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SERMON ABRÉGÉ
POUR
LE Ve DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.

 

Sinite utroque crescere usque ad messem. Matth., XIII, 30.

 

Tout autant que nous sommes de chrétiens, nous sommes de pauvres bannis, qui étant relégués bien loin de notre chère patrie, sommes contraints de passer cette vie mortelle dans un pèlerinage continuel, déplorant sans cesse la misère de notre péché qui nous a fait perdre la douceur et la liberté de notre air natal, seul capable de réparer nos forces perdues et de rétablir notre santé presque désespérée. Cependant, mes très-chères sœurs, ce qui adoucit les ennuis et les incommodités de notre exil, ce sont les lettres que mais recevons de notre bienheureuse patrie : vous entendez bien que c'est du ciel que je parle. Ces lettres, ce sont les Ecritures divines que notre Père céleste nous adresse par le ministère de ses

 

1 S. Leo.— 2 I Petr., IV, 8.

 

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saints prophètes et de ses apôtres, et même par son cher Fils qu'il a envoyé sur la terre pour nous apporter ici-bas des nouvelles de notre pays et nous donner l'espérance d'un prompt et heureux retour. De sorte que si nous désirons ardemment de voir cette glorieuse cité dont nous devons être les habitants, si nous sommes vivement touchés de l'amour de notre patrie, où notre bon Père nous conserve un grand et éternel héritage, toute notre consolation doit être de lire ces lettres; nous en devons baiser mille et mille fois les sacrés caractères, et surtout nous en devons nuit et jour ruminer le sens. C'est pourquoi le prophète David chantait à son Dieu parmi des soupirs amoureux : « O Seigneur, voyez que je suis étranger sur la terre ; du moins ne me refusez pas cette unique consolation de méditer votre sainte parole : » Incola ego sum in terra, non abscondas à me mandata tua (1). Ainsi je ne m'étonne pas, mes très-chères sœurs, si vous avez une telle avidité d'entendre la parole de Dieu. C'est un effet de ce pieux gémissement que le Saint-Esprit inspire en vos âmes, les sollicitant par de saints désirs. Je m'estimerais bienheureux si je pouvais contribuer quelque chose à satisfaire ces pieux désirs. Ecoutez, écoutez, mes sœurs, les paroles du saint Evangile; et si je vous semble peu de chose, comme en effet je ne suis rien, songez que c'est la voix de votre Epoux que vous entendez par ma bouche.

« Le royaume des cieux, nous dit Jésus-Christ (2), est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. Mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du blé, et s'en alla. L'herbe ayant donc poussé et étant montée en épi, l'ivraie commença aussi à paraître. Alors les serviteurs du Père de famille vinrent lui dire : Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie? Il leur répondit : C'est l'homme ennemi qui l'y a semée. Et ses serviteurs lui dirent : Voulez-vous que nous allions l'arracher? Non, leur répondit-il, de peur qu'en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le bon grain. »

Le grand Père de famille, c'est Dieu qui a répandu de tous côtés

 

1 Psal. CXVIII, 19. — 2 Matth., XIII, 24 et seq.

 

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sur les hommes ses vérités, comme une semence céleste qui devait fructifier en bonnes œuvres pour la vie éternelle. Il avait commencé à jeter cette précieuse semence dans l'esprit de l'homme, l'introduisant dans ce paradis de délices où tout ce qui se présentait à ses yeux ne lui parlait que de son Créateur. Mais pendant qu'il s'endormait dans la considération de ses propres dons, oubliant insensiblement son auteur, auquel seul il devait veiller, et « déçu de la douceur de sa charmante liberté, » suâ in œternum libertate deceptus (1), le serpent frauduleux qui lui parlait au dehors, fit couler intérieurement dans son cœur le venin subtil et délicat de la vaine gloire. Animé de ce bon succès , il n'a cessé de jeter autant qu'il a pu les semences du vice et du désordre partout où il a vu que la munificence divine répandait celles de ses grâces. Si bien que par ses artifices le bon et le mauvais grain, c'est-à-dire les bons et les mauvais se sont trouvés mêlés ensemble dans le même champ, c'est-à-dire ou bien dans le monde, comme Notre-Seigneur l'interprète, ou dans la sainte Eglise, comme je le pourrais justifier aisément par d'autres endroits de l'Ecriture. Là-dessus quelques faux zélés se sont élevés, qui ont trouvé ce mélange insupportable : il leur a semblé que la justice divine devait incontinent exterminer les impies, et ouvrir sous eux les plus noirs abîmes pour les engloutir. Mais notre sage Père de famille ne défère pas à leur zèle inconsidéré et superbe ; il ordonne que l'on les laisse croître jusqu'à la moisson, c'est-à-dire la fin des siècles. Et alors il enverra ses saints anges pour faire cette dernière et éternelle séparation, par laquelle les méchants séparés pour jamais de la compagnie des bons, seront jetés dans la flamme, pendant que la troupe des justes toute pure et tout éclatante fera voir dans le royaume de Dieu autant de soleils que de saints. C'esl l'interprétation de notre parabole. L'intention de Notre-Seigneur en deux réflexions : la première sur le mélange, la seconde sur la séparation des bons et des mauvais.

