Elév. Semaine XIII
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XIIIe SEMAINE.
ONCTION DE JÉSUS-CHRIST : SA ROYAUTÉ : SA GÉNÉALOGIE : SON SACERDOCE.

 

XIIIe SEMAINE.  ONCTION DE JÉSUS-CHRIST : SA ROYAUTÉ : SA GÉNÉALOGIE : SON SACERDOCE.

PREMIÈRE ÉLÉVATION.  L'onction de Jésus-Christ et le nom de Christ.

IIe ÉLÉVATION.  Comment le Saint-Esprit est en Jésus-Christ.

IIIe ÉLÉVATION.  Quel est l'effet de celte onction en Jésus-Christ et en nous.

IVe ÉLÉVATION.  Sur deux vertus principales que nous doit inspirer fonction de Jésus-Christ.

Ve ÉLÉVATION.  La généalogie royale de Jésus-Christ.

VIe ÉLÉVATION.  Le sacerdoce de Jésus-Christ.

VIIe ÉLÉVATION.  Quelle a été l'oblation de Jésus-Christ et le premier acte qu'il a produit en entrant dans le monde.

VIIIe ÉLÉVATION.  Jésus-Christ est le sacrifice pour le pèche : excellence de son oblation.

 

 

PREMIÈRE ÉLÉVATION.
L'onction de Jésus-Christ et le nom de Christ.

 

O Christ! ô Messie! ô vous qui êtes attendu et donné sous ce nom sacré, qui signifie l'oint du Seigneur ! apprenez-moi dans l'excellence de votre onction l'origine et le fondement du christianisme. Et puisqu'il est écrit que «l'onction nous apprend tout,» et encore que « nous avons l'onction et » que «nous savons toutes choses (1), » quand est-ce que cette onction nous doit enseigner, sinon lorsqu'il s'agit d'expliquer l'onction qui, vous faisant Christ, nous fait aussi chrétiens par la communication d'un si beau nom?

O Christ ! vous êtes connu de tout temps sous ce beau nom. Le Prophète vous a vu sous ce nom, lorsqu'il a chanté : « Votre trône, ô Dieu ! est éternel : et votre Dieu vous a oint d'une huile ravissante (2) : » c'est vous que Salomon a célébré, en disant dans son divin cantique : « Votre nom est une huile, un baume répandu (3). » Quand l'ange saint Gabriel a annoncé le temps précis de votre venue, il s'en est expliqué, en disant: Que « le Saint des saints serait oint, et» que « l'Oint ou le Christ serait immolé (4). » Et vous-même qu'avez-vous prêché dans la synagogue, lorsque vous expliquâtes votre mission? Qu'avez-vous, dis-je , prêché , que ce beau texte d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur m'a envoyé, et c'est pour cela qu'il m'a oint (5). » Vous avez paru vouloir

 

1 I Joan., II, 20, 27. — 2 Psal. XLIV, 1, 8. — 3 Cant., I, 2. — 4 Dan., IX, 21, 24-26. — 6 Isa., LXI, 1 ; Luc., IV,  18.

 

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expliquer par ce texte d'Isaïe , que vous êtes oint par le Saint-Esprit; et n'est-ce pas aussi ce qu'a enseigné votre apôtre saint Pierre au saint centurion Cornélius, lorsqu'il lui prêcha Jésus de Nazareth, « et comment Dieu l'avait oint du Saint-Esprit et de puissance pour opérer des prodiges, et remplir toute la Judée de ses bienfaits (1). »

O  Christ ! encore un coup, faites-moi connaître comme fit saint Pierre au saint Centenier, comment votre Dieu vous a oint du Saint-Esprit, et rendez-moi participant de cette onction.

 

IIe ÉLÉVATION.
Comment le Saint-Esprit est en Jésus-Christ.

 

Le Saint-Esprit est en nous comme y venant du dehors, comme reçu par emprunt ; il n'est point notre propre esprit ; mais il est le propre esprit de Jésus-Christ : « Il prend du sien : » le Verbe divin le produit avec son Père ; et quand il a été fait homme, il a produit ce Saint-Esprit, comme un esprit qui lui était propre, dans l'homme qu'il s'est uni (2).

