Elév. Semaine IX
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IXe SEMAINE.
LA LOI ET LES PROPHÉTIES
PROMETTENT LE LIBÉRATEUR,
ET LUI PRÉPARENT LA VOIE.

 

 IXe SEMAINE.  LA LOI ET LES PROPHÉTIES  PROMETTENT LE LIBÉRATEUR,  ET LUI PRÉPARENT LA VOIE.

PREMIÈRE ÉLÉVATION SUR LA LOI.  Le peuple captif : Moïse lui est montré comme son libérateur.

IIe ÉLÉVATION.  Deux moyens dont Moïse est montré au peuple.

IIIe ÉLÉVATION.  Moïse figure de la divinité de Jésus-Christ.

IVe ÉLÉVATION.  La pâque et la délivrance du peuple.

Ve ÉLÉVATION.  La mer Rouge.

VIe ÉLÉVATION.  Le désert : durant le cours de cette vie on va de péril en péril et de mal en mal.

VIIe ÉLÉVATION.  La loi sur le mont Sinaï.

VIIIe ÉLÉVATION.  L'arche d'alliance.

IXe ÉLÉVATION.  Les sacrifices sanglons et le sang employé partout.

Xe ÉLÉVATION.  Le campement et la patrie.

 

 

PREMIÈRE ÉLÉVATION SUR LA LOI.
Le peuple captif : Moïse lui est montré comme son libérateur.

 

Avant que le peuple saint fût introduit à la terre promise, il fallait qu'il éprouvât un long exil, une longue captivité, une longue persécution, en figure de la sainte Eglise, qui est le vrai peuple et le vrai Israël de Dieu, qui ne peut être introduit à la céleste patrie que par la persécution, la captivité et les larmes de l'exil.

L'Eglise, dans sa plus profonde paix, n'est guère sans son Pharaon, du moins en quelques endroits. Il vient quelque « nouveau roi sur la terre, qui ne connaît point Joseph (1), » ni les gens pieux : et en général il est vrai, comme dit saint Paul, que « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, doivent souffrir persécution (2) » en quelque sorte que ce soit : et, comme dit saint Augustin, que « celui qui n'aura point gémi comme voyageur et étranger, n'entrera pas dans la joie des citoyens. »

Il y a deux sortes de persécutions : l'une est ouverte et déclarée, quand on attaque ouvertement la religion; l'autre cachée et artificieuse, comme celle de ce Pharaon, qui jaloux de l'abondance du peuple de Dieu, en inspirait la haine à ses sujets et cherchait des moyens secrets de le détruire : « Venez, dit-il, opprimons-le sagement (3), » c'est-à-dire secrètement et finement. On ne

 

1 Exod., I, 8. — 2 II Timoth., III, 12. — 3  Exod., I, 10, 11 et seq.

 

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forçait pas les Israélites à quitter leur religion, ni à sacrifier aux dieux étrangers : on les laissait vivre : et on ne leur ôtait pas absolument ce qui était nécessaire : mais on leur rendait la vie insupportable , en les accablant de travaux, et leur proposant des gouverneurs qui les opprimaient. On en vint à la fin pourtant à la persécution à découvert, et « on condamna leurs enfants mâles à être noyés dans le Nil (1) : » ce qui signifie en figure qu'on ne laisse rien de fort ni de vigoureux à un peuple qui n'a rien de libre, et dont on abat le courage, en le faisant languir dans l'oppression.

Malgré cette oppression, Dieu ne laisse pas de conserver les gens vertueux dans son peuple, comme il fit les mâles parmi les Israélites : et contre toute espérance il leur naît même des libérateurs du sein des eaux, où ils devaient être noyés à l'exemple de Moïse : de sorte qu'ils ne doivent jamais perdre l'espérance.

 

IIe ÉLÉVATION.
Deux moyens dont Moïse est montré au peuple.

 

La première chose que Dieu fit pour faire connaître à son peuple qu'il leur préparait un libérateur en la personne de Moïse, fut en permettant qu'il fût exposé au même supplice que les autres, et comme eux jeté dans le Nil pour y périr (2) : il en fut néanmoins délivré comme Jouas, qui sortit des abîmes delà mer, et du ventre de la baleine qui l'avait englouti, et comme le Fils de Dieu dont la résurrection ne put pas être empêchée par la profondeur du sépulcre, ni par les horreurs de la mort.

Dieu fait une seconde chose dans Moïse. Après lui avoir inspiré de quitter la cour de Pharaon et de la princesse sa fille, qui l’élevait comme son enfant dans les espérances du monde, « quand Moïse fut crû, » dit l'Ecriture (3), « il alla s'unir à ses frères ; » c'est-à-dire selon le Commentaire de saint Paul (4), « qu'étant devenu

 

1 Exod., I, 22.— 2 II Ibid., II, 3 et seq. — 3 Ibid., 11. — 4 Hebr., XI, 24-27.

 

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grand, il nia qu'il fût le fils de la fille de Pharaon : aimant mieux être affligé avec le peuple de Dieu que de goûter le plaisir temporel et passager du péché; et trouvant de plus précieuses richesses dans l'ignominie de Jésus-Christ que dans les trésors de l'Egypte..., il abandonna l'Egypte avec foi, sans craindre la haine du roi » mortel, qui au lieu d'être son père comme auparavant, « ne songeait plus qu'à le faire mourir (1). » Il prit en main la défense des Israélites par un instinct divin : il les vengea d'un Egyptien qui les maltraitait; et comme remarque saint Etienne, « il crut que ses frères entendraient que Dieu les devait sauver par sa main : mais ils ne l'entendirent pas (2) : » et il fallait pour les sauver , qu'il en souffrît les contradictions, qui allèrent si avant, qu'elles le forcèrent à prendre la fuite. Ainsi la persécution vint de ceux qu'il devait sauver : et Dieu par ce moyen le montra au peuple comme leur sauveur et l'image de Jésus-Christ.

