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Jérémie - Jonas XCVIII-CXI
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 DERNIÈRE SEMAINE
LVe - XCVIIe JOURNÉE

 

 LVe  JOURNÉE.  L'autorité de la synagogue cesse à la destruction du temple et du peuple de Dieu. Immobilité de l'Eglise chrétienne.

LVIe JOURNÉE.  Caractère des docteurs juifs, sévères, orgueilleux et hypocrites. Matth., XXIII, 4-7.

LVIIe JOURNÉE.  Jésus-Christ seul Père, seul Maître. Matth., XXIII, 8-11.

LVIIIe JOURNÉE.  Les Vœ, ou les malheurs prononcés contre les faux docteurs. Matth., XXIII, 13, 15, 16.

LIXe JOURNÉE.  Docteurs juifs, conducteurs aveugles et insensés. Ibid., 16 et suiv.

LXe JOURNÉE.  Guides aveugles, attachés aux petites choses et méprisant les grandes. Ibid., 23 et 24.

LXIe JOURNÉE.  Suite. Sépulcres blanchis. Ibid., 26 et 27.

LXIIe JOURNÉE.  Docteurs juifs persécuteurs des prophètes : leur punition. Ibid., 29-36.

LXIIIe JOURNÉE.  Lamentations, pleurs de Jésus sur Jérusalem. Ibid., 37, 39.

LXIV JOURNÉE.  Vices des docteurs de la loi; ostentation; superstition; corruption; erreurs marquées par saint Marc et par saint Luc. Marc, XII, 38-40; Luc, XX, 46, 47.

LXVe JOURNÉE.  Les Vœ, ou les malheurs prononcés par Notre-Seigneur contre les docteurs de la loi. En saint Luc, XI, 42-44 et suiv.

LXVIe JOURNÉE.  Quel est le vrai prix de l'argent. Veuve donnant de son indigence. Marc., XII, 41-44; Luc, XXI, 1-4.

LXVIIe JOURNÉE.  Ruine de Jérusalem et du temple. Matth., XXIV, 1-23; Marc, XIII, 1-23; Luc, XXI, 5-24.

LXVIIIe JOURNÉE.  La ruine de Jérusalem et celle du monde : pourquoi prédites ensemble? Ibid.

LXIXe JOURNÉE.  Les marques particulières de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde. Ibid.

LXXe JOURNÉE.  Les marques de distinction de ces deux événement expliqués encore plus en détail en saint Matthieu, en saint Marc et en saint Luc. Ibid.

LXXIe JOURNÉE.  Deux sièges de Jérusalem prédits par Notre-Seigneur. Le premier en saint Matth., XXIV, 15, 16; Marc, XIII, 14; Luc, XXI, 20. Le second en saint Luc, XIX, 43, 44.

LXXIIe JOURNÉE.  Réflexions sur les maux extrêmes de ces deux sièges. Ibid.

LXXIIIe JOURNÉE.  Suite des réflexions sur les mêmes calamités. Ibid.

LXXIVe JOURNÉE.  Réflexions sur les circonstances de la fin du monde. La terreur de l'impie. La confiance du fidèle. Matth., XXIV, 27-31; Luc, XXI, 25-28.

LXXVe JOURNÉE.  Le même sujet.

LXXVIe JOURNÉE.  Ces prédictions certaines : leur accomplissement proche : leur jour inconnu. Matth., XXIV, 34-36; Marc, XIII, 30-32.

LXXVIIe JOURNÉE.  Le jour du jugement dernier n'a pu être inconnu au Fils de Dieu. Marc, XIII, 32.

LXXVIIIe JOURNÉE.  Ce dernier jour est connu au Fils de Dieu, mais non pas pour nous l'apprendre. Marc., XIII, 32.

LXXIX   JOURNÉE.  Raisons profondes de notre Sauveur d'user de ces réserves mystérieuses pour l'instruction de son Eglise : mais non pour autoriser les hommes à user d'équivoques et de restrictions mentales. Ibid.

LXXXe JOURNÉE.  Ce qui doit être commun à ces deux grands événements : séduction générale. Ibid.

LXXXIe JOURNÉE.  Le même sujet. Guerres, famines, pestes, tremblements de terre, maux extrêmes. Ibid.

LXXXIe JOURNÉE.  Persécution terrible de l'Eglise, trahisons, charité refroidie. Ibid.

LXXXIIIe JOURNÉE.  Réflexions sur plusieurs circonstances de ces deux événements. Ibid.

LXXXIVe JOURNÉE.  Réflexions sur d'autres circonstances. Ibid.

LXXXVe JOURNÉE.  Instructions à recueillir. Se tenir prêt : veiller à tonte heure. L'un pris, l'autre laissé. Matth., XXIV, 37-51; Marc, 33-37; Luc, XVII, 24.

LXXXVIe JOURNÉE. Le Père de famille : ses serviteurs : la figure du voleur. Matth., XXIV, 45-47; Luc, XII, 41-44.

LXXXVIIe JOURNEE.  L'économe fidèle et prudent : sa récompense, lbidl.

LXXXVIIIe JOURNÉE.  Le serviteur méchant et violent : sa punition. Ibid.

LXXXIXe JOURNÉE.  Vierges sages, et folles. Matth., XXV, 1-13.

XCe JOURNÉE.  Parabole des dix talens et des dix mines. Matth., XXV, 14-30; Luc, XIX, 12-27.

XCIIe JOURNÉE.  Jugement dernier. Matth., XXV, 31 jusqu'à la fin.

XCIIe JOURNÉE.  Séparation des justes et des impies. Ibid.

XCIIIe JOURNÉE.  Venez, bénis : Allez, maudits. Ibid.

XCIVe JOURNÉE.  J'ai eu faim : j'ai eu soif. Nécessité de l'aumône : son mérite et sa récompense. Ibid.

XCVe JOURNÉE. J'ai eu faim, j'ai eu soif, transportes m la personne de Jésus-Christ. Ibid.

XCVI   JOURNÉE.  Venez, les bénis de mon Père : récompense des justes. Ibid.

XCVIIe JOURNÉE.  Retirez-vous, maudits : allez au feu éternel : condamnation des impies, lbid.

 

LVe  JOURNÉE.
L'autorité de la synagogue cesse à la destruction du temple et du peuple de Dieu. Immobilité de l'Eglise chrétienne.

 

En cherchant donc soigneusement dans l'Ecriture, je trouve

que la synagogue ne devait être absolument réprouvée, qu'après

 

 

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qu'elle aurait actuellement fait mourir Jésus-Christ. Bien plus : Dieu la voulait encore attendre, jusqu'à ce qu'elle eût méprisé le grand signe qu'il lui devait envoyer pour reconnaître le Christ, qui était celui de sa résurrection : « Cette race infidèle cherche un signe, et il ne lui en sera point donné d'autre que le signe de Jouas le prophète (1), » et le reste.

Ce n'était pas assez que le Christ fût ressuscité : il fallait que sa résurrection fût publiée, et que la pénitence eût été précitée en son nom, en commençant par Jérusalem , ce qui ne se commença qu'à la Pentecôte.

Ce n'était pas encore assez : car les apôtres ne se séparent pas encore de la communion du reste du peuple ; et quoiqu'ils fissent déjà un corps à part avec leurs disciples, ils allaient au temple comme les autres, et ils étaient reçus à y rendre le même culte. Car encore qu'ils s'assemblassent dans la galerie de Salomon et que personne n'osât se joindre à eux, néanmoins le peuple les glorifiait (2), et on ne les avait pas publiquement excommuniés.

On peut donc voir maintenant que ce qui est dit en saint Jean, « qu'ils avaient conspiré entre eux, de chasser de la synagogue ceux qui reconnaîtraient Jésus pour Christ (3) : » était plutôt une conspiration secrète qu'un décret public. Il en était de même du dessein de le faire mourir. Et en effet, tant s'en faut que les apôtres fussent excommuniés et exclus du temple, Jésus-Christ lui-même y prêchait, y ordonnait, y était reçu, consulté, écouté de tout le monde. Et tout ce qu'on fit après contre les apôtres par voie de fait, ne faisait pas qu'ils fussent privés du culte public, ni qu'eux-mêmes s'en séparassent, comme on vient de voir. C'était un temps d'attente où plusieurs gens de bien, qui pouvaient n'avoir pas vu les miracles de Jésus-Christ, demeuraient comme en suspens. « On venait cependant de toutes les villes à Jérusalem, pour y apporter les malades aux apôtres : on les exposait à l'ombre de saint Pierre (4); » et la synagogue, quoique déjà sur le penchant de sa ruine, n'avait pas encore pris absolument son parti.

C'est une chose admirable comme Dieu la supportait en

 

1 Matth., XII, 39, 40. — 2 Act., V, 12, 13, etc. — 3 Joan., IX, 22. — 4 Act., V, 15, 16.

 

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patience, et combien de formalités et de dénonciations, pour ainsi dire, il pratiqua, avant que de répudier entièrement cette Epouse infidèle. Il semble que, lorsqu'elle en vint à répandre le sang de saint Etienne, elle eût rompu tout à fait avec Dieu, et Dieu avec elle. Mais non : car l'infidélité de la ville de Jérusalem n'empêchait pas que les Juifs de la dispersion n'écoutassent encore les apôtres. Ils entraient dans les synagogues où on leur offrait la parole, comme on faisait à des frères et à de vrais Juifs. On écoutait paisiblement ce qu'ils disaient de Jésus, et on les invitait à en parler encore une autre fois dans l'assemblée suivante. Et le samedi étant venu, toute la ville accourut pour entendre la parole de Dieu de leur bouche. Alors les Juifs s'émurent, et contraignirent les apôtres à leur déclarer qu'ils allaient porter aux gentils la parole qu'ils refusaient de recevoir; ce qui était une espèce de rupture, puisque les apôtres s'en allèrent, secouant contre eux la poussière de leurs pieds. Voilà ce qui arriva à Antioche de Pisidie (1).

Mais la rupture n'était pas encore universelle : car ils continuaient à entrer dans les autres synagogues à leur ordinaire , et on leur y offrait encore la parole (2). Ils allaient aussi comme les autres à la prière commune dans l'oratoire destiné à cet usage (3). Saint Paul parla paisiblement dans la synagogue à Thessalonique, durant trois samedis consécutifs (4) ; il était ouï à Corinthe tous les samedis (5), prêchant toujours le Seigneur Jésus dans ses discours ; et ne s'en retirait que lorsqu'il voyait leurs blasphèmes manifestes, leur dénonçant toujours qu'ils allaient aux gentils, qui était comme le signal de la rupture : saint Paul demeurant pourtant toujours auprès de la synagogue, sans doute pour la fréquenter à son ordinaire, autant qu'on l'y recevrait (6).

Ce qui se passa à Ephèse sent un peu plus la rupture : car saint Paul y ayant prêché trois mois durant dans la synagogue avec une pleine liberté, le blasphème de quelques-uns qui entraînèrent les autres, fit qu'il sépara ses disciples et continua ses discours dans l'école d'un certain nommé Tyran (7). Mais ce n'était rien moins encore qu'une rupture absolue avec la synagogue, puisqu'après

 

1 Act., XIII, 5 et suiv. — 2 Ibid., 15. — 3 Act., XVI, 13, 10. — 4 Act., XVII, 2. — 5 Act., XVIII, 4. — 6 Ibid., 7. — 8 Act., XIX, 8, 9.

 

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tout cela le même saint Paul étant arrivé à Jérusalem par le conseil de saint Jacques et de tous les prêtres, se joignit à quatre fidèles qui avaient fait un vœu, et se sanctifiant avec eux, entra dans le temple , où ils offrirent leurs oblations et accomplirent leur vœu, en témoignage de leur communion avec le service du temple, et le peuple qui le fréquentait (1), qui par conséquent n'était pas encore manifestement réprouvé. Et pour pousser tout d'un coup la chose jusqu'à la fin des Actes, les Juifs que saint Paul trouva à Rome lui déclarèrent que les « frères de Judée » contents alors de l'avoir chassé du pays, « ne leur avaient rien écrit, ni rien fait dire contre lui. » Ce qui fit qu'ils l'écoutèrent encore un jour entier, depuis le matin jusqu'au soir (2).

Pendant ce temps-là les gentils venaient en foule à l'Eglise, qui se formait tous les jours de plus en plus : la persécution s'éleva de tous côtés à l'instigation des Juifs qui allaient partout pour animer les gentils, jusqu'à ce qu'ils excitèrent Néron à cette première et grande persécution, où les deux apôtres saint Pierre et saint Paul moururent. Ce fut là comme le terme fatal marqué à la synagogue : car elle avait pris alors universellement parti contre les fidèles : les apôtres en allant au supplice, leur dénoncèrent le châtiment qui leur allait arriver : Dieu semblait les avoir attendus jusque-là en patience, et leur avoir donné tout ce temps-là pour faire pénitence du déicide commis en la personne du Fils de Dieu : mais enfin n'ayant écouté ni lui ni ceux qu'il leur envoyait pour les obliger à se repentir, il lança le dernier coup , où l'on sait que la cité sainte fut mise en feu avec son temple, avec toutes les marques de la dernière extermination que Daniel avait prédite. Ce fut alors que le peuple juif cessa absolument d'être peuple , conformément à ce qu'avait dit le même prophète : « Et il ne sera plus le peuple de Dieu (3). »

On voit donc l'état de l'Eglise dans cet intervalle. L'Eglise chrétienne commençait par la prédication de la vérité, que Jésus-Christ et ses apôtres établirent par tant de miracles et surtout par celui de la résurrection de Jésus-Christ, qui était qu'il le fallait reconnaître pour le vrai Christ. Alors cependant la synagogue n'était

 

1 Act., XXI, 23 et suiv. — 2 Act., XXVIII, 21, 23. — 3 Dan., IX, 26.

 

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pas encore entièrement répudiée, ni n'avait pas tout à fait perdu le titre d'Eglise, puisque les apôtres communiquaient encore avec elle, à son temple et à son service. C'était comme un temps d'attente, durant lequel se faisait la publication de l'Evangile. Il y en avait alors, qui peut-être n'ayant pas vu par eux-mêmes les miracles de Jésus-Christ et de ses apôtres, et ne sachant encore que penser, voyant aussi qu'il se remuait dans le monde quelque chose d'extraordinaire, demeuraient comme en suspens, attendant du temps le dernier éclaircissement et disant comme Gamaliel : « Si ce conseil n'est pas de Dieu, il se dissipera de lui-même : s'il est de Dieu, vous ne pourrez pas le dissiper (1). » Ceux qui demeuraient dans cette attente, dociles à recevoir la vérité quand elle serait entièrement notifiée, pou voient encore être sauvés, comme leurs prédécesseurs, en la foi du Christ à venir, parce qu'encore qu'il fût arrivé, la promulgation de sa venue n'avait pas encore été faite jusqu'au point que Dieu avait marqué, et après laquelle il ne voulait plus tolérer ceux qui n'ajouteraient pas une foi entière à l'Evangile. En attendant, l'Eglise judaïque demeurait encore en état : le Fils de Dieu lui donnait toujours la même autorité qu'elle avait, pour soutenir et instruire les enfants de Dieu, ne lui dérogeant la créance que dans le point que Dieu avait révélé par tant de miracles. Car la croyance qu'il donnait par ces miracles à l'Eglise chrétienne, ne dérogeait qu'à cet égard à la foi de l'Eglise judaïque : l'Eglise chrétienne naissait encore, et se formait dans le sein de l'Eglise judaïque, et n'était pas encore entièrement enfantée ni séparée de ce sein maternel : c'était comme deux parties de la même Eglise, dont l'une plus éclairée répandait peu à peu la lumière sur l'autre : ceux qui résistaient ouvertement et opiniâtrement à la lumière, périssaient dans leur infidélité : ceux qui demeuraient comme en suspens en attendant le plein jour, disposés aie recevoir aussitôt qu'il leur apparaîtrait, se sauvaient à la faveur de la foi au Christ futur, à la manière qu'on a vue : la synagogue leur servait encore de mère, et tenait encore la chaire de Moïse jusqu'à un certain point. Qu'on demandât : Quel Dieu faut-il croire ? Les docteurs de la loi vous

 

1 Act., V, 38, 39.

 

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répondaient : Celui d'Abraham, qui a fait le ciel et la terre. Que faut-il faire pour son culte, et qu'en ordonne Moïse ? Telle et telle chose. Faut-il attendre un Christ? Sans doute. Où doit-il naître? « En Bethléem (1), » tout d'une voix. « De qui doit-il être fils? De David, » sans hésiter (2). Mais ce Christ, est-ce Jésus? Dieu le déclarait ouvertement, et on n'avait pas besoin à cet égard de l'autorité de la synagogue : car il s'élevait une autorité au-dessus de la sienne, qu'il n'y avait pas moyen de méconnaître absolument. Ceux qui attendaient néanmoins ce que le temps devait faire pour la déclarer davantage, et qui se gardaient en attendant, à l'exemple d'un Gamaliel, de participer aux complots des Juifs contre Jésus-Christ et ses apôtres, faisaient ce que disait le Sauveur : « Faites ce qu'ils disent : » suivez ce qui a passé en dogme constant : « mais ne faites pas ce qu'ils font : » ne sacrifiez pas le Juste à la passion et à l'intérêt de vos docteurs corrompus : l'autorité naissante de l'Eglise chrétienne suffit pour vous en empêcher : la synagogue elle-même n'a pas encore pris parti en corps, puisqu'elle écoute tous les jours les apôtres de Jésus-Christ, et demeure comme en attente, Dieu le permettant ainsi, pour ne laisser pas tomber tout à coup dans la synagogue le titre d'Eglise, et pour donner le loisir à l'Eglise chrétienne de se former peu à peu. La synagogue s'aveugle à mesure que la lumière croit : les enfants de Dieu se séparent : la lumière est-elle venue à son plein par la destruction du saint lieu, par l'extermination de l'ancien peuple et l'entrée des gentils en foule avec un manifeste accomplissement des anciens oracles : la synagogue a perdu toute son autorité et n'est plus qu'un peuple manifestement réprouvé. C'est ce qui devait arriver selon les conseils de Dieu, dans cet entretemps qui se devait écouler entre la naissance de Jésus-Christ et la réprobation déclarée du peuple juif.

Mais cette diminution et cette déchéance d'autorité ne doit jamais arriver à l'Eglise chrétienne. On dit donc absolument à ses enfants : Vos pasteurs et vos docteurs sont assis, non plus sur la chaire de Moïse qui devait tomber, mais sur la chaire de Jésus-Christ qui est immobile : « Faites donc » en tout et partout « ce qu'ils

 

1 Matth., II, 5. — 2 Matth., XXII, 41.

 

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vous enseignent : » mais prenez garde seulement, s'ils sont mauvais, de séparer les exemples des particuliers des préceptes et enseignements soutenus sur leur ministère.

Admirons donc cette autorité de l'Eglise chrétienne , qui est en vérité le seul soutien des infirmes et des forts : et admirons aussi comment Dieu a ôté l'autorité à l'Eglise judaïque, plutôt par les choses mêmes et par la destruction du temple et du peuple que par aucun décret passé en dogme qui lui ait fait perdre sa créance.

 

LVIe JOURNÉE.
Caractère des docteurs juifs, sévères, orgueilleux et hypocrites. Matth., XXIII, 4-7.

 

« Ils lient des fardeaux. » Le premier abus c'est que, pour paraître pieux, ils font les sévères : « Ils lient des fardeaux pesants : » ils tiennent les âmes captives : car voyez jusqu'à quel point : « des fardeaux insupportables : sur les épaules (1) : » bien liés, en sorte qu'ils ne puissent s'en défaire : et tout cela pour les tenir dans leur dépendance sous prétexte d'exactitude.

C'est aussi un effet de la superstition. La véritable piété étant fondée sur la confiance dilate le cœur : mais la superstition qui se veut fonder sur elle-même met une chose sur une autre, et se charge de fardeaux insupportables.

Mais voici le comble du mal : ces faux docteurs, quand ils vous ont bien chargés, « ne vous aident pas du bout du doigt : » impitoyables en toutes manières et parce qu'ils vous chargent, et parce qu'ils ne songent pas à vous soulager. Voilà leur premier caractère, rigoureux par ostentation et en même temps durs et impitoyables.

« Ils tiennent captives des femmelettes chargées de péchés (2), » sous prétexte de leur donner des remèdes à leurs péchés, et en effet pour les tenir dans leur dépendance, sous le beau nom de direction.

Mais vous, ô véritables directeurs, si vous êtes obligés d'ordonner

 

1 Matth., XXIII, 4. — 2 II Timoth., III, 6.

 

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des choses fortes, soyez encore plus soigneux à soulager ceux à qui vous les imposez. Loin de vouloir vous attacher les âmes infirmes , rendez-les libres ; et autant que vous pourrez, mettez-les en état d'avoir moins besoin de vous, et d'aller comme toutes seules par les principes de conduite que vous leur donnez.

« Ils font tout pour être vus des hommes (1). » Voilà la source de tout le mal. La véritable piété ne songe qu'à contenter Dieu : ceux-ci n'ont que des vues humaines ; et ils sont sévères, afin qu'on les loue : ils veulent conduire, ils veulent diriger, pour se donner un grand crédit, afin qu'on voie qu'ils peuvent beaucoup, qu'ils sont de grands directeurs, et qu'ils ont beaucoup de gens de grande considération à leurs pieds.

a Ils aiment les premières places (2) : » les voilà peints : non que tous ils aient tous ces défauts : les uns ne se soucient pas tant des premières places : mais ils voudront qu'on les craigne, qu'on les visite, qu'on leur fasse de grandes révérences, sensibles au dernier point si on leur manque en la moindre chose. Les malheureux ! ils ont reçu leur récompense.

Mais ce qu'ils veulent sur toutes choses, c'est « qu'on les appelle Rabbi (3), » et qu'on les tienne pour maîtres, qu'on révère leurs décisions comme des oracles, et que tout le monde aille à eux comme à la règle.

Que ceux qui sont en place, où ces devoirs leur sont rendus naturellement, craignent de s'y plaire : la tentation est délicate : car on passe souvent de la fermeté qu'on doit avoir pour maintenir l'autorité légitime, à une jalousie de grandeur tout humaine et toute mondaine. Le remède est dans les paroles suivantes.

 

LVIIe JOURNÉE.
Jésus-Christ seul Père, seul Maître. Matth., XXIII, 8-11.

 

« Un seul maître (4) : » écoutez le maître intérieur : ne faites rien qu'en le consultant : faites tout sous ses yeux : songez ce que vous

 

1 Matth., XXIII, 5. — 2 Ibid., 6. — 3 Ibid. 7. — 4 Ibid., 8.

 

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feriez si vous aviez à chaque moment à lui rendre compte : vous prendriez son esprit, comme vos subalternes prennent le vôtre : vous craindriez de vous rien attribuer au delà des bornes, pour n'être point repris d'un tel supérieur. Or, encore que vous n'ayez point à lui rendre compte en présence à chaque moment, il viendra un jour que tout se verra ensemble : et en attendant on observe tout : et celui à qui vous aurez à rendre compte, « viendra lorsque vous y penserez le moins (1), » pour voir si vous n'avez point insolemment abusé du pouvoir qu'il vous a laissé en son absence, «  Vous êtes tous frères (2). » Songez-y bien : vous qui êtes supérieur, vous êtes frère. S'il faut donc prendre l'autorité sur votre frère, que ce soit pour l'amour de lui, et non pour l'amour de vous : pour son bien, et non pour vous contenter d'un vain honneur.

« Il n'y a qu'un Père ; il n'y a qu'un Maître (3). » Si on vous appelle « Père, » parce que vous en faites la fonction, elle est déléguée , elle est empruntée. Revenez au fond : vous vous trouverez frère et disciple : ayez-en donc l'humilité : apprenez d'un moment à l'autre ce que vous avez à enseigner. Ainsi vous serez un père, vous serez un maître : car saint Paul a bien dit « qu'il était père et qu'il engendrait des enfants (4) ; » mais la semence de Dieu, c'est sa parole (5). Recevez donc continuellement de Dieu. Prêchez-vous, écoutez au dedans le Maître céleste et ne prêchez que ce qu'il vous dicte. Conduisez-vous, conseillez-vous, consolez-vous. Si vous parlez, que ce soient « des discours de Dieu : si vous servez quelqu'un » en le conduisant, « que ce soit par la vertu que Dieu vous fournit (6) » sans cesse.