Ainsi quand les hommes font des miracles par le Saint-Esprit, c'est en eux un esprit qui vient du dehors et par emprunt; mais, dit doctement et excellemment saint Cyrille d'Alexandrie : «Quand Jésus-Christ chasse le démon et fait d'autres miracles par le Saint-Esprit, comme il l'assure lui-même , il agit par un esprit qui lui est propre et qui est en lui comme dans sa source. »

De là vient qu'il l'a reçu avec une entière plénitude : « L'esprit ne lui est pas donné avec mesure (3), » mais sans mesure et en plénitude parfaite, pour être répandu sur nous, et afin « que nous tous reçussions ce que nous avons de sa plénitude (4). » Ce qui a fait dire à Isaïe : « Le Saint-Esprit se reposera sur lui (5) ; » et selon une ancienne version : « Toute la source, toute la fontaine du Saint-Esprit descendra sur lui. »

 

Act., X, 28. — 2 Joan., XVI, 14; Luc., XXIV, 49; Joan., XV, 26. — 3 Joan., III, 34. — 4 Ibid., 1, 16. — 5 Isa., XI, 2, 3.

 

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Jésus est donc oint par le Saint-Esprit comme l'ayant en lui par sa divinité , comme ayant reçu du Père qui est en lui la vertu de le produire, comme le donnant en propre à l'homme qu'il s'est uni en unité de personne. Ce qui a fait dire aux saints qu'il a été oint de la divinité ; et c'était ce que voyait ce prophète, lorsqu'en disant « qu'il a été oint par son Dieu (1), » en même temps lui-même il l'appelle Dieu.

Telle est donc l'onction qui a fait le Christ. Ce n'est pas d'une huile matérielle qu'il a été oint, comme Elisée et les prophètes, comme David et les rois, comme Aaron et les pontifes. Quoique roi, prophète et pontife, il n'a pas été oint de cette onction qui n'était qu'une ombre de la sienne. Aussi David a-t-il dit « qu'il était oint d'une huile excellente, au-dessus de tous ceux qui sont nommés oints (2) » en figure de son onction, parce qu'il est oint de divinité et du Saint-Esprit. C'est ainsi que Dieu l'a fait Christ. Et quand il nous a faits chrétiens, de quel autre esprit a-t-il rempli son Eglise naissante, et par quel autre esprit a-t-il répandu le nom chrétien par toute la terre? Mais ne nous arrêtons pas à cette doctrine quoique divine et nécessaire, et faisons-en l'application que Dieu nous commande.

 

IIIe ÉLÉVATION.
Quel est l'effet de celte onction en Jésus-Christ et en nous.

 

Par cette onction divine Jésus-Christ est roi, pontife et prophète : voilà ce qu'il est comme Christ ; et il nous apprend aussi que comme chrétiens et par l'épanchement de son onction, nous sommes faits rois et sacrificateurs : « un sacerdoce royal, » comme dit saint Pierre (3). Et saint Jean dans l'Apocalypse ; « Vous nous avez faits rois et sacrificateurs à notre Dieu (4) »

Ayons donc un courage royal : ne nous laissons point assujettir par nos passions : n'ayons que de grandes pensées : ne nous rendons point esclaves de celles des hommes.

 

1 Psal. XLIV, 8. — 2 Ibid. — 3 I Petr., II, 9. — 4 Apoc., I, 6.

 

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Comme rois, soyons magnanimes, magnifiques : aspirons à ce qu'il y a de plus haut : mais aspirons comme prêtres et sacrificateurs spirituels à ce qu'il y a de plus saint. Chrétiens, nous ne sommes plus des hommes profanes : nous sommes ceux à qui il est dit : « Soyez saints parce que je suis saint, dit le Seigneur (1). »

Comment sommes-nous prophètes? Agissons par un céleste instinct : sortons de l'enceinte des choses présentes : remplissons-nous des choses futures : ne respirons que l'éternité. Quoi ! vous vous faites un établissement sur la terre : vous voulez vous y élever; songez au pays où vous serez rois : « Réjouissez-vous, petit troupeau, parce qu'il a plu à votre Père céleste de vous donner son royaume (2). »

 

IVe ÉLÉVATION.
Sur deux vertus principales que nous doit inspirer fonction de Jésus-Christ.