Pasteurs, conducteurs des âmes, qui que vous soyez, ne croyez pas les sauver sans qu'il vous en coûte : admirez en Moïse les persécutions de Jésus, et buvez le calice de sa passion.

 

IIIe ÉLÉVATION.
Moïse figure de la divinité de Jésus-Christ.

 

« Le Seigneur dit à Moïse : Je t'ai fait le Dieu de Pharaon, et Aaron sera ton prophète (3). » Le sauveur du peuple fidèle devait être un Dieu : Dieu même lui en donne le nom en singulier, ce qui n'a que cet exemple. Il dit ailleurs : « Vous êtes des dieux (4) ; » ici : «Je t'ai fait » un « Dieu. » Une marque de divinité, c'est d'avoir des prophètes, qui pour cela sont appelés les prophètes du Seigneur : Aaron est le prophète de Moïse : Moïse est revêtu de la toute-puissance de Dieu : il a en main la foudre, c'est-à-dire cette baguette toute-puissante qui frappe les fleuves et en change les eaux en sang : qui les frappe de nouveau, et les fait retourner à

 

1 Exod., 11, 15. — 2 Act., VII, 25. — 3 Exod., VII, 1. — 4 Psal. LXXXI, 6.

 

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leur nature : qu'il étend vers le ciel, et répand partout des ténèbres épaisses et palpables : mais qui, comme un autre Dieu, les sépare d'avec la lumière, puisque le peuple juif demeure éclairé pendant que les Egyptiens enveloppés d'une ombre affreuse et profonde, ne sauraient faire un pas. Cette puissante baguette fait bouillonner des grenouilles et des sauterelles ; change en mouches insupportables toute la poussière de la terre ; envoie une peste inévitable sur les animaux de l'Egypte, et opère les autres prodiges qui sont écrits dans l’Exode (1). Voilà donc Moïse comme un Dieu qui fait ce qu'il veut dans le ciel et dans la terre, et tient toute la nature en sa puissance. Il est vrai que Dieu limite son pouvoir : « Je t'ai fait, dit-il, le Dieu de Pharaon (2) : » ce n'est pas un Dieu absolument, mais le Dieu de Pharaon : c'est sur Pharaon et sur son royaume que tu pourras exercer cette puissance divine. Il n'en est pas ainsi du Sauveur du nouveau peuple, qui est appelé absolument « Dieu : par qui tout a été fait (3) ; » qui est appelé, « au-dessus de tout Dieu béni aux siècles des siècles (4) : » et ainsi du reste. Mais aussi ne fallait-il pas que le serviteur fût égal au maître. « Moïse était, » dit saint Paul, « comme un fidèle serviteur dans la maison de Dieu : mais Jésus était comme le fils dans sa propre maison, qui est à nous (5). »

Mais s'il y a eu dans Moïse, qui devait sauver le peuple fidèle, une lumière si manifeste de divinité et une si haute participation du titre de Dieu, faut-il s'étonner si la substance et « la plénitude de la divinité habite corporellement en Jésus-Christ (6), » qui en nous sauvant du péché devait nous sauver de tout mal ? Pour achever la figure , Moïse qui était le Dieu de Pharaon, en était en même temps le médiateur. Pharaon lui disait : « Priez pour moi (7). » Et à la prière de Moïse, Dieu détournait ses fléaux et fai-soit cesser les plaies de l'Egypte : ainsi Jésus, qui est « notre Dieu, » est en même temps « notre médiateur (8), » notre intercesseur tout-puissant, à qui Dieu ne refuse rien, « et il n'y a point d'autre nom par lequel nous devions être sauvés (9). » Mettons donc notre

 

1 Exod., IV, V, VI, VII et seq. — 2 Exod. VII, 1. — 3 Joan., I, 3.— 4 Rom., IX, 5. — 5 Hebr., III, 5, 6. —  6 Coloss., II, 9. —7 Exod., VIII, 8. — 8 I Timoth., II, 5 ; Hebr., IX, 13, 24.— 9 Act., IV, 12.

 

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confiance en Jésus, qui est tout ensemble et Dieu et médiateur, d'autant plus grand que Moïse, que Moïse n'est Dieu que pour envoyer des plaies temporelles, et qu'il n'est médiateur que pour les détourner : mais « Jésus passe en bienfaisant et guérissant tous les malades (1). » Il ne déploie sa puissance que pour montrer ses bontés, et les plaies qu'il détourne de nous sont les plaies de l'esprit. Mettons-nous entre ses mains salutaires ; il ne demande autre chose, sinon qu'on le laisse faire : dès lors il nous sauvera, et aie salut est son oeuvre : » Domini est salus (2).

 

IVe ÉLÉVATION.
La pâque et la délivrance du peuple.

 

Dieu établit en même temps deux monuments immortels de la délivrance de son peuple, dont l'un fut la cérémonie de la Pâque, et l'autre la sanctification des premiers nés qu'il voulut qu'on lui consacrât (3).

