Défense II - Livre VIII
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LIVRE VIII.

 

MÉTHODE  POUR  ÉTABLIR L’UNIFORMlTÉ DANS TOUS  LES PÈRES,   ET  PREUVE QUE SAINT  AUGUSTIN  N’A  RIEN   DIT  DE SINGULIER SUR LE  PÉCHÉ  ORIGINEL.

 

LIVRE VIII.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE  VII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

CHAPITRE XXIII.

CHAPITRE XXIV.

CHAPITRE XXV.

CHAPITRE XXVI.

CHAPITRE XXVII.

CHAPITRE XXVIII.

CHAPITRE XXIX.

CHAPITRE XXX.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Par l'état de la question on voit d'abord qu'il n'est pas possible que les anciens et les modernes, les Grecs et les Latins soient contraires dans la croyance du péché originel : méthode infaillible tirée de saint Augustin pour procéder à cet examen, et ci celui de toute la matière de la grâce.

 

Pour savoir donc si les Grecs, entre autres saint Chrysostome, peuvent ici être contraires aux Latins, et les anciens aux modernes, la première chose qu'il faut établir est la nature de la question. Si c'est une question indifférente, ils peuvent être contraires; mais d'abord bien certainement ce n'en est pas une. Il s'agit du fondement du baptême. On le donnait aux enfants comme aux autres en rémission des péchés : on les exorcisait en les présentant à ce sacrement, et cela dans l'Eglise grecque aussi bien que dans la latine. Les Latins le témoignent, et les Grecs en sont d'accord (1). Il s'agissait donc de savoir si en baptisant les enfants en rémission des péchés, on pouvait présupposer qu'ils n'eussent point de péché : si la forme du baptême était fausse en eux : si, lorsqu'on les exorcisait, on pouvait croire en même temps qu'ils ne naissaient pas sous la puissance du démon : en un mot, si Jésus leur était Jésus, et si la force de ce nom, qui n'est imposé au Sauveur que pour nous sauver des péchés, n'était pas pour eux. Ce n'était point là une question indifférente. C'est au contraire, dit saint Augustin, « une question sur laquelle roule la religion chrétienne, comme sur un point capital : in qua christianœ religionis summa consistit. Il s'agit du fondement de la foi : hoc ad ipsa fidei pertinet fundamenta (2). » Quiconque nous veut ôter la doctrine du péché originel, « nous veut ôter tout ce qui nous fait.

 

1 Greg. Naz., Orat. XI. — 2 Contr. Jul., lib. I, cap. VII, n. 34.

 

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croire en Jésus-Christ comme Sauveur : » totum quod in Christian credimus (1). Voilà un premier principe. Le second n'est pas moins certain. Sur de telles questions, il ne peut y avoir de diversité entre les anciens et les modernes, entre les Grecs et les Latins : autrement il n'y a plus d'unité, de vérité, de consentement dans l'Eglise. Si dans une même maison, dans l'Eglise de Jésus-Christ, il y en a « un qui bâtit et un autre qui détruit, que leur reste-t-il, qu'un vain travail? S'il y en a un qui prie et un qui maudit, duquel des deux Dieu écoutera-t-il la voix (2)? » C'est donc un fondement inébranlable, que sur la matière du péché originel, il ne peut y avoir de contestation entre les Pères anciens et nouveaux, grecs ou latins.

Cela posé, voyons maintenant dans les livres contre Julien et dans quelques autres, où saint Augustin traite la même matière, comment il procède et quelles règles il donne pour concilier les anciens Pères avec les nouveaux, et les Grecs, et entre autres saint Chrysostome avec les Latins. Ceux qui savent de quelle importance est cet examen dans toutes les matières de la religion, et en particulier dans la matière de la grâce, ne s'étonneront pas de m'y voir ici entrer un peu à fend, parce qu'il s'agit du dénouement de ce que nous avons à dire, non-seulement sur le péché originel, mais encore sur toutes les autres matières que nous aurons à traiter dans tout le reste de cet ouvrage. Il s'agit aussi de donner des principes généraux contre la fausse critique et contre toutes les nouveautés de M. Simon. L'occasion est trop favorable pour la manquer, et la chose trop importante pour ne la pas faire avec toute l'application et l'étendue nécessaire.

 

CHAPITRE II.

 

Quatre principes infaillibles de saint Augustin pour établir sa méthode : premier principe : que la tradition étant établie par des actes authentiques et universels, la discussion des passage  particuliers des saints Pères n'est pas absolument nécessaire.

 

Le premier principe de saint Augustin est, qu'il n'est pas même absolument nécessaire d'entrer en particulier dans la discussion

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. VI, n. 22. — 2 Eccli., XXXIV, 28, 29.

 

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des sentiments de tous les Pères, lorsque la tradition est constamment établie par des actes publics, authentiques et universels, tels qu'étaient dans la matière du péché originel le baptême des petits enfants en la rémission des péchés, et les exorcismes qu'on faisait sur eux avant que de les présenter à ce sacrement, puisque cela présupposait qu'ils naissaient sous la puissance du diable, et qu'il y avait un péché à leur remettre (1). Saint Augustin a démontré dans tous les endroits que nous avons rapportés, et en beaucoup d'autres, que cette pratique de L'Eglise était suffisante pour établir le péché originel. Il attaque Julien personnellement par cet endroit. Etant fils d'un saint homme, qui depuis fut élevé à l'épiscopat, il est à croire qu'il avait reçu dès son enfance tous les sacrements ordinaires. Dans cette présupposition saint Augustin lui dit : « Vous avez été baptisé étant enfant, vous avez été exorcisé, on a chassé de vous le démon par le souffle. Mauvais enfant! vous voulez (Mer à votre mère ce que vous en avez vous-même reçu, et les sacrements par lesquels elle vous a enfanté (2). » Par là donc la tradition de l'Eglise demeurait constante; et on ne pou-voit s'y opposer, disait saint Augustin, non plus qu'à la conséquence qu'on en tirait pour le péché originel, sans renverser le fondement de l'Eglise. De cette sorte la tradition en était fondée sur des actes incontestables, avant même qu'on fût obligé d'entrer dans la discussion des passages particuliers; et ainsi cette discussion n'était pas absolument nécessaire.

 

CHAPITRE III.

 

Second principe de saint Augustin : le témoignage de l'Eglise d'Occident suffit pour établir la saine doctrine.

 

Le second principe de saint Augustin : quand par abondance de droit on voudra entrer dans cette discussion particulière, il y a de quoi se contenter du témoignage de l'Eglise d'Occident. Car sans encore présupposer dans cette Eglise aucune prérogative qui la rende plus croyable, c'est assez à saint Augustin qu'il fût

 

1 Deprœd. SS., cap. XIV. n. 27 ; lib. VI Contr. Jul., cap. V, n. 11 et alibi pass. — 2 Contr. Jul., lib. 1, cap. IV, n. 14.

 

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certain « que les Orientaux étaient chrétiens, qu'il n'y eût qu'une foi dans toute la terre , et que cette foi était la foi chrétienne (1) ; » d'où ce Père concluait « que cette partie du monde devait suffire à Julien » pour le convaincre (2) : non qu'il fallût mépriser les Grecs, mais parce qu'on ne pouvait présupposer qu'ils eussent une autre foi que les Latins, sans détruire l'Eglise en la divisant.

Cependant saint Augustin insinuait le manifeste avantage de l'Eglise latine. Pélage même avait loué la foi romaine qu'il reconnaissait et louait, principalement dans saint Ambroise, in cujus prœcipue libris romana elucet fides (3). Le même Pélage avait promis, dans sa profession de foi, de se soumettre à saint Innocent qui gardait la foi, comme il occupait le Siège de saint Pierre: Qui Petri fidem et Sedem tenet (4). Célestius et Julien même s'étaient soumis à ce Siège. Saint Augustin avait donc raison de lui en recommander la dignité en cette sorte : « Je crois que cette partie du monde vous doit suffire, où Dieu a voulu couronner d'un glorieux martyre le premier de ses apôtres (5). » C'était l'honneur de l'Occident d'avoir à sa tête et dans son enceinte, ce premier Siège du monde. Saint Augustin ne manquait pas de faire valoir en cette occasion cette primauté, lorsque citant après tous les Pères le pape saint Innocent, il remarquait « que s'il était le dernier en âge, il était le premier par sa place, » posterior tempore, prior loco (6). Le premier, par conséquent, en autorité. C'est pourquoi dans la suite, récapitulant ce qu'il avait dit, il le met à la tête de tous les Pères qu'il avait cités ; à la tête, dis-je, de saint Cyprien, de saint Dasile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Hilaire et de saint Ambroise, sans nommer les autres qui étaient compris dans ceux-ci (7). Il tirait donc de tout cela une raison particulière pour obliger Julien à se contenter de l'Occident ; et pour montrer qu'il n'y avait plus à consulter l’Orient, il concluait en cette sorte : « Qu'est- ce que ce saint homme (le pape Innocent) eût pu répondre aux conciles d'Afrique, si ce n'est ce que le Saint-Siège apostolique et l'Eglise romaine tiennent de tout temps avec toutes

 

1 Contr. Jul.. lib. I, cap. IV, n. 14. — 2 Ibid., n. 13. — 3 Ibid., cap. VII, n. 30. — 4 Garn., diss, V, p. 309. — 5 Contr. Jul., lib. I , cap. IV, n. 13. — 6 Ibid. — 7 Ibid., cap. VI, n. 22.

 

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les autres (1)?» C'est donc le second principe de saint Augustin, que l'autorité de l'Occident était plus que suffisante pour autoriser un dogme de foi.

 

CHAPITRE IV.

 

Troisième principe : un ou deux Pères célèbres de l'Eglise d'Orient suffisent pour en faire voir la tradition.

 

Le troisième, pour en venir aux Orientaux que saint Augustin n'estimoit pas moins que les Latins, c'est que pour en savoir les sentiments, il n'était pas nécessaire de citer beaucoup d'auteurs. Il se contente d'abord de saint Grégoire de Nazianze, « dont les discours, dit-il, célèbres de tous côtés par la grande grâce qu'on y ressent, ont été traduits en latin ; » et un peu après : « Croyez-vous, dit-il, que l'autorité des évoques orientaux soit petite dans ce seul docteur ? Mais c'est un si grand personnage, qu'il n'aurait point parlé comme il a fait (dans les passages qu'il en avait produits pour le péché originel), s'il n'eût tiré ce qu'il disait des principes communs de la foi que tout le monde connaissait, et qu'on n'aurait pas eu pour lui l'estime et la vénération qu'on lui a rendue, si l'on n'avait reconnu qu'il n'avait rien dit qui ne vînt de la règle même de la vérité, que personne ne pouvait ignorer (2). » Voilà comment, loin de diviser les auteurs ecclésiastiques, saint Augustin faisait voir que ne pouvant pas être contraires dans une même Eglise et dans une même foi, un seul docteur, éminent par sa réputation et par sa doctrine, suffisait pour faire paraître le sentiment de tous les autres.

Néanmoins par abondance de droit il y joint encore saint Basile, et après il conclut ainsi : « En voulez-vous davantage? N'êtes-vous pas encore content de voir paraître du côté de l'Orient deux hommes si illustres et d'une sainteté si reconnue (2)? » Et il fait sentir clairement que ce serait être déraisonnable que d'en exiger davantage.

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. IV, n. 13.— 2 Ibid., cap. V, n. 15, 16. — 3 Ibid., n. 19.

 

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CHAPITRE V.

 

Quatrième et dernier principe : le sentiment unanime de l'Eglise présente suffit pour ne point douter de l'Eglise ancienne ; application de ce principe à la foi du péché originel : réflexion de saint Augustin sur le concile de Diospolis en Palestine.