« Un seul Maître : » une seule « lumière qui éclaire tout homme venant au monde (7) : » qui a parlé au dehors, et parle encore tous les jours dans son Evangile : mais qui parle toujours au dedans, dès qu'on lui prête l'oreille. Dans quel silence faut-il être, pour ne perdre pas la moindre de ses paroles ? « Le plus grand d'entre vous, c'est votre serviteur (8) : » il ne dit

 

1 Matth. XXIV, 45, 50. — 2 Matth., XXIII, 8. — 3 Ibid., 9, 10. — 4 Cor., IV, 14, 15; Galat., IV, 19. — 5 Luc, VIII, 11. — 6 I Petr., IV, 11. — 7 Joan., I, 9. — 8 Matth., XXIII, 11.

 

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pas qu'il n'y ait pas d'ordre dans son Eglise, et que personne n'y soit élevé en autorité au-dessus des autres : mais il avertit que l'autorité est une servitude : « Je me suis fait serviteur de tous, » disait saint Paul : « tout à tous, afin de les sauver tous (1) : » l'exercice de l'autorité ecclésiastique est une perpétuelle abnégation de soi-même.

 

LVIIIe JOURNÉE.
Les Vœ, ou les malheurs prononcés contre les faux docteurs. Matth., XXIII, 13, 15, 16.

 

Ecoutons bien ces : « Malheur à vous (1) : » dès qu'on se fait maître pour soi-même et pour être honoré, malheur à vous : c'est une malédiction sortie de la bouche de Jésus-Christ : c'est une sentence prononcée, qui sera suivie d'une autre : « Allez, maudits. »

Comment est-ce que les docteurs ferment le ciel? En débitant de fausses maximes et mettant l'erreur en dogme.

Ils ne voulaient point croire en Jésus-Christ, et empêchaient le peuple d'y croire. C'était véritablement fermer la porte du ciel, puisque Jésus-Christ est cette porte.

Un autre moyen de la fermer, c'est de la faire trop large, pendant que Jésus-Christ la fait étroite ; car dès là ce n'est plus la porte que Jésus-Christ a ouverte : c'en est une autre que vous ouvrez de vous-même ; et parce qu'elle est plus aisée, vous laites abandonner l'autre qui est la véritable.

Mais ce ne sont pas seulement les docteurs trop relâchés qui ferment la porte : Jésus-Christ attaque encore plus, dans tout ce sermon, ceux qui augmentent les difficultés et les fardeaux. Leur dureté rend la piété sèche et odieuse, et par là elle ferme le ciel.

Ces faux docteurs gâtent tout. Il n'y a rien de meilleur que l'oraison : ils la gâtent, parce que, « pour dévorer la substance des veuves, ils font semblant de prier Dieu longtemps » pour elles, ou de leur vouloir apprendre «à prier longtemps : » mais leur

 

1 I Cor., IX, 19, 22. — 2 Matth., XXIII, 13.

 

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jugement sera d'autant plus grand, que la chose dont ils abusent est plus excellente.

« Les maisons des veuves, » faibles par leur sexe, maîtresses de leur conduite et n'ayant plus de mari qui saurait bien écarter le directeur intéressé : voilà un vrai butin pour l'hypocrisie.

La plus parfaite action d'un docteur, c'est de convertir les infidèles ' : plus ils étaient éloignés, plus il y a de mérite à les ramener : ils gâtent cela : « ils le font doublement damner : » car ils l'attirent, et puis ils l'abandonnent : ils le gagnent et puis ils le scandalisent, et ne lui font que trop sentir qu'ils n'ont travaillé à le convertir que pour s'en faire une matière d'un vain triomphe. Ces malheureux prosélytes se rebutent de la piété et peut-être de la foi : et ils se damnent doublement, parce qu'ils deviennent déserteurs de la religion , et que sachant la volonté du maître, ils sont beaucoup plus punis : il valait mieux les laisser dans leur ignorance que de manquer à ce qu'il leur faut, pour profiter de la doctrine de la foi. Ne croyez donc pas avoir tout fait, quand vous les avez convertis ; c'est ici le commencement de vos soins : autrement vous ne serez, comme vous appellent les hérétiques par mépris, qu'un malheureux convertisseur.

Ne dites pas d'un pécheur : Il a commencé : il a fait sa confession générale ; qu'il aille maintenant tout seul. Vous ne songez pas que le grand coup est de persévérer : prenez garde que vous ne vouliez que la gloire de convertir, et non pas le soin de conserver.

Le faux zèle est bien marqué dans ces paroles : « Vous courez la mer et la terre, pour faire un seul prosélyte (2) : » qu'il est zélé ! Tant de peine pour un seul homme ! faux zèle, puisqu'il ne sert qu'à la vanité : il se repaît de la gloire d'avoir fait un prosélyte. Plus la chose est sainte, plus il est détestable de la gâter. J'ai fait cette religieuse, j'ai attiré cet homme à l'ordre : achevez donc : cultivez cette jeune plante : ne la déracinez pas par les scandales que vous lui donnez : qu'elle ne trouve pas la mort où elle a cherché la vie : en un mot, ne la damnez pas davantage par le mauvais exemple. Le mauvais exemple du monde lui aurait été moins

 

1 Matth., XXIII, LB. — 2 Ibid.

 

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nuisible : le mauvais exemple des serviteurs et des servantes de Dieu la perd sans ressource.

« Dieu dissipe les os de ceux qui plaisent aux hommes : ils sont remplis de confusion , parce que le Seigneur les méprise (1), » comme des hommes vains, qui préfèrent l'apparence au solide et au vrai.

 

LIXe JOURNÉE.
Docteurs juifs, conducteurs aveugles et insensés. Ibid., 16 et suiv.

 

Jusqu'ici il ne les a appelés « qu'hypocrites, » parce qu'ils mettaient la piété dans l'extérieur seulement. Voici une autre qualité qu'il leur donne : « conducteurs aveugles ; » et encore : « insensés et aveugles (2). »

Marquez la liaison de ces deux paroles : « conducteurs et aveugles : guides aveugles et insensés : » Hélas ! en quels abîmes tomberez-vous et ferez-vous tomber les autres? Car tous deux tombent dans l'abîme, et l'aveugle qui mène et celui qui suit.

L'aveuglement qu'il reprend ici est lorsque l'intérêt fait oublier les maximes les plus claires et les plus certaines.

Il est bien manifeste que « le temple et l'autel qui sanctifient les présents (3), » sont de plus grande dignité que le don qu'on met dessus pour les sanctifier. Et cependant ces guides aveugles étaient assez insensés pour dire que le serment qu'on faisait par le don, et par l'or qu'on avait consacré dans le temple et sur l'autel, était plus inviolable que celui qu'on faisait par le temple et par l'autel même. Pourquoi? parce qu'ils voulaient qu'on multipliât les dons et l'or dont ils profitaient : et c'est pourquoi ils en relevaient le prix, et ils poussaient leur aveuglement jusqu'à préférer le présent au temple et à l'autel, où on le consacrait.

Lorsqu'il dit que le temple et l'autel sanctifient le don, il parle pour l'ancienne loi, où en effet tous les dons et toutes les victimes, qui n'étaient que choses terrestres, étaient bien au-dessous du

 

1 Psal.  LII, 6. — 2 Matth., XXIII, 16 et suiv. — 3 Ibid., 18, 19.

 

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temple et de l'autel, qui étaient le manifeste symbole de la présence de Dieu. Mais dans la nouvelle alliance, il y a un don qui sanctifie le temple et l'autel. Ce don c'est l'Eucharistie, qui n'est rien de moins que Jésus-Christ et le Saint des saints : et ce don est en même temps un temple. « Détruisez ce temple, dit-il : et il parlait du temple de son corps (1) où la divinité habitait corporellement (2). » Il est donc le temple et plus que le temple : «Celui-ci est plus grand que le temple même (3). »

Il est l'autel, en qui et par qui nous offrons « des victimes spirituelles, agréables par Jésus-Christ (4).» comme dit saint Pierre.

Ceux qui estiment le don plus que le temple et plus que l'autel, sont encore ceux qui, donnant quelque chose à Dieu, le font valoir en eux-mêmes, au lieu de songer qu'on ne peut rien donner à Dieu qui ne soit beaucoup au-dessous de la majesté de son temple et de la sainteté de son autel.

Comme il élève l'esprit! Du don à l'autel et au temple : du temple au ciel dont il est l'image : du ciel à Dieu qui y est assis, qui y règne, qui y tient l'empire de tout l'univers.

Apportez votre don : apportez-vous vous-même à l'autel : et ne faites cas de vous-même qu'à cause que vous êtes consacré à Dieu : tirez de là tout votre prix : attendez de là tout ce que vous espérez de sainteté.

O le grand don que vous avez à offrir à Dieu ! son corps et son sang que tous les jours vous pouvez offrir à Dieu en sacrifice : don qui sanctifie l'autel et le temple, et ceux qui s'offrent dans le temple.

 

LXe JOURNÉE.
Guides aveugles, attachés aux petites choses et méprisant les grandes. Ibid., 23 et 24.

 

Par quelle erreur de l'esprit humain arrive-t-il qu'on observe la loi en partie, et qu'on ne l'observe pas tout entière : qu'on en

 

1 Joan., II, 19, 21. — 2 Coloss., il, 9. — 3 Matth., XII, 6. — 4 Petr., II, 5.

 

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observe les petites choses, comme de payer la dîme des plus vils herbages, et qu'on omet les plus grandes, la justice, la miséricorde, la bonne foi (1) ? Il y a là une ostentation et un air d'exactitude qui s'étend jusqu'aux moindres observances. Mais il faut encore remarquer ici quelque chose de plus intime. On observe volontiers dans la loi ce qui ne coûte rien à la nature : où les passions ne souffrent point de violence. On le sacrifie aisément à Dieu : on ne veut pas avoir à se reprocher à soi-même qu'on est sans loi, qu'on est un impie ; on s'acquitte par de petites choses, et on se flatte d'avoir satisfait : mais la lumière éternelle vous foudroie : « Il fallait s'attacher à ces grandes choses, mais sans omettre » les moindres (2). Il ne faut pas s'y attacher comme aux principales, ni les mépriser non plus à cause qu'elles sont petites.

Voyez ce que Jésus estime : « la justice, la miséricorde, la bonne foi. »

« Guides aveugles, qui coulez le moucheron et qui avalez un chameau (3). » Que le monde est plein de ces fausses piétés! Ils ne voudraient pas qu'il manquât un Ave Maria à leur chapelet. Mais les rapines, mais les médisances, mais les jalousies, ils les avalent comme de l'eau : scrupuleux dans les petites obligations, larges sans mesure dans les autres.

C'est encore la même chose que ce qui est dit au verset 5 : « Ils étendent les parchemins (4), » où ils écrivaient des sentences de la loi de Dieu, conformément au précepte du Deutéronome (5). Soit que ce fût une espèce d'allégorie, ou une obligation effective, ils voulaient bien avoir ces sentences roulantes et mouvantes devant les yeux : mais ils ne se souciaient pas d'en avoir l'amour dans le cœur. Il était commandé aux Israélites, pour se distinguer des autres peuples, d'avoir des franges au bord de leurs robes, qu'ils nouaient avec des rubans violets (6). Ce qui leur était un signal qu'ils devaient être attentifs à la loi de Dieu, et ne laisser pas errer leurs yeux et leurs pensées dans les choses qu'elle défendait. Les pharisiens se faisaient de grandes franges, ou dilataient ces bords de leurs robes, comme gens bien attentifs à la loi de Dieu, qui

 

1 Matth., XXIII, 23. — 2 Ibid. — 3 Ibid. 23, 24. — 4 Ibid., 5. — 5 Deuter., VI, 8. — 6 Numer., XV, 38; Deuter., XXII, 12.

 

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dilataient ce qui était destiné à en rappeler la mémoire. C'est tout ce que Dieu en aura : une vaine parade, une ostentation, une exactitude apparente aux petits préceptes aisés, un mépris manifeste des grands, et un cœur livré aux rapines et à l'avarice.

Prenez garde dans les religions : un voile, l'habit de l'ordre, les jeûnes de règle. Mais que veut dire ce voile? Pourquoi est-il mis sur la tête, comme l'enseigne de la pudeur et de la retraite? C'est à quoi il fallait penser, et ne mépriser pas les petites choses, qui sont en effet la couverture et la défense des grandes : mais aussi ne se pas imaginer que Dieu se paie de cette écorce et de ces grimaces.

 

LXIe JOURNÉE.
Suite. Sépulcres blanchis. Ibid., 26 et 27.

 

« Aveugle pharisien, qui nettoies le dehors d'une coupe et laisses dans la saleté le dedans » où l'on boit. « Nettoie le dedans afin que le dehors soit pur (1) : » car la pureté vient du dedans et se doit répandre de là sur le dehors : autrement, malgré ton hypocrisie, l'infection du dedans se produira par quelque endroit : ta vie se démentira : ton ambition cachée sera découverte : tu paraîtras de couleurs et de figures différentes; et avec l'infamie de ton ambition, celle de ton hypocrisie attirera la haine du genre humain.

Quelle affreuse idée d'un hypocrite ! « C'est un vieux sépulcre : » tout s'y démentait : « on l'a reblanchi et il paraît beau au dehors : » il peut même paraître magnifique. Mais qu'y a-t-il au dedans? « Infection, pourriture, des ossements de morts (2), » dont l'attouchement était une impureté selon la loi. Tel est un hypocrite : il a la mort dans le sein : que sera-ce et où se cachera-t-il, lorsque Dieu révélera le secret des cœurs, et qu'on verra « ces choses honteuses qui se passaient dans le secret et qu'on a honte même de prononcer (3)? »

 

1 Matth., XXIII, 25, 26. — 2 Ibid., 27. — 3 Ephes., V, 12.

 

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LXIIe JOURNÉE.
Docteurs juifs persécuteurs des prophètes : leur punition. Ibid., 29-36.

 

Voici le comble de l'hypocrisie : des actions de piété pour donner couleur au crime, comme de bâtir les sépulcres des prophètes. Qu'il est aisé de les honorer après leur mort, pour acquérir la liberté de les persécuter vivans! Ils ne vous disent plus mot, et vous pouvez les honorer sans qu'il en coûte à vos passions. On fait aisément les actes de piété qui ne leur font point de peine. On parera un autel : on y placera des reliques : tout y sera propre et orné : on bâtira des églises et des monastères : les actions de piété éclatantes, loin de rebuter, on s'en fait honneur. Venons à la pratique de la piété et à la mortification des sens : on n'y veut pas entendre.

Les Juifs étaient prêts à faire mourir le Prophète par excellence et ses apôtres; et ils disaient : « Si nous eussions été du temps de nos pères, nous n'eussions pas persécuté les prophètes. Vous êtes leurs vrais enfants (1), » puisque vous voulez faire comme eux, et vous voulez avoir tout ensemble et la gloire de détester le crime, et le plaisir de vous satisfaire en le commettant. Mais vous ne tromperez pas Dieu : au lieu de recevoir les vaines excuses que vous semblez vouloir faire aux prophètes, il vous punira de tous les crimes que vous aurez imités, à commencer par celui de Caïn, dont vous avez imité la jalousie sanguinaire (2). Le moyen de désavouer vos pères est de cesser de les imiter. Que si vous les imitez, les tombeaux que vous érigez aux prophètes serviront plutôt de monument pour conserver la mémoire des crimes de vos ancêtres que de moyen de les éviter. C'est pourquoi il y a dans saint Luc : En bâtissant leurs sépulcres, pendant que dans votre cœur vous désirez d'en faire autant aux prophètes que vous avez parmi vous, vous montrez bien que cet extérieur de piété ne tend qu'à couvrir vos noirs desseins, et à les exécuter plus sûrement en les cachant (3).

 

1 Matth., XXIII, 30, 31. — 2 Ibid., 35. — 3 Ibid., XI, 48.

 

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« Remplissez la mesure de vos pères : et que tout le sang juste vienne sur vous depuis Abel (1). » On mérite le supplice de ceux qu'on imite : Dieu n'impute pas seulement le péché des pères aux enfants, mais encore celui de Gain, quand on en suit la trace : et il y aura parmi les méchants qui se seront imités les uns les autres une société de supplices, comme parmi les bons qui auront vécu en unité d'esprit, une société de récompenses.

Il prédit un supplice affreux aux Juifs, et en effet le monde n'en avait jamais eu de semblable.

« Sur cette génération (2) : » le temps approchait, et ceux qui étaient vivants le pouvaient voir.

Appliquons-nous à nous-mêmes ce que nous venons de voir. Chacun persécute le juste, lorsqu'on le traverse, lorsqu'on en médit, lorsqu'on le tourmente en cent façons. Et on dit en lisant la Vie des Saints, où l'on voit la persécution des justes : Je ne ferais pas comme cela : et on le fait, et on ne s'en aperçoit pas : et on attire sur soi la peine de ceux qui ont persécute les gens de bien.

« Tout est écrit devant moi : je ne m'en tairai pas : je vous rendrai» la juste punition de vos péchés : « je mettrai dans votre sein vos péchés et ensemble les péchés de vos pères, et je mettrai dans leur sein à pleine mesure leur ancien ouvrage (3). »

 

LXIIIe JOURNÉE.
Lamentations, pleurs de Jésus sur Jérusalem. Ibid., 37, 39.

 

Comme il a pleuré Jérusalem ! Avec quelle tendresse il a présenté ses ailes maternelles à ses enfants qui voulaient périr ! « Une poule, » c'est la plus tendre de toutes les mères. Elle voudrait reprendre ses petits, non pas sous ses ailes, mais dans son sein s'il se pouvait : digne d'être le symbole de la miséricorde divine.

Je trouve trois lamentations de notre Sauveur, dont celles de Jérémie n'égaleront jamais la tendresse. A son entrée : « Ah !

 

1 Matth., XXIII, 35. — 2 Ibid., 36. — 3 Isa., LXV, 6, 7.

 

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si tu savais (1): » Ici : « Jérusalem, Jérusalem (2) ! » Allant au Calvaire : « Filles de Jérusalem, pleurez sur vous-mêmes : Heureuses les stériles : heureuses les entrailles qui n'ont point porté d'enfants, et les mamelles qui n'en ont point allaité (3) ! » O malheureuse Jérusalem ! O âmes appelées et rebelles ! que vous avez été amèrement pleurées! Revenez donc aux cris empressés de cette mère charitable : ses ailes vous sont encore ouvertes : « Ah ! pourquoi voulez-vous périr, maison d'Israël (4)? »

« Vous ne me verrez point jusqu'à ce que vous disiez : Bienheureux, etc (5). »

Ces dernières paroles, depuis ces mots : « Jérusalem, Jérusalem, » ont déjà été dites avant l'entrée du Sauveur (6) : et alors il voulait dire qu'on ne le reverrait plus jusqu'au jour de cette entrée. Ici l'entrée était faite; et il veut dire qu'il s'en allait jusqu'au dernier jugement, qui n'arriverait pas que les Juifs ne fussent retournés à lui et ne le reconnussent pour le Christ.

Le Sauveur a achevé ce qu'il voulait : il a établi l'autorité de la chaire de Moïse : il a fait voir les abus : il a expliqué le châtiment : il n'a pas tenu à sa bonté qu'ils ne l'aient écouté, et ils ont voulu périr. Oh quel regret pour ces malheureux ! oh quelle augmentation de leur supplice !

Apprenons à louer la miséricorde divine dans les jugements les plus rigoureux : car ils ont toujours été précédés par les plus grandes miséricordes.

« Combien de fois ai-je voulu ! » Ce n'est pas pour une fois que vous m'avez appelé, ô la plus tendre de toutes les mères : et je n'ai pas écouté votre voix.

 

LXIV JOURNÉE.
Vices des docteurs de la loi; ostentation; superstition; corruption; erreurs marquées par saint Marc et par saint Luc. Marc, XII, 38-40; Luc, XX, 46, 47.

 

Ils remarquent tous deux principalement l'affectation des

 

1 Luc., XIX,   42. — 2 Matth., XXIII, 37.— 3 Luc., XXIII, 28, 29. — 4  Ezech., XVIII, 31. — 5 Matth., XXIII, 39. — 6 Luc., XIII, 34, 35.

 

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premières places et cet artifice de piller les veuves sous prétexte d'une longue oraison, comme les choses les plus odieuses, comme les plus ordinaires dans la conduite des pharisiens, dont aussi il se faut le plus donner de garde. Dieu nous en fasse la grâce.

Tout ce que Jésus-Christ blâme se réduit à ostentation, superstition, hypocrisie, rapine, avarice, corruption, en un mot jusqu'à altérer la saine doctrine, en préférant le don du temple et de l'autel au temple et à l'autel même.

Mais comment donc vérifier ici ce qu'il a dit : « Faites ce qu'ils vous diront? » Car ils leur disaient cela qui était mauvais : et ils avaient encore beaucoup de fausses traditions, que le Fils de Dieu reprend ailleurs. Tous ces dogmes particuliers n'avaient pas encore passé en décret public et en dogmes de la synagogue. Jésus-Christ est venu dans le moment que tout allait se corrompre. Mais il était vrai jusqu'alors, que la chaire n'était pas encore infectée, ni livrée à l'erreur, quoiqu'elle fût sur le penchant. Qui nous dira, s'il n'en arrivera peut-être pas à peu près autant à la fin des siècles ? Qui sait où Dieu permettra que la séduction aille dans les docteurs particuliers? Mais avant que ces mauvais dogmes aient passé en décret public, le second avènement se fera. Prenons garde cependant à ce levain des pharisiens, et ne le faisons pas régner parmi nous.

Oh combien disent dans leur cœur ! Le temple n'est rien : l'autel n'est rien : le don, c'est à quoi il faut prendre garde, et non-seulement ne le retirer jamais, mais l'augmenter, comme ce qu'il y a de plus précieux dans la religion.

Prenons un esprit de désintéressement, pour éviter ce levain des pharisiens.

Prenons garde, tout ce que nous sommes de supérieurs, de ne nous réjouir pas de la prélature, mais de craindre d'imiter les pharisiens dans ce point, que saint Marc et saint Luc ont observé comme le plus remarquable.

Nous porterons la peine de tout le sang juste répandu, de tous les canons méprisés, de tous les abus autorisés par notre exemple : et tout sera imputé à notre ordre depuis le premier relâchement.

La prodigieuse révolte du luthéranisme a été une punition

 

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visible du relâchement du clergé, et on peut dire que Dieu a puni sur nos pères et qu'il continue de punir sur nous tous les relâchements des siècles passés, à commencer par les premiers temps où l'on a commencé à laisser prévaloir les mauvaises coutumes contre la règle. Nous devons craindre que la main de Dieu ne soit sur nous, et que la révolte ne dure jusqu'à ce que, profitant du châtiment, nous ayons entièrement banni du milieu de nous tout ce levain pharisaïque, cet esprit de domination, d'intérêt, d'ostentation; cet esprit qui fait servir la domination au gain et à l'intérêt, soit que ce soit celui de l'ambition, soit que ce soit celui de l'argent.

Pour mieux entendre notre devoir et notre péril, considérons le même sermon de Notre-Seigneur, déjà fait dans saint Luc une autre fois et avant son entrée.

 

LXVe JOURNÉE.
Les Vœ, ou les malheurs prononcés par Notre-Seigneur contre les docteurs de la loi. En saint Luc, XI, 42-44 et suiv.

 

L'occasion de ce discours fut l'orgueil de ce pharisien, qui blâmait le Sauveur en son cœur, « parce qu'il ne s'était pas lavé avant le repas. » Il commence à cette occasion à leur reprocher « qu'ils lavaient le dehors, et négligeaient le dedans (1). »

La comparaison du sépulcre est tournée ici au vers. 44 d’une manière différente de saint Matthieu. Car au lieu que dans saint Matthieu Jésus-Christ propose des « sépulcres reblanchis, » ici on parle de « sépulcres cachés, lorsque les hommes marchent dessus sans le savoir (2) : » ce qui fait voir des hypocrites tout à fait cachés, avec qui on converse sans les connaître pour ce qu'ils sont, tant leur malice est profonde. Mais tout cela se révélera au grand jour : et plus leur désordre était caché, plus leur honte, qui paraîtra tout d'un coup, sera éclatante.