C'est qu'il devait envoyer la nuit son ange, exterminateur, qui devait remplir toutes les familles des Egyptiens de carnage et de deuil, « en frappant de mort tous les premiers nés, depuis celui du roi qui était assis sur le trône jusqu'à celui de l'esclave enfermé dans une prison, et de tous les animaux (4). » Après cette dernière plaie, les Egyptiens, qui craignirent leur dernière désolation, n'attendirent plus les prières des Israélites, mais les contraignirent à sortir. Pendant cette désolation des familles égyptiennes, auxquelles toutes l'ange vengeur coupait la tête comme d'un seul coup, les Israélites furent conservés, mais par le sang de l'agneau pascal. « Prenez, dit le Seigneur (5), un agneau qui soit sans tache, » en figure de la justice parfaite de Jésus : il faut que comme Jésus cet agneau soit immolé, soit mangé : « Trempez un bouquet d'hysope dans le sang de cet agneau » immolé : « frottez-en les poteaux et le chapiteau avec le seuil de vos portes : je passerai la nuit pour exterminer les premiers nés de l'Egypte : et je m'arrêterai où je

 

1 Act., X, 38. — 2 Psal. III, 9. — 3 Exod., XIII et XIII. — 4 Ibid., XIII, 29. — 5 Ibid., 5, 7 et seq.

 

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verrai les marques du sang. » Dieu n'avait pas besoin de cette marque sensible, pour discerner les victimes de sa colère : elle n'était pas pour lui, mais pour nous; et il voulait nous marquer que le sang du véritable agneau sans tache serait le caractère sacré qui ferait la séparation entre les enfants de l'Egypte, à qui Dieu devait donner la mort, et les enfants d'Israël, à qui il devait sauver la vie.

« Portons sur nos corps avec saint Paul la mortification de Jésus (1) » et l'impression de son sang, si nous voulons que la colère divine nous épargne : tout est prophétique et mystérieux dans l'agneau pascal. On n'en doit point briser les os en figure de Jésus-Christ, dont les os furent épargnés sur la croix, pendant qu'on les cassait à ceux qu'on avait crucifiés avec lui. Il le faut manger en habit de voyageur, comme gens qui passent, qui ne s'arrêtent à rien, toujours prêts à partir au premier ordre : c'est la posture et l'état du disciple de Jésus : de celui qui mange sa chair, qui se nourrit de sa substance, dont il est la vie et selon le corps et selon l'esprit. « Mangez-le vite, car c'est la victime du passage du Seigneur (2) : » il ne doit y avoir rien de lent ni de paresseux dans ceux qui se nourrissent de la viande que Jésus nous a donnée : il en faut dévorer la tête, les pieds et les intestins : il n'en faut rien laisser : tout y est bon et succulent; et non-seulement la tête et les intestins, qui signifient ce qu'il y a en Jésus de plus intérieur et de plus sublime, mais encore les pieds, c'est-à-dire ce qui paraît de plus bas et de plus infirme : ses souffrances, ses tristesses, ses frayeurs, les troubles de sa sainte âme, sa sueur de sang, son agonie : car tout cela lui est arrivé pour notre salut et pour notre exemple. N'ayez donc aucun doute sur sa foi blesse : ne rougissez d'aucune de ses humiliations : une ferme et vive foi dévore tout. Au reste, n'y cherchez point des douceurs sensibles : cet agneau doit être mangé avec des herbes amères et sauvages, avec un dégoût du monde et de ses plaisirs; et même, si Dieu le veut, sans ce goût sensible de dévotion, qui est encore impur et charnel. Tel est le mystère de la Pâque.

Faites encore en mémoire de votre éternelle délivrance une autre sainte cérémonie : « consacrez au Seigneur vos premiers

 

1 II Cor., IV, 10. — 2 Exod., XIII, 11.

 

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nés (1), » qu'il vous a sauvés : offrez-lui les vœux, les prémices de votre jeunesse, chaque jour vos premiers désirs et vos premières pensées : car c'est lui qui les préserve de la corruption, et qui les conserve pures et entières; et n'attendez pas la fin de l'âge ni de la force pour lui offrir de malheureux restes de votre vie et les fruits d'une pénitence stérile et tardive. C'est ce que demande le Seigneur : l'Eternel, le Tout-Puissant ne veut rien de faible ni de vieux.

 

Ve ÉLÉVATION.
La mer Rouge.

 

Le passage de la mer Rouge (2) nous fait voir à notre salut des oppositions qui ne peuvent être vaincues que par des miracles. On passerait aussitôt la mer à pieds secs qu'on surmonterait ses mauvais désirs et son amour-propre : mer orageuse et profonde, où il y a autant de gouffres que de passions qui ne disent jamais : « C'est assez (3). » L'Egyptien périt où l'Israélite se sauve : l'Evangile « est aux uns une odeur de vie à vie, et aux autres une odeur de mort à mort (4) : » l'Eglise se sauve à travers la mer Rouge, quand elle arrive à la paix par les persécutions, qui loin de l'abattre, l'affermissent. Les méchants périssent sous les châtiments de Dieu, et les bons s'y épurent, comme dit saint Paul : pour les saints, la mer Rouge est un baptême : pour les méchants, la mer Rouge est un abîme et un sépulcre.

Délivrés des maux de cette vie et passés comme à travers d'une mer immense à la céleste patrie, nous chanterons avec les saints le « cantique de l'homme de Dieu Moïse (5) ; » c'est-à-dire le cantique de la délivrance, semblable à celui que Moïse et tout Israël chantèrent après le passage de la mer Rouge (6), « et le cantique de l'agneau » qui nous a sauvés par son sang, « en disant, » comme il est écrit dans l'Apocalypse : « Vos œuvres sont grandes et admirables , Seigneur : vos voies sont justes et véritables, Roi des

 

1 Exod., XIII, 2. — 2 Ibid., XIV, 21-23. — 3 Prov., XXX, 15, 16. — 4 II Cor., II, 16. — 5 Apoc., XV, 3. — 6 Exod., XV, 1.

 

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siècles. Qui ne vous craindra, Seigneur, et qui ne glorifiera votre nom, parce que vous êtes le seul Saint et le seul miséricordieux? Toutes les nations viendront, et vous rendront leurs adorations, parce que vos jugements sont manifestés (1) » dans la paix de votre Eglise dans la punition exemplaire des tyrans ses ennemis, dans le salut de vos saints.

 

VIe ÉLÉVATION.
Le désert : durant le cours de cette vie on va de péril en péril et de mal en mal.

