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PREMIER SERMON
POUR LE IIe  DIMANCHE DE L'AVENT (a).

 

Caeci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, sursi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizantur, et beatus est qui non fuerit scandalizatus in me.

 

Les aveugles reçoivent la vue, les sourds entendent, les estropiés marchent, les lépreux sont nettoyés et les morts revivent, l'Evangile est annoncé aux pauvres, et bienheureux est celui qui n'est point scandalisé en moi. Matth., XI, 5, 6.

 

Si vous voyez aujourd'hui que saint Jean-Baptiste envoie ses disciples à notre Sauveur pour lui demander quel il est, ne vous persuadez pas pour cela que l'Elie du Nouveau Testament et le

 

(a) ANALYSE, PAS BOSSUET.

 

Son cœur écoutait la voix de la misère, il sollicitait son bras.

L'âme se retirant de Dieu laisse le corps sans rigueur.

Péché plus grand que la peine.

Pauvres évangélisés.

Comment s'est-il pu faire : Scandalizantur in me? Raison pourquoi nous n'entendons pas l'œuvre de Dieu, scandalum : nous croyons que Dieu renverse tout quand il rebâtit comme l'entrepreneur.

Foi doit précéder la vue. Soumettre l'entendement aussi bien que la volonté. Croire ce qui est incroyable, faire ce qui est difficile.

Reconnaître la grâce, parce que la nature est scandalisée. Jésus-Christ scandale à tous, même aux chrétiens.

 

        Le manuscrit porte écrit de la main de Bossuet : « A Metz, contre les Juifs. » Tout nous indique dans ce sermon l'époque de Metz : la mauvaise écriture. qui court d'un bord à l'autre de la feuille; la longueur du discours et principalement de l'exorde, qui commence par une question qu'on dirait oiseuse, s'il y en avait en théologie; les interrogations sans la particule ne, et les passages où l'auteur parle longuement au pécheur au singulier; enfin les expressions surannées, comme celles-ci : « Les lépreux sont nettoyés, Agneau de Dieu qui purge les péchés du monde, le Fils de Dieu catéchise les pauvres, pillerie, tout l'œuvre du salut, bien faire, » pour, faire du bien, sens qui vieillissait selon l'Académie. mais que Bossuet a quelquefois adopté dans la grande époque de sa mission apostolique. Toutefois notre sermon respire moins le vieux langage, a moins d'emphase et renferme moins de citations que d'autres; il faut en fixer la date vers 1657.

        A cette époque les Juifs du monde entier, et particulièrement ceux de Metz, allaient offrir leur argent et leurs adorations à l'imposteur Sabathai-Sevi, qui se donnait pour le Messie dans l'empire turc et qui finit par embrasser l’islamisme. Emu d’une profonde compassion, Bossuet étudia les prophéties qu'il a si magnifiquement expliquées dans le Discours sur l'histoire universelle, eut de nombreuses conférences avec les Juifs et fit plusieurs conversions, dont une eut beaucoup de retentissement, celle des frères Veil. C'est à ce zèle du jeune archidiacre de Metz que nous devons le sermon qu’on va lire.

 

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grand précurseur du Messie ait ignoré le Seigneur auquel il venait préparer les voies. Je sais qu'il y a eu quelques personnes très-doctes, et entre autres le grave Tertullien (1), qui ont cru que dans le temps que saint Jean-Baptiste fit faire cette question au Sauveur, la lumière prophétique qui l'a voit jusqu'alors éclairé avait été éteinte en son âme; mais je ne craindrai point de vous dire, avec le respect que je dois aux auteurs de ce sentiment, qu'il n'y a aucune vraisemblance dans cette pensée. «Abraham a vu le jour de Notre-Seigneur ; Isaïe a vu sa gloire et nous en a parlé, » nous dit l'évangéliste saint Jean (2); tous les prophètes l'ont connu en esprit ; et le plus grand des prophètes l'aura ignoré ! Celui qui a été envoyé pour rendre témoignage de la lumière, aura été lui-même dans les ténèbres! Et après avoir tant de fois désigné au peuple cet Agneau de Dieu qui purge les péchés du monde, après avoir vu le Saint-Esprit descendre sur lui lorsqu'il voulut être baptisé de sa main, tout d'un coup il aura oublié ce qu'il a fait connaître à tant de personnes! Vous voyez bien, fidèles, que cela n'a aucune apparence.

Mais pourquoi donc, direz-vous, pourquoi lui envoyer ses disciples pour s'informer de lui s'il est vrai qu'il soit le Messie? Qui interroge, il cherche ; qui cherche, il ignore. S'il connaissait quel était Jésus-Christ, quelle raison peut-il avoir de lui faire ainsi demander? Ne craignait-il pas que son doute ébranlât la foi de plusieurs et diminuât beaucoup de l'autorité du témoignage certain qu'il a si souvent rendu au Sauveur? — C'est tout ce qu'on nous peut opposer. Mais cette objection ne m'étonne pas; au contraire ce qu'on m'oppose, je veux le tirer à mon avantage. Je dis qu'il interroge, parce qu'il sait; il demande au Sauveur Jésus quel il est, parce qu'il commit très-bien quel il est. Comment cela, direz-vous? — C'est ici, chrétiens, la vraie explication de notre évangile

 

1 Advers. Marcion., lib. IV.— 2 Joan., VIII, 56; XII, 41.

 

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et le fondement nécessaire de tout ce discours. Saint Jean, qui connaissait le Sauveur qu'il avait prêche tant de fois, savait bien qu'il n'appartenait qu'à lui seul de dire quel il était et de se manifester aux hommes, desquels il venait être le précepteur. C'est pourquoi il lui envoie ses disciples, afin qu'ils soient instruits par lui-même touchant sa venue, que lui seul était capable de nous déclarer. Ainsi n'appréhendez pas, chrétiens, qu'il détruise le témoignage qu'il a donné de Notre-Seigneur ; car lui faisant demander à lui-même ce qu'il faut croire de sa personne, il fait bien voir qu'il reconnaît en lui une autorité infaillible et qu'il ne lui envoie ses disciples que pour être formés de sa main et enseignés de sa propre bouche. Ne pouvant plus annoncer sa venue aux hommes, parce qu'il était retenu aux prisons d'Hérode, il prie Notre-Seigneur de se faire connaître lui-même ; et lui faisant faire cette ambassade en présence de tout le peuple, il a dessein de tirer de lui quelque instruction mémorable pour les spectateurs, qui s'imaginaient le Messie tout autre qu'il ne devait être.

        En effet il ne fut point trompé. Jésus, qui connaissait sa pensée et qui voulait récompenser son humilité, fait voir à ses disciples les effets de sa puissance infinie. Il guérit devant eux tous les malades qui se présentèrent, il leur découvre son cœur, il leur donne des avis importants pour connaître parfaitement le secret de Dieu et détruire une fausse idée du Messie qui avait préoccupé les Juifs trop charnels; et sachant que son bien-aimé précurseur ne pouvait avoir de plus grande joie que d'apprendre la gloire de son bon Maître, il commande aux envoyés de saint Jean de lui en rapporter les nouvelles, lui voulant donner cette consolation dans une captivité qu'il souffrait pour l'amour de lui. « Allez-vous-en, dit-il, rapporter à Jean les merveilles que vous avez vues; » dites-lui que « les sourds entendent, que les aveugles reçoivent la vue, que la vie est rendue aux morts (a), que l'Evangile est annoncé aux pauvres, et qu'heureux est celui qui n'est point scandalisé en moi. » Comme s'il eût dit : Les Juifs trompés par l'écorce de la lettre et parles sentiments de la chair, attendent le Messie comme un puissant roi qui se mettant à la tête de grandes armées, subjuguera tous

 

(a) Var. : Que les morts sont ressuscités.

 

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leurs ennemis, et qui se fera reconnaître par l'éclat d'une pompe mondaine et par une magnificence royale. Mais Jean instruit des secrets de Dieu, sait qu'il doit être manifesté par des marques bien plus augustes, encore que selon le monde elles aient beaucoup moins d'apparent. Allez-vous-en donc et lui racontez les guérisons admirables que vous avez vues de vos propres yeux. Dites-lui que l'auteur de tant de miracles ne dédaigne pas de converser parmi les pauvres, au contraire qu'il les assemble près de sa personne pour les entretenir familièrement des mystères du royaume de Dieu et des vérités éternelles; et toutefois que nonobstant et le pouvoir par lequel je fais de si grandes choses, et l'incroyable douceur par laquelle je condescends à l'infirmité des plus pauvres et des plus abjects, bienheureux est celui à qui je ne donne point de scandale. Dites ceci à Jean, à ces marques il connaîtra bien qui je suis.