Un docteur de la loi interrompt cette pressante invective contre

 

1 Luc., XI, 38, 39. — 2 Matth., XXIII, 27; Luc, XI, 44.

 

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les pharisiens, et présuma assez de lui-même pour croire que le Sauveur se tairait, quand il lui aurait témoigné la part qu'il prenait à son discours.: « Maître, lui dit-il, vous nous faites injure à nous-mêmes (1). » Son orgueil lui attira ces justes reproches: « Malheur à vous aussi, docteurs de la loi (2) ! » etc.

Ce qui est dit dans saint Matthieu : « Je vous envoie des prophètes (3), » est expliqué en saint Luc : « La sagesse de Dieu a dit (4) : » pour montrer que le Sauveur est la sagesse de Dieu.

« Vous avez pris la clef de la science. (5) » On distingue la clef de la science d'avec celle de l'autorité : les docteurs voulaient s'approprier la clef de la science : que n'ouvraient-ils donc au peuple? Mais ils se trompaient eux-mêmes et trompaient les autres : et non contents de se taire, ce qui suffirait pour leur perte, ils étaient les premiers à autoriser les fausses doctrines.

« Dès lors les pharisiens et les docteurs de la loi commencèrent à le presser et à l'accabler de questions, en lui dressant des pièges, pour exciter contre lui la haine du peuple (6). » Ils sont pris dans les pièges qu'ils tendaient au Sauveur, et ils croient n'en pouvoir sortir qu'en le perdant. Ainsi périt le juste pour avoir fait sou devoir à reprendre les orgueilleux et les hypocrites.

 

LXVIe JOURNÉE.
Quel est le vrai prix de l'argent. Veuve donnant de son indigence. Marc., XII, 41-44; Luc, XXI, 1-4.

 

Il venait de parler des pharisiens et de leur artifice à tirer l'argent des veuves : il va montrer ce qu'il faut estimer dans l'argent et quel en est le vrai prix.

« Jésus s'assit et regarde ceux qui mettaient dans le tronc » ou dans le trésor: « Une pauvre veuve donna deux petites pièces d'un liard : Elle a plus donné que tous (7). » Que l'homme est riche ! Son argent vaut tout ce qu'il veut; sa volonté y donne le prix.

 

1 Luc., XI, 45.— 2 Ibid., 46. — 3 Matth., XXIII, 34. — 4 Luc., XI, 49.— 5 Ibid., 52. — 6 Ibid., 53, 54. — 7 Marc., XII, 43, 44; Luc, XXI, 1-3.

 

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Un liard vaut mieux que les plus riches présents. Manquez-vous d'argent : un verre d'eau froide vous sera compté, et on ne veut pas même vous donner la peine de la chauffer. N’avez-vous pas un verre d'eau à donner : un désir, un soupir, un mot de douceur, un témoignage de compassion; si tout cela est sincère, il vaut la vie éternelle. Oh que l'homme est riche et quels trésors il a en main !

Heureux les chrétiens d'avoir un maître qui sait si bien faire valoir les bonnes intentions de ses serviteurs ! Aussitôt qu'il voit cette veuve qui n'adonné que deux doubles, ravi de sa libéralité, « il convoque ses disciples, » comme à un grand et magnifique spectacle.

« Elle a donné plus que tous les autres, » quoique tous les autres eussent donné largement : « Mais les autres ont donné le superflu et le reste de leur abondance, » sans s'apercevoir d'aucune diminution ; « au lieu que celle-ci a donné tout ce qu'elle avait et tout son vivre (1) : » s'abandonnant avec foi à la divine providence.

Voilà les aumônes que Jésus-Christ loue : celles où on prend sur soi : car de telles aumônes sont les seules qui méritent le nom de sacrifice.

 

LXVIIe JOURNÉE.
Ruine de Jérusalem et du temple.
Matth., XXIV, 1-23; Marc, XIII, 1-23; Luc, XXI, 5-24.

 

Ce que Jésus-Christ avait prédit de la ruine de Jérusalem, est ici plus particulièrement expliqué, et Jésus-Christ y déclare ce qu'il n'avait pas encore dit, que le temple ne serait pas excepté d'un malheur si prochain et périrait comme le reste. Il ne voulait pas laisser ignorer à ses disciples un événement si important; et il choisit pour s'en expliquer les jours prochains de sa mort, dont il devait être la punition.

« Maître, voyez quelles pierres et quelle structure (2)! » C'est ainsi que parlent les disciples en montrant le temple au Fils de

 

1 Marc., XII, 43, 44; Luc., XXI, 4. — 2 Marc, XIII, 1.

 

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Dieu : ces deux paroles en font la peinture : « Quelles pierres, » de quelle beauté, de quelle énorme grandeur! «Quelle structure, » quelle solidité, quelle ordonnance, quelle correspondance de toutes ses parties! Saint Luc ajoute la richesse des dons, dont le temple était rempli (1), Il n'y avait donc rien de plus solide, ni de plus riche : et néanmoins il périra : tant de richesses, une si belle structure, tout sera réduit en cendres.

« Voyez-vous tous ces grands bâtiments? En vérité, je vous le dis : il n'y demeurera pas pierre sur pierre (2). » Enorgueillissez-vous de vos édifices, ô mortels: dites que vous avez fait un immortel ouvrage et que votre nom ne périra jamais. Ce grand politique Hérode croyait s'être immortalisé, en refaisant tout à neuf un si admirable édifice, avec une magnificence qui ne cédait en rien pour la beauté de l'ouvrage à celle de Salomon. Si quelque chose devait être immortelle, c'était un temple si auguste, si suint, si célèbre : tout semblait le préserver des injures du temps : sa structure, sa solidité. On épargne même dans les villes prises ces beaux monuments comme des ornements, non des villes ni des royaumes, mais du monde. Mais sa sentence est prononcée : il faut qu'il tombe. En effet Tite avait défendu surtout qu'on ne touchât point à ce temple : mais un soldat animé par un instinct céleste, comme Josèphe historien juif, qui était présent à ce siège et qui a tout vu, le témoigne, y mit le feu et on ne le put éteindre (3). Les Juifs avaient voulu le rebâtir sous Julien l'Apostat : le feu consuma les ouvriers qui y travaillaient (4) : il fallait que tout fût détruit et à jamais: car Jésus-Christ l'avait dit. Dieu voulait punir les Juifs, et en même temps par un excès de miséricorde leur montrer qu'ils devaient chercher dans l'Eglise un autre temple, un autre autel et un sacrifice plus digne de lui. Ainsi les justices de Dieu sont toujours accompagnées de miséricorde, et il instruit les hommes en les punissant. Il instruit les Juifs en deux manières : il leur fait sentir leur crime en frappant jusqu'à sa maison : en la détruisant, il les détache des ombres de la loi et les attache à la vérité.

 

1 Luc, XXI, 5. — 2 Marc., XIII, 2. — 3 Joseph., lib. De bell. Jud., cap. XVI. — 4 Amm. Marcell., lib. XXIII, init.

 

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Le temple avait accompli, pour ainsi parler, tout ce à quoi il était destiné : le Christ y avait paru, selon les oracles d'Aggée et de Malachie (1) : qu'il périsse donc, il est temps : quelque saint que soit celui-ci par tant de merveilles et par le sacrifice qu'Abraham y voulut faire d'Isaac son fils, il faut qu'il cède aux temples où l'on offrira, selon le même Malachie, « un plus excellent sacrifice, depuis le soleil levant jusqu'au couchant (2). »

 

LXVIIIe JOURNÉE.
La ruine de Jérusalem et celle du monde : pourquoi prédites ensemble? Ibid.

 

« Dites-nous quand arriveront ces choses, et quel est le signe de votre avènement et de la fin des siècles (3). » C'est la demande que firent à Jésus ses principaux apôtres, Pierre, Jacques, Jean et André, pendant qu'il était assis sur la montagne des Olives (4). Remarquez que, dans leur demande, ils confondaient tout ensemble la ruine de Jérusalem et celle de tout l'univers à la fin des siècles. C'est ce qui donne lieu à Jésus-Christ de leur parler ensemble de l'une et de l'autre.

On demandera pourquoi il n'a pas voulu distinguer des choses si éloignées. C'est, premièrement, par la liaison qu'il y avait entre elles, l'une étant figure de l'autre : la ruine de Jérusalem, figure de celle du monde et de la dernière désolation des ennemis de Dieu. Secondement, parce qu'en effet plusieurs choses devaient être communes à tous les deux événements. Troisièmement, parce que, lorsque Dieu découvre les secrets de l'avenir, il le fait toujours avec quelque obscurité, parce qu'il s'en réserve le secret ; parce qu'il ne veut pas contenter la curiosité, mais édifier la foi; parce qu'il veut que les hommes soient toujours surpris par quelque endroit. C'est pourquoi en les avertissant, pour les obliger à prendre des précautions et encore pour leur faire voir que l'événement qu'il leur prédit est un ouvrage de sa main, préparé

 

1 Agg., II, 8,  10; Malach., III,  1. — 2 Malach., I, 11. — 3 Matth., XXIV, 3; Marc, XIII, 4; Luc, XXI, 7. — 4 Matth. et Marc., Ibid.

 

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depuis longtemps, il ne laisse pas de réserver toujours quelque chose qui surprenne, et qui inspire une nouvelle terreur lorsque le mal arrive.

Voilà pourquoi la prédiction de la ruine de Jérusalem, est en quelque sorte confondue avec celle du monde. Apprenez, ô hommes, par l'obscurité que Jésus-Christ même veut laisser dans sa prophétie, apprenez à modérer votre curiosité, à ne vouloir pas plus savoir qu'on ne vous dit, à ne vous avancer pas au delà des bornes, et à entrer avec tremblement dans les secrets divins.

Quoique Jésus-Christ confonde ces deux événements, il ne laisse pas dans la suite, comme nous verrons, de donner des caractères pour les distinguer.

Voilà de grandes choses, mais encore en confusion. Considérons-les en particulier et tâchons de tirer de chacune toute l'instruction que Jésus-Christ a voulu nous y donner.

 

LXIXe JOURNÉE.
Les marques particulières de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde. Ibid.

 

Selon ce que nous venons de dire, il faut qu'il y ait dans ces deux événements, dans le dernier jour de Jérusalem et dans le dernier jour du monde, quelque chose qui soit propre à chacun, et quelque chose qui soit commun à l'un et à l'autre.

Ce qui est propre à la désolation de Jérusalem, c'est qu'elle sera investie d'une armée : c'est que l'abomination de la désolation sera dans le lieu saint. C'est qu'alors on pourra encore prendre la fuite, et se sauver des maux qui menaceront Jérusalem : c'est que cette ville sera réduite à une famine prodigieuse, qui fait dire à notre Sauveur : « Malheur aux mères : malheur à celles qui sont grosses : malheur à celles qui nourrissent des enfants (1) ! » C'est que la colère de Dieu sera terrible sur ce peuple particulier, c'est-à-dire sur le peuple juif : en sorte qu'il n'y aura jamais eu

 

1 Luc., XXI, 23 ; Matth., XXIV, 19 ; Marc., XIII, 17.

 

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de désastre pareil au sien. C'est que ce peuple périra par l'épée, sera traîné en captivité par toutes les nations, et Jérusalem foulée aux pieds par les gentils. C'est que la ville et le temple seront détruits, et qu'il n'y restera pas pierre sur pierre, comme nous avons déjà vu. C'est que cette génération, celle où l'on était, ne passera point, que ces choses ci ne soient accomplies, et que ceux qui vivent les verront (1).

Ce qui sera particulier au dernier jour de l'univers, c'est que le soleil sera obscurci, la lune sans lumière, les étoiles sans consistance, tout l'univers dérangé : que le signe du Fils de l'homme paraîtra : qu'il viendra en sa majesté : que ses anges rassembleront ses élus des quatre coins de la terre, et le reste qui est exprimé dans l'Evangile : que le jour et l'heure en sont inconnus; el que tout le monde y sera surpris (2).

De là résulte la grande différence entre ces deux événements, que Jésus-Christ veut qu'on observe. Pour ce qui regarde Jérusalem, il donne une marque certaine : « Quand vous verrez Jérusalem investie (3);» et ce qui est, comme nous verrons, la même chose : « Quand vous verrez l'abomination de la désolation dans le lieu saint, où elle ne doit pas être, sachez que sa perte est prochaine (4), » et sauvez-vous. On pouvait donc se sauver de ce triste événement. Mais pour l'autre, qui regarde la fin du monde, comme ce sera, non pas ainsi que dans la chute de Jérusalem un mal particulier, mais un renversement universel et inévitable, il ne dit pas qu'on s'en sauve, mais qu'on s'y prépare. Ce qui sera commun à l'un et à l'autre jour, sera l'esprit de séduction, et les faux prophètes, la persécution du peuple de Dieu, les guerres par tout l'univers et une commotion universelle dans les empires, avec une attente terrible de ce qui devra arriver (5).

Considérons toutes ces choses dans un esprit d'humiliation et d'étonnement. O Dieu, que votre main est redoutable ! Par combien de terribles effets déployez-vous votre justice contre les hommes ! Quelles misères précèdent la dernière et inexplicable

 

1 Luc., XXI, 32; Matth., XXIV, 34; Marc., XIII, 30. — 2 Matth., XXVI, 27, 36, 37. — 3 Luc., XXI, 20. — 4 Matth., XXIV, 15; Marc., XIII, 14; Luc, XXI, 20. — 5 Matth., XXIV, 4; Marc., XIII, 5; Luc, XXI, 8 et seq.

 

227

 

misère de la damnation éternelle ! « Qui ne vous craindrait, ô Seigneur? qui ne glorifiera votre nom? O Seigneur tout-puissant, vos œuvres sont grandes et merveilleuses! vos voies sont justes et véritables, ô Roi des siècles! vous seul êtes saint, et toutes les nations vous adoreront (1) ! Tout genou se courbera devant vous (2), » les uns en éprouvant vos miséricordes, les autres se sentant soumis à votre implacable et inévitable justice.

 

LXXe JOURNÉE.
Les marques de distinction de ces deux événement expliqués encore plus en détail en saint Matthieu, en saint Marc et en saint Luc. Ibid.

 

En continuant la même lecture, nous avons à considérer les marques de distinction des deux événements, qui nous sont donnés dans l'Evangile. La distinction paraît assez clairement dans saint Luc. Ce qui regarde en particulier Jérusalem, commence au chapitre XXI, vers. 20, et se continue jusqu'au 25 ; et ce qui regarde le dernier jour de l'univers commence au vers. 25, et se termine au vers. 31. La même chose paraît à peu près en saint Matthieu, chap. XXIV, vers. 15, à ces paroles : «Lorsque vous verrez l'abomination de la désolation, » d'où se continue le récit des maux de Jérusalem jusqu'au vers. 27, où l'on commence à parler de l'avènement du Fils de l'homme : ce qui se continue principalement depuis le vers. 29, jusqu'au 34. On voit encore la même chose en saint Marc, chap. XIII, depuis le vers. 14, où « l'abomination » nous est montrée « où elle ne doit point être : » d'où se continue la ruine de Jérusalem jusqu'au vers. 24 : et là commence la prédiction de la dernière catastrophe de l'univers jusqu'au vers. 30.

Il nous sera maintenant assez aisé d'arranger la suite des événements, premièrement dans la ruine de Jérusalem, et ensuite dans celle du monde, « L'abomination de la désolation dans le lieu saint, » selon saint Matthieu, et « ou elle ne doit pas être, » dans saint Marc, est visiblement la même chose que « Jérusalem

 

1 Apoc., XV, 3, 4. — 2 Isa., XLV, 24.

 

228

 

environnée d'une armée, » dans saint Luc, comme la seule suite le fera paraître à un lecteur attentif. Mais ce qui ne laisse aucun doute, c'est le rapport de ces mots : « Quand vous verrez l'abomination de la désolation dans le lieu saint, » avec ceux-ci : « Quand Jérusalem sera investie d'une armée. L'abomination, » selon le langage de l'Ecriture, signifie des idoles. « L'abomination de la désolation, » ce sont donc des idoles désolantes, tant à cause de l'affliction qu'elles causent par leur seul aspect au peuple de Dieu, qu'à cause de la dernière désolation dont elles leur étaient un présage. Or on sait que les armées romaines portaient dans leurs étendards les idoles de leurs dieux, celles de leurs empereurs qui étaient du nombre de leurs dieux et des plus grands : l'aigle romaine qui était consacrée avec des cérémonies qui la faisaient adorer elle-même. Ainsi investir Jérusalem d'une armée romaine et en porter les étendards aux environs de cette ville, c'était mettre des idoles dans le lieu saint : auprès du temple qui était appelé par excellence le lieu saint : dans la Judée dont la terre était consacrée à Dieu, sanctifiée par tant de miracles, et pour cela appelée la terre sainte. Selon les ordres de Dieu, les idoles n'y devaient jamais paraître. Et c'est pourquoi ce que saint Matthieu exprime par ces mots : « L'abomination, » c'est-à-dire l'idole « dans le lieu saint; » saint Marc l'explique par ceux-ci : « L'abomination » et l'idole « où elle ne doit pas être : » c'est-à-dire dans un lieu et dans une terre dont la sainteté la devait éternellement bannir de son enceinte : ce que saint Luc a expliqué plus particulièrement, lorsqu'il a marqué « une armée autour de Jérusalem : » une armée de gentils, puisque c'était « par les gentils que Jérusalem devait être foulée aux pieds (1) : » par conséquent une armée remplie d'idoles, puisque même elle les portait dans ses étendards et en un mot une armée, romaine.

Ainsi le premier présage de la ruine de Jérusalem, c'est d'être environnée d'idoles. Car auparavant on voit dans Josèphe, que lorsqu'une armée romaine traversait la Judée, on obtenait des princes qu'on n'y passât point avec les étendards, de peur de souiller d'idoles une terre qui n'en devait jamais voir aucune.

 

1 Luc, XXI, 20, 24.

 

229

 

Mais à cette fois l'armée étalait ses idoles : on n'avait plus de ménagement pour la terre sainte : c'était là le commencement de la dernière hostilité contre Jérusalem et le prochain présage de sa chute.

Chrétien, ton corps et ton âme sont la terre vraiment sainte, où jamais les idoles ne doivent paraître. Toute créature mise à la place du Créateur, c'est une idole abominable, une idole désolante : tout ce que tu aimes plus que Dieu, ou avec Dieu, ou au préjudice de Dieu, renverse son trône ou le partage : c'est là le premier présage de ta perte. Toute désobéissance, tout ce qui lève l'étendard contre Dieu, c'est le commencement de ton malheur. De quelle affreuse désolation sera suivi ce désordre ! de quels maux ne sera-t-il pas le présage !

 

LXXIe JOURNÉE.
Deux sièges de Jérusalem prédits par Notre-Seigneur. Le premier en saint Matth., XXIV, 15, 16; Marc, XIII, 14; Luc, XXI, 20. Le second en saint Luc, XIX, 43, 44.

 

Ces paroles de saint Matthieu et de saint Marc : « L'idole dans le lieu où elle ne doit pas être ; » et celles de saint Luc : « Jérusalem environnée d'une armée, » ne marquent pas encore le dernier siège de Jérusalem sous Tite, où elle périt sans ressource. Car les évangélistes disent ici : Quand vous verrez ces idoles, ce siège, « fuyez dans les montagnes. » Or depuis le siège de Tite, il n'y avait pas moyen de fuir ni de sortir de la ville : car elle était tellement serrée de tranchées, de murailles et de forteresses, qu'il n'y avait plus aucune issue. C'est ce siège que le Sauveur avait prédit en entrant dans Jérusalem, lorsqu'il disait avec larmes : Ville infortunée, « tes ennemis t'environneront de tranchées, et te fermeront de toutes parts (1) » Aussi ne leur parle-t-il pas alors, comme ici, de prendre la fuite ; car il savait bien qu'en cet état il n'y en aurait plus aucune espérance : mais d'une perte

 

1 Luc., XIX, 43.

 

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totale et a d'un entier renversement, et pour la ville et pour ses enfants (1). » Ici donc il parle d'un autre siège, qui arriva à Jérusalem quelques années avant celui de Tite, lorsque Cestius Roms l'investit, Ces deux sièges sont bien marqués dans Josèphe, et très-nettement distingués dans l'Evangile. Dans le premier, dont il est parlé dans les chapitres que nous méditons (2), on ne voit ni tranchées ni forts, mais seulement une année qui se répand aux environs et ce qu'elle avait de plus détestable, c'était ses idoles. Dans le second on voit des forts, des tranchées, et un siège dans toutes les formes. On pouvait échapper dans la première occasion : car les troupes n'arrivent pas tout à coup et la garde n'est pas si exacte : dans la seconde, il n'y a rien à attendre qu'à périr.

On voit là deux états de l'âme. Lorsque le péché commence à l'investir, pour ainsi dire, et à répandre de tous côtés comme des idoles les mauvais désirs : cette année impure ne fait que nous entourer, de manière que nous pouvons encore échapper. Les tram-liées, les forts, le siège en forme, c'est le vice fortifié par L'habitude. Fuyons dès le premier abord, dès que nous voyons paraître l'étendard du péché : car si nous lui laissons élever ses forts et former ses habitudes, il n'y a presque plus rien à espérer.

 

LXXIIe JOURNÉE.
Réflexions sur les maux extrêmes de ces deux sièges. Ibid.

 

Si à ce premier abord de l'année romaine, à cette première apparition de ses étendards et de ses idoles autour de Jérusalem, on ne prend la fuite vers les montagnes; si sans en faire à deux fois, on n'emporte d'abord tout ce qu'on pourra et de la ville et de la campagne; si l'on ne sort promptement de cette ville réprouvée , ou que ceux qui sont dehors osent y entrer : « on sera ravagé par l'épée : on sera traîné en captivité par toute la terre (3). » La famine sera si horrible, que les mères malheureuses verront périr leurs enfants entre leurs bras. C'est en effet ce qui arriva à

 

1 Luc., XIX, 44. — 2 Matth., XXIV; Marc, XIII; Luc, XXI. — 3 Luc, XXI, 24.

 

231

 

Jérusalem dans un si grand excès, que l'univers n'avait jamais vu rien de semblable.

Jésus-Christ prédit encore la même calamité allant au supplice : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur. vous et sur vos enfants, parce qu'il viendra des jours où l'on dira : Bienheureuses les stériles : bienheureuses les entrailles qui n'ont pas engendré, et les mamelles qui n'ont pas nourri (1) ! » Qui est précisément la même chose qu'il marque ici par ces mots : « Malheureuses les mères : malheureuses les nourrices (2)! » Et pour montrer l'excès de cette misère, il finit par ces paroles : «Alors ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous; et aux collines : Couvrez-nous : car si l'on fait ainsi au bois vert, » à la justice, à la sainteté, à Jésus-Christ même, « que fera-t-on au bois sec (3), » qui n'est plus bon que pour le feu ; et aux pécheurs destitués de tout sentiment de piété, qui n'ont plus à attendre que le dernier coup ?

Méditons ceci en tremblant, pécheurs malheureux! Pesons les maux qui nous sont prédits. Tout l'univers renversé sur nous, en sorte que les montagnes nous écrasent et que les collines nous enterrent, ne sont rien en comparaison : ce renversement, qui en lui-même paraît si affreux, devient désirable à comparaison des maux qui nous attendent. Tombez sur nous, montagnes; enterrez-nous, coteaux. Plût à Dieu que nous en fussions quilles pour cela! Déplus grands maux nous sont préparés : Dieu déploiera sa main vengeresse par des coups plus insupportables. Et en voici la raison : Si Jésus-Christ a tant souffert pour avoir seulement porté la ressemblance du péché, que sera-ce de nous, en qui il a versé tout son venin, qui en portons au dedans de nous toutes les horreurs ?

« O Seigneur, » chantait le Psalmiste, « vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu'ils pussent éviter l'arc tendu contre eux (4). » O Seigneur, vous avez aiguisé vos flèches, elles ne respirent que le sang : votre arc est prêt à tirer et nos cœurs seront percés de vos coups : mais avant que de lâcher la main, vous menacez, vous avertissez, afin qu'on fuie votre colère

 

1 Luc, XXIII, 28, 29.—2 Ibid., XXI, 23.— 3 Ibid., XXIII, 30, 31.— 4 Psal. LIX, 6.

 

232

 

menaçante : c'est le signe de salut que vous nous donnez. Mais vous ne le donnez qu'à ceux qui vous craignent : les autres, endormis dans leurs péchés, ne veulent pas seulement vous entendre, ni écouter d'autre voix que celle qui les porte au plaisir : mais ceux à qui il reste encore quelque crainte de vos jugements, ô Dieu, qu'ils tremblent à vos menaces, afin qu'ils évitent vos coups.

