans sa XIIIe lettre, pour n'avoir point à reprendre ici ce qu'il a dit dans ses ouvrages précédents, il vient encore d'écrire ces propres paroles : « L'autre passage est celui de saint Jean, qui dit que les dix rois prendront puissance avec la bête en un même temps; » ce qui, selon lui, « dit nettement que l'on doit compter les ans de l'Antéchrist du temps auquel l'Empire romain a été démembré en dix royaumes. » Ce qu'il répète, en disant « que les dix cornes sont les dix royaumes dans lesquels l'Empire romain a été divisé, et que ce fut en ce temps que commença la tyrannie antichrétienne (2). »

Il n'y a personne qui ne voie que l'endroit de la division de cet Empire est celui où les dix rois le dépouillent : or cet endroit est le verset 10 ; par conséquent on n'y trouve pas la chute de Rome la nouvelle prétendue antichrétienne, mais celle de Rome l'ancienne , maîtresse de l'univers.

Que si les protestants demeurent d'accord de reconnaître en ce verset 10 la chute de Rome l'ancienne, en réservant celle de leur Rome antichrétienne au chapitre XVIII (3), outre que manifestement ce n'est que la même chute et que saint Jean n'en connaît pas deux, ils seront pris par leur propre aveu, puisqu'il faudra reconnaître que tout le reste de la prédiction du chapitre XVII se trouvera accompli dans la chute de Rome l'ancienne : ce sera elle qui dans un cours de peu d'années, c'est-à-dire dans les approches de sa chute, sera aimée et haie par les mêmes rois : ceux qui

 

1 Avert., n. 15, 21, 42; ibid., 15. — 2 Lett. XIII, p. 98, 100. — 3 Avert., n. 21; Récap., n. 62.

 

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étaient venus régner avec elle, qu'elle avait reconnus pour rois, dont elle avait fait ses amis et qui commençaient à jouir des provinces qu'elle leur avait attribuées, seront les mêmes qui dans la suite l'auront dépouillée. C'est en effet ce que nous avons trouvé dans Rome l'ancienne et dans l'histoire de sa chute (1). Si les protestants en conviennent, ils n'ont plus de difficulté à nous objecter : celle qu'ils croyaient invincible dans ces rois, tantôt amis, et tantôt ennemis, est résolue par des faits constants : le mot de l'énigme est trouvé, c'est Rome l'ancienne, et rien n'empêche que la prédiction de saint Jean ne soit, contre leur pensée, entièrement accomplie dans sa chute. Que s'ils refusent d'en convenir, on les y force par d'autres choses qu'ils avouent ; et s'ils passent incessamment d'une pensée à une autre, sans trouver deux versets de suite qui se rapportent à la même fin, on verra bien que tout s'entrechoque dans leur interprétation.

De cette confusion sont venus leurs rois (2), qui aident l'Eglise romaine à s'établir, pendant qu'ils ne lui font ni bien ni mal, ou plutôt du mal que du bien; qui en lui donnant leur puissance, ne lui donnent ni le spirituel en aucune sorte, ni le temporel autrement qu'en le laissant prendre ; qui en régnant avec elle dès le commencement, ne la font ni ne la laissent régner que quatre ou cinq cents ans après ; qui sont appelés son soutien, parce que cinq cents ans après d'autres rois, comme ceux d'Ecosse, de Suède, de Danemark, de Pologne, parmi lesquels il y en a la moitié, pour ne pas dire le tout qui ne tiennent rien des premiers, viendront l'appuyer ; et qui sont dits la détruire, parce qu'onze cents ans après ils s'avisent, du moins quelques-uns, de se retirer de sa communion sans lui pouvoir faire d'autre mal ; mais c'est que les protestants espèrent qu'ils l'anéantiront dans peu de temps, et ils font leur prédiction de leur espérance : au lieu que tout est simple et suivi dans notre interprétation, tout est d'un même dessein ; la bête à sept têtes et à dix cornes nous représente tout l'état de Rome l'ancienne, autant qu'il est convenable au dessein de l’Apocalypse. Dans les sept têtes nous voyons la persécution déclarée; dans les dix cornes on nous fait voir aussi clairement la persécution

 

1 Voyez les notes sur le cbap. XVII. — 2 Avert., n. 21.

 

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punie; tout nous prépare, tout nous mène là. Saint Jean n'en voulait pas davantage; et tout ce que les protestants y ont ajouté n'est qu'illusion, contradiction, violence au texte, confusion des caractères, renversement des histoires; en un mot, rêveries sans suite, qui s'effacent les unes les autres comme les images d'un songe.