 

Il résout par la même règle et avec la même méthode l'objection qu'on lui faisait sur saint Chrysostome, et il conclut que ce Père ne peut pas avoir pensé autrement que tous les autres docteurs ; mais avant que d'en venir à cette application, il faut produire le quatrième principe de la méthode de saint Augustin.

Pour juger donc des sentiments de l'antiquité, le quatrième et dernier principe de ce saint est, que le sentiment unanime de toute l'Eglise présente en est la preuve ; en sorte que connaissant ce qu'on croit dans le temps présent, on ne peut pas penser qu'on ait pu croire autrement dans les siècles passés. C'est pourquoi saint Augustin, après avoir fait à Julien la demande qu'on vient de voir sur saint Grégoire de Nazianze et saint Basile : « En voulez-vous davantage, dit-il? Ne vous suffisent-ils pas? » il ajoute: « Mais dites qu'ils ne suffisent pas ; » poussez votre témérité jusque-là, « nous avons quatorze évoques d'Orient, Euloge, Jean, Ammonien (1) » et les autres, dont le concile de Diospolis en Palestine avait été composé, qui auraient tous condamné Pélage s'il n'avait désavoué sa doctrine, qui par conséquent l'avaient condamné et tenaient la foi de tout le reste de l'Eglise, et qui servaient de témoins, non-seulement de la foi de l'Orient, mais encore de celle de tous les siècles passés.

Il était bien aisé de tirer cette dernière conséquence, en remarquant avec le même saint Augustin « que si toute la multitude des saints docteurs, répandus par toute la terre, convenaient de ce fondement très-ancien et très-immuable de la foi, » on ne pouvait croire autre chose « dans une si grande cause, in tam magnâ causâ, où il y va de toute la foi, ubi christianœ religionis summa consistit, sinon qu'ils avaient conservé ce qu'ils avaient trouvé qu'ils avaient enseigné ce qu'ils avaient appris, qu'ils avaient

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. V, n. 19.

 

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laissé à leurs enfants ce qu'ils avaient reçu de leurs pères : quod invenerunt in Ecclesiâ,tenuerunt; quod didicerunt, docuerunt; quod à patribus acceperunt, hoc filiis tradiderunt (1). »

Telle est la méthode de saint Augustin : tels sont les principes sur lesquels il l'appuie, recueillis à la vérité de plusieurs endroits du livre contre Julien, mais si suivis qu'on voit bien qu'ils partent du même esprit.

 

CHAPITRE VI.

 

Cette méthode de saint Augustin est précisément la même que Vincent du Lérins étendit ensuite davantage.

 

C'est cette même méthode qui, depuis, a été plus étendue par le docte Vincent de Lérins. Tout homme judicieux conviendra qu'elle est prise principalement de saint Augustin, contre lequel pourtant on veut dire qu'il l'ait inventée. Quoi qu'il en soit, elle est fondée manifestement sur les principes de ce Père, qu'on vient de voir; et c'est pourquoi à l'exemple de ce saint docteur, quand il s'agit de prouver que la multitude des Pères est favorable à un dogme, Vincent de Lérins ne croit pas qu'il soit nécessaire de remuer toutes les bibliothèques pour examiner en particulier tous les ouvrages des Pères. Il le prouve par l'exemple du concile d'Ephèse, où, pour établir l'antiquité et l'universalité du dogme qu'on y avait défini, on se contenta du témoignage de dix auteurs : « Non, dit Vincent de Lérins, qu'on ne put produire un nombre beaucoup plus grand des anciens Pères ; mais cela n'était pas nécessaire, parce que personne ne doutait que ces dix n'eussent eu le même sentiment que tous leurs autres collègues (2). »

Saint Augustin et les Pères d'Afrique, qui ont condamné Pélage, ont suivi la même méthode que toute l'Eglise embrassa un peu après pour condamner Nestorius. On se contenta du petit nombre de Pères que saint Augustin produisait : on crut entendre tous les autres dans ceux-là : l'unanimité de l'Eglise conduite par un même esprit et une même tradition, ne permit pas d'en douter. S'il y en avait quelques autres qui semblassent penser

 

1 Contr. Jul., cap. VII, n. 32, 31.— 2 II Comm., p. 367.

 

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différemment, on croyait, ou qu'ils s'étaient mal expliqués, ou en tout cas qu'il ne fallait l'as lis écouter. Ainsi sans avoir égard à ces légères difficultés et sans hésiter, on prononçait que toute l'Eglise catholique avait toujours cru la même chose qu'on définissait alors; et voilà le fruit de la méthode de saint Augustin, ou plutôt de celle de toute l'Eglise, si solidement expliquée par la bouche de ce docte Père.

 

CHAPITRE VII.

 

Application de cette méthode à saint Chrysostome et aux Grecs, non-seulement sur la matière du péché originel, mais encore sur toute celle de la grâce.

 

Appliquons maintenant celte méthode à saint Chrysostome et aux Grecs, que l'on prétend différents d'avec les Latins dans la matière de la grâce, et même en ce qui regarde le péché originel. Les règles de saint Augustin, dérivées des principes qu'on a vus, ont été qu'il n'est pas possible que saint Chrysostome crût autrement que les autres, dont il venait de montrer le consentement (1) : que la matière dont il s'agissait, c'est-à-dire, en cette occasion, celle du péché originel (et dans la suite on en dira autant des autres) n'était pas de celles sur lesquelles les sentiments se partagent, mais « un fondement de la religion sur lequel la foi chrétienne et l'Eglise catholique n'avait jamais varié (2). » Que s'il eût pu se faire que saint Chrysostome eût pensé autrement que tous les évêques ses collègues, avec tout le respect qu'on lui devait, il ne faudrait pas l'en croire seul ; mais aussi que si cela eût été, « il n'eût pas pu conserver tant d'autorité dans l'Eglise (3). » Comme donc son autorité était entière, il fallait par nécessité que ses sentiments fussent catholiques. Ce sont les règles de saint Augustin les plus équitables el les plus sûres qu'on pût suivre. Sur cela il entre en preuve, et il entreprend de montrer dans ce saint évêque la même doctrine qu'il a montrée dans les autres : en sorte que si quelquefois il ne parle pas clairement, c'est à cause qu'il n'est pas possible d'être toujours sur ses gardes, lorsqu'on n'est pas attaqué et que d'ailleurs on croit parler à des gens instruits.

 

1 Lib. I Contr. Jul., cap. VI, n. 22. — 2 Ibid., n. 22, 28.— 3 Ibid., n. 23.

 

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CHAPITRE  VII.

 

Que cette méthode de saint Augustin est infaillible , et qu'il n'est pas possible que l'Orient crut autre chose que l'Occident sur le péché originel.

 

Telle est la méthode de saint Augustin, dans laquelle d'abord il est évident qu'il n'est pas possible qu'il se trompe. En effet si l'Orient eut été contraire à l'Occident sur l'article du péché originel, d'où vient que Pélage et Célestius y déguisaient leurs sentiments avec tant d'artifice, pendant que l'Occident les condamnait? Si tout l'Orient était pour eux, que n'y parlaient-ils franchement et à pleine bouche? Mais au contraire ce fut à Diospolis, dans le concile de la Palestine, qu'ils furent poussés, pour éviter leur condamnation, jusqu'à anathématiser ceux qui disaient « que les enfants morts sans baptême pouvaient avoir la vie éternelle (1) ; » par où ils s'ôtaient à eux-mêmes le dernier refuge qu'ils réservaient à leur erreur. Tout le monde sait que lorsqu'on leur demandait si les enfants non baptisés pouvaient entrer dans le royaume des cieux, ils n'osaient le dire, à cause que Notre-Seigneur avait prononcé précisément le contraire par ces paroles : « Si vous ne renaissez de l'eau et du Saint-Esprit, vous n'entrerez pas dans le royaume du ciel. » Leur unique ressource était que si les enfants n'entraient pas dans le royaume des cieux, ils auraient du moins la vie éternelle. Mais les Pères de Palestine leur ôtent par avance cette défaite, en leur faisant avouer « qu'il n'y a point de vie éternelle sans baptême; et cela, dit saint Augustin, qu'est-ce autre chose que d'être dans l'éternelle mort (2), » ainsi qu'on a vu que Bellarmin l'enseigne après ce Père, comme un article de foi (3)? Si l'Orient était pour Pélage, pourquoi les Pères de Palestine le poussent-ils à un désaveu si exprès de son erreur? et pourquoi est-il obligé de se condamner lui-même pour éviter leur anathème?

Poussons encore. Si l'Orient était pour eux et qu'une aussi grande autorité que celle de saint Chrysostome eût disposé les

 

1 De gest. Pelag., cap. XXXIII, n. 57; De pecc. orig., cap. XI, XII; Epist. CVI ad Paulin, —  2 Ibid. — 3 De amiss. grat. et stat.pecc., lib. VI, cap. II.

 

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esprits en leur faveur, d'où vient que la lettre de saint Zozime, où leur hérésie était condamnée, fut reçue sans difficulté et également souscrite en Orient et en Occident? D'où vient que les canons du concile de Cartilage, où le péché originel était expliqué de la même manière que nous faisons encore, furent d'abord reçus en Orient? Le patriarche Photius en est le témoin, puisque ces canons sont compris dans les Actes des Occidentaux, dont il fait mention dans sa Bibliothèque. Chacun sait qu'il y loue aussi dans le même endroit « Aurélius de Carthage et saint Augustin, sans oublier le décret de saint Célestin contre ceux qui reprenaient ce saint homme (1); » ce qui nous prouve trois choses : la première, que dès le temps de Pélage la doctrine de l'Orient était conforme à celle de l'Occident; la seconde, qui est une suite de la première, que les idées de l'Orient et de l'Occident étaient les mêmes sur le péché originel, puisque l'Occident n'en avait point d'autre que celle du concile de Carthage, que l'Orient recevait; la troisième, que l'autorité de ce concile s'était conservée dans l'Eglise grecque jusqu'au temps de Photius, qui vivait quatre cents ans après; et ainsi que si quelques docteurs, et peut-être Photius lui-même, ne s'étaient pas expliqués sur cette matière aussi clairement que les Latins, dans le fond elle n'avait pas dégénéré de l'ancienne créance. Ainsi il est manifeste qu'en Orient comme en Occident on avait la même idée du péché originel, qui subsiste encore aujourd'hui dans les deux Eglises.

 

CHAPITRE IX.

 

Deux états du pélagianisme en Orient, et que dans tous les deux la doctrine du péché originel était constante et selon les mêmes idées de saint Augustin et de l'Occident.

 

En effet nous pouvons marquer deux états du pélagianisme en Orient : le premier, lorsqu'il y parut au commencement de cette hérésie; le second, lorsque poussé en Occident par tant de décrets des conciles et des papes, il se réfugia de nouveau vers l'Orient, où il avait paru d'abord. Mais ni dans l'un ni dans l'autre état, les

 

1 Cod. LIV.

 

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pélagiens ne purent jamais rien obtenir de la Grèce. Dans le premier, on vient de voir ce que fit un saint concile de Palestine, où Pélage fut obligé de rétracter son erreur. Voilà pour ce qui regarde le commencement, mais la suite ne lui fut pas plus favorable. Tout le monde sait qu'après que les papes, et tout l'Occident avec les conciles d'Afrique, se furent déclarés contre les novateurs (1), Attiras de Constantinople, Rufus de Thessalonique, Praylius de Jérusalem, Théodore d'Antioche, Cyrille d'Alexandrie et les autres évoques des grands sièges d'Orient furent les premiers à les anathématiser dans leurs conciles, et que le consentement fut si unanime, que Théodore de Mopsueste leur défenseur, n'osant résister à ce torrent, fut contraint comme les autres de condamner Julien le pélagien dans le concile d'Anazarbe, encore qu'auparavant il lui eût donné retraite et qu'il eût un véritable désir de le protéger (2).