 

Un des effets principaux de la foi chrétienne et de la sainte onction des enfants de Dieu, est la douceur : « Apprenez de moi, dit Jésus lui-même, que je suis doux et humble de cœur (3). » Isaïe avait prédit sa douceur par ces paroles, que saint Matthieu lui a appliquées : « Voici mon serviteur que j'ai élu ; mon bien-aimé, où je me suis plu et en qui j'ai mis mon affection : je ferai reposer sur lui mon esprit : et il annoncera la justice aux nations (4). » Voilà un ministère bien éclatant; mais qu'il est doux en même temps et qu'il est humble, puisque le prophète ajoute, et après lui l'Evangéliste : « Il ne disputera point, ni il ne criera point, et on n'entendra point sa voix dans les rues, » comme les esprits contentieux et disputeurs la font éclater au dehors : « Il ne brisera point le roseau cassé, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore : » il n'ajoutera point, comme on fait ordinairement parmi les hommes, l'affliction à l'oppressé par des reproches amers. Voilà l'esprit de Jésus-Christ et le vrai Esprit de Dieu,

 

1 I Petr., I, 16. — 2 Luc, XII, 32. — 3 Matth., XI, 29. — 4 Isa., XLII, 1 et seq.

 

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qui « n'habite pas dans un tourbillon, ni dans le souffle d'un vent violent qui renverse les rochers et les montagnes, «comme Elie semblait le penser en voulant tout exterminer et tout perdre : «il n'habite pas dans la commotion et l'ébranlement, ni dans le feu qui le suit, mais dans le doux souffle d'un air léger et rafraîchissant (1).»

Tel est l'Esprit du Seigneur Jésus. Et c'est pourquoi, lorsque ses disciples voulaient dans l'esprit d'Elie et d'Elisée faire descendre le feu du ciel sur les villes qui leur refusaient le passage, il leur disait avec sa douceur ineffable : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes (2) : » vous ne savez pas quel est l'esprit de votre religion et de la doctrine du Christ. Quelle fut sa douceur, lorsqu'il dit à celui qui le frappait : « Si j'ai mal dit, faites connaître le mal que j'ai fait; et si j'ai bien dit, pourquoi me frappez-vous (3)?» Et ailleurs : « Race incrédule et maudite, jusqu'à quand serai-je contraint d'être parmi vous et de souffrir vos injustes contradictions? Toutefois amenez-moi votre fils (4), » afin que je le guérisse. Et encore : « Femme, où sont vos accusateurs? Personne ne vous condamne : Je ne vous condamnerai pas non plus : allez et ne péchez plus (5).»

Prenons donc l'esprit de douceur, comme le vrai esprit du christianisme : que l'onction du Saint-Esprit adoucisse notre aigreur et notre fierté : ne prenons pas ces tons superbes et avantageux : c'est faiblesse que de s'animer de celte sorte: la force est dans la raison tranquillement exposée: cette force manque quand on a recours à cette force hautaine et contentieuse qu'on fait venir à son secours. Quand vous avez à combattre pour la vérité, songez que ce n'est point par d'aigres disputes que L'Evangile s'est établi, mais par la douceur et la patience, en imitant Jésus-Christ «qui s'est laissé non-seulement tondre (6), » mais encore écorcher sans se plaindre. Ecoutez, dans les Actes, les prédicateurs de son Evangile, qui condamnés par Les Juifs : « Jugez vous-mêmes, leur disaient-ils, s'il faut vous écouter plutôt que Dieu : car pour nous, nous ne pouvons pas dissimuler ce que nous avons vu et ce que

 

1 III Reg., XIX, 11, 12. — 2 Luc., IX, 55. — 3 Joan., XVIII, 23. — 4 Marc.,  IX, 18; Luc., IX, 51. — 5 Joan., VIII, 10, 11.— 6 Isa., LIII, 7; I Petr., II, 21, 23, 29.