Depuis le péché du premier homme, l'iniquité a régné dans le monde. Tous s'étaient écartés de la bonne voie : « Il n'y avait personne qui fit bien, non pas même un seul, » comme chantait

 

1 Innocent. I, Epist. XXIV ad Concil. Carthag., Lab., tom. II, col. 1285.

 

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autrefois le Psalmiste (1), rapporté dans l’Epître aux Romains (2). C'est pourquoi saint Augustin a dit « qu'il y avait dans le monde comme une ville d'iniquité, qu'il a appelée Babylone (3). Babylone en langue hébraïque, c'est-à-dire confusion : il l'appelle donc Babylone, parce que l'iniquité et la confusion sont inséparables. Cette cité, mes sœurs, c'est le règne, l'assemblée et pour parler de la sorte, la république des méchants. Mais Dieu regardant d'en haut en pitié cette noire et criminelle ignorance, a envoyé son Fils au monde pour le réformer. C'est lui qui contre cette cité turbulente, qui par son audacieuse rébellion dominait par toute la terre, a établi une cité sainte qui doit servir d'asile à tous ceux qui se voudront retirer de cette confusion générale. Cette cité, mes très-chères sœurs, c'est la sainte, la spirituelle, la mystérieuse Jérusalem, c'est-à-dire vision de paix, afin d'opposer la paix des enfants de Dieu au désordre et au tumulte des enfants du monde.

Mais où se bâtira cette ville innocente? Quelles montagnes assez hautes, quelles mers et quel océan assez vaste la pourraient assez séparer de cette autre cité criminelle ? Chères sœurs, le Prince son fondateur ne l'en veut point séparer par la distance des lieux : dessein certainement incroyable ! il bâtit Jérusalem au milieu de Babylone. Durant le cours de ce siècle pervers, les bons seront mêlés avec les méchants. O Dieu éternel! quel mélange de ces deux peuples divers, je veux dire des saints et des impies ! L'un est prédestiné à la vie éternelle, et l'autre réprouvé à jamais. Leurs princes sont ennemis. Le prince de Jérusalem c'est Jésus; le diable est le prince de Babylone. Ils vivent sous des lois directement opposées. L'Apôtre, comme vous savez, distingue deux sortes de lois : l'une est la loi de l'esprit, elle gouverne Jérusalem ; l'autre est la loi de la chair, qui domine dans Babylone. Leurs mœurs sont toutes contraires. L'une se propose pour dernière fin une paix trompeuse, à cause qu'elle est passagère ; l'autre, parmi beaucoup d'afflictions présentes, gémit et soupire sans cesse après une paix assurée, à cause qu'elle est éternelle. Qu'est-ce à dire ceci, mes très-chères sœurs? Ces deux peuples de bons et de méchants, dont

 

1 Psal. XIII, 3. — 2 Rom., III, 12. — 3 In Psal., XXVI, n. 18.

 