 

En sortant de la mer Rouge, le peuple entra dans un désert affreux (2), qui représente tout l'état de cette vie, où il n'y a ni nourriture, ni rafraîchissement, ni route assurée; dans un sable immense, aride et brûlant, dont l'ardente sécheresse produit des serpents, qui tuent les malheureux voyageurs par des morsures mortelles. Tout cela se trouve dans cette vie : on y meurt de faim et de soif, parce qu'il n'y a rien ici-bas qui nous sustente et nous rassasie : on s'y perd, on s'y déroute comme dans une plaine vaste et inhabitée, où il n'y a ni vallon ni coteau, et où les pas des hommes n'ont point marqué de sentier. Ainsi dans notre ignorance, nous allons errants en cette vie, sans rien avoir qui guide nos pas : nous y entrons sans expérience, et nous ne sentons notre égarement que lorsqu'entièrement déroutés, nous ne savons plus par où nous redresser : nous tombons dans le pays « des serpents brûlants (3), » comme les appelle Moïse; c'est-à-dire dans nos brûlantes cupidités, dont le venin est un feu qui se glisse de veine en veine et nous consume.

A ces quatre maux du désert, Dieu a opposé quatre remèdes : il oppose la manne (4) à la faim, l'eau découlée de la pierre (5) à la soif, aux erreurs durant le voyage la colonne de nuée lumineuse pendant la nuit (6) ; et aux serpents brûlants le serpent d'airain (7) ; toutes choses qui nous figurent Jésus.

Nous nous trouvons comme le prodigue dans une région où

 

1 Apoc., XV, 3, 4.— 2 Exod., XV, 22.— 3 Num., XXI, 6.— 4 Exod., XVI, 14-16. — 5 Num., XX, 10-12. — 6 Exod., XIII, 21, 22. — 7 Num., XXI, 6, 8, 9.

 

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nous périssons, faute de nourriture : les viandes de ce pays n'ont rien de solide (1). Dieu nous envoie la manne qui est Jésus-Christ qui nous « donne la manne cachée, que personne ne connaît que celui qui en goûte (2). » La manne cachée, c'est la vérité : la manne cachée, sont les consolations spirituelles : la manne cachée, c'est le sacré corps de Jésus. Cette divine nourriture paraît « mince et légère (3) » à ceux qui n'ont pas la foi, et à qui rien ne paraît solide que ce qui est palpable, sensible et corporel ; en sorte qu'ils croient ne rien avoir, quand ils ne voient devant eux que les biens spirituels et invisibles : mais pour ceux qui ont le goût de la vérité, cette nourriture leur paraît la seule solide et substantielle : c'est « le pain du ciel (4) : le pain dont se nourrissent les anges (5) : pain céleste, » qui n'est autre chose que Jésus-Christ qui est le Verbe du Père, sa raison, sa vérité, sa sagesse.

Outre la faim, nous avons la soif : et quoique par rapport à l'esprit, la faim et la soif qui ne sont autre chose que l'amour de la justice, semblent n'être qu'une même disposition, on y peut pourtant faire quelque distinction de la nourriture solide qui nous sustente, et de la liquide qui nous rafraîchit et tempère nos désirs ardents. Quoi qu'il en soit, nous trouvons ce doux rafraîchissement en Jésus-Christ, qui promet à la Samaritaine « une fontaine jaillissante à la vie éternelle (6), » et à tout le peuple « des sources, » ou plutôt « des fleuves d'eau vive. Si on les boit, on n'a plus de soif (7) » et tous les désirs sont contents. Ces sources intarissables, c'est la vérité, la félicité, l'amour divin, la vie éternelle qui se commence par la foi et s'achève par la jouissance : ces sources sont en Jésus-Christ; ces sources sortent de la pierre, du rocher frappé par la baguette de Moïse, c'est-à-dire d'un cœur sec et dur, touché de l'impulsion de la grâce. En un autre sens, ces sources sortent d'un rocher qui est un des noms qu'on donne à Dieu, en lui disant : « Mon Dieu, mon rocher, mon soutien, mon refuge (8), » la pierre solide sur laquelle je m'appuie. « Je mettrai dans Sion, dit le prophète (9), une pierre inébranlable ; »

1 Exod.,XVI, 3, 14, 15. — 2 Apoc., II, 17. — 3 Num., XXI, 5. — 4 Joan., VI, 31, 32 et seq.— 5 Psal. LXXVII, 25. — 6 Joan., IV, 13, 14. — 7 Ibid., VII, 38. — 8 Psal. XVII, 3. — 9 Isa., XXVIII, 16; Rom., IX, 33.

 

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et celui qui « s'y appuiera par la foi, ne sera point ébranlé. » Cette pierre, c'est Jésus-Christ : en s'appuyant sur lui, on se soutient : en se heurtant contre lui, en s'opposant à sa volonté, à sa doctrine, à sa grâce, à ses inspirations aussi puissantes que douces, on se rompt, on se met en pièces, on tombe d'une grande chute et on se brise. De cette pierre qui est Jésus-Christ, sortent les eaux de la grâce, les célestes consolations, et dans un amour chaste et pur les divins rafraîchissements de la foi et de l'espérance. Moïse ne frappa qu'un seul rocher qui demeurait immobile (1) : mais les ondes qui en découlèrent suivaient partout un peuple qui jamais ne demeurait dans le même lieu : d'où vient cela, dit saint Paul? C'est qu'il y avait « une pierre » invisible « et spirituelle «dont la corporelle était la figure, qui les suivait, les accompagnait, leur fournissait des eaux en abondance; « et cette pierre » invisible, « c'était Jésus-Christ (2). » Appuyons-nous sur cette pierre fondamentale , sur ce roc immobile : n'ayons de volonté que la sienne, ni de soutien que ses préceptes : un éternel rafraîchissement suivra notre foi.