Après cela c'est être aveugle de dire que l'Orient ait pu varier sur le péché originel. Mais ce n'est pas un moindre aveuglement de penser, comme Crotius et M. Simon l'insinuent, que l'Orient eût une autre idée de ce péché que celle de l'Occident qui est la nôtre, puisque celle de l'Orient était prise sur les conciles de Cartilage, sur les décrets de saint Innocent, de saint Zozime, de saint Célestin, qui furent portés en Orient, où on les reçut comme authentiques.

 

CHAPITRE X.

 

Que Nestorius avait d'abord reconnu le péché originel selon les idées communes de l'Occident et de l'Orient, et qu'il ne varia que par intérêt : que cette tradition venait de saint Chrysostome : que l'Eglise grecque y a persisté et y persiste encore aujourd'hui.

 

Dans la suite, il est vrai que Nestorius, patriarche de Constantinople, sembla vouloir innover et favoriser les pélagiens; mais ce ne fut que lorsqu'il eut besoin de ramasser, pour se soutenir, les évoques condamnés de toutes les sectes. Car auparavant on a ses sermons contre ces hérétiques, dans l'un desquels il disait que quiconque n'avait pas reçu le baptême « demeurait obligé à la

 

1 Comm. Mercat., cap. III. — 2 Garn., in Comm. Mercat., diss. n, p. 219.

 

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cédule d'Adam, et qu'en sortant de ce monde, le diable se mettait en possession de son âme (1). » Voilà les idées du concile de Cartilage, des papes, de saint Augustin. C'était aussi celle de saint Chrysostome, et nous verrons que cette cédule d'Adam, dont parle Nestorius, venait de ce saint comme une phrase héréditaire dans la chaire de ce Père, où Nestorius la prèchait; et on voit toujours dans l'Eglise de Constantinople la tradition du péché originel venue de Sisinnius, d'Atticus, et enfin très-expressément de saint Chrysostome. C'est pourquoi saint Célestin reproche à Nestorius, non pas de ne pas tenir le péché originel, mais de protéger ceux qui le niaient contre le sentiment de ses prédécesseurs, et entre autres « d'Atticus, qui en cela, dit saint Célestin, est vraiment successeur du bienheureux Jean (2), » qui est saint Jean Chrysostome; par conséquent ce Père était proposé comme une des sources de la tradition du péché originel, loin qu'on le soupçonnât d'y être contraire ou de l'avoir obscurcie. Je trouve encore dans la lettre du pape saint Zozime à tous les évêques contre les pélagiens, une expresse et honorable mention du même Père (3). On ne l'eût pas été chercher pour le nommer dans cette occasion, si son témoignage contre l'erreur n'eût été célèbre. Son autorité était si grande en Orient, qu'elle y eût partagé les esprits. On voit cependant que rien ne résiste ; et c'est ainsi que tout l'Orient, à l'exemple de l'Eglise de Constantinople, poursuivait les pélagiens, « sans leur laisser le loisir de poser le pied nulle part, » ut nec standi quidem illic copia praestaretur, comme dit très-bien saint Célestin (4).

On peut rapporter à ce même temps les Avertissements ou les Remontrances et les Mémoires de Mercator, présentés à Constantinople à l'empereur Théodose le Jeune, et les autres instructions du même auteur contre Célestius et Julien, toutes formées selon les idées des papeseï des conciles d'Afrique, et encore très-expressément selon celles de saint Augustin qu'il cite à toutes les pages; en sorte qu'il faut avoir peu lu L'esprit pour dire que l'Orient, ou qui que ce soit, soupçonnât ce Père d'être novateur, ou d'avoir

 

1 Serm. II Adv. Pelag., apud Mercat., inter Nest. Tract. n. 7, 10. — 2 Cœlest. Epist. ad Nest. —3 Apud Gara., in lib. Jul., p. 4, n. 7. — 4 Cœlest., Epist. ad Nest.

 

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expliqué le péché originel autrement que tout l'univers et la Grèce en particulier ne faisait alors.

Je n'ai pas besoin de rapporter le décret du concile œcuménique d'Ephèse, où deux cents évêques de tous les côtés de l'Orient condamnèrent les pélagiens ; et il ne reste qu'à remarquer que ce fut bien constamment selon les idées de tout l'Occident, puisque ce fut après avoir lu les actes envoyés par saint Célestin « sur la déposition des impies pélagiens et célestiens, de Pélage, de Célestius, de Julien et des autres (1). »

Je pourrais ici alléguer saint Jean de Damas, qui le premier a donné à l'Eglise grecque tout un corps de théologie dans un seul volume, et qui peut-être a ouvert ce pas aux Latins.

Il présuppose partout que le démon « envieux de notre bonheur dans la jouissance des choses d'en haut, a rendu l'homme (par où il entend le genre humain) superbe comme lui, et l'a précipité dans l'abîme où il était (2) ; » c'est-à-dire dans la damnation; que la rémission des péchés nous est donnée de Dieu par le baptême, que nous en avions besoin « pour avoir, » quand il nous a faits, « transgressé son commandement (3) ; » et que c'est pour nous délivrer de cette transgression « que Jésus-Christ a ouvert, dans son sacré côté, une source de rémission dans l'eau qui en est sortie (4); » que a l'homme ayant transgressé le commandement, » le Fils de Dieu, en prenant notre nature, « nous a rendu l'image de Dieu que nous n'avions pas gardée, afin de nous purifier : » que de même que par notre première naissance « nous avons été faits semblables à Adam, de qui nous avons hérité la malédiction et la mort; ainsi par la seconde nous sommes faits semblables à Jésus-Christ; » ce qui présuppose d'un côté le péché, comme la justice de l'autre : « qu'en recevant la suggestion du démon, et transgressant le commandement, nous nous sommes nous-mêmes livrés au péché (5) ; » d'où aussi nous est venue la concupiscence et la loi contraire à l'esprit : que le baptême est une nouvelle circoncision « qui retranche en nous le péché (6). » On trouvera tout cela, et d'autres choses semblables dans ce docte Père, qui présupposent

 

1 Epist. ad Cœlest. — 2 Lib. II, cap. XXX. — 3 Lib. III, cap.  IV. — 4 Ibid., cap. XIV. — 5 Lib. IV, cap. XXIII. — 6 Ibid., cap. XXVI.

 

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dans le genre humain non-seulement les effets de la transgression, mais encore la transgression même d'Adam, et font en lui de tout le genre humain un seul pécheur.

Enfin il faut dire encore que tout l'Orient persiste dans cette foi, puisque ni dans le concile de Lyon, ni dans celui de Florence, il ne paraît aucune ombre de contestation entre les Grecs et les Latins sur le fond ou sur la notion du péché originel; au contraire on y définit, du commun accord des deux Eglises, que les enfants qui mouraient avec le seul péché originel, aussi bien que les adultes qui mouraient en péché mortel, allaient en enfer. Ceux des Grecs qui ont depuis rompu l'union, n'ont pas seulement songé à contester cet article. La même idée se trouve toujours dans les Actes de cette Eglise, et en dernier lieu dans les déclarations du patriarche Jérémie adressées aux luthériens, et dans sa première réponse, confirmée par toutes les autres; ce qui sert encore à faire voir le sentiment de saint Chrysostome, puisque M. Simon demeure d'accord que tout l'Orient en suit les idées et qu'il est le saint Augustin de l'Eglise grecque.

 

CHAPITRE XI.

 

Conclusion : qu'il est impossible que les Grecs et les Latins ne soient pas d'accord : application à saint Chrysostome : que le sentiment que Grotius et M. Simon lui attribuent sur la mort, induit dans les enfants mêmes un véritable péché, qui ne peut être que l'originel.

 

Par cette excellente méthode, qui est fondée sur les principes de saint Augustin, on voit que la dispute que M. Simon veut introduire entre les anciens et les modernes, entre les Grecs et les Latins, non-seulement est imaginaire, mais encore entièrement impossible; et ce qui montre que le moyen dont nous nous servons après ce Père pour concilier toutes choses est sur et infaillible, c'est qu'en effet on trouvera en entrant dans le détail des passages, à l'exemple de saint Augustin, que ce Père et tous les Latins ne tiennent pas dans le fond un autre langage que les Grecs; et il ne faut point s'imaginer que cette discussion soit difficile. Car pour abréger la preuve, il faut d'abord supposer un

 

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fait constant : c'est que tous les Pères unanimement, sans en excepter saint Chrysostome, ont attribué la mort et les autres misères corporelles du genre humain à la punition du péché d'Adam. Grotius et M. Simon en sont d'accord, comme on l'a vu. Toute leur finesse consiste à distinguer le péché originel de l'assujettissement à la mort et à la misère, et il ne nous reste plus qu'à faire voir que cette distinction est entièrement chimérique.

 

CHAPITRE XII.

 

Que saint Augustin a raison de supposer comme incontestable que la mort est la peine du péché : principe de ce saint, que la peine ne peut passer à ceux à qui le péché ne passe pas : que le concile d'Orange a présupposé ce principe comme indubitable.

 

La preuve en est toute faite par saint Augustin, qui a démontré en cent endroits que la peine du péché d'Adam n'a pu passer dans ses descendants qu'avec sa coulpe, et qu'on a raison de supposer que les Pères nous ont montré l'homme comme pécheur partout où ils l'ont montré comme puni.

Il ne s'agit pas ici de disputer si Dieu pouvait absolument créer l'homme mortel. Indépendamment de ces questions abstraites et en regardant seulement les choses comme elles sont établies dans l'Ecriture, il est certain que la mort y est marquée comme la peine précise de la désobéissance d'Adam. Le texte de la Genèse y est exprès : saint Paul ne le pouvait pas confirmer plus expressément , ni parler en termes plus clairs, que lorsqu'il a dit : « La mort est la solde, le paiement, la peine du péché (1). » Je n'ai pas besoin de rapporter les preuves par lesquelles saint Augustin le démontre contre les anciens pélagiens (2), tant à cause de l'évidence de la chose qu'à cause aussi qu'aujourd'hui tout le monde, ou du moins Grotius et M. Simon contre qui nous disputons, en sont d'accord. Leur erreur est d'avoir cru que sous un Dieu juste la peine, la peine, dis-je, et le supplice formellement et spécialement ordonné par sa souveraine justice, pût se trouver où le péché ne se trouve pas. Or cette erreur est si contraire aux premières

 

1 Rom., V, 12, 17; VI, 23. — 2 Oper. Imper.

 

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notions que nous avons de la justice de Dieu, que le concile d'Orange, dont nous avons déjà rapporté la décision (1), déclare que faire « passer la mort, qui est la peine du péché, sans le pèche même, c'est attribuer à Dieu une injustice et contredire l'Apôtre qui dit que le péché est entré dans le monde par un seul homme, et que par le péché, la mort qui en est la peine a passé à tous par celui en qui tous ont péché (2). »

 

CHAPITRE XIII.

 

La seule difficulté contre ce principe, tirée des passages où il est porté que Dieu  venge l'iniquité des pères sur  les enfants : résolution  de cette difficulté.

 

Mais pour pousser cette preuve de saint Augustin et du concile d'Orange à la dernière évidence, il faut observer que la seule difficulté qu'on oppose à la conséquence que ce concile et ce Père tirent de la peine à la coulpe, et de la mort au péché, est fondée sur les passages où il est porté que les enfants sont punis de mort pour les péchés de leurs pères. Cette vérité est incontestable : saint Augustin l'a prouvée lui-même par plusieurs exemples (3), et par ces paroles de l'Exode : « Je venge l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération (4); » et à cause que dans ces endroits on voit passer aux enfants la peine des pères sans que de là on conclue que leurs péchés y passent aussi, on en prend occasion d'affaiblir la preuve du péché originel, que le même saint Augustin tire de la mort.