Tel est le sens de tout ce discours, très-court en apparence et très-simple, mais plein d'un si grand sens et de tant de remarques illustres tirées des prophéties anciennes qui parlent de la grandeur du Messie, que toute l'éloquence humaine ne suffirait pas à vous en étaler les richesses. Toutefois j'ose entreprendre, fidèles, avec l'assistance divine, d'en découvrir aujourd'hui les secrets selon la mesure qui m'est donnée. Je suivrai pas à pas le texte de mon évangile, conférant les paroles de notre Sauveur avec les actions de sa vie et les prédictions des prophètes, dont nous avons ici un tissu. Nous admirerons tous ensemble la profonde conduite de Dieu dans la manifestation de son Fils. Mais pour y procéder avec ordre, réduisons tout cet entretien à trois chefs tirés des propres paroles du Fils de Dieu. Je remarque trois choses dans son discours, qu'il guérit les malades, qu'il catéchise les pauvres, qu'il scandalise les infidèles. Dans ses miracles, je vois sa bonté en ce qu'il a pitié de nos maux; dans ses instructions, je vois sa simplicité en ce qu'il ne lie de société qu'avec les plus pauvres; enfin dans le scandale qu’il donne, je vois les furieuses oppositions que l'on fera à sa salutaire doctrine.

Viens, ô Juif incrédule, viens considérer le Messie; viens le reconnaître par les vraies marques que t'ont données tes propres

 

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prophètes. Tu crois qu'il manifestera son pouvoir, établissant en la terre un puissant empire auquel il joindra toutes les nations, ou par la réputation de sa grandeur, ou par ses armes victorieuses. Sache que sa puissance n'éclatera que par sa bonté et par la tendre compassion qu'il aura de nos maladies. Tu te le représentes au milieu d'une cour superbe, environné de gloire et de majesté; apprends que sa simplicité ne lui permettra pas d'avoir d'autre compagnie que celle des pauvres. Enfin tu t'imagines voir couler sa vie dans un cours continuel de prospérités, au lieu qu'elle ne sera pas un seul moment sans être injustement traversée. En un mot le Messie promis par les oracles divins doit être un homme infiniment miséricordieux, dont le cœur s'attendrira à l'aspect des misères de notre nature, qui recevra les pauvres en sa plus intime familiarité et épandra sur eux les trésors de sa sagesse incompréhensible, en les catéchisant avec une affection paternelle ; qui nonobstant son inclination libérale, et la candeur de sa vie innocente, et sa naïve simplicité, recevra mille malédictions des hommes ingrats, sans que pour cela il cesse de leur bien faire. Voilà quel de voit être le Sauveur du monde. O Dieu, qu'il est bien autre que les Juifs ne se l'imaginent! S'il fût venu avec une pompe royale, les pauvres n'auraient pas osé approcher de lui ni même le regarder ; tout le monde lui eût fait la cour, bien loin de le charger d'imprécations. C'est pourquoi étant venu pour souffrir, il a pris une condition d'esclave ; étant venu pour les pauvres, il a voulu naître pauvre, afin de pouvoir être familier avec eux. C'est le véritable portrait du Messie notre unique libérateur, tel qu'il nous est désigné par les prophéties, tel qu'il nous est montré dans son Evangile. Considérons en détail, chrétiens, cet adorable tableau. Mais admirons avant toutes choses le premier trait de cette salutaire peinture que notre évangéliste nous a tracée; et voyons paraître la toute-puissance du Sauveur Jésus par le remède qu'il apporte à nos maladies. C'est le premier point de mon discours.

 

PREMIER POINT.

 

Pourrais-je bien vous dire, fidèles, combien de pauvres malades et combien de sortes de maladies a guéri notre miséricordieux

 

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médecin ? Vous eussiez vu tous les jours à ses pieds les aveugles, les sourds, les fébricitants, les paralytiques, les possédés, en un mot et enfin tous les autres infirmes, qui connaissant sa grande bonté, voyaient que c'était assez de lui exposer leurs misères pour obtenir de lui du soulagement. Encore ce médecin charitable leur épargnait souvent la peine de le chercher, lui-même il parcourait la Judée; et comme dit l'apôtre saint Pierre, « il passait bien faisant et guérissant tous les oppressés : » Pertransiit benefaciendo et sanando omnes oppressos à diabolo (1). Dieu éternel! les aimables paroles, et qu'elles sont bien clignes de mon Sauveur! La folle éloquence du siècle, quand elle veut élever quelque généreux conquérant , dit « qu'il a parcouru les provinces, moins par ses pas que par ses victoires : » Non tam passibus quàm victoriis peragravit (a). Les panégyriques sont pleins de ces sortes d'exagérations. Et qu'est-ce à dire, parcourir les provinces par les victoires? N'est-ce pas porter partout le carnage, la désolation et la pillerie? Telles sont les suites de nos victoires.

Ah ! que mon Sauveur a parcouru la Judée d'une manière bien plus admirable! Je puis dire véritablement qu'il l'a parcourue moins par ses pas que par ses bienfaits : Pertransiit benefaciendo. Il allait de tous côtés visitant ses malades, distribuant partout un baume céleste, je veux dire une miraculeuse vertu qui sortait de son divin corps, devant laquelle on voyait disparaître les fièvres les plus mortelles et les maladies les plus incurables : Pertransiit benefaciendo. Et ce n'était pas seulement les lieux où il arrêtait quelque temps, qui se trouvaient mieux de sa présence. Il rendait remarquables les endroits dans lesquels (b) il passait, par la profusion de ses grâces. En cette bourgade il n'y a plus d'aveugles ni d'estropiés ; sans doute, disait-on, le bienfaisant Jésus a passé par là : Pertransiit. Et en effet, chrétiens, quelle contrée de la Palestine n'a pas expérimenté mille et mille fois combien était présent le remède que les infirmes et les languissants trouvaient dans le secours de sa main puissante ? C'est aussi ce que le prophète Isaïe,

 

1 Act., X, 38.

(a) Comme le remarque Déforis, Pline le Jeune adresse à peu près la même parole à Trajan : Quam orbem terrarum non pedibus magis quàm laudibus peragrares. — (b)  Var. : Par où.

 

 

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que les Pères ont appelé l'évangéliste de la loi ancienne, tant ses prédictions sont précises; c'est, dis-je, ce que le prophète Isaïe célèbre avec son élégance ordinaire , dans le chapitre XXXV de sa prophétie : « Dites aux affligés, nous dit-il, à ceux qui ont le cœur abattu par leurs longues calamités, dites-leur qu'ils se fortifient. Voici venir notre Dieu qui les vengera : Dieu viendra lui-même et nous sauvera : » Deus ipse veniet et salvabit nos  (1). Quel est ce Dieu qui vient nous sauver, si ce n'est le Sauveur Jésus, duquel le même Isaïe a écrit qu'il serait appelé Emmanuel, Dieu avec nous? Un Dieu avec nous, n'est-ce pas à dire un Dieu-Homme ? Dieu donc viendra lui-même, dit Isaïe, Dieu viendra lui-même pour nous sauver. Vous voyez qu'il est parlé là du Messie. « Et alors, poursuit-il (2), c'est-à-dire à la venue du Sauveur, les oreilles des sourds et les yeux des aveugles seront ouverts ; alors celui qui était perclus sautera agilement comme un cerf, et la langue des muets sera déliée. » Ne voyez-vous pas, chrétiens, que le discours de notre Sauveur, dans l'évangile que nous exposons, est tiré de celui du prophète? « Les sourds entendent, dit le Fils de Dieu, les aveugles voient, les boiteux marchent. » Il se plait de toucher, quoiqu'on peu de mots, les prophéties qui s'accomplissent en sa personne, afin de nous faire comprendre ce que l'apôtre saint Paul nous a si évidemment démontré, « qu'il est la fin de la loi (3) » et l'unique sujet de tous les oracles divins.