 

LXXIX. L'explication protestante n'entre qu'avec violence dans les esprits, et c'est l'ouvrage de la haine.

 

Aussi voit-on par expérience que des interprétations si forcées ne tiennent pas à l'esprit; la haine les fait inventer : tout le monde dit sans savoir pourquoi : « Sortez de Babylone, mon peuple ; » on s'anime contre une Rome quelle qu'elle soit, et sans distinguer l'ancienne d'avec la nouvelle. Dans l'histoire des Papes, on ne veut voir que le mal toujours inséparable des choses humaines; et on impute à l'Eglise tous les désordres vrais ou faux, comme si elle en faisait autant de dogmes : sous des figures hideuses on croit voir le Pape partout, et on frémit jusqu'à l'aspect de sa mitre, où l'on croit lire imprimé le mot de Mystère. Il vient des gens plus modérés ; un Grotius, un Hammond ; enfin on commence à voir que le Pape n'est pas si Antéchrist ; et M. Jurieu m'apprend lui-même (1) que de nos jours un savant homme de Paris s'étudia un an durant à prouver à ses disciples, que le Pape ne pouvait pas être l'Antéchrist : ce savant homme était donc un docteur et un professeur; on ne lui dit mot, mais néanmoins les emportés prévalent; et il faut que l'ancienne opinion nécessaire à la politique du parti subsiste, quand ce serait une erreur : nous en avons vu les témoignages (2). A la fin les plus outrés mollissent eux-mêmes; et un M. Jurieu, dans ses Préjugés légitimes (3), n'ose dire que la chose soit certaine, et a unanimement reçue. » De là ce bel artifice qui règne par tout ce livre, de produire toutes ses preuves sans en excepter une seule, et de dire en même temps qu'on n'entreprend pas de prouver, par un secret sentiment, que ces preuves ne sont pas des preuves. Chose étrange . dans l'Accomplissement des prophéties S le ministre nous renvoie à ses

 

1 Lett. XII. — 2 Avert., n. 1. — 3 Avert., n. 2. — 4 Accomp., Ière part., chap. VI, p. 12 et suiv.

 

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Préjugés légitimes, comme à un ouvrage où il a fait tout ce qu'il voulait faire contre le Pape, « autant qu'il est capable de le faire. » Mais il a oublié de remarquer que ce qui n'était « qu'un préjugé, et non pas une démonstration (1), » en devient une maintenant la plus évidente qu'on puisse supposer; en sorte qu'un protestant qui la méprise n'est plus ni protestant, ni même chrétien. Cependant il reste encore des gens qui rougissent des excès de ce ministre; le bruit en est venu jusqu'à nous : un M. Allix l'incommode ; il se plaint ouvertement d'autres gens qui s'emportent « jusqu'à vouloir, disent-ils, faire connaître au public que tous les réformés ne donnent pas dans ces visions apocalyptiques (2). » On le laisse faire cependant, car il faut bien laisser amuser le peuple à quelqu'un aux dépens des oracles divins. Notre ministre attaque ces mauvais protestants par le synode de Gap : « Cela, dit-il, y est passé en article de foi, et en article de foi des plus solennels; article qui n'a jamais été révoqué, en sorte que tout protestant qui le nie renonce à la foi et à la communion de l'Eglise réformée de France, car c'est un synode national (3). » faible protestant vous-même, lui diront-ils (4), qui nous élevez si haut ce synode national avec son « article omis » dans les confessions de foi, et qui vous-même en méprisez avec un dédain si visible les autres décisions, comme celle qu'on y fit contre Piscator, quoique jurée par tous les ministres et soutenue par trois autres synodes nationaux. Vous nous reprochez que nous méprisons tous les anciens Pères : voulez-vous donc que nous recevions dorénavant leur autorité comme une loi? Mais qui les méprise plus que vous? Et si c'est ici la seule matière où vous vouliez les en croire, que ne dites-vous avec eux que l'Antéchrist est un seul homme (5) et qu'on ne le verra qu'à la fin du monde, car tous les anciens l'ont dit? Enfin si cet article est si important, si pour être bon réformé il faut croire nécessairement que la bête et son caractère soient le Pape et le papisme, pourquoi, après l'avoir tant répété, l'oubliez-vous à la fin jusque dans votre livre de l'Accomplissement des prophéties (6) ? Pourquoi est-ce que, selon vous, les anciens martyrs,

 

1 Avert., ibid.; Préj., ibid. — 2 Lett. XII, 93. — 3 Lett. XI, 85; Avert., n. 2. — 4 Ibid. — 5 Lett. XII. — 5 Sup., n. 71.

 

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les martyrs des trois premiers siècles nous sont représentés dans l’Apocalypse, comme ceux qui ont méprisé la bête et son caractère ? Ce n'était donc pas le papisme, ou bien avec les papistes il faudra mettre la Papauté jusque dans ces siècles bienheureux. Qui vous a fait dégrader les Vaudois, les Albigeois et les Vicléfites? Reconnaissez de bonne foi que ces explications forcées ne tiennent pas à l'esprit ; pour peu qu'on soit dans le calme et qu'on cesse de s'irriter soi-même, elles échappent : ce sont articles de haine, et non pas de dogme.

 

LXXX. — Abrégé des preuves contre l'interprétation des protestants sur la II aux Thess., II.

 

Il ne reste plus qu'un mot à dire sur la prédiction de saint Paul, et voici l'abrégé de notre preuve.

I.  Le méchant de saint Paul est un homme particulier (1), et dans toute l'Ecriture on ne trouvera jamais tant de caractères individuels entassés ensemble pour désigner une suite d'hommes : or tous les Papes dont on fait un seul Antéchrist, ne sont pas un homme particulier ; ils ne sont donc point le méchant et l'Antéchrist de saint Paul.