Cependant comme cette preuve n'est pas seulement de saint Augustin, mais encore, comme on vient de voir, de toute l'Eglise dans le concile d'Orange, les docteurs ont bien reconnu qu'elle était incontestable et qu'il la fallait défendre contre tous les contre-disants, comme aussi le cardinal Bellarmin l'a fait doctement en peu de mots . Mais un principe de saint Augustin portera notre vue plus loin, et nous fera dire qu'à remonter à la source, ce ne

 

1 Ci-dessus, liv. VII, chap. XXII. — 2 Conc. Araus. II, can. II.— 3 Oper. imper., lib. III, cap. XLIII. — 4 Exod., XX, 5; Deut., V, 9. — 5 Cap. VII De amiss. grat. et stat. pecc., lib. IV, quarta ratio.

 

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sont point précisément les péchés des pères immédiats qui font souffrir les enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération. Selon la doctrine de Moïse, ces justices particulières que Dieu exerce sur eux pour les péchés de leurs pères, sont fondées sur celle qu'il exerce en général sur tout le genre humain comme coupable en Adam, et dès là digne de mort. C'est par là que tous les hommes étant originairement pécheurs, sont aussi condamnés à mort pour ce péché, qui est devenu celui de toute la nature. La mort qui vient ensuite aux particuliers, diversifiée en tant de manières, plus tôt aux uns, plus tard aux autres, à l'occasion de leurs propres péchés ou des péchés de leurs derniers pères, dont ils sont les imitateurs, est toujours juste à cause du péché du premier père, en qui ayant tous péché, tous aussi devaient mourir. Ainsi, dit saint Augustin (1), Chanaan et ses enfants sont maudits à cause de Cham leur père, qui étant maudit lui-même, non-seulement pour ses péchés particuliers, mais encore originairement avec tout le reste des hommes pour le péché commun du genre humain, il paraît qu'il faut remonter jusqu'à Adam pour justifier dans la mort de tous les hommes le juste supplice de leurs péchés, parce qu'aussi c'est ici la source du mal, où selon les règles de justice que Dieu a révélées dans son Ecriture la mort, qui était marquée comme la peine spéciale du péché, ne devait tomber que sur les coupables : d'où il s'ensuit aussi clairement qu'on le puisse dire, que les enfants ne mourraient pas s'ils n'étaient pécheurs.

 

CHAPITRE XIV.

 

Règle de la justice divine révélée dans le livre de la Sagesse, que Dieu ne punit que les coupables : doctrine excellente de saint Augustin, que Jésus-Christ est le seul qui ait été puni étant innocent, et que c'est là sa prérogative incommunicable.

 

C'est ainsi que se justifie dans tous les hommes cette règle de la justice divine si clairement révélée par le Saint-Esprit dans ces paroles de la Sagesse : « Parce que vous êtes justes, vous disposez

 

1 Oper imper., lib. III, cap. XI; lib. IV, cap. CXXVI, CXXVIII, CXXX, CXXXIII ; lib. VI, cap. XXII, etc.

 

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toutes les choses justement, et vous croyez indigne de votre puissance de condamner ceux qui ne doivent point être punis; car, ajoute-t-il, votre puissance est la source de toute justice; et parce que vous êtes le Seigneur de tous, vous pardonnez à tous (1). » Comme s'il disait : Vous êtes bien éloigné de punir un innocent, vous qui êtes toujours prêt à pardonner aux coupables. Nous voyons donc dans cette règle de la justice divine manifestement révélée, que Dieu ne punit pas les innocents ; et afin que rien ne nous manque, l'application n'en est pas moins expressément révélée par saint Paul, lorsqu'après avoir établi que la mort n'est venue qu'en punition du péché, il présuppose que tous ceux qui meurent, et par conséquent les enfants « ont péché. » Ils n'ont point péché en eux-mêmes, ils ont donc péché en celui en qui ils sont tous comme dans la source de leur être, in quo omnes peccaverunt. C'est pourquoi leur mort est juste, parce que leur péché est véritable, et cette loi demeure ferme, que nul n'est puni de mort s'il n'est pécheur.

L'exemple de Jésus-Christ confirme cette vérité. «Il n'y a, dit saint Augustin, qu'un seul innocent que Dieu ait puni de mort; c'est le Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme Jésus-Christ (2). » Mais afin de rendre son supplice juste, il a fallu qu'il se soit mis à la place des pécheurs. Il a souffert en leurs personnes, il a pris sur lui tous leurs péchés; c'est ainsi qu'il a pu être puni, quoique juste. « C'est là, dit saint Augustin, sa prérogative particulière, » singularem Mediatoris prœrogativam (3) : c'est ce qu'il y a en lui de singulier, qui ne peut convenir à aucun autre : c'est ce qui le fait notre Rédempteur. Il a expié tous les péchés, à cause qu'il en a subi le châtiment sans en avoir le démérite; et en tout autre que lui, selon les règles invariables de la justice divine, afin que la peine suive, il faut que le péché ait précédé.

 

1 Sap., XII, 15, 16. — 2 Lib. IV ad Bonif., cap. IV; n. 6. — 3 Ibid.

 

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CHAPITRE XV.

 

Les pélagiens ont reconnu que la peine ne marche point sans la coulpe : cette vérité qu'ils n'ont pu nier les a jetés dans des embarras inexplicables : absurdités de Pélage et celles de Julien, excellemment réfutées par saint Augustin : pourquoi on s'attache à la mort plus qu'à toutes les autres peines pour démontrer le péché originel.

 

Et ce qui met cette vérité au-dessus de tout doute, c'est que tout le monde en a été tellement frappé, que Pélage et tous ses maîtres, comme Théodore de Mopsueste et Rafla le Syrien avec ses disciples Célestius et les autres, posaient d'abord pour principe que la mort était naturelle et non pénale ; en sorte qu'Adam fût mort, soit qu'il eût péché, ou nonl : ce qui était à des chrétiens la dernière absurdité, après cette sentence de la Genèse : « En quelque jour que tu mangeras de ce fruit, tu mourras; » et cette interprétation de saint Paul: « La mort est la peine du péché. » Encore donc que la chose du monde la plus évidente, par ces passages et cent autres, fût que la mort était la peine du péché, les pélagiens furent contraints de nier cette vérité et de donner la torture à tous ces passages, parce qu'ils ne voyaient sans cela aucun moyen d'éviter le péché originel (2) : personne ne soupçonnant que si la mort eût été un supplice, elle pût être encourue par des enfants qu'on présupposait innocents.

Et cette vérité les pressait si fort, que Julien n'en pouvant plus, fut enfin obligé de dire cette absurdité, « que les enfants sont malheureux » par la mort et toutes ses suites, « non à cause qu'ils sont coupables, mais afin qu'ils soient avertis par cette misère de n'imiter point le péché du premier homme (3). » C'était une étrange maxime de commencer par affliger des innocents, de peur qu'ils ne devinssent coupables. Ainsi, dit saint Augustin, Dieu ne de-voit pas attendre qu'Eve eût péché pour la soumettre aux douleurs de l'enfantement, ni qu'Adam eût désobéi pour l'assujettir à tant de misères. « Il devait commencer par punir Eve en l'affligeant

 

1 Comm. in Rom., apud Phot., cod. LXXVII; Symb. Theod., apud Mercat., cap. IV, V, VI ; Garn., diss. IV, lib. Ruf. Syr., apud Mercat. — 2 Loc. citat., Garn., diss. V. — 3 Oper. imper., lib. VI, cap. XXVII.

 

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géant de tant de maux, afin que ses malheurs l'avertissent de ne point écouter le serpent : il devait aussi commencer par punir Adam en le rendant malheureux», de peur qu'il ne consentit au désir de sa femme : la peine devait prévenir et non pas suivre le [léché, afin que contre tout ordre l'homme étant châtié, non point à cause qu'il avait péché, mais de peur qu'il ne péchât, ce ne fût pas le péché, mais l'innocence que l'on punît (1).

Julien aimait mieux tomber dans des absurdités si visibles, que d'avouer que la mort pût être un supplice dans les enfants; et contre toute raison il la prit plutôt pour un avertissement que pour une peine, tant il était frappé de cette vérité, que la peine ne pouvait pas convenir avec l'innocence. Il ne faut donc pas s'étonner que les anciens, et entre autres saint Chrysostome, aient si souvent expliqué le péché originel par la mort du corps, qui en était le supplice; ni que saint Augustin ait soutenu qu'il n'y en a point qui n'aient cru très-certainement les enfants pécheurs, dès qu'il est certain et avoué qu'il n'y en a point qui ne les ait crus punis de mort.

Si l'on demande maintenant pourquoi, afin d'expliquer le péché originel, on s'attache tant à la mort et aux autres peines qui ne regardent que le corps, la raison en est bien claire : c'est que ce sont celles-là qui frappent les sens; ce sont celles-là qu'on trouve le plus marquées dans l'Ecriture, et celles d'ailleurs qui sont la ligure de toutes les autres ; et sans entrer plus avant dans cette considération, il nous suffit à présent d'avoir démontré que M. Simon a vainement distingué après Grotius, dans le péché originel, la peine d'avec la coulpe, puisqu'au contraire selon les règles de la justice divine il fallait montrer la coulpe dans la peine.

 

CHAPITRE XVI.

 

Témoignages de la tradition de l'Eglise d'Occident a rapportés par saint Augustin, et combien la preuve en est constante.

 

Pour maintenant confondre, non-seulement par conséquences infaillibles, mais encore par témoignages exprès les critiques qui

 

1 Oper. imper., lib. VI, cap, XXVII.

 

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attribuent à saint Augustin des sentiments particuliers sur le péché originel, il ne faut qu'entendre saint Augustin même et lire les passages qu'il produit des anciens docteurs. On verra que rien ne manque à sa preuve. Comme il s'agissait d'abord de l'Occident, ainsi qu'il a été remarqué, il produit les témoins les plus illustres de toutes les Eglises occidentales (1). On voit paraître pour l'Eglise gallicane saint Irénée de Lyon, Réticius d'Autun, saint Hilaire de Poitiers; pour l'Afrique, saint Cyprien ; pour l'Espagne, Olympius, « homme, dit-il, d'une grande gloire en l'Eglise et en Jésus-Christ; » pour l'Italie, saint Ambroise. Ainsi tout l'Occident est représenté par ces docteurs : l'Eglise n'avait rien de plus illustre. On connaît pour nos Gaules le mérite de saint Irénée et de saint Hilaire, le compagnon de saint Athanase pour la défense de la divinité de Jésus-Christ. Réticius, évêque d'Autun, fut un des trois évêques nommés par l'empereur Constantin, pour terminer dans son origine la querelle des donatistes ; « et pour savoir, dit saint Augustin, combien grande était son autorité dans l'Eglise, il ne faut que lire les Actes publics qui ont été faits, lorsqu'étant à Rome sous la présidence de Melchiade, évêque du Siège apostolique , il condamna avec les autres évêques Donat, auteur du schisme, et renvoya absous Cécilien, évêque de Cartbage (2). » On voit par là que saint Augustin prend soin d'alléguer les évêques du plus grand nom et de la plus grande autorité, parmi lesquels il se trouve deux martyrs, saint Irénée et saint Cyprien, qui outre les autres avantages avaient encore celui de l'antiquité ; saint Irénée « étant si proche du siècle des apôtres, » ainsi que saint Augustin le remarque (3), et saint Cyprien ayant souffert le martyre au IIIe siècle. Ainsi ni l'autorité, ni l'antiquité ne manquaient point à saint Augustin. Le passage de saint Cyprien, le plus authentique de tous et le plus précis, était tiré, comme le remarque saint Augustin (4), d'une lettre synodique d'un concile de Cartilage de soixante-six évêques, dont l'autorité était inviolable, puisque jamais elle n'a été révoquée en doute. Pour saint Ambroise, saint Augustin n'oublie pas « qu'il avait été son maître et son père en

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. III.— 2 Ibid., II. 7.— 3 Ibid.— 4 Ad Bonif., lib. IV, cap. VIII, n. 23.