Donc, mes frères, reconnaissons la puissance de notre Sauveur dans les remèdes qu'il nous apporte, touché de compassion de nos maux. Certes je sais que le Fils de Dieu venant enseigner sur la terre une doctrine si incroyable qu'était la sienne, il fallait qu'il la confirmât par miracles et qu'il justifiât la dignité de sa mission par des effets d'une puissance surnaturelle. Mais cela n'empêche pas que je ne remarque la bonté qu'il a pour notre nature, dans le plaisir singulier qu'il reçoit de donner la guérison à nos maladies. Oui, je soutiens que tous ses miracles viennent d'un sentiment de compassion. Plusieurs fois considérant les misères qui agitent la vie humaine , il ne nous a pas pu refuser ses larmes. Jamais il ne vit un misérable qu'il n'en eût pitié; et je pense certainement

 

1 Isa., XXXV, 4. — 2 Ibid., 5, 6. — 3 Rom., X, 4.

 

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qu'il eût été chercher les malheureux jusqu'au bout du monde, si les ordres de Dieu son Père et l'ouvrage de notre rédemption ne l'eussent arrêté en Judée. «J'ai, dit-il, compassion de ce peuple (1),» avant que de multiplier les cinq pains. Il fut « mû de miséricorde, dit l'évangéliste, et rendit l'enfant à la mère (2). » Dans toutes les grandes guérisons qu'il fait, il ne manque jamais de donner des marques qu'il déplore nos calamités; d'où je conclus très-certainement que sa compassion a fait presque tous ses miracles. La première grâce qu'il faisait aux infirmes, c'était de les plaindre avec l'affection d'un bon père. Son cœur écoutait la voix de la misère qui l'attendrissait, et en même temps il sollicitait son bras pour la soulager. Son amour ne se rebute pas par le mauvais traitement que nous lui faisons. En voulez-vous voir un exemple admirable ? Un Juif le priant de guérir son fils effroyablement tourmenté : « Race infidèle et maudite, dit-il, jusqu'à quand serai-je avec vous et faudra-t-il toujours vous souffrir? Amenez ici votre fils. Race infidèle et maudite.....amenez ici votre fils (3). » Quelle est la suite de ces paroles ? et qu'elles semblent mal digérées ! Pourquoi dans un même discours assembler une juste indignation et un témoignage certain de tendresse? C'est qu'il se remit en l'esprit que c'était un homme, et un homme extrêmement misérable ; et cette seule considération lui fit perdre toute sa colère ; elle tombe désarmée, comme vous voyez, et vaincue par cet objet de pitié. En vérité la malice des Juifs était montée à un grand excès! Leurs mépris, leur ingratitude le dégoûtaient fort; il ne les pouvait presque plus souffrir : toutefois, dit-il, « amenez votre fils, je le guérirai. » Vous remarquez bien que sa naturelle bonté l'oblige presque par force à nous gratifier et extorque de lui des bienfaits pour nous. Jugez combien était grande l'inclination qu'il avait de bien faire aux hommes, puisque ni la haine la plus furieuse, ni l'envie la plus envenimée ne pouvaient arrêter le cours de ses grâces. C'est qu'il était sincèrement bon et qu'il avait pitié de nos maux. Et certes puisqu'il n'y avait autre chose que notre extrême misère qui l'obligeât de venir à notre secours, il devait descendre sur terre, comme dit l'apôtre saint Paul (4), « revêtu d'entrailles de

 

1 Marc. VIII, 2. — 2 Luc., VII, 13, 15. — 3 Matth., XVII, 16. — 4 Coloss., III, 12.

 

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miséricorde. » Car qu'y avait-il de plus convenable au Sauveur. que de plaindre ceux qui étaient perdus ; à celui qui devait nous guérir, que d'être touché de nos maladies ; et à notre libérateur, que de déplorer notre servitude?

C'est ici le lieu, chrétiens, d'élever plus haut nos esprits ; et après avoir considéré le Sauveur guérissant les maladies de la chair, il faut passer à une réflexion plus spirituelle et parler de la guérison des esprits, dont celle des corps n'était que l'image. Car si vous voyez son cœur tellement ému des maux que souffrent nos corps, avec quels gémissements pensez-vous qu'il pleure les calamités de nos âmes? Jugez-en vous-mêmes par ce raisonnement. Certes ce n'est pas une chose fort étrange que notre corps souffre puisqu'il est passible, ni qu'il languisse puisqu'il est infirme, ni qu'il meure puisqu'il est mortel : telle est sa qualité naturelle. Nous n'avons pas accoutumé de plaindre les bêtes de ce qu'elles n'ont pas de raison, ni de déplorer la condition des créatures inanimées de ce qu'elles sont sans sentiment et sans vie ; c'est que ce sont des choses communes, trop dans l'ordre de la nature pour être un sujet de compassion. Toute compassion est une douleur; la douleur s'excite singulièrement par les accidents étrangers et inopinés. Et sachant de quelle matière nos corps ont été ramassés, à quoi ne devons-nous pas nous attendre? Mais qu'une âme d'une nature immortelle, animée de je ne sais quoi de divin, composée, si je puis parler de la sorte, de cette flamme toute pure et toute céleste dont les intelligences ont été formées, une âme de qui la raison est un éclat de la sagesse éternelle; et l'essence une image de l'essence même de Dieu ; une âme qui étant telle ne peut être née que pour la souveraine félicité : qu'elle soit précipitée dans un abime de maux infinis; qu'elle soit toujours aveugle, toujours languissante et justement condamnée à souffrir la dernière et éternelle désolation, c'est pour cela, mes frères, que la plus tendre compassion ne saurait avoir ni des plaintes assez lugubres, ni des larmes assez amères. Tu trouves cet homme bien misérable de ce qu'ayant perdu la vue corporelle, il ne peut plus jouir de cette lumière qui naît et qui périt tous les jours ; et tu penses que c'est un petit malheur que l’âme soit enveloppée d'épaisses ténèbres qui lui cachent les

 

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vérités éternelles qui seules devraient luire à notre raison! Ce pauvre corps perclus de ses membres te touche d'une sensible compassion ; et tu ne plains pas cette âme, qui par une brutale stupidité a toutes ses fonctions interdites ! Ce misérable hydropique te fait pitié, parce que tu le vois toujours boire sans que sa soif puisse être étanchée ; et tu regardes sans douleur cet avare, cet ambitieux, dont l'un hume sans cesse de la fumée, et l'autre emploie tout son âge à entasser des biens qu'il perdra tous en un seul moment, sans que ni l'un ni l'autre puisse jamais éteindre la soif de ses passions infinies ! N'est-ce pas être dépourvu de sens?

Aussi je ne doute pas que le Fils de Dieu n'ait jugé nos âmes d'autant plus dignes de sa pitié et miséricorde (a), que la dignité en est plus relevée et les misères plus véritables. Et cela même m'oblige de croire que, lorsque son cœur était attendri sur les maladies dont cette chair mortelle est si cruellement tourmentée, il n'arrêtait pas sa pensée au corps; sans doute qu'il allait bien plus haut, et qu'en voyant l'effet, aussitôt il remontait à la cause qui est le péché. S'il témoigne du déplaisir de voir les infirmités de la chair, et de la joie d'y apporter le remède, c'est afin de nous faire voir que tout l'homme lui est très-cher, et que s'il aime si tendrement la partie la plus abjecte, il a des transports incroyables pour la plus noble et la plus divine (b) . Bien plus remarquez, s'il vous plaît, ce raisonnement. C'est une chose constante qu'il ne plaignait le corps qu'à cause de l’âme , que dans toutes les maladies corporelles, il considérait le péché qui en est la source. Quand il regardait cette pauvre chair exposée de toutes parts aux douleurs, dont les infirmités ne peuvent pas être comptées, ah ! ne croyez pas qu'il arrêtât son esprit au corps. O Dieu tout-puissant, disait-il (permettez-moi, mon Sauveur Jésus, de pénétrer ici dans vos sentiments; sans doute qu'ils sont vôtres, puisqu'ils sont de vos Ecritures); donc, ô Dieu, disait-il, si les hommes fussent demeurés en l'heureux état ou mon Père les avait mis en leur origine, ils n'auraient pas été

 

(a) Var. : De compassion.— (b) C'est pourquoi la compassion que Jésus-Christ témoigne des maux du corps, bien qu'elle soit très-sincère et très-véhémente, n’est en aucune façon comparable à la douleur qui le saisissait lorsqu'il considérait la perle des âmes.

 

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ainsi misérables. Là leur bonheur eût été la divinité, et leur vie l'immortalité.