 

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nous avons ouï (1). » C'est dans cet esprit qu'il faut parler à ceux à qui la vérité nous oblige à nous opposer : c'est ainsi que sans disputer et sans se troubler, on les met visiblement dans leur tort. Voilà de vrais chrétiens et de vrais imitateurs du Christ. Et que fait son innocent troupeau si injustement maltraité : « Seigneur, qui avez fait le ciel et la terre, regardez les menaces de nos ennemis , et donnez à vos serviteurs d'annoncer votre parole en toute confiance , puisqu'il vous plaît d'étendre votre bras pour faire de si grands prodiges par le nom de votre saint fils Jésus (2). » C'est ainsi qu'ils veulent parler « avec confiance » seulement, mais non pas avec amertume ni avec aigreur. Qui met sa confiance en Dieu , ne la met pas dans la violence d'un ton aigre et impérieux : la victoire appartient à la douceur et à la patience ; et Isaïe, après avoir fait Jésus-Christ si humble , si patient et si doux, conclut enfin en disant  : « qu'il remportera la  victoire  : « qu'il gagnera sa cause en jugement, et » que « les gentils mettront en lui leur espérance (3).» Traitez donc avec douceur l'affaire de Dieu : soyez de vrais chrétiens, c'est-à-dire de vrais agneaux ; et sans murmure , sans bruit, sans avoir aucune teinture de l'esprit de contradiction, montrez autant de tranquillité que d'innocence : ayez la douceur et la patience sa fille : ces deux vertus sont les deux caractères propres de la piété chrétienne, et les deux fruits de l'onction de Jésus-Christ répandue sur nous.

 

Ve ÉLÉVATION.
La généalogie royale de Jésus-Christ.

 

Ce titre ne m'engage pas à traiter les difficultés ni les contradictions apparentes des deux généalogies de Jésus-Christ rapportées dans saint Matthieu et dans saint Luc (4). La lecture que je fais ici de l'Evangile a un autre objet, et je remarquerai seulement :

En premier lieu, qu'il était notoire que Jésus-Christ sortait de

 

1 Act., IV, 19, 20.— 2 Ibid., V, 24, 29, 30. — 3 Matth., XII, 20, 21; Isa., XLII, 1 et seq. — 4 Matth., I; Luc., III, 23.

 

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la race de David : tout le monde l'appelait hautement et sans contradiction, « le fils de David (1). » Sa généalogie était bien connue, « et il était manifeste » aux Hébreux mêmes « qu'il était de la tribu de Juda (2). » Il n'était pas moins constant qu'il en sortoit par David : saint Paul avance et répète comme un fait qui n'était pas contredit, « qu'il est sorti du sang de David (3). »

Si donc les évangélistes se sont attachés à marquer la descendance de Joseph plutôt que celle de Marie, c'est qu'on savait qu'ils étaient de même race et si proches parents, que tout le monde connaissait leur parenté. Aussi dans l'ordre qui fut donné sous Auguste de faire écrire son nom dans le lieu de son origine, «Joseph fut à Bethléem avec Marie son épouse, pour se faire inscrire avec elle (4) : » c'en est assez pour fermer la bouche aux esprits contentieux et contredisants, qui voudraient qu'on nous eût donné la généalogie de la sainte Vierge plutôt que celle de Joseph. C'était assez que tout le monde sût qu'ils étaient parents et de même race. En second lieu, il est inutile de se tourmenter à concilier les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. La loi qui ordonnait au cadet d'épouser la veuve de son aîné mort sans enfants, pour en faire revivre la tige et lui donner une postérité (5), introduisait par nécessité parmi les Juifs deux sortes de généalogies, l'une naturelle et l'autre légale. Il y a beaucoup de raison de croire que saint Matthieu, qui se sert partout du mot « d'engendrer (6), » l'a choisi pour marquer plus expressément la généalogie naturelle, plus propre à la désigner, que le terme plus vague et plus général dont s'est servi saint Luc (7). Quoi qu'il en soit, le Saint-Esprit a voulu que nous sussions qu'en quelque sorte qu'on voulût compter la race de Jésus-Christ, il venoit toujours de Juda et de David, et de la famille royale.