 

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Jésus-Christ, puisque c'était de ses mains qu'il avait reçu le baptême (1) ; » d'où il résultait qu'on ne pouvait pas l'accuser de ne pas suivre la tradition, puisqu'il n'enseignait autre chose que ce qu'il avait reçu de celui par qui il avait été baptisé, qui d'ailleurs était reconnu pour un homme si éloigné de toute innovation, que Pélage même avait reconnu « que c'était principalement dans ses écrits que reluisait la foi romaine, » c'était à dire celle de toute l'Eglise : que ce saint évêque était la fleur des écrivains latins, « dont, continuait Pélage, ses ennemis mêmes n'avaient jamais osé reprendre la foi ni le sens très-pur qu'il donnait à l'Ecriture. » Saint Augustin ne dédaigne pas de rapporter en plusieurs endroits ces paroles de Pélage (2), pour confirmer que ses témoins étaient sans reproche de l'aveu de ses adversaires ; et il ferme sa preuve pour l'Occident par le témoignage du pape saint Innocent et de la Chaire de saint Pierre, qui n'aurait pas confirmé si facilement et si authentiquement les sentiments de l'Afrique, déclarés en plusieurs conciles sur le péché originel, et ne se serait pas lui-même si clairement expliqué sur cette matière, « si ce n'était, dit saint Augustin, qu'il n'en pouvait dire autre chose que ce qu'avait prêché de tout temps le Siège apostolique et l'Eglise romaine avec toutes les autres Eglises (3). »

Par ces moyens la preuve de saint Augustin était complète pour l'Occident; et il n'y manquait ni l'antiquité , puisqu'il remontait jusqu'aux temps les plus proches des apôtres ; ni l'autorité, tant celle qui venait du caractère, puisque tous ceux qu'il alléguait étaient des évêques, qui encore avaient à leur tête l'évêque du Siège apostolique, que celle qui venait de la réputation de sainteté et de doctrine, puisque tout le monde confessait que l'Eglise n'avait rien de plus éclairé ni de plus saint.

 

1 Contr., Jul., lib. I, cap. III, n. 10. — 2 De nupt. et conc., lib. I, cap, ult.; Contr. Jul., lib  11, cap. IX, n. 32. — 3 Contr. Jul., lib. I cap. IV, n. 13.

 

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CHAPITRE XVII.

 

Témoignages de l'Orient rapportés par saint Augustin : celui de saint Jérôme et celui de saint Irénée pouvaient valoir pour les deux Eglises, aussi bien que celui de saint Hilaire et de saint Ambroise, à cause de leur célébrité.

 

Sur ce fondement nous avons vu qu'il ne pouvait y avoir aucune difficulté pour l'Orient; et néanmoins saint Augustin en produisait les deux lumières (1), saint Grégoire de Nazianze et saint Basile, pour en venir à saint Chrysostome; mais après avoir fait voir auparavant que la foi de l'Orient était invinciblement et plus que suffisamment établie par les deux premiers.

Saint Augustin place en ce lieu l'autorité de saint Jérôme, qui était comme le lien de l'Orient et de l'Occident, « à cause, dit-il, qu'étant célèbre par la connaissance, non-seulement de la langue latine, mais encore de la langue grecque et même de l'hébraïque, il avait passé de l'Eglise occidentale dans l'orientale pour y mourir à un âge décrépit dans les Lieux saints et dans l'étude perpétuelle des Livres sacrés. » Il ajoutait « qu'il avait lu tous ou presque tous les auteurs ecclésiastiques (2), » afin qu'on remarquât ce que pensait un homme qui ayant tout lu, ramassait pour ainsi dire en lui seul le témoignage de tous les autres et celui de la tradition universelle.

C'est pourquoi il citait souvent ce saint prêtre, et toujours avec le titre « d'homme très-savant, » qui avait lu « tant d'auteurs ecclésiastiques, tant d'expositeurs de l'Ecriture, tant de célèbres docteurs qui avaient traité toutes les questions de la religion chrétienne  (3), » pour appuyer par son témoignage le consentement des anciens avec les nouveaux, et celui de toutes les langues.

Pour confirmer l'unanimité de l'Orient et de l'Occident, il montrait que les Pères de l'Occident qu'il produisait, comme saint Hilaire et saint Ambroise, étaient connus de toute la terre : « Voici, dit-il, une autorité qui vous peut encore plus émouvoir. Qui ne connaît ce très-vigoureux et très-zélé défenseur de la foi

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. V, n. 15, 16 — 2 Ibid., cap. VII, n. 34. — 3 De pecc. merit. et remisa., lib. III, cap. VI, VII.

 

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catholique contre les hérétiques, le vénérable Hilaire, évêque des Gaules (1) : » L'Orient certainement le connaissait bien, puisqu'il y avait été relégué pour la foi et qu'il s'y était rendu très célèbre. C’est pourquoi saint Augustin ajoute : « Osez accuser un homme d'une si grande réputation parmi les évêques catholiques (2). » Et pour ce qui est «le saint Ambroise : « C'est un homme, disait-il, renommé par sa toi, par son courage, par ses travaux, par ses périls, par ses œuvres et par sa doctrine dans tout l'empire romain (3), » c'était dire dans l'Eglise grecque autant que dans la latine. Il pouvait encore nommer comme un lien de l'Orient et de l'Occident saint Irénée, qui venu de l'Orient, nous avait apporté ce qu'il y avait appris aux pieds de saint Polycarpe, dont il était le disciple , d'autant plus que ce saint martyr, je veux dire saint Irénée, étant, comme on sait, parmi les anciens le plus grand prédicateur de la tradition, on ne pouvait pas le soupçonner d'avoir voulu innover ou enseigner autre chose que ce qu'il avait reçu presque des mains des apôtres.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Parfaite conformité des idées de ces Pères siir le péché originel, avec celles de saint Augustin.

 

Voilà pour ce qui regarde l'universalité et l'autorité des témoins de saint Augustin : mais pour y ajouter l'uniformité, il n'y a aucune partie de la doctrine de ce Père qu'on ne trouve dans leurs témoignages. Faut-il appeler le péché originel un véritable péché ? Qu'on lise dans saint Augustin (4) le témoignage de saint Cyprien, de Rétice, d'Olympius, de saint Hilaire, de saint Ambroise : on l'y trouvera. Saint Cyprien dit en termes formels que c'est un péché si véritable, qu'il ne faut rien moins aux petits enfants que le baptême « pour le remettre (5) » Réticius, de peur qu'on ne croie que la peine seule passe en nous, inculque avec une force invincible « le poids de l'ancien crime, les anciens crimes, les crimes nés avec nous (6) : » Olympius établit « par la mortelle transgression

 

1 Contr. Jul., lib. I, cap. III, n. 9. — 2 Ibid., n. 10 .— 3 Lib. I, cap III. — 4 Ibid. — 5 Ibid., n. 7.

 

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du premier homme, le vice dans le germe d'où nous avons été formés et le péché né avec l'homme (1). » S'il faut forcer tous ces passages pour dire que par le péché on en doit entendre la peine, il n'y a plus rien dans l'Eglise qu'il faille prendre à la lettre, ni aucun acte pour établir la tradition, qui ne puisse être éludé. Les principaux passages de l'Ecriture dont saint Augustin se servait, étaient pour l'Ancien Testament celui de David : Ecce in iniquitatibus, et pour le Nouveau celui de saint Paul : Per unum hominem, etc., depuis le verset 12 jusqu'au verset 20 du chapitre V de l’Epître aux Romains.

Sur le premier passage, saint Augustin produisait le témoignage de saint Hilaire, de saint Grégoire de Nazianze et de saint Ambroise; et sur le second, il alléguait outre saint Ambroise, qui traduisait et expliquait expressément comme lui ce fameux in quo, tous les Pères qui reconnaissaient qu'en effet nous avions tous péché en Adam.

 

CHAPITRE XIX.

 

Les Pères cités par saint Augustin ont la même idée que lui de la concupiscence , et la regardent comme le moyen de la transmission du péché : fausses idées sur ce point de Théodore de Mopsueste excusées par M. Simon.

 

Une des parties les plus essentielles de la doctrine de saint Augustin sur le péché originel, c'est d'en expliquer la propagation par la concupiscence d'où tous les hommes sont nés, à l'exception de Jésus-Christ. Mais on trouvera cette vérité en termes précis dans les passages de saint Hilaire et de saint Ambroise , produits par ce Père (2). Le premier voulant expliquer la source de nos souillures, dit « que notre corps ( où réside la concupiscence ) est la matière de tous les vices, par laquelle nous sommes souillés et infectés, » ce qui nous fait bien entendre la vérité de cette parole du Sauveur : « Ce qui naît de la chair est chair, » ce qui naît de l'infection est infecté ; d'où il suit que celui-là seul ne l'est pas et ne le peut être , qui n'est pas né selon la chair, mais du Saint-Esprit : tout autre que lui a contracté en Adam l'obligation au

 

1 Contr. Jul. lib. I, cap. III, n. 8. — 2 Contr. Jul., lib. II cap. VIII, n. 27 ; Hilar., Hom. in S. Job, quae non extat.

 

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péché. Ce principe est si véritable, que la pieuse opinion qui en exempte la sainte Vierge, est fondée sur une exception, qui en ce cas plus qu'en tout autre affermit la règle. Ce que je dis, non pour entrer dans cette matière, qui n'est point de ce lieu , mais pour faire voir l’incontestable vérité du principe qu'on vient de voir de saint Hilaire.

Le même saint voulant expliquer ailleurs comment Jésus-Christ est venu, ainsi que le dit saint Paul (1), non dans la chair du péché, mais dans la ressemblance de la chair du péché, en rend cette raison, « que toute chair venant du péché et ayant été tirée du péché d'Adam, Jésus-Christ a été envoyé, non pas avec le péché, mais dans la ressemblance de la chair du péché (2). » Quand il dit que la chair vient du péché, et qu'elle est tirée du péché d'Adam, il veut dire manifestement qu'elle vient par la concupiscence, qui a sa source dans le péché d'Adam ; si bien que Jésus-Cbrist n'étant pas venu par la voie ordinaire de la sensualité ou de la concupiscence de la chair, il s'ensuit qu'il n'a dû avoir que la ressemblance de la chair du péché, et non pas la chair du péché même : ce qui dans le fond n'est autre chose que ce qu'enseigne plus clairement saint Ambroise sur Isaïe, lorsqu'il dit « que le Fils de Dieu est le seul qui a dû naître sans péché , parce qu'il est le seul qui n'est pas né de la manière ordinaire (3). »

En un mot, qui voudra faire un tissu de toute la doctrine de saint Augustin, n'a qu'à ramasser de mot à mot seulement ce qu'on trouvent dans les endroits que ce Père a cités de saint Ambroise : l'épreuve en sera facile, et la conséquence qu'il en faudra tirer est qu'il n'y a rien de plus éloigné de l'esprit d'innovation que la doctrine de saint Augustin, puisqu'il n'a fait, pour ainsi parler, que copier saint Ambroise son docteur, en se contentant de prouver contre les pélagiens ce qu'un si bon maître avait enseigné en peu de mots avant la dispute.

Et sans ici nous attacher à saint Ambroise, tous les Pères, qui ont marqué (et tous l'ont fait), tous ceux, dis-je, qui ont marqué la propagation du péché originel par le sang impur et rempli de

 

1 Rom., VIII, 3. — 2 Lib. I Contr. Jul., cap. III, n. 9. — 3 Apud August., lib. I De nupt. et conc., cap. XXXV, n. 40; et Contr. Jul., lib. I, cap. IV, n. 11

 

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la corruption du poché d'où nous naissons, ont enseigné en même temps que ce péché passait en nous par la concupiscence, qui seule infecte le sang d'où nous sortons : en sorte que la maladie que nous contractons en naissant et qui nous donne la mort, vient de celle , qui non-seulement demeure toujours dans nos pères, mais encore qui agit en eux lorsqu'ils nous mettent au monde.

