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LES MÉDITATIONS.

 

REMARQUES HISTORIQUES.

 

I.

 

Ceux qui voient toujours Bossuet pour ainsi dire sur le mont Sinaï, lançant la foudre et des éclairs, ne le connaissent pas tout entier : si, d'un côté, la force et la véhémence, la grandeur et l'élévation, le sublime et l'éclat sont les traits caractéristiques de son esprit; d'une autre part la bonté, la douceur, l'indulgence, la compassion vivifiée par le zèle charitable et l'affectueuse piété, forment le fond de son cœur.

En effet, à côté du grand orateur qui subjugue les âmes et de l'invincible docteur qui terrasse les hérésies, on rencontre toujours, dans ce saint évoque, le bon pasteur qui pait ses ouailles fidèles dans les gras pâturages et ramène la brebis égarée dans le bercail du Seigneur. A peine vient-il d'étonner les princes et les rois par la sublimité de ses accents dans les Oraisons funèbres; et déjà nous le voyons, tantôt dans une conférence ecclésiastique instruisant ses prêtres avec la simplicité d'un Vincent de Paul, tantôt dans son séminaire préparant comme un autre Borromée les jeunes lévites aux combats de la foi, tantôt dans une humble église de campagne bégayant en quelque sorte la céleste parole au milieu des laboureurs et des enfants.

Il affectionnait particulièrement, parce qu'elle était la plus sainte, la portion de son troupeau que les vœux de la perfection chrétienne consacraient à Dieu sans réserve. Lorsqu'il avait déjà supporté le poids du jour au milieu des travaux de la science et de l'épiscopat, il allait dans un monastère expliquer familièrement, comme il avait fait au Val-de-Grâce, soit un psaume, soit un passage de l'Evangile. Malgré la distance des lieux, il savait porter partout, comme à travers l'espace, les bienfaits de la sollicitude pastorale; ses lettres de direction allaient trouver partout, dans son diocèse, les âmes pieuses, craintives, affligées, qui avaient besoin de lumières, d'encouragements, de consolations.

Tout cela ne contentait pas son cœur d'évêque : il voulut se trouver

 

II

 

en tout temps et en tout lieu, si l'on peut parler de la sorte, dans les asiles de la prière et de la ferveur chrétienne : il composa les Elévations sur les mystères et les Méditations sur l’Evangile.

Si l'on veut montrer ici-bas la vérité divine avec ses ravissantes splendeurs, qu'on la fasse ressortir dans sa simplicité majestueuse, pure des vains ornements du langage humain, telle que la dévoilent à nos yeux les célestes oracles interprétés par l'Eglise. Déjà Bossuet avait exposé pour l'instruction du dauphin, au milieu du faste et des bruits de la Cour, les principaux dogmes de la foi ; dans les Elévations sur les mystères, il entoura ces dogmes d'un nouvel éclat, en les exposant sur un plan plus large à la lumière des Ecritures. Partant du sein de l'éternité pour arriver à la plénitude des temps, il suit les âges progressifs de la religion, depuis son origine jusqu'à la prédication du Sauveur; la fécondité du Père, la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit; la catastrophe des anges rebelles, la déchéance de l'homme et la promesse de sa réhabilitation; la vie des patriarches, les prodiges de Moïse et les prédictions des prophètes; Jésus né d'une Vierge mère, vivant caché en Dieu et soumis à ses parents : voilà les sujets qu'il traite avec la hauteur de la foi, voilà les mystères auxquels il nous élève dans les Elévations. — Lorsque Jésus-Christ se fut préparé à sa mission libératrice, il prêcha l'Evangile, et c'est ici que commencent les Méditations. Comme on le verra dans l’Avertissement de l'auteur, le divin Maitre nous a donné ses principaux enseignements, d'abord dans le discours sur la montagne, ensuite dans les paroles si touchantes qu'il a prononcées vers la fin de sa vie, depuis son entrée triomphante à Jérusalem jusqu'à sa mort. De là, comme deux parties : dans la première, le grand écrivain, suivant la marche du texte sacré, développe les vérités méconnues ou altérées par la philosophie profane, les principes du vrai bonheur; dans la seconde, il dévoile l'œuvre de la rédemption, les moyens du salut, les merveilles de la grâce, l'union de l'homme avec Dieu.