En troisième lieu, il fallait à la vérité que Jésus-Christ eût pour aïeux tous les rois de Juda sortis de David, afin de marquer au peuple que vrai roi des Juifs, ce titre lui était comme héréditaire : mais toutefois l'humble Jésus, à qui Dieu avait destiné une

 

1 Matth., I, 20; IX, 21 ; XIX. 23; XV, 22 ; XX, 30, 31; XVI, 9, 15; Marc., XI, 9, 10.— 2 Hebr., VII, 24. — 3 Rom., I, 3; II Timoth., II, 8. — 4 Luc., II, 1, 3-5.— 5 Deut., XXV, 5, 6. — 6 Matth., I, 12, 13 et seq. — 7 Luc., III, 23, 24.

 

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noblesse royale, ne sort point de cette maison dans son grand éclat, nui is dans le temps de sa décadence, où déchue de la royauté, elle subsistait dans les plus vils artisans, par où aussi il devait paraître que son trône était d'une autre nature et d'une autre élévation que celui de ses ancêtres.

En quatrième lieu, il fallait aussi qu'il naquît de la tribu de Juda; de laquelle, comme le remarque saint Paul (1), «Moïse n'a rien prononcé sur le sacerdoce. » Car le sacerdoce de Jésus-Christ devant être d'un autre ordre que celui d'Aaron, si Jésus-Christ était de son sang, on aurait cru qu'il aurait tiré son sacerdoce comme héréditaire de la famille d'Aaron, au lieu que, comme on va voir, il le devait tirer d'une autre origine.

En cinquième lieu, quoique Jésus-Christ dût descendre de Juda, et non de Lévi ni d'Aaron, il convenait qu'il y eût quelque parenté entre sa famille et celle d'Aaron : ce qui fait que la sainte Vierge était cousine d'Elisabeth, et que ces deux saintes parentes ont eu des ancêtres communs : par où il paroit qu'encore que le sacerdoce d'Aaron ne put être celui de Jésus-Christ, il ne devait pas lui être entièrement étranger, et qu'il devait y avoir de l'alliance entre les deux.

En sixième lieu, pour en revenir à la famille royale qui était proprement celle du Sauveur, il faut observer qu'encore qu'il fût le Saint des saints, non-seulement il est sorti de rois pécheurs et méchants, mais encore que les seules femmes qu'on marque comme ses aïeules sont une Thamar, une Ruth Moabite et sortie d'une race infidèle; et enfin une Bethsabée, une adultère (2) : tout cela se fait pour l'espérance des pécheurs, dont Jésus-Christ ne veut pas être éloigné et ne dédaigne pas le sang; mais il s'en montre le Rédempteur.

Apprenons à mépriser les hommes du monde, si enflés de l'antiquité souvent imaginaire de leur race, dont ils cachent avec tant de soin les endroits faibles. Ne mettons point notre gloire dans nos ancêtres, dont le plus grand nombre, et peut-être les plus renommés, augmente depuis si longtemps celui des damnés; et ne songeant point à nous illustrer par leurs noms maudits de Dieu,

 

1 Hebr., VII, 14. — 2 Matth., I, 3-5.

 

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glorifions-nous d'être ses enfants : unissons-nous au Fils, et en disant avec saint Paul, «qu'il est le Sauveur des pécheurs (1) » ajoutons toujours avec cet Apôtre : « Desquels je suis le premier, » puisque chacun d'un certain côté est le plus grand et le premier, comme le plus ingrat de tous les pécheurs.

 

VIe ÉLÉVATION.
Le sacerdoce de Jésus-Christ.