Dans nos erreurs, nous avons pour guide cette colonne de lumière , ce Jésus qui dit : « Je suis la lumière du monde : qui me suit ne marche point dans les ténèbres (3). » Dans toutes nos actions ayons toujours Jésus-Christ en vue : songeons toujours à ce qu'il a fait, à ce qu'il a enseigné, à ce qu'il nous enseignerait à chaque pas, s'il était encore au monde pour y être consulté ; à ce qu'il enseigne à chaque moment par ses inspirations, par des reproches secrets, par les remords de la conscience, par je ne sais quoi qui nous montre secrètement la voie. Prends garde aux sens trompeurs : marche dans la voie nouvelle qui est Jésus-Christ.

Contre les serpents brûlants, Dieu a élevé dans le désert le serpent d'airain, qui est Jésus-Christ en croix, comme il l'explique lui-même (4) : Jésus-Christ qui se présente à nous « dans la ressemblance de la chair de péché (5). » Qui le regarde à sa croix pour y croire, pour s'y appuyer, pour l'imiter et le suivre, ne doit craindre aucune morsure du péché ; « et élevé » de cette sorte, « il tire

 

1 Exod., XVII, 6; Num., XX, 10, 11.— 2 I Cor., X, 4. — 3 Joan., VIII, 12. — 4 Ibid., III, 14. — 5 Rom., VIII, 3.

 

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à lui tout le monde (1). » O Jésus exalté à la croix ! tous les regards sont sur vous : le monde entier met en vous son espérance, le monde qui croit en vous et que vous avez attiré.

Outre la céleste nourriture de la manne, on trouve encore dans le désert une autre sorte de nourriture. Le peuple charnel se dégoûtait de la manne (2), » et ne se contentait pas de ce pain du ciel : Dieu pouvait par une juste punition leur soustraire tout aliment et les laisser dans la faim : mais il a une autre manière de punir les désirs charnels, en y abandonnant ceux qui les suivent, conformément à cette parole : Dieu les « livra aux désirs de leurs cœurs (3), » à leur concupiscence déréglée. « Ainsi il fit souffler un vent impétueux, qui d'au delà de la mer porta des cailles au désert, et les fit comme pleuvoir dans le camp (4). » C'est Dieu qui envoie les biens temporels comme les autres : car il est l'auteur de tout ; mais souvent les biens temporels sont un fléau qu'il envoie dans sa colère. C'est ce qui est écrit de ces cailles, nourriture agréable aux sens ; mais dont il est dit : « Les chairs en étaient encore dans leurs bouches et entre leurs dents ; et voilà que la colère de Dieu s'éleva contre eux, et frappa le peuple d'une grande plaie (5). » Qu'avait-il fait pour être puni de cette sorte? Il n'avait fait que se rassasier d'un bien que Dieu même avait envoyé : mais c'était un de ces biens corporels qu'il accorde aux désirs aveugles des hommes charnels pour les punir. Il punit ensuite cette jouissance déréglée : on ne voit de tous côtés que des sépulcres érigés à ceux qui ont satisfait leur concupiscence : ils en tirent leur nom : on les appelle « des sépulcres de concupiscence (6), » parce qu'on y a été enterré en punition des concupiscences qu'on avait voulu contenter, en les rassasiant des biens que Dieu donne à la vérité aux sens avides : car tout bien, et petit et grand, et sensible et spirituel, vient de lui : mais dont il ne veut pas qu'on s'assouvisse.

Ne nous laissons pas repaître à ces biens trompeurs : vrais en eux-mêmes, bons en eux-mêmes, puisque tout ce que Dieu fait est vrai et bon ; mais trompeurs et empoisonnés par le mauvais

 

1 Joan., XII, 32. — 2 Exod., XVI, 12, 13 ; Num., XI, 4-6. — 3 Psal. LXXX, 13. — 4 Num., XI, 31, 32. — 5 Ibid., 33. — 6 Ibid., 34.

 

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usage que nous en faisons. Nourrissons-nous de la manne. Si toutefois il nous arrive de perdre durant quelque temps le goût de cette céleste nourriture ; car Dieu le permet souvent pour nous exercer et éprouver notre foi; n'en revenons pourtant pas aux désira charnels : mais en attendant que Dieu réveille ce goût céleste, demeurons en humilité et en patience.

 

VIIe ÉLÉVATION.
La loi sur le mont Sinaï.

 

Quand Dieu voulut donner la loi à Moïse sur le mont de Sinaï, il fit quatre choses importantes : il descendit au bruit du tonnerre et des trompettes ; toute la montagne parut en feu, et on y vit éclater la flamme dans un tourbillon de fumée ; Dieu grava le Décalogue sur deux tables de pierre ; il prononça les autres articles de la loi d'une voix haute et intelligible, qui fut entendue de tout le peuple (1).

Pour publier la loi évangélique, il renouvela ces quatre choses, mais d'une manière bien plus excellente : l'ouvrage commença par « un grand bruit; » mais ce ne fut ni la violence du tonnerre, ni le son aigu des trompettes, comme on l'entend dans un combat; le bruit que Dieu envoya « fut semblable à celui d'un vent impétueux, » qui figurait le Saint-Esprit : et qui sans être terrible ni menaçant, « remplit toute la maison (2), » et appela tout Jérusalem au beau spectacle que Dieu lui allait donner. « On vit un feu, » mais pur et sans fumée , qui ne parut pas de loin pour effrayer les disciples, mais dont la flamme innocente sans les brûler ni entamer leurs cheveux, « se reposa sur leur tête (3). » Ce feu pénétra le dedans, et par ce moyen la loi de l'Evangile fut doucement imprimée , non pas dans des pierres insensibles, mais dans un cœur composé de chair et ramolli par la grâce. Il y eut une parole, mais qui se multipliait d'une manière admirable : au lieu que sur la montagne de Sinaï Dieu ne parla qu'une seule langue

 

1 Exod., XIX, XX, XXIV, XXXI. — 2 Act., II, 1, 2. — 3 Ibid., 3.

 

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et à un seul peuple, dans la publication évangélique qui devait réunir en un tous les peuples de l'univers dans la foi de Jésus-Christ et la connaissance de Dieu, dans un seul discours on entendait toutes les langues, et « chaque peuple entendit la sienne ». » Ainsi Jésus établit sa loi bien autrement que Moïse. Croyons : espérons : aimons, et la loi sera dans notre cœur. Préparons-lui des oreilles intérieures, une attention simple, une crainte douce qui se termine en amour.