Et en effet, chrétiens auditeurs, tant que cette innocence eût duré, Dieu s'unissant intérieurement à nos âmes, y eût versé l'influence de vie avec une telle abondance, qu'elle se fût débordée sur le corps ; de sorte que l'homme vivant de Dieu n'aurait eu aucun trouble en l'esprit ni aucune infirmité en la chair. Le péché nous ayant retirés de Dieu, il a fallu nous faire voir combien nous perdions; tellement que l’âme ne buvant plus à cette fontaine de vie éternelle, devenue elle-même impuissante, elle a aussi laissé le corps sans vigueur. C'est pourquoi je ne m'étonne pas si la mortalité s'en est emparée ; et dès lors cette chair qui tend à la mort, a été découverte à toute sorte d'injures ; et penchant continuellement à sa fosse, elle est devenue sujette nécessairement à de grandes vicissitudes, et par conséquent à de mortelles altérations. Et dans tous ces malheurs, que voyons-nous autre chose, fidèles, car je vous en fais juges, qu'une juste punition de notre péché, d'autant qu'il était plus que juste que l'incorruptibilité abandonnât l'homme, puisqu'il ne voulait plus en jouir avec Dieu ? Ce qui étant ainsi supposé, il est très-certain que le Fils de Dieu, qui d'abord pénétrait toutes choses, quand il voyait les fièvres, les paralysies et les autres maladies corporelles, allait à la source du mal, je veux dire à cette première désobéissance. Dans la peine il ne considérait que le crime, et c'est ce qu'il déplorait davantage. Il savait bien que les afflictions de la chair n'étant que la punition, elles ne pouvaient pas être le plus grand mal. Il n'est pas en la puissance même de Dieu qu'il y ait une misère plus grande que le péché. Je sais que cette vérité offense les sens humains; hélas! mortels ignorants que nous sommes, nous ne comprenons pas quelle misère c'est que d'offenser Dieu!

Dites à un homme qui est sur la roue, s'il lui reste assez de sentiment pour vous écouter; dites-lui qu'il est malheureux, non pas tant de ce qu'il est puni que de ce qu'il est coupable ; que sa plus grande misère est d'être homicide, et non pas d'être rompu vif, quand est-ce qu'il entendra ce discours? Son âme oppressée de tourments, ne s'arrête qu'au plus sensible et non pas au plus

 

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raisonnable. Il s'irritera contre vous, et une telle proposition lui augmenterait son supplice. Et toutefois est-il rien de plus nécessairement véritable? Car c'est une chose certaine, que la plus grande misère vient du plus grand mal (a); et je ne craindrai point d'assurer que la peine, au lieu d'être un mal, est un bien, d'autant que ce qui fait le mal, c'est l'opposition au souverain bien qui est Dieu. Or la peine n'est pas contre Dieu, au contraire elle s'accorde avec sa justice : est-il pas très-juste que le pécheur souffre, et que le crime ne demeure pas impuni? Et la justice n'est-ce pas un grand bien ? Par conséquent si la peine est un mal, ce n'est qu'à l'égard du particulier ; mais c'est un très-grand bien à l'égard de l'ordre commun. Et comment ? C'est que le péché met le désordre dans l'univers. C'est un désordre visible que les commandements du souverain soient mal observés ; donc le péché met le désordre au monde. Et toutefois le Maître de l'univers ne peut souffrir de désordre dans son ouvrage. Que fait-il? Il établit deux ordres : l'un de ses règlements éternels sur lesquels les volontés droites sont composées ; l'autre, c'est l'ordre de la justice qui range les volontés déréglées. Ces deux ordres sont fondés tous deux sur cette loi immuable, qu'il faut que la volonté divine se fasse ou dans l'obéissance des bons, ou dans le supplice des criminels. « Ceux qui ne veulent pas faire ce qu'il veut, lui-même il en fait ce qu'il veut, » dit saint Augustin : Cùm faciunt quod non vult, hoc de eis facit quod ipse vult (1).

Tu n'as pas voulu te mettre dans l'ordre, tu le souffriras ; je veux dire : Tu as voulu échapper, ô pécheur, de l'ordre des règles divines qui t'avaient été proposées ; tu retomberas dans l'ordre de sa justice. Et quel est l'ordre de la justice ? C'est que c'est une chose très-bien ordonnée, que les volontés rebelles soient châtiées ; que ceux qui ont méprisé la bonté de Dieu, éprouvent en eux-mêmes la sévérité de sa rigoureuse justice ; qu'étant sortis autant qu'ils ont pu de son domaine par leur révolte, ils y soient ramenés par leur peine, afin que tout ploie sous la main de Dieu ou par inclination, ou par force. Par conséquent la peine est dans l'ordre,

 

1 Serm. CCXIV, n. 3.

(a) Var. : Car la ptua grande misère vient du plus grand mal.

 

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parce qu'elle ramène dans l'ordre ceux qui s'en étaient dévoyés : et donc elle est très-bonne à la conduite générale de l'univers, parce que l'ordre est le bien général ; et encore qu'elle fasse souffrir le particulier, il y a du bien dans ce mal qu'il souffre, parce qu'il y a de la règle et de la raison. Donc pour aller plus loin, il se trouvera que le péché seul est le mal proprement dit et essentiel, qui n'a aucun mélange de bien. Il faut qu'il soit le souverain mal, parce qu'il est souverainement opposé au souverain bien. Donc il est vrai ce que je disais, que la plus grande misère c'est le péché, parce que la plus grande misère c'est le plus grand mal. Donc si le péché et l'enfer pouvaient être des choses séparées, il fau-droit conclure nécessairement que le péché serait un mal sans aucune comparaison plus grand que l'enfer; et partant que les réprouvés seraient misérables, moins à cause qu'ils sont damnés qu'à cause qu'ils sont pécheurs. Et encore que le sens humain y répugne, il faut que les vérités éternelles l'emportent et qu'elles captivent nos entendements.

Et ainsi pour revenir à notre discours, nous devons croire que tant de pécheurs ont excité dans le cœur de notre Sauveur une douleur qui ne peut être comprise. Ah! si notre Seigneur Jésus-Christ a eu une douleur si sensible pour les moindres de tous les maux, qui sont ceux qui travaillent ce corps mortel, il n'est pas imaginable combien ardemment il a désiré de donner le remède aux péchés qui abîmaient les âmes qu'il était venu racheter, dans la dernière extrémité de misères. C'est pourquoi s'il a donné des larmes aux maux du corps, il a donné aux maladies de nos aines jusqu'à la dernière goutte de son divin sang. S'il a guéri les infirmités corporelles par la vertu de sa seule parole avec une incroyable facilité, il a voulu purger nos iniquités avec des douleurs incompréhensibles; comme dit le prophète Isaïe (1), que « Dieu l'a frappé pour les péchés de son peuple, qu'il a porté nos péchés sur son dos et que nous avons été guéris par ses plaies. » C'est par ce sang et par ces souffrances qu'il a ouvert à la maison de David cette belle et admirable fontaine dont parle le prophète Zacharie en son chapitre XIII : « En ces jours-là, dit-il, jaillira une fontaine à la maison

 

1 Isa., LIII, 4, 5.

 

 

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de David et aux habitons de Jérusalem, pour la purification des pécheurs (1). » C'est à vous, c'est à vous, chrétiens, qu'est ouverte cette fontaine. Vous êtes les vrais habitons de Jérusalem, parce que vous êtes les enfants de l'Eglise et les héritiers des promesses qui ont été faites à la synagogue. Vous êtes la maison de David, parce que vous êtes incorporés à Jésus le fils de David, et que sa chair et son sang ont passé à vous. Accourez donc à cette miraculeuse fontaine, venez y laver vos iniquités. On court avec tant d'empressement à ces bains que l'on s'imagine être salutaires au corps, et on néglige ces divines eaux où se fait la purgation de nos âmes. O stupidité! à aveuglement! Si vous avez bien compris, chrétiens, quel mal c'est que d'offenser Dieu, combien il est terrible et inconcevable, que ne courez-vous au remède que le miséricordieux Jésus vous présente dans la pénitence? Ah! fidèles, c'est par ce canal que coulent ces eaux saintes et purifiantes.