 

La race dont Jésus-Christ est sorti était vraiment la race royale, et il y a remis le trône d'une manière plus haute qu'il n'y avait jamais été. Mais en Jésus-Christ, il n'y a point de race sacerdotale : il n'a ni prédécesseur ni successeur : il a seulement des figures dont Melchisédech est la plus illustre et la seule qui paroisse digne de lui. Il n'y a qu'à lire l’Epitre aux Hébreux; et il n'y faut point de commentaire. On nous y montre tout d'un coup dans la Genèse, « Melchisédech sans père, sans mère, sans généalogie, sans commencement de ses jours et sans qu'on en voie la fin (2) : ce n'est pas qu'il n'eût tout cela, ni qu'il faille donner dans l'erreur de ceux qui ont voulu que ce fût un ange : c'est assez pour être figure de Jésus-Christ que tout cela ne soit point marqué, et qu'il paroisse seulement comme « sacrificateur du Dieu très-haut pour offrir à Dieu du pain et du vin, et ensuite le présenter à Abraham pour le bénir, » et en sa personne bénir comme supérieur tout le sacerdoce lévitique, « en recevoir la dîme (3) » comme un hommage qui était dû à l'excellence de son sacerdoce, et la recevoir en même temps de Lévi et d'Aaron lui-même et de toute la race sacerdotale, puisqu'elle était en Abraham comme dans sa tige ; et cette dîme n'est autre chose que la dépouille des rois vaincus, dont la défaite paraît n’être accordée à Abraham que pour honorer «Melchisédech, ce grand pontife, ce roi de justice, roi de paix, qui est l'interprétation de son nom et de la ville où il règne. » Dans toute la suite

 

1 I Timoth., I, 15. — 2 Hebr., VII, 3. — 3 Genes., XIV, 18-20; Hebr., VII, 1, 2, 4 et seq.

 

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de l'histoire on ne dit plus un seul mot de Melchisédech : il n'y est marqué que pour cette divine fonction : et tout d'un coup neuf cents ans après, David en voyant le Christ qu'il appelle « son Seigneur à la droite de Dieu » en grande majesté et puissance, «engendré du sein de Dieu devant l'aurore, » vainqueur de ses « ennemis » qui sont « à ses pieds, » vainqueur des « rois, » à qui Dieu adresse ces mots avec serment : « Vous êtes prêtre éternellement selon l'ordre de Melchisédech (1) ; » vous n'avez point de devancier ni de successeur : votre sacerdoce est éternel : il ne dépend point de la promesse adressée à Lévi ni à Aaron et à ses enfants. « Et voici, conclut saint Paul, dans un nouveau sacerdoce » un nouveau service « et une nouvelle loi (2). »

Venez, Jésus, Fils éternel de Dieu, sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre ; en qui nous voyons et reconnaissons une descendance royale ; mais pour ce qui est du sacerdoce, vous ne le tenez que de celui qui vous a dit : « Vous êtes mon Fils : je vous ai aujourd'hui engendré (3). Pour ce divin sacerdoce, il ne faut être né que de Dieu, et vous avez votre vocation « par votre éternelle naissance (4). » Vous venez aussi « d'une tribu à laquelle Dieu n'a rien ordonné sur la sacrificature : « la vôtre a ce privilège « d'être établie par serment, » immobile, sans repentance et sans changement : le Seigneur, dit-il, « a juré, et ne s'en repentira jamais. La loi de ce sacerdoce est éternelle et inviolable (5) : » vous êtes seul : vous laissez pourtant après vous des prêtres, mais qui ne sont que vos vicaires, sans pouvoir offrir d'autres victimes que celle que vous avez une fois offerte à la croix et que vous offrez éternellement à la droite de votre Père.

Ecoutons notre loi en la personne de Jésus-Christ, tant que nous sommes de prêtres du Seigneur. S'il a été dit à Lévi, à raison de son ministère sacré : Vous êtes mon « homme saint, à qui » j'ai « donné la perfection et la doctrine (6) ; » et que pour cela il doit « dire à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas ; et à ses frères : Je ne sais qui vous êtes ; et il n'a d'enfants » que ceux de Dieu : si c'est là, dis-je, la loi de Lévi et du sacerdoce mosaïque,

 

1 Psal. CIX, 1-5.— 2 Hebr., VII, 22 et seq. — 3 Psal. II, 7.— 4 Hebr., VII, 16. — 6 Hebr., VII, 13,14, 20, 21, 24.— 6 Deuter., XXXIII, 8, 9.