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les lois sont si fort opposées, les mœurs si contraires, les desseins si incompatibles, vivent néanmoins ensemble dans une même société ; ils sont éclairés d'un même soleil ; ils respirent un même air ; la terre, leur mère commune, leur fournit à tous indifféremment une nourriture semblable. Bien plus, nous les voyons tous les jours se présenter aux mêmes autels; ils sont associés dans la communion de l'Eglise, ils participent aux mêmes mystères, ils sont régénérés et repus de la vertu des mêmes sacrements. Oserions-nous bien, ô Seigneur, vous demander raison d'un mélange si surprenant? « Quelle convention, je vous prie, entre Jésus-Christ et Bélial (1) ? » Pourquoi voulez-vous que les corps soient si proches, ei les cœurs telle ment séparés ? Que vous ont fait vos enfants de les punir si cruellement, les contraignant de vivre avec vos ennemis et les leurs? Quel nouveau genre de supplice de joindre ainsi le vif et le mort ? Vous, Seigneur, qui avez si bien rangé chaque chose en sa place, qui avez séparé la terre et le firmament, les ténèbres et la lumière, ne séparerez-vous point les justes d'avec les impies? Certes le ciel et la terre ne sont pas si fort éloignés, les ténèbres et la lumière ne sont pas si contraires que sont la vertu et le vice : pourquoi donc les laissez-vous ensemble? N'avez-vous débrouillé la confusion du premier chaos, qu'afin de nous rejeter dans un chaos plus horrible? Eclairez-nous, Seigneur, sur cette difficulté, non point par les raisons de la philosophie humaine, mais par la considération de vos secrets jugements et de votre providence irrépréhensible.

L'admirable saint Augustin nous donne sur ce sujet une très-belle doctrine. « Les méchants, dit ce grand personnage (2), ne sont dans le monde, » nisi ut convertantur, vel ut per eos boni exerceantur. O peuple choisi, ô enfants de paix, ô citoyens de la Jérusalem bien-aimée , si Dieu votre Père eût voulu que vous vécussiez en paix en ce monde, il ne vous aurait pas exposés en proie au milieu de vos ennemis ; mais voulant exercer et épurer votre vertu par l'épreuve de la patience, il vous a mis parmi une nation ennemie, afin que vous souffrissiez en ce siècle leur persécution et leur violence. C'est pourquoi dans la maison de notre père

 

1 II Cor., VI, 15. — 2 In Psal. LIV, n. 4.

 

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Abraham, selon que le remarque l'Apôtre (chap. IV aux Galates), Ismaël l'enfant de la chair et de la servante, persécutait Isaac le fils de la promesse et de sa maîtresse. Ne voyez-vous pas que dans le ventre de Rébecca, femme du patriarche Isaac, ces deux gémeaux qu'elle porte , Esaü et Jacob, l'un figure des réprouvés, l'autre l'image des enfants de Dieu, « encore enfermés dans les mêmes entrailles commencent à se faire la guerre : » Collidebantur in utero ejus parvuli (1). Que signifie ce mystère, mes sœurs? « Tu portes, ô Rébecca, dans ton ventre, dit la parole divine, deux grandes et nombreuses nations : » Duœ gentes sunt in utero tuo (2). Quelles sont ces nations, chères sœurs? C'est d'une part la nation des justes, et de l'autre celle des impies, représentées dans ces deux enfants. Esaü, je l'avoue, supplantera Jacob pour un peu de temps; il sortira le premier ; il emportera le droit d'aînesse. Il faut que dans le cours de ce siècle les bons et les saints, le monde prédestiné serve et gémisse pour l'ordinaire sous l'oppression et la tyrannie des méchants et des réprouvés. Mais enfin tôt ou tard la face des choses sera changée. Après qu'Esaü aura joui quelque temps de son droit d'aînesse, c'est-à-dire après que les méchants auront en apparence triomphé quelque temps dans ce monde par leur imaginaire félicité, Jacob emportera la bénédiction paternelle; il demeurera le seul et véritable supplantateur, comme son nom le lui promettait. La prophétie divine s'accomplira, qui dit que « l'aîné servira au cadet : » Major serviet minori (3); c'est-à-dire que les bons, qui paraissaient ici-bas être dans l'oppression et dans la disgrâce, dans cette grande révolution qui arrivera à la fin des siècles, commenceront à prendre la première place; et les méchants étonnés d'une si grande vicissitude, gémiront à jamais dans une captivité insupportable. C'est ce qui nous est montré en figure en la Genèse. Mais en attendant, mes très-chères sœurs, il est nécessaire que les bons souffrent. Car de même que notre grand Dieu a jeté notre âme, qui est d'une si divine origine, dans une chair agitée de tant de convoitises brutales, afin que la vigueur de l'esprit s’évertuât tous les jours par la résistance du corps : ainsi a-t-il mêlé parmi les impies, afin que ceux-là supportant la