Les Elévations se distinguent par la grandeur de la pensée et par l'éclat du style. Lorsque Bossuet aborde l'éternelle génération du Verbe, il fend les airs et s'élève dans son vol rapide à la hauteur de l'aigle des évangélistes, de Jean, « enfant du tonnerre, qui ne parle point un langage humain, qui tonne, qui étourdit, qui abat tout esprit créé sous l'esprit de la foi; » il s'écrie : « Où. vais-je donc me perdre? dans quelle profondeur, dans quel abîme? » Partout il plane, au-dessus des nuages et des séraphins, dans les régions de l'infini, contemplant l'Etre immense, distinct dans son unité substantielle par la fécondité de la pensée, la filiation de la parole et la procession de la volonté aimante; exaltant les Personnes adorables dans la création qui tire l'univers du néant, dans la diffusion de la vérité qui produit

 

III

 

un nouveau monde intellectuel, et dans la justification qui dépose au sein de la nature corrompue le germe de la glorification. — Le style des Méditations est moins élevé, mais non moins touchant. Dans cet ouvrage, ce n'est plus le Dieu de gloire et de majesté, semant les astres à travers l'espace et tenant le monde en sa main, qui abat nos esprits interdits; c'est le Dieu fait homme, doux, charitable et miséricordieux, pardonnant aux pécheurs et ne déployant sa puissance que pour soulager toutes les infortunes, portant lui-même la croix sur ses épaules et nous donnant jusqu'à la dernière goutte de son sang, c'est le Dieu sauveur qui parle au fond des cœurs et fait naitre les plus nobles et les plus tendres sentiments. Ainsi le sage et pieux pontife conduit, par les voies de la spiritualité la plus sûre et la plus profonde, l’âme fidèle à l'école de Jésus et de Jésus crucifié, pour lui apprendre la reconnaissance et l'amour, la pénitence et la mortification, la prière et la vie en Dieu. La Harpe, qui s'était avisé de juger le grand homme et de le trouver médiocre dans les serinons, disait, avec vérité cette fois : «Ceux qui n'ont pas lu les Méditations ne connaissent pas Bossuet. »

Le lecteur l'a remarqué sans doute, les Elévations et les Méditations ne forment qu'un seul tout, et voilà pourquoi je parle ici de ces deux ouvrages en même temps. On trouve dans le premier les principales vérités du dogme chrétien, et l'on apprend dans le second les préceptes les plus importants de la morale. Toutefois l'auteur n'a pas voulu faire, selon les procédés didactiques de l'Ecole, un traité de théologie scientifique : « Vous croyez que j'irai, nous dit-il, résoudre tous les doutes et contenter vos désirs curieux ; vous vous trompez : je n'ai pas pris la plume pour vous apprendre les pensées des hommes. » Qu'est-ce donc qu'il va nous apprendre? Les pensées de la Sagesse éternelle, les inventions du Verbe incarné, les merveilles de la grâce, et cela sans raisonnement purement humain, sans discussion contentieuse, en dehors de tout système préconçu.

Ainsi les Elévations et les Méditations traitent des vérités les plus touchantes et les plus élevées du christianisme, et ces deux ouvrages doivent le jour au zèle épiscopal pour la sanctification des âmes : mais à quelle époque ont-ils été composés? L'abbé Ledieu dit dans ses Mémoires écrits en 1704 : « Bossuet composa, il y a dix ou douze ans, une explication de toute la religion; » il la composa dans sa retraite de Germigny, à deux lieues de Meaux, pour se reposer en Dieu des nouveaux travaux qu'il venait d'entreprendre pour la défense de l'Eglise, au commencement de la lutte qu'il soutint si glorieusement contre la plus dangereuse des hérésies, contre le quiétisme. D'après Les dates qu'on vient de lire, il faut fixer l'origine de nos deux chefs-d'œuvre entre 1694 et 1696; et voici une indication plus précise encore.

 

IV

 

En envoyant les Méditations aux religieuses de la Visitation de Meaux, Bossuet leur fit tenir la lettre suivante :

« Je vous adresse, mes Filles, ces Réflexions sur l’Evangile, comme à celles en qui j'espère qu'elles porteront les fruits les plus abondants. C'est pour quelques-unes de vous qu'elles ont été commencées; et vous les avez reçues avec tant de joie, que ce m'a été une marque qu'elles étaient pour vous toutes. Recevez-les donc comme un témoignage de la sainte affection qui m'unit à vous, comme étant d'humbles et véritables filles de saint François de Sales, qui est l'honneur de l'épiscopat et la lumière de notre siècle. — Je suis dans le saint amour de Notre-Seigneur, mes Filles, votre très-affectionné serviteur. + J. Bénigne, évêque de Meaux. — A Meaux, ce 6 juillet 1693. »

Les Méditations étaient donc terminées dans le milieu de l'année 1695, et les Elévations le furent bientôt après.