O Dieu! que je m'estimerais bienheureux, si j'avais pu servir à vous faire entendre que les plus cruelles maladies sont moins que rien, si nous les comparons au venin, à la peste qu'un seul péché mortel porte dans nos âmes! Prions donc le miséricordieux Médecin qui a tant pitié de nos maux, qu'il fasse ce qu'il voudra de nos corps, pourvu qu'il sauve les âmes. Quand nous sommes dans les douleurs violentes, répandons notre cœur devant lui, et disons avec une foi vive : Charitable et miséricordieux Médecin, descendu du ciel pour me traiter de mes maladies qui sont innombrables, ou je suis bien malade en mon corps, si mes douleurs sont aussi grandes que je les ressens; ou je suis bien malade en mon âme, puisque je m'afflige si fort pour de petits maux; ou plutôt je suis bien malade en l'un et en l'autre, parce que et les douleurs que je sens sont très-aiguës, et que mon esprit s'abat trop pour des maux qui, tout cruels qu'ils sont, sont aucunement supportables. J'avoue devant vous, ô mon Dieu, que la raison devrait tenir le dessus plus qu'elle ne fait; mais que ferai-je? Ma chair est infirme; et vous savez, Seigneur, combien elle pèse à l'esprit. Pourquoi est-ce, ô bon Médecin, que vous ne me rendez pas la santé? Vos grands miracles me font bien connaître que la puissance de me soulager

 

1 Zach., XIII, 1.

 

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ne vous manque pas. Que vous ne soyez point touché de ce que j'endure, vous qui avez toujours eu une si grande compassion pour les misérables, vous que nos seules misères ont attiré en ce monde afin de remédier à nos maux, ah ! certainement je ne le puis croire, et sans doute cela n'est pas. Il faut donc dire nécessairement qu'il n'est pas expédient que je guérisse, et qu'il est expédient que je souffre; ainsi soit-il, puisqu'ainsi vous plaît. Cette médecine est amère, mais elle me doit être très-douce d'une main si chère et si bienfaisante. Oui, je le reconnais, mon Sauveur, il n'est pas encore temps de guérir mon corps. Il viendra, il viendra, ce temps bienheureux, où vous établirez dans une incorruptible santé cette chair que vous avez aimée, puisque vous en avez pris une de même nature. Alors ma chair se portera bien, parce qu'elle sera faite semblable à la vôtre, à laquelle j'ai participé dans vos saints mystères. Souffrons en attendant, si vous le voulez. Mais du moins, ô ma douce espérance, ô mon aimable consolateur, guérissez les maladies de mon âme. Modérez les empressements de mon avarice, et l'ardeur de mes folles amours, et la dangereuse précipitation de mes jugements téméraires, et l'indiscrète chaleur de mon ambition mal réglée. Je n'ignore pas que mes maladies sont de justes punitions de mes crimes: vous, ô mon unique libérateur, qui pour moi tournez en bien toutes choses, faites que les peines de mes péchés soient le sceau de votre miséricorde, l'exercice de ma patience et l'épreuve de ma vertu (a).

En est-ce assez, fidèles, sur cette matière? Avez-vous pas connu Jésus-Christ comme médecin des infirmes? Voulez-vous que nous parlions en un mot de Jésus compagnon et évangéliste des pauvres, afin de considérer un peu plus longtemps Jésus scandale des infidèles? Renouvelez, s'il vous plaît, vos attentions.

 

SECOND  POINT.

 

Ce sera le prophète Isaïe qui nous ayant fait voir Jésus-Christ donnant la guérison à nos maladies, nous dira aussi qu'il est envoyé pour être l'évangéliste des pauvres; où, par le mot de pauvre», vous devez entendre généralement tous les affligés que Jésus

 

(a) Var. : De ma charité.

 

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devait évangéliser. c'est-à-dire leur porter de bonnes nouvelles. Cela étant ainsi supposé, écoutez maintenant Isaïe en son chapitre LXI, où il parle ainsi du Messie : « L'Esprit de Dieu, dit-il, est sur moi, à cause qu'il m'a oint (1). » Arrêtons-nous à ces mots, chrétiens, et pénétrons-en le sens. Je dis avant toutes choses que le prophète parle en la personne d'un autre, selon le style ordinaire de l'expression prophétique. Car nous ne lisons rien dans les Ecritures de l'onction du prophète Isaïe. Mais qui serait celui qui étant un peu instruit du christianisme, ne verrait pas que par ces paroles il a manifestement désigné le Sauveur du monde? L'Esprit de Dieu est sur moi, dit-il. Et lui-même n'a-t-il pas dit «qu'il sortirait une fleur de la racine de Jessé, et que sur elle reposerait l'Esprit du Seigneur (2)? » Vous savez que Jessé, c'est le père du roi David. Quelle est cette fleur de la racine de Jessé, sinon le Sauveur Jésus, qui est appelé par excellence le fils de David? Et n'est-ce pas sur lui que l'on a vu descendre le Saint-Esprit en la forme d'une colombe, quand il se fit baptiser par son précurseur? «C'est pour cela que le Seigneur m'a oint, » poursuit Isaïe. N'est-ce pas encore le Fils de Dieu que Dieu a oint de cette onction admirable, de laquelle même il tire son nom. Il est appelé indifféremment dans les saintes Lettres le Messie, le Christ de Dieu, l'oint de Dieu; et c'est dire la même chose en divers langages. Car comme dans la loi ancienne c'était par l'onction que les rois et les sacrificateurs étaient établis, le réparateur de notre nature devant être ensemble et roi du vrai peuple et l'unique sacrificateur du vrai Dieu, il est appelé oint de Dieu avec un titre de prérogative extraordinaire, d'autant que par la dignité de son onction il devait assembler en un la royauté et le sacerdoce, qui étaient séparés dans le premier peuple. Et n'entendez pas ici, chrétiens, quelque espèce d'onction corporelle; l'onction de notre pontife, c'est la divinité du Dieu Verbe. Car de même que la propriété des huiles et des onctions, c'est de s'étendre premièrement sur les choses auxquelles elles sont appliquées, et puis de les pénétrer autant qu'elles peuvent, de s'incorporer à elles en quelque façon et d'y être si intimement attachées qu'il ne s'en fasse qu'une même substance : ainsi la divinité du Verbe

 

1 Isa., LXVI, 1. — 2 Ibid., XI, 1, 2.

 

 

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s'unissant à l'humanité de Jésus, elle s'est premièrement répandue sur elle en son tout et en ses parties; elle l'a pénétrée si profondément , qu'elle s'y est effectivement incarnée ; de sorte que de l'une et de l'autre il ne s'est fait plus qu'un seul tout ensuite de cette union ineffable. C'est pourquoi le Sauveur Jésus est appelé par excellence oint et Christ, à cause de cette divine et miraculeuse onction.

Mais revenons au prophète Isaïe : « L'Esprit de Dieu est sur moi, à cause que le Seigneur m'a oint. Il m'a envoyé évangéliser les pauvres (remarquez les propres mots de notre évangile), guérir les cœurs affligés, prêcher la liberté aux captifs, annoncer l'an de pardon du Seigneur, consoler ceux qui pleurent et changer en joie la tristesse de ceux qui se lamentent en Sion : » jusqu'ici parle le prophète Isaïe. Et y a-t-il un seul mot dans tout ce discours, où vous ne voyiez clairement le Seigneur Jésus dans les effets de son Evangile? Aussi s'étant trouvé lui-même dans la synagogue où il lut cette prophétie, il montre évidemment qu'elle s'est accomplie en ses jours (1). Mais voulez-vous, mes frères, que je vous en fasse voir en un mot l'accomplissement? Allons, allons ensemble sur cette mystérieuse montagne où Jésus commence à ouvrir sa bouche, après s'être contenté jusqu'alors d'ouvrir celle de ses prophètes : Aperiens os suum dixit (2); allons à cette mystérieuse montagne, entendons-y la première prédication du Messie, voyons-lui faire l'ouverture de son Evangile et jeter les fondements de la loi nouvelle; c'est là qu'il commence d'évangéliser. C'est pourquoi s'étant souvenu que son ordre portait très-expressément d'évangéliser les pauvres et les misérables, c'est-à-dire, comme je l'ai déjà expliqué, de leur porter les bonnes nouvelles, dans cet admirable discours il adresse d'abord la parole aux pauvres : « O pauvres, que vous êtes heureux! car le royaume céleste vous appartient (3). » Quelle consolation aux pauvres, que Jésus si riche par sa nature et si pauvre par sa volonté, leur promette de si grandes richesses ! Quelles meilleures nouvelles leur pouvait-il dire? N'est-ce pas s'acquitter de l'office auquel il était destiné par les prophéties, d'évangéliser les pauvres? Ah! que je reconnais ici clairement

 

1 Luc., IV, 17.— 2 Matth., V, 2. — 3 Ibid., 3.

 

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celui duquel le Psalmiste a dit : Honorabile nomen eorum coram illo (1) ! Mais il poursuit de la même force. Isaïe, s'il vous en souvient, dit qu'il doit annoncer la consolation à ceux qui pleurent (2). « Bienheureux ceux qui pleurent, dit Notre-Seigneur (3), car ils seront consolés. » Isaïe nous apprend que le Messie devait prêcher l'an de pardon du Seigneur (4) ; c'est ce qui est appelé ailleurs le temps d'indulgence, le temps de miséricorde. Et n'est-ce pas ce que fait le Sauveur Jésus, nous annonçant la miséricorde en ces termes : « Bienheureux les miséricordieux, car on leur fera miséricorde (5)? » Isaïe assure qu'il doit annoncer à ceux qui se lamentent en Sion, que leur tristesse sera changée en joie (6). Sion, c'est le lieu du temple de Dieu, c'est la figure de son Eglise. Ceux qui se lamentent en Sion, ce sont ceux qui se plaignent de cet exil, qui éloignés de leur terre natale, souffrent ordinairement persécution dans ce triste pèlerinage. Jésus donc pour leur annoncer le changement de leur état misérable en une condition toujours bienheureuse, parle ainsi en ce même lieu : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux (7)! » C'est ainsi que Notre-Seigneur évangélise les affligés, exécutant ponctuellement les prophéties anciennes.