 

1 Genes., XXV, 22. — 2 Ibid., 23. — 3 Ibid.

 

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persécution de ceux-ci, s'animassent d'autant plus à la vertu qu'ils y trouveraient plus d'obstacles.

Et c'est à vrai dire, mes sœurs, le grand miracle de la grâce divine. Mener une vie innocente loin de la corruption commune, c'est l'effet d'une vertu ordinaire ; mais laisser les justes dans la compagnie des méchants et fortifier par là leur vertu, leur faire respirer le même air et les préserver de la contagion, les faire vivre parmi l'iniquité et leur faire observer la justice, c'est où paraît le triomphe de la toute-puissance divine. C'est ainsi, mes sœurs, qu'elle se plaît de faire paraître la lumière plus éclatante et plus pure parmi l'épaisseur des nuages. Ce grand Dieu tout-puissant qui a préservé les enfants dans la fournaise et Daniel parmi les lions ; qui a gardé la famille de Noé sur un bois fragile contre la fureur inévitable des eaux universellement débordées, celle de Lot de l'embrasement et des monstrueuses voluptés de Sodome ; qui a fait luire à ses enfants une merveilleuse lumière parmi les ténèbres d'Egypte ; qui a fait naître des eaux vives parmi les déserts arides de la Libye : ce Dieu a pris plaisir, pour faire voir son pouvoir, de conserver ses serviteurs innocents dans la corruption générale ; que dis-je, il les a préservés ? Leur vertu en a paru davantage.

Et certes s'il n'y avait point eu de méchants, combien de vertus seraient étouffées ! Que deviendrait le zèle de convertir les âmes, dont les saints ont été transportés ? Où seraient tant d'exhortations véhémentes? où cette béatitude de ceux qui souffrent pour la justice? où le triomphe du martyre? Qui aurait mis la main sur la personne de Notre-Seigneur, s'il n'y avait eu que des justes? Mais quel serait le désordre des choses humaines, si parmi cette prodigieuse multitude de méchants il n'y avait du moins quelques justes qui, par leurs avertissements et par leurs exemples, réprimassent la licence effrénée et retinssent du moins les choses dans quelque modération ? C'est pourquoi le Sauveur Jésus parlant au petit nombre de gens de bien qu'il avait par sa grâce assemblés près de sa personne, les appelle le sel de la terre : Vos estis sal terrœ (1) ; voulant dire à mon avis que s'il n'eût répandu quelques personnes vertueuses deçà et delà dans le monde comme une espèce de sel

 

1 Matth., V, 13.

 

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salutaire, les hommes auraient été entièrement corrompus, m lieu qu'il y reste peut-être quelque petite trace de vertu.