« Serpents, engeance de vipères, qui vous apprendra à fuir la colère qui vous poursuit (1)? » C'est ce que saint Jean disait aux Juifs. Jésus-Christ leur en dit encore beaucoup davantage ; et il redouble ses menaces à la veille de sa mort, qui devait causer tous ces maux à son peuple ingrat. Il leur avait montré tant d'amour: il avait confirmé sa mission par tant de miracles : il leur dénonce encore le terrible châtiment qu'ils avaient à craindre, « pour n'avoir pas profité du temps où il les avait visités (2). » Il leur prédit ces maux avec larmes, afin de leur faire voir qu'il n'en faisait pas seulement une sèche prédiction : ils sont insensibles : nous nous en étonnons ; mais notre étourdissement n'est pas moins grand que le leur : étonnons-nous de nous-mêmes.

 

LXXIIIe JOURNÉE.
Suite des réflexions sur les mêmes calamités. Ibid.

 

« Ce sont ici les jours de vengeance pour accomplir tout ce qui a été écrit : Malheur aux femmes grosses, et à celles qui nourrissent ! Car il y aura de grandes nécessités et une grande colère se déploiera sur ce peuple : ils passeront par le fil de l'épée : ils seront emmenés captifs par toutes les nations ; et Jérusalem sera foulée aux pieds par les gentils, jusqu'à ce que le temps des gentils soit accompli (3). » Après que cette ville aura été investie, après qu'elle aura été assiégée régulièrement et environnée de tranchées et de forteresses, trois plaies tomberont sur elle : l'épée, la famine, la captivité.

L'épée : c'est la blessure de l’âme : la division entre ses parties :

 

1 Matth. III, 7; XXIII, 33; Luc, III, 7. — 2 Luc., XIX, 41-44. — 3 Ibid., XXI, 22-24.

 

233

 

nulle continuité : nulle union : le sang de l’âme s'écoulera par cette ouverture : toutes ses forces se dissiperont : elle n'aura plus de résistance. Ah quel état ! On ne résiste plus aux tentations : le péché emporte tout : c'est la faiblesse de l’âme à qui tout échappe et qui s'échappe à elle-même : les chutes sont continuelles et irréparables : on ne se peut plus relever. Telle est la plaie de l'épée : le cœur est ouvert, et ne retient plus ni la grâce ni la vérité.

La famine : c'est la soustraction des aliments : non-seulement quand ils manquent ; mais encore, ce qui est bien pis, quand le principe pour en profiter manque tout à fait. Tout abonde autour du malade ; les restaurants sont tout prêts : mais ou on ne peut les prendre ; ou l'estomac contraint par force à les recevoir, ni ne les digère, ni ne les distribue, ni n'en profite. Au milieu des sermons, des bons exemples, des saintes lectures, des observances d'une vie toute consacrée à Dieu, on périt, on demeure sans nourriture : la vérité ne fait plus rien à cette âme : elle ne s'en nourrit pas : elle n'en vit pas. Ses œuvres, qui sont les enfants qu'elle nourrit, tombent en langueur : tout y dépérit visiblement : ou elle ne produit rien de bon, ou si elle produit, ce bien ne se soutient pas. Hélas ! hélas ! qu'y a-t-il de plus déplorable que cette famine?

La captivité : « Jérusalem sera foulée aux pieds par les gentils : » l’âme abattue par tous les vices : accablée de fers qu'elle ne peut porter ni rompre, elle est traînée en captivité d'objet en objet : toutes les passions la dominent et la tyrannisent tour à tour : elle pense être en repos contre l'amour des plaisirs ; l'ambition la met sous le joug : l'avarice l'assujettit, et ne lui laisse pas le temps de respirer; tant elle l'accable d'affaires, de soins, de travaux. Hélas ! hélas! où en es-tu, âme raisonnable, faite à l'image de Dieu? blessée, percée de tous côtés : outre cela affamée : pour comble de maux captive : sans force, sans nourriture pour te rétablir : sans liberté : ah, quel malheur est le tien !

Il faut remarquer ce dernier mot : « Jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis'. » Il y a un temps des nations: un temps que les gentils doivent persécuter l'Eglise : un temps

 

1 Luc, XXI, 21.

 

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qu'ils y doivent entrer : après ce temps les Juifs que les nations devaient jusqu'alors fouler aux pieds, reviendront; « et après que la plénitude des gentils sera entrée, tout Israël, » tout ce qui en restera, « sera sauvé (1) : » l'aveuglement d'Israël n'a été permis que pour préparer les voies à l'accomplissement d'un si grand mystère.

Ame pécheresse, il y a pour toi, malgré tes péchés, une ressource infaillible : l'excès même de ton malheur peut être, comme à Israël, le commencement de ton retour. Israël fatigué de ses révoltes, de ses malheurs, de sa vaine crédulité et de ses frivoles espérances : las de toujours attendre sans rien voir, de soupirer après un Messie qui ne vient point, parce qu'il est déjà venu, se réveillera : il commencera à connaître combien il avait tort de se consumer en espérances frivoles, au lieu de jouir de son Christ, qu'il avait si longtemps méconnu: et déplorant l'excès de son aveuglement, il ouvrira enfin les yeux à la véritable lumière. Fais ainsi, âme chrétienne : le péché a eu son temps : le temps que tu y as consumé te suffit pour contenter des désirs frivoles, et nourrir des espérances trompeuses. En un mot, comme dit saint Pierre , « le temps passé est plus que suffisant pour accomplir la volonté des gentils (2) ; » pour mener une vie païenne selon les désirs de la chair, comme si on n'avait point de Dieu et qu'on ne connût pas Jésus-Christ. Nous avons passé assez de temps «dans la débauche, dans la convoitise , dans le vin , dans la bonne chère, dans l'ivresse, » dans le culte des idoles : non-seulement de celles que la gentilité adore, mais encore de celles que nos passions érigent dans notre cœur. Il est temps de revenir de si grands excès : l'égarement a été assez grand, pour être enfin aperçu : il faut maintenant revenir à soi, et « qu'où le péché a abondé, la grâce surabonde (3) » à son tour.

 

1 Rom., XI, 25, 26. — 2 1 Petr., IV, 3. — 3 Rom., V, 20.

 

230

 

LXXIVe JOURNÉE.
Réflexions sur les circonstances de la fin du monde. La terreur de l'impie. La confiance du fidèle. Matth., XXIV, 27-31; Luc, XXI, 25-28.

 

Voilà ce qui regardait Jérusalem désolée, et dans sa désolation la figure de l’âme livrée au péché. Ce qui regarde la fin du monde, c'est l'obscurité dans le soleil : celle de la lune : le dérangement dans les étoiles : le signe du Fils de l'homme, c'est-à-dire connue l'interprètent les saints docteurs, l'apparition de sa croix : sa descente sur les nuées en grande puissance et majesté : la trompette de ses anges qui citeront tous les hommes à son jugement : le recueillement de ses élus : l'assemblée de tous les aigles, c'est-à-dire de tous les esprits élevés autour du corps du Sauveur (1) : le bruit de la mer et des flots, avec la commotion de tout l'univers et des puissances célestes qui sont préposées à sa conduite : les hommes sèches de frayeur dans l'attente de ce qui devait arriver au monde (2) après tant de mouvements également violens et irréguliers. Pesez toutes ces choses. Et afin de voir combien est ferme l'espérance du chrétien, et combien il est au-dessus de tous les troubles et de tout le monde, accoisez (a) tous les mouvements de votre intérieur pour écouter cette parabole : « Quand toutes ces choses arriveront : » quand toute la nature déconcertée par des agitations si imprévues, ne nous menacera de rien moins que d'une perte inévitable, « regardez alors : » vous qui n'osiez seulement lever Les yeux , « levez la tête » comme pour vous élever au-dessus des flots et des tempêtes, « parce qu'alors votre rédemption approche (3). »

A quelle épreuve ne doit pas être la confiance du chrétien, si la dernière révolution du monde, loin de le troubler, ne lui inspire que de l'espérance et du courage ?

 

1 Matth., XXIV, 27-31. — 2 Luc., XXI, 25, 26. — 3 Ibid.,28.

(a) Rendez cois, apaises, calmez.

 

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LXXVe JOURNÉE.
Le même sujet.

 

Sans lecture, sans raisonnement étudié, je demande seulement ici que l'on considère d'un côté, la main puissante de Dieu qui pousse à bout toute la nature, les astres, les terres, les mers, et le courage de l'homme qu'il fait « sécher de frayeur (1) ; » et de l'autre, la même main, qui dans ce renversement universel relève de telle sorte le courage de ses enfants, que non-seulement ils ne tombent pas dans ce choc que souffre le monde, mais ils s'élèvent au-dessus de ses ruines. « Regardez (2) : » loin de vous cacher dans cette tempête, comme un autre Jonas, ouvrez tout et considérez ce tumulte avec un regard assuré : loin de vous laisser abattre, « levez la tête : » et voyez tout au-dessous de vous.

Tel qu'un homme qui lève la tète au milieu des flots : tel que celui qui demeure ferme au milieu d'une maison qui tombe : ou celui qui voit d'un œil tranquille le chariot où il est, que des chevaux emportés, après avoir secoué les rênes et brisé leur mords, traînent deçà et delà ; tel est le fidèle toujours immobile et inébranlable au milieu de la nature troublée et de ses mouvements déconcertés, parce que le Dieu de la nature le tient par la main. Tu crains, Pierre, au milieu des flots, et tu ne connais pas celui qui te tient ! « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté (3) ! »

« Celui qui se fie en Dieu, est comme la montagne de Sion : celui qui a sa demeure dans Jérusalem, ne sera jamais ébranlé. Comme les montagnes sont à l'entour de Jérusalem, ainsi Dieu est à l'entour de son peuple pour le protéger (4). » La sainte montagne de Sion, inébranlable par la puissance de Dieu qui l'affermit, communique son immobilité et sa tranquillité à ses habitants.

Chantez aussi le Psaume CXX : Levavi oculos, et apprenez à ne rien craindre sous la main de Dieu.

 

1 Luc, XXI, 25, 26. — 2 Ibid., 28. — 3 Matth., XIV, 31. — 4 Psal. CXXIV, 1, 2;

 

237

 

LXXVIe JOURNÉE.
Ces prédictions certaines : leur accomplissement proche : leur jour inconnu. Matth., XXIV, 34-36; Marc, XIII, 30-32.

 

« En vérité, en vérité, je vous le dis : Cette génération-ci ne finira point, jusqu'à .ce que toutes ces choses-ci soient accomplies : le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Mais pour ce jour et cette heure-là, ni les anges mêmes qui sont dans le ciel, ni le Fils ne la savent pas, ni personne que mon Père (1). »

Voilà deux temps bien marqués : Hœc, et illa, en grec comme en latin, marquent deux temps opposés : l'un plus proche, l'autre plus éloigné. « Cette génération-ci verra toutes ces choses-ci accomplies : Generatio hœc : omnia hœc : omnia ista : Mais pour ce jour-là , pour cette heure-là : De die autem illâ et horâ, personne ne la sait. » Comme s'il disait : Je vous ai parlé de deux choses : de la ruine de Jérusalem et de celle de tout l'univers au jugement : ce qui doit arriver dans la génération où nous sommes, et dont les hommes qui vivent doivent être les témoins, je vous en marque le temps et cette génération ne passera pas qu'il ne s'accomplisse. Voilà pour l'événement auquel nous touchons. Mais pour ce jour-là, ce jour où je viendrai juger le monde, personne n'en sait rien, et je ne dois pas vous le découvrir. Il est donc marqué clairement que la chute de Jérusalem était proche : et l'Eglise le devait savoir : mais pour ce jour-là, pour ce dernier jour, où tout l'univers sera en trouble et où le Fils de l'homme viendra en personne, on n'en sait rien : on ne sait ni s'il est loin, ni s'il est près : et le secret en est impénétrable, et aux anges qui sont dans le ciel, et à l'Eglise même, quoiqu'elle soit enseignée par le Fils de Dieu.

Il faut donc entendre ici, par les choses que le Fils ne sait pas, celles qu'il ne sait pas pour son Eglise ni dans son Eglise, et qu'il

 

1 Matth., XXIV, 34-30; Marc., 30-32.

 

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ne doit point lui révéler, conformément à cette parole : « Vous êtes mes amis, et je vous ai fait connaître tout ce que j'ai ouï de mon Père (1) : » tout ce que j'ai ouï pour vous, tout ce qui était compris dans mon instruction. Ou, comme il dit ici : « Je vous ai tout prédit (2), » tout ce que je devais vous prédire. Le reste, je le sais bien par l'étroite société qui est entre mon Père et moi : mais je ne le sais pas par rapport à vous, et selon le personnage que je suis venu faire parmi les hommes.

Adorons l'impénétrable secret de Dieu , et renfermons-nous dans les bornes où il a voulu terminer les lumières de son Eglise.

« Le Fils de Dieu doit venir comme un voleur. Mille ans de délai, c'est devant lui le délai d'un jour (3) : » ce n'est point en devinant les moments que vous éviterez la surprise : « il viendra de nuit, » parmi les ténèbres, et sans bruit, « comme un voleur (4) : » deux choses qui rendent sa marche impénétrable. Voulez-vous donc n'être pas surpris, veillez toujours : ne dormez jamais pour votre salut; et « vivez comme des enfants de lumière, sans participer aux œuvres infructueuses des ténèbres (5). »

 

LXXVIIe JOURNÉE.
Le jour du jugement dernier n'a pu être inconnu au Fils de Dieu. Marc, XIII, 32.

 

Sans entrer dans un esprit de curiosité et de dispute, permettez-moi, ô Jésus, de vous demander d'où vient que vous avez dit que « personne ne connaît l'heure du jugement dernier, non pas même les anges ni le Fils? » Car vous n'avez pas ignoré combien on abuserait de cette parole qui a tait dire aux ariens, ennemis de votre divinité, que vous ignoriez quelque chose, même comme Dieu et comme Verbe : et que vous n'étiez pas de même science ni par conséquent de même perfection ni de même nature que votre Père. Et néanmoins en nommant ceux qui ne savent pas la

 

1. Joan., XV, 15. — 2 Marc., XIII, 23. — 3 II Petr., III, 8, 10. — 2 Thessal. V, 2, 4.— 3 Ephes., V, 8, 11.

 

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dernière heure, il vous a plu non-seulement de nommer les anges ; mais encore votre évangéliste saint Matthieu n'ayant nommé qu'eux, votre évangéliste saint Marc instruit par saint Pierre, le prince de vos apôtres et le chef visible de votre Eglise , et votre Esprit qui les conduisait, a voulu que nous sussions que vous avez dit : « Ni le Fils ni autre que le Père (1). »

Pour moi, mon Dieu, je confesse avec votre apôtre saint Thomas que « vous êtes mon Seigneur et mon Dieu (2) : » et avec votre apôtre saint Paul, que « vous êtes égal à Dieu (3); et Dieu béni au-dessus de tout (4) : » et avec votre apôtre saint Jean, que « vous êtes le Verbe qui était au commencement avec Dieu, et qui était Dieu lui-même (5), » et que « vous êtes le vrai Dieu et la vie éternelle (6) : » et enfin avec toute votre Eglise catholique, que vous êtes le Fils unique de Dieu, coéternel et consubstantiel à votre Père : et loin de croire que comme Verbe vous ayez pu ignorer quelque chose, et ignorer en particulier le jour du jugement, je ne veux même pas croire que vous ayez pu l'ignorer comme homme et selon la dispensation de votre chair.

Et premièrement malheur à ceux qui osent dire que vous qui êtes le Verbe, la parole, la raison, l'intelligence, la sagesse de votre Père : cette sagesse « qui lui assistiez lorsqu'il a créé l'univers, avec laquelle il disposait et composait toutes choses (7), par qui toutes choses ont été faites (8), » n'avez pas su de toute éternité ce qu'il devait faire par vous. Or il devait faire par vous toutes choses, et plus encore, s'il se peut, le siècle futur que le siècle présent, puisque vous êtes celui dont il est écrit, que « par vous il a fait même les siècles (9). » Car n'est-ce pas dire clairement que tous les siècles se développent par votre ordre, et sont disposés dès L'éternité par votre volonté? Et si c'est par vous que tous les siècles sont faits, le dernier jour ne sera-t-il pas aussi votre ouvrage ! Et ce jour auquel aboutit tout votre ouvrage, qui en est la consommation, qui en est la fin. sera-t-il Le seul que vous n'aurez pas fait? Ou l'ayant fait, sera-t-il le seul que vous n'ayez pas

 

1 Marc., XIII, 32. — 2 Joan., XX; 28. — 3 Philipp., II, 6. — 4 Rom., IX., IX, 5. — 5 Joan., I, 1. — 6 Ibid., V, 20. — 7 Sapient., IX, 4, 9. — 8 Joan., I, 3. — 9 Hebr., I, 2.

 

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connu ? Et ce jour, qui est le terme où se rapportent tous vos conseils, n'aura-t-il pas entré dès le commencement dans vos desseins? Ou y aura-t-il quelque chose que Dieu n'ait pas disposé par sa sagesse, ni ordonné par sa parole? quelque chose qu'il ait caché à celui qui est sa sagesse et son conseil? Et « le Fils unique qui réside dans le sein du Père, » n'y a-t-il pas vu ce secret? Personne n'a vu Dieu que lui, et « c'est lui-même qui est venu nous l'annoncer (1) » Mais y a-t-il quelque chose dans le sein de Dieu qui lui ait été caché? Erreur, impiété, blasphème, retirez-vous : rentrez dans l'enfer dont vous êtes sortis : car faudrait-il dire encore que le Saint-Esprit, « qui sonde, qui pénètre tout, et même les secrets et les profondeurs de Dieu (2), » ce qu'il y a de plus caché dans ses desseins, n'aura pas vu un secret si important, ni connu le dernier jour? ou que cet Esprit l'aura vu, pendant que le Fils « de qui il prend comme du Père (3), » l'aura ignoré? Absurdité par-dessus l'impiété : que l'Esprit « qui annonce l'avenir, et qui distribue comme il veut les dons et les connaissances (4), » n'ait pas tout dans la perfection qui convient au principe et à la source. Car il faudrait l'excepter comme Fils, s'il fallait prendre à la rigueur ce que vous avez prononcé, que « ni les anges ni le Fils ne savent ce jour, ni aucun autre que le Père (5). »

 

LXXVIIIe JOURNÉE.
Ce dernier jour est connu au Fils de Dieu, mais non pas pour nous l'apprendre. Marc., XIII, 32.

 

Je continuerai, ô mon Sauveur, à considérer en tremblant, cette parole que vous avez prononcée : « Ni le Fils. » Où est donc cette autre parole où vous disiez : « Tout ce qu'a mon Père est à moi (6) : toutes choses ont été mises entre mes mains par mon Père : et personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père : et personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui il a plu au Fils de

 

1 Joan., I, 18. — 2 I Cor., II, 10, 11. — 3 Joan., XVI, 15. — 4 I Cor., XII, 4. — 5 Marc, XIII, 32. — 6 Joan., XXI, 15.

 

241

 

le révéler (1). » Tout est commun entre votre Père et vous : et la connaissance du dernier jour ne vous sera pas commune? Vous qui seul connaissez le Père, et qui seul le faites connaître à qui il vous plaît, ne l'aurez pas connu tout entier, ni pénétré tout son secret ! S'il faut excepter quelque chose dans la connaissance que vous avez de lui, il faudra donc excepter quelque chose dans celle qu'il a de vous, puisqu'en parlant de cette connaissance incommunicable à tout autre qu'à vous deux, que vous avez l'un de l'autre, vous dites également : « Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils : et nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père? » Tout vous est donné par le Père : « le Père aime le Fils et lui a tout mis entre les mains (2) : » et vous ne saurez pas tout ce qu'il vous a mis entre les mains! Mais comment cela se pourrait-il, puisque vous dites encore : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait (3)? » Ainsi avec le même amour qu'il lui donne tout, il lui montre tout aussi. Est-ce ici le seul endroit où il ait donné des bornes à son amour? la seule connaissance qu'il lui ait déniée? le seul don qu'il ait reçu avec mesure, « lui qui a reçu sans mesure tout le reste (4) » afin « que nous reçussions tous , » et chacun de nous « ce qu'il a du fond de sa plénitude (5) ! »

Mais parmi toutes choses que votre Père a mises entre vos mains, ce qu'il y a le plus mis, c'est le jugement, puisqu'il s'en est en quelque sorte dépouillé lui-même pour vous le donner. D'où vient que vous avez dit : « Le Père ne juge personne, mais il a remis au Fils tout le jugement (6). » Mais en même temps vous avez dit, que « le Fils ne fait que ce qu'il voit faire à son Père. » Ce qui fait aussi que « le Père l'aime et lui montre tout ce qu'il fait (7), » comme on vient de voir.

Mais si vous devez connaître tout ce que le Père a ordonné sur le jugement dernier, parce que c'est à vous qu'il est remis, et que vous êtes vous-même ce souverain juge qui paraîtrez en ce jour avec une majesté et une puissance divine, il s'ensuit que vous connaissez tout cela même comme homme, parce que c'est comme homme que vous devez juger. Ce qu'il vous a plu de nous expliquer

 

1 Matth., XI, 27. — 2 Joan., III, 35. — 3 Joan., V, 20. — 4 Joan., III, 34. — 5 Joan., I, 10. — 6 Joan., V, 22. —  7 Ibid., 19, 20.

 

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en disant que « le Père a donné au Fils la puissance déjuger, parce qu'il est le Fils de l'homme (1).» Vous savez donc tout, même comme homme : vous savez tout ce qui regarde le jugement : vous en savez sans difficulté le jour et l'heure, puisque vous en savez toute la sagesse, et que la sagesse consiste principalement à prendre les moments, conformément à cette parole : « Chaque chose a son temps (2), » et dans le monde tout est compassé; tout est rangé dans son lieu ; « tout se passe au temps qui lui est marqué par la sagesse qui règle tout. »

Vous êtes notre chef, et nous sommes vos membres : vous savez toute l'économie de votre corps : vous connaissez toutes vos brebis : vous savez celles qui sont venues, et celles qui sont encore à amener : vous les connaissez et les nommez distinctement : vous nommez tous ceux que votre Père vous a donnés, et tout vous est connu depuis le premier jusqu'au dernier de vos élus : et vous marquez tous les temps où vous les devez appeler, et les incorporer à votre corps (3). Car c'est vous qui les devez recueillir; et en les recueillant vous ne faites qu'exécuter ce que vous aviez destiné avec votre Père, dès que vous posâtes les fondements de votre Eglise : vous en avez révélé les persécutions à votre apôtre saint Jean : il en a vu tout le cours : il a vu la dernière comme les autres : et celle qui ne finirait qu'avec la fin du monde « et avec le feu de votre dernier jugement (4) » Les temps vous sont connus comme tout le reste : vous savez ce que veulent dire ces mille ans où vous avez déterminé le règne de vos saints sur la terre ; et ce que vous avez révélé en énigme à votre bien-aimé disciple, n'est pas énigme pour vous. Tout vous est connu : « Vous êtes le scrutateur des reins et des cœurs. » Vous avez en votre puissance le livre où sont écrits les secrets de Dieu et ses décrets éternels; et les sept sceaux qui le ferment n'y sont pas pour vous, puisque vous les ouvrez quand il vous plaît, à qui il vous plaît, et pour les raisons qu'il vous plaît (5). Et sous le septième sceau étaient enfermés tous les événements futurs, puisque c'est de là que se développent et « les trompettes » et les (6), et tout le reste,

 

1 Joan., V, 27. — 2 Eccle., III, 1. — 3 Joan., X. — 4 Apoc, XX, 7-10. — 5 Apoc., II, 23 ; V, 1, 2 et seq. — 6 Apoc., VIII, 1 et seq.