Pourquoi ne m'écrierai-je pas en ce lieu avec le grave Tertullien, dont j'ai tiré presque toutes les remarques que je viens de faire en son livre IV Contre Marcion (8); pourquoi, dis-je, ne m'écrierai-je pas avec lui : O Christum et in novis veterem ! « O que Jésus-Christ est ancien dans la nouveauté de son Evangile ! » Ce qu'il fait est nouveau, parce que personne ne l'avait fait avant lui ; ce qu'il fait est ancien , parce qu'il ne fait qu'accomplir les choses que la fidèle antiquité avait attendues. Quel autre a jamais apporté de meilleures nouvelles aux pauvres que celles que le pauvre Jésus leur a annoncées, quand il leur a prêché sa venue ? O pauvres, réjouissez-vous, voici un compagnon qui vous vient ; mais un compagnon si grand et si admirable, qu'il vaut mieux être pauvre en sa compagnie que d'être le maître et le tout-puissant dans les

 

1 Psal. LXXI, 14. — 2 Isa., LXI, 2. — 3 Matth., V, 5. — 4 Isa., LXI, 2. — 5  Matth., V, 7. — 6 Isa., VII. 3. — 7 Matth., V, 10.— 8 Adver. Marcion., lib. IV. n. 21.

 

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assemblées des mondains. Ne vous étonnez pas si vous êtes le rebut du monde : tel était Jésus-Christ lorsqu'il a paru sur la terre et  a conversé parmi les hommes. Les pauvres, ses bons amis, apprirent les premiers sa venue, parce que c'était pour eux qu'il venait ; et il ne voulut être reconnu que par les marques de sa pauvreté. La suite de sa vie n'a pas démenti sa naissance. Plus il s'est avancé dans l'âge, plus il a mis les pauvres dans ses intérêts, qui n'étaient autres que la gloire de Dieu. C'est eux qu'il admet dans sa confidence, c'est à eux qu'il découvre tous ses mystères, c'est eux qui sont choisis pour les ministres de son royaume et les coadjuteurs de son grand ouvrage. Courage donc, ô pauvres de Jésus-Christ ! Que toute la terre vous méprise, c'est assez que vous ayez Jésus-Christ pour vous. Vous n'avez point d'accès dans la cour des rois ; mais souvenez-vous que c'est là que règne la confusion et le trouble. Courez à Jésus-Christ, ô vous qui êtes oppressés, ô malades, nécessiteux, misérables, généralement qui que vous soyez ; vous y trouverez la paix de vos âmes. Ecoutez la voix amoureuse qui vous appelle. Jetez-vous entre ses bras avec confiance, il les a toujours ouverts pour vous recevoir. Seulement souffrez votre pauvreté avec patience ; ne murmurez ni contre Dieu ni contre les hommes. Attendez doucement le temps de votre consolation; et souvenez-vous que si le monde vous tourmente, vous servez un Maître qui l'a surmonté, qui n'a pu plaire au monde et à qui le monde aussi n'a pu plaire. C'est ce qu'annonce aux pauvres le Sauveur Jésus. Dites-moi, en vérité, chrétiens, pouvait-il leur dire de meilleures nouvelles? Et n'avons-nous pas raison d'assurer que c'est lui véritablement qui est envoyé pour être l’évangéliste des pauvres?

 

TROISIÈME POINT.

 

Ce qui m'étonne, fidèles, c'est que le Sauveur du monde étant tel que nous le venons de dépeindre, on ait été offensé de sa vie. Repassons en peu de mots, je vous prie, sur les choses que nous avons dites, et étonnons-nous devant Dieu que l'on ait pu être scandalisé en notre Sauveur. Et premièrement ses miracles devaient-ils pas faire taire les bouches les plus médisantes? Une

 

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mission si bien attestée devait-elle être jamais contestée (a) ? Encore s'il eût fait des miracles qui n'eussent de rien servi que pour faire éclater son pouvoir, peut-être aurait-on pu dire qu'il y avait de l'ambition dans ces grands ouvrages. Mais je vous ai montré que tous ses miracles ont pris leur naissance dans une tendre compassion de nos maux, et jamais il n'a fait un pas que pour le bien de ce peuple ingrat. Faisons (b) néanmoins qu'une noire envie ait encore pu se persuader qu'il se servait du don de Dieu pour s'acquérir du crédit, qu'avait-on à dire contre sa simplicité? L'a-t-on vu à la porte des grands pour mendier leur faveur? S'est-il intrigué dans les affaires du monde ? A-t-il flatté l'ambition et l'arrogance des princes ? Au contraire n'a-t-il pas mené une vie non-seulement commune et privée, mais très-abjecte et très-basse, marchant en toute simplicité, vivant et conversant avec les pauvres, souffrant toujours injustice sans jamais se plaindre? Il est vrai qu'il était méprisé, mais il ne se souciait point des honneurs; pauvre, mais il ne demandait point de richesses, bien qu'il n'eût pas seulement un gîte assuré pour reposer sa tête. Pouvait-il s'acquitter plus dignement de sa charge de prédicateur? Il allait enseignant la parole de vie éternelle que Dieu lui avait mise à la bouche. Il n'en-floit pas son discours par de superbes pensées ou par le faste d'une éloquence mondaine ; mais il le remplissait d'une doctrine céleste, de vérités divines, qui donnaient aux âmes une nourriture solide et allaient jusqu'à la racine de nos maladies. Tantôt il attirait les peuples par la douceur, tantôt il les reprenait sans les épargner, jusqu'à les appeler les enfants du diable, leur prêchant les oracles divins, non point avec les lâches condescendances des scribes et des pharisiens, mais avec empire et autorité (1), avec une liberté et une assurance digne des vérités éternelles qu'il nous venait annoncer. Que pouvait-on trouver à dire en une vie si réglée ? Ne devait-on pas admirer ce courage également inflexible aux biens et aux maux ; cette égalité de mœurs qui le faisait vivre avec tout le monde sans rigueur et sans flatterie, sans lâcheté et sans arrogance;

 

1 Joan., VIII, 44.

 

(a) Var. : Une mission attestée par des signes si extraordinaires devait-elle être tant soit peu contestée ? – (b) Pour : Supposons.

 

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cette pureté d'intention qui lui faisait toujours regarder Les intérêts de son Père ? Et néanmoins, dit-il, il faut que je donne du scandale ; et pour faire voir la difficulté qu'il y a de n'être point offensé de sa vie : « Heureux celui, dit-il, qui n'est point scandalisé en moi : » Beatus qui non fuerit scandalizatus in me (1) !

O Dieu ! qui ne serait étonné des secrets terribles de la Providence? Mais c'est ici que je dis du plus grand sentiment de mon âme avec le grave Tertullien : Mihi vindice Christum, mihi defendo Jesum...., quodcumque illud corpusculum sit (2). Cet innocent contredit par toute la terre, d'est le Jésus-Christ que je cherche ; je soutiens que ce Jésus est à moi, je proteste qu'il m'appartient. « S'il est déshonoré, s'il est abject, s'il est misérable ; j'ajouterai encore, s'il est le scandale des infidèles, c'est mon Jésus-Christ : » Si inglorius, si ignobilis, si inhonorabilis, meus erit Christus. « Car, poursuit le même Tertullien, il m'a été promis tel dans les prophéties : » Talis enim habitu et aspectu annuntiabatur. Je reconnais celui duquel Isaïe a écrit au chapitre XXVIII, que c'est « une pierre élue, une pierre de salut (3) » pour son peuple; et au chapitre VIII, que c'est « une pierre d'achoppement, que tous ceux qui s'y heurteront seront brisés (4) » Je reconnais celui duquel le Psalmiste a chanté : « La pierre qu'ils ont rejetée en bâtissant, est devenue la pierre angulaire (5) » qui soutient tout le corps de l'édifice. Enfin je reconnais celui duquel Siméon a dit, le tenant entre ses bras dans le temple : « Celui-ci est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs, et pour un signe auquel on contredira (6) ; » celui enfin qui a dit de lui-même à l'aveugle qu'il avait éclairé bien plus en son esprit qu'en son corps : « Je suis venu en jugement en ce monde, afin que ceux qui ne voient pas commencent à voir, et que ceux qui voient soient aveuglés (7). » Chrétiens, ne tremblez-vous pas à ces paroles de notre Sauveur? Toutefois j'espère de la miséricorde de Dieu qu'elles ne sont pas dites pour nous. Tremblez, infidèles, tremblez , endurcis ; c'est vous seuls que Jésus aveugle. Et vous, vrais fidèles de Jésus-Christ, vous qui avez sa crainte en vos cœurs, ouvrez, ouvrez vos

 

1 Matth., XI, 6. — 2 Advers. Marcion., lib. III, n. 16 et 17. — 3 Isa., XXVIII, 16. — 4 Ibid., VIII, 14. — 5 Psal., CXVII, 22. — 6 Luc, II, 34. — 7 Joan., IX, 39.