II.  Dès que le méchant de saint Paul paraît, il fait des prodiges inouïs et déploie toute la puissance de Satan, qui fait en lui ses derniers efforts : donc si l'Antéchrist était venu, et qu'il eût paru dans les Papes, on aurait déjà vu de faux miracles plus étonnants que ceux des magiciens de Pharaon, que ceux d'un Simon et de tant d'autres enchanteurs : or non-seulement on n'en a point vu de tels dans les Papes, mais on n'y en voit point du tout depuis mille ou douze cents ans qu'on les fait être Antéchrists. Ils ne le sont donc pas.

III.  Le méchant de saint Paul se met au-dessus de tout ce qui est Dieu, et se fait lui-même adorer comme Dieu : or le Pape se reconnaît, non-seulement un homme infirme et mortel, mais même, ce qui est au-dessous de ce qu'on peut s'imaginer de plus vil, un pécheur : il ne se donne donc pas pour un Dieu malgré les allégories.

 

1 Avert., n. 45, 51 et suiv.

 

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IV. Il n'y a rien de plus vain que de mettre tout en allégories. Elles doivent être épargnées même en expliquant les prophéties, de peur de donner un champ trop libre à la fantaisie échauffée et aux interprétations arbitraires. On a recours principalement à l'allégorie pour interpréter des choses qu'on appelle incorporelles, comme les vertus, les vices, l'hérésie et l'idolâtrie, qui manquant de caractères sensibles, ou en ayant peu, en empruntent de l'allégorie : mais il n'y a point de raison de porter cette invention jusqu'aux prestiges de Satan qui ne sont que trop réels, et jusqu'à l'impiété des tyrans qui se sont portés pour Dieu, dont le nombre est infini.

V.  Pour être donc obligés à sauver par l'allégorie les prodiges et les attentats attribués à l'Antéchrist, il faudrait, ou qu'il fût constant qu'il n'y en aura plus de pareils, ou que du temps de saint Paul ces choses fussent éloignées et inconnues : or c'est manifestement tout le contraire, puisque rien n'était plus ordinaire que faire les Césars des dieux ; et pour ce qui est des prodiges, outre que tout en était plein du temps de saint Paul, témoins un Simon, un Elymas et cent autres, Jésus-Christ en a prédit de si surprenants jusqu'à la fin du monde, qu'il y aurait de quoi tromper jusqu'aux élus : on n'est donc pas obligé ici de se sauver par l'allégorie.

VI.  Il faudrait du moins être assuré que le sens littéral ne convient pas aux passages dont il s'agit : et loin d'en être assuré, on est assuré du contraire, puisque toute l'antiquité demeure d'accord qu'il y aura à la fin du monde un Antéchrist qui se dira Dieu, puisqu'il se dira le Christ, et s'élèvera au-dessus de Dieu en s'élevant au-dessus du Christ, à plus forte raison au-dessus de toutes les fausses divinités que le monde aura jamais adorées; ce que M. Jurieu à la fin trouve vraisemblable : il vaut donc mieux expliquer un passage obscur par quelqu'objet réel, du moins vraisemblable , que de se perdre en allégories.

VII.  Bien plus, cette opinion que M. Jurieu prend pour vraisemblable doit être certaine : car constamment, outre la persécution de la bête, il y aura celle de Gog marquée par saint Jean, qui ne peut être appliquée qu'à ce dernier Antéchrist que les Pères

 

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ont reconnu, et que M. Jurieu devait trouver plus que vraisemblable, puisqu'il est si nécessaire pour expliquer Gog (1).

VIII. C'est en vain que M. Jurieu s'opiniâtre à faire que ce dernier Antéchrist ne soit qu'un diminutif et quelque chose en malice de fort au-dessous du Pape ; car il n'y a qu'une haine aveugle qui puisse faire regarder comme inférieur en audace et en séduction celui qui se dira nettement le Christ (2) ; qui accompagnera sa prétention de signes proportionnés ; que le démon lâchera après mille ans de rage réprimée, et dont l'envoi fera le dernier effort de ce dragon déchaîné ; lequel aussi pour cette raison il réservera pour la fin, et que pour la même raison, nul autre ne pourra confondre que Jésus-Christ en personne par le feu de son dernier jugement.

IX.  Quoi que ce soit que ce méchant et cet ennemi de Dieu, Jésus-Christ ne le laissera pas durer longtemps ; car c'est à cette dernière tentation, la plus dangereuse de toutes, que doit convenir principalement ce qu'a dit le Fils de Dieu, que « les jours en seront abrégés pour l'amour des élus (3) : » ce qui fait aussi que saint Paul, après les impiétés et les prodiges, en fait suivre incontinent la chute, et cela par l'action la plus vive qu'on puisse imaginer, comme on a vu (4). Ce n'est donc pas un Antéchrist qui abuse douze cent soixante ans de la patience de Dieu, et à la ruine duquel il faille employer tant de siècles.

X. On nous vante en l'air tous les caractères qu'on prétend être communs entre l'Antéchrist, et le Pape : tantôt il y en a trente-cinq, tantôt ils passent cinquante : les ignorants en sont éblouis, et ne songent pas que dans tous ces caractères on suppose ce qui est en question. L'idolâtrie, l'impiété, se faire passer pour Dieu, sont, dit-on, des caractères antichrétiens; je le veux : mais, poursuit-on , le Pape a toutes ces choses : ou vous entreprenez de le prouver, ou vous voulez qu'on le suppose comme certain par ailleurs. Le prouver, c'est perdre le temps, puisqu'au lieu de la controverse particulière de l'Antéchrist dont il s'agit, c'est traiter toute la controverse en général; le supposer comme déjà établi,

 

1 Voyez les notes sur le chap. XX, 7, 9 et à la fin du chap.; Avert., n. 55. — 2 Ibid. — 3 Matth., XXIV, 22. — 4 Avert., n. 52.