 

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qui était l'histoire de l'Eglise : c'est pourquoi lorsque vos apôtres vous interrogeaient sur le temps où vous rétabliriez le royaume d'Israël, vous leur répondîtes : « Ce n'est pas à vous à le savoir (1). »

O Seigneur, s'il m'est permis de vous interroger encore, que ne parliez-vous en la même sorte à vos apôtres ; et que ne leur disiez-vous : Ce n'est pas à vous à le savoir, au lieu de dire que « le Fils ne le savait pas? »

Peut-être se faudrait-il taire encore ici ; et qu'au lieu de se fatiguer à examiner ce .passage, il faudrait se dire à soi-même : Ce n'est pas à moi à l'entendre : ce n'est pas à moi à savoir pourquoi vous avez parlé en cette sorte : j'acquiesce, ô mon Sauveur, et je ne recherche ce mystère que pour y trouver quelque instruction, s'il vous plaît de me la donner. Mais peut-être qu'elle est déjà toute trouvée : peut-être que cette parole : « Ce n'est pas à vous à entendre les temps ni les moments que le Père a mis en sa puissance (2) : » est le dénouement de celle où vous avez dit : « Pour ce jour et cette heure-là, nul ne la sait que le Père, et le Fils même ne la sait pas (3). » Ce que le Fils ne sait pas en cet endroit, c'est ce qu'il ne nous appartient pas de savoir : le Fils comme notre docteur, le Fils comme l'interprète de la volonté de son Père envers les hommes, ne le sait pas, parce que cela n'est pas compris dans ses instructions, ni dans tout ce qu'il a vu pour nous, ainsi que nous l'avons dit. Et le Fils de Dieu parle ainsi pour transporter en lui-même le mystère de notre ignorance, sans préjudice de la science qu'il avait d'ailleurs, et nous apprendre, non-seulement à ignorer, mais encore à confesser sans peine que nous ignorons, puisque lui-même qui n'ignorait rien et surtout qui n'ignorait pas cette heure dont il était le dispensateur, ayant trouvé un côté par où il pou voit dire qu'il l'ignorait, parce qu'il l'ignorait dans son corps et qu'il était de son dessein que son Eglise l'ignorât, il dit tout court qu'il l'ignore et nous enseigne à ne rougir pas de notre ignorance.

J'ignore donc de tout mon cœur, et ce mystère, et tous les autres que vous voulez me cacher et que vous ne savez pas en moi ni pour moi. J'ignore le jour où vous viendrez, parce que

 

1 Act., I, 7.— 2 Ibid.— 3 Marc., XIII, 32.

 

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vous m'avez dit « que vous viendriez comme un voleur. » Mais si on ne sait pas quand le voleur viendra, le voleur n'en sait pas moins quand il veut venir : vous savez donc, voleur mystique, vous savez quand vous viendrez ; et les enfants de ce siècle ne seront pas plus prudents, plus avisés dans leurs desseins, plus éclairés dans l'ordre qu'ils mettront à leur exécution, que vous qui êtes la lumière même, la sagesse même. Vous savez donc, encore un coup, quand vous viendrez à la dérobée , demander à chacun de nous, et demander à tout le genre humain, le compte que nous vous devons de notre conduite : vous le savez, et c'est pourquoi vous avez dit que « le père de famille ne sait pas l'heure du voleur, » mais non pas que le voleur l'ignorât lui-même. Et vous avez dit : « Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure le Seigneur viendra : » et non pas que le Seigneur qui doit venir, l'ignore lui-même. Et vous avez dit en continuant la parabole : « Soyez prêts, parce que vous ne savez pas à quelle heure viendra le Fils de l'homme (1). »

Vous vous êtes aussi comparé à un père de famille, qui revenant de son voyage surprend son économe , « en venant au jour que ce méchant serviteur ignore, et à l'heure qu'il n'attend pas (2). » Mais vous, vous êtes le Seigneur, vous êtes le père de famille qui sait bien quand il doit venir; et si le serviteur est imprudent, le père de famille n'est pas pour cela ignorant de ses propres desseins. Vous savez donc, pour la dernière fois, quand vous voulez venir, et vous ne voulez pas que nous le sachions. Voilà que mon âme est prête, quand vous me la redemanderez : mon compte est en état : recevez-le et me jugez en vos miséricordes. Voilà du moins ce qu'il faudrait pouvoir dire : ô mon Sauveur, quand serai-je en cet état? quand pourrai-je dire de bonne foi : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt (3) ? »

 

1 Matth., XXIV, 42-44. — 2 Ibid., 50. — 3 Psal. LVI, 8.

 

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LXXIX   JOURNÉE.
Raisons profondes de notre Sauveur d'user de ces réserves mystérieuses pour l'instruction de son Eglise : mais non pour autoriser les hommes à user d'équivoques et de restrictions mentales. Ibid.

 

Gardons-nous bien de conclure de ces réserves mystérieuses du langage de notre' Sauveur, qu'il nous soit permis d'user dans nos discours de dissimulation, d'équivoque et de restriction de pensée. Car il ne nous appartient pas de nous donner à nous-mêmes divers personnages, selon lesquels nous puissions nier en un sens ce que nous avouerons en l'autre. Il ne nous appartient pas non plus de faire de nos réserves une instruction, un exemple d'humilité, une espèce de parabole dont il faille chercher le sens, un mystère Mont il faille approfondir le secret. Jésus-Christ a sa science comme Verbe, et tout y est compris, le présent, le passé, le futur, le possible, l'existant, tout en un mot, tout ce qui est dans la science du Père : car il est lui-même cette Science, puisqu'il est son Verbe, sa raison, sa parole extérieure. Il a sa science comme homme, par rapport à sa perfection, et comme le dépositaire et l'exécuteur de tous les secrets de son Père : tout ce qui regarde le genre humain est compris dans cette science, puisque toute puissance lui est donnée dans le ciel et dans la terre (1) : c'est lui qui doit tout faire : c'est lui qui doit venir pour juger : son Père ne l'avertit pas à chaque moment de ce qu'il aura à faire par son ordre ; mais il lui donne tout d'un coup une pleine compréhension de tout le^dessein dont il a l'exécution en son pouvoir : autrement il agirait comme nous, en foi, en obscurité, par morceaux, par pièces, au hasard en un certain sens, et à l'aveugle, sans entendre le rapport de chaque partie avec la fin de l'ouvrage et avec le tout. Il a outre cela sa science comme docteur de son Eglise, comme interprète envers elle des volontés de son Père, comme faisant avec elle un même corps : dans cette science est compris tout ce qu'il faut que l'Eglise sache : il fallait que l'Eglise

 

1 Matth., XXVIII, 18.

 

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sût ses persécutions pour s'y préparer : la chute prochaine des Juifs, afin qu'ils en fussent avertis et qu'ils fissent pénitence; et pour ôter aux fidèles la tentation de croire que le déicide et les autres déloyautés de ce peuple, avec les cruautés qu'il a exercées sur la personne du Sauveur et de ses apôtres, demeurassent longtemps impunies : Jésus-Christ a su tout cela pour son Eglise et il l'a expliqué. Il fallait que l'Eglise sût les signes du jugement à venir, afin d'être attentive à son approche : Jésus-Christ a su encore cela pour elle et l'a prédit. Il ne fallait pas qu'elle sût le temps ni l'heure : Jésus-Christ à cet égard ne le sait pas et n'en dit rien à ses fidèles. Cette science, qui était en Jésus-Christ par rapport aux instructions qu'il devait donner à son Eglise, avait sa perfection et sa totalité, qui lui faisait dire : « Je vous ai découvert comme à mes amis tout ce que j'ai ouï de mon Père (1) ; » et encore : « Je vous ai tout prédit (2), » tout ce qu'il fallait que vous sussiez, tout ce que j'avais appris pour vous. Si je dis, pour vous renfermer dans ces bornes , que je ne sais pas le reste, j'ai mes raisons de parler ainsi selon la charge qui m'est imposée, selon le personnage que je fais : ne soyez pas assez téméraires pour vouloir ou critiquer ou imiter ce langage mystérieux qui ne vous convient pas : c'est à vous à dire avec sagesse et avec simplicité tout ensemble : « Cela est : cela n'est point (3) : ne mentez pas ; ne vous trompez pas les uns les autres, parce que vous êtes membres les uns des autres *. »

Tâchons ici de nous revêtir de l'esprit de sincérité, à l'exemple de Jésus-Christ, qui à la réserve de ces mystères où il était obligé à nous ménager la lumière, nous a tout dit comme à ses amis, selon qu'il était convenable et que nous le pouvions porter.

 

1 Joan., XV, 15. — 2 Marc, XIII, 23. — 3 Matth., V, 37. — 4 Coloss., III, 9; Ephes., IV, 25.

 

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LXXXe JOURNÉE.
Ce qui doit être commun à ces deux grands événements : séduction générale. Ibid.

 

Relisons les commencements de ce discours prophétique de Notre-Seigneur, nous y trouverons les choses qui doivent être communes aux deux événements qu'il prédisait, à la ruine des Juifs et au jour du jugement dernier : c'est que l'un et l'autre devait être précédé de grands mouvements, d'une grande persécution de l'Eglise, d'une grande séduction.

Ses disciples lui dirent en secret : « Dites-nous quand ces choses arriveront, et quel sera le signe de votre avènement et de la consommation des siècles. Et Jésus leur répondit : Prenez garde à n'être pas séduits (1). »

Souvenez-vous toujours qu'ils joignaient deux choses : la chute de Jérusalem et le dernier jour, comme devant arriver dans le même temps. Et sans les désabuser d'abord, parce que cela n'était pas nécessaire , Jésus-Christ leur va expliquer ce qui devait être commun à ces deux événements.

« Prenez garde que personne ne vous séduise. » Ils lui faisaient une demande curieuse : « Quand ces choses arriveront-elles? » Il leur donne un avis utile : « Prenez garde qu'on ne vous séduise ; » comme s'il disait : Il vous importe peu de savoir quand arriveront ces choses : mais ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'elles seront précédées d'une périlleuse et horrible tentation pour vous séduire. « Car il viendra plusieurs christs, et plusieurs seront trompés. » C'est ce qui arriva devant la ruine de Jérusalem et aux environs de ces temps-là. C'est ce qui arrivera encore à la fin des siècles : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas : si un autre vient en son nom, vous le recevrez (2). » C'est ce qui est déjà souvent arrivé aux Juifs ; et quelque chose de semblable leur arrivera encore une fois vers la fin des siècles ; « lorsque ce

 

1 Matth., XXIV, 3; Marc, XIII, 4, 5; Luc, XXI, 7, 8. — 2 Joan., V, 43.

 

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méchant, cet impie, qui s'assiéra dans le temple de Dieu, pour s'y montrer comme un Dieu, paraîtra avec des prodiges trompeurs et avec toute sorte de séduction : en sorte qu'ils soient livrés à l'esprit de mensonge pour ne s'être pas voulu laisser gagner à l'amour de la vérité (1). » Ce qui convient parfaitement avec la parole qu'on vient d'entendre de la bouche de Jésus-Christ, et semble fait pour marquer d'une façon particulière l'aveuglement volontaire avec l'endurcissement du peuple juif. Quoi qu'il en soit, le démon développera toute sa malignité aux approches du dernier jour; et la même chose arriva aux approches de la ruine de Jérusalem, n'y ayant jamais eu tant de faux christs ni tant de faux prophètes. Remarquez dans saint Matthieu les versets 5, 11, 23, 24, 25, 20; et à peu près la même chose dans saint Marc et dans saint Luc.

« Voilà que je vous l'ai prédit : Prenez-y garde (2). » La séduction sera si puissante, que Jésus-Christ ne craint point de dire « qu'elle ira, s'il se peut, jusqu'à induire en erreur même les élus (3). S'il se peut : » fait voir deux choses : l'une, l'extrême péril; l'autre, le secours présent de la main toute-puissante de Dieu.

Pesons ces paroles : considérons à quelles épreuves Dieu met notre foi : jusqu'où il veut que nous lui soyons soumis : ce qu'ont à craindre les esprits superbes : les pièges que Dieu permet qui leur soient tendus : combien ils sont délicats, combien subtils, combien il est dangereux que les saints mêmes ne s'y prennent, « avec quelle frayeur et quel tremblement ils doivent donc opérer leur salut (4). »

Cet esprit de séduction qui se développera tout entier à la fin des siècles, se fait souvent sentir avant ce temps dans les subtilités des hérétiques : une apparence de réforme : un air de piété et de modestie : des paroles douces, tirées le plus souvent de l'Ecriture : une véhémente répréhension des abus criants, qui semble marquer un vrai zèle, une vraie horreur des vices, un vrai amour de la vertu. La chrétienté s'émeut : les nations se cantonnent : les élus, s'il se pouvait, devaient être pris dans ce piège. Mais ceux

 

1 II Thessal., II, 3, 4, 9-11.— 2 Matth., XXIV, 25; Marc., XIII, 23. — 3 Matth., XXIV, 24. — 4 Philipp., II, 12.

 

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qui y ont été pris doivent songer que nous aurons bien à soutenir d'autres illusions à la fin des siècles : une hypocrisie bien plus délicate, bien plus raffinée : lorsque les prodiges trompeurs se joindront à une doctrine séduisante. O Dieu, je tremble pour ceux qui seront mis à cette épreuve : tremblez dès à présent à la tromperie de vos passions, aux belles couleurs dont elles parent vos vices secrets, à ces instincts trompeurs de l'ennemi, à ces illusions secrètes que vous prenez pour inspirations. « Qui a des oreilles pour ouïr, qu'il écoute (1) : » Ah! c'est de quoi séduire, s'il se peut, jusqu'aux élus. Concluez avec saint Paul : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement. » Mais ne croyez pas l'opérer de vous-même : croyez que « c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire (2) : » opérez et croyez que Dieu opère : ne soyez ni lâche ni présomptueux : abandonnez-vous à cette grâce qui agit en vous, mais avec une courageuse et fidèle coopération : c'est ce qui soutient les élus, c'est ce qui les empêche de périr.

« Les élus, s'il se peut, seront induits à erreur (3). S'il se peut : » cela donc ne se peut pas : une main toute-puissante , contre laquelle rien ne prévaut, détourne ce coup. O conduite miséricordieuse et toute-puissante, qui empêchez vos élus de pouvoir périr, je vous reconnais, je vous adore, je m'abandonne à vous : mais dans cet esprit, qui en nous disant : « Dieu opère, » nous dit en même temps : « Opérez : » travaillez : agissez avec une infatigable ferveur.

 

LXXXIe JOURNÉE.
Le même sujet. Guerres, famines, pestes, tremblements de terre, maux extrêmes. Ibid.

 

Un grand mouvement dans le monde : « des guerres, des bruits de guerre, des pestes, des famines, des tremblements de terre (4), » seront les tristes avant-coureurs de ces deux événements. Voyez-

 

1 Matth., XI, 15. — 2 Philipp., II, 12, 13. — 3 Marc., VII, 22. — 4 Marc., XIII, 7, 8; Luc., XXI, 9-11.

 

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les, Matth., XXIV, 6,7, et la même chose en saint Marc et en saint Luc. C'est ce qui arriva un peu devant la guerre de Judée et dans la dernière année de Néron ; et c'est ce qui arrivera encore d'une manière plus formidable aux approches du dernier jour.

« Des guerres, des bruits de guerre : » de grandes guerres en effet : de plus grandes appréhensions de mouvements nouveaux : il semblera que l'esprit de guerre, les haines, les jalousies, la nature même voudra enfanter quelque chose de funeste aux grands Etats : on remarquera dans le monde un esprit d'ébranlement universel : au milieu de tout ce tumulte : « prenez garde de n'être pas troublés ; car il faut que cela arrive, et ce n'est pas encore la fin (1). »

De quoi donc sera-t-on troublé, si on ne l'est de telles choses? de rien du tout. Car le chrétien n'est troublé de rien que de son péché et de la colère de Dieu qui le doit punir. « Prenez donc garde de n'être point troublés : » vous vous enquérez de ce qui se passe, non-seulement avec curiosité, mais encore avec frayeur : que deviendront ces grandes armées qui sont en présence ? Quel ravage, quel embrasement, quel carnage, quel déluge de maux, si une fois la digue est rompue! (ah ! je m'en meurs.) Vous n'êtes pas chrétien : le sort des empires est entre les mains de Dieu : ils meurent en leur temps, comme le reste des choses humaines : priez pour votre patrie : humiliez-vous : faites pénitence : mais ne craignez point, ne vous troublez pas : il faut que cela arrive. Il le faut, non par une aveugle et fatale nécessité, qui nous mettrait au désespoir : mais il le faut par une raison, par une sagesse, par une bonté qui prépare de grands biens par tous ces maux. « Ne craignez point, petit troupeau, puisque le royaume qu'il a plu à votre Père céleste de vous préparer (2), » est hors d'atteinte. Toutes les puissances ennemies, visibles et invisibles, n'ont point de prise dessus, et il ne vous peut être ravi.

« C'est ici le commencement des douleurs (3) : » des douleurs de l'enfantement : de celles qui font jeter de plus grands cris; qui s'augmentent de plus en plus : on croit être à la fin, ce n'est encore qu'un commencement.

 

1 Matth., XXIV, 6. — 2 Luc, XII, 32. — 3 Matth., XXIV, 8.

 

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Quoi! ce mouvement effroyable des royaumes qui s'entrechoquent, ces famines, ces pestes, ces tremblements de terre ne sont que « le commencement des douleurs ! » O Dieu, que vos derniers coups sont redoutables, si ceux-là qui sont si terribles, dont on ne peut seulement entendre les noms sans être saisi de frayeur, ne sont qu'un prélude! Il est ainsi, Seigneur, il est ainsi. Par tous ces grands coups, les corps seuls sont menacés : mais voici ce qui est terrible au delà de toutes les terreurs : « Craignez, craignez celui qui, après avoir fait mourir le corps, enverra l'aine dans la géhenne : Oui, je vous le dis, craignez celui-là (1). » O Seigneur , si je sais bien craindre cela, je ne craindrai autre chose, et je verrai tous les éléments se mêler et la nature se confondre sans effroi. Ah! je ne puis craindre que ce qui tue l’âme : mais je puis ne le craindre pas, si je commence sérieusement à me convertir. Je n'ai rien à penser que la pénitence, ni rien à craindre que de mourir dans mon péché : mourir, ce n'est rien, de quelque douleur que la mort soit accompagnée ; quelque étrange, quelque imprévue, quelque cruelle et insupportable que la mort paroisse : mourir dans le péché, c'est tout le mal et le seul qui soit à craindre. Malheureux, ingrats, pécheurs endurcis : « Vite, vite, convertissez-vous et vivez (2). »

 

Luc, XII, 5. — 2 Ezech., XVIII, 32.

 

LXXXIe JOURNÉE.
Persécution terrible de l'Eglise, trahisons, charité refroidie. Ibid.

 

Un autre avant-coureur, la persécution. Elle a ces terribles circonstances : une haine implacable de tout le genre humain contre l'Eglise : la fureur au dehors : la trahison au dedans : on se livrera les uns les autres : les frères livreront leurs frères, et le père même son enfant : les enfants se soulèveront contre leurs pères : et les familles mêmes seront divisées : les scandales seront horribles à cause des chutes fréquentes de ceux qu'on croyait les plus fermes. Au milieu de tout cela la séduction redoublera, et de

 

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faux docteurs gagneront ceux que la violence n'aurait pu abattre : la cruauté et la séduction iront ensemble au dernier degré : c'est ce qui est arrivé à l'Eglise naissante, à commencer vers les dernières années de Néron, un peu avant la guerre de Judée. C'est ce qui arrivera d'une manière bien plus terrible à la fin des siècles (1).

Ce n'était pas une chose aisée à prédire, comme on le pourrait penser d'abord, qu'une telle haine et une telle persécution contre l'Eglise : et on n'aurait pas pu prévoir que le monde qui laissait en paix toutes les religions et jusqu'aux sectes les plus impies, comme celle des épicuriens, ne pourrait souffrir le christianisme. Mais Jésus-Christ l'a voulu prédire, et avertir ses fidèles d'une chose aussi singulière et jusqu'alors autant inouïe que celle-là.

Il joint selon sa coutume la consolation aux maux. « Tout le monde vous haïra : mais vous ne perdrez pas un seul cheveu : vous posséderez votre âme par votre patience (2), » non en combattant, mais en souffrant : « vous serez traînés à tous les tribunaux » comme des criminels : « mais cela leur sera en témoignage (3) : » vous y paraîtrez comme des témoins de la vérité, comme les maîtres du genre humain : « Je vous donnerai une bouche » que nulle impudence, nulle violence ne pourra fermer : « une sagesse, » une force « contre laquelle il n'y aura point de résistance (4) : vous n'aurez rien à préméditer : le Saint-Esprit parlera par votre bouche (5), » et le reste qu'on peut voir dans l'Evangile.

Ce qui sera de plus déplorable, c'est que « la malice s'augmentant sans fin, la charité se refroidira dans la multitude (6) : » c'est ce qui arriva à saint Paul, lorsqu'il disait : « Tous m'ont quitté : personne ne m'a assisté dans ma première défense : Dénias même m'a abandonné, attiré par l'amour de ce siècle : il n'y a que Luc avec moi : qu'il ne leur soit point imputé (7). » Mais ce refroidissement de la charité dans ses frères ne changeait point envers eux le cœur de Paul. Ce refroidissement de la charité paraîtra beaucoup

 

1 Matth., XXIV, 9 et seq.; Marc., XIII, 12; Luc., XXI. — 2 Luc, XXI, 17-19. — 3 Ibid., 12, 13; et Marc, XIII, 9 et seq. — 4 Luc, XXI, 14, 15. — 5 Matth., X, 19, 20. — 6 Matth., XXIV, 12. — 7 II Timoth., IV, 9, 11, 16.

 

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davantage dans la fin des siècles : « car lorsque le Fils de l'homme viendra, pensez vous qu'il trouve de la foi sur la terre (1) ? »

Mais à ce comble de maux, il n'y a qu'un seul remède : « Qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (2). » Remarquez ce mot : « jusqu'à la fin. » Dix ans, vingt ans, trente ans, cinquante ans, ce n'est rien : il faut aller jusqu'à la fin. Ne vous lassez point de travailler ; car la moisson que vous recueillerez sera éternelle.

« Il faut que cet Evangile soit prêché par toute la terre (3) : » de peur qu'on ne pense que la persécution qu'on vient de voir si déchaînée en arrête le cours. « Paul était lié : mais la parole de Dieu ne l'était pas (4) : elle courait (5), » dit cet Apôtre : le bruit en retentissait par toute la terre : « la foi des Romains y était annoncée (6) : l'Evangile, qui était venu jusqu'à Colosse, était et fructifiait et croissait en même temps par tout le monde (7). » Ainsi la prédiction du Sauveur s'accomplissait déjà en quelque façon, avant la dissipation des Juifs : mais le grand accomplissement en est réservé à la fin des siècles, et la prédication aura percé par tout le inonde avant qu'il finisse.

O Dieu, donnez vigueur à votre parole : bénissez les prédicateurs apostoliques : envoyez vos ouvriers dans cette grande moisson que votre ennemi ravage. O Seigneur, je me joins en esprit à ces hérauts de votre Evangile et à ceux qui croiront en vous par leur parole. Sanctifiez-les en vérité, et que leur sainteté naissante; répare les ravages que fait le péché dans votre héritage. Sauvons-nous, sauvons-nous de la corruption de cette race mauvaise. Mon âme, sauve-toi toi-même : ô Dieu, sauvez-moi; je péris.

 

LXXXIIIe JOURNÉE.
Réflexions sur plusieurs circonstances de ces deux événements. Ibid.

 

« Priez que votre fuite n'arrive point dînant l'hiver ou dans le jour du sabbat : » vous aurez besoin des plus grands jours, de la

 

1 Luc XVIII, 8. — 2 Matth., XXIV, 13. — 3 Ibid., 14. — 4 II Timoth., II, 9. — 5 II Thessal. III, 1. — 6 Rom., I, 8. — 7 Coloss., I, 6.

 

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saison la moins embarrassante, de la liberté d'agir la plus entière, pour précipiter votre fuite dans les déserts et dans les montagnes, et pourvoir à tant de pressants besoins. « Jamais il n'y eut, jamais il n'y aura d'affliction semblable : » jamais peuple n'aura été, ni ne sera plus impitoyablement livré à la vengeance : « et si Dieu n'avait abrégé le temps, nul homme ne se sauveroit : mais Dieu a abrégé le temps pour l'amour de ses élus (1). » Ce fléau de Dieu sera si terrible et la force en sera si insupportable, qu'il y aurait de quoi accabler tout le genre humain. Mais il fallait qu'il restât des hommes sur la terre pour enfanter les élus et les saints, qu'il y avait encore à recueillir. Voilà un sens. Dieu fléchi par les prières de ses élus, a tempéré sa colère : ils sont le sel de la terre, pour en empêcher la totale corruption : il faut qu'ils y soient répandus deçà et delà et de tous côtés : autrement, le genre humain qui n'est conservé que pour eux, périrait en entier : c'est un autre sens. Le dernier : Dieu a abrégé le temps des souffrances, de peur que ses élus n'en fussent enfin accablés : et il n'a pas voulu qu'ils fussent tentés par-dessus leurs forces.