Dans la maladie qui le ravit aux lettres, à la science, à l'Eglise, pendant quinze mois de souffrances, il lit sans cesse, non-seulement les Livres divins (1), mais aussi les Elévations et les Méditations; il corrigeait avec soin ces deux ouvrages, vérifiant les interprétations des Ecritures et la concordance des faits évangéliques, mêlant aux considérations de la science les plus ardentes effusions de la prière et de la piété, ajoutant quelquefois et le plus souvent effaçant (2). «Ce fut là, dit un témoin de sa ferveur ; ce fut là sa consolation et sa joie dans les souffrances; il y trouva un avant-goût du bonheur éternel. »

 

II.

 

Malgré cette vive sollicitude, Bossuet ne publia lui-même ni les Elévations ni les Méditations; il chargea de ce soin, par disposition testamentaire, l'abbé Bossuet, son neveu, qu'il institua son légataire universel.

Le légataire universel n'attendit point la mort du donateur pour s'emparer des manuscrits; sitôt qu'on eut perdu l'espoir de conserver l'illustre malade, il mit en sûreté, lui et son frère, les Elévations et les Méditations, de même que la Politique sacrée et la Connaissance de Dieu et de soi-même (3). Pourquoi tant d'empressement? voulait-il imprimer?

 

1. Le prêtre qui l'assista pendant ces jours cruels, dit dans la Relation de sa mort : « Lorsqu'il se sentait soulagé, sa principale occupation était la lecture de l'Ecriture sainte; et ceux qui l'approchaient aussi bien que moi, savent que nous lui lûmes presque tout le Nouveau Testament et plus de soixante fois tout l'évangile de saint Jean, particulièrement le XVIIe chapitre et tous les endroits qui excitent la confiance, parce que c'était la voie par où Dieu le conduisait. » — 2 Journal de l'abbé Ledieu, 11 novembre 1703; 9 décembre, même année; 13 décembre, même année ; 28 janvier 1704, et passim. L'historiographe dit au dernier endroit indiqué : « Il voulait essayer de faire des Elévations et des Méditations un ouvrage digne du public. — 3 Ibid., 8 septembre 1703.

 

V

 

Non : déjà il s'était emparé secrètement des honoraires de son oncle (1) : « Il était fort attentif, dit l'abbé Ledieu, et portait sa prévoyance sur l'argent et sur ce qui pouvait donner de l'argent (2). »

Enfin, le voilà maître de la succession : il enlève de la bibliothèque épiscopale les plus beaux livres (3), et fait estimer par un tapissier venu de Paris les meubles de Meaux et ceux de Germigny. Le compte fait d'après barème, il demanda vingt et un mille livres pour ces meubles; le successeur de son oncle, M. de Byssi, offre vingt mille livres, en se réservant quelques orangers comme cadeau; le tapissier de Paris promet vingt mille huit cents livres, sans rien exiger « par-dessus le marché (4). » A la suite de nombreuses ambassades, après d'interminables débats qui retiennent pendant longtemps le nouvel évêque loin de son diocèse, les négociations sont rompues. L'exécuteur testamentaire fait alors une nouvelle visite à l'évêché : « il emporte, non-seulement les bons meubles, mais même tous les gros et de vil prix;... tous les livres absolument sont ôtés de la bibliothèque, et tous les ornements avec leurs armoiries emportés de la sacristie, même les livres à l'usage de l'église cathédrale (5). Tout bien préparé, il vend ce mobilier à la criée publique, et répète à Germigny la même opération (6) : coup de maître, spéculation heureuse, car la piété s'empresse d'acquérir les ornements sacrés du saint évêque, et l'admiration paie cher les plumes, les porte-feuilles, les secrétaires du sublime écrivain. En même temps l'habile et zélé représentant de Bossuet soutenait à la fois, debout sur la brèche, deux procès, l'un contre le chapitre et l'autre contre l'évêque, pour les réparations de la cathédrale et de l'évêché. Au milieu de tout cela, comment s'occuper de travaux scientifiques et littéraires?