 

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c'est encore plus perdre le temps, puisque c'est donner pour marque certaine ce qui est précisément en dispute.

XI. Si l'on dit qu'on nous allègue des faits positifs, ou ce sont signes équivoques, comme la pourpre, les sept montagnes, les mystères et autres choses communes à toutes les religions, et même l'imitation de l'Agneau que les païens ont affectée aussi bien que les faux chrétiens, comme on a vu ; ou si ce sont des faits historiques, comme seraient les désordres dans la vie de quelques Papes, quand ils seraient bien avérés et qu'on n'aurait pas ramassé plus de calomnies des ennemis que de témoignages des historiens, tous ces faits sont hors du sujet, puisque s'agissant de montrer non pas qu'un tel Pape en particulier, mais que le Pape comme Pape est l'Antéchrist ; il faut proposer, non pas ce que fait un Pape ou plusieurs Papes, mais ce qui est inséparable de la Papauté, et dont le Pape exige l'approbation de tous ceux qui le reconnaissent, faute de quoi la marque est fausse : et il n'en faut pas davantage pour dissiper par un seul coup presque tous les livres de nos adversaires.

XII. Quant à ce que prétend M. Jurieu, qu'il y a eu tant de corruption dans la chaire de saint Pierre, qu'on ne la peut jamais prendre pour autre chose que pour le siège de la pestilence et de l'Antéchrist, outre qu'on lui nie le fait qu'il avance, on lui soutient encore que la conséquence est directement opposée à la parole de Jésus-Christ ; et que quand l'iniquité de nos Pontifes serait, s'il se peut, montée aussi haut que celle des pharisiens et des docteurs de la loi, lorsqu'ils haïssaient Jésus-Christ jusqu'à machiner secrètement sa mort, il faudrait toujours avec Jésus-Christ leur renvoyer les lépreux (1), selon les termes de la loi, et dire encore avec lui : « Ils sont assis sur la chaire : faites ce qu'ils enseignent, et ne faites pas ce qu'ils font (2) : » autrement c'est ouvrir la porte au libertinage, et lever l'étendard de la sédition à tous les esprits chagrins et inquiets.

 

1 Matth., VIII, 4. — 2 Matth., XXIII   2, 3.

 

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LXXXI. — Caractères de l'Antéchrist dans les ministres. Leurs allégories tournées contre eux.

 

Mais pour convaincre une fois les trop crédules protestants de la vanité de leurs allégories, que répondront-ils si je leur dis que le méchant de saint Paul, sont les chefs et tout le corps des ministres albigeois, vaudois, vicléfites, luthériens et protestants en général? Leur apostasie est manifeste en quelque sorte qu'on prenne ce mot, pour une révolte contre l'Eglise, ou contre les princes. Le mépris qu'ils ont fait des vœux solennels par lesquels ils s'étaient consacrés à Dieu et à la continence perpétuelle, augmente le crime de leur défection. Leurs blasphèmes sont inexcusables , puisque les premiers, et ceux qui ont entraîné tous les autres dans la révolte, se sont emportés jusqu'à faire Dieu auteur du péché et de la perte des hommes, lui ravir sa liberté aussi bien qu'à nous, et l'assujettir à une nécessité fatale (1). On a vu les paroles expresses de Viclef : M. Jurieu a convaincu Luther et Mélanchthon d'une semblable impiété (2). Calvin et Bèze n'en ont pas moins dit; le fait est constant. M. Jurieu voudrait qu'on crût qu'il n'a accusé Luther que « d'avoir employé des termes trop durs (3) : » mais ce n'est pas de termes dont il s'agit ; ce qu'il n'a pu s'empêcher de reconnaître dans ce chef de la Réforme ; ce qu'il en 'a dit « avec douleur et en favorisant autant qu'il a pu la mémoire d'un si grand homme, » c'est qu'il a enseigné « des dogmes impies, horribles, affreux, dignes de tout anathème, qui introduisent le manichéisme, et renversent toute religion (4). » Il ne s'agit plus de biaiser sur ce que la force de la vérité a fait confesser une fois ; je prouve plus que je ne promets : ce ne sont pas ici des allégories, ce sont des blasphèmes bien formels. Ceux qui en ont imputé au Pape qu'on n'ouït jamais parmi nous, sont convaincus par eux-mêmes d'en avoir proféré qui font horreur au ciel et à la terre, et par là de mériter à la lettre le titre d'impie, d'homme de péché et d'ennemi de Dieu. Ce titre avec le nom de Réforme, c'est l'hypocrisie antichrétienne et le mystère d'iniquité

 

1 Var., liv. XI, n. 152; liv. XIV et suiv.; Addit., à la fin, n. 2 et suiv. — 2 Ibid. — 3 Lett. X, p. 77. — 4 Voy. Var., ibid.