C'est le péché originel pris en ce sens, venant de cet le source et par cette propagation, que Théodore de Mopsueste attaquait visiblement en la personne de saint Augustin. C'est ce qu'à l'exemple des pélagiens il appelait un manichéisme; et quand M. Simon prétend l'excuser en disant qu'il n'attaque le péché originel que selon les idées de saint Augustin, c'est lui chercher une excuse , non pas contre saint Augustin, mais contre tous les anciens, dont ce Père n'a fait que suivre les traces.

 

CHAPITRE XX.

 

Saint Justin, martyr, enseigne comme saint Augustin, non-seulement que la peine, mais encore que le péché même d'Adam a passé en nous : la preuve de la circoncision est employée pour cela par le même saint, aussi bien que par saint Augustin.

 

Dans ce petit nombre de témoins que saint Augustin a choisis, ce Père a raison de dire qu'on entend toute la terre, et l'on peut tenir pour assuré, non-seulement que tous les autres auront tenu le même langage, mais encore que ceux-ci même auront souvent répété une vérité si célèbre. En effet si pour achever la chaîne des Pères que ce saint docteur a commencée sur cette matière, nous remontons encore plus haut, nous trouverons saint Justin, plus ancien que saint Irénée, qui nous dira que nous « sommes tombés par Adam, » non-seulement « dans la mort qui est la peine, mais encore dans l'erreur, dans la séduction que le serpent fit à Eve (1), » qui est la coulpe; et si cela n'est pas assez clair, il dira encore « que Jésus-Christ seul est sans péché (2); » ou, ce qui est beaucoup plus exprès, que lui seul est né sans péché (3), ce qu'il confirme par le sacrement de la circoncision et par la menace

 

1 Dial. cum Tryph., p. 316. — 2 P. 336. — 3 Ibid., p. 241.

 

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d’exterminer tous ceux qui ne seraient pis circoncis au huitième jour. Cette preuve de saint Augustin, tant blâmée et si souvent attaquée par M. Simon (1), se trouve pourtant dans un Père d’une aussi grande antiquité que saint Justin (2) : elle se trouve aussi dans saint Chrysostome, ainsi que saint Augustin l'a remarqué (3) et dans beaucoup d'autres; et sans nous arrêter à cette dispute, quand ce saint martyr saint Justin dit que Jésus-Christ seul est né sans péché, veut-il dire qu'il est né sans la peine du péché et sans la mort? Au contraire c'est en cela qu'il a été notre Sauveur, que portant la peine sans le péché, il efface actuellement le péché dans cette vie pour en ôter la peine en son temps. Donc, excepté lui, tout doit naître dans le péché, et lui seul a dû n'y pas naître, parce que lui seul est né sans que la concupiscence ait eu part à sa conception.

 

CHAPITRE XXI.

 

Saint Irénée a la même idée.

 

Un peu après saint Justin vient saint Irénée, cité par saint Augustin. Il nous sera une preuve que plus on lit les auteurs, plus on y découvre la tradition d'un péché originel proprement dit. Saint Augustin en a rapporté deux passages, dont le premier parle « de la plaie de l'ancien serpent » guérie par Jésus-Christ, « qui donne la vie aux morts (4). » Voudra-t-on dire que le Fils de Dieu, lorsqu'il donne la vie aux morts, ne guérit que la mort du corps? N'est-ce pas à l’âme qu'il donne la vie? C'était donc à la vie de l’âme que cette plaie de l'ancien serpent portait le coup. Mais quand on chicanera sur un passage si clair, que répondra-t-on au même Père, qui enseigne « que Jésus-Christ est venu sauver tous les hommes? Oui, dit-il, tous ceux qui renaissent en Dieu par le baptême, et les petits enfants, et les jeu nés gens, et les vieillards; et c'est pour cela qu'il a passé par tous les âges, petit enfant dans les petits enfants, sanctifiant cet âge, et le sauvant (5), » comme il vient de dire : de quoi, sinon du péché par la grâce du baptême? Voilà donc un véritable péché, qui ne peut être remis

 

1 P. 299. — 2 Ibid., p. 241, 246. — 3 Contr. Jul., lib. II, cap. VI, n. 18.— 4 Ibid.,  lib. I, cap. III ; Iren. lib. IV, cap. V. — 5 Iren., lib. II, cap. XXXIX.     .

 

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aux enfants qu'en leur donnant le sacrement de renaissance, qu'on ne peut donner et qu'on ne donne jamais qu'en rémission des péchés : et encore dans la même vue les hérétiques qui disent qu'il n'est pas né véritablement, mais seulement « d'une naissance apparente , putative, prennent la défense du péché (1) ; » ce qu'il explique aussitôt après en disant qu'en passant par tous les états de la vie humaine , « il a renouvelé son ancien ouvrage, en ce qu'il a donné la mort au péché, ôté la mort et vivifié l'homme. » Voilà donc l'ordre de la rédemption. Jésus-Christ n'a ôté la mort qu'après avoir premièrement ôté le péché , et ne vivifie que ceux qui sont morts, non-seulement de la mort du corps, mais encore de celle de l’âme.

 

CHAPITRE XXII.

 

Suite de saint Irénée : la comparaison de Marie et d'Eve : combien elle est universelle dans tous les Pérès : ce qu'elle induit pour établir un véritable péché.

 

Pour venir au second passage cité par saint Augustin, quand on y verra « ce lien qui astreignait à la mort tout le genre humain par la désobéissance d'Eve, et dont nous sommes délivrés par l'obéissance de Marie  (2), » chicanera-t-on, en disant que ce lien nous astreignait à la peine et non à la coulpe, et que l'obéissance de Marie n'a fait qu'ôter les mauvais effets de la désobéissance d'Eve ? Mais s'il ne s'agissait que des effets, et que le péché d'Eve ne fût pas le nôtre, pourquoi ce Père a voit-il appelé, un peu au-dessus, la désobéissance d'Eve « notre désobéissance (3) ; » que Marie a guérie en obéissant? Pourquoi disait-il dans le même endroit « que le bois nous avait rendu ce que nous avions perdu par le bois où pendait le fruit défendu? » Si Jésus-Christ à l'arbre de la croix nous a rendu la vie de l’âme et celle du corps, nous avions donc perdu l'une et l'autre à l'arbre qui nous avait été interdit. « Jésus-Christ, dit saint Irénée, est le premier des vivants, comme Adam est le premier des mourants (4). » Jésus-Christ n'est-il le premier des vivants que selon le corps ? Adam n'est-il pas aussi le

 

1 Lib. III, cap. XX. — 2 Lib. V, cap. XIX. — 3 ibid., cap. XVII. — 4 Lib. III, cap. XXXIII.

 

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premier qui est mort dans l’âme? C'était donc à la mort de l’âme « qu'Eve nous avait liés par son incrédulité. » puisque c'est do la mort de l’âme que « Marie nous a délivrés par la foi. » Enfin toute la suite du discours et l'esprit même de la comparaison entre Jésus-Christ et Adam, tant inculquée par ce saint martyr après saint Paul, fait voir que comme ce ne sont pas les seuls fruits de la justice, mais la justice elle-même que nous possédons en Jésus-Christ , ce ne sont pas aussi seulement les peines du péché, mais le péché même dont nous héritons en Adam.

Je remarquerai en passant que cette comparaison de Jésus-Christ avec Adam, et de Marie avec Eve, se trouve dans tous les Pères, dès la première antiquité , par exemple dans Tertullien , mais toujours pour faire voir « que la foi et l'obéissance de la sainte Vierge avait effacé tout le péché qu'Eve avait commis en croyant au serpent : » Quod illa credendo deliquit, hœc credendo delevit (1) ; et le dessein est partout de faire voir un véritable péché remis, non point seulement à Eve qui l'avait commis, mais à toute sa postérité qui y avait part.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Beau passage de saint Clément d'Alexandrie.

 

L'un des plus anciens auteurs après saint Justin et saint Irénée, c'est saint Clément prêtre d'Alexandrie, qui parle ainsi dans son Avertissement aux Gentils, en expliquant les mauvais effets du plaisir des sens : « L'homme qui était libre à cause de sa simplicité (Dieu l'ayant créé simple et droit, ainsi qu'il est écrit dans l’Ecclésiaste) s'est trouvé lié aux péchés (par la volupté), et Notre-Seigneur l'a voulu délivrer de ses liens (2). » On voit que ce n'était pas seulement aux peines, mais encore au péché qu'il était lié , et que c'est de ce lien que Jésus-Christ l'a délivré. Qui dit l'homme, dit «ici sans contestation tout le genre humain. Adam n'est pas le seul lié au péché, ni le seul que Jésus-Christ est venu délier ; tous les hommes sont regardés en Adam comme un seul pécheur, et en

 

1 De carne Christ., cap. XVII. — 2 Admon. ad Gent., p. 51 ; Eccles., VII, 30.

 

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Jésus-Christ comme un seul affranchi par l'unité du même corps et l'influence du même esprit.

Il enseigne dans le Pédagogue, que le baptême est appelé « un lavoir, parce qu'on y lave les péchés, et une grâce, parce qu'on y remet la peine qui leur est due (1) . » Il fait donc voir qu'on ne vient dans ce sacrement à la rémission de la peine, que par celle de la coulpe: et selon la doctrine de saint Augustin et du concile de Carthage, que. le baptême serait faux dans les enfants si l'on n'y trouvait l'un et l'autre.

Après avoir rapporté dans le troisième livre des Tapisseries (2) le sentiment de Basilide, qui condamnait la génération des enfants; à quoi cet hérésiarque faisait servir le passage de Job où il est porté « que nul n'est exempt de tache, pas même l'enfant d'un jour; » et le verset où David confesse « qu'il a été conçu dans les péchés ; » il conclut : « Qu'encore qu'il soit conçu dans les péchés, il n'est point lui-même dans le péché : » ce qui serait contradictoire, si on n'expliquait, qu'il n'est point dans un péché qui vienne de lui, quoiqu'il sot dans un péché qui vient d'un autre.

On trouve même en termes formels cette distinction dans ce savant auteur, au quatrième livre des Tapisseries (3) où il est porté : « Que l’enfant, à la vérité , n'a point péché , mais actuellement et en lui-même energos, en eauto. » Il est vrai que ces paroles sont de Basilide; mais saint Clément ne les contredit pas et ne reprend , dans le discours de cet hérétique, que de dire « qu'on a commis des péchés dans une autre vie précédente; » laissant tout le reste en son entier, comme en effet il n'y a rien que de véritable.

Et le même Père fait bien voir qu'à la réserve de cette autre vie et des péchés qu'on y pourrait avoir commis, la doctrine de Basilide était véritable , puisque dans le troisième livre des mêmes Tapisseries il enseigne qu'un prophète reconnaît « des impiétés dans les enfants qui étaient le fruit de ses entrailles (4); » et qu'il appelle de ce nom d'impiétés; non pas la génération en elle-même, ni ces paroles Croissez et multipliez, prononcées de la bouche de Dieu; « Mais, dit-il, les premiers appétits qui nous viennent de

 

1 Pœdag., lib. I, cap. VI – 2 P. 342. — 3 P. 369. — 4 Lib. III, p. 342.

 

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notre naissance, ek geneseos, » et qui nous empêchent de connaître

Dieu.

Par là donc il a désigné la concupiscence que nous apportons en naissant. Il l'appelle une impiété , non point en acte formé , mais quant à la tache qui nous en demeure en habitude, en puissance, en inclination ; et cela qu'est-ce autre chose que le fonds du péché originel, puisque selon saint Augustin (1), c'est à ce fonds qu'adhère la tache qui est effacée dans le baptême ?