Cela étant de la sorte que nous autres chrétiens nous sommes envoyés pour être la lumière du monde, vivons en enfants de lumière et « ne communiquons point aux œuvres des ténèbres (1) » qui nous environnent. Méprisons cette vie, mes très-chères sœurs, où nous sommes en captivité. Regardez le siècle : de toutes parts vous y verrez régner l'impiété, le désordre, le luxe, les molles délices, l'avarice, l'ambition, et enfin toutes sortes de crimes. Quel plaisir pour nous en cette vie où les meilleurs ne sont pas mieux traités que les plus méchants ? Au contraire nous verrons ordinairement les méchants dans le haut crédit et les sages dans la bassesse. Quelle estime pouvons-nous faire de cette sorte de biens que notre Père céleste, qui sait si parfaitement le prix des choses, donne en partage à ses ennemis? Considérez, mes très-chères sœurs, que dans une grande maison ce que l'on réserve aux enfants est toujours le plus précieux, et que ce que les serviteurs peuvent avoir de commun avec eux est toujours le moins important. Nous sommes les enfants de Dieu, et les méchants n'ont pas seulement l'honneur de pouvoir être nommés ses esclaves : ce sont ses ennemis et les victimes de sa fureur. Et néanmoins les plaisirs et les grands avantages après lesquels les mortels abusés ne cessent de soupirer, sont presque pour l'ordinaire en la possession des méchants. Souhaitez-vous des richesses? vous n'en aurez jamais plus que Crésus; les délices? vous n'en aurez jamais plus que Sardanapale ; le pouvoir ? vous n'en aurez jamais plus que Néron, Caligula, ces monstres du genre humain, et néanmoins les maîtres du monde. Où est-ce que l'éloquence, la sagesse mondaine, le crédit des beaux-arts a été plus grand que dans l'empire romain? C'étaient des idolâtres. « Demandez-vous à Dieu, dit saint Augustin, de l'argent ? le voleur en a ; une femme, une nombreuse famille, la santé du corps, les dignités du siècle? considérez que beaucoup de méchants possèdent ces biens. Est-ce pour cela seulement que vous servez Dieu (a) ? Vos pieds chancelleront-ils

 

1 Ephes., V, 11.

(a) Var. : « Voulez-vous, dit saint Augustin, que Dieu vous donne de l'argent ? les voleurs en ont ; désirez-vous une femme, une nombreuse famille, la santé du corps, les dignités du siècle? considérez que beaucoup de méchant possèdent tous ces avantages. Est-ce l’unique objet pour lequel vous servez Dieu? »

 

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ils et croirez-vous servir Dieu en vain, lorsque vous voyez dans ceux qui ne le servent pas tous ces biens qui vous manquent ? Ainsi il donne toutes ces choses aux méchants mêmes, et il se réserve lui seul pour les bons : » Pecuniam vis à Deo ? habet et latro. Uxorem, fœcunditatem filiorum, salutem corporis, dignitatcm sœculi? attende quàm multi mali habent. Hoc est totum propter quod eum colis? Nutabunt pedes tui,putabis te sine causa colere, quando in eis vides ista qui eum non colunt ? Ergo ista dat omnia etiam malis, se solum servat bonis (1). Partant que l'ami de Jésus, s'il prétend à quelque chose de plus que les ennemis de Jésus, vive avec la grâce de Dieu dans l'attente d'une plus grande félicité. O sainte paix de Sion ! ô égalité des anges ! ô divine Jérusalem , où il n'y a point de séditieux, point de fourbes, point de malfaiteurs ; où il n'y a que des gens de bien, des amis et des frères ! O heureuse égalité des anges ! ô sainte compagnie, où Dieu régnera en paix, où nul ne blasphémera son saint nom, nul ne contreviendra à ses ordonnances ! O sainte Sion, où toutes choses sont stables! Eh Dieu! qui nous a jetés dans ce flux et reflux de choses humaines? qui nous précipite dans cet abîme et cette mer agitée de tant de tempêtes? Quand retournerai-je à vous, ô Sion? quand verrai-je vos belles murailles, et vos fontaines d'eaux vives qui sont la félicité éternelle, et votre temple qui est Dieu même, et votre lumière qui est l'Agneau? « Alors, ô mon Dieu, vous nous vivifierez, vous nous renouvellerez, vous nous donnerez la vie de l'homme intérieur, et nous invoquerons votre nom, c'est-à-dire nous vous aimerons. Après nous avoir pardonné avec bonté tous nos péchés, vous vous donnerez vous-même pour être la récompense parfaite de ceux que vous aurez justifiés. Seigneur Dieu des vertus, convertissez-nous, montrez votre face, et nous serons sauvés : Vivificabis nos, innovabis nos, vitam interioris hominis dabis nobis, et nomen tuum invocabimus, id est, te diligemus. Tu nobis dulcis eris remissor peccatorum nostrorum, tu eris totum prœmium justificatorum. Domine

 

1 S. August., In Psal. LXXIX, n. 14.

 

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Deus virtutum, converte nos, ostende faciem tuam, et salvi erimus (1). »