 

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combien pur, combien détaché de la chair et du sang doit être le sacerdoce chrétien, qui a Jésus-Christ pour auteur et Melchisédech pour modèle! Non; nous ne devons connaître d'autre emploi, d'autre fonction, ni avoir d'autre intérêt que celui de Dieu : enseignant sa loi et ses jugements, et lui offrant continuellement des parfums pour l'apaiser. Si nous gardions cette loi de notre saint ministère, on ne verrait pas tous les jours envahir les droits et l'autorité du sacerdoce, qui sont ceux de Jésus-Christ. Dieu se rendrait notre vengeur ; et cette prière de Moïse aurait son effet : « Seigneur, » aidez vos ministres : « soutenez leur force : protégez l'œuvre de leurs mains : frappez le dos de leurs ennemis fugitifs ; et ceux qui les haïssent ne se relèveront jamais (1), » Mais parce que plus charnels que les enfants du siècle, nous ne songeons qu'à nous engraisser, vivre à notre aise, nous faire des successeurs, nous établir un nom et une maison, tout le monde entreprend sur nous, et l'honneur du sacerdoce est foulé aux pieds.

 

VIIe ÉLÉVATION.
Quelle a été l'oblation de Jésus-Christ et le premier acte qu'il a produit en entrant dans le monde.

 

« Il a paru, dit saint Paul, en s'offrant lui-même pour victime (2). » C'est lui-même, c'est son propre corps, c'est son propre sang qu'il a offert à la croix : c'est encore son propre corps et son propre sang qu'il offre dans le sacrifice de tous les jours : et ce n'est pas sans raison que David voyant en esprit le premier acte qu'il produirait en se faisant homme (3), et saint Paul en interprétant cette prophétie (4) le font parler en cette sorte au moment qu'il entra dans le monde : « Vous n'avez point voulu d'hostie et d'oblation, mais vous m'avez formé un corps ; » l'original porte : « Vous me l'avez approprié : les holocaustes et les sacrifices pour le péché ne vous ont pas plu ; alors j'ai dit : Me voici : je viens pour accomplir

 

1 Deuter., XXXIII, 11. — 2 Hebr., IX, 25, 26. —3 Psal. XXXIX, 7-9. — 4 Hebr., X, 5-7.

 

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votre volonté, ô mon Dieu, et ce qui a été écrit de moi à la tête de votre livre. » Par cette parole, Jésus-Christ se met à la place de toutes les victimes anciennes : et n'ayant rien dans sa divinité qui put être immolé à Dieu, Dieu lui donne un corps propre à souffrir et accommodé à l'état de victime où il se met.

Dès qu'il eut commencé ce grand acte, il ne le discontinua jamais, et demeura dès son enfance et dès le sein de sa mère dans l'état de victime, abandonné aux ordres de Dieu pour souffrir et faire ce qu'il voudrait. « Je viens, dit-il, pour faire votre volonté , comme il a été écrit au commencement du livre , » in capite libri.

Il y a un livre éternel, où est écrit ce que Dieu veut de tous ses élus ; et à la tète, ce qu'il veut en particulier de Jésus-Christ, qui en est le chef. Le premier article de ce livre est que Jésus-Christ sera mis à la place de toutes les victimes, en faisant la volonté de Dieu avec une entière obéissance. C'est à quoi il se soumet ; et David lui fait ajouter : « Mon Dieu, je l'ai voulu, et votre loi est au milieu de mon cœur (1). »

Soyons donc à l'exemple de Jésus-Christ en esprit de victime , abandonnés à la volonté de Dieu : autrement nous n'aurons point de part à son sacrifice. Fallût-il être un holocauste et une victime entièrement consumée par le feu, laissons-nous réduire en cendres plutôt que de nous opposer à ce que Dieu veut.