Et ce n'est pas tout. Les habitudes qui l'avaient trahi dans son voyage à Rome, et dont le bruit vint jusqu'à Meaux (7), interdisaient à ce « petit neveu d'un grand homme, » pour l'appeler comme Joseph de Maistre, toute occupation sérieuse. Il en faut dire autant de l'ambition; dans l'espoir d'avancer ses projets de grandeur, en politique industrieux « qui n'épargne ni dépense ni bon accueil pour s'attirer les gens, » il tenait table ouverte dans plusieurs résidences (8). Les visites et les promenades n'étaient pas moins de son goût; lorsqu'il n'attendait pas debout sur ses membres dans une antichambre, on le voyait sur toutes les routes « marchant comme le vent dans sa berline avec six

 

1 Journal de l'abbé Ledieu, 6 septembre 1703 : « Depuis dix ou douze jours, M. l'abbé Bossuet s'est saisi des quittances de M. de Meaux, pour recevoir au trésor royal ses appointements de précepteur et de conseiller d'Etat, qui montent à 17,000 francs; et eu les prenant, il recommanda bien à M. l’abbé Jauel, qui avait sollicité et obtenu les ordonnances, de n'en rien dire.» — 2 Ibid., 8 septembre 1703. — 3 Ibid., 10 avril 1705. — 4 Ibid., 2 mai 1705. — 5 Ibid., 1 et 2 mai 1705. — 6 Ibid., 9 et 11 juillet 1705. — 7 Ibid., 28 décembre 1704.—  8 Ibid., 10 avril 1705.

 

VI

 

bons chevaux (1) Faudra-t-il dire que ses connaissances étaient médiocres? Ce Jacques-Bénigne Bossuet d'une nouvelle sorte ignorait les choses les plus élémentaires; les signes de la correction typographique furent toujours pour lui lettre close (2); et dans la crainte de compromettre sa dignité, il repoussait les conseils et le secours d'autrui (3). Aussi l'abbé de Beaufort, l'abbé Fleury, tout le monde disait qu'on ne pouvait attendre de lui rien de bon pour les œuvres posthumes (4). Et comment aurait-il pu les publier? Il avait rarement sous la main les manuscrits qui lui avaient été confiés; les Méditations et les Elévations se trouvaient tantôt chez Mme de Maintenon ou le duc de Bourgogne, tantôt sur le secrétaire du Dr Pirot ou de l'évêque de Mirepoix (5); « faisant sa cour par toute sorte de breloques, » dit toujours notre historiographe (6), » il distribuait partout les lettres, les sermons, les écrits qu'il devait publier, et c'est ainsi qu'il en a perdu plusieurs.

Cependant il pria l'abbé Ledieu de corriger les Elévations et les Méditations; de corriger ces chefs-d'œuvre, dis-je, car ils blessaient en plusieurs choses la rigidité de ses principes et la délicatesse de son goût; on voulait dans son conseil en faire disparaître les fautes de langage et les inexactitudes de doctrine ; « le style passionné » de l'auteur, « sa tendresse spirituelle, sa manière de dire dans les choses de piété.» faisait naître des inquiétudes d'esprit et des scrupules de conscience; on était fort embarrassé de plusieurs expressions que le grand évêque avait souvent écrites et prononcées plus souvent encore; par exemple on ne savait que faire de cette phrase : Dans l'Eucharistie, Jésus-Christ s'unit ci l'homme esprit à esprit, cœur à cœur, corps et corps, « par où des libertins pouvaient entendre à la lettre ipsa copula (7). » Avant que ces doutes fussent résolus, pour endormir l'impatience du public, il adopta des mesures qui annonçaient une publication prochaine : il fit successivement, avec les libraires Dezallier et Cot, deux traités d'impression qu'il laissa tomber; il prit aussi, l'un après l'autre, deux privilèges qu'il laissa périmer (8).