« Pour l'amour des élus qu'il a choisis (2), » dit saint Marc. Us ne sont pas élus par un autre : c'est par lui-même : l'amour qui les lui a fait élire, l'oblige à tout faire pour eux, et il n'épargne la terre qu'à leur considération.

Respectons les saints qui sont parmi nous : nous leur devons tout : et Dieu s'apaise en les voyant, comme un père qui voit ses enfants parmi ses ennemis retient sa main. Après la séparation, que n'auront pas à souffrir les pécheurs ?

Ce qui est vrai en un certain sens, à l'égard des Juifs, est encore plus véritable à l'égard de tout l'univers dans les approches du dernier jour : après que la patience de ses saints aura été épurée jusqu'au degré qu'il voulait, il mettra fin au temps des épreuves, pour donner lieu aux récompenses.

 S'il y a cinquante justes dans Sodome, s'il y en a quarante, s'il y en a dix, je pardonnerai pour l'amour d'eux à toute la ville (3). » Dieu aime tant les siens, que non-seulement il les épargne, mais il épargne les autres pour l'amour d'eux. Si on n'aimait pas les

 

1 Matth., XXIV, 20-22. — 2 Marc., XIII, 20. — 3 Genes., XVIII, 26, 28 et seq.

 

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justes, si on ne les protégeait pas pour eux-mêmes, il les faudrait protéger pour le bien public. Que notre maison soit leur asile : que nos bras leur soient toujours ouverts : que notre secours les suive partout. Les prêtres, les religieux les représentent par leur état.

 

LXXXIVe JOURNÉE.
Réflexions sur d'autres circonstances. Ibid.

 

« Si l'on vous dit : Le voici dans le désert : le voici dans les lieux retirés de la maison : ne le croyez point (1). » Ceci regarde les derniers temps, lorsque les Juifs fatigués de tant attendre et d'avoir si souvent été trompés sur le sujet du Messie, s'en diront les uns aux autres des nouvelles comme en secret : « Il est venu, » mais il se cache : « il est dans ce désert ; il est dans les lieux secrets de cette maison : ne croyez point tout cela. » Ce n'est plus le temps qu'il doit venir de cette sorte, d'une maison particulière, d'une ville obscure, d'un désert, tantôt caché, tantôt découvert ; il paraîtra tout d'un coup avec un éclat surprenant ; « et un éclair ne se fait pas voir plus rapidement du levant jusqu'au couchant, et d'un côté du ciel à l'autre, que le Fils de l'homme paraîtra dans toute la terre (2). » Voilà la première chose qu'il marque de ce grand événement : une apparition soudaine et un éclat qui en un moment se fera sentir d'une extrémité du monde à l'autre. Mais voici la seconde : « Où sera le corps, là s'assembleront les aigles (3). » Si les aigles sentent leur proie de si loin et s'assemblent rapidement de toutes parts autour d'un corps mort : combien plus s'assembleront les élus où sera le Fils de l'homme ?

Le grec porte, au lieu de corps, « un corps mort, un cadavre : » et le Fils de Dieu se compare à un corps de cette sorte, à cause que les élus seront rassemblés par le mystère de sa mort, et que c'est par là qu'ils auront part à sa résurrection. Tout cela regarde visiblement l'apparition dernière et le dernier jour de Jésus-Christ.

 

1 Matth., XXIV, 26. — 2 Ibid., 27. — 3 Luc, XVII, 24; Matth., XXIV, 28.

 

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Et c'est pourquoi il ajoute : a Mais aussitôt après l'affliction de ces jours-là, » de ces joursoù le Fils de l'homme devra paraître si vite et rassembler autour de lui tous les élus, « aussitôt après cette affliction, » car il a dit qu'il y en aurait d'étranges vers ces jours-là, « le soleil s'obscurcira (1), » etc.

Il ne faut donc pas entendre cette affliction ni ces joins, de l'affliction ou des jours qui seront fâcheux pour les Juifs, mais de l'affliction de tout l'univers, vers le jour où le Fils de Dieu devra paraître, qui sont ceux dont il venait de parler. Le même paraît dans saint Marc : «Mais dans ces jours-là; dans cette affliction-là; le soleil s'obscurcira (2), » etc. Comme s'il disait : Il arrivera de grands maux aux Juifs : mais ce n'est point dans ces maux ou dans ces temps qu'arriveront ces prodiges du soleil obscurci, et les autres : mais « dans ces jours » dont je viens de parler : « dans ces jours » où le Fils de l'homme devra paraître ; aux approches de cette dernière apparition, et peu après les afflictions dont elle sera précédée ; « le soleil s'obscurcira, » etc.

Mettons-nous en esprit dans ce dernier jour, si heureux pour les uns, si funeste aux autres. Représentons-nous l'étonnement où l'on sera, de cette nouvelle lumière que jettera le Sauveur, de ce prodigieux éclat qui se fera sentir d'une extrémité du monde à l'autre, avec la rapidité d'un éclair: contemplons ces aigles mystiques : les esprits sublimes à qui le monde n'aura rien été et qui n'auront pas été troublés de tant de persécutions; ni de cet ébranlement universel de la nature éperdue : prendre tout à coup leur vol; et, comme dit saint Paul, « être enlevés dans les nuées au milieu des airs, à la rencontre de Jésus-Christ, pour être ensuite toujours avec lui (3). » Heureux jour! heureux spectacle! heureux changement! heureux ceux qui verront ce beau feu, cet éclair nouveau, cette vive et admirable lumière ! qui verront ce corps que la mort a consacré à notre salut, ces aigles qui voleront après et qui seront enlevés avec lui! Soyons de ces aigles par la contemplation en foi et en vérité et par une noble élévation au-dessus des choses mortelles : faisons notre proie de ce corps que la mort a fait nôtre : nous l'avons dans l'Eucharistie, ce corps mort

 

1 Matth., XXIV, 29. — 2 Marc., XIII, 24. — 3 I Thessal, IV, 16, 17.

 

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autrefois, à présent vivant, mais couvert d'un signe de mort; dévorons-le : prenons-en toute la substance, tout le suc : vivons de Jésus et de sa vérité et de ses souffrances et de sa mort qui est notre vie : imitons-la : portons-la sur nous : « Portons sur nos corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus paroisse en nous (1). » Si parmi les ténèbres du monde et celles qui nous environnent, il lui plaît de faire tout à coup reluire sur nous comme une espèce d'éclair, une lumière rapide qui se répande en un moment dans toute notre âme, et qui se fasse sentir de la partie haute jusqu'à la plus basse, ô lumière, je vous adore! ô lumière, je vous veux suivre! Si vous vous retirez comme un éclair, et que vous laissiez mes yeux éblouis d'un éclat si vif, je me souviendrai de vous avoir vue : je me réjouirai de l'espérance de vous revoir à d'autres moments : je tâcherai de mettre à profit tout ce que vous me montrerez dans ces moments rapides ; et j'aspirerai nuit et jour à ce jour unique de l'éternité où vous luirez sans vous retirer, sans être obscurcie; où votre levant sera sans couchant; où nous jouirons à jamais de vous, ô Père, ô Fils, ô Saint-Esprit, qui êtes la véritable et seule lumière.

 

LXXXVe JOURNÉE.
Instructions à recueillir. Se tenir prêt : veiller à tonte heure. L'un pris, l'autre laissé. Matth., XXIV, 37-51; Marc, 33-37; Luc, XVII, 24.

 

De tout ce que nous avons vu, il y avait deux sortes d'instructions particulières à recueillir : dans la ruine de Jérusalem il y avait à s'en sauver par la fuite : « Alors, que ceux qui sont dans Jérusalem, s'enfuient aux montagnes (1). » C'est ce que firent les chrétiens, qui s'enfuirent en effet vers les pays montagnards, à la ville de Pella, comme marquent les histoires: ce qui fut cause qu'on ne voit point qu'ils aient souffert dans Jérusalem, ni qu'il s'y en soit trouvé aucun durant le siège de Tite. A l'égard des calamités qui devaient arriver à la fin du monde, il fallait ne pas

 

1 II Cor., IV, 10. — 2 Matth., XXIV, 16.

 

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songera s'en sauver, puisqu'elles sont universelles et inévitables; mais s'y préparer, et cette préparation nous est expliquée dans le reste de ce chapitre.

Elle consiste premièrement à veiller, à être attentif, à se tenir toujours prêt, en accompagnant de prières son attention et sa diligence : « Prenez garde, veillez et priez : car vous ne savez pas le temps ni si le maître viendra sur le soir ou vers le minuit, ou au chant du coq, ou le matin. Veillez donc et priez en tout temps, afin d'être rendus dignes d'éviter ces choses (1), » c'est-à-dire la rigueur du dernier jugement, « et de comparaître devant le Fils de l'homme (2). » Il ne faut donc pas seulement prier mais prier en tout temps.

Secondement il faut songer à l'effet de ce terrible jugement, ou « de deux qui seront ensemble l'un sera pris et l'autre laissé (3). » Et pour aller où? « Où sera le corps, là s'assembleront les aigles. » Qui ne tremblerait, en voyant tout à coup une si terrible séparation ? L'un enlevé à Jésus-Christ, l'autre laissé au milieu des maux, d'où il ne sortira que pour rentrer dans de plus grands et n'en sortir jamais.

Troisièmement il ne faut point reculer ni regarder en arrière : « sou venez-vous de la femme de Lot (4), » qui pour avoir seulement tourné la tète vers Sodome, reçut un châtiment si prompt et si rigoureux. Il ne suffit pas d'éviter les mauvaises compagnies, ni de fuir le monde qu'on a quitté : il ne faut pas seulement tourner les yeux de ce côté-là.

Quatrièmement il faut faire toutes ses actions avec une activité et une diligence extraordinaire : se sauver à quelque prix que ce soit : laisser périr beaucoup de choses qu'on aimerait plutôt que de hasarder son salut : « si l'on est dans le haut de la maison, ne se point embarrasser de sauver les meubles qui sont en bas (5) : » se contenter de sauver ce qui est en haut : emporter et sauver d'abord à la corruption tout ce qu'on peut : ne pas dire : Je laisserai cela, mais je retournerai demain le quérir ; demain je commencerai à me corriger de ce vice; je me contenterai pour aujourd’hui

 

1 Marc, XIII, 33-35. — 2 Luc, XXI, 36. — 3 Matth., XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34-37. — 4 Luc, XVII, 31, 32. — 5 Ibid., 31; Matth., XXIV, 17, 18.

 

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de modérer celui-ci : ne laissez rien qu'il vous faille aller requérir : ne laissez rien à faire à une autre fois : car le temps vous manquera tout à coup et votre attente sera vaine.

Cinquièmement il faut se retirer de tout ce qui attache trop l'esprit, de tout ce qui « appesantit le cœur ; » et non-seulement « de l'ivrognerie » où la raison est absorbée, mais encore o de la bonne chère et des soins de cette vie (1). » Et sur les soins de la vie, il faut remarquer ces paroles : « Aux jours de Noé ils buvaient, ils mangeaient, ils se mariaient, ils marioient leurs enfants : et aux jours de Lot ils buvaient et mangeaient, ils vendaient et ils achetaient, ils plantaient et ils bâtissaient : et ils périrent tous d'un coup dans les eaux du déluge et par le feu du ciel (2). » Car il ne dit pas : Ils tuaient, ils commettaient des adultères, et le reste : il parle des occupations les plus ordinaires et les plus innocentes de la vie : parce qu'elles occupent, elles embarrassent, elles accablent, elles enchantent, elles attachent, elles trompent, en nous menant d'un soin à un autre et d'une affaire à une autre. Il ne suffit donc pas d'éviter les actions criminelles ; mais il faut encore prendre garde à ne se pas laisser jeter par les autres dans cet esprit d'empressement et d'occupation, qui fait qu'on n'est jamais à soi.

Sixièmement on ne saurait assez songer au grand mal dont nous sommes menacés : ce sera comme le déluge aux temps de Noé ; comme le feu du ciel aux temps de Lot ; « comme un lacet où nous serons pris tout à coup (3), » à la manière des oiseaux, par un vain appât, pour être la proie de ceux qui veulent nous dévorer. Le mauvais serviteur qui ne songeait qu'à passer sa vie dans le plaisir, se trouvera tout d'un coup « séparé » de Dieu, de sa grâce, de tout le bien : « et il sera mis avec les hypocrites, où ii y aura un pleur et un grincement de dents * » éternel. Terribles paroles : « Séparé, mis avec les hypocrites : pleurs et grincement de dents » et douleur jusqu'à la rage. A quoi donc penserons-nous, si nous ne pensons à ces choses? Ah ! périssent toutes nos pensées , afin que celles-là vivent seules dans nos cœurs !

 

1 Luc, XXI, 31. — 2 Luc, XVII, 20-29. — 3 Luc., XXI, 35. — 4 Matth., XXII, 51.

 

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LXXXVIe JOURNÉE. Le Père de famille : ses serviteurs : la figure du voleur. Matth., XXIV, 45-47; Luc, XII, 41-44.

 

Conférez le chapitre XXIV de saint Matthieu, depuis 45 jusqu'à la fin, avec le chapitre XII de saint Luc, depuis 35 jusqu'à 49.

Le Fils de Dieu instruit ici, premièrement tous les chrétiens sous la figure du père, de famille et de ses serviteurs : et encore sous la figure du même père de famille et d'un voleur. Secondement il instruit en particulier les supérieurs ecclésiastiques, sous la figure du père de famille qui retourne à sa maison, et de son économe ou principal domestique qui le doit attendre.

Voici pour les premiers ce que nous trouvons dans saint Luc. Premièrement : « Les reins ceints (1) : » les passions resserrées, comme une robe qui se répandrait faute de ceinture. C'est l'état d'un homme laborieux et toujours prêt à marcher. Car lorsque l’âme se répand dans les passions, elle est lâche, sans force, sans ordre, sans bienséance.

Secondement : « Des flambeaux allumés à la main. » C'est encore l'état d'un homme prêt à aller au-devant « du maître, » à quelque heure de la nuit qu'il vienne, pour l'éclairer.

« Des lampes allumées : » c'est un esprit attentif et un cœur ardent. On a comme des flambeaux en soi-même, dans le fond du raisonnement : mais ils ne sont allumés que par l'attention. Que sert d'avoir de l'esprit, du raisonnement, de la foi même, si tout cela n'est réveillé par l'attention ? autant que nous serviraient des flambeaux bien préparés dans notre coffre, mais sans amorce, sans feu.

« Les lampes allumées à la main, » sont aussi le bon exemple. Ce n'est pas assez de l'attention ; il en faut venir aux œuvres, à l'application sur nous-mêmes : autrement le flambeau nous est inutile.

 

1 Luc., XII, 35.

 

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Troisièmement : « Semblables à des hommes qui attendent (1) : » par conséquent très-attentifs. Et qui attendent-ils ? Leur maître : celui qui les peut punir, pour peu qu'il les trouve négligents.

Quatrièmement : « Quand il viendra, et qu'il frappera. » Il vient à chaque moment : car chaque heure nous avance vers la mort. Il frappe par les maladies : il faut donc être attentif et se tenir prêt dès le premier coup. Mais à peine s'éveille-t-on au dernier, et lorsque la mort est déjà presque dans le cœur : et alors il n'y a plus de flambeaux, plus d'attention, ni de réflexion : tout est presque éteint.

Cinquièmement : « Aussitôt ils lui ouvrent. » Comme tout ici est actif! Il faut ouvrir soi-même au maître qui vient, être bien aise de le recevoir : mais ouvrir avec diligence, « aussitôt : » ouvrir par conséquent avec joie ; ne pas murmurer, ne pas se plaindre de la mort qui vient sitôt. Au reste, il n'a pas besoin qu'on lui ouvre, afin qu'il prenne notre âme qu'il vient requérir. Car il saura bien la reprendre sans qu'on la lui donne. Bon gré, malgré, il faut mourir. Et souvent il frappe si fort, que les portes brisées s'ouvrent d'elles-mêmes, sans que vous ayez le loisir d'ouvrir, ni de lui offrir vous-même votre âme qu'il vous redemande. Il n'a donc que faire de vous pour la retirer : mais pour l'amour de vous, afin que vous puissiez lui en faire le sacrifice, il veut que ce soit vous qui lui ouvriez, et promptement, et avec joie. Car vous ouvrez, non pas à la mort, mais à un maitre bienfaisant.

Car, sixièmement, « s'il trouve ses serviteurs vigilants, il se retroussera , et les fera asseoir, et passera de l'un à l'autre pour les servir (2). » Il ne faut pas chercher dans les paraboles à tout expliquer : il y a des circonstances, comme celles-ci, qui ne servent que pour la peinture. Le fond est ici, que Jésus-Christ s'est fait serviteur de ses fidèles : « Le Fils de l'homme, dit-il, est venu servir, » et ce service est « de se donner lui-même en rédemption pour plusieurs (3). » C'est de lui que nous tenons tout, et en ce monde et en l'autre : et nul ne demeurera sans récompense ; car il passera de l'un à l'autre pour les servir tous. Il leur donnera abondamment tous les biens. Car pour lui il n'a pas besoin de

 

1 Luc, XII, 30. — 2 Ibid., 37. — 3 Matth., XX, 28.

 

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vos services, ni de rien : il est heureux, il est dans la gloire : il vient pour vous; et sous la figure de la mort, qui vous paraît si hideuse, il vous apporte sa grâce, son royaume, sa félicité éternelle, des richesses inestimables, des plaisirs sans fin. Ouvrez donc à un si bon maître, et donnez-lui de bon cœur cette âme qu'il ne redemande que pour la rendre bienheureuse.

Septièmement : « S'il vient à la seconde veille, et s'il vient à la troisième (1). » Remarquez : il ne parle point qu'il vienne jamais de jour : il surprend toujours. On ne le voit pas et il se cache dans les ombres de la nuit : et cependant l'homme insensé veut le deviner. Je me porte bien, je ne mourrai pas ; on se donne toujours bien des années, et cependant l'expérience fait voir qu'il surprend toujours : « il vient à l'heure qu'on n'attend pas et au jour qu'on n'espère pas (2). »

Huitièmement : ce père de famille, qui vient avec tant d'amour pour nous donner des biens éternels sous la figure de la mort, prend encore une autre figure : celle « d'un voleur (3) : » c'est-à-dire celle d'un ennemi qui vient nous ravir tout ce que nous possédons et que nous aimons. Premièrement, les biens temporels et les plaisirs des sens, dont nous faisions notre bonheur. Tout d'un coup tout nous sera enlevé : ces biens passeront en d'autres mains : ces plaisirs se dissiperont comme une fumée, comme une paille que le vent emporte. Secondement, il nous ôtera les biens spirituels : tant de pensées de conversion, tant de désirs imparfaits qui nous amusaient, qui nous endormaient dans la mort. Tout cela nous sera ôté ; et nous verrons malgré tous ces faibles commencements de bonne volonté, de bons sentiments et de vertus qui nous faisaient dire : « Je suis riche : » nous verrons « que nous sommes pauvres, misérables, aveugles, nus, dignes de pitié, » ou plutôt indignes de pitié à cause de notre malice; sans aucun de ces biens qui nous ouvrent la porte du ciel, ainsi qu'il est écrit dans l'Apocalypse (4).

En neuvième et dernier lieu. Pesons ce mot : « Soyez prêts (5) : » que vos comptes soient en état : que vos dettes soient payées :

 

1 Luc., XII, 38. — 2 Matth. XXIV, 30. — 3 Luc, XXII, 39. — 4 Apoc, III, 17. — 5 Matth., XXIV, 44.

 

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que vos desseins soient accomplis : car après ce moment il n'y a rien à espérer. Quelle angoisse ! quelles sueurs à la vue de ce maître rigoureux qui vous pressera de rendre compte ! Vous payerez par le dernier et inévitable supplice ce que vous n'aurez pas volontairement payé par vos bonnes œuvres.

 

LXXXVIIe JOURNEE.
L'économe fidèle et prudent : sa récompense, lbidl.

 

Pierre lui dit : « Seigneur, est-ce pour nous que vous dites cette parabole ou pour tout le monde (1) ? » Nous tromperez-vous comme les autres, nous qui sommes les dispensateurs de vos mystères? Nous serez-vous un voleur qui nous surprendra, ou un maître impitoyable qui arrivera tout d'un coup pour nous punir? Il lui répond par la parabole de l'économe ou de l'intendant d'une maison , à qui le maître a donné la charge de tout et en particulier celle de ses conservateurs. C'est la figure des supérieurs et supérieures, chacun selon son degré et le poste où il est établi.

« Le maître a établi cet économe, » cet intendant, ce dispensateur, pour être « fidèle : » pour être « prudent : pour donner la nourriture à sa famille : » pour la lui donner « dans le temps : » pour la lui donner « avec mesure (2). » Te voilà, ô Pierre : vous voilà, pasteurs : il faut être fidèles : donner fidèlement ce que le maître a mis en vos mains pour le distribuer, les instructions, les sacrements : voilà ce que c'est qu'être fidèles : ne s'attribuer rien; ne rien retenir de ce qu'il a voulu que vous donnassiez. O économe, ô intendant spirituel, tu n'as rien à toi, tu n'as rien pour toi, puisque toi-même tu es tout aux autres : « Tout est à vous, soit Paul, soit Ce plias, tout est à vous : et vous êtes à Jésus-Christ (3), » disait saint Paul. « Tout est à vous. » Il faut donc être fidèle et se donner tout entier au peuple de Dieu. Mais outre la fidélité, il faut la prudence pour donner dans le temps, pour donner avec mesure : prendre les moments favorables d'une affliction, du ralentissement

 

1 Luc., XI., 41. — 2 Ibid., 42. —  3 I Cor., III, 22, 23.

 

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d'une passion, d'une maladie, d'une grande perte : être attentifs à ce moment : voyez : Dieu vous avertit : Dieu vous frappe : Dieu vous réveille : voilà le premier effet de la prudence : « prendre le temps : » sinon on rendra compte à Dieu du moment perdu et de la damnation de son frère. Le second, « donner avec mesure : » pas plus qu'on ne peut porter : « ne donner pas le saint aux chiens, ni les perles aux pourceaux (1) : » ne prêcher pas les hauts mystères de la communication avec Dieu aux âmes encore impures, qui ont besoin qu'on les étonne, qu'on les effraie : ne donner pas l'absolution ni la communion précipitamment : ne la donner pas aux chiens et aux pourceaux : aux âmes encore impures. Aller par degrés : gagner peu à peu : mais néanmoins il vient un temps qu'il n'y a point de temps, qu'il n'y a point de mesure à garder. Ici on dit : « Ne reprenez pas, » mais « avertissez (2) : » là : « Il faut reprendre avec modestie (3) ; » ailleurs : « Reprenez durement (4); » ailleurs : « Dans le temps, hors du temps, à propos et hors de propos (5) : » autrement tout est perdu. Voilà donc la fidélité et la prudence d'un bon serviteur.

Deux choses nécessaires à régler, le fond et la manière : le fond, il faut donner : soyez fidèle : la manière, il faut donner à propos et avec les proportions, les convenances requises : autrement vous n'êtes pas ce serviteur digne que le maître l'emploie à gouverner sa famille, parce que vous ne donnez rien par infidélité, ou lorsque vous donnez, ce que vous donnez tourne à rien par votre imprudence.

Remarquez ici le faux zèle. Un supérieur, un pasteur ne prêche pas : il est infidèle. Il prêche, il instruit, mais rudement, mais hors de propos : il ne fait rien, parce qu'il est imprudent.

A un tel serviteur, qui dispense bien ce qui lui est confié, « le maître lui donnera tout ce qu'il possède (6) : » et non-seulement son royaume, mais encore lui-même. Car si le père de famille qui n'est qu'un homme, est si juste que trouvant son serviteur qui a bien usé du pouvoir et des biens qu'il lui a mis en main pour les dispenser, il l'élève à de plus hauts emplois, et lui donne un plus

 

1 Matth., VII, 6. — 2 I Timoth., V, 1. — 3 II Timoth., II, 25. — 4 Tit., I, 13. — 5 II Timoth., IV, 2. — 6 Luc., XII, 44; Matth., XXIV, 47.