De dessus du mont Sinaï Dieu criait : « N'approchez pas, ni hommes ni animaux : » il y va de la vie, « et tout ce qui approchera mourra de mort (2). » Sur la sainte montagne de Sion, Dieu n'approche pas seulement sous la figure d'une flamme lumineuse, mais il entre au dedans du cœur : ce beau feu prend la figure d'une langue : le Saint-Esprit vient parler au cœur des apôtres, et de leur cœur doit sortir la parole qui convertira tout l'univers.

 

VIIIe ÉLÉVATION.
L'arche d'alliance.

 

« Il n'y a point de nation qui ait des dieux s'approchant d'elle, comme notre Dieu s'approche de nous (3). Je serai au milieu d'eux, et j'y habiterai, et je m'y promènerai (4) » allant et venant, pour ainsi dire, et ne les quittant jamais. Ainsi le fruit de notre alliance avec Dieu et de notre union avec lui, est qu'il soit et qu'il habite au milieu de nous : et j'ajoute qu'il y habite d'une manière sensible. Ainsi habitait-il dans le paradis terrestre, allant et venant, et Comme se promenant dans ce saint et délicieux jardin. Ainsi a-t-il paru visiblement à nos pères, Abraham, Isaac et Jacob. Ainsi a-t-il paru à Moïse dans le feu du buisson ardent. Mais depuis qu'il s'est fait un peuple particulier, à qui il a donné une loi et prescrit un culte, sa présence s'est tournée en chose ordinaire ,

 

1 Act., II, 4-8, etc.— 2 Exod., XIX, 12, 13, 20, 21.— 3 Deuter., IV, 7.— 4 Levit., XXVI, 11, 12.

 

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dont il a établi la marque sensible et perpétuelle dans l'arche d'alliance.

Par sa figure elle est le siège de Dieu : Dieu repose sur les chérubins et dans les natures intelligentes comme dans son trône : aussi v a-t-il dans l'arche deux chérubins d'or, qui couvrent de leurs ailes le propitiatoire (1), c'est-à-dire la plaque d'or fin qui est regardée comme le trône de Dieu. Il n'y paraissait dessus aucune figure, mai que de l'invisible majesté de Dieu, pur Esprit, qui n'a ni l'orme ni figure, mais qui est une vérité purement intellectuelle, où le sens n'a aucune prise. La présence de Dieu se rendait sensible par les oracles qui sortaient intelligiblement du milieu de l'arche entre les deux chérubins : l'arche en cet état était appelée « l'escabeau des pieds du Seigneur (2). » On lui rendait l'adoration qui était due à Dieu, conformément à cette parole : « Adorez l'escabeau de ses pieds (3), » parce que Dieu y habitait et y prenait sa séance. C'était sur l'arche qu'on le regardent, quand on lui faisait cette prière : « Ecoutez-nous, vous qui gouvernez Israël : qui conduisez tout Joseph comme une brebis : qui êtes assis sur les chérubins (4). » Quand le peuple se mettait en marche, on élevait l'arche en disant : « Que le Seigneur s'élève , et que ses ennemis soient dissipés, et que ceux qui le baissent prennent la fuite devant sa face (5). » Quand on allait camper, on descendait l'arche, et on la reposait en disant : « Descendez, Seigneur, à la multitude de votre peuple d'Israël (6). » Dieu donc s'élève avec l'arche, et il descend avec elle : l'arche est appelée le Seigneur, parce qu'elle le représentait et en attirait la présence. C'est pourquoi on disait aux anges, en introduisant l'arche en son lieu : « O princes, élevez vos portes : élevez-vous, portes éternelles, et le Seigneur de gloire entrera (7) ; » et encore : « Entrez, Seigneur , dans votre repos, vous et l'arche de votre sanctification (8). » Et tout cela en figure du Seigneur Jésus, dont saint Paul a dit : « Qui est celui qui est monté dans les cieux, sinon celui qui auparavant est descendu dans les plus basses parties de la terre (9)? » Le même Seigneur Jésus, en

 

1 Exod., XXV, 10, 11, 18, 22.— 2 I Paralip., XXVIII, 2; Thren., II, 1. — 3 Psal. XCVIII, 5. — 4 Psal., LXXIX, 2.— 5 Num., X, 36 ;  Psal., LXVII, 2. — 6 Nom., X, 36. — 7 Psal. XXIII, 7, 9. — 8 II Paralip., VI, 41 ; Psal., CXXXI, 8. — 9 Ephes., IV, 9, 10.