Enfin les ouvrages si longtemps attendus, si vivement désirés parurent, quand? Les Elévations en 1727 et les Méditations en 1731, par conséquent 23 et 27 ans après la mort de l'auteur. Comme l'éditeur avait été revêtu pendant la régence de la dignité épiscopale qu'il avait courue vainement sous Louis XIV, dans l'instruction pastorale qui annonçait sa publication, il dit que « son oncle lui avait commandé de faire imprimer les Elévations et les Méditations, comme des monuments

 

1 Journal de l'abbé Ledieu, 6juin 1703.— 2 Ibid., 19 mars 1708.— 3 Ibid., 16 novembre 1706. — 4 Ibid., 23 juin 1703, et ailleurs. — 5 Ibid., 3 janvier 1705; 10 avril, même année; 13 novembre, même année. — 6 Ibid., 17 mars 1708.— 7 Ibid., 17 novembre 170a. — 8 Ibid.. 1er juillet 1703; 31 janvier 1708. Dans le premier de ces traités, l'abbé Bossuet se réservait comme honoraires deux cents exemplaires sur mille ; dans le second, il s'en assurait trois cents, dont soixante reliés en maroquin.

 

VII

 

de son amour pour l'Eglise, et de son zèle pour le salut des fidèles, el pour la perfection des saints; » il ajoute qu'il s'empresse, dans sa sollicitude épiscopale, de les donner à ses chers diocésains (1). Empressement tardif, en vérité!

 

III.

 

Les maitres de Bossuet voulaient donc retoucher les Elévations et les Méditations; qu'ont-ils corrigé? D'abord le titre du dernier de ces ouvrages. Comme on l'a vu plus haut dans sa lettre aux religieuses de la Visitation, l'auteur l'intitule, non pas Méditations, mais Réflexions sur l'Evangile; et ce titre se trouve dans le manuscrit et dans les anciennes copies, dans celle de Jouarre ainsi que dans celle de Meaux. Néanmoins, comme le public est habitué au mot Méditations, pour ne pas jeter la confusion dans les idées, on l'a conservé dans la nouvelle édition.

Après cela les critiques ont mis des titres aux divisions des deux ouvrages, c'est-à-dire au commencement de chaque élévation et de chaque méditation. Si l'auteur n'avait pas été prévenu par la mort, il n'aurait pas manqué d'écrire ces indications sommaires : voilà pourquoi on les a maintenues pareillement, en avertissant une fois pour toutes qu'elles sont, non pas de Bossuet, mais de l'abbé Ledieu.

Ensuite les correcteurs ont modifié, d'après la Vulgate, plusieurs textes bibliques que l'auteur cite d'après d'autres versions plus exactes et non moins authentiques : on a rejeté sans scrupule ces prétendues rectifications.

En outre ils ont intercalé, dans les Méditations, trois longs passages que ne renferment ni- le manuscrit, ni les anciennes copies : on les a repousses comme apocryphes, avec la seule réserve de les mentionner en lieu convenable.

Disons enfin que les savants éditeurs ont changé des termes, des phrases, des passages entiers. Il faudrait un volume pour relever toutes ces corrections, ou plutôt toutes ces altérations présomptueuses; qu'il nous suffise d'en signaler quelques-unes.

Dans la IIe Elévation de la XIe semaine, Bossuet montre en saint Jean-Baptiste quatre choses qui nous préparent à Jésus-Christ. La deuxième est « sa vie étonnante dans le désert, dit le manuscrit; mais l'édition de l'évêque de Troyes porte, ainsi que toutes les autres : « Sa vie

 

1 Seconde instruction, jointe aux Méditations, édition de 1731. Bien qu'il eût mis la déniera main aux Oraisons funèbres, Bossuet refusa longtemps de les donner au public; mais il ordonna de publier les Elévations et les Méditations, quoiqu'il trouvât ces ouvrages fort imparfaits. Pourquoi cette différence de volonté? Parce que les Elévations et les Méditations traitent des sujets pieux.

 

VIII

 

Étonnante dans le désert dès son enfance (1). » — Les deux textes contiennent trois lignes plus bas :

 

 

Les éditions.

 

Quatre mémorables circonstances de l'histoire de saint Jean-Baptiste, que nous remarquons chacune à sa place, pour nous préparer à voir la gloire du Sauveur.

Suivons donc le saint précurseur, et voyons-le devancer en tout et partout le Fils de Dieu, tant dans sa vie que dans sa mort. Il va être conçu (2).....

 

 

Le manuscrit.

 

Quatre mémorables circonstances de l'histoire de saint Jean-Baptiste, pour nous préparer à voir la gloire du Sauveur : suivons pas à pas le saint précurseur, et voyons-le devancer en tout et partout le Fils de Dieu.