 

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qui commençait à se former dès le temps des apôtres. Selon M. Jurieu, c'est au Pape un caractère antichrétien, et le seul que ce ministre relève dans sa lettre XII, de se mettre au-dessus de ce qu'on appelle Dieu, en se mettant au-dessus des rois, dont le Saint-Esprit a dit : « Vous êtes des dieux. » Mais quel autre a porté plus loin cet attentat que lui et les siens ? On peut voir les insolents discours de Luther, chef de la Réforme, contre l'empereur et les rois, lorsqu'il ordonne de leur courir sus, à cause qu'ils défendaient l'ancienne religion (1). Les effets ont suivi les paroles : peut-on plus s'élever contre les rois, que d'avoir entrepris contre eux de sanglantes guerres, de soutenir encore aujourd'hui , avec le prophète Jurieu (2), à la face de la chrétienté, qu'elles sont justes; d'éluder avec ce ministre l'exemple des martyrs, qui parmi tant de tourments n'ont pas pris les armes, en disant qu'ils n'ont été patients que parce qu'ils étaient faibles; d'attribuer leur soumission, non pas aux préceptes de Jésus-Christ et des apôtres, mais à erreur, à faiblesse, à une prudence de la chair qui ne tendait qu'à éviter un plus grand mal, et à ne se pas inutilement exposer contre le plus fort? Tout cela qu'est-ce autre chose, que de prêcher encore la révolte aussitôt qu'on se trouvera en état de la soutenir? Voilà ce que dit un ministre qui vantait, il y a quatre ans, la fidélité de son parti envers les rois comme étant à toute épreuve (3). On peut ici se souvenir de ce que le roi Jacques disait des puritains, c'est-à-dire des presbytériens et des calvinistes de son royaume, qu'il marquait comme ennemis déclarés de la royauté. Il avait un secret pressentiment de ce que cette secte ferait souffrir à sa postérité. Et sans ici rappeler à notre mémoire tout ce qu'on a vu de nos jours, dont on ne trouve point d'exemple parmi les peuples les plus barbares, ce qu'on fait encore à présent contre un roi à qui ses plus grands ennemis ne peuvent refuser quatre grandes qualités, l'amour de sa religion, l'amour de son peuple, la justice et la valeur; ce qu'on loue comme un ouvrage divin et comme le chef-d'œuvre de la Réforme : malgré toutes les lois d'un grand royaume, malgré les serments les plus solennels, malgré la nature même dont les droits les plus sacrés sont violés

 

1 Var., liv. I, 25; liv. VIII, 1. — 2 Lett. IX. — 3 Politiq. du clergé.

 

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et malgré le respect qu'on doit à l'inviolable majesté des rois, montre assez combien on honore ces dieux terrestres.

Pour achever de mépriser tout ce qui porte la marque de Dieu la Réforme a outragé les saints en accusant les plus savants, qui sont les Pères du quatrième siècle, de blasphème et d'idolâtrie (1) ; et ce qui n'est pas moins injurieux, ceux des siècles précédents, d'avoir ignoré et obscurci tous les mystères, jusqu'à moins connaître Dieu que les philosophes : par où ils ont foulé aux pieds les promesses de Jésus-Christ, l'Eglise qui est son corps, et ceux dont il a dit : Qui vous écoute, m'écoute, sans rien laisser dans l'univers qui soit à couvert de leur audace. Au surplus on ne peut nier qu'ils ne se soient élevés tout ouvertement au-dessus de Jésus-Christ, puisque même les luthériens ont refusé de l'adorer où ils le croient présent, et que le reste des protestants leur a tourné à louange cette irrévérence. Ils n'ont pas prouvé ce qu'ils avancent, que les Papes aient dispensé de la loi de Dieu, ni qu'on y ait jamais songé dans l'Eglise catholique : mais nous leur avons prouvé par des actes authentiques (2) que les chefs de la Réforme l'ont fait en plusieurs manières à l'occasion du mariage. Le ministre Jurieu, qui ne peut s'empêcher de condamner leurs excès, tâche néanmoins d'en soutenir le principe, et il ne craint point de dire qu'il y a des cas où l'on se peut dispenser de la loi de Dieu (3). On peut voir sa lettre vin, qui fera trouver effectivement dans les ministres ce que les ministres ont imputé calomnieusement aux Papes et à l'Eglise catholique. Ils se sont assis dans le temple de Dieu, lorsqu'érigeant sous ce nom une fausse église, ils s'y sont fait une chaire sans que Dieu les envoyât, et ont appris à tous les particuliers à se rendre arbitres de leur foi et du sens de l'Ecriture, c'est-à-dire à prendre pour Dieu tout ce qui leur entre dans le cœur, et à se faire une idole de leur propre sens; c'est se montrer dans le temple de Dieu comme si on était un dieu, et c'est faire tout particulier infaillible et indépendant. Si les ministres répondent qu'à ce coup ce sont là des allégories, elles sont meilleures que les leurs et fondées sur des faits plus positifs. S'ils

 

1 Voy. ci-dessus, n. 28 et suiv., 31. — 2 Var., liv. VI, n. 2 et suiv., 11. — 3 Lett. VIII.

 

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m'accusent de supposer ce qui est en question, je le fais exprès à leur exemple. Nous avons droit de supposer aussi bien qu'eux ce que nous croyants avoir établi sur de meilleures preuves; et il n'en faut pas davantage pour leur soutenir que tant d'erreurs, tant d'impiétés, tant de révoltes qu'ils ont introduites dans l'univers, leur ont mérité le titre d'homme de péché, et tous les autres opprobres dont ils ont tâché de nous noircir avec beaucoup moins d'apparence.