 

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grand pouvoir : combien plus Jésus-Christ, qui est la justice même, augmentera-t-il les biens de ses serviteurs, qui auront bien dispensé ceux qu'il leur a déjà donnés?

Pesez ces mots : « Il leur donnera tout ce qu'il possède : » c'est un Dieu qui parle : que ne possède-t-il pas ? Mais tout est à nous, dès que nous usons bien de ce qu'il nous donne.

 

LXXXVIIIe JOURNÉE.
Le serviteur méchant et violent : sa punition. Ibid.

 

Nous avons vu le bon serviteur avec ses deux bonnes qualités, la fidélité et la prudence : voyons maintenant la peinture que Jésus-Christ fait du mauvais dispensateur de ses grâces et de ses mystères.

« Ce serviteur dit en son cœur (1). » Il ne le dit pas en termes exprès : mais il agit sur ce fondement et il le dit par ses œuvres.

« Mon maître tarde : » malheureux qui croit échapper ses mains à cause qu'il ne frappe pas d'abord, ou qui s'estime heureux à cause qu'il retarde son dernier supplice.

« Il bat les serviteurs et les servantes : » il abuse de son pouvoir : il les maltraite : quelquefois en les frappant véritablement : ce que saint Paul défend, en disant que « l'évêque ne doit point frapper, ni être violent (2) : » à quoi il faut aussi rapporter les injures et les duretés qu'il leur dit, qui sont une espèce de plaie à la réputation et à la vie de l'honneur. Mais le grand coup que donne ce mauvais économe à ses conservateurs, c'est lorsqu'il les scandalise : car alors il frappe leur conscience faible : en quoi il pèche contre Jésus-Christ et fait pécher son « frère, pour qui Jésus-Christ est mort (3). »

« Manger, boire, s'enivrer (4) : le royaume de Dieu n'est pas la viande ni le boire, mais la justice et la paix et la joie dans le Saint-Esprit  (5). » Voilà le festin du bon économe de Jésus-Christ.

 

1 Luc.  XII, 45. — 21 Timoth., III, 3. — 3 I Cor., VIII, 11, 12. — 4 Luc., XII, 45. — 5 Rom., XIV, 17.

 

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« Le serviteur qui connaît la volonté de son maître (1). » Il veut dire que celui qui est établi dispensateur , sachant mieux que les autres ce que veut le maître, puisqu'il le doit prêcher aux autres, « sera plus puni : mais celui qui ne la sait pas ne sera pas exempt du supplice (2) : » et cette moindre punition que le maître de famille lui réserve ne laissera pas d'être terrible : car il n'y a rien de (bible ni de médiocre dans le siècle futur.

Deux règles de la justice éternelle : l'une, « de punir davantage celui qui sait davantage, » parce qu'il pèche contre sa science et par malice : l'autre, « de redemander plus à celui à qui on a plus donné (3), » parce qu'il est chargé de plus de choses, et par conséquent il a un plus grand compte à rendre. Ne vante donc pas ta science, qui ne sert qu'à te rendre plus coupable. Ne te glorifie pas de tes dons, qui ne font que t'obliger à un plus grand compte : ne t'excuse pas aussi sous prétexte que tu ne sais pas : car c'était à toi à l'instruire : ne te flatte pas sous prétexte que le maître ne te menace que de peu : car c'est un peu par comparaison , qui ne laisse pas en soi-même d'être très-grand, parce que tout est grand, tout est fort dans le règne de la vérité et de la justice, où Dieu se veut faire sentir tel qu'il est.

 

LXXXIXe JOURNÉE.
Vierges sages, et folles. Matth., XXV, 1-13.

 

C'est sous une autre figure, un autre avertissement de se tenir prêt. Combien Jésus le répète-t-il? Et cependant nous sommes sourds : il semble n'avoir destiné les derniers jours de sa vie qu'à nous préparer à la mort, et que ce soit là son unique affaire : c'est en effet celle d'où tout dépend.

« Dix vierges (4) » C'est un état saint, qui n'est pas donné à tout le monde : ainsi qu'il le dit ailleurs : « Tous n'entendent pas cette parole, mais ceux à qui il a été donné (5). » En voici dix qui ont

 

1 Luc., XII, 47. — 2 Luc., XII, 58. — 3 Ibid.— 4 Matth., XXV, 1.— 5 Matth., XIX, 11, 12.

 

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entendu cette haute parole, à qui ce don excellent a été donné : et néanmoins il y en a cinq qui périssent. Tremblez donc, vous tous qui avez reçu ce don, et apprenez à le faire valoir.

« Cinq étaient folles (1) : » sans précaution, sans prévoyance.

« Ces folles ne prirent pas de l'huile. » Elles disent : « L'huile nous manque, nos lampes s'éteignent. » La charité leur manque : les bonnes œuvres leur manquent : la charité , le plus excellent de tous les dons, sans quoi tous les autres et même celui de la prophétie, et même celui du martyre , n'est rien : ni par conséquent celui de la virginité.

« Elles sommeillèrent et elles dormirent (2). » Celles qui ont de l'huile leur provision, peuvent demeurer tranquilles : mais les autres, elles doivent profiter du temps pour acheter de l'huile et amasser de bonnes œuvres.

« Donnez-nous de votre huile (3) : » ainsi parlent ceux qui, sans se soucier de faire eux-mêmes de bonnes œuvres, mettent toute leur espérance aux prières et aux mérites des saints.

Remarquez : « Elles s'éveillent toutes : toutes elles se lèvent : toutes elles préparent leurs lampes (4) : » et néanmoins cinq périssent et sont exclues du festin. Ce ne sont point des personnes vicieuses, ni insensibles, ni tout à fait sans bonnes œuvres : elles commencent beaucoup, et n'achèvent rien. O combien périront par ce défaut !

« Nous n'en avons pas pour nous et pour vous (5) : chacun de nous portera son fardeau » au tribunal de Jésus-Christ. « Que chacun s'éprouve soi-même : car en cette sorte il aura sa gloire en lui-même et non dans les autres (6) : » car encore qu'en un autre sens « nous devions par la charité porter les fardeaux les uns des autres, » néanmoins en ce dernier jugement chacun sera jugé , non selon les œuvres des autres, « mais selon les siennes (7). »

« Allez à ceux qui en vendent (8) : » Vous à qui l'huile manque :

vous qui ne méritez pas de véritables louanges , allez à ceux qui les vendent : allez aux flatteurs, qui par un bas intérêt vous feront accroire avec tous vos vices que vous êtes vertueux.

 

1 Matth., XXV, 3, 8. — 2 Ibid., 7. — 3 Ibid., 8. — 4 Ibid., 7. — 5 Ibid., 9. — 6 Galat., VI, 2, 4, 5. — 7 Matth., XVI, 27. — 8 Matth., XXV, 9.

 

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« Pendant qu'elles allaient acheter : » pendant que leurs flatteurs les amusaient par la vaine opinion qu'ils leur donnaient de leur sainteté : « l'Epoux vint : elles vinrent tard et la porte leur fut fermée (1). »

Elle est fermée pour ne s'ouvrir plus, et votre exclusion est sans remède.

« Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous  (2) : » voyez qu'elles ne sont pas de celles qui n'ont point de soin de bien faire, ou qui négligent entièrement leur salut : ce sont des vierges, séparées des sens et des plaisirs : il n'est pas dit qu'elles souillent leur chasteté : elles ont des lampes : elles dorment à la vérité et ne sont pas sans beaucoup de langueur : mais enfin elles s'éveillent : elles vont avec diligence acheter de l'huile : elles font imparfaitement quelques bonnes œuvres : enfin elles accourent et avancent jusqu'à la porte : elles frappent même et disent : « Seigneur, Seigneur. » Mais «tous ceux qui m'appellent, Seigneur, Seigneur, n'entreront point pour cela dans le royaume des cieux (3). Je n'ai pas trouvé tes œuvres pleines devant mon Dieu (4). »

La pénitence tardive frappe vainement, parce qu'elle n'est pas pleine ni sincère. Viendra le temps qu'encore qu'on frappe, on n'entrera point. C'est ce que disait saint Jacques : « Vous demandez et vous n'obtenez pas, parce que vous demandez mal (5) : » ce qui arrive à ceux qui demandent la prolongation de leurs jours, non pour faire pénitence, mais « pour les employer à leurs convoitises. » Vient enfin le dernier moment, et les hommes croient qu'on demande bien : mais celui qui sonde les cœurs sait le contraire, et il nous renvoie « avec les hypocrites et les infidèles, où il y aura des pleurs et un » éternel « grincement de dents  (6). »

« En vérité, je vous le dis : Je ne vous connais pas (7) : » c'est la vérité éternelle qui vous parle, et qui se prend elle-même à témoin. Vos flatteurs vous promettent tout; mais moi je vous tiens un autre langage : et quel langage ? « Je ne vous connais pas : » malgré vos bons désirs, vos volontés imparfaites, vos commencements de vertu, je ne connais en vous ni mon image que j'y avais

 

1 Matth., XXV, 10. — 2 Ibid., 11. — 3 Matth., VII, 21. — 4 Apoc. III, 2. — 5 Jacob., IV, 3. — 6  Matth., XXIV, 51. — 7 Matth., XXV, 12.

 

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formée, ni le caractère de chrétien, ni celui d'homme raisonnable, ni rien enfin de solide ni de véritable. Allez, « je ne vous connais point : » vous n'êtes donc pas de mes brebis ; « car je connais mes brebis et je leur donne la vie éternelle (1). » Vous n'avez donc rien à prétendre, vous que je ne connais pas. O que me serviront tant d'amis, tant de connaissances? Tout le monde, toutes les cours vous louent, vous connaissent ; de grandes entrées partout ; mais que vous sert tout cela, si Jésus-Christ ne vous connaît pas?

Cherchez pourquoi Jésus-Christ ne connaît pas ceux qui semblent le connaître si bien, et qui l'appellent deux fois, « Seigneur, Seigneur. » C'est que « celui qui dit qu'il le connaît, et ne garde pas ses commandements, est un menteur (2). » Mais il en garde une partie : « Je ne vous connais pas : soyez parfait comme votre Père céleste est parfait (3) : » autrement il ne vous connaît pas.

 

XCe JOURNÉE.
Parabole des dix talens et des dix mines. Matth., XXV, 14-30; Luc, XIX, 12-27.

 

La parabole des talens, et celle des mines semble avoir été prononcée en confirmation des dernières paroles que nous avons lues de saint Luc : « Celui à qui on donne beaucoup, on lui redemande beaucoup. »

« A chacun selon sa vertu (4) : » il parle ici des grâces qui sont données en récompense ou du moins en conséquence d'autres grâces : mais il faut toujours se souvenir qu'il y a les premières grâces qui ne sont pas données de cette sorte et qui sont absolument gratuites : ce qui paraît en d'autres lieux de l'Evangile. Ici nous avons à considérer la distribution des grâces qui sont les suites des autres et l'ordre des récompenses. Et ce qu'il y a premièrement à observer, c'est la proportion et les convenances. « On donne à chacun selon sa vertu : » chacun travaille et profite à proportion de ses talens : chacun est récompensé selon son travail : « Celui qui a cinq talens gagne cinq talens : celui qui en

 

1 Joan., X, 14, 18. — 2 I Joan., II, 4. — 3 Matth., V, 48. — 4 Matth., XXV, 25.

 

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reçoit deux en gagne deux (1) : celui dont la mine en a produit dix reçoit dix villes : » et « celui dont la mine en a produit cinq reçoit cinq villes (2) : » et il ne reste qu'à admirer l'exactitude de la divine justice par rapporta l'exactitude et à la fidélité d'un chacun.

Celui qui enfouit son talent et sa mine, a est jeté lui-même dans le cachot et dans les ténèbres ; » et non-seulement il ne reçoit rien, ce qui lui était dû trop visiblement, mais encore il est puni de sa négligence.

Outre la récompense particulière que chacun reçoit à proportion de son travail, tous reçoivent la commune récompense; « d'entrer dans la joie de leur Seigneur (3) » et d'être rendus participons de sa fidélité.

Tout est donc ici dans une entière proportion : la peine, la récompense. Il y en a une commune à tous pour la fidélité qui l'est aussi : il y en a de particulières selon la diversité du travail et tout l'ordre de la justice est accompli : ô Dieu, je chanterai vos louanges sur votre justice et sur votre vérité.

Il paraît par la même raison de proportion et d'égalité , que si celui qui avait reçu cinq talens ou deux talens avait été paresseux, il aurait été plus puni que celui qui n'en avait reçu qu'un, et il n'y a plus à chacun qu'à examiner ce qu'il a reçu pour voir ce qu'il a à craindre. O mon Dieu, que vous ai-je rendu pour la foi que vous m'avez donnée : pour tant de saintes instructions : pour tant de lumières : pour tant de crimes pardonnes : pour tant de temps et pour votre longue patience? O Dieu, que vous ai-je rendu? et ne vous ayant rien rendu, que dois-je craindre?

« Entrez dans la joie de votre Seigneur : jetez ce mauvais serviteur dans les ténèbres extérieures (4). » L'un est mis dedans, l'autre dehors : l'un dans la joie et dans la lumière, l'autre dans le désespoir et dans les ténèbres : ô heureux sort de l'un, ô cruel partage de l'autre !

« Entrez dans la joie de votre Seigneur. » « La joie entre en nous, lorsqu'elle est médiocre : mais nous entrons dans la joie, » dit saint Augustin, » quand elle surmonte la capacité de notre

 

1 Matth., XXV, 20, 22. — 2 Luc, XIX, 16, 17, 19. — 3 Matth., XXV, 21, 23. — 4 Ibid., 22, 30.

 

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âme, qu'elle nous inonde, qu'elle regorge, et que nous en sommes absorbés : qui est la parfaite félicité des saints. »

Ce qui fait le malheur de ces ténèbres, c'est qu'elles sont extérieures : la seule séparation rend le malheur des réprouvés extrême et insupportable : de là ce pleur éternel, de là ce grincement de dents. Si vous n'êtes mis dedans, si vous n'entrez dans la joie, toutes sortes de maux tombent sur vous et la seule séparation vous les attire.

Chassez le serviteur inutile, et mettez-le où règne le désespoir. S'il n'avait rien reçu, il n'aurait pas tant à s'affliger : mais il a eu le talent : il l'a négligé : c'est pourquoi son déplaisir n'a point de mesure.

« Pleur et grincement de dents (1) : » profonde tristesse dans l'un et rage dans l'autre : il est en fureur contre lui-même, parce qu'il n'a à imputer qu'à lui-même le malheur dont il est accablé.

« Je sais que vous êtes un homme difficile : vous moissonnez où vous n'avez point semé : vous ramassez où vous n'avez point répandu (2). » A Dieu ne plaise que Dieu soit ainsi ! car où n'a-t-il pas semé, et quels dons n'a-t-il pas répandus? Mais Jésus-Christ nous veut faire entendre par cette espèce d'excès combien est grande la rigueur de Dieu dans le compte qu'il redemande : car il n'y a rien qu'il n'ait droit d'exiger de sa créature infidèle et désobéissante, dont le fonds étant à lui tout entier, il a droit de punir son ingratitude des plus extrêmes rigueurs.

« Serviteur mauvais et paresseux (3) : mauvais, » parce qu'il est « paresseux : » qui doit tout à la divine justice, seulement pour n'avoir rien mis à profit pour elle.

« Tu seras jugé par ta bouche (4) : » la lumière de la vérité qui parle en nous prononcera notre sentence : chacun avouera son crime et ordonnera son supplice : on aura d'autant moins de consolation, qu'il ne restera aucune excuse : ni par conséquent aucune espérance : aucun adoucissement : car on prononcera cela même contre soi, qu'il n'y en doit avoir aucun. De là cette profondeur et cet abîme de tristesse. O mon Dieu, la seule vue m'en fait horreur : que sera-ce du sentiment et de l'effet ?

 

1 Matth., XXV, 30. — 2 Ibid, 24. — 3 Ibid., 26. — 4 Luc., XIX, 22.

 

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« Otez-lui son talent : ôtez-lui sa mine et donnez-la à celui qui en a dix (1). » Comment est-ce que les élus profitent des grâces que les réprouvés auront perdues? « Tiens bien ce que tu as, dit-il, de peur qu'un autre ne reçoive ta couronne (2). » Les justes profitent de tout, et autant de la négligence des autres qui les instruit que de leur propre travail.

« A celui qui n'a pas, ce qu'il semble avoir lui sera ôté (3). Ce qu'il semble avoir : » il n'a rien en effet, parce qu'il ne garde rien. Un panier, un vaisseau percé n'a jamais d'eau, parce que celle qu'il reçoit, il la perd dans le même instant : âme cassée et brisée, où l'eau de la grâce ne tient pas, elle n'a jamais rien de propre : et cependant ce qu'elle semble avoir lui sera encore ôté : elle demeurera sèche, dépouillée, sans bien, sans lumière, sans aucune consolation même passagère : et il est juste : car il fallait lui ôter tout ce qu'elle gardait mal. O mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! puis-je souffrir la vue de ma pauvreté, de ma douleur, de mon désespoir en cet état malheureux ? Il faut donc prévenir ce mal pendant qu'il est temps.

 

XCIIe JOURNÉE.
Jugement dernier. Matth., XXV, 31 jusqu'à la fin.

 

Après avoir préparé ses fidèles au jugement dernier avec tant de soin, il est temps qu'il nous fasse voir ce jugement; et c'est ce qu'il fait dans le reste de ce chapitre.

« Quand le Fils de l'homme viendra en sa majesté et tous ses anges avec lui (4). » Quelle majesté ! quelle suite! que d'exécuteurs de sa justice ! Mais comment viendra-t-il ? « dans une nuée éclatante (5) : » du plus haut des cieux : de la droite de son Père : « avec ses anges : » il est donc le Seigneur des anges comme des hommes. « Il s'assiéra dans le siège de sa majesté, et toutes les nations seront assemblées devant lui (6) : » quelle journée ! quelle séance ! Qui ne

 

1 Luc, XIX, 24.— 2 Apoc., III, 11. — 3 Matth. XXV, 29. — 4 Ibid., 31.— 5  Luc, XXI, 27. — 6 Matth., XXV, 32.

 

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tremblera alors : « devant ce grand Roi assis dans le trône de son jugement : » qui « dissipera tout le mal par un coup d'œil ? Qui osera alors se glorifier d'avoir le cœur pur; et qui osera dire : Je suis innocent (1) ? » Qui pourra paraître devant celui « qui a les yeux » comme un flambeau ardent : « comme la flamme du feu » le plus pénétrant et le plus vif : « qui sonde les cœurs et les reins et qui donne à chacun selon ses œuvres (2)? » Toutes les consciences seront ouvertes en un instant, et tout le secret en sera manifesté à tout l'univers : où se cacheront ceux qui mettaient toute leur confiance à se cacher : « dont les actions étaient honteuses même à dire et à penser (3), » et qui verront tout à coup leur turpitude révélée devant tous les anges, devant tous les hommes ; et ce qui renferme en un mot toute confusion et toute honte, devant le Fils de l'homme, dont la présence, dont la sainteté, dont la vérité convaincra et confondra tous les pécheurs? Voilà celui que vous nommiez votre Maître : pourquoi ne gardiez-vous pas sa parole ? Voilà celui que vous appeliez votre Sauveur : quel usage avez-vous fait de ses grâces ? Voilà celui que vous attendiez comme votre Juge : comment ne trembliez-vous pas à son approche et à la seule pensée de son jugement? Vous croyez avoir tout gagné en vous cachant, en détournant vos yeux, en gagnant du temps : vous y voilà maintenant devant ce tribunal : la sentence va être prononcée : sans délai : en dernier ressort, et elle sera suivie d'une prompte et inévitable exécution.

 

XCIIe JOURNÉE.
Séparation des justes et des impies. Ibid.

 

« Il les séparera les uns des autres, comme un pasteur sépare les brebis d'avec les boucs. » Il dit ailleurs que « les anges feront cette séparation, et sépareront les justes d'avec les impies : les uns seront à la droite, et les autres à la gauche (4). » Que n'aura

 

1 Prov., XX, 8, 9. — 2 Apoc., II, 18, 23. — 3 Ephes., V, 12. — 4 Matth., XXV, 32, 33; XIII, 49.

 

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point à craindre alors la troupe des impies ? Ce qui est cause que Dieu ne répand pas sur elle toute sa colère, c'est le mélange des bons et des mauvais, et il épargne les uns pour l'amour des autres : après la séparation, quelle vengeance ! Mais quelle horreur aura-t-on des mauvais ? Ils se cachent ici parmi la foule, et se mêlent avec les bons : là, que toute leur difformité paraîtra et qu'on les comparera avec les justes « plus resplendissants que le matin (1), » et avec le Fils de l'homme qui est la justice même : qui les pourra souffrir, et qui se pourra souffrir soi-même ? « O montagnes, cachez-nous : ô collines, tombez sur nous (2) : » dans quelle compagnie es-tu, malheureux ! On a honte de se trouver avec un seul scélérat : tu seras avec tous les méchants, et tu en augmenteras le nombre infâme : chacun portera sur le front le caractère de son péché : ô comment pourra-t-on soutenir la lumière d'un si grand jour, et comparaître devant le Fils de l'homme ?

Qu'attendons-nous davantage ? La séparation est faite : hypocrite , qui cachais si bien ton iniquité, et qui te joignais à la troupe des gens de bien, te voilà tout d'un coup à la gauche : avec Caïn, avec Nemrod, avec Antiochus, avec Judas, avec Caïphe, avec tous ceux qui ont crucifié Jésus-Christ et massacré ses prophètes, ses apôtres, ses martyrs; avec tous les scélérats, tous les impies, tous les hérétiques, tous les infidèles, tous les idolâtres, tous les Juifs, tous les impudiques, tous les voleurs; avec ceux dont le seul nom fut horreur : pis que tout cela, avec les démons, qui ont inspiré et animé tous ces méchants : c'est avec eux qu'il faudra vivre, si c'est là une vie, que de ne vivre que pour son supplice ou pour sa honte ! O néant, je t'invoque : c'est en toi que je mets mon espérance : ô néant, reprends-moi dans tes abîmes : pourquoi en suis-je sorti ? par où y rentrerai-je ? Il faut être pour périr toujours. Toi qui disais : Tout meurt avec moi : mon âme s'en ira comme un souffle : la voilà toute vivante : voilà même ton corps dissipé qui a repris sa forme et sa consistance : te voilà tout entier. Mais pourquoi ? « pour un opprobre » éternel : « pour voir toujours (3) : » et quoi? son crime, son infamie, son ordure, celle des autres : les méchants : leur infâme société, le peuple

 

1 Prov., IV, 18. — - Luc, XXIII, 30. — 8 Dan., XII, 2.

 

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ennemi, les démons, une implacable justice contre une méchanceté incorrigible. O mes tristes yeux, que verrez-vous donc alors? Ah ! que ne peut-on être aveugle, pour ne voir point ces horreurs ! Mais on verra, mais on sentira tout le mal possible : tout le mal qui est dans le crime, tout le mal qui est dans la peine. Fuyons, fuyons le péché, puisque si on ne le fuit, on ne pourra fuir le supplice. Pénitence, pendant qu'il est temps : fléchissons la face du juge : prévenons-la par la confession de nos péchés : « Pleurons, pleurons devant celui qui nous a faits (1) : » pleurons, avant que de tomber dans ces pleurs irrémédiables et intarissables : pleurons avec saint Pierre, de peur d'aller pleurer éternellement et inutilement avec Judas et tous les méchants.

 

XCIIIe JOURNÉE.
Venez, bénis : Allez, maudits. Ibid.

 

« Alors le roi dira à ceux qui sont à la droite : Venez (2) ; » aux autres : « Allez ; » à ceux-ci : « Venez : » vous êtes déjà avec les justes : venez avec moi : « venez à mon trône, dans lequel vous serez assis avec moi (3) : » car je l'ai promis.

O paroles qu'on ne peut assez méditer ! « Venez : Allez : » taisons-nous : tais-toi, ma langue : tes expressions sont trop faibles : mon âme, pèse ces mots qui comprennent tout le bonheur et le malheur, et toute l'idée de l'un et de l'autre : « venez : allez : » venez à moi, où est tout le bien : allez loin de moi, où est tout le mal.