 

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yeux à cette lumière qui n'éblouit que les orgueilleux, et comprenez avec foi et soumission les profonds conseils du Père éternel dans l'envoi de, son Fils Jésus-Christ. Pressons ici nos raisonnements, afin de laisser du temps à une briève réflexion sur nos mœurs.

Premièrement je pourrais vous dire, pour arrêter d'abord une curiosité peu respectueuse, que Dieu qui modère comme il lui plait l'ouvrage de notre salut et qui sait ce qui nous est propre, n'a pas jugé à propos que nous sussions toutes les raisons du mystère. Quand le sage architecte commence de rebâtir un vieux édifice, l'ignorant spectateur s'imagine qu'il renverse tout. Sa faible imagination ne voit que désordre, ne pouvant supporter un dessein trop fort; mais quand il a mis la dernière main à l'ouvrage, alors on voit reluire de toutes parts l'art et la conduite de l'ouvrier. Eh ! ne savez-vous pas, chrétiens, que dans les Ecritures divines tout l'œuvre de notre salut est souvent comparé à un édifice soutenu « sur le fondement des apôtres et sur la pierre angulaire qui est Jésus-Christ (1) ? » Dieu donc, dans le cours des siècles, s'est proposé de rétablir l'homme comme un bâtiment ruineux. Il a posé le fondement de cette nouvelle structure en la vie de Notre-Seigneur. Les sens humains n'y comprennent rien; tout les choque, tout les embarrasse : de là le scandale et le trouble. Mais à ce grand jugement où Dieu couronnera l'édifice par la glorieuse immortalité de nos corps, où toutes choses étant consommées, «il sera tout en tous, » comme dit l'Apôtre (2), alors la lumière éternelle venant à se découvrir à nos cœurs, quel ordre, quelle sagesse, quelle beauté ne verrons-nous pas dans ce qui paraissait à nos sens si confus et si mal digéré ! Par conséquent, ô homme, crois en attendant que tu voies. Sache que la guérison de tes maladies dépend absolument de la confiance que tu auras en ton médecin : Crois, et tu seras sauvé, nous dit-il (3); prends sans examiner l'infaillible remède qu'il te présente. S'il s'en réserve le secret pour un temps, dès à présent il t'en abandonne l'usage; et sa miséricordieuse bonté a tellement disposé toutes choses, qu'y croire c'est ta santé, le connaître ce sera ta félicité.

 

1 Ephes., II, 20. —  2 I Cor., XV, 28. — 3 Luc., VIII, 50.

 

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Est-il rien de plus convenable, d'autant plus que ce grand médecin qui entreprend de traiter tes plaies, connaissant parfaitement leur malignité et le vice de ta nature, a bien vu qu'il n'y avait rien qui te fût plus propre ni plus nécessaire que l'humilité? O homme, si tu l'entends, l'orgueil est ta maladie la plus dangereuse. C'est par l'orgueil que secouant le joug de l'autorité souveraine, par laquelle ton âme doit être régie, tu t'es fait toi-même ta loi : la conduite de ta raison, ç'ont été ses propres lumières; la règle de ta volonté, ç'ont été ses inclinations. C'est là ta blessure mortelle. Il faut que ces deux facultés soient humiliées, afin qu'elles puissent être guéries. Comme ta volonté s'abaisse par l'obéissance, ton entendement se soumet par la foi. Tu soumets ta volonté à ton Dieu, quand tu embrasses les choses parce qu'il les veut; tu lui soumets ton entendement, quand tu les crois parce qu'il les dit. Cette soumission te semble bien grande. Mais un Dieu-Homme pour l'amour de nous, un Dieu mort pour l'amour de nous, veut un sacrifice plus entier dans un abaissement plus profond. Car un Dieu-Homme et un Dieu mourant, n'est-ce pas un Dieu anéanti, comme dit l'Apôtre (1) ? Et quel doit être le sacrifice d'un Dieu anéanti pour l'amour de l'homme, sinon l'homme anéanti devant Dieu? Or ce ne serait pas faire beaucoup pour lui que de pratiquer les choses aisées et de croire celles qui sont plausibles; de sorte que pour la perfection de ce sacrifice que nous devons offrir au Dieu incarné, il fallait et faire les choses difficiles et croire les incroyables (a). Ainsi nous détruisons devant lui tout ce que nous sommes, afin que tout soit réparé de sa main (b) . C'est pourquoi il était à propos pour rétablir la raison humaine par l'humilité, que les vérités de Jésus fussent incroyables. Et tout ce qui est incroyable est choquant, et tout ce qui est choquant fait du trouble : de là le scandale des infidèles.

Davantage (c), la vérité la plus importante qu'il fallait nous faire connaître, était notre faiblesse et notre impuissance , parce qu'en nous montrant clairement combien nous sommes

 

1 Philip., II , 7.

(a) Var. : Il fallait foire les choses qui sont pénibles et croire les incroyables. — (b) Afin qu'il daigne nous réparer de sa main. — (c) Pour : De plus.

 

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impuissants par nous-mêmes, c'était l'unique moyen de nous faire recourir avec confiance au mérite du libérateur Jésus-Christ. Or quand je vois sa doctrine et sa vie si cruellement combattues, voici la réflexion que je fais : D'où vient cette résistance si furieuse que l'on apporte à l'œuvre de notre salut? N'est-ce pas ce que dit saint Paul : « L'homme animal ne comprend pas les secrets de Dieu (1)? » N'est-ce pas ce que dit Jésus-Christ : « Pourquoi n'entendez-vous pas mes discours? Parce que vous ne pouvez pas entendre mon langage (2). » D'où vient qu'ils ne pouvaient pas entendre son langage? C'est qu'ils le voulaient entendre par eux-mêmes, et il leur était impossible. N'entendant pas ce langage, ils se pouvaient qu'être étourdis de la voix de Dieu : cet étourdissement les animait à la résistance. Plus les vérités étaient hautes, plus leur raison orgueilleuse était étourdie, et plus leur résistance était enflammée. C'est pourquoi je ne m'étonne pas si le Fils de Dieu leur prêchant ce qu'il avait vu dans le sein du Père, la résistance montant à l'extrême, se portât à la dernière fureur. De là vient qu'il leur dit en son Evangile : « Vous me voulez tuer, parce que mon discours ne prend point en vous (3). » Superbes, ignorants, que ne recourez-vous à la grâce par l'humilité chrétienne? Et vous, ne reconnaissez-vous pas, chrétiens, que sans l'assistance de cette grâce vous n'auriez que de la résistance pour votre Sauveur? Ces perfides ont ouï ses paroles, et ils les ont méprisées; ils ont vu ses miracles, et ils n'ont pas cru; ils ont vu sa vie, et elle leur a été un scandale. Donc il est vrai, ô mon Sauveur Jésus, que si vous ne me parlez puissamment au cœur, si vous ne m'entraînez à vous par vos doux attraits, ni votre vie quoique très-innocente, ni votre doctrine quoique très-sainte, ni vos miracles quoique très-grands, ne dompteront pas mon opiniâtre rébellion. Les uns disent que vous êtes un grand prophète, les autres que vous êtes un séducteur ; les uns s'édifient en vous, les autres se scandalisent de vous. D'où vient cela, ô mon Maître, sinon que les uns sont humbles et que les autres sont orgueilleux, que les uns suivent la nature et les autres suivent la grâce? Ainsi vos vérités aveuglent les uns, pour illuminer d'autant plus les autres. Vous êtes une pierre de

 

1 I Cor., II, 14. — 2 Joan., VIII, 43. — 3 Ibid., 37.

 

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scandale aux superbes, afin que les humbles ressentent mieux ce que vous faites miséricordieusement en leurs cœurs, et qu'ils louent vos bontés avec une admiration profonde de vos jugements. C'est ici que les bons chrétiens sont incroyablement consolés. Si les vérités évangéliques entraient en nos âmes avec une apparence plausible, nous attribuerions leur victoire à la force de notre raison; et devenant plus superbes, nous deviendrions par conséquent plus malades. Mais quand le vrai fidèle comprend la folie et l'extravagance du christianisme, c'est là que la grâce se fait sentir dans la répugnance de la nature, à cause qu'il reconnaît que ce n'est pas la chair qui le gagne, ni les intérêts mondains qui l'engagent, ni la philosophie humaine qui le persuade, mais la puissance divine qui le captive. C'est pourquoi dans la doctrine de l'Evangile il a plu à notre grand Dieu qu'il y eut tant de choses étranges, dures, incroyables, extravagantes selon la sagesse du monde, afin que la raison humaine étant confondue, la seule grâce de Jésus-Christ triomphât des cœurs par l'humilité chrétienne.