C'est dans la sainte volonté de Dieu que se trouve l'égalité et le repos. Dans la vie des passions et de la volonté propre, on pense aujourd'hui une chose et demain une autre ; une chose durant la nuit et une autre durant le jour ; une chose quand on est triste, autre chose quand on est en bonne humeur ; une chose quand l'espérance rit à nos désirs, autre chose quand elle se retire de nous. Le seul remède à ces altérations journalières et à ces inégalités de notre vie, c'est la soumission à la sainte volonté de Dieu. Comme Dieu est toujours le même dans tous les changements qu'il opère au dehors , l'homme soumis à sa volonté est toujours le même. On n'a pas besoin de chercher des raisons particulières pour se calmer : c'est l'amour-propre ordinairement qui les fournit.

 

1 Psal. XXXIX, 9.

 

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La souveraine raison, c'est ce que Dieu veut. La volonté de Dieu sainte en elle-même, est elle seule sa raison.

Prenons garde néanmoins que ce ne soit pas par paresse ou par une espèce de désespoir, et pour nous donner un faux repos, que nous ayons recours à la volonté de Dieu. Elle nous fait reposer, mais en agissant et en faisant ce qu'il faut : elle nous fait reposer dans la douleur comme dans la joie, selon qu'il plait à celui qui sait ce qui nous est bon. Elle nous fait reposer, non dans notre propre contentement, mais en celui de Dieu : le priant de se contenter et de faire toujours de nous ce qu'il lui plaira. Qu'importe de ce que nous devenions sur la terre ? « Il n'y a qu'une chose à vouloir : c'est, Seigneur, d'habiter dans votre maison pour y voir la volupté du Seigneur (1) » et le louer aux siècles des siècles.

Commençons dès cette vie et chantons avec David, ou plutôt avec Jésus-Christ l'hymne de la sainte volonté : « Me voici, Seigneur, et je viens pour accomplir votre volonté (2). »

 

VIIIe ÉLÉVATION.
Jésus-Christ est le sacrifice pour le pèche : excellence de son oblation.

 

Mon Sauveur! dans ce verset de David que vous prononçâtes en entrant au monde (3), vous nous déclarâtes que vous vous mettiez par la volonté de Dieu à la place de toutes les victimes de l'ancienne loi. Vous n'êtes donc pas seulement un holocauste entièrement consumé par le feu de l'amour divin qui absorbe tout en lui-même; mais vous êtes encore «la victime pour le péché (4), » sur laquelle on prononce tous les crimes : ou l'en charge : on les lui met sur la tête : on envoie après cette victime dans le désert : on la sépare de la société humaine : on l'excommunie. Ainsi a-t-on mis sur vous l'iniquité de nous tous : « Vraiment vous avez porté nos péchés (5) : » il a fallu vous mener hors de la ville

 

1 Psal. XXVI, 4. — 2 Psal. XXIX, 8, 9. — 3 Psal., XXXIX, 7-9. — 4 Levit., XVI, 5, 6,20, 21. —5 Isa., LIII, 4-6.

 

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pour vous attacher à votre croix (1), et vous avez pris sur vous « la malédiction qui porte : Maudit est celui qui pend sur un bois » infâme (2).

Allons avec larmes confesser nos péchés sur Jésus-Christ : mettons-les sur lui, afin qu'il les expie: pleurons, pleurons les peines qu'ils lui ont causées : tâchons en même temps de le décharger d'un si pesant fardeau, en nous repentant de nos crimes pour l'amour de lui. O Jésus, que je vous soulage : faites que je ne pèche plus, et que j'efface par la repentance mes péchés qui vous ont couvert de tant de plaies.

Brûlez-moi de ce « feu » que vous a êtes venu allumer sur la terre (3) : » consumez toutes mes inclinations par votre amour, et que je devienne cette pure flamme qui n'a que vous pour pâture : «Je viens, mon Dieu, » avec Jésus-Christ, « pour faire votre volonté (4). » Heureux qui finit sa vie par un tel acte ! Nous la devions commencer par là comme Jésus-Christ. Finissons-la du moins en nous consommant dans la volonté de Dieu. « Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains (5). »

 

1 Hebr., XIII, 11. — 2 Deuter., XXI, 23 ; Galat. III, 13. — 3 Luc., XII, 49. — 4 Psal. XXXII, 7-9. — 5 Psal., XXX, 6; Luc., XXIII, 46.

 

 

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