« Venez, les bénis, les bien-aimés de mon Père : » autrefois maudits et haïs des hommes; mais dès lors bénis de mon Père, dont la bénédiction se déclare en ce jour : « venez posséder le royaume qui vous était préparé (4) : » venez, « petit troupeau : ne craignez plus rien, puisqu'il a plu à votre Père de vous donner son royaume (5) : » venez, venez, venez : « entrez dans la joie de

 

1 Psal. XCIV, 6. — 2 Matth., XXV, 34, 41. — 3 Apoc., III, 21.— 4 Matth., XXV, 34. — Luc., XII, 32.

 

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votre Seigneur (1) : » jouissez de son royaume éternel. O venez, venez : quelle parole ! quelle joie ! quelle douceur! quel transport !

« Un royaume : » quelle grandeur ! « Un royaume préparé de Dieu » et de Dieu comme Père : et préparé pour un Fils unique, éternellement bien-aimé : car c'est le même qui est aussi préparé pour les élus : enfants de dilection et d'élection éternelle, vous avez assez souffert, assez attendu : venez maintenant le posséder. On ne possède que ce qu'on a pour l'éternité : le reste échappe et se perd.

 

XCIVe JOURNÉE.
J'ai eu faim : j'ai eu soif. Nécessité de l'aumône : son mérite et sa récompense. Ibid.

 

« J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'ai été nu, j'ai été malade et en prison (2) : » c'est par la même raison qui lui fait dire : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?» Et : « Je suis Jésus que tu persécutes (3) : » c'est par la société, ou plutôt par l'unité qui est entre le chef et les membres, c'est parce qu'il est le cep et que nous sommes les branches (4). Mais il faut ici remarquer que les pauvres sont de tous ses membres ceux dans lesquels il est le plus.

Tous les Pères relèvent ici l'avantage et le mérite de l'aumône, qu'il vante tant et qu'il vante seule dans le siège de sa majesté, dans son dernier jugement, à qui seule il attribue la vie éternelle. Ils démontrent aussi par le même endroit la nécessité de l'aumône, puisque manquer de la faire est un crime, et le seul crime qu'il allègue pour la cause de la damnation. Et la raison en est évidente , en ce que

Premièrement, si le précepte de la charité est l'abrégé de la loi et des prophètes, comme il dit lui-même, il était juste de renfermer dans la charité toutes les bonnes œuvres, et dans la privation de la charité toutes les mauvaises.

Deuxièmement, comme dit saint Jean, « celui qui n'aime pas

 

1 Matth., XXV, 21, 23.— 2 Ibid., 35, 36.— 3 Act., IX, 4, 5.— 4 Joan., XV, 1, 5.

 

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son frère qu'il voit, comment aimera-t-il Dieu qu'il ne voit pas (1)? » Ainsi la même justice qui l'oblige à punir le monde pour le défaut de la charité, l'oblige aussi à marquer le défaut de la charité dans son effet le plus sensible, qui est la charité envers les frères.

Troisièmement, les deux préceptes de la charité, dans lesquels, comme on vient de dire, consistent la loi et les prophètes, sont renfermés manifestement dans ces paroles : « J'ai eu faim, j'ai eu soif; » et : « Toutes les fois que vous l'avez fait à un de mes frères, vous me l'avez fait à moi-même (2), » puisqu'il nous montre par là que le motif d'exercer la charité envers le prochain, est la charité envers Dieu.

Quatrièmement, tous les péchés sont en quelque sorte renfermés dans le défaut de l'aumône. parce que dans l'aumône était renfermé le remède de tous les péchés, conformément à cette parole : « Rachetez vos péchés par l'aumône (3) ; » et encore : « La charité couvre la multitude des péchés (4) ; » et encore : « Faites l'aumône, et tout sera pur pour vous (5). » Ainsi tous les hommes étant pécheurs et par là exclus en rigueur du royaume des cieux, ce qui les en exclut en dernier lieu, c'est de négliger le remède.

Cinquièmement, la vie éternelle nous étant donnée à titre de miséricorde et de grâce, la justice demandait que cette miséricorde nous fût accordée au prix de la miséricorde, conformément à cette parole : « Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront la miséricorde (6)! » et encore : « Jugement sans miséricorde à celui qui ne fera pas miséricorde (7) ! »

Sixièmement, comme « les miséricordes de Dieu éclatent au-dessus de toutes ses œuvres (8), » selon ce que dit David : ainsi en est-il des miséricordes de l'homme ; et les œuvres de miséricorde devaient principalement être célébrées au jugement dernier, comme les plus éclatantes de toutes les autres, et comme celles qui nous rendent le plus semblables à Dieu, conformément à cette parole : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux (9). » Ce qui répond à cette parole : « Soyez parfaits

 

1 1 Joan., IV, 20.— 2 Matth., XXV, 35, 40.— 3 Dan., IV, 24. — 4 I Petr., IV, 8. — 5 Luc., XI, 11. — 6 Matth., V, 7. — 7 Jacob., II, 13. — 8 Psal. CXLIV, 9. —. 9 Luc, VI, 36.

 

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comme votre Père céleste est parfait (1) : » ainsi que la conférence des deux passages le fera paraître. Ainsi la perfection où nous devons tendre principalement et par là nous rendre semblables, comme le doivent de vrais enfants, à notre Père céleste, est celle d'exercer la miséricorde.

Pour ces raisons, tout est renfermé dans les œuvres de miséricorde, et on en pourrait rapporter une infinité d'autres que chacun pourra suppléer.

Il reste donc à s'examiner sur l'obligation de l'aumône; et sans écouter les vaines excuses dont se flatte notre dureté, considérer sérieusement si nous pouvons apaiser véritablement notre conscience sur un point si décisif de notre éternité.

 

XCVe JOURNÉE. J'ai eu faim, j'ai eu soif, transportes m la personne de Jésus-Christ. Ibid.

 

Seigneur Jésus, ma vie et mon espérance, je me mets en votre sainte présence, pour voir et considérer dans votre lumière, en foi et en perpétuelle reconnaissance de vos bontés, comment vous avez transporté en vous nos misères et nos infirmités, jusqu'à pouvoir dire : « J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'ai été nu, prisonnier, malade, » en la personne de tous ceux qui ont eu à souffrir des maux semblables.

Le fondement de ce transport, ô Jésus, c'est l'amour qui vous a porté à prendre notre nature, et à la prendre non point immortelle et saine, comme vous l'aviez faite dans son origine : car vous êtes le « Verbe par qui tout a été fait (2) ; » vous êtes celui à qui le Père a dit : « Faisons l'homme (3) : » et vous l'avez fait avec lui et avec votre Saint-Esprit, qui est avec le Père et avec vous un seul Dieu souverainement parfait. C'est donc vous qui avez fait la nature humaine ; et quand vous l'avez prise, vous n'avez pris que votre propre ouvrage. Mais vous ne l'avez pas prise, encore un coup, saine, parfaite, immortelle et selon l’âme et selon le corps, telle qu'elle

 

1 Matth., V, 48. — 2 Joan., I, 2. — 3 Genes. I, 26.

 

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était d'abord sortie de vos mains : vous l'avez prise telle que le péché et votre justice vengeresse l'avaient faite, mortelle, infirme, pauvre : parce que vous vouliez porter notre péché : vous le vouliez porter sur la croix, victime innocente : vous le vouliez porter durant tout le cours de votre vie, « Agneau qui ôtez les péchés du monde (1), » mais qui ne les ôtez qu'en les transportant premièrement sur vous. Mais vous êtes le Saint des saints, « oint d'une huile excellente au-dessus de tous ceux qui prennent avec vous » et en figure de votre personne « le nom de Christs (2) : » car cette huile dont vous êtes oint et sanctifié, c'était la divinité, qui unie à votre sainte âme et par elle à votre corps virginal, les sanctifié d'une manière ineffable : en sorte qu'étant le vrai Christ de Dieu, le Juste par excellence et le Saint des saints, comme vous ne pouviez pas transporter sur vous l'iniquité et la tache de notre péché, vous en avez seulement transporté sur vous la peine, le juste supplice, c'est-à-dire la mortalité et toutes ses suites. Par là donc vous êtes devenu sensible à nos maux, « Pontife compatissant (3), » qui les avez expérimentés : car comme dit votre Apôtre, « il fallait que vous vous fissiez en tout semblable à vos frères, afin que vous devinssiez un pontife miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du monde (4) » Car qui doute que vous ne puissiez nous aider dans les choses que vous avez éprouvées, puisque vous ne les avez éprouvées que parce qu'il vous a plu, et parce que vous vouliez on les souffrant, faire naître en vous la compassion secourable que vous avez pour ceux qui ont aussi à les souffrir (5)? Soyez donc loué à jamais, ô grand Pontife, qui avez pitié de nos maux, non pas comme les heureux ont pitié des malheureux, mais comme les malheureux ont pitié les uns des autres par le sentiment de leur commune misère : non que vous vous soyez jamais tenu pour malheureux parmi les maux que vous avez soufferts, vous qui n'avez souffert ni la douleur ni la mort que parce que vous le vouliez; à qui aussi personne n'a ôté son âme, mais qui l'avez donnée de vous-même : mais parce qu'il vous a plu de vous mettre au rang de ceux que le monde appelle

 

1 Joan., I, 29. — 2 Psal. XLIV, 9. — 3 Hebr., V, 1, 2. — 4 Hebr., II, 17. — 5 Ibid., 18.

 

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malheureux ; qu'on vous a vu « comme un lépreux : comme un homme chargé de plaies, que Dieu a frappé et humilié, » en un mot « comme un homme de douleurs et qui savait par expérience ce que c'est que l'infirmité et la faiblesse (1). » En sorte qu'ayant passé par toutes les misères de notre nature pécheresse « et ayant tout éprouvé excepté le péché, vous ressentez tous nos maux, et vous y compatissez (2) » comme à des maux qui vous ont été communs avec nous. Et quoique vous n'ayez point été malade de ces maladies particulières dont nous sommes si souvent exercés : vous avez porté la faim, la soif, la lassitude, la défaillance, qui sont les maladies communes de notre nature : vous avez porté la frayeur , la crainte, l'ennui, la détresse jusqu'à l'agonie , qui sont d'autres maladies des plus terribles : vous avez porté des plaies, qui ont comme mis en pièces votre saint corps et vous ont fait dire par la bouche de votre prophète que vous n'aviez plus de figure humaine (3), et que vous étiez « un ver et non un homme (4). » Ce qui a fait dire encore à un autre de vos prophètes : « Nous nous sommes approchés de lui, nous l'avons regardé de près, et nous ne l'avons pas connu : il nous a paru le dernier des hommes, et un homme abîmé dans la douleur (5). » Vous avez donc ressenti les plus grandes, les plus terribles et les plus douloureuses infirmités du genre humain malade; et si vous n'avez pas eu la fièvre et les maladies de cette nature, qui pouvaient ne convenir pas à la perfection de votre tempérament, parce qu'elles viennent d'un dérèglement des humeurs, que peut-être vous n'avez pas voulu souffrir en vous; vous les avez toutes éprouvées dans la mortalité qui en est la source. C'est pourquoi par cette même sensibilité qui vous a fait compatir à nos autres maux, vous avez aussi compati à nos maladies; et vous n'avez jamais guéri les malades ou ressuscité les morts, ou considéré nos maux que cette tendre compassion de votre cœur attendri ne vous ait ému. Ainsi vous pleurâtes avant que de ressusciter le Lazare. Ainsi vous multipliâtes les pains, touché de compassion du peuple épuisé de travail (6). Dans une occasion semblable , vous dîtes encore : « J'ai

 

1 Isa., LIII, 2-4. — 2 Hebr., IV,  15. — 3 Isa., LIII, 2. — 4 Psal., XXI, 7. —

5 Isa, LIII, 2, 3. — 6 Matth., IX, 30.

 

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pitié d'une si grande multitude d'hommes : et je ne veux pas les renvoyer sans manger, de peur que les forces ne leur manquent (1). » Ces aveugles, qui connaissent combien vous êtes sensible à nos maux , vous disaient à cris redoublés : « Ayez pitié de nous, Seigneur, Fils de David. » Vous écoutâtes leur voix : touché de compassion vous mîtes votre main miséricordieuse sur leurs yeux privés de la lumière, et ils reçurent la vue (2). Lorsque vous vîtes ce sourd et ce muet, vous commençâtes par gémir en levant les yeux au ciel (3). Vous pleurâtes sur les malheurs prochains de Jérusalem (4). Ce sentiment de compassion vous suit toujours, quoiqu'il ne soit pas toujours exprimé. C'est ce cœur tendre et compatissant, ce cœur ému de pitié qui sollicitait votre bras tout-puissant en faveur de ceux dont vous voyez les souffrances. Ainsi cette compassion fut la source de vos miracles. Ce qui a fait dire à votre évangéliste que lorsque vous « guérissiez tous les possédés et tous ceux qui se trouvaient mal, cela se faisait pour accomplir cette prédiction du prophète : Il a pris nos infirmités et il a porté nos maladies (5). » Vous les portiez véritablement par la compassion, et vous soulagiez votre cœur en les guérissant.

O mon Sauveur, vous avez porté ces sentiments dans le ciel ; et quoique vous n'y ayez pu porter ces larmes, ces gémissements, ces émotions de vos entrailles, ces souffrances intérieures, que vous ressentiez à la vue de tant de maux dont notre nature est accablée, vous y en avez porté le souvenir, qui vous rend tendre, miséricordieux, compatissant envers tous vos membres et envers tous ceux qui souffrent sur la terre. Car vous êtes ce charitable Samaritain (6), qui avez pitié de tous les blessés, de quelque nation qu'ils soient, plus que les prêtres et les lévites de la loi. Je ressens donc, mon Sauveur, la vérité de cette parole : « J'ai eu faim ; j'ai eu soif; j'ai été infirme » dans tous ceux que tous ces maux ont affligés : ôtez-moi, ô mon Sauveur, ce cœur de pierre : que je sois compatissant comme vous : que je puisse dire avec votre Apôtre : « Qui est infirme, sans que je le sois? Qui est troublé et scandalisé, sans qu'un feu intérieur me consume (7)? Que je me réjouisse,»

 

1 Matth., XV, 32. — 2 Matth., XX, 30 et seq. — 3 Marc., VII, 24.— 4 Luc., XIX, 41. — 5 Matth., VIII, 16, 17; Isa., LIII, 4. — 6 Luc., X, 33. — 7 II Cor., XI, 19.

 

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selon son précepte, « avec ceux qui se réjouissent, » ce qui est facile et agréable à la nature. Mais a que je pleure » sincèrement « avec ceux qui pleurent (1) : » que je puisse dire avec vous : « J'ai faim, j'ai soif, je suis étranger et sans logement; je suis prisonnier, je suis malade » en ceux et avec tous ceux qui le sont : que ma compassion ne soit pas vaine, et qu'elle me porte au secours : que je les soulage efficacement comme cherchant moi-même à me soulager : mais que je porte ma vue plus loin : que je médite sans cesse que vous avez transporté en vous leurs infirmités : que vous souffrez en eux tous : enfin que vous avez dit et que vous répéterez en votre dernier jugement : « Toutes les fois que vous avez donné ce secours à un de mes frères, » et encore « des plus petits, » afin que vous ne méprisiez aucune sorte de petitesse, « vous me l'avez donné à moi-même (2). » A vous la gloire, à vous la louange, à vous l'action de grâces de tous ceux qui souffrent, c'est-à-dire de tous les hommes, pour la bonté que vous avez eue de vous approprier et d'adopter leurs souffrances , et de les recommander à tous vos enfants par un précepte qui est le seul dont vous parliez, sur votre trône, à la face du ciel et de la terre, en présence des hommes et des anges! Amen. Amen.

 

XCVI   JOURNÉE.
Venez, les bénis de mon Père : récompense des justes. Ibid.

 

« Venez, les bénis de mon Père : Allez, maudits (3). Venez : » parole d'amour et d'union : parole de l'Epoux : « Venez, mon épouse, ma bien-aimée (4) : » venez dans ma couche nuptiale : venez à la jouissance de mes immortelles beautés : car tout cela, sous une autre figure, c'est « le royaume qui vous a été préparé : » c'est un trône, pour signifier la magnificence et la gloire : c'est la couche nuptiale, pour signifier l'abondance de la joie et l'accomplissement de l'amour divin, en faisant avec Dieu un même esprit. Ace « Venez » de l'Epoux céleste, l'épouse de son côté doit dire un autre « Venez : Venez, mon bien-aimé (5). » C'est ce qu'il faut dire

 

1 Rom., XII, 15.— 2 Matth., XXV, 40.—3 Ib., 34,41. — 4 Cantic., IV,8.—5 Ib.,VII, 11.

 

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en foi, en espérance, en amour , dans l'esprit et avec les sentiments d'une épouse ardente et fidèle. « Et l'esprit, et l'épouse disent : Venez : Que celui qui entend, dise : Venez (1) : » qu'il appelle à chaque moment et du fond du cœur l'Epoux céleste. « Que votre règne arrive (2) : Que celui qui a soif vienne : » qu'il vienne, celui qui a faim et qui a soif de la justice, « et qu'il reçoive gratuitement l'eau vive (3) » que je lui prépare gratuitement, par pur amour, par pure miséricorde : car encore que je récompense les œuvres, c'est dans les œuvres mes dons que je récompense : c'est à remonter à l'origine , ma grâce que je couronne : c'est moi qui préviens, c'est moi qui attire, c'est moi qui donne le premier : il faut donc venir, et en venant m'inviter à venir moi-même, et à dire ce dernier « venez, » qui consomme la félicité et l'œuvre de la rédemption. « Oui, je viens bientôt : il est ainsi : Amen : » je scelle cette vérité dans les cœurs : «Venez, Seigneur Jésus, venez (4) : » c'est par où finit l'Ecriture. C'est le dernier avertissement qu'elle nous donne, comme celui qu'elle veut laisser le plus vivement empreint dans nos cœurs.

« Venez, les bénis, les chéris de Dieu. » O mon Sauveur, que j'entende le mystère de cette secrète bénédiction, par laquelle vous nous avez bénis avant l'établissement du monde, en nous préparant votre royaume! Mais qu'est-ce, ô Seigneur, votre royaume !, sinon votre justice, votre vérité régnante sur les esprits, pour en animer tous les mouvements ? « lorsque Jésus-Christ mettra à vos pieds tout le peuple racheté, se l'assujettissant totalement par l'opération de sa toute-puissance , » en sorte qu'il n'y paroisse « que lui, et que Dieu soit tout en tous et nous avec lui un même esprit (5) » par l'effusion de sa gloire et la parfaite conformité de notre volonté avec la sienne. Ainsi ce qui fera notre règne, c'est le règne de Dieu sur nous. Lorsque tout lui sera assujetti, tout ira selon le mouvement de son esprit. Maintenant il y a en nous quelque chose de sujet et aussi quelque chose de rebelle : mais alors tout sera sujet ; et cette sujétion bienheureuse qui est notre parfaite félicité, étant accomplie dans le chef et dans les membres, « l'œuvre de

 

1 Apoc., XXII, 17. — 2 Matth., III, 10. — 3 Apoc., XXII, 17. — 4 Ibid., 20. — 5 I Cor., XV, 24, 25 et seq.; Philpp., III, 21 ; I Cor., XI, 17.

 

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Jésus-Christ sera parfaite. » Venez donc, ô bénis de Dieu; venez à

ce bienheureux royaume : entrez dans la joie de votre Seigneur.

 

XCVIIe JOURNÉE.
Retirez-vous, maudits : allez au feu éternel : condamnation des impies, lbid.

 

Au lieu de ce « venez » si ravissant, plein d'une admirable douceur, qui satisfera le cœur de l'homme sans lui laisser rien à désirer : les méchants, les impénitents entendront cet impitoyable « Allez, retirez-vous (1) : » et où iront-ils, les malheureux? Où , en s'éloignant du souverain bien, sinon au souverain mal? Où, en s'éloignant de la lumière éternelle , sinon à ces ténèbres extérieures; ténèbres affreuses, plus palpables que celles de l'Egypte ? Où, en perdant la joie éternelle, si ce n'est aux pleurs, au désespoir, à la rage, au grincement de dents, à l'éternelle fureur? « Allez : retirez-vous, ouvriers d'iniquité. Retirez-vous, je ne vous connais pas. » Ma marque n'est point en vous : « je ne vous ai jamais connus (2). «Vos œuvres ont été trompeuses, défectueuses, passagères en tout cas et destituées de persévérance : vous n'êtes point de ceux sur lesquels est ce sceau de Dieu : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (3). Allez, maudits. Vous avez aimé la malédiction, et elle viendra sur vous : elle vous est attachée comme votre habit, comme la ceinture qui vous environne; elle a pénétré la moelle de vos os (4); allez au feu,» arbre infructueux, qui n'êtes plus bon qu'à brûler : « allez au feu éternel (5) : » nulle goutte de rosée, nul rafraîchissement ne viendra jamais sur vous : « allez à ce feu qui est préparé au diable : » à celui qui dès le commencement n'ayant point voulu « demeurer dans la vérité, est menteur et père de mensonge, meurtrier (6), » calomniateur, tentateur et accusateur des saints; d'où vient toute iniquité : allez en sa détestable compagnie; imitateurs de son orgueil et de son impénitence, participez à ses peines; qu'il soit votre tyran, votre bourreau. Puisque vous avez voulu vous mettre dans son esclavage,

 

1 Matth., XXV, 41. — 2 Matth., VII, 23; XXV, 12. — 3 II Timoth., II, 9. — 4 Psal., CVIII, 18, 19. — 5 Matth., XXV, 41. — 6 Joan., VIII, 44.

 

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portez éternellement ce joug de fer, vous qui avez refusé le doux joug de Notre-Seigneur.

Mais voici le comble des maux : Dieu contre vous avec toute sa justice et sa puissance. Ecoutez, tremblez; c'est lui qui parle : « Si vous ne m'écoutez pas, si vous méprisez mes commandements, je mettrai ma face contre vous : j'écraserai votre dureté et votre orgueil : je multiplierai vos plaies : comme vous marchez contre moi, je marcherai contre vous avec un cœur d'ennemi (1). Vous serez frappé » tout ensemble dans le corps, « de pauvreté, de peste, de froid et de chaud : dans l'esprit, de folie, d'aveuglement et de fureur : le ciel sera de fer sur vos têtes, et la terre d'airain sous vos pieds : votre rosée sera la poussière (2) : » vous ne porterez jamais de fruit, « parce que vous n'aurez pas voulu servir le Seigneur en joie et dans l'abondance de toutes sortes de biens , vous serez mis dans l'esclavage de votre ennemi, dans la faim, dans la soif, dans la nudité , dans l'indigence de tout : il mettra sur vos épaules un joug de fer (3) : outre toutes ces plaies que vous entendez, « Dieu vous en enverra » de plus terribles « qui ne sont point écrites dans ce livre, » et qui passent tout ce qu'on peut exprimer par le langage humain : « et comme le Seigneur s'est réjoui en vous faisant du bien, il prendra plaisir maintenant à vous perdre, à vous renverser (4). » Vous serez à jamais sous cette impitoyable verge : sous cette « verge veillante » qu'a vue le prophète (5) : car le Seigneur veillera éternellement sur votre iniquité (6) et « ne cessera de vous briser, de vous mettre en pièces (7). Pourquoi criez-vous inutilement? Votre plaie est incurable : je l'ai faite à cause de votre iniquité et de votre dure malice (8), » dit le Seigneur parla bouche de Jérémie : votre endurcissement a causé le mien : vous m'avez rendu inexorable, impitoyable, inflexible : «Allez. Et ils iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle (9). » C'est par là que Jésus finit sa prédication : c'est ce qu'il nous laisse à méditer, et il n'a rien de plus important à dire au peuple.

 

1 Levit., XXVI, 14, 17, 19, 21, 27, 28. — 2 Deuter., XXVIII, 22, 28, 23, 24. — 3 Ibid., 47, 48 — 4 Ibid., 61, 62. — 5 Jerem., I, 11, 12. — 6 Dan., IX, 14. — 7 Deuter., XXVIII, 48, 61. — 8 Jerem., XXX, 15. — 9 Matth., XXV, 41, 46.

 

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« Après donc qu'il eut fini tous ces discours (1), » il ne songe plus qu'aux préparatifs de sa mort : à la pâque ancienne, à la nouvelle : aux dernières instructions qu'il voulait laisser à ses apôtres, à la cène, et après la cène à la dernière prière par laquelle il commença son sacrifice, finalement à sa mort.

 

1 Matth., XXVI, 1.

 

 

 

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