Pour ce qui est des prodiges et des signes, à voir le dédain qu'ils ont fait paraître pour les miracles les mieux attestés, et par les plus graves témoins et avec le consentement le plus unanime, on dirait qu'ils seraient exempts de la faiblesse de croire les faux miracles : mais au contraire ils ne nous parlent que de prophéties, que de voix entendues en l'air, de prétendus vers prophétiques gravés sur les habits de quelques femmes, aussi faux que mal conçus et mal bâtis, et d'autres contes semblables. Quand il faudrait avouer que tout cela serait vrai et aussi certainement surnaturel qu'il est vulgaire et grossier, nous aurions autant de raison de l'attribuer aux esprits abuseurs que les ministres en ont peu de leur attribuer les miracles qu'un saint Ambroise, un saint Augustin et les autres ont rapportés, comme en ayant été les témoins avec tout le peuple. Il est vrai que les miracles qu'on vante tant dans la Réforme sont si légers, que Satan très-assurément n'y a employé que ses plus grossiers artifices : mais c'est assez qu'on s'y prenne, et assez pour donner aux ministres qui les annoncent comme des signes du ciel, le caractère d'Antéchrist. Je ne serai pas embarrassé de ces paroles : Celui qui tient, après les différentes interprétations qu'on en a vues. Que s'il fallait nécessairement trouver ici l'Empire romain : premièrement quand je n'aurais rien à proposer de vraisemblable, je me sauverais aisément, à l'exemple de nos adversaires, en soutenant qu'ils n'en sont pas moins l'Antéchrist, encore que je.ne puisse pas trouver dans un temps précis cette marque de leur naissance. Qu'on me donne cinq ou six cents ans dont il me soit libre de me jouer, comme ils ont fait, j'ajusterai cette histoire, et je saurai trouver mon compte aussi bien qu'eux ; et quand il en faudrait enfin venir

 

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à quelque temps plus précis, qui m'empêchera de dire qu'encore que l'Empire romain fût tombé à Rome et démembré dans la source, comme saint Jean l'avait prédit, il tenait encore en Orient : qu'il a été en quelque manière renouvelé à Rome, même du temps de Charlemagne : que c'était là ce qui arrêtoit le mystère d'iniquité, et l'empêchoit d'éclater ; mais que la maison de Charlemagne étant tout à fait éteinte, et en France comme en Italie, vingt ans avant que les manichéens, les premiers auteurs de nos adversaires, commencèrent à éclater, c'était alors que le méchant devait paraître : qu'en effet on devait commencer alors à renier Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, à prendre pour idolâtrie l'honneur de ses saints, à donner le nom d'Antéchrist à son Eglise, et à le mériter plus que jamais par cet attentat?

 

LXXXII. — Contradiction manifeste du ministre Jurieu sur le sujet de l'Antéchrist de saint Paul.

 

Pour achever de faire voir que l'explication des protestants sur le passage de saint Paul est un amas de contradictions et de faussetés manifestes, je prie le lecteur de se souvenir que s'il y a dans le système protestant quelque chose de fondamental et de certain, c'est que l'Antéchrist de saint Paul doit venir au temps de la chute de l'Empire romain : c'est ce que M. Jurieu établit autant qu'il peut au chapitre IV de ses Préjuges, où tout son but est de montrer « qu'il faut que l'Empire romain soit aboli devant que l'Antéchrist soit révélé; que l’Antéchrist en doit occuper la place; que tout le monde convient que l'Antéchrist devait être manifesté incontinent après que l'Empire romain serait détruit (1). »

        De là il conclut que pour décider si l'Antéchrist est venu, il ne s'agit plus que de savoir « si l'Empire romain subsiste encore, » et comme plusieurs catholiques répondent qu'il subsiste en Allemagne, il soutient qu'il faut avoir perdu « toute pudeur» pour mettre l'Empire romain si loin de Rome : d'où il conclut (2) « que l'Empire romain a cessé, quand Rome a cessé d'être la capitale des provinces, et que son Empire » fut démembré aux environs du Ve siècle

 

1 Préj., Ire part., chap. IV, p. 81. — 2 Ibid., p. 82.

 

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Voilà parler nettement, et il n'y a rien de plus positif que la bête de cet Empire déjà arrivée, et cette chute marquée comme le signe certain de l'Antéchrist venu au monde.

Il ne parle pas moins positivement dans sa lettre XII, qui vient de paraître, du 15 février 1689: « L'antichristianisme, dit-il, (1) ne devait être révélé que quand l'Empire romain temporel serait anéanti, et cela après le milieu du cinquième siècle : » où il prétend que le papisme fut manifesté.