 

CHAPITRE XXIV.

 

Que la concupiscence est mauvaise ; que par elle nous sommes faits un avec Adam pécheur; et qu'admettre la concupiscence, c'est admettre le péché originel : doctrine mémorable du concile de Trente sur la concupiscence.

 

Il faut donc ici remarquer que tous les passages ( qui sont infinis) où nous trouvons la concupiscence comme un mal venu d'Adam, inhérent en nous, nous montrent dans tous les hommes le fond du péché originel ; cette concupiscence étant le mal même dont saint Paul a dit : « Le mal réside en moi, » ou « le mal y est attaché, y est inhérent, » malum mihi adjacet (2). Le cardinal Bellarmin prouve par ce passage et par beaucoup d'autres « que la concupiscence est mauvaise (3). » Comme elle est inséparable de notre naissance, et qu'elle vient avec la vie d'Adam devenu pécheur, elle nous fait un avec lui en cette qualité et contient tout son péché en elle-même. C'est pourquoi saint Clément d'Alexandrie l'appelait une impiété. C'est aussi ce qui faisait dire à saint Grégoire de Nazianze «qu'elle désirait toujours le fruit défendu (4). » Le concile de Trente en expliquant en quel sens elle peut être appelée péché, décide à la vérité qu'elle ne l'est pas véritablement et proprement, non verè et propriè, mais c'est, dit-il, « dans les baptisés, » in renatis (5); ce qui semble indiquer que dans les autres et avant ce sacrement c'est un péché a véritable et proprement dit, » tant à cause qu'elle domine dans les âmes où la grâce n'est

 

1 De nupt.  et conc., I, 11; I ad Bonif. Contr. Jul., III, IV, V; Oper. imper., lib. I, cap. II, etc. — 2 Rom.  VII, 21. — 3 De amiss. grat. et stat. pecc., lib. VI, cap. XIV — 4 Tom. I, p. 93, Carm. — 5 Sess. V, can. V.

 

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pas encore et qu'elle y met un désordre radical, qu'à cause qu'elle est le sujet où s'attache la faute d'Adam et le péché d'origine. C'est la doctrine constante de saint Augustin, dans laquelle on a déjà vu et on verra de plus en plus, qu'il n'ajoute rien à la tradition des saints qui l'ont précédé.

 

CHAPITRE XXV.

 

Passages d'Origène : vaines critiques sur ces passages, décidées par son livre contre Celse : que cet auteur ne rapporte pas à une vie précédente, mais au seul Adam le péché que nous apportons en naissant : pourquoi saint Augustin n'a cité ni Origène ni Tertullien.

 

Nous pouvons ranger Origène après son maître Clément Alexandrin. Les témoignages de cet auteur pour le péché originel sont si exprès que ceux mêmes de saint Augustin ne le sont pas plus, et en si grand nombre qu'il ne faut pas entreprendre de les copier tous. Tout le monde sait ceux des homélies VIII et XII sur le Lévitique (1), du Traité XIV sur saint Matthieu (2), du Traité XIV sur saint Luc (3), où il est parlé du baptême des petits enfants en rémission des péchés et des souillures de leur naissance, dont ils ne peuvent être purifiés que par le baptême, conformément à cette parole de Notre-Seigneur : « Si on ne renaît d'eau et du Saint-Esprit , on n'entre pas dans le royaume de Dieu (4) » On voit aussi par le livre V sur l'Epître aux Romains (5), que par eph o il a entendu in quo avec la Vulgate, et non pas quatenùs ou eò quod, « à cause que, » comme le voulaient les pélagiens ; par où il établit que tous les hommes ont été dans le paradis en Adam. Il enseigne dans le même endroit que la mort qui a passé à tous les hommes par Adam, est celle de l’âme, par conséquent le péché, d'où suit en tous la mort du corps.

On fait diverses critiques sur quelques-uns de ces passages d'Origène, et il y en a qui veulent qu'une partie ne soit pas de lui (6), comme ceux sur le Lévitique. On dit aussi, après saint Jérôme, que les péchés qui sont remis par le baptême, sont attribués

 

1 Tom. I, p. 89, 90, 102. — 8 Tom. II, p. 49. — 3 Ibid., 142. — 4 Joan. III, 5. — 5 Tom. II. p. 841, 342, 343, 348. — 6 Card. Norris, lib. I, cap. I, p. 5, 6.

 

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par Origène à une vie précédente; mais cela ne se trouvera pas, et Origène les attribue constamment au péché d'Adam. Pour la critique qui ôte à Origène les homélies sur le Lévitique, elle n'est pas suivie, car tout y ressent Origène ; et quoi qu'il en soit, la difficulté est levée, puisqu'il dit la même chose dans les autres homélies, comme sur saint Matthieu et saint Luc. Les Livres sur l’Epître aux Romains, traduits par saint Jérôme, ne sont ni douteux ni suspects, et ne souffrent point de réplique. Origène y réfute même ceux qui voulaient trouver dans une autre vie , qui précédait celle-ci, le péché que nous apportons en naissant (1).

Mais ce qui finit toutes les critiques sur le sujet d'Origène, c'est sa doctrine constante dans son Livre contre Celse, où nous avons le grec de ce grand auteur, sans qu'il faille nous en rapporter à ses interprètes. Il enseigne premièrement que « nul homme n'est sans péché, » et que nous sommes tous pécheurs « par nature (2); » secondement, que nous le sommes « par naissance, » et ce qui est décisif, que c'est « pour cela que la loi ordonne qu'on offre pour les enfants nouvellement nés le sacrifice pour le péché, à cause qu'ils ne sont point purs de péché et que ces paroles de David : « J'ai été conçu en iniquité (3), « leur conviennent en cet état (4). » Nous avons remarqué ailleurs (5) deux autres passages où cet auteur entend du péché originel ce célèbre verset de David ; mais celui-ci qui est le plus décisif à cause du livre où il se trouve, nous avait échappé. Troisièmement il regarde la nature raisonnable comme corrompue et pécheresse (6), ce qui emporte un véritable péché commun à toute notre nature. Quatrièmement Origène rapporte toujours cette tache originelle au péché d'Adam (7), ce qui ne laisse aucun doute du sentiment de ce grand homme.

Il est vrai que sur l’Epître aux Romains, en racontant toutes les manières dont Adam a pu nuire à sa postérité, il remarque entre les autres celle que les pélagiens ont suivie depuis, c'est-à-dire celle de l'exemple qu'il nous a laissé de désobéir ; mais c'est en présupposant, et là et partout ailleurs , une autre manière de

 

1 P. 344, 352, 353. — 2 Lib. III, p. 119, 150, 151.— 3 Psal. L, 7. — 4 Lib. VII, p. 365, 366. — 5 Suppl. in Psal., ad calcem lib. Salom. — 6 Lib. IV. p. 229. — 7 Ibid., p. 291 ; lib. VII, p. 350, 351, 366.

 

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nous nuire, en faisant passer à nous par la naissance un véritable péché qu'il fallait laver par le baptême, même dans les petits enfants.

Il est vrai encore qu'Origène a reconnu, dans les âmes, une vie qui a précédé celle où elles se trouvent unies à un corps mortel ; car il la croyait nécessaire pour justifier la diversité infinie des peines et des états dans la vie humaine, lesquels il ne croyait pas pouvoir rapporter au seul péché originel, qui était commun à tous. Il disait donc que la cause de cette inégalité était les divers mérites dans une vie précédente; mais il ne se trouvera pas qu'il ait une seule fois allégué cette raison, quand il a parlé de ce péché que nous apportions en naissant et qu'il fallait expier par le baptême ; au contraire nous avons vu qu'il l'a toujours rapporté au premier père ; et lorsque saint Jérôme lui attribue autre chose (1), c'est plutôt une conséquence qu'il remarque qu'on eût pu tirer de ses principes, qu'une doctrine qu'il ait jamais enseignée.

Au reste d'autres que nous, et entre autres le P. Garnier après le P. Petau , si je ne me trompe, ont fait voir que les pélagiens loin d'avoir prétendu suivre Origène, se glorifiaient de combattre ses erreurs; et quoi qu'il en soit, il est bien certain qu'ils ne peuvent avoir pris de lui leur doctrine contre le péché originel, puisque ce grand homme avait établi la sienne dans les mêmes termes dont saint Augustin s'est servi et avec toute l'évidence qu'on a vu.

Que si ce Père n'a pas employé l'autorité d'Origène, non plus que celle de Tertullien, c'est qu'ils étaient des auteurs flétris : le premier, par le jugement de Théophile d'Alexandrie, confirmé par celui du pape saint Anastase ; et le second, par son schisme : mais comme ce n'est point sur cet article que ces grands auteurs ont été notés, et qu'au contraire ils l'ont expliqué selon toutes les règles de la tradition, on peut très-bien les employer pour en expliquer la suite.

 

1 Dial. III.

 

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CHAPITRE XXVI.

 

Tertullien exprime de mot à mot toute la théologie de saint Augustin.

 

Outre le passage de Tertullien qu'on a déjà remarqué en parlant de saint Irénée (1) nous trouvons encore dans ce grave auteur « que la raison nous venant de Dieu, ce qu'il y a en nous contre la raison nous est venu par l'instinct du diable , et que ce n'est autre chose que cette première faute de la prévarication d'Adam, primum illud prœvaricationis admissum, qui depuis est demeurée inhérente en nous et nous a passé en nature, adolevit et coadolevit ad instar naturalitatis, à cause qu'elle est arrivée au commencement de la nature même, in primordio natures (2). » Il faut entendre par ce terme primordium , non-seulement le commencement par l'ordre des temps , mais encore le commencement par principe et par origine ; et cela n'est autre chose que de reconnaître « ce grand changement arrivé et dans notre corps et dans notre ame, au commencement et dans la source du genre humain, » que saint Augustin a eu à défendre contre les pélagiens. On ne pouvait pas reconnaître mieux cet in quo de l’Epître aux Romains, ni dire plus fortement que nous avons tous péché en Adam qu'en disant que son péché nous était passé en nature (3) ; et la conséquence naturelle de ce grand principe est celle que Tertullien reconnaît aussi dans la suite, « que les enfants, » même « des fidèles, naissaient impurs : que pour cela Jésus-Christ a dit que si on ne renaissait de l'eau et du Saint-Esprit, on n'aurait point de part à son royaume ; et qu'ainsi toute âme était réputée être en Adam, jusqu'à ce qu'elle soit renouvelée en Jésus-Christ. » Etre en Adam, n'est pas seulement être dans la peine, mais encore , être dans la malédiction, dans la damnation , dans la perte , dans le péché; et c'est pourquoi il ajoute : Que toute âme « est pécheresse à cause de son impureté et le demeure toujours, jusqu'à ce qu'elle soit régénérée par le baptême. » Ce sacrement n'ôte point La mort, il n'ôte point le fond de la concupiscence. Si donc le baptême ôte à l’âme quelque tache, on n'en voit point d'autre que

 

1 Ci-dessus, chap. XXII. — 2 De animâ, cap. XVI. — 3 Ibid., cap. XI.

 

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celle du péché , « qu'elle contracte, dit Tertullien , par son union avec la chair, à cause, continue-t-il, de la convoitise par laquelle elle convoite contre l'esprit, » ce qui la rend pécheresse autant que la chair le peut être.

Voilà toute la théologie du péché originel aussi clairement expliquée qu'aurait pu faire saint Augustin depuis la dispute des pélagiens : voilà le premier péché qui passe en nature à tous les hommes : en voilà la propagation par la concupiscence de la chair : en voilà la rémission dans le baptême , et je ne sais plus rien à y ajouter.

 

CHAPITRE XXVII.

 

Erreur des nouveaux critiques, qu'on parlait obscurément du péché originel avant saint Cyprien : suite des passages de Tertullien, que ce saint appelait son maître: beau passage du livre De pudicitià.