Mais disons une dernière raison, qui fermera ce discours en nous donnant une instruction importante pour la conduite de notre vie. Certes il est bien vrai, ô Dieu tout-puissant, ce que le bon Siméon a dit de votre Fils bien-aimé, «qu'il serait posé comme un signe auquel on contredirait (1) » Toutes ses actions et toutes ses paroles ont été méchamment contredites. Il guérit les paralytiques, les aveugles-nés et d'autres maladies incurables; et parce qu'il choisit le jour du sabbat pour faire cette bonne œuvre, on dit qu'il viole la loi de Dieu. Il chasse les démons; on dit que c'est au nom de Béelzébuth, prince des démons. On l'appelle un fou, un séducteur, un impie, un démoniaque. Jamais les docteurs de la loi n'approchaient de lui qu'afin de l'injurier ou de le surprendre. Enfin ils l'ont pendu à la croix, et le Rédempteur d'Israël est devenu le scandale de ces infidèles. Les gentils ont contredit sa parole par toutes sortes de cruautés qu'ils ont exercées sur ses serviteurs. Ils ont pris ses vérités et son Evangile pour la plus grande folie qui ait jamais paru sur la terre. Bien plus, parmi ceux qui se sont rangés sous sa discipline, combien a-t-il été contredit? Eh! mes

 

1 Luc., II, 34.

 

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frères, quelle indignité ! Tous les fondements de notre salut ont été attaqués par des gens qui faisaient profession du christianisme. Le perfide arien a nié. la divinité de Jésus, l'insensé Marcion a nié son humanité, le nestorien a divisé les personnes, l'eutychien a confondu les natures; et sur la personne de Jésus-Christ toutes les inventions diaboliques se sont tellement épuisées, qu'il est impossible de s'imaginer une erreur qui non-seulement n'ait été soutenue, mais même qui n'ait fait une secte sous le nom du christianisme. Combien d'hérésies se sont élevées contre les vérités de Jésus! Toutes, elles ont heurté contre cette pierre; et sans venir au détail, ayant rompu sans aucun sujet la paix et l'unité chrétienne, ne se sont-elles pas scandalisées de Jésus, auteur de la paix et de la charité fraternelle?

Mais allons encore plus avant. Que les gentils, que les Juifs, que les hérétiques se soient scandalisés du Seigneur Jésus, cela est supportable ; on souffre facilement les injures de ses ennemis. Mais, ô douleur ! que les catholiques, que les enfants de sa sainte Eglise, que les vrais sectateurs de sa foi vivent de telle sorte en ce monde, que l'on ne peut nier que Jésus-Christ ne les choque et que son Evangile ne leur soit un scandale, c'est, mes frères, ce qui est déplorable beaucoup plus que je ne puis vous le dire. Quand l'humilité, quand l'intégrité, quand le mépris des honneurs de la terre, bref quand l'innocence te choque, chrétien, oserais-tu dire que tu n'es pas choqué du Sauveur? Ignores-tu que sa doctrine n'est pas seulement la lumière de nos esprits, mais qu'elle est le modèle de notre vie ? Si Jésus est le scandale de ceux qui errent dans la doctrine, parce qu'ils n'écoutent pas Jésus-Christ comme notre infaillible docteur, ne l'est-il pas aussi de ceux qui sont dépravés dans leurs mœurs, puisqu'ils ne veulent pas le connaître comme l'exemplaire de notre vie? Et qui trouverai-je donc dans le monde qui ne soit pas scandalisé en notre Sauveur? Nous aimons les richesses, et Jésus les a méprisées ; nous courons après les plaisirs, et Jésus les a condamnés ; nous sommes fous du monde, et Jésus l'a surmonté. Et comment pouvons-nous dire que nous aimons Jésus, nous qui n'aimons rien de ce que nous voyons en sa personne, et qui aimons tout ce que nous n'y voyons pas? En

 

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vivant de la sorte, peux-tu nier que tu ne sois choqué de Jésus? Tu n'en hais pas le nom , mais la chose t'est un scandale. Oui, Jésus t'est un scandale, ô vindicatif, parce qu'il a pardonné les injures. Jésus t'est un scandale, ô usurier, parce qu'il est le père et le protecteur des pauvres, auxquels ton impitoyable avarice arrache tous les jours les entrailles. Jésus t'est un scandale, hypocrite, parce que tu fais servir sa doctrine de couverture à tes mœurs corrompues. Jésus t'est un scandale, ô misérable superstitieux, qui pour des fantaisies particulières abandonnes la piété solide et la dévotion essentielle du christianisme, qui est la croix du Seigneur Jésus. Jésus t'est un scandale, à toi qui traites la simplicité die sottise et la sincère piété de bigoterie, à toi enfin qui par ta vie déréglée fais blasphémer son saint nom par ses ennemis. Cela étant ainsi, chrétiens, à qui est-ce que Jésus n'est pas un scandale? « Tous cherchent leurs intérêts et non pas ceux de notre Sauveur, » disait autrefois l'apôtre saint Paul (1). O Dieu, que dirait-il, s'il revenait maintenant sur la terre ? Voyant la licence qui règne au milieu de nous, y voyant triompher le vice, nous prendrait-il pour des chrétiens, ou plutôt ne nous rangerait-il pas au nombre des infidèles ?

Eh ! d'où vient, ô Dieu tout-puissant, d'où vient que vous permettez que votre Fils ait tant d'adversaires et si peu de vrais serviteurs ? J'entends votre dessein, ô grand Dieu : vous voulez que dans cette confusion infinie de ceux qui contredisent notre Sauveur, ceux qui l'honorent sincèrement tiennent cette grâce plus chère ; vous voulez que leur foi soit plus ferme et leur charité plus ardente parmi les oppositions de tant d'ennemis, et que Jésus retrouve dans le zèle du petit nombre ce qu'il semble perdre dans la multitude innombrable des ingrats et des dévoyés. Par conséquent, mes frères, augmentons notre zèle pour son service, d'autant plus que nous voyons tous les jours augmenter le nombre de ceux qui blasphèment son Evangile ou par leurs erreurs ou par leur mauvaise vie ; efforçons-nous d'autant plus à lui plaire et à étendre la gloire de son saint nom; tâchons de lui rendre l'honneur que ses ennemis lui ravissent. Disons-lui de toute l'affection de nos cœurs :

 

1 Philip., II, 4.

 

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Quoique le juif enrage, que le gentil raille, que l'hérétique s'écarte, que le mauvais catholique se joigne au parti de vos ennemis, nous confessons, ô Seigneur Jésus, que vous êtes celui qui devez venir; vous êtes ce grand Sauveur qui nous est promis depuis l'origine du monde ; vous êtes le médecin des malades ; vous êtes l'évangéliste des pauvres; et en cela que vous paraissez comme le scandale des orgueilleux, vous êtes l'amour des simples et la consolation des fidèles. Vous êtes celui qui devez venir ; nous n'en connaissons point d'autre que vous, nous n'en attendons point d'autre que vous : « Il n'y a point d'autre nom sous le ciel par lequel nous devions être sauvés (1). » Par conséquent, fidèles, puisque nous n'en attendons point d'autre que lui, mettons notre espérance en lui seul. S'il est vrai que nous n'attendions plus un autre maître que lui pour nous enseigner, observons fidèlement ses préceptes. Si nous n'attendons point un autre pontife qui vienne purger nos iniquités, gardons soigneusement l'innocence. Et d'autant que le même Jésus, qui est venu en l'infirmité de la chair, viendra encore une fois glorieux pour juger les vivants et les morts ; « vivons justement et sobrement en ce monde, attendant la bienheureuse espérance et la triomphante arrivée de notre grand Dieu et rédempteur Jésus-Christ (2), » qui détruisant la mort pour jamais, nous rendra compagnons de son règne et de sa bienheureuse immortalité. Ainsi soit-il.

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