Il va être conçu...

 

 

Ces deux colonnes reproduisent avec la plus grande exactitude, non-seulement les termes el les phrases, mais les alinéa et la ponctuation.

Dans les Élévations suivantes, les éditions disent : « Après avoir accompli le ministère sacré (3); » pour, après cette sainte fonction : « c'est son humilité qui la jeta (4); » pour, son humilité la jeta : « même après que l'ange lui eut déclaré quel fils elle devrait concevoir (5); » pour, quoi que l'ange lui eût dit du fils qu'elle devait concevoir : « j'ai résolu de tout temps (6); » pour, j'ai résolu : « celui qui écoute la parole de Dieu et fait sa volonté (7); » pour, celui qui écoute la parole de Dieu : « il entonne son Evangile par ces mots, » pour, il entonne par ces mois (8) : « remontez. Elevez-vous avant tous les jours (9); » pour, remontez avant tous les jours : « un temple, un palais, qui ne sont qu'un amas de bois et de pierres..., ont quelque chose de vivant dans l'idée et dans le dessein de l'architecte (10); » pour, un temple, un palais, qui n'est qu'un amas de bois et de pierres..., est quelque chose de vivant dans l'idée et dans le dessein de son architecte. — On voit que nos censeurs sont loin d'être heureux dans leurs corrections ; mais citons des passages qui présentent une certaine étendue.

 

1 Edition de Versailles, tome VIII, p, 264. Je cite l'édition de Versailles, parce qu'elle est tout ensemble et la fidèle copie de celles qui l'ont précédée, et pour ainsi dire la matrice de celles qui l'ont suivie. — 2 Ubi supra. — 3 Ibid., p. 267. — 4 Ibid., 276. — 5 Ibid., 279. — 6 Ibid. — 7 Ibid., 285. — 8 Ibid., 286. — 9 Ibid., 289. — 10 Ibid., 295.

 

IX

 

 

Les éditions. 

Le monde me méprisera, ou ne m'honorera pas autant que mon orgueil le désire. Je le méprise à mon tour ; je m'en dégoûte. Ce dégoût est le précurseur de l'attrait  céleste  qui m'unit à Dieu. Cette profonde mélancolie où je suis jeté, je ne sais comment, dans les détresses de cette vie, est un précurseur qui me prépare à la lumière.. Les terreurs des jugements de Dieu, qui ne me laissent de repos ni nuit ni jour, sont un autre précurseur (1)...

 

 

Le manuscrit. 

Le monde me méprisera, ou no m'honorera pas autant que ma vanité le désire : je le méprise, je m'en dégoûte : ce dégoût est le précurseur de l'attrait céleste qui m'unit à Dieu. Cette profonde mélancolie où je suis jeté je ne sais comment, est un précurseur qui me prépare à la lumière... Les terreurs des jugements de Dieu, qui me persécutent nuit et jour, sont un autre précurseur...

 

 

 

Les additions des correcteurs n'affaiblissent-elles pas plutôt la pensée qu'elles ne la fortifient? Un peu plus loin :

 

 

Les éditions. 

Nous disons du Verbe, qu'il était Verbe, qu'il était Fils unique, qu'il était Dieu ; et ensuite nous considérons ce qu'il a été fait. Il était Dieu dans l'éternité; il a été fait homme dans le temps. Et même saint Pierre dit (2)...

 

 

Le manuscrit. 

Nous disons du Verbe qu'il était Verbe, qu'il était Fils unique, qu'il était Dieu et qu'il a été fait : Dieu dans l'éternité, homme dans le temps. Et ensuite saint Pierre dit...

 

 

 

Ici les éditeurs défigurent par leurs explications maladroites, non-seulement le texte, mais le sens de l'auteur. — Ils poursuivent ainsi :

 

 

Les éditions. 

Il était naturellement plus que Jean : et c'est pourquoi il lui a été préféré. Cette préférence, pour ainsi parler, est une chose qui a été faite; mais qui n'aurait point été faite, si en effet Jésus-Christ, selon sa divinité, n'était plus grand que Jean (3). 

 

 

Le manuscrit. 

Il était naturellement plus grand que Jean, et c'est pourquoi il lui a été préféré : ce qui est une chose qui a été faite; mais qui n'aurait point été faite, si en effet Jésus-Christ selon sa divinité n'était plus que Jean.