 

On ne voit donc pas pourquoi nos critiques ont voulu insinuer qu'on ne parlait qu'obscurément de cette doctrine avant saint Cyprien. Il est vrai qu'il n'y a rien de plus net que ces paroles de ce saint martyr, citées par saint Augustin, que nous devons baptiser les enfants, parce « qu'autant qu'il est en nous, nous ne devons perdre aucune aine : » par où il montre que l'aine est perdue sans le baptême ; ce qu'il appuie en disant : « Que les enfants nouvellement nés, qui n'avaient péché qu'à cause qu'étant engendrés d'Adam selon la chair, ils avaient par contagion contracté la mort ancienne par leur première naissance, devaient être d'autant plus tôt reçus à la rémission des péchés, qu'on leur remettait, non pas leurs propres péchés, mais des péchés étrangers (1) ; » c'est-à-dire tous les péchés d'orgueil, de révolte , d'intempérance et d'erreur qui se trouvent dans le seul péché du premier père.

Tout est compris dans ce peu de mots de saint Cyprien ; c'est-à-dire tant le péché même que la naissance charnelle, et en elle la concupiscence, par où il était transmis : mais tout ce qu'on trouve de si précis dans ces paroles de saint Cyprien, avait précédé , et peut-être plus formellement dans celles de Tertullien, que ce saint martyr ne dédaignait pas d'appeler son maître.

 

1 Lib. III De pecc. mer., cap. III; Contr. Jul., lib. I, cap. III ; Epist ad Fid.

 

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Par la force du même principe, le même Tertullien explique cette « ressemblance de la chair du péché (1) » que saint Paul a reconnue dans Notre-Seigneur, et saint Augustin n'en parle pas autrement que lui.

On pourrait faire un volume des autres passages du même Tertullien. Je remarquerai seulement qu'il nous fait sentir, comme ont fait aussi tous les anciens, que nous avions commis le même péché que notre premier père, que nous avions avec lui étendu le bras au bois défendu, que nous y avions goûté une pernicieuse douceurs, ce qui est toujours cet in quo de saint Paul ; enfin qu'avant le baptême notre chair « était en Adam dans son vice, dans le poison, dans la corruption de la convoitise, dans les taches et dans les ordures du premier péché, que l'eau du baptême n'avait point encore lavées ; » et que cette corruption passait en nous «par l'impureté contagieuse du sang d'où nous sommes conçus, et par la noirceur de la concupiscence : » le baptême n'en ôtait pas le fond ; il n'en ôtait que la tache, la coulpe, le reatus, comme parle saint Augustin. Il y a donc une tache, un reatus, une coulpe héréditaire. Qu'y a-t-il à ajouter à cette doctrine?

Il ne faut donc pas s'étonner si saint Cyprien, avec son concile de soixante-six évêques, consulté sur le baptême des petits enfants, que quelques-uns voulaient différer au huitième jour à l'exemple de la circoncision, résout cette question, ainsi que l'a remarqué saint Augustin, par la doctrine du péché originel, comme par un principe constamment reçu « et sur lequel il n'y avait jamais eu de contestation ni aucune consultation à faire, puisqu'il était regardé de tous comme certain et indubitable (3). » On voit en effet que ce saint martyr ne fait que dire et appliquer au sujet ce qui avait été enseigné par les Pères précédents, et l'avantage qu'on tire de sa lettre synodique n'est pas d'y apprendre quelque chose de nouveau sur ce dogme, mais de le voir établi comme certain et incontestable (4) par l'autorité de tout le concile d'Afrique qui avait à sa tête un si grand docteur.

 

1 De carn. Christ., cap. XVI — 2 De pudic. — 3 De pecc. mer., lib. III, cap. V, n. 10. — 4 August., Ibid.

 

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CHAPITRE XXVIII.

 

Réflexions sur ces passages qui sont des trois premiers siècles : passages de saint Athanase dans le quatrième.

 

Nous ne sommes qu'au troisième siècle de l'Eglise; et on y voit déjà sans le moindre doute, et autant en Orient qu'en Occident, la tradition du péché originel : je dis du péché originel dans le sens et dans l'esprit de saint Augustin et des conciles d'Afrique, d'Orange et de Trente : on voit déjà des conciles en faveur de ce dogme. On a vu sur la fin du troisième siècle et au commencement du quatrième, Réticius évêque d'Autun cité par saint Augustin : on a vu dans le même Père Olympius évoque d'Espagne. Il n'a point produit saint Athanase, dont il y a apparence que les ouvrages étaient rares en Occident et n'avaient point été traduits ; mais il n'est pas moins exprès que les autres Pères, puisqu'il dit que «le genre humain avait prévariqué en Adam, que de là nous était venue la concupiscence (1) : » que Jésus-Christ était mort sur le Calvaire, « où les maîtres des Hébreux, » et leur tradition « marquaient le sépulcre d'Adam, afin d'abolir son péché (2), » non-seulement dans sa personne, mais encore «dans toute sa postérité (3). » Ainsi le péché d'Adam n'était pas seulement le sien, mais celui de tous ses enfants. Nous avions tous péché en lui selon cet in quo de l'Apôtre que nous trouvons trop souvent pour avoir besoin dorénavant de le répéter; et si ce Père raconte dans la suite que Jésus-Christ nous délivre de la mort, c'est après avoir présupposé qu'il nous délivre, aussi bien qu'Adam, du péché même qui en est la cause.

 

CHAPITRE XXIX.

 

Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze.

 

Saint Augustin nous fait paraître dans la suite du quatrième siècle comme les deux yeux de l'Orient, en la personne de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze. Il cite à la vérité un beau

 

1 Tom. I, Orat. contr. Gent., p. 456. —  2 De Incarn., 57. — 3 De pass. et cruc.

 

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passage du premier, où il paraît «que nous avons été intempérants en Eve et en Adam, et chassés en eux du paradis (1). » C'est quelque chose de fort, puisqu'on y voit non-seulement la mort et les autres peines du corps, mais le péché même d'Adam et l'exclusion du paradis, c'est-à-dire la mort de l’âme et l'exclusion de l'éternelle félicité passée à tous ses enfants. Mais qui veut voir la vérité toute nue, sans avoir besoin ni de former un raisonnement, ni de tirer une conséquence, n'a qu'à lire ce passage du livre premier du Baptême (2) : « Ces paroles de Notre-Seigneur : « il faut naître encore une fois, » signifient, dit-il, la correction et le changement de notre première naissance dans l'immondice des péchés, selon cette parole de Job : « Nul n'est pur de tache, pas même l'enfant d'un jour (3) ;» et celle-ci de David : « J'ai été conçu en iniquité (4) » etc. ; et cette autre de saint Paul : « Tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (5) ; » où il parle si clairement d'un véritable péché, que ce serait obscurcir cette vérité que de l'expliquer davantage. Il dit ensuite que naître de l'eau, c'est selon saint Paul mourir au péché ; d'où il s'ensuit, conformément à la décision du concile de Carthage (6), que la forme du baptême serait fausse dans les enfants, s'il n'y avait un péché auquel ils doivent mourir dans ce sacrement.

Pour saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin en rapporte des paroles claires (7), et entre autres celles d'une oraison sur le baptême que nous n'avons plus, où il prouve, comme vient de faire saint Basile, la vérité de cette sentence de Notre-Seigneur : «Si l'on ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit,» etc., parce que c'est dans le baptême qu'on lave les taches de notre première naissance, dont il est écrit : « Nous sommes conçus dans le péché,» etc. Mais nous avons entre les mains ses autres ouvrages, où il appelle le péché d'Adam « notre premier péché ; » et où il dit : « Que nous avons goûté en Adam le fruit défendu : qu'en lui nous avons violé la loi de Dieu, et qu'aussi nous avons été chassés en lui du paradis, » par où les Pères entendent

 

1 Homil. I De jejun., tom I p. 322; August., lib. I Contr. Jul., cap. V. — 2 Basil., lib. I, cap. II, p. 649, 650. — 3 Job, XIV, 4. — 4 Psal., L, 7. — 5 Rom., II, 23. — 6 Can. II. — 7 Lib. I Contr. Julian. cap. V.

 

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toujours la vie et le séjour des enfants de Dieu. Il prouve aussi par cette raison qu'il faut baptiser les petits enfants « en cas de péril (1); » et il répond à ceux qui prenaient occasion de différer leur baptême à cause que Jésus-Christ n'a été baptisé qu'à trente ans, qu'il a été libre de prolonger son baptême à celui « qui étant la pureté même n'avait rien à purifier, à qui par conséquent le baptême n'était pas nécessaire; mais qu'il n'en était pas ainsi de nous qui étions nés par la corruption (2). » On trouve aussi dans le même lieu (3) la pratique des exorcismes qui préparaient au baptême : ce qui n'était autre chose qu'une reconnaissance publique que tous ceux qu'on baptisait, et par conséquent les enfants, puisqu'on ne les baptisait pas dans une autre forme, étaient sous la puissance du démon.

On peut voir encore le premier discours, c'est-à-dire l’ Apologie de ce Père (4), où attribuant à l'homme avant le baptême tout ce qu'Adam a fait de mal, et à l'homme depuis le baptême tout ce que Jésus-Christ a fait de bien, il montre que le péché qui nous vient de l'un est aussi véritable en nous que la justice qui nous vient de l'autre; ce qui est le raisonnement de tous les Pères à l'exemple de saint Paul.

 

 

CHAPITRE XXX.

 

Saint Grégoire de Nysse.

 

Il n'est pas possible que saint Grégoire de Nysse, dans une matière si essentielle à la religion, se soit séparé de saint Basile son frère qu'il appelle aussi son maître, et de saint Grégoire de Nazianze avec lequel il était uni, comme tout le monde sait. Cependant on pourrait être étonné de trouver dans son grand Catéchisme une longue instruction sur le baptême, dans laquelle il n'entre pas un mot du péché originel. Il y tourne toute sa pensée à l'instruction des adultes, qui faisaient peut-être alors le plus grand nombre de ceux que l'on baptisait ; mais ce qu'il ne marque pas dans l'explication du baptême, il le marque dans l'explication de l'Eucharistie, où pour expliquer pourquoi Jésus-Christ entre en

 

1 Orat. XL, p. 648, 653.— 2 Ibid., p. 658. — 3 Ibid., p. 657.— 4 Orat. I, p. 11, 12.

 

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nous par la manducation réelle et substantielle de son corps il dit «que comme le mal a pénétré au dedans, lorsque nous avons goûté le fruit défendu, il fallait que le remède y entrât aussi (1). » Il prononce ailleurs que « la chair est assujettie au mal à cause du péché : que la mort est venue par un homme et le salut par un homme aussi (2), » ce qui étend aussi loin la perte en Adam que le salut en Jésus- Christ : «qu'une femme (la sainte Vierge) a délivré une femme,» c'est-à-dire Eve et ses enfants; «et qu'eu introduisant la justice en Jésus-Christ, elle a réparé le péché qu'une autre femme avait introduit : » que Jésus-Christ a reçu le baptême « afin de relever celui qui était tombé et de confondre celui qui l'avait abattu, » c'est-à-dire le diable, « qui, dit-il, a introduit le péché. » C'en est assez pour montrer qu'il ne dégénérait pas de la doctrine de l'antiquité, qui paraît si manifeste dans ceux de son siècle avec qui il avait le plus de liaison.

Je ne crois pas pouvoir ajouter rien de considérable aux passages de saint Hilaire et de saint Ambroise, que saint Augustin a rapportés; et ainsi il ne me reste plus, pour achever le quatrième siècle, que d'examiner avec lui les endroits de saint Chrysostome, ce qui fera la principale matière du livre suivant.

 

1 Catech. magna, cap. XXXVII, tom.  III, p. 102 et seq. — 2 De Virg., ibid. P. 152

 

 

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