Cette séparation, mes très-chères sœurs, a divers degrés. Premièrement les élus sont déjà séparés dans la prédestination éternelle, même dans la contagion du siècle, même dans cette masse de corruption où le monde semble les envelopper dans une commune confusion. Dieu les a déjà discernés, « Dieu sait ceux qui sont à lui : » Cognovit Dominus qui sunt ejus (2); il les connaît par nom et par surnom : Proprias oves vocat nominatim (3). Il en a un rôle dans son cabinet, ils sont écrits dans son livre. O joie ! ô bonheur incroyable ! Aimables brebis de Jésus, quelque part où vous erriez dans les chemins détournés de ce siècle, l'œil de votre pasteur est sur vous : il vous sépare des autres, non point de corps, mais de cœur; il vous sépare par de saints désirs et par une bienheureuse espérance. Les affections, mes sœurs, ce sont comme les pas de l’âme ; c'est par elles qu'elle se remue. Ainsi les enfants de lumière, mêlés ici-bas parmi les enfants de ténèbres, en sortent par de saintes et de célestes affections. Ils sont en ce monde, mais leur amour en est détaché. Dieu, qui les a mêlés avec ses ennemis, ne cesse de les en séparer peu à peu par une opération toute-puissante. Il purifie leurs intentions, il les démêle insensiblement des embarras de la terre. Comme ils sont dans un corps mortel, et que néanmoins ils vivent en quelque sorte détachés du corps, et que Dieu rompt peu à peu leurs liens, ainsi que dit l'apôtre saint, Paul, que « vivant dans la chair, nous ne vivons pas selon la chair (4) : » de même , bien qu'ils soient parmi les méchants, leur façon de vivre les discerne d'eux.

Viendra, viendra enfin cette dernière séparation. O jour terrible pour les méchants ! ô jour mille et mille fois heureux pour les bons! Où iront les méchants séparés des enfants de Dieu? C'est ce mélange, mes sœurs, qui empêche que Dieu ne les foudroie : il leur pardonne pour l'amour des siens; leur présence modère sa juste fureur. C'est pourquoi, dans notre évangile, il défend « d'arracher l'ivraie, de peur d'endommager le bon grain : » Ne fortè

 

1 S. August., In. Psal. LXXIX, ubi suprà. — 2 II Timoth., II, 19. — 3 Joan., X, 3. — 4 II Cor., X, 3.

 

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colligentes zizania, eradicetis simul cum eis et triticum (1). Considérez, mes sœurs, que comme en ce monde les bons et les méchants sont mêlés, aussi la colère et la miséricorde divines sont en quelque façon tempérées l'une par l'autre. C'est pourquoi le Prophète a dit que « le calice qui est en la main de Dieu est mêlé. » Le vin signifie la joie, Vinum lœtificat (2); et l'eau, les tribulations : Salvum me fac, Deus, quoniam intraverunt aquœ (3). Le prophète David dit que son âme est environnée d'eaux, c'est-à-dire de tribulations : Vini meri plenus mixto (4). C'est ce mélange que le siècle doit boire. Sa vengeance est toujours mêlée de miséricorde, sa miséricorde de même : Parcente manu sœvit et donat. Mais après ce siècle il ne restera plus que la lie : Verumtamen fœx ejus non est exinanita : bibent omnes peccatores terrœ (5). Ces pécheurs séparés des bons, ces pécheurs surpris dans leur crime, ces pécheurs qui ne seront jamais gens de bien, ils boiront toute la lie et toute l'amertume de la vengeance divine. Fuyons, fuyons, mes sœurs, fuyons de leur compagnie, n'ayons point de commerce avec eux. Votre profession vous en a déjà en quelque sorte séparées. Mais ne faites pas comme les Israélites : ne désirez point les plaisirs de l'Egypte, ne retournez pas la tête en arrière pour voir ce que vous avez quitté ; mais tenez vos yeux fichés éternellement à l'héritage qui vous pst promis, aux saints qui vous attendent, à Jésus qui vous tend les bras pour vous recevoir en sa gloire.

 

1 Matth., XIII, 29. — 2 Psal. CIII, 15. — 3 Psal. LXVIII, 2.— 4 Psal. LXXIV, 9. — 5 Ibid.

 

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