  

Toujours des intercalations explicatives qui n'expliquent rien. — A la même page :

 

 

Les éditions. 

Et quand le même disciple bien-aimé dit dès les premiers mots de sa première Épître : Ce qui fut au commencement : où le ce doit être entendu substantivement, comme qui dirait : Ce qui était par sa nature et par sa substance, n'est-ce pas la même chose que ce qu'il a dit (4)?...

 

 

Le manuscrit

Et le même disciple bien-aimé : « Ce qui fut au commencement, » ce expliqué substantivement et ce qui était par nature et par substance, n'est-ce pas la même chose que ce qu'il a dit?...

 

  

1 Edition de  Versailles, tome VIII,  p.  298. — 2 Ibid.,  p.  306. — 3 Ibid.,  p. 307. — 4 Ibid.

 

X

 

Que cela suffise pour les Elévations. Les Méditations n'ont pas été reproduites plus fidèlement. Le manuscrit de la première partie, renfermant l'explication du discours sur la montagne, se dérobe depuis longtemps à toutes les recherches; il fut probablement arrêté, par une main peu délicate, dans les pérégrinations que la complaisance intéressée du propriétaire lui faisait faire de portefeuilles en portefeuilles. L'abbé Ledieu dit qu'il a voit une copie plus complète que le manuscrit de l'abbé Bossuet (1); cette copie n'aurait-elle pas servi de source et de type à l'édition princeps, donnée en 1731 par l'évêque de Troyes? Dans ces conjonctures, que devait-on faire pour la nouvelle édition de Bossuet? Comme toutes les copies renferment toute sorte d'inexactitudes, à défaut du manuscrit, on a consulté, pour la première partie des Méditations, l'édition de 1731, et aussi celle de 1752, qui au reste ne diffère pas de celle-là; pour la seconde partie qui forme presque tout l'ouvrage, on a suivi le manuscrit; et le collationnement a révélé dans les éditions des fautes innombrables, des altérations de tout genre, des interpolations de toute espèce.

Ici l'on ne mettra point en regard, dans des extraits comparatifs, le texte des éditeurs et celui du manuscrit : voici un fait qui peut remplacer toutes les citations. En 1772, les bénédictins des Blancs-Manteaux publièrent sous la direction de Déforis, l'aigle de la congrégation janséniste, les deux œuvres posthumes d'après les premières éditions et quelques copies. Lorsque leur travail fut imprimé, ils retrouvèrent, disent-ils, les manuscrits qui à la vérité n'avaient jamais été perdus, et la confrontation leur lit découvrir qu'ils avaient commis des milliers d'altérations; l’errata remplit, pour les Elévations seulement, 17 pages in-4°, imprimées sur deux larges colonnes avec des caractères très-serrés; et les éditeurs se gardèrent bien de porter en ligne de compte les changements de termes, les interversions de phrases, en un mot toutes les corrections que le caprice et la présomption leur avaient commandé de faire dans le texte de Bossuet. On me dispensera maintenant, je l'espère, de confronter ici les Méditations sur le manuscrit.

Au reste, si l'on veut savoir comment les premiers éditeurs ont arrangé, manipulé les œuvres posthumes, on trouvera dans les Remarques historiques du VIIIe volume de nombreux échantillons de leur savoir-faire.

Encore deux courtes remarques. Bossuet n'a pas suivi, dans tous ses ouvrages, le même système de ponctuation. Dans la dernière période de sa mission comme écrivain, lorsqu'il eut quitté la chaire apostolique, les périodes prirent plus d'ampleur et plus de développement sous sa plume que dans les époques précédentes : de là, la

 

1 Journal de l'abbé Ledieu, dimanche 8 août 1706.

 

XI

 

nécessité d'une ponctuation plus variée, par cela même l'emploi plus fréquent des deux points. — Le lecteur attentif de Bossuet ne blâmera point cette minutie. Minutie? Il n'y en a point dans le métier d'éditeur littéraire.

Ensuite, dans la distribution des matières, il ne fallait ni mettre les Méditations dans deux volumes différents, ni séparer ce livre des Elévations par d'autres œuvres. Pour éviter ce double inconvénient, il ne s'offrait qu'un moyen, c'était de donner les Méditations dans un premier volume, puis les Elévations avec les opuscules dans un second. Voilà ce qu'on a fait.

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