 

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montant aux cieux, laisse parmi nous son corps et son sang, et toute son humanité sainte dans laquelle sa divinité réside corporellement : et ce que l'ancien peuple disait en énigme et comme en ombre, nous le disons véritablement, en regardant avec la foi le Seigneur Jésus : « Vraiment il n'y a point de nation dont ses dieux s'approchent d'elle, comme notre Dieu s'approche de nous (1). » C'est donc le caractère de la vraie Eglise et du vrai peuple de Dieu, d'avoir Dieu en soi. Aimons l'Eglise catholique, vraie Eglise de Jésus-Christ, et disons-lui avec le Prophète : « Il n'y a que vous où Dieu est (2) : » vous êtes la seule qui se glorifie de sa présence. Rendons-nous dignes de son approche, et pratiquons ce que dit saint Jacques : « Approchons-nous de Dieu, et Dieu s'approchera de nous (3) : » approchons-nous-en par amour, et il s'approchera de nous par la jouissance qui se commence en cette vie et se consomme dans l'autre. Amen, amen.

 

IXe ÉLÉVATION.
Les sacrifices sanglons et le sang employé partout.

 

Tout est en sang dans la loi, en figure de Jésus-Christ et de son sang qui purifie les consciences. « Si le sang des boucs et des taureaux sanctifie les hommes et les purge selon la chair (des immondices légales), combien plus le sang de Jésus-Christ qui s'est offert lui-même parle Saint-Esprit, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes, pour faire que nous servions au Dieu vivant (4) ? »

L'Apôtre conclut de là que « Jésus est établi médiateur du nouveau Testament par le moyen de sa mort (5) : » ce qui prouve que la nouvelle alliance est un vrai testament, « à cause que comme le testament n'a de force que par la mort du testateur, » ainsi la loi et l'alliance de l'Evangile n'a de force que par le sang de Jésus-Christ.

« De là vient aussi que l'ancien Testament a été consacré par le

 

1 Deuter., IV, 7. — 2 Isa., XLV, 14. — 3 Jacob., IV, 8. — 4 Hebr., IX, 13, 14, 22. — 5 Hebr., IX, 15-17.

 

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sang des victimes, dont l'aspersion après la lecture de la loi fut faite sur le livre même , sur le tabernacle, sur tous les vaisseaux sacrés et sur tout le peuple, en disant : C'est ici le sang du Testament que Dieu a établi pour vous. » Ainsi toute la loi ancienne porte le caractère de sang et de mort, en figure de la loi nouvelle établie et confirmée par le sang de Jésus-Christ, c’est pourquoi, continue saint Paul, « dans l'ancienne loi tout presque est purifié par le sang, sans lequel il n'y a point de rémission de péchés (1). » Nous devons donc regarder les mystères de Jésus-Christ avec une sainte et religieuse horreur, en y respectant le caractère de mort, et encore d'une mort sanglante, en témoignage de la violence qu'il se faut faire à soi-même, à l'exemple de Jésus-Christ, pour avoir part à la grâce de la nouvelle alliance et à l'héritage des enfants de Dieu.

« Personne que le seul pontife ne pouvait entrer dans le Saint des saints » où était l'arche, « et il n'y entrait qu'une fois l'année : » mais c'était en vertu du sang de la victime égorgée, «dans lequel il trempait ses doigts pour en jeter contre le propitiatoire, et expier le sanctuaire des impuretés qu'il contractait au milieu d'un peuple prévaricateur (2). Ainsi ce qu'il y avait de plus saint dans la loi, qui était l'arche et le sanctuaire, contractait quelque immondice au milieu du peuple, et il fallait le purifier une fois l'année, mais pas le sang. Purifions donc par le sang de Jésus-Christ le vrai sanctuaire qui n'est pas fait de main d'homme, c'est-à-dire notre conscience ; la vraie arche du Testament et le vrai temple de Dieu, c'est-à-dire notre corps et notre âme : et ne croyons point pouvoir avoir part au sang de Jésus, si nous-nièmes nous ne répandons en quelque sorte notre sang par la mortification et par les larmes de la pénitence.

Jésus à qui le ciel était dû comme son héritage par le titre de sa naissance, y a voulu entrer pour nous comme pour lui. S'il n'avait à y entrer que pour lui-même, il n'aurait pas eu besoin d'y entrer par le sang d'un sacrifice : mais afin d'y entrer pour nous qui étions pécheurs, il a fallu nous purifier et expier nos péchés

 

1 Hebr., 18-22 ; Exod., XXIV, 8. — 2 Exod., XXX, 10; Levit., XVI, 2, 3,14, 16 ; Hebr., IX, 7.

 

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par une victime innocente qui était lui-même. Il était donc tout ensemble « le pontife » qui nous devait introduire dans le sanctuaire, et «la victime» qui devait expier nos fautes. C'est pourquoi il n'est pas entré dans le sanctuaire par un sang étranger (1) : « Pontife saint qui n'avait point à prier comme celui de la loi, pour lui-même, pour ses ignorances et pour ses péchés, mais » seulement « pour » les nôtres et « ceux du peuple (2), » il nous a ouvert la porte : victime innocente et pure, « il a pacifié par son sang le ciel et la terre (3) ; et pénétrant dans le ciel (4) » il nous en a laissé l'entrée libre.

Entrons donc avec confiance dans cet héritage céleste; et nous souvenant de ce qu'il en a coûté à Jésus pour nous en ouvrir la porte que nos péchés nous avaient fermée, ne nous plaignons pas de ce qu'il nous en doit coûter à nous-mêmes.