Il semble donc qu'il n'y a rien de plus constant; et pour le mieux assurer, le ministre se fortifie de l'autorité « de tous les anciens (2), » dans la présupposition qu'il fait toujours que les anciens sont d'accord à faire venir l'Antéchrist lorsque l'Empire romain sera dissipé. Mais le système est composé de tant de pièces mal assorties, qu'il n'y a pas moyen de les concilier, ni de marquer bien nettement ce qu'on veut donner pour certain; car après l'impression des Préjugés, en 1685, le ministre ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que tout cela ne pouvait cadrer avec le reste du système; et un an après, dans l’Accomplissement des prophéties (3), il parle en ces termes de l'endroit des Préjugés qu'on vient de voir : « L'explication et l'application de saint Paul à l'empire du papisme a été faite là d'une manière assez exacte pour nous empêcher d'y retoucher, à l'exception de l'article dans lequel l'Apôtre a dit : « Vous savez ce qui le retient, » et : « Celui qui occupe, occupera. » C'est-à-dire, que tout allait bien, excepté l'endroit principal, puisque c'est celui-là qu'il va changer, a Tout le monde, continue-t-il, a toujours cru et croit encore que, par celui qui occupait du temps de saint Paul, il faut entendre l'Empire romain ; et l'on a compris que l'Apôtre avait intention de dire que l'empire antichrétien ne paraîtrait point au monde que l'Empire romain ne fût aboli. » Voyons donc ce qu'il faudra croire enfin de « ce que tout le monde avait cru et croyait encore, » c'est-à-dire de ce qu'avaient cru tous les anciens et tous les modernes, par conséquent les protestants comme les autres, et lui-même avec eux tous, il n'y avait pas plus d'un an, à l'endroit de ses Préjugés où il traitait cette affaire. « Mais cela, dit-il, ne s'accorde pas avec

 

1 P. 89, 90.— 2 Préj., Ire part.,chap. IV, p. 89, 93. — 2 Accomp., Ière part., p. 8.

 

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les autres prophéties (1) » Ce qu'ayant décidé ainsi, il fait encore cette demande : « Si cela est, que faut-il entendre par ces paroles de saint Paul, » celui qui occupe, etc.? « Cela ne signifie pas jusqu'à ce que l'Empire romain soit aboli, comme ont cru les anciens, et comme voudraient bien persuader les suppôts de l'Antéchrist d'aujourd'hui (2). » Ainsi ce qu'il nous propose comme chose que tout le monde, et par conséquent les protestants comme les autres avaient cru et croyaient encore, est en même temps une invention « des suppôts de l'Antéchrist, » et le sentiment de « ces suppôts de l'Antéchrist » est le même que celui « des anciens, » dont on vient de voir qu'il fait tant valoir l'autorité.

On voit bien qu'il lui faut penser à tant de choses pour faire cadrer son système et remédier aux inconvénients qui s'élèvent de toutes parts, qu'à chaque moment il oublie ses propres pensées; et pour montrer en cet endroit ce qui l'incommode, c'est qu'il se trouve engagé à dire, avec, les autres protestants, que Daniel, saint Paul et saint Jean ne disent que la même chose, et que le Pape est partout.

Dans ce dessein , Daniel est le premier à l'embarrasser; car des quatre monarchies que ce prophète a prédites, après lesquelles doit venir l'empire de Jésus-Christ, le ministre veut que la dernière soit celle des Romains, et par conséquent que l'empire de Jésus-Christ ne vienne qu'après celle-là, mais incontinent après : ce qu'il croit avoir bien prouvé par deux endroits de ce prophète, dont je ne veux pas disputer ici (3). Pour l'empire du Fils de Dieu, il ne faut pas croire qu'il ait commencé à sa naissance, ou à la prédication de son Evangile; il ne commencera qu'avec ces mille ans pris à la lettre, que ce ministre est venu rétablir après Joseph Mède, et finira avec eux (4); d'où il conclut que, selon Daniel, l'Empire romain doit durer jusqu'au commencement de ce règne de mille ans, et par conséquent qu'il dure encore.

Mais où dure-t-il ? Dans le Pape. La Papauté est une partie de l'Empire romain que Daniel avait vu, et saint Jean a vu aussi la même chose dans ses deux bêtes : le ministre le veut ainsi. Mais

 

1 Accomp., Ire part. p. 83. — 2 Ibid., p. 91. — 3 Dan., II, VII. — 4 Jur., ibid., p. 89, et IIe part., chap  XIII et suiv., p. 261.

 

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si cela est, il faut bien changer en effet tout ce qu'on disait sur le passage de saint Paul : car s'il est vrai, selon cet Apôtre, que l'Antéchrist, qui est la Papauté, ne doive venir qu'après que l'Empire romain, dont une partie est la Papauté, sera tombé, il s'ensuit que l'Antéchrist ne paraîtra qu'après que l'Antéchrist aura disparu : ce qui serait un nouveau mystère dans le système protestant, à la vérité difficile à démêler, mais digne de tous les autres.

Pour y trouver quelque dénouement, Celui qui tient, dans saint Paul, n'est plus l'Empire romain : « tout le monde qui le croyait et le croit encore, s'est trompé : » c'est seulement la sixième tête de la bête, c'est-à-dire selon le système, le sixième gouvernement de Rome, qui est celui des empereurs ; et le sens de saint Paul est que quand « cette sixième tête cessera à Rome, alors le règne antichrétien se manifestera, et formera bientôt une septième tête, qui sera celle des Papes (1). »

        C'est ainsi que le ministre se tire d'affaire dans l'Accomplissement des prophéties. Mais pourquoi donc change-t-il encore dans sa lettre XII, en disant que le règne antichrétien et papistique ne devait paraître que « quand l'Empire romain temporel serait anéanti? » Y a-t-il rien de plus détruit que ce qui est entièrement réduit au néant? Comment donc le ministre peut-il soutenir que l'Empire « romain temporel » est mis au néant, puisqu'il doit subsister jusqu'au prétendu règne de Jésus-Christ qui est encore à venir ? C'est apparemment que Daniel aura vu un autre Empire romain que le temporel : il aura prédit que cet Empire se spiritualiserait à la fin dans les Papes : mais dans quel endroit de sa prophétie a-t-il découvert ce nouveau mystère, et a-t-il montré autre chose dans ses quatre bêtes que des Empires purement temporels ? Qu'on est à plaindre de n'aimer pas mieux garder le silence que d'interpréter les prophètes avec des illusions semblables?