C'était à ce jour solennel où le pontife entrait dans le sanctuaire, qu'on offrait ces deux boucs dont l'un était immolé pour les péchés, et l'autre qu'on appelait «le bouc émissaire. Après que le pontife avait mis les mains sur lui et en même temps confessé avec exécration et imprécation sur la tête de cet animal les péchés de tout le peuple, il était envoyé dans le désert (5), » comme pour y être la proie des bêtes sauvages. Ces deux figures représentaient Notre-Seigneur, «en qui Dieu a mis les iniquités de nous tous (6) : » chargé donc de tant d'abominations, il a été séquestré du peuple et, comme remarque saint Paul, « il a souffert hors de la porte de Jérusalem (7), » comme excommunié de la cité sainte à cause de nos péchés qu'il portait. Mais c'était nous qui étions les véritables excommuniés et l'anathème de Dieu. Sortons en humilité de la société sainte; et pour nous délivrer de la malédiction qui nous poursuit, unissons-nous à celle de Jésus-Christ «qui a été fait anathème et malédiction pour nous (8), » comme dit saint Paul, « conformément à cette parole : Maudit celui qui a été pendu à une croix (9). » Reconnaissons-nous exclus de tout bien et de toute la société humaine par nos péchés : la croix, une mort douloureuse,

 

1 Hebr., IX, 11, 12, 14, 24, 25. — 2 Ibid., VII, 26, 27. — 3 Coloss., I, 20. — 4 Hebr., IV, 14. — 5 Levit., XVI, 2, 5, 7 — 6 Isa., LIII, 6. — 7 Hebr., XIII, 12. — 8 Galat., III, 13. — 9 Deuter., XXI, 23.

 

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et l'ignominie d'un honteux supplice est notre partage. Quoi! en cet état nous pourrions nous plaindre d'être pauvres, méprisés, outragés, sans songer de quoi nos péchés nous ont rendus dignes? Nous sommes dignes de tout opprobre, de toute misère, pour avoir péché contre le ciel et avoir été rebelles contre Dieu. Ne nous plaignons donc jamais des misères que Dieu nous envoie : mais «sortons hors du camp avec Jésus, » et allons nous unira lui « portant ses opprobres (1) : » assurés que ce n'est qu'en nous unissant à ses peines, à ses ignominies, à son anathème, à sa malédiction, que nous serons délivrés de la nôtre.

 

Xe ÉLÉVATION.
Le campement et la patrie.

 

Une des plus belles circonstances de la délivrance des Israélites, c'est qu'on ne logeait point dans les déserts où ils furent conduits : on y campait, on y était sous des pavillons (2) ; et sans cesse on enveloppait et on transportait ces maisons branlantes : figure du christianisme, où tout fidèle est voyageur. (lardons-nous bien de nous arrêter à quoi que ce soit : passons par-dessus : et toujours prêts à partir, toujours aussi prêts à combattre, veillons comme dans un camp : qu'on y soit toujours en sentinelle. Dans les camps vulgaires il y a plusieurs sentinelles disposées, afin que toujours prêts à s'éveiller au premier signal; les soldats dorment un court somme, sans se plonger tout à fait dans le sommeil : il y a plus, dans le campement de la vie chrétienne, chacun doit toujours veiller : chacun en sentinelle sur soi-même, doit toujours être sur ses gardes contre un ennemi qui ne clôt point l'œil, «et qui toujours rôde autour de nous pour nous dévorer (3). » Ne nous fions point au repos qu'il semble quelquefois nous donner : avec lui il n'y a ni paix ni trêve, ni aucune sûreté que dans une veille perpétuelle.

Ainsi donc campait Israël : il supportait ce travail, pour enfin

 

1 Hebr., XIII, 13. — 2  Num., I, 52; II, 34. — 3 I Petr., V, 8.

 

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arriver à cette terre « coulante de miel et de lait (1) » tant de fois promise à leurs pères : c'était pour y introduire ce peuple que Moïse l'avait tiré de l'Egypte, et lui avait fait passer la mer Rouge : mais, ô merveille de la divine sagesse, aucun de ceux qui s'étaient mis en marche sous Moïse pour arriver à cette terre, n'y entra, excepté deux (2). Moïse même ne la salua que de loin, et Dieu lui dit : «Tu l'as vue de tes yeux, et tu n'y entreras pas : et Moïse mourut » à l'instant «par le commandement du Seigneur (3). » Afin qu'on entre dans la terre promise, il faut que Moïse expire, et que la loi soit enterrée avec lui dans un « sépulcre inconnu aux hommes, » afin qu'on n'y retourne jamais et que jamais on ne se soumette à ses ordonnances. L'ancien peuple qui a passé la mer Rouge et qui a vécu sous la loi, n'entre pas dans la céleste patrie : la loi est trop faible pour y introduire les hommes. Ce n'est point Moïse, c'est Josué, c'est «Jésus» (car ces deux noms n'en sont qu'un), qui doit entrer dans la terre et y assigner l'héritage au peuple de Dieu (4). Qu'avait Josué de si excellent, pour introduire le peuple à cette terre bénie, plutôt que Moïse? Ce n'était que son disciple, son serviteur, son inférieur en toutes manières : il n'a pour lui que le nom de « Jésus, » et c'est en la figure de « Jésus » qu'il nous introduit dans la patrie. Entrons donc, puisque nous avons Jésus à notre tête ; entrons à la faveur de son nom dans la bienheureuse terre des vivants : «Je vais, dit-il, vous préparer les voies (5) : » j'assignerai à chacun le partage qui lui a été destiné : « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (6) : » Jésus, « notre avant-coureur, est entré pour nous (7), » et l'entrée nous est ouverte par son sang. « Dépêchons-nous donc d'entrer dans ce repos éternel (8) : dépêchons-nous : n'ayons rien de lent : « La voie qui nous est ouverte, dit saint Augustin, ne souffre point de gens qui reculant, ne souffre point de gens qui se détournent, ne souffre point de gens qui s'arrêtent;» et si l'on n'avance toujours dans un si roide sentier, sans faire de continuels efforts, on retombe de son propre poids.

 

1 Num., XIII, 28. — 2 Ibid., XIV, 22, 23, 30.— 3 Deuter., XXXIV, 4, 5.— 4 Ibid., 9; Josué, 1, 2, 5, 6, 7 et seq. — 5 Joan., XIV, 2. — 6 Ibid., 2. — 7 Hebr., IX, 24 ; IV, 11.— 8 Hebr., IV, 11.

 

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