 

LXXXIII. — Pitoyables extrémités où s'engagent les protestants. Conclusion de ce discours.

 

Pour achever de les découvrir, je n'ai plus qu'une vérité à

 

1 Accomp., p. 92.

 

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répéter, c'est qu'il n'y a nul rapport entre les deux bêtes de saint Jean et le méchant de saint Paul : la première, parce que le méchant de saint Paul ne fait adorer que lui-même, tout au contraire de la seconde bête de saint Jean, comme on a vu ; la seconde , parce que le méchant de saint Paul doit venir à la fin des siècles, et les deux bêtes mille ans auparavant; la troisième, qu'au temps de Gog et Magog, où se fera la dernière persécution, il n'est parlé en effet de la bête et du faux prophète que comme de gens déjà plongés dans l'étang de feu (1) ; ce qui achève de démontrer qu'ils appartenaient à une autre persécution, et non pas à la dernière.

Que si ce n'est pas la dernière, ce n'est pas celle de l'Antéchrist : premièrement, parce que l'Antéchrist, qui par son nom même est le plus grand ennemi de Jésus-Christ, est celui que Satan réserve pour faire son dernier effort à la fin du monde, lorsqu'il sera déchaîné; et secondement, que c'est aussi celui que Jésus-Christ se réserve pour le détruire par lui-même, et en faire le plus éclatant comme le dernier exemple de sa justice, ainsi que l'ont entendu tous les anciens, tous les modernes catholiques, et même jusqu'à nos jours tous les protestants.

De là il s'ensuit clairement que la bête de l’Apocalypse n'est pas l'Antéchrist, et que toutes les applications qu'on en fait au Pape sur la présupposition qu'il est l'Antéchrist portent à faux.

Que si l'on dit que sa cause n'en est pas meilleure, puisque toujours il serait la bête qui ne vaut pas mieux : outre que nous avons exclu d'une si sainte puissance tous les caractères de la bête, ses blasphèmes, ses prostitutions, ses idolâtries, son nom même, sa courte durée, son prophète avec ses prodiges, ses têtes, ses cornes et tout le reste de son attirail : sans rentrer dans cette dispute, nous aurons déjà pour avoué que le rapport qu'on nous vante entre saint Paul et saint Jean sera devenu insoutenable ; de sorte que l'un des deux apôtres sera incontestablement mal allégué. Quand les protestants auront choisi l'endroit par où ils veulent commencer à reconnaître leur erreur, nous aviserons à l'autre.

 

1 Sup., explic. du chap. XX, 7, 9, et à la fin; Avert., n. 51, 55.

 

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Et si, pour concilier de nouveau saint Paul et saint Jean, ils soutiennent que l'Antéchrist et le méchant de saint Paul n'est pas le dernier persécuteur, en disant avec M. Jurieu que le jour de l'éclatante apparition de Jésus-Christ n'est pas aussi le dernier jour que les Thessaloniciens craignaient si fort, contre la suite du texte et la doctrine constante, non-seulement de tous les saints Pères, mais encore de presque tous les protestants : les voilà avec ce ministre réduits à reconnaître deux apparitions éclatantes de Jésus-Christ; l'une, pour commencer les mille ans, et l'autre pour le dernier jugement, sans qu'il y ait de salut pour leur interprétation autre part que dans l'opinion des millénaires, avec toutes les absurdités que nous y avons remarquées.

Il ne nous reste donc plus, après une Apocalypse si défigurée, un saint Paul si mal entendu et tant de contes si mal digérés, que de prier Dieu pour nos frères qui s'y sont laissé tromper, et enfin de leur faire craindre que de toutes les prophéties dont on leur promet l'accomplissement en nos jours, il n'y en ait qu'une seule qui s'accomplisse malheureusement pour eux; je veux dire la fin de celle de la seconde aux Thessaloniciens : « Parce qu'ils n'ont pas voulu ouvrir leurs cœurs à la vérité qui les aurait sauvés, Dieu leur enverra un esprit d'erreur; en sorte que ne croyant pas à la vérité et consentant à l'iniquité, ils soient justement condamnés (1) ? »

Au reste, « nous espérons de meilleures choses, encore que nous parlions ainsi (2) : » et loin de croire que Dieu déploie sa juste vengeance pour punir les irrévérences de nos frères envers le Pape, envers l'Eglise catholique et envers les saints qui en ont été la lumière, nous osons bien nous promettre de son immense miséricorde, non-seulement qu'il amollira les cœurs endurcis, mais encore que l'excès de l'égarement sera un moyen pour en revenir.

 

1 II Thess., II, 11, 12. — 2 Heb., VI, 9.

 

 

FIN DE  L'AVERTISSEMENT  AUX  PROTESTANTS  SUR  L'APOCALYPSE.

 

 

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